Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Réunion du mardi 4 juin 2019 à 17h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • accessibilité
  • classe
  • compensation
  • enseignant
  • spécialisé

La réunion

Source

Mardi 4 juin 2019

L'audition débute à dix-sept heures quarante.

Présidence de Mme Jacqueline Dubois, présidente de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la République, quatorze ans après la loi du 11 février 2005, procède à l'audition de M. José Puig, directeur de l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA).

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Nous poursuivons nos auditions par celle de l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) qui sera représentée par son directeur, M. José Puig.

L'INSHEA est un établissement public national de formation et de recherche dédié aux besoins éducatifs particuliers et à l'accessibilité. Il a été créé par la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, ainsi que la participation à la citoyenneté des personnes handicapées. À travers ses trois pôles de compétences dans les domaines de la formation, des ressources et de la recherche, il forme les acteurs de l'accompagnement et de l'accessibilité éducative, sociale et professionnelle à travers des modules spécifiques. Il nous a donc paru utile de l'entendre dans le cadre de cette commission.

J'ai eu la chance de suivre une formation de trois semaines voici une dizaine d'années au sein de cet institut. J'en garde un bon souvenir. J'en garde aussi le souvenir qu'il faut un certain temps pour être formé.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. José Puig prête serment.

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Monsieur le directeur, je vous souhaite à mon tour la bienvenue. Au cours de ces longues et passionnantes semaines d'audition, la plupart des acteurs ont appelé notre attention sur l'enjeu de la formation des intervenants pour améliorer la prise en charge des enfants en situation de handicap : les enseignants, en formation initiale et continue, et les accompagnants – dont la précarité pose problème pour accéder aux formations –, ainsi que sur la nécessité de fluidifier l'expertise et la recherche.

Vous pouvez nous aider à consolider notre expertise. Votre institut revêt une dimension internationale – au moins européenne – et peut nous éclairer sur ce qui fonctionne bien ailleurs et pourrait être source d'inspiration.

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José Puig

Madame la présidente, Messieurs et Mesdames les députés, je suis très honoré d'être entendu par vous sur ce sujet. Je vous ai transmis assez tardivement, et je vous prie de m'en excuser, une brève note. Je ne sais pas si vous avez eu le temps d'en prendre connaissance. Je vous propose de reprendre les quelques éléments contenus dans ce document en introduction à nos échanges.

La société se prépare à l'école. Si nous voulons une société inclusive, il faut que, dès l'école maternelle et tout au long de leur parcours, les jeunes soient entraînés à travailler, vivre, jouer et fraterniser avec des jeunes en situation de handicap dans le cadre de la préparation à leur vie adulte.

Certaines caractéristiques historiques de notre système scolaire, qui sont marquées par des formes d'élitisme et de sélectivité, donnent une place paradoxale dans le cadre des comparaisons internationales aux performances de notre système : il est parfois cité pour l'excellence de ses résultats, mais il figure parfois au bas du tableau pour le décrochage scolaire et les sorties en cours d'études. Les enfants en situation de handicap figurent parmi ceux qui sont le plus exposés à des parcours difficiles, interrompus prématurément ou discontinus.

L'effort qui cherche à rendre l'école inclusive suppose une volonté politique d'agir sur l'organisation du système dans le but d'identifier et de supprimer progressivement les entraves à la réussite pour tous les élèves qui, pour des raisons diverses, sont menacés d'échec, de sortie prématurée ou d'exclusion. À l'origine, l'INSHEA était spécifiquement dédié à la formation des enseignants travaillant dans des classes et des établissements spécialisés avec des enfants handicapés. Aujourd'hui, notre réflexion s'élargit à toutes les catégories d'enfants – d'ailleurs, la catégorisation des enfants est l'une des difficultés de notre système. L'école ne peut devenir inclusive si les efforts politiques se limitent à définir une action sectorielle d'intégration d'enfants handicapés fondée sur les définitions légales issues de la loi de février 2005.

Les évolutions induites par cette loi ont permis de grands progrès à l'école et dans l'enseignement supérieur. Avec le recul, on s'aperçoit que l'accent a été mis de façon excessive sur la compensation au détriment de l'accessibilité. Les environnements éducatifs sont peu accessibles. Le droit à compensation a créé une sorte d'inflation des moyens de compensation humains et techniques qui dispense les environnements, les établissements scolaires et le système de fournir cet effort d'adaptation. Comme l'a souligné une observatrice des Nations Unies, la culture de l'accessibilité universelle et des aménagements raisonnables a assez peu pénétré le système scolaire – comme l'entreprise et la société en général.

La formation est un enjeu essentiel. Jusqu'à présent, les enseignants n'étaient pas préparés à accueillir dans leur classe la diversité des élèves qui s'y trouvent aujourd'hui, ou ils considéraient qu'il s'agissait d'un accident, qu'ils n'avaient pas de chance, avec un enfant autiste ou sourd dans leur classe. Désormais, c'est la règle et nous voyons progressivement le nombre d'enfants en situation de handicap préférer le système ordinaire et obtenir satisfaction puisque la loi le permet.

L'INSHEA donne la priorité à la formation initiale ou continue des enseignants du premier et du second degré – trop longtemps, ces questions ont été l'apanage de l'école primaire et des enseignants du premier degré : ce n'est que depuis 2004 qu'existent des formations spécifiques s'adressant aux professeurs du second degré. La formation de ces enseignants reste très marquée par le découpage des disciplines. Le recrutement s'appuie sur leurs compétences dans les disciplines d'enseignement plutôt que sur leurs compétences pédagogiques. Force est de reconnaître que la formation qui leur est dispensée dans les ESPE ne suffit pas à contrebalancer cette prégnance de la culture disciplinaire.

Même bien formés, les enseignants ne peuvent à eux seuls transformer l'école. Il est indispensable que les autres acteurs professionnels de l'école comme les personnels d'encadrement, les chefs d'établissement, les directeurs d'école, les principaux de collège et les personnels d'inspection soient mobilisés sur cette question. Il faut que l'organisation même des établissements permette à ces enfants de trouver naturellement leur place sans être stigmatisés par des efforts spécifiques de compensation, lesquels sont individuels et disparaissent après eux sans modifier leur cadre de scolarisation.

La question de la formation, de la qualification, du statut et de la rémunération des AESH a fait l'objet de nombreux débats. Nous avons contribué à la formation et à la diffusion d'outils de formation destinés aux formateurs des AESH. Comme l'a montré le rapport des inspections générales, cette formule d'accompagnement a été en quelque sorte victime de son succès. Aujourd'hui, nous constatons que ces aides sont parfois contre-productives, souvent stigmatisantes et insuffisamment précises pour ne pas se retourner contre leur objectif.

Parfois, la présence d'un AESH individuel auprès d'un enfant fait obstacle à son autonomie au lieu de favoriser sa progression. Il y a urgence à évoluer en permettant aux AESH d'acquérir une qualification supérieure au niveau V qui est actuellement préconisé. Il faut également que ces accompagnants soient entraînés à travailler avec les enseignants. Des études réalisées par une équipe de l'Université de Nantes montrent qu'actuellement, les enseignants tendent à déléguer aux AESH la prise en compte des particularités de l'élève. En conséquence, la complémentarité et la combinaison des actions de l'un et l'autre pèchent et ne sont pas adaptées au but inclusif recherché.

La culture de l'éducation inclusive doit aller au-delà des professionnels de l'école et être partagée par tous les professionnels qui interviennent dans le parcours des enfants : les professionnels du secteur de la santé, de l'action sociale et du médico-social, ainsi que les agents territoriaux, en particulier à l'école maternelle, qui jouent un rôle de proximité dans la vie quotidienne des enfants à l'école. Grâce à la transversalité de cette culture, il convient que les activités périscolaires puissent être aussi inclusives que l'école dans une bonne continuité des accompagnements et de l'accessibilité des environnements.

La question du statut, de la rémunération, de la qualification et de la formation des AESH ne peut être contournée. Il faut absolument essayer de progresser dans ce domaine.

La recherche scientifique est indispensable. Nous balbutions, nous tâtonnons, nous savons mal intégrer les connaissances sur les troubles du neuro-développement. Nous éprouvons des difficultés à articuler les travaux des chercheurs de toutes les disciplines impliquées avec la formation des acteurs et des enseignants. C'est le cas de façon générale, mais dans le domaine de l'éducation inclusive, c'est un chantier prioritaire sur lequel nous avons commencé à développer un certain nombre de foyers de recherches, notamment participatives impliquant les associations, les familles et les personnes handicapées, ce qui est absolument indispensable.

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José Puig

En effet. À l'inverse de ce qui se passe dans le champ de l'industrie, les laboratoires qui travaillent dans le domaine des sciences humaines et sociales ne disposent pas de financements complémentaires aux dotations ministérielles – même si, grâce à des financements de la CNSA et du Défenseur des droits, nous avons pu développer un certain nombre de projets de recherche intéressants. Cependant, je confirme l'existence d'une problématique de moyens.

La transformation des pratiques grâce à la formation appuyée sur les acquis de la recherche ne peut en aucune façon suffire à transformer le système. Il est indispensable que la réflexion porte sur l'organisation du système scolaire dans son ensemble, de la maternelle à l'université. Je pense par exemple au foisonnement des textes qui organisent l'aménagement des examens des candidats handicapés. Nous sommes encombrés d'une réglementation multiple qui sature les services des rectorats et la Maison des examens pour un résultat qui n'est jamais jugé satisfaisant car les dispositions demeurent stigmatisantes et dérogatoires au droit commun. À l'heure où une réflexion est conduite sur un nouveau baccalauréat et de nouvelles modalités d'évaluation des élèves, il faudrait penser des examens inclusifs, des types d'épreuves et des modalités d'évaluation qui, par anticipation, évitent que certains élèves doivent avoir recours à des procédures dérogatoires pour voir leurs compétences évaluées au même titre et au même moment que les autres.

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Merci beaucoup. Comment voyez-vous le rôle que pourrait jouer l'INSHEA dans une transformation rapide vers une école plus inclusive ? Peut-il contribuer en essaimant au sein des INSP qui vont arriver ? Par le biais de formations de formateurs ? En participant à l'élaboration du cahier des charges du référentiel de formation des enseignants en formation initiale ? Nous avons amendé le projet de loi pour une école de la confiance pour que les enseignants siuvent un module de formation plus approfondi sur la scolarisation des élèves en situation de handicap et sur l'école inclusive. Le ministre s'est engagé sur des formations continues prenant en compte ce sujet. Que pouvez-vous apporter pour que cette transformation s'opère plus rapidement ?

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Lorsque d'autres collègues – je pense à Christophe Bouillon – ont travaillé avant nous sur ce sujet, vous aviez émis des idées intéressantes sur une adaptation des effectifs dans les classes où sont accueillis des enfants en situation de handicap et une adaptation des dotations horaires globales (DHG) dans le secondaire. J'aimerais que vous nous apportiez des éclairages complémentaires.

J'entends les annonces du ministre et je pense qu'il faudrait mettre à l'actif de la commission d'enquête le fait que, chaque semaine, des déclarations nouvelles sont faites, ce qui est très positif pour les personnes intéressées.

Si l'on veut irriguer tous les territoires, le déploiement de la formation doit impliquer l'ensemble des acteurs concernés. Quels sont les dispositifs, les outils et les moyens nécessaires ?

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Merci, Monsieur le directeur, pour votre exposé. Vous avez souligné que la compensation a été privilégiée au détriment de l'accessibilité, ce qui peut constituer un facteur d'exclusion ou d'abandon pour les élèves. Quelles mesures devraient être mises en place dans les meilleurs délais pour rendre l'enseignement accessible à tous ?

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Vous avez évoqué l'organisation des enseignements secondaires autour des disciplines. Un enseignant n'a-t-il pas besoin de maîtriser parfaitement sa discipline pour bien l'adapter aux élèves ?

Par ailleurs, ne faudrait-il pas revoir notre « philosophie de l'excellence » qui conduit à ce que l'on tire certains élèves vers l'excellence et qu'on « accompagne » les autres ? Ne faut-il pas surmonter cette dichotomie, puisque tout élève doit être tiré vers le progrès sans forcément tout le système soit tiré vers l'excellence à tout crin ?

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Vous parliez de supprimer les entraves à la réussite pour tous les élèves en incluant ceux qui sont menacés d'échec, de sortie prématurée ou d'exclusion pour toute autre raison que la situation de handicap. Quelles sont ces entraves ? Que faudrait-il faire en termes d'organisation, de moyens, d'effectifs et de politique pédagogiques ?

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Vous indiquiez que la compensation pouvait, avec l'inflation des moyens, dispenser le système de faire des efforts d'adaptation. L'expérimentation des PIAL tente une nouvelle manière de concevoir l'école inclusive en donnant les moyens supplémentaires, en termes d'organisation, en faisant entrer davantage le médico-social dans l'école. J'aurais aimé avoir votre opinion sur ce dispositif.

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José Puig

En Italie, l'effectif des classes est abaissé lorsqu'elles accueillent des enfants porteurs de handicaps relativement sévères. Ces pratiques, qui existent dans certains pays, ont fait leurs preuves, mais ont toujours été mal perçues par le système français au nom du principe d'égalité. Toutefois, on a récemment touché au tabou des effectifs, notamment pour les cours préparatoires dans les zones d'éducation prioritaire, où les seuils de fermeture et d'ouverture de classes ont été abaissés. Il est clair que l'enseignant est plus disponible pour chaque élève lorsque l'effectif est moindre. Celui qui a besoin de davantage d'attention a plus de chance de l'obtenir lorsque l'enseignant n'est pas accaparé par un trop grand nombre d'élèves. La difficulté du métier d'enseignant est de faire simultanément du collectif et du singulier. Il faut entraîner les enfants à vivre ensemble et leur donner l'expérience de la collaboration et de l'apprentissage en commun, tout en étant attentif aux difficultés de chacun. Il faut différencier son intervention pour que ceux qui ont besoin d'un peu plus d'aide et d'attention puissent trouver satisfaction dans cet enseignement.

En effet, l'effectif des classes mérite d'être reconsidéré. Toutefois, cette logique a ses limites : si l'on continue à voir s'accroître le nombre d'enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire, toutes les classes seront concernées. La bonne mesure – coûteuse, mais qui relève d'une logique d'accessibilité plutôt que de compensation – consiste à réfléchir sur les effectifs non pas des classes, mais des groupes d'élèves selon les activités.

Nous vivons dans un système hérité des XVIIIe et XIXe siècles fondé sur une trilogie formée d'un enseignant et sa classe dans une seule salle pendant toute la journée. Des expériences conduites dans d'autres pays montrent que l'on peut faire varier les modalités de groupement des élèves au cours de la journée. La classe peut compter davantage d'élèves par moments parce que l'activité n'appelle aucune individualisation – par exemple, la qualité du message ne sera pas modifiée si cent élèves regardent simultanément un document audiovisuel. Les économies réalisées en groupant des effectifs relativement élevés permettent des regroupements d'élèves différenciés à d'autres moments, avec des élèves en difficulté en tout petit nombre, voire des prises en charge individuelles – même si ce n'est probablement pas la formule qui mérite le plus d'être développée –, et des activités avec des élèves plus autonomes.

En corollaire, plusieurs enseignants peuvent intervenir auprès des mêmes élèves, avec des compétences différentes. Cette évolution a cours dans le cadre des réseaux d'aide aux élèves en difficulté (RASED)…

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José Puig

… En effet.

… notamment avec les maîtres E à l'école primaire. Je citerai également les logiques de co-interventions réglées où, pendant que l'enseignant continue à diriger son activité pour l'ensemble de la classe, un enseignant spécialisé ou non peut intervenir auprès de certains élèves avec des explications complémentaires, des exercices différenciés leur permettant d'entrer dans l'apprentissage collectif avec des moyens à leur portée.

Ces expériences avaient commencé à être déployées dans le dispositif « Plus de maîtres que de classes » – qui a été interrompu. Celui-ci ne reposait pas sur la combinaison d'un enseignant généraliste et d'un enseignant spécialisé – d'ailleurs, je n'utilise plus ces expressions : j'évoque un enseignant spécialiste de l'enseignement collectif et un enseignant spécialiste de l'aide individuelle. Ces expériences ont montré que l'affectation d'un enseignant supplémentaire dans une classe produit un effet d'abaissement des effectifs et permet aux enseignants d'imaginer des dispositifs d'intervention combinée, créatifs et très productifs pour les élèves.

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Faites-vous allusion aux dispositifs de classes flexibles utilisées au Canada ?

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J'ai visité une école qui, avec des effectifs très importants, arrive à accueillir des élèves en situation de handicap et à répondre à toutes les différences. Ils sont presque à 30 élèves par classe en moyenne.

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José Puig

Un petit échantillon de ces pratiques peut être observé dans les établissements où des ULIS fonctionnent très bien. Les ULIS sont des dispositifs qui ne doivent pas être des classes fermées et qui permettent aux enfants d'être répartis dans des classes ordinaires avec l'aide de l'enseignant spécialisé. Pour certaines activités, ces élèves participent à une classe de CE2 ; pour d'autres, ils intègrent un CP. L'inconvénient est qu'ils sont actuellement les seuls à participer à ce système décroché, ce qui les rend un peu « apatrides » dans l'école car ils ne sont pas, au même titre que les autres, citoyens d'une classe.

Si nous nous orientions vers la logique québécoise, nous aurions un système certes complexe, mais dont la complexité serait très fertile en matière de prise en charge des besoins particuliers et d'accompagnement de ces élèves.

Je ne critique pas l'existence du droit à compensation qui est un grand progrès instauré par la loi de 2005. Il n'a pas son pendant puisque l'accessibilité n'est pas obligatoire au même titre, ni un droit opposable par les familles. Une famille qui s'inquiète de ce que représente la scolarisation de son enfant handicapé en milieu ordinaire cherchera à obtenir un maximum de moyens de compensation car la loi le lui permet. Nous avons vu les recours contentieux se multiplier pour obtenir des accompagnements individualisés, même lorsque l'on n'est pas absolument certain que ceux-ci seront véritablement profitables à l'élève au long cours.

Les parents ne pouvant obtenir la certitude que l'environnement de la classe sera accessible au sens large du terme, ils se rabattent sur la compensation. Ce que je critique est le déséquilibre entre la logique de la compensation et la logique de l'accessibilité. Par ailleurs, faire un effort de compensation – qui peut être utile pour un élève parce qu'il a besoin de disposer de documents en gros caractères – ne change rien à la façon d'enseigner. Si l'on persuade l'enseignant de fournir un effort d'accessibilité dans la présentation des documents destinés à tous ses élèves, il utilisera une police plus lisible et respectera un certain nombre de consignes dont on sait qu'elles facilitent l'appropriation du contenu par des enfants souffrant de troubles spécifiques du langage. Les efforts d'accessibilité sont collectifs et durables. Les efforts de compensation sont momentanés et individuels. Je ne dis pas qu'il faut revenir en arrière sur la compensation, mais il ne faut pas que celle-ci compense le défaut d'accessibilité.

Cela renvoie fort logiquement à la thématique de la formation des enseignants. Aujourd'hui, par exemple, en toute bonne foi, des enseignants ignorent que certains PDF ne sont pas lisibles par une machine braille car il faut respecter un certain nombre de règles – très simples – lors de la conversion du document afin qu'il puisse être lu par les outils numériques de compensation. Si le document n'est pas accessible, il faut le ressaisir, ce qui génère des difficultés qui sont un peu décourageantes. L'accessibilité pédagogique est sous-développée dans la formation des enseignants ; elle l'est aussi chez les éditeurs de manuels scolaires, qui produisent des documents séduisants sur le plan du marketing, contenant de nombreuses illustrations, des couleurs et un grande variété de polices de caractères, mais qui sont très difficiles à exploiter pour un très grand nombre d'élèves. De ce fait, l'évaluation des enfants porte parfois plus sur leur capacité à s'approprier le contenu des supports fournis que sur les compétences mesurées par les exercices proposés.

Je ne pense pas qu'il faille renoncer à l'excellence disciplinaire des professeurs que nous recrutons pour enseigner au lycée, au collège et à l'école primaire. Néanmoins, la connaissance d'une discipline n'arme pas les enseignants pour faire face aux difficultés qu'ils rencontrent dans une classe hétérogène, dans un quartier défavorisé, dans un établissement où sont scolarisés des enfants présentant des problèmes dys ou des troubles du comportement ou de l'autisme.

Cela nous ramène aux réflexions sur le référentiel des enseignants, qui est un élément du projet de loi pour l'école de la confiance. J'ai participé aux travaux du CNCPH qui ont abouti à des propositions sur la formation de tous les enseignants. Il ne s'agit pas d'ajouter une discipline « inclusion scolaire » : cela conduirait à un empilement qui saturerait l'espace limité de la formation. Il faut faire effort dans la didactique des disciplines pour anticiper les difficultés rencontrées par certains élèves dans le cadre de la résolution d'un problème de mathématiques ou lorsqu'ils ont à acquérir des connaissances en histoire, en géographie ou en littérature, etc.

Cela existe déjà : la formation repose sur la mobilisation de compétences didactiques et pédagogiques ; elles sont peut-être insuffisamment nourries par ce que nous savons aujourd'hui sur le développement de l'enfant et les troubles de l'attention. La semaine dernière, s'est tenu un colloque organisé par l'inspection générale et la DGESCO sur les troubles déficitaires de l'attention : les problématiques correspondantes concernent de nombreux élèves du secondaire et laissent les enseignants désemparés alors que nous savons que certaines précautions permettent de limiter ces entraves et ces difficultés.

S'agissant de la dichotomie entre l'excellence et la réussite de tous les élèves, on peut s'en sortir avec des effets de rhétorique en disant que l'on souhaite l'excellence pour tous les élèves, mais on sait que cela ne fonctionne pas. L'excellence à la française est sélective et repose sur un système issu du lycée napoléonien où l'enseignement secondaire est historiquement structuré par le découpage des disciplines de l'enseignement supérieur et un repérage de l'excellence des mathématiciens, des linguistes, etc. Des pays qui ont fait d'autres choix dans l'organisation du système secondaire produisent de nombreux prix Nobel de physique, de médecine et de littérature. Il y a matière à remettre en question un système qui repose sur des bases généreuses, puisque issues des idéaux de la Révolution française visant à utiliser le mérite scolaire comme moyen de distinction plutôt que la naissance. Beaucoup de sociologues ont démontré que ce principe ne fonctionne pas en termes d'égalité des chances. Un rapport du CNESCO de 2016 a même montré que l'école renforce involontairement les inégalités sociales des élèves.

Nous avons une problématique très idéologique, mais qui peut se résoudre de manière pragmatique en conduisant une réflexion sur le système scolaire. La France est le seul pays au monde où l'on progresse dans les classes à l'envers, soit de la 6e à la Première. Dans tous les autres pays, les élèves progressent en franchissent les étapes une à une et un élève qui s'arrête à l'étape 5 a déjà franchi 5 marches ; un élève français qui quitte le système en 3e connaît exactement le nombre de classes qu'il lui manque par rapport au parcours idéal. Nous sommes dans une référence à l'excellence idéale qui s'est transformée en norme pour tous les élèves et qui devient un facteur d'exclusion et de discrimination marqué par leur origine sociale.

Je fais une petite parenthèse : les efforts fournis pour créer des classes de la diversité, pour que les élèves de banlieue accèdent à Sciences Po, etc. sont louables, mais cette logique du culte de la différence mérite d'être elle aussi interrogée car la réussite d'un élève originaire de banlieue que tout prédestinait à se diriger vers un lycée professionnel et qui intègre une grande école camoufle le fait que la plupart des élèves se trouvant dans la même situation ne parviennent pas à sortir de ce que leur destin scolaire avait imaginé pour eux.

Je ne porte pas de critique. Le système a tâtonné, hésité, mais nous n'avons désormais plus l'excuse de ne pas savoir comment s'opèrent ces mécanismes de disqualification et d'exclusion au sein du système. Il est de la responsabilité des décideurs politiques de prendre progressivement des mesures qui auront des répercussions sur l'ensemble du système scolaire. Peut-être considérerez-vous que je sors du sujet.

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José Puig

L'INSHEA ne peut pas former tous les enseignants, les AESH et les ATSEM de France, et c'est tant mieux !

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Les données communiquées par le ministère de l'Éducation nationale indiquent que le nombre d'enseignants bénéficiant d'une formation spécialisée chaque année a reculé de manière linéaire et substantielle depuis 2004, passant de 2 482 CAPA-SH en 2004-2005 à 1 397 en 2018-2019. Comment expliquez-vous cette contre-performance ?

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José Puig

Une réforme des enseignants spécialisés a résulté de la mise en place du Cappei en 2017. Le CAPA-SH est une formation courte – et non une certification – pour les enseignants du second degré, créée en 2004. Il est incontestable que le Cappei a été préjudiciable aux enseignants du second degré pour l'accès à ces formations d'enseignement spécialisé. Le ministère en est conscient – nous avons alerté la DGESCO. L'accès aux formations Cappei suppose que les personnes soient affectées sur un emploi spécialisé, ce qui n'existe pas dans le second degré. Dans les ULIS des collèges et des lycées, on a ainsi tendance à nommer des enseignants du premier degré, ce qui n'est pas une bonne chose car cela entretient l'idée que ces sujets sont ceux des instituteurs et que les professeurs agrégés et certifiés n'ont pas à s'en préoccuper.

En résumé, le recul apparent de l'accès à ces formations concerne essentiellement les enseignants du second degré et la question préoccupe la DGESCO.

La question centrale ne porte pas sur la formation des enseignants spécialisés, même s'il faudrait faire un effort considérable pour former davantage d'enseignants référents qui ont un rôle prépondérant dans le système : l'année dernière, le rapport de M. Adrien Taquet demandait que l'on limite à 100 le nombre de dossiers suivis par un enseignant référent, contre 300 à 350 actuellement – la moyenne s'établit autour de 260.

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José Puig

En tout cas, il y en a trop. L'enseignant référent, qui est un ensemblier, un médiateur, un chef d'orchestre et une personne ressource au sens technique du terme – car il est le seul légitime à faire le lien entre l'école, la famille, la MDPH et les établissements et services médico-sociaux – ne peut sérieusement suivre simultanément 300 dossiers complexes.

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Vous parlez là des « référents AESH ». Ne serait-il pas intéressant d'avoir dans les établissements – notamment du secondaire – des référents pédagogiques. Nous avons des référents numériques, Culture ou prévention du décrochage scolaire, qui sont des enseignants avec une mission supplémentaire. Serait-il intéressant que ce type de poste soit créé, en plus des référents ?

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José Puig

Je répondrai de façon très ambiguë. Sur le principe, les enseignants ont incontestablement besoin d'une sorte de conseiller pédagogique pour avoir des avis car ils ne connaissent pas tout. Ils n'ont pas forcément une connaissance précise de la façon dont un enfant dyslexique rencontre des problèmes de lecture ou de comportement. Il a besoin de conseils dispensés par un collègue : la plateforme numérique qui est actuellement en cours de développement par le ministère est un outil intéressant, mais ne doit pas se substituer aux conseils de collègue à collègue qui peuvent être donnés localement.

Toutefois, notre système a tendance à faire proliférer les personnes ressources. Nous avons les enseignants référents, les éducateurs référents dans les SESSAD et les enseignants appartenant aux équipes d'évaluation des CDAPH. Trop de personnes ressources encombrent le paysage. La seule personne ressource légitime est celle dont la légitimité est reconnue par tous les partenaires dans un domaine particulier : c'est le cas des enseignants référents, ce le serait des conseillers pédagogiques que vous préconisez, mais par rapport aux enseignants.

La question des moyens se pose pour les enseignants spécialisés dans le cadre de l'accès aux formations coûteuses, car elles sont longues – elles doivent l'être. Une formation n'est pas simplement une prise d'informations, mais une transformation des pratiques professionnelles, ce qui suppose un temps pour que les enseignants expérimentés s'interrogent et commencent à aborder les choses différemment. C'est l'amorce d'un processus qui les rendra plus sensibles à certaines questions et aiguisera leur curiosité pour se perfectionner et acquérir des connaissances sur d'autres types de handicaps – c'est pour cela que les enseignants qui ont suivi une formation reviennent fréquemment dans notre Institut.

Pour l'heure, la question la plus difficile est l'accès à ces formations pour les enseignants non spécialisés. Dans le cadre des modules d'initiative nationale, c'est-à-dire les formations proposées annuellement dans un catalogue publié au Bulletin officiel, le ministère nous a demandé des sessions thématiques sur des sujets correspondant aux attentes. Nous constatons une forte attente sur les troubles du comportement et les troubles dys qui sont autant de sujets très présents dans les classes et mettent les enseignants en difficulté.

Ces formations ont été conçues en 2004 pour être des stages de sur-spécialisation à destination d'enseignants déjà spécialisés. Leur ouverture à des enseignants non spécialisés a été demandée et acceptée, mais leur accès est très difficile et très confidentiel. Cette année, nous avons ouvert un stage libellé « Troubles spécifiques de l'autisme pour des enseignants non spécialisés ». L'inclusion ne peut uniquement reposer sur les efforts des enseignants spécialisés. Il faut que beaucoup d'enseignants confrontés à cette réalité puissent être préparés, non pas à devenir des spécialistes de l'autisme, mais à bénéficier d'un stage raisonnable. En outre, en apprenant à comprendre l'autisme, ils apprennent beaucoup sur la compréhension des troubles spécifiques du langage et du comportement. Nous avons reçu des témoignages de rectorats où l'accès à ces stages n'a pas été accordé car il s'agissait de formations supposées être réservées aux enseignants spécialisés.

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Effectivement, ces stages sont confidentiels et ne concernent souvent qu'une personne par département en raison du coût. Ne pourrait-on pas imaginer que des spécialistes de l'INSHEA se déplacent dans les départements ou les académies pour y dispenser ces formations ? Cela serait moins onéreux et permettrait d'essaimer rapidement, y compris pour des formations qui durent au moins une semaine, ce qui me semble être le minimum pour bénéficier d'une sensibilisation réelle sur un sujet.

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José Puig

Je suis entièrement d'accord avec vous, Madame la présidente. Nous tentons de le faire, mais notre ressource de formateurs est limitée : si nous en envoyons dans toutes les académies, nous n'en avons plus pour assurer les stages que nous organisons. Une réponse est la délocalisation de ces formations, une autre est la formation de formateurs. Nous avons entrepris – de façon encore très modérée, mais cette voie est prometteuse – des collaborations avec des équipes de formateurs d'ESPE, qui ne disposent pas localement de spécialistes de l'autisme ou de la dyslexie, avec lesquels nous pouvons concevoir une formation, l'accompagner afin que de telles formations puissent ensuite être proposées dans de nombreuses académies.

Cette piste suppose qu'un certain nombre d'obstacles administratifs soient résolus. La question du financement des déplacements est triviale, mais fait partie des entraves. Les financements destinés à l'indemnisation des stagiaires lorsqu'ils sont hébergés à Paris diffèrent de ceux qui permettent d'indemniser les formateurs se déplaçant dans les académies. Je crois que le ministère ne refuse pas cette évolution.

Nous nous efforçons de développer des formations hybrides. Je ne suis pas favorable à ce que ces formations deviennent des formations à distance, bien que l'effet économique les rende séduisantes. Elles se caractérisent par les échanges sur les pratiques professionnelles, l'expression des difficultés et l'interaction, ce qui ne peut aisément s'opérer à distance. Un certain nombre de formations peuvent reposer sur un système hybride – on l'a expérimenté – avec des formation à distance et des périodes de regroupement pour échanger et élaborer collectivement.

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J'ai quinze ans d'expérience dans l'enseignement et je ne peux que réagir sur le temps des enseignants. Au cours de ces années, j'ai vécu une multiplication des réunions. Les formations étaient à prendre sur les journées où nous n'avions pas cours et requéraient une heure de déplacement. Parallèlement, en français, les copies demandent de plus en plus de temps de correction car le niveau ne s'est pas amélioré. Il existe un problème de temps pour l'enseignant.

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José Puig

Je suis entièrement d'accord avec vous. Je ne crois pas que vous ayez pu comprendre dans mes propos que je fais porter la responsabilité du défaut de l'école aux enseignants. Il y a trente ans, les enseignants étaient réfractaires à la prise en charge de ces enfants. Cela n'existe plus aujourd'hui : ils les acceptent, essaient de bien faire et sont désemparés. On leur demande de plus en plus et ils rencontrent un problème de saturation.

J'évoquerai un dernier élément au regard de la formation. Nous n'avons que des « priorités » dans la formation des enseignants. J'ai participé à la mise en place de l'ESPE dans l'académie de Versailles. On voit les lobbies des disciplines faire le forcing pour obtenir davantage d'heures dans les formations, ce qui conduit à des emplois du temps gigantesques et à un manque de cohérence. Cette difficulté ne peut être résolue par l'accumulation. En revanche, la formation des enseignants a toujours fait l'impasse sur la bonne façon de communiquer avec les parents, de façon professionnelle et efficace, et de travailler ensemble sur la base de techniques de réunions et de coopération économiques en temps et productives. Les enseignants soulignent le nombre de réunions inutiles par manque de préparation ou parce que les débats de la réunion précédente sont systématiquement repris à zéro. Il existe des techniques de réunion et de communication qui permettent des gains de temps.

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Merci infiniment pour vos questions, Mesdames, et pour vos réponses très intéressantes, Monsieur.

L'audition s'achève à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 4 juin 2019 à 17 heures 30

Présents. – Mme Géraldine Bannier, Mme Blandine Brocard, Mme Danièle Cazarian, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Osson, Mme Béatrice Piron, Mme Cécile Rilhac, Mme Sabine Rubin

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Bertrand Bouyx