Commission des affaires européennes

Réunion du jeudi 6 juin 2019 à 9h10

Résumé de la réunion

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La réunion

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Jeudi 6 juin 2019

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 9 h 10.

I. Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

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Chers collègues, je veux remercier M. le commissaire européen Pierre Moscovici d'avoir accepté de venir devant notre commission au lendemain des élections européennes.

Monsieur le commissaire, nous serons très intéressés par votre analyse des résultats du scrutin et de leurs possibles conséquences sur l'orientation de la politique européenne au cours de cette nouvelle législature européenne. Nous souhaiterions également que vous nous informiez du calendrier institutionnel européen des prochains mois, ainsi que du programme de travail de la prochaine Commission – s'il est possible de s'en faire une idée. Je pense notamment à la réforme de la fiscalité européenne, question essentielle, et à la nécessité d'appliquer en matière fiscale la règle de la majorité qualifiée.

Qu'en est-il, par ailleurs, de la position de la Commission européenne sur les budgets nationaux ? Nous avons notamment tous suivi avec attention les échanges entre la Commission européenne et l'Italie. Nous sommes preneurs de toute information sur la situation de ce pays mais aussi, plus largement, la situation économique et financière de l'ensemble des États membres de l'Union.

Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de cette invitation au lendemain des élections européennes, mais surtout, pour être précis, au lendemain de notre conférence de presse et de l'annonce de nos recommandations au terme du « Semestre européen ». Vous avez parlé de l'Italie, madame la présidente, mais certaines recommandations ou évaluations peuvent concerner la France ; j'en dirai quelques mots.

Beaucoup redoutaient les résultats des élections européennes, beaucoup étaient déjà désespérés, et les commentaires sur la montée des populistes, le déclin continu de la participation et le désintérêt total pour l'Europe et les élections européennes étaient déjà prêts. En réalité, tout cela a été démenti par plusieurs bonnes nouvelles. La première est la participation, qui atteint un niveau record depuis vingt-cinq ans. C'est la première fois depuis 1994 que plus de 50 % des Européens participent au scrutin. Dans certains pays, notamment les pays d'Europe centrale et orientale, la participation a même doublé. C'est sans doute dû en partie à des contextes nationaux, c'est également dû à l'entrée de l'Europe dans le débat politique interne mais c'est aussi dû, sans aucun doute, à l'intérêt de nos concitoyens pour l'Europe et à la conscience qu'ils ont désormais du fait que les enjeux de leur vie quotidienne ne peuvent être traités et que les défis ne peuvent être relevés qu'à l'échelle européenne. Les Européens ont voulu faire entendre leur voix, peser sur le destin de l'Europe. Cela donne aussi aux membres du Parlement européen une forte légitimité qui renforce ce dernier comme coeur démocratique de l'Union ; il faut le signaler. Sans vouloir être irrévérencieux en quoi que ce soit, plus de citoyens français ont voté pour les élections européennes que pour les élections législatives en 2017. Il faudra donc arrêter de dire que ces députés européens sont des députés de deuxième catégorie, de deuxième zone, qui ne représentent rien ni personne, comme on aime à le faire, parfois, dans certaines capitales que vous connaissez, madame la présidente - je ne parle pas de Paris. Le Parlement européen a maintenant une vraie et forte légitimité.

Deuxième bonne nouvelle pour moi, n'en déplaise à certains, les pro-européens - appelons-les ainsi –, dans leur diversité, ont obtenu une très large majorité de 510 sièges sur 751. Les nationalistes avaient fait campagne en espérant une forme de raz-de-marée. Certains le craignaient, d'autres l'espéraient ; il n'a pas eu lieu. Du point de vue de ceux qui combattaient cette perspective, c'est tant mieux.

Il faut remarquer que la configuration du Parlement européen est bien sûr très différente de la configuration précédente. Depuis l'instauration de l'élection au suffrage universel du Parlement, une sorte de duopole entre les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates du Parti socialiste européen (PSE) avait la majorité. Incontestablement, ce duopole est battu en brèche : les deux partis reculent significativement, tandis que d'autres – les libéraux, les écologistes – progressent. Cela donne bien sûr une configuration plus fragmentée, mais aussi, je pense, plus intéressante pour le jeu politique européen ; c'est un social-démocrate qui le dit. Avec quelque 180 sièges, le Parti populaire européen a une assez faible avance sur le second, qui lui-même n'a pas une très forte avance sur le troisième. Cela veut dire – prenons les choses dans l'ordre, s'il s'agit d'envisager les conséquences du scrutin – qu'il revient maintenant aux leaders de désigner les responsables de l'Union européenne de demain : le président de la Commission européenne, bien sûr, dont le poste est le plus important et le plus convoité, mais aussi le président du Conseil européen, le président du Parlement européen, le Haut Représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. La Banque centrale européenne (BCE) est à la fois à l'intérieur et en dehors de ce jeu : je pense qu'il ne faut en aucun cas politiser le poste de président de la BCE. Il doit être laissé à l'écart de la question des poids relatifs des différents groupes.

Je me permets d'exprimer une position personnelle. Depuis quinze ans – trois mandats consécutifs – le Parti populaire européen préside la Commission. Il n'est jamais bon qu'un seul parti gouverne trop longtemps. Si les autres formations politiques étaient capables de s'entendre sur une plateforme mais aussi des responsables qui puissent incarner quelque chose de nouveau à l'échelle européenne, le commissaire européen, l'homme politique européen que je suis n'y verrait qu'avantages, tout simplement parce que ce serait une respiration démocratique et une autre façon de diriger l'Europe qu'aujourd'hui. Cependant, lors du Conseil européen du 28 mai dernier, les discussions n'ont fait que commencer. Nous pouvons imaginer qu'elles seront difficiles, et, effectivement, elles le seront. Elles peuvent aussi être longues, mais j'espère que ce ne sera pas le cas ; je ne souhaite pas du tout que le mandat de cette commission soit prolongé au-delà de son terme officiel, le 31 octobre prochain à minuit, ce qui est également la date prévue pour le Brexit.

Ce n'est pas parce que nous avons de bonnes nouvelles – plus de participation, victoire des pro-européens, une nouvelle respiration démocratique au sein du Parlement européen – que nous devons considérer que tout est fait. Ce sursaut ne doit pas être un sursis. Il est très important que celles et ceux qui ont à coeur le destin de l'Europe et en sont désormais responsables – y compris ceux qui seront à la tête des différentes institutions – sachent qu'ils ont le devoir de faire avancer l'Europe pendant les cinq prochaines années. Il faut que cette législature soit couronnée de succès et obtienne des résultats. Il faut qu'elle démontre aux Européens que ce n'est pas en vain qu'ils ont à nouveau apporté leur soutien aux forces politiques représentant la démocratie libérale. Les populistes, les nationalistes, l'extrême droite n'ont pas gagné ces élections, mais il serait quand même absurde, surtout dans un pays comme la France, d'ignorer que ces formations politiques sont très puissantes et que c'est le Rassemblement national qui est arrivé en tête dans notre pays, certes de peu, mais quand même. C'est un événement auquel il ne faut pas trop s'habituer car on ne sait pas ce qu'il peut préparer.

Je reviens maintenant à mes dossiers, à commencer par la situation économique de l'Union européenne.

Selon nos dernières prévisions, que j'ai rendues publiques le 7 mai dernier, les fondamentaux de l'économie européenne restent solides, malgré un ralentissement. Les produits intérieurs bruts (PIB) respectifs de tous les États membres, il faut le souligner, croîtront en 2019 et 2020, les investissements ont retrouvé leur niveau d'avant la crise et le taux d'emploi, indicateur déterminant, n'a jamais été aussi élevé : un nombre record d'Européens ont un emploi, ce qui ne signifie pas qu'ils ont tous un emploi de qualité – cela reste un combat majeur –, ni que le taux de chômage baisse ; il reste même élevé. La dette publique a globalement diminué ; elle n'a cependant pas diminué partout et je continue de penser que les pays dont la dette publique est élevée doivent faire des efforts pour la réduire. Enfin, la situation budgétaire des pays de la zone euro s'est considérablement améliorée. Lorsque j'ai présenté hier les résultats du Semestre européen, nous avons salué la fin de la procédure pour déficit excessif du dernier pays qui était dans cette situation après la crise de 2008, l'Espagne. Cela a duré dix ans. En 2011, vingt-quatre pays de l'Union européenne étaient en procédure de déficit excessif. Quand la Commission Juncker a pris ses fonctions il y en avait onze. Aujourd'hui, il n'y en a plus aucun. C'est tout de même le signe d'une amélioration considérable des finances publiques. La France est elle-même sortie de la procédure des déficits excessifs l'an dernier. Quand Jean-Claude Juncker a pris son mandat, il a qualifié cette Commission de Commission de la dernière chance – de la dernière chance économique. De ce point de vue, le défi est relevé, mais il reste beaucoup d'autres défis devant nous, et beaucoup d'autres urgences.

Il faut en même temps reconnaître que l'économie européenne a perdu de son dynamisme et nous avons légèrement revu nos prévisions de croissance à la baisse. Ce ralentissement a des causes extérieures, dont la première est connue : c'est l'escalade des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis et la menace protectionniste. On en parlera dans les prochains jours – je pars moi-même demain au Japon, où se tient la réunion du G20 des ministres des finances. Cela s'explique aussi par des facteurs internes qu'il ne faut pas négliger. Je pense d'abord à la baisse de la production de voitures en Allemagne, sur laquelle je m'interroge. Elle paraît largement conjoncturelle – nous attendons une reprise de la croissance en Allemagne dès la fin de l'année 2019 et en 2020 – mais des facteurs structurels ne pourraient-ils expliquer un ralentissement de la production de véhicules qui s'annoncerait plus durable ? S'y ajoutent les conséquences économiques du Brexit, d'autant plus difficiles à prévoir que personne ne sait rien de ce que seront la nature et le calendrier de cette sortie. La vie politique britannique connaît plus que des incertitudes : un désordre. Il y a enfin la situation budgétaire de certains États membres, en premier lieu l'Italie. Pour résumer, l'économie européenne se montre résiliente, mais les risques demeurent importants.

Il est donc crucial que les États membres ne relâchent pas leurs efforts de réforme, de modernisation de l'économie, leurs efforts en faveur de la fluidité du marché du travail, de la protection sociale et de la capacité d'investissement. La Commission européenne s'efforce d'accompagner les États membres dans ce chantier. C'est l'objet même du « paquet » de printemps du Semestre européen adopté hier, qui comprend des recommandations par pays et des décisions budgétaires importantes. Je voudrais que l'on en retienne plusieurs messages.

Le premier, je l'ai déjà dit, c'est la fin du cycle de procédures de déficit excessif entamé durant la crise financière. Bravo à nos amis espagnols ! C'était très important.

Le deuxième message, c'est que la Commission invite les États membres à conduire des investissements riches en croissance et en emplois. Nous avons formulé des recommandations ciblées qui visent les défis prioritaires auxquels chaque État membre doit faire face. Nous recommandons ainsi à la France d'améliorer l'égalité des chances dans l'accès au marché du travail et de poursuivre les efforts de simplification du système fiscal. Je ne me prononce pas sur la baisse ou la hausse des impôts mais, ayant une petite expérience de la fiscalité, je pense qu'une bonne fiscalité n'est pas confiscatoire, qu'elle est juste et qu'elle est lisible. Si ces trois critères ne sont pas réunis, on perd la bataille de l'opinion : il faut en être tout à fait conscient. Nous recommandons aussi d'améliorer l'efficacité de l'aide publique à la recherche et au développement, en particulier dans les domaines de la transition énergétique et de la connectivité à large bande.

Le troisième message, c'est que la Commission a pris des décisions importantes sur un certain nombre de cas sensibles en matière budgétaire. Il y a toute une série de situations sur lesquelles je passe, notamment la situation de la Hongrie et celle de la Roumanie, dont nous considérons qu'elles ne réduisent pas suffisamment leur déficit, alors que leur situation économique est très favorable ; ces pays sont hors de la zone euro. Je me concentre sur la zone euro et les rapports, fondés sur l'article 126, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que nous avons adoptés à propos de quatre États membres – la Belgique, l'Italie, Chypre et la France – et dans lesquels sont examinées les raisons qui ont mené à un non-respect apparent des critères de la discipline budgétaire en matière de dette ou en matière de déficit ou dans les deux matières. En réalité, ces situations sont toutes assez différentes. C'est pour cela que j'ai privilégié tout au long de mon mandat de commissaire une application intelligente des règles budgétaires européennes.

Pour la France, notre rapport conclut, au terme d'une analyse approfondie, que les deux critères de la défense du déficit et la dette sont en réalité respectés. Nous ne recommandons donc aucune forme de procédure à l'égard de la France. En ce qui concerne le déficit, le dépassement de la limite de 3 % du PIB projeté pour 2019 sera limité – il atteindra 3,1 %, nous retenons le même chiffre que le gouvernement français – et temporaire, puisqu'il ne devrait pas excéder un an. Cette augmentation est due au remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) par des baisses de cotisations pérennes, opération que l'on appelle un one-off en jargon bruxellois, ce qui veut dire en français qu'elle a un impact ponctuel – de 0,9 % en 2019. Dès 2020, le déficit revient donc largement en dessous des 3 % du PIB : il sera de 2,2 %, et cela pourrait être un peu mieux compte tenu de la croissance. En ce qui concerne la dette, la France a respecté en 2018 ses engagements au titre du « bras préventif » du Pacte de stabilité et de croissance, avec un effort structurel de 0,2 point, qui est globalement conforme. Cela constitue pour la Commission un facteur suffisant pour ne pas aller plus loin dans la procédure. Si la dette se stabilise, ce qui est effectivement une bonne nouvelle, je pense toutefois qu'il est temps maintenant d'engager sa réduction. En effet, même s'il est possible aujourd'hui de s'endetter à des taux tellement faibles que c'est totalement indolore, on ne peut penser que cette situation est éternelle. Des efforts structurels plus substantiels sont donc absolument nécessaires. Nous aurons des échanges à ce propos au moment de l'avant-projet de budget pour 2020, puisque c'est la commission actuelle qui l'examinera. Je pense vraiment qu'il est de l'intérêt de tous que la dette publique française se réduise et que l'effort structurel soit plus marqué.

Pour Chypre, la situation est totalement ubuesque. Le déficit était monté à 4,8 % du PIB en 2018, mais uniquement à cause des mesures de redressement du secteur financier. Dès les années 2019 et 2020, les comptes publics chypriotes seront excédentaires. Le déficit étant supérieur à 3,5 % sur un an, une lecture littérale des textes aurait dû conduire à une procédure de déficit excessif, mais la Commission sait être flexible. Quel sens cela aurait-il eu d'ouvrir une telle procédure alors que le budget est déjà excédentaire ? Nous avons jugé plus sage de nous épargner ce ridicule ; l'ouverture d'une procédure n'était ni nécessaire ni pertinente.

Nous avons considéré que la situation de la Belgique était trop borderline pour que nous concluions avec certitude que le critère relatif à la dette n'était pas respecté. Je sais que cette formule est un peu alambiquée. Elle signifie qu'en réalité cela « flirte » avec la limite et que cela ne justifie pas de sanctions, même si nous aimerions que les choses soient un peu plus claires. L'effort structurel est proche de zéro en 2018, et devrait l'être en 2019 ; c'est insuffisant. Des incertitudes demeurent sur le caractère structurel de certaines recettes, mais le déficit est faible – 0,7 % du PIB en 2018 – et la dette décline tout de même. Nous ne considérons donc pas que nous sommes face à une violation caractérisée des règles du Pacte de stabilité et de croissance, mais la Belgique continue vraiment de surfer sur la ligne de crête. Il ne serait pas plus mal qu'un gouvernement belge prenne des dispositions qui permettent des situations plus nettes.

Évidemment, c'est la situation italienne – vous l'avez dit, madame la présidente - qui a retenu toute l'attention. Elle est tout à fait différente. Les données pour 2018, puisque nous nous fondons toujours sur celles de l'année précédente, sont problématiques à deux titres. D'une part, le niveau de la dette publique augmente encore, pour atteindre 132 % du PIB. D'autre part, le déficit structurel, plutôt que de diminuer de 0,3 % du PIB, comme le recommandait le Conseil, a grimpé de 0,1 point. Nous avons donc considéré que le critère relatif à la dette n'était pas respecté et que l'ouverture d'une procédure de déficit excessif était justifiée. J'ajoute que nous l'avons fait en considérant les années 2019 et 2020 : nous ne voyons pas le déficit structurel se réduire en 2019, et le déficit nominal devrait crever le plafond des 3 % du PIB, pour atteindre environ 3,5 %. Le compte n'est donc bon ni pour 2018, ni pour 2019, ni pour 2020.

La balle est désormais dans le camp des États membres, et dans le camp italien d'abord. Depuis le début de mon mandat, ma philosophie est que les sanctions sont toujours un échec : un échec pour les règles, un échec pour le pays sanctionné. J'ai toujours souhaité les éviter. Et je pense que nous nous portons mieux avec une Italie qui est au coeur de la zone euro et prend les mesures nécessaires pour assainir ses finances publiques qu'avec un pays qui se trouverait dans une procédure de déficit excessif à cause de sa dette. Je continue donc de parler avec les autorités italiennes. Le président du Conseil italien s'est exprimé hier, j'ai eu de nombreux entretiens avec le ministre des finances italien, et je le reverrai à Fukuoka. Il est important que les Italiens nous fournissent des éléments et des données de nature à infirmer l'idée que l'Italie n'est pas « dans les clous » pour les années 2019 et 2020. La balle est aussi dans le camp des autres États membres. Une espèce de mise en scène désagréable mais facile voudrait que ce soit un match – Bruxelles contre Rome, la Commission européenne contre le gouvernement italien, Salvini contre moi –, mais ce n'en est pas un ! La Commission est dans son rôle. Elle fait une analyse factuelle de la situation budgétaire, elle la transmet au Conseil. Maintenant, c'est le comité économique et financier du Conseil qui est saisi du dossier, et qui le transmettra à l'Eurogroupe, qui se réunit la semaine prochaine, à Luxembourg. Ensuite, si le Conseil nous demande de faire une recommandation pour une procédure de déficit excessif, nous le ferons, et c'est le Conseil qui prendra la décision au mois de juillet prochain. Pardonnez-moi d'être si technique et précis, mais cela signifie que ce n'est pas la Commission qui décide d'ouvrir une procédure ; la Commission instruit le dossier et ce sont les États membres qui décident. L'Italie doit comprendre qu'elle fait partie d'un ensemble qui a adopté des règles et qu'elle doit les respecter. Nombre de nos concitoyens, partout en Europe, ont fait des sacrifices pour assainir les finances publiques. L'Italie ne peut pas rester à part.

J'aimerais insister sur le cas de la Grèce. Nous avons adopté hier le troisième rapport de surveillance renforcée. La Grèce est sortie de son programme. Elle le fait de manière « globalement positive », comme on dit, et a enregistré en 2018 un excédent budgétaire pour la troisième année consécutive. Elle a pris des mesures supplémentaires en faveur de la réduction de la dette d'environ 970 millions d'euros. Tout cela est bien, mais notre rapport fait état d'un certain nombre de retards dans la mise en oeuvre de certaines réformes et, très clairement, les efforts doivent se poursuivre, quel que soit le prochain gouvernement – des élections se tiennent le 7 juillet prochain. La Commission continuera d'accompagner la Grèce sur la voie de la croissance durable et nous poursuivrons le dialogue.

Pour renforcer l'économie européenne, les travaux d'approfondissement de l'Union économique et monétaire doivent s'accélérer dans les mois et les années qui viennent. Je salue le fait que les membres du Conseil européen soient parvenus à un accord lors du sommet de la zone euro du mois de décembre dernier. Il a alors été convenu de créer une sorte de filet de sécurité, le backstop, pour le fonds de résolution unique, qui doit intervenir en cas de faillite bancaire, et de réformer le mécanisme européen de stabilité pour mieux protéger les État membres en temps de crise. Ils se sont aussi mis d'accord sur le principe d'un instrument budgétaire en faveur de la compétitivité et de la convergence en zone euro – budgetary instrument for convergence and competitiveness (BICC). C'est vraiment la meilleure façon de faire comprendre que ce n'est pas un vrai budget de la zone euro et de perdre nos concitoyens dans des sigles incompréhensibles, mais c'est un premier pas, nécessaire, vers ce budget de la zone euro que j'appelle de mes voeux depuis longtemps.

Il faut reconnaître qu'à ce stade les discussions entre les ministres des finances sont difficiles et que nous sommes loin de nous mettre d'accord sur les modalités d'un tel instrument. J'espère qu'on pourra progresser lors de l'Eurogroupe de la semaine prochaine, à temps pour qu'un accord soit trouvé entre les responsables européens à l'occasion du sommet de la zone euro du 20 juin, qui se déroulera en même temps qu'un Conseil européen qui pourra procéder aux nominations. Il vaudrait donc mieux, tout de même, que le dossier ait été bien instruit, parce que l'énergie – politique et cérébrale – des responsables se focalisera peut-être sur d'autres sujets importants ; celui-ci est important, mais il est plus formel.

À titre personnel et à plus long terme, j'identifie trois pistes de réforme de l'Union économique et monétaire.

La première est la mise en place d'une véritable fonction de stabilisation pour amortir les chocs économiques. Soyons clairs : la convergence et la compétitivité sont très importantes, mais le point majeur est la stabilisation. Il faut un vrai budget qui puisse réduire les divergences.

La deuxième est la démocratisation, avec la création d'un poste de ministre des finances de la zone euro, responsable devant le Parlement européen. Je continue de penser que cette forme de responsabilité démocratique est indispensable.

Je me présente devant votre commission comme je le fais dans d'autres pays. Je serai dans quinze jours aux Pays-Bas, où je m'attends à une vraie partie de plaisir, un accueil chaleureux de la part de vos collègues néerlandais qui estiment que la Commission est en tout point sérieuse dans son travail. Le contrôle parlementaire est fondamental. Or, aujourd'hui, l'Eurogroupe échappe à tout contrôle parlementaire. Alors que je me suis rendu devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen des dizaines de fois, le président de l'Eurogroupe s'y est rendu, je pense, deux fois en cinq ans… C'est pourtant là que sont prises des décisions qui affectent le sort personnel de dizaines de millions de nos concitoyens.

La troisième est la révision des règles budgétaires européennes. Elles doivent évoluer vers plus de flexibilité et plus de simplicité pour soutenir la croissance dans tous les États membres. Nous avons maintenant une assez longue expérience de nos règles. Robustes et pertinentes, elles produisent des effets, mais elles sont quand même devenues trop complexes et illisibles ; en outre, elles sont parfois économiquement contestables. Tout cela doit être révisé. Ce n'est pas à la Commission de le faire, mais elle fera son travail. Nous livrerons un rapport avant la fin de notre mandat, qui permettra à la prochaine Commission et aux États membres de réfléchir à ce qu'il faut faire.

Je vous présente rapidement les derniers progrès réalisés dans la lutte contre la fraude et l'optimisation fiscale, dont j'ai fait la priorité de mon mandat de commissaire à la fiscalité. Depuis notre dernière rencontre, les vingt-huit ministres des finances ont adopté une version révisée de la liste noire européenne des paradis fiscaux mondiaux. C'est un véritable succès européen, qui s'apprécie par le fait que plus de cent régimes fiscaux dommageables ont été abolis, que soixante pays ont modifié leur fiscalité pour la rendre plus transparente, que beaucoup d'entre eux ont rejoint les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de transparence fiscale. C'est une procédure de dialogue qui a porté ses fruits.

J'ai coutume de dire que beaucoup de ministres et de Premiers ministres ont découvert que la Commission existe. J'ai ainsi reçu dans mon bureau de nombreux Premiers ministres, des Caraïbes par exemple, venus uniquement pour parler de ce sujet. Pourquoi ? Tout le monde parle de sanctions, de listes noires... Ce qui est important, c'est l'effet sur la réputation. Beaucoup de pays font des efforts considérables pour éviter d'être inscrits sur de telles listes. Et point n'est besoin d'aller dans les Caraïbes pour en trouver des exemples : notre voisin la Suisse a fait voter, je m'en réjouis, à une très large majorité, je m'en réjouis aussi, des réformes fiscales qui ont mis ce pays en conformité avec les standards internationaux. De même, le Maroc, où j'étais il y a quelque temps, a aboli un certain nombre de régimes dommageables. Il faut poursuivre.

Les choses avancent en matière de fiscalité numérique, je ne vous l'apprends pas. Évidemment, les propositions que la Commission a pu faire, en totale harmonie avec la France, se sont heurtées au verrou de la règle de l'unanimité. Je pense que la fin de ce verrou doit être l'une des grandes causes des prochaines années. Nombreuses sont les formations politiques au sein desquelles on parle d'harmonisation sociale ou fiscale, mais on ne parviendra à rien de solide tant que le veto d'un seul pourra faire échec à la volonté de tous. Il est maintenant fondamental d'en faire une vraie cause. Cela ne se fera ni en un jour ni sur toutes les matières fiscales ou sociales, mais il faut y insister. C'est en effet la condition sine qua non pour que nous puissions nous doter d'une fiscalité de l'énergie digne de ce nom, d'une véritable fiscalité européenne du numérique et de cette assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés dont nos entreprises ont besoin, pour que nous puissions réformer le régime de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Le dernier scandale en date révèle à ceux qui l'ignoraient l'existence d'une fraude de 50 milliards d'euros, la fraude transfrontalière à la TVA, dite « carrousel ». Franchement, cela ne m'a rien appris. Je salue le rôle des médias, mais une proposition est sur la table du Conseil depuis un an et demi, très simple : traiter les opérations transfrontalières comme les opérations nationales. Cela abolirait le carrousel et réduirait probablement cette fraude de 40 ou 45 milliards d'euros. Il faut que le Conseil s'en saisisse et que cela puisse se faire dans des conditions démocratiques. Ce n'est plus supportable. Au terme de mon mandat de commissaire à la fiscalité, je vois que nous avons beaucoup fait dans la lutte contre l'évasion fiscale – notre track record est fantastique. En revanche, la règle de l'unanimité empêche les réformes structurelles fiscales. Voyez ce qui s'est passé à propos de la fiscalité du numérique. Nous avons été bloqués par quatre pays, qui doivent représenter 8 % de la population et 8 % des droits de vote.

Nous travaillons maintenant au niveau de l'OCDE, et nous examinerons à Fukuoka des propositions dont l'élaboration progresse, dans le cadre de l'OCDE. Nous travaillons aussi au plan national, et le Parlement français adopte une taxe sur le numérique. Je m'en réjouis parce que je crois celle-ci compatible avec la proposition de la Commission, « fongible » avec une approche internationale et mondiale, et qu'elle peut préfigurer une approche européenne. Je ne vois donc pas de contradiction entre l'approche européenne et l'approche nationale.

Le « paquet » que j'ai présenté hier inclut également une nouvelle étape dans la correction de certaines pratiques fiscales dommageables pour les sociétés et les économies européennes. Quand nous avons travaillé sur la liste noire de paradis fiscaux, certains journalistes, certains médias ou certaines organisations non gouvernementales (ONG) ont pu nous dire que nous nous moquions du monde en prétendant qu'il n'y avait pas de paradis fiscaux, car il en existait évidemment. J'ai toujours répondu que non : il n'y a pas de paradis fiscal dans l'Union européenne. Au regard des standards de bonne gouvernance fiscale internationale – l'échange automatique d'informations, l'application des normes BEPS (based erosion and profit shifting) et l'absence de taux d'imposition zéro –, il n'y a pas de paradis fiscal dans l'Union européenne. Si nous ne considérons pas ces standards, c'est de l'évaluation subjective ou au doigt mouillé, et ce n'est pas comme cela que nous devons travailler. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de problème dans l'Union européenne.

Pour la première fois, hier, nous avons fait une recommandation – avec une dimension légale, donc – à certains pays, leur demandant de corriger certains déséquilibres. Cela me paraît très important, et je veux y insister devant vous. Nous avons estimé que six États membres identifiés sur la base d'un examen approfondi de leurs règles fiscales et de données économiques ne faisaient pas suffisamment d'efforts dans la lutte contre l'optimisation fiscale et la planification fiscale agressive. L'an dernier, nous considérions sept pays – ce n'était pas une recommandation proprement dite. L'un des pays a fait les efforts demandés : la Belgique. Deux autres vont dans la bonne direction : les Pays-Bas et l'Irlande, qui ont compris qu'il fallait sortir de cette situation. Les quatre autres en sont quand même encore très loin.

Les recommandations d'hier sont le volet européen complémentaire de la liste noire des paradis fiscaux. Ce n'est pas sur le même plan mais nous soulignons aussi l'existence de problèmes dans l'Union européenne. La Commission européenne ne protège pas les États européens, elle n'est pas là pour défendre je ne sais quelle corporation ; elle veut être rigoureuse. Elle estime qu'il y a, d'un côté, des États tiers qui peuvent être caractérisées comme des paradis fiscaux et, de l'autre, des États membres de l'Union européenne qui doivent corriger des manquements en matière de lutte contre la planification fiscale agressive.

Les élections européennes ont donné une nouvelle chance à l'Union européenne. Il ne faut pas la gâcher. Je pense que les questions que j'ai évoquées devant vous resteront des questions fondamentales : la question économique bien sûr, la question sociale, la question démocratique évidemment, et la question environnementale, car, s'il existe effectivement une urgence économique et une urgence sociale, l'urgence climatique est pressante, brûlante, notamment pour notre jeunesse. Nous devons évidemment y être très attentifs. Nous verrons bien ce que sera le programme de travail de la prochaine Commission, mais je pense que ces quatre questions sont au coeur de ce qu'elle doit entreprendre.

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Merci, monsieur le commissaire européen, d'être présent ce matin devant nous.

Je partage évidemment les grandes lignes de votre analyse du résultat de ces élections européenne. Je pense effectivement qu'une nouvelle donne politique en résulte, qui met fin au duopole que vous évoquiez et permettra, je l'espère, une législature plus ambitieuse sur un certain nombre de sujets.

Vous évoquiez l'harmonisation fiscale, mais le combat que vous avez mené au cours des cinq dernières années a permis d'engranger un certain nombre de succès. Sans doute cela n'a-t-il pas occupé les débats dans notre pays comme cela aurait dû, mais quatorze directives ont été adoptées, qui ont permis de bien avancer. C'est un succès.

En revanche, comme vous le disiez, un certain nombre de réformes structurelles restent bloquées. Vous évoquiez cette règle de l'unanimité qui empêche d'avancer comme nous le devrions. La nouvelle donne politique nous permettrait-elle, selon vous, d'avancer, dans un délai raisonnable, vers l'instauration de la règle de la majorité qualifiée en ces matières ? Si nous n'y parvenons pas, effectivement, nous pourrons mener des réformes importantes mais elles auront quelque chose d'inabouti, et ce ne seront pas des réformes structurelles.

La situation italienne nous intéresse toutes et tous. C'est elle qui est sous les feux de l'actualité. Or, au mois de décembre dernier, vous étiez confronté à une situation à peu près identique, même si les chiffres étaient différents. Un compromis avait été trouvé, l'Italie s'engageant à prendre un certain nombre de mesures. Votre rôle, je le sais, n'est pas de dicter à l'Italie les mesures qui la mèneraient sur un chemin plus vertueux, mais, si l'Italie adoptait la même démarche qu'au mois de décembre dernier, en prenant des mesures qui vont dans le même sens que celles qu'elle a prises – peut-être un peu plus loin –, reviendrait-elle dans les clous et pourrait-elle rassurer les autres États ? Ce sont effectivement eux qui, dans le cadre du Conseil, décideront, car, effectivement, ce match que l'on veut voir opposer la Commission européenne et l'Italie, vous et Matteo Salvini, est mortifère : ce n'est pas ainsi que les choses se traitent. Trop souvent, particulièrement en France, on prétend que c'est la Commission qui punit, alors que ce sont les États membres qui décident.

Pensez-vous donc que des mesures identiques à celles du mois de décembre dernier permettraient un apaisement, permettraient de faire avancer l'Europe ? L'Italie est un État important de la zone euro, et la question peut avoir des répercussions sur l'ensemble du continent.

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Monsieur le commissaire, vous avez déjà répondu à la question que je voulais vous poser sur la fraude à la TVA. Mais pourriez-vous nous en dire davantage sur le régime douanier 42 et sur les propositions qui sont sur la table depuis un an et qui n'aboutissent pas ?

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Ma question portera sur la politique agricole commune (PAC). Entre la position de la France et celle de la Commission européenne, je ne vois pas de concordance immédiate en ce domaine. Didier Guillaume s'est exprimé il y a peu de temps pour affirmer son refus des propositions de la Commission européenne. Nous partageons nous aussi cette position à l'Assemblée nationale. Quelles sont les possibilités pour maintenir une PAC forte, ambitieuse, dotée d'une vraie stratégie et, surtout, à même de permettre à notre agriculture et à nos agriculteurs de se projeter dans l'avenir ?

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Monsieur le commissaire, vous avez évoqué la règle de l'unanimité, notamment pour la question des GAFA. Mais j'aimerais connaître votre opinion sur le rejet de la fusion entre Siemens et Alstom, alors que, dans le passé, la Commission avait donné son accord à de nombreuses fusions, telle celle d'Opel et Peugeot.

Je m'interroge aussi sur la conditionnalité des fonds en fonction du respect de l'État de droit et des valeurs fondamentales. Avec une de mes collègues, nous avons présenté un rapport sur le sujet devant cette commission. La conditionnalité est contestée dans certains États, qui estiment que l'on va porter atteinte aux citoyens, et notamment aux grandes infrastructures : hôpitaux, routes, etc. Quelle est votre opinion sur cette question de la conditionnalité des fonds en fonction du respect de l'État de droit ?

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Je voudrais vous interroger, monsieur Moscovici, sur deux sujets : le Brexit et le Fonds européen de la défense (FED).

S'agissant du Brexit, je m'interroge sur les conséquences qu'aurait une sortie sèche, sans accord, sur certains secteurs sensibles. Dans ma circonscription, le groupe pharmaceutique GlaxoSmithKline (GSK) est présent, lui qui possède des unités de production en France et en Grande-Bretagne. Il nourrit la crainte qu'une sortie sans accord ait des répercussions sur les procédures d'essai et de validation des vaccins, mais redoute aussi des retards de livraison qui mettraient en danger les patients. Est-on en mesure de régler de manière intelligente cette question ?

J'en viens à ma deuxième question. Je suis membre de la commission de la défense, rapporteur du budget de la marine et aussi auditeur de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), où j'ai travaillé sur le FED. Cela m'a amené à rencontrer des industriels, des membres du cabinet de madame Bieńkowska et Françoise Grossetête, qui avait été rapporteure sur le projet. Au Parlement européen, le FED a été adopté en avril avec une majorité de 328 contre, 331 pour et 19 abstentions. Il y avait des oppositions multiples au projet, notamment au sein du groupe S&D et au sein du groupe vert. Il reste maintenant à approuver un budget pour la période 2021-2027. La nouvelle configuration du Parlement européen issu des récentes élections vous paraît-elle favorable à cette approbation d'un budget de 13 milliards d'euros ou y a-t-il maintenant, au contraire, un risque que ce budget ne soit plus approuvé comme initialement prévu ?

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

Monsieur le commissaire, cher ancien collègue, je ne vais pas entrer dans une polémique avec vous sur les résultats des élections. Il est facile de faire des projections faramineuses, selon lesquelles ce qu'on appelle les eurosceptiques ou les populistes – que je préfère appeler les nationaux et les défenseurs des identités – obtiendraient la majorité dans un futur Parlement… J'ai eu le bonheur de siéger six mandats consécutifs dans cette assemblée et je sais qu'ils étaient 3 % la première fois, puis 11 %, puis 19 %, et qu'ils sont aujourd'hui un tiers ! Je n'aurai pas non plus la cruauté de relever les contre-performances de votre famille politique d'origine – vous l'avez fait vous-même honnêtement.

Mais abordons les choses sérieuses. Vous avez dit, très justement, qu'il fallait que la fiscalité soit lisible. Nous sommes aujourd'hui le dernier jour où il est possible de remplir les déclarations d'impôts. Or, si l'on ne bénéficie pas d'un salaire déclaré par des tiers et qu'on a trois ou quatre revenus de sources différentes en France, on s'égare dans une déclaration fiscale qui comporte des centaines de rubriques et renvoie à des dizaines de déclarations annexes… C'est un véritable casse-tête. Je dirais qu'il y aurait moins de paradis fiscaux, s'il n'y avait pas autant d'enfers fiscaux !

À mon sens, l'enfer fiscal se définit non seulement en termes de taux – lesquels aboutissent parfois à une véritable spoliation – mais aussi en termes de complexité – laquelle peut être incroyable. Non moins de 60 % des membres du Gouvernement se sont ainsi, si l'on en croit les dernières informations, trompés, en toute bonne foi. Ils ont donc fait l'objet de redressements de la part de l'administration fiscale.

En ce qui concerne la situation économique, je n'aurai pas la cruauté de souligner la différence qu'il y a entre les performances, modestes, de la zone euro et celles d'autres pays développés tels que le Japon ou la Suisse. Mais, surtout, les pays membres, la Banque centrale, la Commission, sans doute aussi le Conseil européen ont échoué à faire de l'euro, dont je n'étais pas un adversaire résolu lorsqu'il fut créé, une monnaie de réserve et de référence pour les transactions internationales. C'est tout à fait dommageable, dans la mesure où, de leur côté, les États-Unis d'Amérique ne cessent de creuser leur déficit. Car si l'on parle beaucoup des déficits des pays européens, on pourrait s'intéresser aussi au déficit des USA, déficit qu'ils comblent en émettant des milliards de dollars…

Enfin, puisque nous parlons des États-Unis d'Amérique, est-ce que leur prétention à l'universalité des sanctions à l'égard de pays tiers, comme l'Iran, telle qu'ils nous l'imposent, ou bien les manoeuvres conjointes de l'administration fédérale et de la justice américaine n'aboutissent pas à de véritables spoliations ? Je pense à l'amende de sept milliards d'euros dont BNP Paribas a dû s'acquitter, sujet qui a laissé les autorités françaises absolument muettes. Mais je pense également aux cas d'Alstom et de General Electric.

Aujourd'hui, des procédures courent contre Airbus, Deutsche Bank, Total, le Crédit Agricole, tandis que Peugeot a dû se retirer du marché iranien. Je crains que, dans ce domaine, l'Europe, dont on nous dit qu'elle est une force qui nous permettrait de mieux négocier avec des États importants, comme la Chine ou les États-Unis, soit restée désespérément impuissante. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce sujet.

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Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

Monsieur Anglade, nous sommes en très large accord pour réfléchir à la manière de faire bouger la règle de l'unanimité. Mais c'est la politique qui va faire bouger les choses ! Car, si vous comptez sur les ministres des finances – dont j'ai été –, je puis vous dire qu'ils ne souhaiteront pas renoncer à ce qu'ils pensent être, pas forcément à tort, leur souveraineté fiscale.

Ils ne comprennent pas qu'en matière fiscale, la souveraineté européenne est un atout dans le monde où nous vivons. Les Américains et les Chinois utilisent l'arme fiscale de manière extrêmement agressive. Si, en Europe, nous restons une espèce de patchwork gentillet, nous allons nous faire déborder à tous égards. C'est d'ailleurs l'enjeu d'une fiscalité du numérique.

Par ailleurs, il y a aussi un enjeu démocratique. Est-ce que la nouvelle donne du Parlement européen va être favorable à une évolution ? La Commission a tenu à laisser une sorte de testament en la matière. C'est une communication que j'ai faite en janvier. Elle dit qu'au fond, il faut passer les décisions sur la fiscalité à la majorité qualifiée. Certes, ne faisons pas de provocation et ne passons pas d'un coup l'ensemble à la majorité qualifiée, mais ayons plutôt une sorte de feuille de route et commençons par les sujets consensuels, par exemple tout ce qui concerne la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale.

En ce domaine, nous avons réalisé des performances que je n'espérais pas moi-même au début de mon mandat. Car je pensais que j'allais, comme tous mes prédécesseurs commissaires à la fiscalité, m'ennuyer et buter sur les réticences de tous les États membres. Mais quelque chose s'est produit : une opinion publique européenne est née, des médias se sont intéressés au sujet, la communauté internationale a avancé… Ainsi, on a pu faire adopter quatorze directives extrêmement substantielles en la matière. Je ne veux pas y revenir ici, mais je citerai tout de même : la liste noire des paradis fiscaux, l'échange automatique d'informations, la fin du secret bancaire, la transparence sur les intermédiaires, la publicité des données comptables et fiscales… C'était inimaginable il y a cinq ans, inimaginable !

Mais, sur les autres sujets, nous sommes bloqués, parce que l'opinion publique européenne n'est pas aussi claire et parce que les États membres restent dans leur pré carré, tandis que la règle reste celle de l'unanimité. Je distingue donc bien les deux aspects : lutte contre la fraude fiscale d'un côté, réformes de structure de l'autre. Je pense qu'il faut adopter une démarche graduelle de transfert de la matière fiscale, de l'unanimité vers la majorité qualifiée. En ce domaine, je pense que les parlements ont un rôle fondamental à jouer.

Si j'examine la composition du nouveau parlement européen, comme celle de l'ancien d'ailleurs, je constate que ce sujet y fait consensus. Il réunit probablement les quatre cinquièmes du parlement. Il sera donc un allié de la Commission européenne, pour deux raisons. D'abord il y croit et il a pris, en instituant des commissions spéciales sur la criminalité financière, la fraude fiscale et l'évasion fiscale, dites commissions « tax », un rôle plus important dans le contrôle de la matière fiscale. Mais il n'est pas co-législateur, ce qui constitue la deuxième raison de son soutien à une évolution : si vous passez de l'unanimité à la majorité qualifiée, vous introduisez la fiscalité dans la méthode communautaire et le Parlement européen devient co-législateur.

Cependant, il faut aussi que les parlements nationaux s'en mêlent. Je pense que, s'il y a une poussée conjointe des grands partis politiques européens, des parlements nationaux et du Parlement européen, le verrou de l'unanimité finira, petit à petit, par céder. Au contraire, si vous n'en faites pas une cause politique, il ne se passera simplement rien.

J'ai été content d'observer que, pendant la campagne européenne, M. Weber, qui n'est pas mon candidat pour la présidence de la commission mais pour qui j'ai beaucoup d'estime, avait dit, au nom des conservateurs, être favorable à la fin de la règle de l'unanimité. C'est pourtant un conservateur allemand ! Je pense donc qu'il s'agit d'un combat politique. Si, dans les cinq années qui viennent, on avance et on travaille là-dessus, je pense qu'on va pouvoir faire bouger les choses. Sinon, il ne se passera vraiment rien.

En ce qui concerne l'Italie, la situation n'y est pas identique à celle de décembre 2018. En décembre 2018, nous étions dans une phase ex ante, c'est-à-dire que nous nous fondions sur les résultats de 2017, globalement conformes, et nous préparions les budgets 2019. Nous abordions donc les problèmes à un stade préalable, ce qui a permis à l'Italie de prendre des engagements, engagements qui furent adoptés dans le cadre de son projet de loi de finances pour 2019. Nous étions donc en présence d'une année 2017 non problématique et d'un débat budgétaire en cours.

Aujourd'hui, nous nous situons dans un contexte ex post. L'année 2018 n'est pas conforme avec le pacte, comme il faut le constater. À elle seule, elle justifie l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif. Quant à l'exercice 2019, qui est en cours, il n'est pas forcément modifiable aisément, en particulier dans un contexte politique dont je n'ai pas vraiment besoin de vous décrire la complexité. Quant à l'année 2020, elle s'annonce difficile, puisque certains partis politiques affirment qu'ils veulent exclure toute augmentation de TVA, ce que je peux comprendre, mais aussi qu'ils excluent toute mesure alternative, ce qui ferait filer le déficit.

La situation n'est donc pas identique à celle de décembre 2018. Mais quelque chose est comparable, à savoir qu'il revient à l'Italie d'assumer, en quelque sorte, la charge de la preuve pour ce qui est de sa volonté de réduire ses déficits et sa dette. C'est pourquoi, au cours de ma conférence de presse d'hier, j'ai annoncé que ma porte restait ouverte pour échanger, pour écouter et pour constater.

J'ai toujours considéré que la sanction était stupide : je ne change pas d'avis. J'ai toujours considéré que l'approche punitive du pacte n'était pas la bonne : je ne change pas d'avis. Je considère que l'Italie, qui est une grande économie au coeur de la zone euro, doit le rester et je ne change pas d'avis. Mais, en même temps, comprenez-moi : tout en étant le membre de la Commission le plus favorable à la flexibilité, j'ai dû y faire preuve de force de persuasion pour convaincre tant mes collègues que les membres du Conseil. Ce n'est pas toujours facile.

Cependant, le partisan de la flexibilité que je suis n'est pas partisan du laxisme. À un moment donné, si aucun critère n'est respecté, il faut que le pacte s'applique dans sa rigueur. Puisque nous sommes à la fin du tournoi de Roland-Garros, permettez-moi de filer la métaphore tennistique : si vous servez sur la ligne, on peut vous accorder le point et même, à la limite, dans le cas où l'arbitre n'a pas de bonnes lunettes, si la balle est juste à côté de la ligne… Mais si vous servez loin du couloir, il y a problème. Il est difficile d'accorder le point. Il en va de même avec le pacte de flexibilité.

Il faut maintenant que les Italiens fassent la preuve de leur volonté de respecter le pacte, en avançant des données et en proposant des mesures. Il ne me revient pas de leur dire lesquelles ! Je n'ai jamais procédé ainsi. Quand j'étais ministre des finances et que, pour mon premier déplacement à Bruxelles, j'avais rencontré Olli Rehn, mon prédécesseur, il m'avait envoyé au préalable une lettre très longue de recommandations à suivre. Je lui ai expliqué respectueusement que ce n'était pas ainsi qu'il fallait faire, que nous avions une communauté d'objectifs et d'engagements, mais que nous jouissions, au niveau national, d'une certaine liberté de moyens.

C'est pourquoi je ne viens pas vous expliquer ici comment vous allez faire votre budget. Je n'ai jamais commenté les mesures que la France prenait. En revanche, nous examinons à la fin les équilibres. Ainsi, l'Italie, dotée de sa propre souveraineté et de ses propres règles politiques, doit prendre des mesures si c'est nécessaire ou, en tout cas, donner des chiffres qui nous permettent de constater que 2019 et 2020 sont des années pour lesquelles nous pouvons avoir confiance.

C'est pourquoi le processus en cours est un peu différent de celui de 2018. En 2018, nous avons conduit une vraie négociation. Nous nous sommes vus plusieurs fois avec le président du Conseil, et maintes fois avec le ministre des Finances. On a fini par conclure un accord. Là, il n'y aura pas de négociation de la même façon. Mais les Italiens peuvent convaincre, tant la Commission que leurs partenaires, que des efforts effectifs sont ou seront réalisés pour 2019 et 2020. Voilà ce qu'on peut attendre. Cela permettrait d'éviter une issue que je ne souhaite pas mais qui, à ce stade, serait justifiée.

En ce qui concerne le système actuel de TVA en vigueur pour les échanges entre États membres, il repose encore sur un régime transitoire établi en… 1993. Au bout de vingt-six ans, on peut quand même dire que c'est un état transitoire qui dure ! Nous connaissons les défauts de ce système : il est trop fragmenté et il est vulnérable à la fraude. Or nous voulons donner la possibilité aux entreprises de l'Union européenne de développer leurs activités transfrontalières et de bénéficier de conditions de concurrence égales au sein de l'Union. C'est pourquoi j'ai proposé, à plusieurs reprises, des réformes qui permettent d'aller vers un « régime définitif » de TVA. L'ampleur du problème est aujourd'hui si importante que je ne crois pas décent, de la part des États membres, de l'ignorer. La dernière révélation portait sur ce grand cambriolage, parfois appelé grand theft Europe, de fraude massive reposant sur un carrousel causant 50 milliards d'euros de dommages.

Dans son plan d'action sur la TVA d'avril 2016, la Commission a déjà souligné la nécessité de mettre en place un espace TVA unique dans l'Union, pour répondre aux défis du vingt-et-unième siècle. Le Parlement européen a adopté en 2016 une résolution intitulée « Vers un système de TVA définitif et de lutte contre la fraude à la TVA ». Il faut aussi améliorer les règles actuelles, qu'elles fonctionnent de manière beaucoup plus efficace en matière de TVA transfrontalière. Ce sont les quick fixes que la Commission a proposés en octobre 2017 pour le système de TVA actuel. Ces mesures ont été adoptées par le Conseil le 4 décembre 2018 et entreront en vigueur le 1er janvier 2020.

La Commission a aussi proposé en octobre 2017 et adopté en mai 2018 une proposition détaillée, qui comprend les mesures techniques de mise en oeuvre, visant à abolir cette TVA transfrontalière. Je vais vous donner mon sentiment de manière très carrée : depuis mai 2018, cette proposition est sur la table du conseil, mais on n'en a jamais entendu parler au conseil Ecofin !

Jamais aucune présidence n'a estimé que ce soit une priorité suffisante pour que ce sujet vienne à l'ordre du jour. Ainsi, on n'en parlera pas d'ici à la fin du mandat de cette Commission. Pourtant, je pense qu'il est absolument fondamental que ce dossier soit repris. Là encore, la pression politique doit s'exercer, car c'est un véritable scandale. La réponse est très simple : il n'y a qu'à décider et avancer.

En ce qui concerne la politique agricole commune, sujet très compliqué, je ne vais pas entrer dans le détail, d'autant que vous connaissez le sujet beaucoup mieux que moi. Il est vrai qu'il y a une différence entre la Commission européenne et la France, mais cette différence n'est pas une divergence. Des échanges extrêmement nourris ont eu lieu entre le ministre de l'agriculture et mon excellent collègue irlandais Phil Hogan, qui a tout de même proposé un montant total de 365 milliards d'euros pour la PAC, soit une diminution qui avoisine les 5 %, mais va de pair avec une modulation impliquant une répartition différente.

Les propositions qu'il a faites incluent des réformes structurelles de la PAC, axées sur six grandes priorités : la modernisation ; le partage des responsabilités ; l'innovation et le transfert de connaissances ; le ciblage du soutien aux agriculteurs ; l'ambition environnementale et climatique ; le renouvellement des générations. Or je pense que la France se reconnaît aussi dans ces piliers.

Il va maintenant y avoir une période importante pendant laquelle vous devez être mobilisés, comme parlement national, à savoir la négociation finale du cadre financier pluriannuel. Il est plus que vraisemblable que cela se fera une fois la nouvelle Commission mise en place, soit sans doute en 2020, année pendant le second semestre de laquelle la présidence du Conseil reviendra à l'Allemagne. Il faut se préparer, mais je pense qu'il serait de mauvaise méthode de considérer que la France et la Commission ne sont pas dans le même camp. Car la Commission a fait la proposition à mes yeux la plus ambitieuse possible, dans les conditions de pression « atmosphériques » actuelles et compte tenu d'une marge budgétaire qui est réduite. Les plafonds sont en effet extrêmement bas. Il revient donc aux autorités françaises, et au parlement national, de se mobiliser pour faire en sorte que la PAC ait la place la plus ambitieuse possible dans un budget qui doit aussi prendre en compte de nouvelles priorités.

Car je pense qu'il n'est pas contestable que la sécurité à la frontière extérieure, l'accueil des migrants ou encore le doublement d'Erasmus, priorité du Président de la République que je partage absolument, doivent aussi être financés. Il faut donc faire entrer l'édredon dans la valise. Il faut tout de même que la valise soit plus grande si l'on veut que l'édredon soit plus large. Mais je pense qu'un travail main dans la main, entre la Commission et la France, est la bonne attitude à adopter, loin d'une opposition entre les institutions. Car les priorités sont les mêmes de part et d'autre, même si les volumes ne sont pas exactement les mêmes.

En ce qui concerne Siemens et Alstom, je ne saurais dévoiler les délibérations de la Commission, qui sont secrètes. Je veux simplement indiquer que les règles de la concurrence n'empêchent pas la mise en place de champions. Vous avez vous-même rappelé les milliers de décisions qui ont été favorables à des fusions. Je puis vous dire que ma collègue et amie Margrethe Vestager aurait nettement préféré, pour de nombreuses raisons, que cette fusion puisse avoir lieu et qu'elle puisse l'autoriser. Je pense qu'elle a fait le maximum en la matière, mais elle a dû tenir compte des règles telles qu'elles sont.

Cela dit, on sait qu'il y a des éléments nouveaux, tels que la Chine, le numérique et la prise en compte d'un marché pertinent qui doit être beaucoup plus vaste que ce n'est le cas aujourd'hui. Mais, franchement, dans les conditions actuelles et dans le cadre des règles actuelles, compte tenu de certaines incompréhensions qui pouvaient aussi exister entre les deux entreprises – ce n'était pas non plus un long fleuve tranquille –, je pense qu'elle a pris la seule décision qu'elle pouvait prendre en l'état, après avoir examiné, discuté et dialogué. Cela ne veut pas dire qu'à l'avenir il faille en rester là. Une réflexion s'est amorcée en France, grâce à un rapport de l'Inspection générale des finances, à une note du Conseil d'analyse économique et, peut-être demain, à des travaux de votre assemblée. Je salue cette réflexion bienvenue. Je pense qu'il faut en effet penser maintenant la concurrence à l'échelle du monde. C'est un sujet à traiter par la prochaine Commission, par le prochain Parlement européen et par les prochaines institutions.

Toutefois, il faut se garder d'une certaine illusion française : il n'y aura pas de grand soir de la concurrence ! On peut en modifier les règles ; sans doute le faut-il. Mais elles ont aussi, d'une part, un sens solide, à savoir protéger le consommateur, et, d'autre part, des défenseurs consistants au sein de l'Union européenne. Il faudra trouver un compromis en la matière, comme il faudra que la France renonce, ou plutôt apprenne qu'il faut aussi parfois tenir compte des positions des autres. Il n'y aura pas de politique industrielle à la française à l'échelle continentale. Faire bouger les règles de concurrence pour tenir compte des nouvelles donnes du marché mondial est en revanche quelque chose de tout à fait envisageable.

S'agissant de la conditionnalité des fonds structurels en fonction du respect de l'État de droit sur le territoire de l'État qui en bénéficie, je ne peux donner qu'une opinion personnelle. Je sais que le sujet est extrêmement délicat, parce qu'on entend combattre des gouvernements qui manquent à l'État de droit et qui le violent. Je rappelle que l'article 7 du Traité sur l'Union européenne est aujourd'hui invoqué contre deux États membres. Pour la Pologne, c'est la Commission qui l'a fait ; pour la Hongrie, c'est le Parlement européen qui l'a proposé. Je pense que l'Union européenne est une communauté de valeurs et une communauté de droit, et qu'il est absolument impossible, illégitime et insupportable de ne pas respecter cela. Certes, la suspension des fonds structurels touche les populations, mais il y a tout de même quelque paradoxe à violer le droit avec l'argent des autres. Tout bien considéré, dès lors qu'il s'agit de faire de cette suspension un levier d'action politique pour faire renoncer à des violations sur l'État de droit, je suis favorable à la conditionnalité des fonds structurels. Toutefois, cette position n'engage pas la Commission. C'est la mienne propre : je pense qu'il faut pouvoir interdire, ou réduire, l'accès aux fonds structurels à des pays qui violent l'État de droit, lequel constitue tout de même l'essence même de ce que nous sommes.

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

Mais qu'est-ce que l'État de droit ?

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Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

C'est une notion définie par les textes, monsieur Gollnisch : les traités fondateurs et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Voilà notre base juridique. Il ne s'agit pas de droit inventé ou de droit pifométrique. Mais je ne veux pas développer le cas hongrois ou le cas polonais.

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

On pourrait s'en prendre à la composition du Conseil constitutionnel en France tout aussi bien qu'en Pologne !

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Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

Quand les médias sont muselés et hyperconcentrés et que la justice n'est plus indépendante…

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

Vous voulez dire : comme en France ?

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Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

…on touche vraiment à l'État de droit.

S'agissant du Brexit, je partage vos interrogations et vos inquiétudes. J'étais mardi à Calais, dans la région des Hauts-de-France, pour examiner si les systèmes douaniers français et européen étaient prêts, dans l'éventualité d'une sortie sans accord. Ma réponse est positive. Le Gouvernement a pris les mesures nécessaires, en n'hésitant pas à investir 50 millions d'euros et à recruter 700 douaniers. Mais les entreprises et les collectivités locales ont elles aussi agi, main dans la main avec l'État. Je crois donc que tout le monde est prêt, en tout cas du côté européen. Du côté britannique, les choses sont un peu plus compliquées.

Il faut en tout cas informer les entreprises de ce qui les attend, car elles ne savent pas qu'il faudra des formalités douanières nouvelles après le Brexit, qu'il advienne ou non à l'issue d'une période transitoire. Il convient de se préparer, si l'on veut une frontière intelligente et rapide à franchir, de façon à éviter des trajets en Eurostar de cinq heures ou des files de camions.

Cela dit, la question délicate de la chaîne d'approvisionnement se pose elle aussi, comme vous l'avez dit. En ce domaine, il faudra trouver un terrain d'entente avec nos amis britanniques. Au total, il apparaît en tout cas préférable d'éviter une absence d'accord, qui serait la pire des solutions. Cela ne dépend cependant pas que de nous. La balle se trouve, clairement, dans le camp britannique. Encore y aura-t-il peut-être encore des discussions, à l'expiration du délai du 31 octobre.

Quant au Fonds européen de la défense, il constitue une proposition importante de cette Commission. Il convient de la soutenir, comme vous l'avez dit. À cet égard, je ne crois pas que la nouvelle donne au Parlement européen soit un obstacle pour avancer dans cette direction.

Monsieur Gollnisch, nous avons croisé le fer assez souvent et vous ne vous étonnerez donc pas que je n'aie pas la même lecture que vous du résultat des élections européennes. Cela dit, nous serons, de manière paradoxale, sans doute d'accord pour dire que le résultat obtenu par les partis populistes et nationalistes ne saurait être tenu pour quantité négligeable ; c'est au contraire un résultat alarmant, pour ceux qui les combattent – ou encourageant pour ceux qui les soutiennent.

En 1995, je siégeais au Parlement européen lorsque le président François Mitterrand y a déclaré : « le nationalisme, c'est la guerre ». L'ensemble des parlementaires présents se sont levés, à l'exception d'élus du Front national, qui ne représentaient alors que 3 % des sièges. Aujourd'hui, c'est un quart de cette assemblée qui ne se lèverait plus… Mais, monsieur Gollnisch, vos partis ont perdu ces élections. Ils ne les ont pas gagnées, comme ils l'espéraient.

J'en viens au coeur de vos questions. La première portait sur l'échec de l'euro comme monnaie internationale. C'est un faux procès, dans la mesure où l'euro est la seconde monnaie mondiale, après seulement vingt ans d'existence… Il a dépassé le Franc suisse, le Yen et la Livre sterling. Devenir numéro un devant le dollar, c'est un chantier qui nécessite de travailler à l'architecture de la zone euro. Sur le rôle international de l'euro, la Commission a commencé à faire des propositions en la matière, comme sur les sanctions extraterritoriales américaines – les deux sujets étant liés.

Nous ne considérons pas que ces sanctions extraterritoriales soient légitimes quand elles sont unilatérales et qu'on doive en subir les effets. S'agissant par exemple de l'Iran, il y a eu un désaccord très net entre les différentes parties signataires de l'accord avec ce pays, dont la France, l'Union européenne, d'une part, et les États-Unis, d'autre part. Mais nous n'avons pas aujourd'hui de véhicule financier et monétaire suffisant pour contrecarrer les sanctions extraterritoriales prononcées par Washington.

Monsieur Gollnisch, cela ne signe pas l'échec de l'euro, dont votre parti a d'ailleurs fini par reconnaître la nécessité ou, du moins, à la suppression duquel il a fini par renoncer. L'euro est plébiscité par ses adhérents, parce qu'il offre la stabilité, la protection et des taux d'intérêt bas et uniques. Pourtant, je serais le dernier à dire que l'euro est complet. Non ! Aujourd'hui, l'euro est incomplet. Il doit être complété de deux façons. Sur le plan institutionnel, il doit être complété par un budget de la zone euro, par un parlement de la zone euro et par un ministre des finances de la zone euro. Mais il doit aussi être complété par un renforcement de son rôle international. Une fois que ces trois piliers seront en place, nous pourrons partir à l'assaut de la première place mondiale. Il y a, là aussi, un chantier pour la prochaine Commission.

Quant au présent collège, je pense qu'il peut présenter un bilan défendable, même s'il ne nous revient pas de l'évaluer. Loin de toute autosatisfaction, je pense qu'il y a encore du pain sur la planche pour les Européens. Il y a du pain sur la planche pour la prochaine Commission, du pain sur la planche pour le prochain Parlement et du pain sur la planche pour vous mesdames et messieurs les parlementaires nationaux.

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Merci, monsieur le commissaire. Permettez-moi une dernière petite question : quel regard portez-vous sur le prochain cadre financier pluriannuel et les négociations qui s'annoncent ?

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Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière

La Commission a rendu sa copie. Elle a procédé de manière un peu différente de l'habitude. Auparavant, la Commission était, en matière budgétaire, « Monsieur Plus », tandis que le Parlement était « Monsieur Plus Plus », le Conseil n'ayant plus qu'à jouer le rôle de « Monsieur Moins », et même de manière assez prononcée pour certains États membres.

Entre les propositions des diverses institutions, il y avait donc des écarts absolument considérables. Aujourd'hui, la Commission a essayé de tenir compte de la sensibilité des autres institutions, pour proposer un projet plus consensuel. Certes, vous auriez peut-être été plus à l'aise avec une proposition maximaliste sur la PAC, mais l'atterrissage aurait probablement été plus douloureux.

Au bout du compte, le cadre financier pluriannuel constitue un paquet hautement politique, dont le sort dépendra de plusieurs facteurs. D'abord, le Brexit va peser sur l'affaire. Mon collègue a présenté hier une version dans laquelle nous sommes obligés, parce que le Royaume-Uni est aujourd'hui un pays membre de l'Union européenne, d'en tenir compte dans la maquette. On ne peut pas mettre entre parenthèses les Britanniques, de la même façon qu'on ne pourrait pas les mettre entre parenthèses au Parlement européen si leur pays restait membre de l'Union – ce qui n'est pas impossible, par exemple par le fait d'un nouveau référendum.

En tout cas, il faudra traiter la question des ressources propres, sur laquelle je pense que les parlementaires ont beaucoup – et bien– travaillé. Car il faut de vraies ressources propres européennes. Enfin, il faut traiter la question des dépenses. L'année 2020 va donc être la grande année budgétaire pendant laquelle le cadre financier pluriannuel 2021-2027 va être décidé. L'enjeu est important. Car faire une grande Europe avec de petits moyens, c'est tout de même extrêmement compliqué.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Sur le rapport de la Présidente Sabine Thillaye, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

l Textes actés

Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø Consommation et protection des consommateurs

Règlement (UE) de la Commission du 17.5.2019 modifiant l'annexe I du règlement (CE) nº 13342008 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le retrait de la substance aromatisante furan-2(5H)-one de la liste de l'Union (C(2019) 3688 final - E 14033).

Règlement (UE) de la Commission modifiant le règlement (UE) n° 102011 concernant les matériaux et objets en matière plastique destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires (D06132603 - E 14038).

Ø Éducation jeunesse et sport

Proposition de décision du conseil relative la position à prendre, au nom de l'Union européenne, au sein du Conseil des ministres ACP-UE, en ce qui concerne la délégation de pouvoirs au Comité des ambassadeurs ACP-UE relative à la décision d'adopter des mesures transitoires visant à proroger l'accord de partenariat ACP-UE (COM(2019) 242 final - E 14037).

Ø Fiscalité

Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006112CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et la directive 2008118CE relative au régime général d'accise en ce qui concerne l'effort de défense dans le cadre de l'Union (COM(2019) 192 final - E 14016).

Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) n° 13872013 portant suspension des droits autonomes du tarif douanier commun sur certains produits agricoles et industriels (COM(2019) 219 final - E 14028).

Ø Institutions

Décision du conseil portant nomination des membres titulaires et des membres suppléants du Comité consultatif pour la sécurité et la santé sur le lieu du travail pour la Hongrie (798019 - E 14008).

Décision du Conseil arrêtant la composition du Comité économique et social européen (893719 - E 14019).

Décision du conseil portant nomination d'un membre titulaire et des membres suppléants du Comité consultatif pour la sécurité et la santé sur le lieu du travail pour le Luxembourg (890519 - E 14042).

Décision du conseil portant nomination de quinze membres du conseil d'administration de l'Agence européenne des produits chimiques (927719 - E 14043).

Ø Pêche

Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union, et à l'application provisoire du protocole relatif à la mise en oeuvre de l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et la République de Guinée Bissau (2019-2024) (COM(2019) 172 final - E 13985).

Proposition de décision du conseil relative à la conclusion du protocole relatif à la mise en oeuvre de l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et la République de Guinée Bissau (2019-2024) (COM(2019) 171 final - E 13989).

Proposition de règlement du conseil relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre du protocole relatif à la mise en oeuvre de l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et la République de Guinée Bissau (2019-2024) (COM(2019) 173 final - E 13990).

Ø Politique agricole commune

Proposition de décision du Conseil relative à la position à prendre, au nom de l'Union européenne, au sein du Conseil international des céréales en ce qui concerne la prorogation de la convention sur le commerce des céréales de 1995 (COM(2019) 167 final - E 13980).

Proposition de règlement du conseil modifiant le règlement (UE) n° 13882013 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires autonomes de l'Union pour certains produits agricoles et industriels (COM(2019) 210 final - E 14017).

Règlement de la commission modifiant les annexes II, III et V du règlement (CE) nº 3962005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les limites maximales applicables aux résidus d'ester méthylique de l'acide 2,5-dichlorobenzoïque, du mandipropamide et de la profoxydime présents dans ou sur certains produits (D05975904 - E 14018).

l Textes actés de manière tacite

La Commission, a pris acte tacitement des documents suivants :

Ø Institutions

Décision du conseil portant nomination des membres et des suppléants du conseil d'administration de l'Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes (750819 - E 14041).

Décision du conseil portant nomination des membres et des membres suppléants représentant les gouvernements au sein du conseil d'administration de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail pour la Grèce, la France et le Luxembourg (909119 - E 14046).

Comité consultatif pour la sécurité et la santé sur le lieu du travail - Nomination de Mme Lucie MEDIAVILLA, membre suppléante pour la France, en remplacement de M. Arnaud PUJAL, démissionnaire (932919 - E 14047).

Comité consultatif pour la sécurité et la santé sur le lieu du travail - Nomination de M. Patrick LÉVY, membre suppléant français, en remplacement de M. Pierre THILLAUD, membre démissionnaire (944519 - E 14048).

Conseil d'administration de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail - Nomination de M. Patrick LÉVY, membre titulaire pour la France, en remplacement de Mme Nathalie BUET, démissionnaire (947019 - E 14049).

Décision du Conseil portant nomination d'un membre du Comité économique et social européen, proposé par la République de Bulgarie (953419 - E 14050).

Décision du Conseil portant nomination d'un membre du Comité économique et social européen, proposé par la République d'Autriche (953719 - E 14051).

Décision du Conseil portant nomination d'un membre du Comité économique et social européen, proposé par la République portugaise (953919 - E 14052).

Décision du Conseil portant nomination d'un membre et d'un suppléant du Comité des régions, proposés par la République d'Autriche (959919 - E 14053).

Décision du conseil portant nomination de deux suppléants du Comité des régions, proposés par le Grand-Duché de Luxembourg (960319 - E 14054).

Décision du conseil portant nomination d'un membre et de deux suppléants du Comité des régions, proposés par le Royaume de Suède (962219 - E 14055).

Décision du Conseil portant nomination de deux membres et de deux suppléants du Comité des régions, proposés par la République tchèque (962519 - E 14056).

Conseil d'administration de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail - Nomination de M. Anthony CASARU, membre titulaire pour Malte, en remplacement de M. Alfred LIA, démissionnaire (964919 - E 14057).

Conseil d'administration de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail - Nomination de M. Alfred LIA, membre suppléant pour Malte, en remplacement de M. Eldwin BALZAN, démissionnaire (965019 - E 14058).

Décision du Conseil portant nomination d'un membre suppléant du conseil d'administration de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail pour la France (945419 - E 14063).

Décision du Conseil portant nomination de quatre membres du conseil d'administration de l'Agence européenne des médicaments (905919 - E 14068).

Décision du Conseil portant prorogation du mandat d'un directeur exécutif adjoint d'Europol (936019 - E 14069).

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø Institutions

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil adaptant aux articles 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne une série d'actes juridiques prévoyant le recours à la procédure de réglementation avec contrôle (COM(2016) 799 final - E 11925).

Ø Politique étrangère et de sécurité commune(PESC

Décision du Conseil abrogeant la décision (PESC) 20181006 concernant des mesures restrictives en raison de la situation dans la République des Maldives (951719 LIMITE - E 14066).

Règlement du Conseil abrogeant le règlement (UE) 20181001 concernant des mesures restrictives en raison de la situation dans la République des Maldives (951919 LIMITE - E 14067).

La séance est levée à 10 h 25.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Vincent Bru, M. Alexandre Freschi, Mme Caroline Janvier, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Françoise Dumas, M. Christophe Jerretie, Mme Marietta Karamanli, Mme Nicole Le Peih

Assistaient également à la réunion. – M. Jacques Marilossian, M. Bruno Gollnich, membre du Parlement européen