Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du mardi 2 juillet 2019 à 17h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

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Nous avons le plaisir de recevoir M. François-Marie Bréon, physicien et climatologue, qui est chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace.

Cette audition va porter sur les conséquences de la lutte contre le changement climatique en matière de transition énergétique. Nous souhaitons revenir sur les points fondamentaux qui ressortent des travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Quel est le lien entre la lutte contre le changement climatique, c'est-à-dire la diminution des émissions de gaz à effet de serre d'origine anthropique, et la production et la consommation d'énergie ? Au regard de ce lien, quelle est la place relative de la France en termes d'émissions globales de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, d'émissions par personne, d'émissions locales et d'empreinte carbone ?

Comment notre situation, telle qu'elle ressort des données objectives, peut-elle affecter les choix réalisés en France dans le domaine de la transition énergétique ? Où sont les urgences d'un point de vue scientifique ? Ces urgences sont-elles les mêmes si l'on s'inscrit non plus dans une démarche essentiellement fondée sur des données objectives mais dans une logique mettant en avant une exigence d'exemplarité, une forme d'obligation qui serait propre au pays ayant organisé la COP21 ? Comment justifier scientifiquement l'idée qu'une molécule de gaz carbonique émise par un ancien hôte d'une conférence des parties à la convention-cadre sur les changements climatiques aurait, en elle-même, un effet plus délétère que la même molécule lorsqu'elle est émise dans un autre pays ? N'est-ce pas faire preuve de beaucoup d'exigence ou se donner beaucoup d'importance ? Sans entrer dans le débat politique, nous attendons avec impatience de connaître le point de vue scientifique qui est le vôtre.

Quelle est la marge de décision pour l'autorité politique entre les impératifs scientifiques et l'acceptabilité sociale, chère à notre rapporteure, en ce qui concerne le choix des priorités, les instruments et le rythme d'action ? J'entends bien que chacun – le politique et le scientifique – doit assumer ses responsabilités propres, mais où se situerait l'erreur manifeste d'appréciation pour le politique au regard des constats scientifiques ? Le GIEC nous laisse-t-il une marge de manœuvre au sujet de la transition énergétique ? A-t-il porté une appréciation sur les différentes énergies qui sont utilisées pour la production d'électricité ? Par ailleurs, que dit-il de la France et de sa position particulière ?

Je vais vous donner la parole pour environ 15 minutes, puis les membres de la commission d'enquête vous poseront leurs questions, en commençant par notre rapporteure, Mme Meynier-Millefert.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je suis dans l'obligation de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. François-Marie Bréon prête serment).

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Merci pour toutes ces questions. Je vais essayer d'y répondre le plus en détail possible dans les 15 minutes qui me sont imparties, étant entendu que je serai évidemment heureux d'y revenir par la suite si vous jugez que mes réponses ne sont pas suffisantes sur certains points.

Comme vous l'avez dit, je suis chercheur climatologue au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, qui est situé en région parisienne. J'ai été rédacteur du 5e rapport du GIEC, paru en 2014, mais je ne participe pas au 6e rapport, en cours d'élaboration.

Dans un cadre qui n'est pas directement professionnel, je suis membre de deux associations, dont je ne suis pas le porte-parole, même si je me nourris un peu de leurs réflexions : je fais partie du comité scientifique de l'association « Sauvons le climat » et j'appartiens au conseil d'administration de l'Association française pour l'information scientifique.

Je précise aussi que je suis salarié du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Je considère personnellement que ma parole est complètement libre, mais j'imagine que certains vont penser que, étant du CEA, j'ai forcément un conflit d'intérêts majeur sur ces sujets…

Quels sont les principaux messages en ce qui concerne le climat ? Je vais commencer par un résumé des travaux du GIEC.

Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal moteur du changement climatique mais il ne faut pas oublier qu'il y a d'autres contributions – il existe d'autres gaz à effet de serre et il y a les aérosols et le changement d'occupation des sols, qui sont également importants. Le moteur du changement climatique est parfaitement compris et quantifié. Il existe néanmoins des incertitudes sur ce qui va se passer dans l'avenir. Elles sont essentiellement liées aux rétroactions : le réchauffement du climat va modifier, par exemple, les nuages, les forêts et la végétation au sol, ce qui peut amplifier le réchauffement ou au contraire le réduire.

Je voudrais également insister sur le fait que les changements climatiques annoncés sont absolument considérables et surtout très rapides au regard des variations naturelles du climat que l'on a pu observer dans le passé et sur lesquelles on travaille en particulier dans mon laboratoire.

Par ailleurs, les dommages ne se situent pas sur les lieux d'émission des gaz à effet de serre. On voit bien que les pays qui en émettent le plus se situent aux latitudes moyennes de l'hémisphère Nord alors que les plus vulnérables au changement climatique sont plutôt les pays tropicaux, qui émettent assez peu de gaz à effet de serre. La diminution des émissions a donc une certaine dimension éthique. En outre, ceux qui vont le plus subir le réchauffement climatique sont nos descendants, qui ne sont pas encore nés ou, en tout cas, qui ne votent pas encore. Il faut se demander si nous travaillons uniquement pour nous ou pour des gens qui habitent ailleurs dans le monde ou qui ne sont pas encore nés.

Limiter le changement climatique à 1,5° ou 2°, comme on l'a été prévu dans le cadre de l'accord de Paris, demandera une diminution considérable et rapide des émissions de CO2. Il y a vraiment une urgence.

Le graphique suivant, qui est issu du rapport spécial « 1,5° » du GIEC, paru l'an dernier, montre les trajectoires des émissions de CO2 qui sont possibles si l'on veut vraiment limiter le changement climatique à 1,5° ou 2°. On doit arriver à des émissions quasiment nulles en 2050. Cela veut dire qu'il faudrait diminuer nos émissions de CO2 de 5 à 10 % par an, ce qui est absolument considérable.

(image non chargée)

Compte tenu de l'urgence, nous n'avons pas le temps de nous tromper de méthode. Il faut adopter des mesures efficaces pour diminuer nos émissions de carbone. Il n'est pas question de prendre des mesures servant uniquement à nous faire plaisir. Si on veut vraiment lutter contre le changement climatique, il faut prioritairement diminuer nos émissions de CO2, mais aussi d'autres gaz à effet de serre, en particulier le méthane et le protoxyde d'azote (N₂O). Les émissions de méthane résultent des fuites de gaz naturel, des décharges et de l'agriculture. Le protoxyde d'azote est essentiellement lié aux engrais utilisés dans l'agriculture. Enfin, le CO2 provient de l'utilisation des combustibles fossiles – charbon, pétrole ou gaz naturel.

Comment peut-on diminuer les émissions de carbone ? Il y a trois catégories de méthodes. La sobriété consiste à consommer moins de viande, à avoir des logements comptant moins de mètres carrés, à parcourir moins de kilomètres en voiture ou en avion, à acheter moins d'objets ou à prendre des douches plutôt que des bains, ce qui veut dire que l'on change de niveau de vie. L'efficacité, qui ne suppose pas de changer de niveau de vie, fait appel à la technologie pour émettre moins de carbone, par exemple en ayant une meilleure isolation des bâtiments, en utilisant des moteurs qui ont un meilleur rendement ou en faisant de la cogénération. L'électrification des usages énergétiques, enfin, implique de se chauffer à l'électricité ou d'avoir des voitures électriques plutôt que fonctionnant au fioul, à condition que l'électricité soit non carbonée.

J'insiste sur l'électrification car on entend souvent dire qu'il faut diminuer la consommation d'énergie et donc celle de l'électricité pour lutter contre les gaz à effet de serre. Selon moi, c'est une grave erreur de raisonnement : une augmentation de la consommation électrique peut être une très bonne chose pour le climat s'il y a un transfert entre des postes émetteurs de CO2 vers d'autres qui ne le sont pas.

J'en viens à la question des émissions de CO2 par secteurs – c'est-à-dire la production électrique, l'industrie, le transport routier, les autres transports, le résidentiel et le secteur tertiaire. La production d'électricité représente en moyenne un grand tiers des émissions de CO2 au plan mondial. Si on arrivait à décarboner complètement cette production, on n'aurait pas complètement résolu le problème, mais on aurait déjà bien avancé et ce serait encore plus vrai si on transférait des usages – si le transport routier devenait électrique, par exemple.

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En France, les émissions de CO2 dues à l'électricité sont extrêmement faibles par rapport à ce que l'on observe dans les autres pays figurant dans le graphique. Dans l'industrie, le transport routier et les autres transports, en revanche, soit on est dans la moyenne mondiale soit on a des valeurs plutôt plus fortes. S'il y a un domaine où la France est plutôt un bon élève et où on pourrait presque dire que nous sommes exemplaires, c'est la production d'électricité. Partout ailleurs, nous sommes dans la moyenne mondiale ou nous faisons moins bien. On peut donc trouver qu'il est extrêmement surprenant de se concentrer sur le seul secteur où nous sommes bons au niveau mondial quand on dit que l'on va réaliser une transition énergétique en France afin de limiter l'impact de notre pays sur le climat – il faudrait se concentrer sur les transports, l'industrie et le secteur résidentiel.

Je vais maintenant vous montrer quelques graphiques relatifs à l'électricité en France et faire quelques commentaires sur ce sujet. Les énergies renouvelables dont nous parlons produisent essentiellement de l'électricité, avec l'objectif de remplacer le nucléaire. Ces figures, que j'ai réalisées à partir de données fournies par Réseau de transport d'électricité (RTE), décrivent 7 ans de consommation et de production d'électricité en France.

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La consommation, représentée par la courbe noire, varie typiquement entre 40 et 80 gigawatts (GW), selon un cycle annuel très important – tout le monde sait que la France consomme plus d'électricité en hiver, essentiellement du fait du chauffage. La production d'électricité nucléaire, qui est représentée en vert, suit relativement bien la consommation : on ajuste la production des centrales, qui est plus faible en été et plus importante en hiver. La production nucléaire est vraiment ajustée à la demande : elle est pilotable. Les autres sources utilisées sont également représentées, en particulier l'hydraulique, qui figure en bleu. Dans ce domaine, on atteint un maximum au printemps, et il y a de très importantes variations quotidiennes, qui permettent aussi de s'ajuster à la demande. La courbe rouge correspond aux énergies renouvelables : elles sont en croissance, mais ce n'est pas très visible car elles représentent une partie faible de la production.

J'ai donc réalisé un autre graphique qui est identique au précédent à ceci près que j'ai multiplié les énergies renouvelables par 5, ce qui permet de figurer un peu ce que pourrait être la production électrique en France grâce aux énergies renouvelables si on mettait en place, dans les 15 prochaines années, toutes les mesures dont il est question aujourd'hui – à savoir la multiplication des éoliennes et du photovoltaïque. On voit que la production des énergies renouvelables est extrêmement aléatoire : il y a de très fortes variations d'un jour à l'autre sans qu'il existe nécessairement une corrélation avec la demande, avec le besoin en France, ce qui conduirait évidemment à des contraintes importantes pour le réseau électrique.

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Je vais maintenant faire un gros plan sur un mois donné afin que l'on puisse mieux voir les variations rapides qui se produisent du côté des énergies renouvelables. C'est le même type de graphique que précédemment, mais on va se concentrer sur le mois de décembre dernier, où la consommation a été assez importante.

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On voit bien le cycle quotidien et le cycle hebdomadaire – on consomme moins le week-end que pendant les jours de semaine – mais aussi l'effet du 25 décembre – la plupart des industries étant fermées, la consommation est plus faible. Il y a eu des périodes, par exemple autour des 7,8 et 9 décembre, où il y avait beaucoup de vent et où la production éolienne, si on avait vraiment multiplié par 5 le parc actuel, aurait permis de répondre à la demande en électricité. Vers les 26, 27, 28 et 29 décembre, en revanche, il y a eu une assez longue période pendant laquelle la production aurait été extrêmement faible, alors même que j'ai multiplié par 5 la production d'électricité éolienne dans mon modèle, ce qui représente une capacité installée de 75 GW – c'est considérable : cela va au-delà de la capacité installée dans le secteur nucléaire à l'heure actuelle.

La grande question, que je ne suis pas le premier à poser, est la suivante : dans un tel système, que fait-on pendant cette période ? Comment produit-on l'électricité dont on a besoin ? On peut subvenir aux besoins de différentes manières : il est possible d'ajuster la demande en demandant de consommer moins – on peut fermer des industries, arrêter des trains, demander que les machines à laver tournent le lendemain, voire la semaine suivante, car des périodes sans vent peuvent durer plus d'une semaine –, on peut faire du stockage et déstocker en cas de besoin, on peut recourir au « foisonnement » et supposer que nos voisins vont apporter l'électricité dont on a besoin, et on peut aussi avoir un « backup » pilotable, qui doit être peu utilisé, en particulier s'il fait appel au gaz. Chacune de ces solutions a un coût : cela va demander des moyens, des infrastructures, et il serait d'ailleurs assez normal que les coûts d'infrastructure et de réseaux correspondants soient inclus dans le bilan financier des énergies renouvelables – or on ne le fait absolument jamais. En pratique, le coût est prohibitif, comme l'a indiqué Jean-Marc Jancovici lors de son audition, il y a quelques semaines.

Il est possible, et relativement facile, de compenser l'intermittence des énergies renouvelables lorsque leur part est relativement faible et lorsqu'il y a une part d'énergie fossile, de gaz ou de charbon, qui reste importante, car on peut piloter la production ; mais si on vise un système électrique dans lequel il y a très peu de combustible fossile, cela devient extrêmement difficile.

En ce qui concerne le foisonnement, je vais vous montrer la carte des vents en France et en Europe lors de l'épisode dont je viens de parler – à la fin du mois de décembre de l'année dernière. On voit qu'il y avait très peu de vent sur presque l'ensemble de l'Europe de l'Ouest pendant ces 4 jours. On dit souvent qu'il y a toujours du vent quelque part – c'est vrai, mais y en a-t-il suffisamment pour assurer la production électrique ? Dans la période dont je vous parle, ce n'était absolument pas le cas. La production éolienne dans l'ensemble de l'Europe de l'Ouest aurait été beaucoup trop faible pour assurer la production d'électricité dont on avait besoin.

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Par ailleurs, j'ai participé à l'encadrement de la thèse de Sylvain Lassonde, qui a été soutenue l'année dernière : il a regardé quelles sont, dans le passé, les périodes qui pourraient être dimensionnantes pour un système électrique. Il a identifié plusieurs périodes, pouvant aller jusqu'à un mois, pendant lesquelles la production éolienne dans l'ensemble de l'Europe de l'Ouest était extrêmement faible.

Même si je vais vite, je voudrais aussi rappeler que l'Allemagne, qui est souvent présentée comme un modèle à suivre, compte tenu des capacités installées en matière d'électricité éolienne et solaire, connaît en pratique des périodes importantes, comme celle dont je viens de parler, pendant lesquelles la production d'électricité solaire est très faible, en particulier en hiver et la nuit, et pendant lesquelles le vent est très faible. Dans ce cas, on est obligé de démarrer des centrales au charbon ou au gaz, ce qui a un impact important en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Je le répète : selon moi, l'objectif prioritaire est de diminuer ces émissions, et je ne peux donc pas accepter qu'il y ait des périodes fréquentes et longues pendant lesquelles on utilise du charbon ou du gaz pour assurer la production électrique. Il n'y a pas plus de vent ou de soleil en France pendant les mêmes périodes, mais on a une capacité nucléaire importante qui permet d'assurer l'essentiel de la production électrique, presque sans émettre de gaz à effet de serre.

J'ai beaucoup parlé de l'éolien car c'est ce qui se développe le plus vite aujourd'hui, mais je voudrais également aborder la question du solaire. Tout ce que j'ai dit à propos de l'éolien – il y a vraiment un grave problème du fait de l'intermittence – est encore plus vrai dans le cas du solaire. Je vais m'appuyer sur un graphique qui fait apparaître uniquement le solaire, et non plus un mélange avec l'éolien.

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Il y a eu un développement très rapide du solaire : la production était nettement plus importante en 2018 qu'en 2012, ce que certains considèrent comme un élément très favorable, mais on voit aussi que cette production est complètement anticorrélée avec la demande, c'est-à-dire la consommation. Le solaire produit beaucoup l'été, alors que la consommation est assez faible, et produit vraiment très peu l'hiver, au moment où la consommation est maximale. Pour moi, le solaire est une aberration en France : développer cette énergie ne présente absolument aucun intérêt, et je ne comprends donc pas qu'on le fasse.

Je ne comprends pas, en particulier, que l'on favorise l'autoconsommation. J'ai préparé une figure, là encore à partir de données provenant de RTE, qui montre la consommation moins la production nucléaire et hydraulique, sur l'axe des abscisses, et la production photovoltaïque sur l'axe des ordonnées. Pour résumer, lorsqu'il y a des excès de production, la production photovoltaïque est importante et, au contraire, lorsqu'il y a des besoins d'électricité, cette production est très faible. En favorisant l'autoconsommation, on accentue la décorrélation entre les besoins et la production et donc on finance la déstabilisation du système par les particuliers.

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On évoque aujourd'hui la question du changement climatique pour favoriser et financer l'installation de capacités dans le domaine du photovoltaïque et dans celui de l'éolien tout en disant que l'on va limiter la puissance nucléaire. Cela revient à se tromper d'objectif : on est en train de consacrer des moyens considérables à quelque chose qui n'a aucun impact sur les émissions de gaz à effet de serre, et on va même dégrader la performance du système électrique français en termes d'émissions de CO2, car on va devoir utiliser du gaz pour compenser l'intermittence des énergies renouvelables (EnR). Tant qu'on n'a pas résolu la question du stockage à grande échelle, il ne faudrait pas développer les EnR. En revanche, on doit continuer à faire de la recherche sur le stockage à grande échelle afin d'intégrer éventuellement ces énergies.

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Nous venons d'examiner le projet de loi relatif à l'énergie et au climat. Une des questions que nous nous sommes posées concerne la référence à un facteur 4, 6 ou 8. Il y a eu des débats parlementaires assez intenses sur ce sujet et peut-être aussi des difficultés à appréhender ce que cela représente exactement pour l'évolution des modèles économiques et sociaux. Quel regard portez-vous sur la faisabilité de la neutralité carbone et sur les débats que nous avons eus à propos de la division par 4, 6 ou 8 des émissions de gaz à effet de serre ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je pense que l'immense majorité des gens ne se rend pas compte de ce que veut dire aller à la neutralité carbone, voire diminuer par 4 nos émissions. Cela demande une modification absolument considérable de nos sociétés et nous n'y sommes très clairement pas prêts. Il y a eu un débat, la semaine dernière, sur l'interdiction ou non des déplacements en avion au sein de la métropole. On ne devrait même pas se poser la question : il est évident que dans une France qui aura divisé ses émissions de gaz à effet de serre par 4, il n'y aura plus d'avion – on ne peut pas y arriver si on conserve le transport aérien. De nombreuses questions de ce type se posent. Le fait qu'il y ait encore ce genre de débats montre bien que l'on n'a pas réalisé ce que veut dire diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre.

Est-ce possible ? Disons que c'est le cas techniquement, puisque nos ancêtres ont vécu avec des émissions de carbone beaucoup plus faibles que celles d'aujourd'hui. C'est faisable. Mais peut-on imaginer, en particulier dans une démocratie, que l'on mette en place les mesures permettant d'y arriver ? Je suis assez pessimiste.

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Il y a donc une contradiction. Vous avez travaillé sur le rapport du GIEC qui dit, en substance, « encore quarante jours, et Ninive sera détruite » (Sourires).

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Non, ce n'est pas ce que dit le rapport du GIEC.

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On nous dit qu'il faut mettre les moyens maintenant, qu'il faut accélérer, afin de respecter l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5 ou 2°. Le moyen est de diviser par 4, 6 ou 8 les émissions, mais vous nous dites que les sociétés ne sont pas prêtes pour le facteur 4, que cela suppose un changement radical. Par conséquent, que doit-on faire ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je voudrais d'abord rétablir un fait : le GIEC ne dit pas que c'est ce qu'il faut faire, mais que si l'on veut stabiliser le climat, en limitant à 2° la hausse des températures, c'est ce qu'il faut faire. Le GIEC n'est pas prescriptif sur le point de savoir s'il est plus important de garantir le niveau de vie ou de limiter le changement climatique. Ce n'est pas une question scientifique mais politique. Les États, lors de la COP21, se sont mis d'accord sur un objectif qui est de limiter le changement climatique à +2°. C'est une décision politique. Le GIEC explique ensuite ce qu'il faut faire pour atteindre cet objectif : il faut arriver à la neutralité carbone d'ici à 2050.

Je vous ai dit que je suis pessimiste. J'ai peut-être tort : peut-être qu'on pourra quand même y arriver, que les gens vont prendre conscience et qu'il va y avoir des développements techniques. Par ailleurs, même si je suis pessimiste, je pense que chaque demi-degré compte : le changement climatique est plus grave si la hausse est de 2° plutôt que de 1,5° ; c'est plus grave encore si elle atteint 2,5° ou a fortiori 3°. Notre devoir est quand même d'essayer de limiter autant que possible le changement climatique. On verra à quoi on arrivera, mais on n'a pas le droit de dire que se limiter à 2° n'est pas possible et que, par conséquent, on ne fait rien.

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L'impact que la France peut avoir sur le total des émissions de CO2 dans le monde en divisant par 6 ou par 8 ses propres émissions est de l'ordre du dix-millième de degré…

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Ce n'est peut-être pas un dix millième de degré, mais vous avez tout à fait raison : si la France est la seule à réaliser un effort, dans son coin, elle subira le changement climatique de la même manière que les autres pays. Le CO2 n'a pas de frontière. La lutte contre le changement climatique est nécessairement un effort international, et c'est d'ailleurs ce qui rend les choses difficiles, j'en suis bien conscient.

On peut quand même modérer un petit peu ce propos. En plus de l'impact des émissions de carbone sur le climat, qui nous pousse à limiter celles-ci, il y aura aussi des contraintes du point de vue de l'approvisionnement en combustible fossile. La France ayant peu de réserves, nous avons intérêt à sortir du carbone pour être moins affectés par cette fin du pétrole. La question de savoir si nous avons déjà passé le peak oil ou si ce sera dans dix ans suscite le débat mais il est clair que nous connaîtrons au cours de ce siècle, voire au cours de ce demi-siècle, des contraintes importantes de ce point de vue. Nous avons donc tout intérêt, indépendamment même de la question climatique, à limiter nos importations de combustibles fossiles et à nous préparer à des contraintes fortes en ce qui concerne l'approvisionnement.

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Si nous ne faisions pas ce que nous faisons actuellement, faudrait-il affecter les montants à d'autres secteurs dont vous avez parlé, comme l'industrie et les transports ? Pour vous, la politique en faveur de la transition énergétique devrait-elle reposer davantage sur les transports ? Son acceptabilité sociale serait-elle plus élevée ?

Ou bien faut-il tout simplement arrêter de lutter contre le réchauffement et consacrer notre argent à nous y adapter ? La Chine et les États-Unis faisant très peu d'efforts, nous partirions du principe qu'effectivement le climat se réchauffera de deux degrés, nous ferions une simulation et, si nous constations, par exemple, qu'il faut déménager la ville d'Amiens ou je ne sais quelle autre, nous en tirerions les conséquences. De même, nous nous préparerions, par exemple, au fait qu'on cultivera la vigne à Lille en 2100.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Le climat changera de toute façon et se réchauffera. Il faudra donc de toute façon des politiques d'adaptation. Elles ne se résument cependant pas à des problématiques de coût ; il s'agit aussi des comportements. Cela veut dire que les nouveaux bâtiments devront être construits différemment, et cela ne coûtera pas forcément beaucoup plus cher.

Par ailleurs, nous devons aussi réduire nos émissions, un peu pour donner l'exemple et montrer que c'est possible et aussi parce que nous avons besoin de limiter nos importations et notre dépendance aux combustibles fossiles, car ce sera de toute façon, indépendamment de la question climatique, un problème au cours du XXIe siècle. Quant à l'acceptabilité, il sera difficile de faire admettre le déménagement d'Amiens… Il deviendra certes plus difficile d'habiter certaines régions françaises et il faudra consacrer de l'argent à cette question, mais il ne me semble pas que ce soit « l'un ou l'autre ».

En revanche, il me paraît très clair que l'argent consacré au développement des énergies renouvelables électriques, essentiellement pour réduire la part du nucléaire, ne sert ni à l'adaptation ni à la mitigation. C'est autant d'argent qui pourrait être employé bien plus utilement. Encore une fois, je cite Jean-Marc Jancovici que vous avez déjà auditionné. Il faisait remarquer que l'argent consacré à subventionner les énergies renouvelables aurait permis d'équiper pratiquement toutes les maisons individuelles de pompes à chaleur, donc de diminuer très fortement les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage de ces maisons.

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Merci, monsieur, pour vos propos, qui complètent effectivement ceux qu'a tenus M. Jancovici, qui nous a donné des explications très similaires aux vôtres. Votre argumentaire est extrêmement logique mais ne repose-t-il quand même pas largement sur le fait que vous ne croyez pas au stockage ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

À l'heure actuelle, le stockage n'existe pas. Même en Allemagne, pays qui connaît quand même déjà de gros problèmes liés à l'intermittence, avec pas mal de périodes de prix négatifs, il n'y a aujourd'hui pas de stockage. Je me suis amusé à calculer ce matin quel temps de consommation électrique peut être stocké sur l'ensemble des batteries du monde : moins d'une minute de production électrique.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

À très peu de chose près, c'est la même chose. Et lorsque je dis « moins d'une minute », je veux dire : un dixième de minute. En France, c'est le même ordre de grandeur.

Je parle des batteries mais nous avons quand même des moyens de stockage de l'électricité, beaucoup plus volumineux, les fameuses stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) : de l'eau est pompée d'un barrage bas vers un barrage haut quand vous avez trop d'électricité, et vous la turbinez pendant la nuit. On ne parle que de quelques pourcents, et je ne pense pas envisageable, aujourd'hui, en France, de multiplier par dix les barrages que vous trouvez dans les Alpes. Voyez les difficultés rencontrées à Sivens, dans le Tarn. La perspective d'une multiplication de ce type de barrages me paraît peu crédible, alors même que c'est le moyen de stockage de l'électricité le plus efficace aujourd'hui.

Aujourd'hui, il n'y a donc pas vraiment de solutions de stockage. Peut-être quelqu'un aura-t-il une excellente idée pour un stockage pas trop cher et efficace, c'est-à-dire sans trop de pertes en ligne. Ce jour-là, je serai prêt à changer d'opinion. Tant que cela n'existe pas, je trouve vraiment dangereux de se lancer à corps perdu dans le développement des énergies renouvelables, aléatoires, intermittentes, mais je le répète : je suis prêt à changer d'opinion lorsqu'une solution de stockage apparaît.

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Êtes-vous aussi un expert du stockage ? Pouvez-vous nous expliquer les progrès réalisés ces dernières années ? Sont-ils rapides ? Il me semble que le CEA finance un certain nombre de recherches sur les batteries… Est-ce une expertise particulière en ce domaine qui vous permet d'affirmer qu'aujourd'hui cela n'existe pas et que cela n'existera pas non plus dans un avenir plus ou moins lointain ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Mon expertise est celle de quelqu'un qui lit énormément sur ces sujets, mais qui n'a jamais travaillé lui-même sur la question. Je vous répète ce que j'ai pu lire, avec un œil un peu critique de scientifique – mais pas plus que cela.

Aujourd'hui, le moyen le plus efficace de stocker de l'électricité, ce sont ces fameuses STEP. Elles existent, et peut-être progresseront-elles de 10 % mais nous n'allons pas en doubler la capacité en France au cours des prochaines années, parce que cela nécessite de noyer des vallées.

Le deuxième moyen auquel on pense, ce sont les batteries. Je vous l'ai dit, les quantités stockées sont ridiculement faibles. On peut parfaitement envisager que cela se développe à l'avenir, on peut envisager d'arriver à stocker une heure de consommation électrique, quelque chose de cet ordre de grandeur – cela paraît faisable. S'il s'agit d'affronter une semaine au cours de laquelle il n'y a pas de vent… Aucune étude ne présente comme crédible l'éventualité du stockage d'une telle quantité d'électricité.

Une troisième méthode pour stocker de l'électricité, a priori plus adaptée à large échelle, consisterait à utiliser les surplus d'électricité pour fabriquer d'abord de l'hydrogène et ensuite du méthane, avant de brûler, les jours sans vent, ce méthane dans des méthaniseurs. Cette méthode ne se heurte pas aux mêmes limites que les précédentes. En revanche, le rendement de ce système n'est tout de même pas terrible, puisque c'est, en gros, un tiers ou un quart de l'électricité employée au départ qui est récupéré. D'autre part, cela requiert de considérables infrastructures. Il faut effectivement être capable d'absorber le surplus d'électricité au moment où il se présente. Il faut donc dimensionner ces systèmes sur une production qui arrive une fois par semaine ou quelque chose comme cela. Il faut aussi dimensionner le système pour brûler le gaz au bon moment, lorsque le besoin d'électricité est plus fort. Cela demande des infrastructures absolument considérables, pour des rendements médiocres. Globalement, le système ne paraît pas très attractif.

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Pouvez-vous nous dire un mot des questions de stockage directement dans les réseaux de chaleur ou dans le froid ? Cela fait partie des pistes explorées. Cet outil pourrait-il être développé pour « effacer » les pics dont nous parlons ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je me suis beaucoup intéressé à l'électricité et très peu à la chaleur et aux moyens de stockage de la chaleur. Je ne crois pas avoir une opinion suffisamment informée pour vous répondre.

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La question de la chaleur est un peu un angle mort, alors que c'est pourtant le chauffage en hiver qui engendre les pics les plus importants. Cela étant, il pourra y en avoir en été, avec la climatisation, précisément pour se protéger de la chaleur. Peut-on imaginer un deuxième pic, en été, identique à celui de l'hiver, avec les mêmes effets en termes d'émissions carbonées ? Ou l'énergie solaire, de l'utilité de laquelle vous doutiez tout à l'heure, pourrait-elle alors trouver son utilité ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Tout à fait. En France, le pic de production se situe très clairement en hiver. Ce n'est pas vrai partout : aux États-Unis, le pic des besoins et de la consommation est en été. On peut donc imaginer qu'en cas de réchauffement climatique très important nous nous rapprocherions des conditions de la Floride ou de la Californie, et nous aurions donc besoin de moins de chauffage et de plus de climatisation. Dès lors, ce que je disais sur l'anti-corrélation du solaire et de la consommation deviendrait faux.

J'espère cependant que nous parviendrons à limiter le changement climatique de manière à ce que le climat de la France ne devienne pas celui de la Floride. J'envisage plutôt les vingt ou trente prochaines années, au cours desquelles ce scénario ne se réalisera très probablement pas. Le pic de consommation restera donc en hiver.

Je vous ai dit ne pas être compétent en matière de réseaux de chaleurs et préférer ne pas répondre à votre question. Il faut quand même dire quelque chose. À titre personnel, vous l'avez entendu, je ne suis vraiment pas favorable au développement des énergies renouvelables en France aujourd'hui, mais j'aurais dû préciser que cela s'applique uniquement aux énergies renouvelables électriques. Pour moi, il est très clair qu'il y a des énergies renouvelables thermiques qui sont très utiles – cela va donc dans le sens de ce que vous suggériez. On pourrait parfaitement imaginer de recourir davantage au solaire pour fabriquer de l'eau chaude. Si je suis contre le solaire photovoltaïque et favorable au solaire thermique qui permet de faire de l'eau chaude, c'est parce que l'eau chaude se stocke très bien. Si vous fabriquez de l'eau chaude un jour, trois jours plus tard, votre ballon d'eau chaude est encore plein, et il reste également plein la nuit. Le problème de l'intermittence, en raison duquel je suis très défavorable au solaire photovoltaïque, ne se pose pas du tout pour le solaire thermique ; on peut donc imaginer d'autres choses. D'ailleurs, j'ai aussi mentionné les pompes à chaleur. Je vous l'ai dit, je suis très favorable au développement des pompes à chaleur, qui vont utiliser de l'électricité mais qui prendront surtout de l'énergie directement de l'air. Les pompes à chaleur permettent d'exploiter une énergie renouvelable qui est la chaleur du sol ou la chaleur de l'air, donc, oui, il y a beaucoup de choses à faire. Je suis d'accord avec ce que vous avez dit sur tout ce qui est énergies renouvelables thermiques et, peut-être, stockage de l'énergie thermique – mais je ne suis pas très compétent sur ce point, je l'ai dit.

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N'y a-t-il pas quelque contradiction dans vos propos ? D'un côté, vous dites qu'on ne parviendra pas au facteur 4 et qu'il faudra des stratégies d'adaptation au changement climatique. De l'autre, vous dites que le solaire est une solution en été. S'il y a forcément un changement climatique, n'avons-nous pas intérêt à anticiper ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Le changement climatique est déjà là. Je ne vous l'apprends pas : nous avons battu la semaine dernière le record de température en France, quasiment de deux degrés, ce qui est énorme. Le niveau des océans monte, des populations d'animaux se déplacent vers le nord… Il ne faut pas parler du « futur » changement climatique. Nous y sommes déjà, et il s'accentuera.

Je vous ai dit être pessimiste sur notre capacité à limiter le réchauffement à 1,5 ou 2 degrés. Cela ne veut pas dire que je sois certain que nous n'y arriverons pas. En outre, je répète qu'une hausse des températures de 1,5 degré vaut mieux qu'une hausse de 2 degrés, qu'une hausse de 2 degrés vaut mieux qu'une hausse de 3 degrés, etc. Il faut donc quand même faire des efforts.

Et, oui, il faut se préparer à une adaptation, mais je ne crois pas que ce soit contradictoire. Je ne vois pas où est la contradiction. Je cherche des mesures qui limitent le changement climatique et les émissions de CO2, et des mesures qui soient efficaces. Je veux que la transition énergétique en France ait vraiment pour objectif premier de diminuer nos émissions de CO2 et d'autres gaz à effet de serre. Ce devrait être notre ligne de conduite, et, pour chaque investissement, nous devrions regarder combien d'euros sont dépensés par tonne de CO2 évitée. De ce point de vue, le développement des panneaux photovoltaïques en France a un coût considérable. Il peut même être négatif, car le photovoltaïque peut conduire à une augmentation des émissions.

Je ne sais pas si j'ai complètement répondu à la question que vous aviez en tête.

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Je vais la compléter. Si je parlais de contradiction, c'est que, tout en soulignant que le photovoltaïque ne peut couvrir les besoins des pics d'hiver, vous annonciez comme inévitables des pics d'été. Si le photovoltaïque est suffisamment efficace en été, cela justifierait qu'on le développe…

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Aujourd'hui, nous avons un système de production électrique dimensionné pour l'hiver. Il en résulte une surcapacité pour l'été. Nous n'avons donc aucun mal à répondre à la demande.

Je regarde pratiquement tous les jours les niveaux de l'offre et de la demande d'électricité en Europe. Pendant la semaine de canicule, la consommation avait beau être à son maximum en raison du développement de la climatisation, nous parvenions encore à exporter près de dix gigawatts en Allemagne ! Nous étions donc très loin d'avoir besoin de production supplémentaire. Le système de production, dimensionné pour l'hiver, suffit largement à répondre aux besoins de l'été.

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Vous disiez en préambule qu'il était important de ne pas se tromper de méthode, mais, en résumé, votre propre méthode consisterait à consacrer tout l'argent investi dans le développement des énergies renouvelables électriques à la réduction des émissions de carbone.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Mon objectif premier est effectivement de diminuer les émissions de CO2 en France, dont les principales sources sont, en France, actuellement, le transport et le résidentiel.

Je peux donner l'impression que tout ce que je veux c'est plus de centrales nucléaires en France et tout faire avec la technologie, mais ce n'est pas cela. Je suis bien persuadé qu'il va falloir adapter nos comportements. Il faut donc viser la sobriété, réduire certains usages, faire moins de kilomètres, peut-être avoir des maisons moins grandes, mieux isoler – ce pour quoi on a effectivement besoin de la technologie. Pour le reste, il faut développer les pompes à chaleur pour le chauffage des habitations, ce qui va demander de l'électricité supplémentaire, il faut développer les transports en commun, développer les voitures électriques. Cela aussi demandera de l'électricité supplémentaire. Cela dit, il faut aussi un changement des comportements, il faut aussi aller vers une certaine sobriété. Je ne veux pas que l'on retienne que François-Marie Bréon pense que nous n'allons pas changer nos habitudes et que le nucléaire résoudra tout. Ce n'est pas du tout mon propos.

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Je l'entends bien. C'est d'ailleurs ce que j'avais compris lorsque vous évoquiez l'augmentation de la production d'électricité : non pour consacrer plus d'électricité aux usages actuels mais en vue de plus de sobriété dans les usages, d'une décarbonation des secteurs existants et d'un transfert des secteurs carbonés vers une électrification.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

C'est exactement cela.

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Nous nous sommes bien compris.

Puisque vous parliez de technologie, êtes-vous au fait de ce qui concerne la captation du carbone présent dans l'atmosphère ? Pour l'instant, ces technologies ne sont pas complètement abouties, mais des start-ups développent des outils qui récupèrent le CO2 présent dans l'atmosphère pour le transformer en d'autres produits, par exemple des carburants.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

C'est effectivement quelque chose que je connais bien. Des membres du laboratoire dont je suis directeur-adjoint travaillent sur ces questions, je suis donc bien obligé de m'y intéresser, même si je n'y travaille pas directement moi-même.

Pomper directement le carbone de l'air, ce n'est pas du tout efficace, cela demande énormément d'énergie ; je n'y crois pas tellement.

En revanche, la végétation est extrêmement efficace pour pomper le carbone de l'air – la végétation avec le soleil, en fait. Les solutions de décarbonation passent, pour moi, par une exploitation, évidemment raisonnée, de la végétation. Ce qui est envisagé et qui me paraît assez crédible, c'est d'exploiter la forêt. Le carbone stocké par la forêt peut être laissé sur place, ce qui est déjà pas mal, ou bien on en fait du bois d'œuvre. On peut imaginer que les bâtiments pourraient comporter plus de bois qu'aujourd'hui. Le bois, ce n'est jamais que du carbone stocké. Si nous arrivons à le stocker sur le long terme, c'est une bonne chose.

Des solutions qui vont plus loin technologiquement sont aussi envisagées, comme le fait de brûler ce bois dans des centrales qui produisent de l'électricité et de récupérer le dioxyde de carbone produit par la combustion pour l'injecter dans le sous-sol. Des expériences pilotes sont déjà menées. Un certain nombre de personnes jugent que le potentiel est important. D'ailleurs, le stockage du carbone dans le sous-sol figure largement dans les scénarios du GIEC dans lesquels le climat est stabilisé. C'est techniquement possible, il n'y a pas de doute. Les sites favorables existent, mais il n'y en a pas partout, et cela requiert tout de même des investissements importants. Tout cela ne pourra donc se développer que si le carbone a un prix assez élevé, mais cela paraît faisable.

Ensuite, la question de l'acceptabilité sociale pourra être posée. Les gens seront-ils d'accord pour avoir du dioxyde de carbone sous pression sous leurs pieds ? Je suis certain qu'il y aura des oppositions ; on peut bien sûr y faire face. À titre personnel, je serais beaucoup plus à l'aise si des déchets nucléaires solides sont enfouis dans une couche d'argile à 500 mètres de profondeur que si du dioxyde de carbone se trouve sous pression au même endroit. Je crains bien plus un relargage de dioxyde de carbone qui tuera tout le monde – plus lourd que l'air, le dioxyde de carbone reste en surface et tout le monde suffoquera – que des déchets nucléaires, sous forme solide, dont la remontée prendra bien longtemps.

Pour ma part, j'aurais plus protesté contre la présence de CO2 sous pression dans mon sous-sol que contre des déchets nucléaires – je fais un peu de provocation.

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J'ai bien compris…

Vous dites que la captation du CO2 dans l'air n'est pas du tout efficace. Depuis combien de temps la question est-elle étudiée dans votre laboratoire ? Et les personnes qui l'étudient effectivement partagent-elles votre point de vue, ou est-ce votre intuition, à vous qui ne participez pas à ces recherches ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Mon laboratoire contribue précisément aux travaux sur la captation du carbone par la végétation, qui est relativement efficace.

Il y a des calculs théoriques. Le problème du dioxyde de carbone est qu'il est très peu concentré dans l'air. L'extraire de l'air demande donc de l'énergie. Je pense donc qu'il y a des limites théoriques à cette efficacité de l'extraction du carbone de l'air.

Extraire du carbone de l'air via la végétation, cela marche. Il n'est pas forcément nécessaire de développer autre chose. La question est simplement de savoir ce que l'on fait du carbone une fois récupéré.

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Donc, vous n'êtes pas spécialiste de la captation du carbone dans l'air, vous consacrez plutôt vos travaux à la captation par le végétal, dont vous êtes convaincu de l'intérêt. Ceux qui font des recherches sur le stockage et la captation du carbone dans l'air tiendront peut-être un autre discours ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je ne suis pas spécialiste de la question, mais je pense qu'il existe des limites théoriques aux possibilités d'extraction du carbone de l'air, et cette technique requiert beaucoup d'énergie. Mais il serait préférable d'en avoir confirmation auprès d'un autre spécialiste.

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Vous affirmez que dans une démocratie, il ne sera pas possible de tenir l'objectif de réduction des émissions d'un facteur quatre. Pensez-vous que la transition énergétique ne sera jamais socialement acceptable ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Cette question devrait être posée à un sociologue, mais voyez ce qu'il se passe lorsque le prix de l'essence augmente de trois centimes. Les mesures nécessaires pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre d'un facteur quatre seraient infiniment plus exigeantes.

Beaucoup dépendra du cadre dans lequel ces mesures seront prises, entre 1914 et 1918, plusieurs millions de personnes ont accepté du subir les conditions de vie abominables des tranchées. Peut-être que ce qui m'apparaît impossible sera accepté par la population si celle-ci est dans le bon état d'esprit ? Mais cela me paraît peu crédible au vu des réactions à la proposition d'arrêter de prendre l'avion en France, d'augmenter le prix de l'essence de trois centimes ou de réduire un peu la natalité. Nous voyons que ces mesures nécessaires passent très mal. Je suis pessimiste à ce sujet, mais j'ai peut-être tort.

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Votre exemple me fait réagir : en temps de guerre, les populations sont placées sous le régime de la loi martiale, et l'on ne demande pas au peuple ce qu'il veut.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Vous avez raison !

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Avez-vous modélisé l'impact de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie sur les émissions de carbone ? La loi a reporté à 2035 la réduction à 50 % de la part de l'énergie nucléaire dans le bouquet électrique, et le Gouvernement va adopter la programmation pluriannuelle de l'énergie dans la foulée. Les conséquences de la forte augmentation de production d'électricité photovoltaïque et éolienne, offshore et terrestre, sur les émissions de CO2 doivent pouvoir se modéliser.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

J'ai déposé un sujet de thèse à ce sujet, il a été retenu et sera financé par le CEA. Le travail commencera le 1er octobre et je n'en ai évidemment pas les résultats.

Il revient également à RTE d'effectuer ce travail. L'année dernière, cet opérateur a esquissé un certain nombre de scénarios selon lesquels augmenter la part des énergies renouvelables en France entraînerait des émissions de CO2 supplémentaires au cours des vingt prochaines années.

Mais les résultats de ces études dépendent de certains facteurs que nous ne contrôlons pas, en particulier les mesures décidées par les pays voisins. Si l'Allemagne continue de largement recourir aux centrales à charbon, il sera possible d'envisager un fort développement des énergies renouvelables en France : lorsque nous serons en surproduction, nous pourrons vendre l'excédent à l'Allemagne, et lorsque notre production sera déficitaire par rapport à nos besoins, nous pourrons lui acheter l'électricité qui nous manque. En revanche, si l'Allemagne fait les mêmes choix que nous en diminuant fortement ses moyens pilotables de production électrique et se repose sur des moyens variables fortement corrélés à ceux de la France, car il fait nuit en même temps en Allemagne et en France, et le vent y souffle généralement dans les mêmes proportions, il ne sera pas possible d'utiliser ces interconnexions. La modélisation du système est donc compliquée en ce qu'elle dépend aussi de ce que vont faire les autres pays.

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Pourriez-vous apporter des précisions sur l'autoconsommation ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

J'ai élaboré le graphique suivant à partir des données de RTE, afin de faire apparaître les besoins qui n'étaient pas pourvus par le nucléaire et l'électricité.

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Donc les autoconsommateurs consomment lorsque nous aurions besoin qu'ils alimentent le réseau ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Ils produisent en même temps que tout le monde, lorsqu'il y a déjà trop d'électricité, mais pas pendant la pointe de l'hiver.

Le problème du système électrique en France se pose les jours froids, en hiver, à 19 heures. C'est dans ces moments que le système est sous contrainte et que nous sommes obligés de démarrer des centrales fossiles. Dans ces moments, les autoconsommateurs ne vont rien produire et solliciter le système de la même manière que les autres. Donc l'autoconsommation n'apporte rien au système, elle ne résout pas le problème des pointes de consommation en hiver. En finançant le photovoltaïque, nous détruisons la stabilité du système électrique.

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Avez-vous le même jugement concernant l'autoconsommation de petite hydroélectricité ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Pas du tout, car la petite hydroélectricité n'est pas négativement corrélée aux besoins, elle ne pose pas de problème.

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Tout est en fait une question de stockage : tant que nous ne saurons pas comment stocker, nous ne résoudrons pas ce problème.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je répète que si l'on invente un mode de stockage efficace à un coût raisonnable, je changerai d'avis.

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Il existe plusieurs possibilités de stockage, notamment en utilisant l'hydrogène, dont il est souvent question actuellement. Nous ne sommes pas loin d'aboutir à des solutions, notamment en produisant de l'hydrogène par électrolyse lors des périodes de surproduction, pour l'utiliser ensuite pour produire de l'électricité lors des moments de besoin. Cela vous semble-t-il un doux rêve ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

J'ai évoqué les travaux menés sur cette question avant que vous n'arriviez. Il existe une limite théorique à l'efficacité de cette solution : le rapport entre l'électricité injectée dans le système et celle qui est récupérée à la sortie sera de trois ou quatre. Et les infrastructures nécessaires sont considérables, il faut en évaluer le coût.

Aujourd'hui, l'Allemagne connaît déjà un sérieux problème d'intermittence : les prix de l'électricité sont négatifs à certaines périodes. Si ces systèmes étaient viables, ils seraient mis en œuvre en Allemagne pour produire de l'hydrogène quand les prix sont négatifs et revendre de l'électricité quand le prix est au maximum. Or ce système n'est pas mis en place en Allemagne, il ne doit donc pas être rentable, malgré les épisodes de prix négatifs.

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Il nous a souvent été dit lors des auditions que les énergies intermittentes ne posaient pas de problèmes grâce au foisonnement, et qu'il s'agissait d'énergies propres. Vos propos vont à contre-courant de ceux que l'on entend souvent, et des choix du Gouvernement concernant le bouquet énergétique.

Pourquoi n'y a-t-il pas plus de partage de ces informations, et pourquoi votre thèse n'est-elle pas plus souvent reprise ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Nous n'avons pas les mêmes réseaux ! Au sein des miens, cette thèse est souvent reprise, mais il est vrai qu'elle est beaucoup moins présente dans les médias et qu'elle n'est pas entendue pour les choix politiques. C'est au point que l'Ademe, dont c'est la mission, prétend qu'un bouquet énergétique à 90 % ou 100 % d'énergies renouvelables est possible. Je vais donc à contre-courant des services de l'État qui sont supposés spécialistes de cette question.

Les études de l'Ademe sont fondées sur des hypothèses qui me paraissent extrêmement dangereuses. En particulier, elle estime que le stockage sera possible, que la population acceptera de réduire sa consommation les jours où la consommation ne sera pas assez importante. L'Ademe suppose que si un jour de grand froid, la production n'est pas suffisante, nous pourrons importer 20 % de notre consommation de l'Allemagne, ce qui me semble totalement déraisonnable. Cela suppose que l'Allemagne aura conservé ses centrales au charbon, je n'y suis pas favorable et cela ne me paraît pas crédible.

Pourquoi les thèses que je défends ne sont pas suffisamment partagées ? Sans doute qu'il n'y a pas assez d'ingénieurs travaillant sur ces sujets, ou que la pression du monde médiatique est trop importante. Les mensonges d'un certain nombre d'organisations me paraissent trop graves. Je ne suis pas seul à tenir ces propos, mais je suis conscient de ne pas être majoritaire.

M. Julien Aubert prend la place de Mme Laure de La Raudière à la présidence de la commission.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je pense à Greenpeace, dont la communication contre le nucléaire me paraît scandaleuse. Elle explique qu'il n'y a pas de solution pour les déchets, alors qu'elles existent. Elle prétend que l'accident de Tchernobyl a causé 800 000 morts, alors que l'OMS rapporte qu'il y a eu 4 000 victimes. Le nombre total de victimes de l'accident de Tchernobyl est moindre que celles de la pollution des centrales au charbon chaque année en Allemagne.

Greenpeace affirme que l'accident de Tchernobyl a causé 800 000 morts, qu'il a causé des malformations partout dans les alentours, ce qui ne correspond pas aux études scientifiques. On nous prétend que les solutions de stockage de l'électricité existent, et qu'elles ne sont pas chères. On nous explique que l'électricité renouvelable est moins chère que toutes les autres : pourquoi faut-il encore la subventionner en ce cas ?

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Il est beaucoup question d'énergie électrique, or le gaz bio fait partie des énergies renouvelables. Pourrait-il apporter un élément de solution, notamment par la territorialisation des énergies ?

S'agissant du prix du nucléaire, nous avons entendu beaucoup d'avis différents. Il a été dit que nous subventionnions aujourd'hui les énergies renouvelables parce que nous ne payons pas le vrai prix de l'électricité nucléaire. Je n'ai pas de dogme à ce sujet, et j'aimerais connaître votre point de vue.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Je ne suis pas économiste, et je ne sais pas faire des calculs de cet ordre. De manière générale, je cherche à qui je peux faire confiance dans les différents domaines. Je vous ai parlé des victimes de Tchernobyl, je n'ai pas été compter les morts sur place, j'ai décidé à qui je pouvais donner ma confiance, et en l'occurrence j'ai donné ma confiance à l'OMS.

S'agissant du coût du nucléaire, je ne vais pas forcément donner ma confiance à EDF, mais certainement à la Cour des comptes. Le rapport de la Cour des comptes a pris en compte le coût du démantèlement, le coût des déchets, et le chiffre auquel il aboutit est le mien.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Il se situe aux abords de 55 euros du MWh pour le nucléaire construit, je ne parle pas de l'EPR.

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Il est donc proche des prix de certaines centrales photovoltaïques, voire au-dessus.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Il est nettement supérieur, mais j'expliquais qu'il n'est pas possible de comparer le coût d'une énergie pilotable à celui d'une énergie fatale. Il faut comparer le coût de l'énergie nucléaire à celui du photovoltaïque et des batteries qui l'accompagnent.

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Je suis bien conscient que nous ne nous connaissons pas encore le coût du stockage, et que nous sommes loin de maîtriser la technologie.

Vous ne m'avez pas répondu sur le biogaz.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Les énergies thermiques renouvelables me semblent très intéressantes, parce qu'elles sont stockables. Je suis très favorable aux pompes à chaleur, qui exploitent des énergies thermiques. Je suis également favorable au développement du solaire thermique pour produire de l'eau chaude dans un certain nombre de logements. À la différence de l'électricité, le solaire thermique est stockable.

Je ne suis pas spécialiste du biogaz, si je suis a priori favorable à l'exploitation des résidus d'exploitation agricole, le problème sera essentiellement la compétition pour l'utilisation des surfaces agricoles entre l'agriculture vivrière, le biocarburant et le biogaz.

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Existe-t-il des climatologues favorables aux énergies renouvelables, ou est-ce absolument incompatible ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

J'ai réalisé un sondage au sein de mon laboratoire il y a quelques années, et les opinions étaient partagées à 50/50. Je ne peux donc absolument pas prétendre porter la parole de mon laboratoire, ce n'est pas du tout le cas.

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Votre honnêteté intellectuelle vous permet-elle de nous conseiller un climatologue favorable aux énergies renouvelables qui serait également une référence sur le sujet ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Le climatologue le plus connu en France est Jean Jouzel, que vous avez certainement vu à la télévision. Il est maintenant à la retraite, mais reste actif. C'est un très bon ami, mais nous ne sommes pas d'accord sur ces sujets.

Il m'a souvent dit que l'Allemagne était le modèle à suivre. Pour la petite histoire, il m'avait assuré il y a six ans que l'Allemagne pouvait sortir du nucléaire tout en respectant ses objectifs climatiques, et nous avions pris un pari sur le pourcentage de réduction des émissions de l'Allemagne en 2020. Je pense que je vais aller au restaurant gratuitement…

Plus généralement, mes collègues ne s'intéressent pas autant que moi à ces questions. Je ne connais pas de climatologues qui aient étudié ces problèmes d'aussi près. Leur opinion me semble moins informée que la mienne, mais vous pouvez auditionner Jean Jouzel, ou lui demander de vous recommander quelqu'un.

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Je suppose qu'il y a des débats entre les climatologues favorables aux EnR et ceux favorables au nucléaire. Nous avons déjà entendu deux experts nous expliquer que la transition énergétique n'était pas possible sans l'énergie nucléaire, il serait intéressant d'écouter le contrepoint.

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Dans le dernier rapport du GIEC, il était préconisé de développer les EnR et le nucléaire.

La question est celle de la complémentarité entre les EnR et le nucléaire. Selon moi, les deux ne sont pas complémentaires en France, mais elles le sont à l'échelle internationale. En France, je suis favorable au développement de l'énergie nucléaire et défavorable aux énergies renouvelables du fait de leur intermittence, mais cette critique ne s'applique pas à d'autres pays. Tous les pays de la bande tropicale n'ont pas le problème des variations saisonnières, raison principale de mon opposition au développement du photovoltaïque en France. De nombreux pays ont une saisonnalité favorable à l'énergie photovoltaïque, et il y a beaucoup de pays dans lesquels je ne souhaite pas voir se développer l'énergie nucléaire.

La complémentarité entre énergie nucléaire et énergies renouvelables existe donc à l'échelle internationale.

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Vous considérez que dans le cas particulier de la France, le recours aux EnR n'est pas valide pour atteindre les objectifs du GIEC, tandis que dans d'autres pays, le photovoltaïque ou l'éolien auraient du sens ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

En effet. D'une part, notre système fonctionne bien, il ne faut pas le casser. D'autre part, du fait de l'intermittence des EnR, si nous remplacions l'électricité nucléaire par des EnR, nos émissions de CO2 augmenteraient.

Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, dans certains, la production électrique est très carbonée et pourrait être avantageusement transformée. Et de nombreux pays tropicaux sont plus propices aux énergies renouvelables car ils ne connaissent pas l'intermittence liée à la saisonnalité.

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Avec le réchauffement climatique, qui entraînera des hivers plus doux en France et des étés plus chauds, notre stratégie pourrait évoluer ? Le recours à l'énergie photovoltaïque aurait peut-être plus de sens dans vingt ans ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

J'ai effectivement parlé du climat de la Floride ou de la Californie, mais nous sommes encore loin de connaître de telles conditions en France, j'espère ne jamais le voir de mon vivant, donc au moins au cours des trente prochaines années !

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D'un point de vue scientifique, ce scénario risque-t-il d'arriver, et à quelle date ?

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François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de l'Institut Pierre-Simon Laplace

Ce serait une véritable catastrophe. Le climat de la Terre n'aurait plus rien à voir avec celui que nous connaissons. Nous ne sommes pratiquement pas capables de simuler les conséquences d'une telle situation, toutes les régions côtières seraient envahies par les eaux, toute la bande tropicale deviendrait inhabitable. Il faut absolument éviter cela.

Nous pouvons peut-être vivre avec un climat plus chaud de 2 degrés, mais plus chaud de 6 degrés, ce serait fou. Je n'ai pas calculé quel réchauffement est nécessaire pour que le climat de la France se rapproche de celui de la Californie, mais ce sont les ordres de grandeur.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du mardi 2 juillet 2019 à 17 h 15

Présents. - M. Julien Aubert, M. Vincent Descoeur, Mme Laure de La Raudière, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Emmanuel Maquet, Mme Bénédicte Peyrol, M. Vincent Thiébaut

Excusés. - Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon