La réunion

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L'audition débute à quatorze heures dix.

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Mes chers collègues, nous accueillons M. Albert Allo, directeur-adjoint du service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN).

Dans ces rapports d'analyse pour 2016 et 2017-2018, TRACFIN traite des fraudes documentaires au certificat d'économies d'énergie (CEE), et souligne, pour la troisième période du dispositif CEE, de 2015 à 2017, l'augmentation du nombre de dossiers fictifs pour bénéficier du CEE, sans que les travaux correspondant aient été effectués.

Il considère également les délégataires comme les acteurs les plus sensibles du dispositif et met en relief les fraudes au CEE, prenant la forme de réseaux de sociétés actionnant des chaînes de sous-traitants.

Les exigences réglementaires ont été renforcées depuis le mois de juin 2018 pour l'obtention du statut de délégataire. Le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, adopté par 50 % des membres de cette commission en première lecture par notre Assemblée, prévoit la possibilité pour le service TRACFIN de transmettre des informations au Pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCC), alors que TRACFIN ne peut aujourd'hui qu'appeler indirectement l'attention de ce dernier en lui demandant des informations sur certaines demandes de CEE.

Monsieur Allo, nous allons vous donner la parole pour un exposé liminaire de quinze minutes maximum. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir si, avec les modifications qui ont été apportées, plus aucun risque n'existe ; s'il y a des zones d'ombre pour lesquelles vous avez du mal à obtenir des informations ; si, à votre connaissance, le secteur des énergies renouvelables (EnR) a été l'occasion de pratiquer du blanchiment d'argent – comme en Italie, nous a-t-on dit.

Avant de vous donner la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(M. Albert Allo prête serment)

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Monsieur le président, madame la rapporteure, je vous remercie de me donner l'occasion d'expliquer les missions de TRACFIN, dans le cadre de financements de politiques publiques liés à la transition énergétique.

Je rappellerai les conditions dans lesquelles TRACFIN est appelé à connaître les dossiers de financement du CEE, le contexte n'étant pas neutre.

Tout d'abord, TRACFIN n'a pas la possibilité de s'autosaisir. Il doit, pour effectuer une enquête administrative, recevoir une déclaration de soupçon d'un professionnel privé, listé dans le code monétaire et financier (CMF), à partir des articles L. 561-1 et suivants, ou de l'administration, via une information de soupçon – j'y reviendrai.

Le domaine de prédilection de TRACFIN est la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous avons, par ailleurs, mis en place, depuis 1990, sous l'impulsion mondiale – ensuite relayée par des directives européennes –, un cadre national qui doit se conformer aux obligations internationales et européennes.

Notre système de lutte anti-blanchiment va être évalué, au niveau national, fin 2019 et début 2020, et au printemps 2021, en commission plénière du Groupe d'action financière (GAFI). Chaque pays membre du GAFI est, en effet, audité par ses pairs, s'agissant du cadre réglementaire et de l'efficience du système de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Nous en sommes à la quatrième session d'évaluation, la France étant la dernière à être auditée.

Les partenaires assujettis ont l'obligation de transmettre à TRACFIN des déclarations de soupçon, quand des flux financiers peuvent mettre en lumière une infraction débouchant sur une peine privative de liberté supérieure à un an, ou pour tout fait en lien avec le financement du terrorisme. Par ailleurs, depuis 2009, la fraude fiscale est entrée dans le champ de compétence de TRACFIN – je n'en parlerai pas, celle-ci n'étant pas au cœur du dispositif CEE.

C'est donc à partir de ces déclarations et informations de soupçon que TRACFIN peut mettre en œuvre ses capacités à investigation administratives. Les agents de TRACFIN travaillent quelque part à Montreuil, sur leurs ordinateurs qui leur permettent d'accéder à tous les documents financiers et comptables détenus par les professionnels déclarants, assujettis aux obligations, et aux administrations partenaires en charge des politiques de lutte contre les fraudes douanières, fiscales et sociales. Nous pouvons également interroger le Pôle national des certificats d'économies d'énergie.

Pour être efficace, TRACFIN a besoin de bons capteurs, à savoir de déclarants actifs. Ce sont les banques qui, à partir de 2015, mais surtout en 2017, ont soupçonné des fraudes au CEE. TRACFIN, qui organise une veille sur les nouvelles typologies de fraudes, a effectivement confirmé l'existence d'une fraude visant à optimiser le nouveau dispositif public.

Tout nouveau dispositif public a en lui des failles, le temps de la mise en place des équipes et des procédures de contrôle. De sorte que des fenêtres d'opportunité sont ouvertes, que des individus exploitent de façon frauduleuse.

Ce partenariat public-privé, TRACFIN le fait vivre de différentes façons. Il instaure des relations régulières avec les déclarants, notamment les banquiers, et leur rend compte de la qualité de leurs déclarations. Il les alerte, par des réunions ou par ses rapports d'activité ou d'analyse, de ce que nous voyons poindre comme nouvelles tendances de blanchiment et comme nouveaux secteurs « fraudogènes ».

Ces partenaires nous font remonter, grâce à leurs propres capteurs, les frémissements qu'ils détectent dans certains domaines, dont celui de la transition énergétique, qui nous intéresse aujourd'hui. Par ailleurs, pour aider nos partenaires privés, nous élaborons des lignes directrices, à savoir un document explicatif du code monétaire et financier ; une lecture commentée, éclairée de quelques exemples et de la pratique du superviseur.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) nous aide à mettre à jour, de façon régulière, sa ligne directrice en lien avec les principaux représentants des services conformité des banques. La majorité des déclarations provient de l'ACPR qui peut se substituer à une banque défaillante, lors de ses contrôles ; 85 % du flux reçu par TRACFIN proviennent des banques et de l'ACPR.

Un système qui comporte différents volets : un volet pédagogique, une relation entretenue et un superviseur qui effectue des contrôles de conformité pour s'assurer que les dispositifs sont en place et que les soupçons sont bien déclarés à TRACFIN.

Par ailleurs, je l'ai évoqué en début de mon propos, TRACFIN peut recevoir des informations de soupçon de la part d'administrations de l'État, de collectivités territoriales ou de toute personne chargée d'une mission de service public ; soit 1 000 à 1 500 informations de soupçon par an.

C'est donc après avoir reçu un certain nombre de déclarations de soupçon que nous avons alerté le ministère du caractère fraudogène du dispositif du CEE. Cette alerte a été relayée dans notre rapport d'activité et d'analyse des tendances, afin de partager cette information avec les représentants du secteur privé, les autorités concernées et le grand public.

Les services conformité des banques ont observé, principalement dans le secteur de la construction, mais aussi de conseils aux EnR, au sens large, des entreprises qui, en quelques mois, réalisaient un chiffre d'affaires extraordinaire, passant de zéro euro à un million ou deux millions d'euros.

Le client qui ouvre un compte d'entreprise dans une banque doit présenter un plan d'objectifs, de monter en charge du chiffre d'affaires, et c'est par rapport à ce plan que le banquier va relever des discordances. Dès lors que des alertes, en interne, remontent – par le conseiller clientèle ou la personne en charge de la cellule d'analyse au service conformité – des questions sont posées au client, des justifications sont demandées, notamment des factures. Selon ses réponses, le banquier aura, ou non, un doute sur la régularité de l'activité de la société, et en particulier sur les travaux liés à l'obtention du CEE.

L'absence de déclaration à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) ou de déclaration fiscale au bout de dix-huit mois est l'un des critères d'alerte.

Après avoir reçu plusieurs dizaines d'informations de soupçon, avec des enjeux de quelques centaines de milliers d'euros, nous avons interrogé le PNCEE pour qu'il nous renseigne sur le sujet, les agents de TRACFIN n'étant pas des spécialistes du secteur de l'énergie, ni du dispositif visant à faciliter la transition énergétique. Une fois éclairés sur ce sujet, nous avons pu caractériser les éléments que nous détenions et les transmettre au parquet territorialement compétent.

Pourquoi les réseaux organisés ont-ils une appétence pour ce dispositif ? Dès lors que l'obligé ne peut satisfaire par lui-même à ses obligations d'économies d'énergie, il recourt à des délégataires ; tout repose sur l'orthodoxie de ces délégataires. Si le dispositif a anticipé les fraudes, elle n'a pas anticipé leur ampleur, à savoir l'ampleur des travaux fictifs. Prenons l'exemple d'une société qui était censée avoir effectué des travaux d'isolation chez 8 000 particuliers, et qui n'a absolument rien fait.

Une fois les ministères sensibilisés sur ce sujet, un recadrage réglementaire a eu lieu, qui trouve une traduction dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat.

Aujourd'hui, je ne puis vous dire, sur la base des signaux reçus par TRACFIN, que la fraude a disparu ; elle évolue. Elle évolue au même rythme que les réseaux organisés affinent leur pratique. Le délégataire recourt davantage à la sous-traitance qui, elle-même, sous-traite. Les circuits sont de plus en plus complexes, le délégataire faisant appel à des associations et à des sociétés étrangères pour réaliser les travaux.

S'il y a moins de fraudes documentaires sèches, la surfacturation des travaux ou la non-réalisation des travaux sont plus difficiles à démontrer par une enquête administrative de TRACFIN.

Nous continuons, bien entendu, à procéder à des signalements aux autorités judiciaires, mais dans une proportion moindre qu'en 2016-2017. Nous tombons parfois sur des montants significatifs, mais la personne que nous recherchons a sophistiqué sa pratique.

Pour la période 2018-2020, ce sont 9 milliards d'euros qui sont alloués aux certificats d'économies d'énergie, à savoir d'aides visant à réduire la facture énergétique ; forcément, cela suscite des vocations. D'où des montages plus sophistiqués via des associations, des sociétés étrangères et des comptes bancaires domiciliés, d'abord en France, puis dans des pays de l'Union européenne et enfin vers la Chine, ou d'autres contrées qui ont l'habitude de voir émerger des réseaux criminels.

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Je vous remercie, monsieur le directeur adjoint.

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Je ne comprends pas bien pourquoi, ils ont recours à des sociétés étrangères et à des comptes bancaires étrangers. À quel moment, ils ont un intérêt à sortir de France ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

TRACFIN a compétence à s'intéresser à des mouvements financiers uniquement sur le territoire national. Nous ne pouvons pas interroger une banque située en dehors de l'Hexagone. En revanche, nous échangeons des renseignements avec les cellules de renseignement financier (CRF) des autres pays européens. Quand, lors de nos investigations, nous découvrons qu'un compte a été ouvert en Hongrie, par exemple, nous envoyons une demande motivée à la CRF hongroise, qui nous répond dans les deux ou trois mois qui suivent.

Ce temps de décalage dans la circulation de l'information est l'une des raisons de domicilier une société dans un autre pays européen. Le droit hongrois ou polonais n'est pas le même que le droit français, la banque qui héberge le compte n'aura peut-être pas les mêmes vigilances qu'en France. Même si nous notons une progression de la qualité de l'échange d'informations entre les CRF européennes.

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S'agissant des délégataires mandataires, pensez-vous qu'à ce stade, c'est-à-dire suite aux recommandations de TRACFIN, et à la mise en place d'un certain nombre de correctifs, nous avons évité les principaux écueils ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous sommes collectivement plus efficaces. Mais comme tout phénomène financier clandestin, nous n'avons pas de vision exhaustive de tous les dossiers présentés à l'agrément du PNCEE. La fraude représente-t-elle 2 ou 10 % du secteur, nous ne savons pas. Nous ne pouvons voir que ce qui est atypique, nous n'avons aucune information sur ce qui fonctionne bien. Je peux simplement constater que nous recevons moins de signalements de la part des banques en matière de fraude au certificat d'économies d'énergie.

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Nous distinguons bien fraude et manquement. Les délégataires-mandataires peuvent, en effet, commettre des erreurs de bonne foi, les dossiers étant parfois très techniques. Des erreurs qui sont ensuite modifiées. Ce qui est différent d'une fraude organisée, visant à détourner des fonds publics.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

TRACFIN s'occupe des mouvements financiers d'ampleur, dès lors qu'un banquier nous a signalé un soupçon sur un compte en banque. Et s'il nous transmet une déclaration de soupçon, c'est qu'il a été alerté, par rapport à une grille qu'il a mise en place.

Aujourd'hui, les entreprises s'acquittent de leurs obligations sociales et fiscales ; ce critère n'est donc plus vraiment valable. Les entreprises de conseil, s'agissant du certificat d'économies d'énergie, ont, en général, un budget communication. Le banquier devient suspicieux, si le budget d'une entreprise, par exemple, est composé de 90 % de communication et de 10 % de travaux.

Il est difficile, pour TRACFIN, de caractériser une fraude quand le doute n'est pas totalement levé. Notre rôle est donc aussi d'envoyer des signalements. Mais il n'y a qu'une enquête de terrain, menée par un service de police, tel que le service national de la douane judiciaire (SNDJ), qui va pouvoir saisir les comptes de la société et demander des justifications.

Aujourd'hui, le dispositif est plus sophistiqué et la fraude est plus difficile à caractériser. Nous sommes loin des éléments binaires que nous avons pu observer en 2016-2017.

S'agissant des obligations déclaratives de dépôt de dossiers, seul le PNCEE est concerné.

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Une fraude est caractérisée lorsque les travaux ne sont pas réalisés ou quand des fonds sont détournés. Êtes-vous également alertés lorsque le profit est exorbitant – je pense à des surfacturations ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Oui, nous pouvons enquêter en cas de surfacturation, mais il faut que le particulier dépose plainte, sinon, il est très difficile pour les services d'enquête d'aller plus loin. Peu de personnes portent plainte pour escroquerie, surtout quand elles réalisent des travaux qui sont partiellement pris en charge par une subvention.

Plus un dispositif public est complexe, plus les effets d'aubaine, pour les fraudeurs, sont importants.

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Factuellement, quel type de fraude avez-vous constaté ? Du travail au noir ? L'absence complète de travaux ? Des fausses déclarations de travaux faites par les délégataires ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Un peu tout cela, oui. Les entreprises qui effectuent les travaux doivent posséder le label Reconnu garant de l'environnement (RGE). Or, nombreuses sont les entreprises qui entreprennent des travaux sans être labellisées. Certaines le demandent au bout de quelque temps, de bonne foi ou non, je ne sais pas. Le doute est permis.

Un point important du dispositif est de pouvoir effectuer des contrôles a posteriori – toutes les entreprises sont censées garder les factures. C'est par une méthode de sondage aléatoire que le PNCEE ou les organismes certificateurs réalisent ces contrôles. Les moyens pour effectuer ces contrôles sont-ils suffisants ? Je ne sais pas. Mais, ils disposent d'une grille pour faire des analyses de risque et cibler telle ou telle entreprise.

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Avant la révision de la réglementation, opérée en décembre 2017, vous avez entrepris un premier contrôle des CEE ; combien de dossiers avez-vous contrôlés ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous recevons 300 à 400 déclarations de soupçon par jour, qui ne sont pas toutes de qualité. Nous disposons d'un guide d'aide à l'orientation, avec des grilles pour les analyser. C'est sur la base de cette analyse, et en fonction des enjeux, que nous envoyons les dossiers, soit vers une externalisation judiciaire, soit vers les administrations fiscale ou sociale.

S'agissant du CEE, le nombre de déclarations de soupçon n'a jamais été spectaculaire. Nous n'avons jamais dépassé une centaine de dossiers en même temps. En un an et demi, nous avons retenu une cinquante dossiers pour un montant d'une centaine de millions d'euros.

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Je n'ai pas bien compris. Avez-vous contrôlé les 400 déclarations de soupçon que vous recevez par jour ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Toutes les déclarations ne concernent pas le CEE. Avant la révision, nous en recevions trois ou quatre par jour.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

De 2016 à 2018, nous avons mené une centaine d'enquêtes, qui n'ont pas toutes débouché sur des transmissions au parquet.

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Vous avez revu la réglementation avec Gérald Darmanin, sur la base de votre rapport. En 2017, pour combien de cas litigieux avez-vous ouvert un dossier ? Et combien de soupçons étaient légitimes ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous avons travaillé sur 90 dossiers et un tiers a débouché sur une transmission judiciaire. C'est à partir de ce chiffre, et donc de la constatation de cette nouvelle fraude, que nous avons alerté le ministre.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous n'avons pas réussi à caractériser la fraude. En général, ce n'était pas le CEE qui était au centre du soupçon.

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Quand nous avons reçu un représentant de TRACFIN, en 2017, il nous avait parlé de seize déclarations de soupçon de fraude au CEE, tous confirmés – je ne suis pas sûr du chiffre, mais il était de cet ordre. Comment expliquez-vous ce chiffre ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Il devait s'agir de seize dossiers qui avaient abouti. Maintenant, s'agissait-il de cas relatifs à des aides à l'environnement ou précisément au CEE, je ne sais pas.

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J'essaie de définir le niveau criminogène des CEE par rapport à d'autres dispositifs.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

TRACFIN est un maillon de la chaîne, mise en place pour caractériser des fraudes, suite aux soupçons des banquiers. Nous transmettons nos dossiers au parquet, ensuite il y a le temps de l'instruction judiciaire.

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Je ne parle pas de la justice, mais de TRACFIN. Si vous transmettez des dossiers, c'est bien parce que vous êtes convaincus de l'infraction.

Les CEE sont-ils plus fraudogènes que d'autres dispositifs publics ? Sur cent dossiers, combien avez-vous de cas avérés ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous avons le même souci de travailler utile. Et pour travailler utile, nous avons besoin d'un retour sur la qualité de nos transmissions. Nous avons réussi, avec les administrations fiscale et sociale, à établir un lien pour que nous puissions savoir combien de dossiers débouchaient sur une enquête et, sur ces enquêtes, combien de redressements étaient appliqués et pour quel montant.

Avec les services judiciaires, nous n'avons que des études parcellaires, malgré l'obligation de retour sur le devenir de nos transmissions. Mais le temps d'instruction est long – deux ou trois ans. Le retour n'est pas systématique, je ne puis donc vous dire combien de dossiers ont abouti à un redressement. Je serai bien incapable de vous dire ce que sont devenues, par exemple, nos 450 transmissions de l'année 2013.

S'agissant du CEE, tous les services ont été alertés et sensibilisés, mais il faut voir avec les services d'enquête ce que nos transmissions ont donné.

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L'État est présent au sein du PNCEE, mais il ne dispose pas de moyens suffisants ; il ne peut assurer un contrôle que dans la limite des moyens disponibles. Ensuite, TRACFIN transmet des dossiers, mais n'a pas les moyens de savoir si des condamnations ont eu lieu. Le dispositif de l'État existe, mais il n'est pas très coercitif.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Le dispositif de contrôle existe sur le papier. Le ministère de la transition écologique a fait le nécessaire pour que le PNCEE dispose de méthodes de contrôle – qui ont été validées. Le dispositif financier, quant à lui, a la même vigilance que pour l'ensemble des activités financières des personnes physiques et des personnes morales.

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J'entends bien, mais nous avons affaire à une politique particulière qui pèse neuf milliards d'euros, qui rentre chez les gens et sur laquelle le Parlement n'a pas une bonne visibilité, puisqu'elle est gérée par l'exécutif.

Les règles d'audit dont vous parlez existaient-elles avant la révision de la réglementation par M. Darmanin ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Ce sont aux responsables du PNCEE que vous devez poser la question.

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Quand vous avez alerté le ministre sur le caractère fraudogène de ce dispositif, vous n'avez pas eu de contact avec le PNCEE, pour comprendre notamment comment il menait ses contrôles ?

Sur 90 dossiers transmis, un tiers a été caractérisé comme frauduleux ; c'est une bonne statistique. Le filet est donc bien percé. Nous pouvons nous imaginer que si le PNCEE réalisait plus de contrôle, il y aurait moins de fraudes. Vous n'êtes pas entré en contact avec le Pôle pour savoir comment il menait ses contrôles ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Dès que nous avons constaté la fraude, nous avons alerté les autorités concernées. Mais nous ne sommes pas des professionnels de ce dispositif. Notre interlocuteur naturel est, bien entendu, le PNCEE ; nous l'avons donc rencontré. Nous avons organisé des réunions de travail pour qu'il nous explique à partir de quelles informations, par exemple, nous pouvions déduire qu'il y avait fraude.

Pour 60 des 90 dossiers, nous avons demandé au PNCEE s'il connaissait les entreprises révélées par les déclarations de soupçon et s'il avait des informations sur elles. Nous avons instauré un dialogue dès le début, bien entendu.

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Réalisait-il un pré-système d'audit pour éviter la fraude ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Visiblement, non, il réalisait très peu de contrôles.

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Donc leur système d'audit a été mis en place après votre alerte.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Non, il existait avant, mais il a certainement été amélioré. Et j'espère que le PNCEE a été renforcé en moyens humains. Car s'il est utile d'instaurer un dispositif d'audit, de contrôle, il faut pouvoir le faire vivre. Or visiblement, le Pôle n'en avait pas les moyens, au départ.

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La fraude à la TVA, dite « fraude carrousel » était une fraude massive au niveau européen qui a coûté des milliards d'euros, les acteurs ayant institutionnalisé un système de fraude.

S'agissant du CEE, avez-vous repéré un acteur principal, une plateforme pratiquant le blanchiment d'argent ?

Le fait de se demander comment l'État s'organise pour éviter les fraudes à ce dispositif est essentiel pour nous. Or d'après vos propos, je comprends qu'il ne s'agit pas d'un système organisé, d'une mafia…

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous pouvons trouver des liens avec l'organisation qui a institutionnalisé la fraude carrousel, mais pas de la même ampleur ; il faut enlever au moins deux zéros. S'agissant de la fraude au CEE, les montants étaient d'environ 10 millions d'euros – nous ne sommes loin du milliard.

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Le PNCEE connaissait-il les entreprises qui figuraient dans les 60 dossiers pour lesquels vous l'avez consulté ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Il faudrait que je fasse le point avec mes services, mais oui, nous avons attiré son attention sur un certain nombre de dossiers. Le PNCEE, je le rappelle, effectue des contrôles a posteriori, or il a pu constater que, pour certains travaux, aucune facture n'avait été délivrée. Il a donc transmis, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, les dossiers au parquet.

Il est clair que nous l'avons sensibilisé sur l'ampleur de la fraude et que nous lui avons permis de saisir le ministre sur le sujet. Nous avons ensuite travaillé de concert.

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Le système a désormais changé, il y a une autre organisation et davantage de personnel ; avez-vous réalisé des contrôles pour vérifier s'il y avait moins de fraudes ? Pouvez-vous nous rassurer ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Depuis la modification de la réglementation, nous recevons deux fois moins de déclarations de soupçon. Nous ne disposons pas de moyens d'investigation directs, donc notre prisme est le nombre de déclarations que nous recevons. Nous avons deux fois moins de saisies et deux fois moins d'externalisations. Neuf dossiers ont fait l'objet d'une transmission judiciaire et sept sont en cours d'enquête.

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Et le volume moyen estimé sur ces dossiers est-il également inférieur à la première période ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Non, les montants sont équivalents.

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La complexité du dispositif – des entreprises se plaignent des délais trop longs du PNCEE – n'est-il pas la raison pour laquelle vous avez reçu moins de déclarations ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Non, nous n'avons pas repéré ce paramètre. Mais le nombre de délégataires a été fortement resserré – passant de 29 à une dizaine. De fait, les partenaires sont un peu plus professionnels, ou en tout cas plus vigilants. Ils ont été sensibilisés et peuvent mieux repérer les fraudeurs.

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Le problème se situait-il au niveau des délégataires ou des mandataires ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Les obligés sont la partie pivot. Ils ont intérêt à récolter les certificats pour ne pas payer de pénalités financières.

Qui est perdant dans cette affaire ? C'est l'environnement, puisqu'il s'agit d'actions d'économie d'énergie ou de réductions de factures énergétiques qui ne sont pas réalisées.

L'obligé récolte les CEE, et même s'ils ont été donnés sur la base de travaux fictifs, il a l'impression d'avoir rempli ses obligations.

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Les responsables d'Énergies sans frontières (ESF) nous ont indiqué qu'il n'existait pas de filtre pour être mandataire. Effectivement, je vois qu'il y a dix obligés, qui sont la porte d'entrée du dispositif, mais que tout le monde peut être mandataire.

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La responsabilité n'est pas transférée au mandataire, c'est bien le délégataire qui prend pleinement délégation de la contrainte.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Le dispositif est plein de bonnes intentions. La question qui se pose est comment trouver le bon niveau de contrôle, sans retarder les travaux, sans pénaliser les entreprises de bonne foi.

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Vos signalements concernent les entreprises ou les obligés ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous ne mettons jamais en cause les obligés. Les dossiers transmis au parquet concernent les délégataires et ceux qui sont en relation avec eux.

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Faute de factures, vous avez caractérisé des fraudes pour des travaux qui n'ont jamais été réalisés. Avez-vous mis à jour des cas où les travaux ne sont pas correctement effectués ? Je prendrai l'exemple de l'isolation de combles, pour laquelle l'entreprise aurait mis un matériau de mauvaise qualité, le facturant trois fois son prix.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Non, une enquête administrative ne peut pas déceler la réalité des travaux d'isolation. Ce type de fraude est semblable à d'autres escroqueries, comme la réfection d'une toiture d'une maison de personnes âgées, vivant dans un petit village, à qui l'entrepreneur facture trois ou quatre fois le prix.

Pour des travaux un peu techniques ou spécialisés, si l'entrepreneur assure au particulier que telle laine de verre va diviser sa facture énergétique de 50 %, celui-ci va payer le prix demandé et attendre un ou deux ans la diminution de sa facture. Ce type de fraude est difficile à appréhender en temps réel.

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Il me semble qu'il y différents niveaux de risque. D'abord, le délégataire ou le mandataire peut aller chercher des gisements qui seraient improductifs ; ils pourraient se voir pénaliser pour cette raison.

Ensuite, des faux dossiers peuvent être ouverts – faux nom, fausse adresse – et produits comme justificatifs.

Par ailleurs, une entreprise peut effectuer des travaux sans avoir le label RGE ou travailler au noir.

Enfin, les éco-délinquants sont attirés par des dispositifs leur permettant de facturer des matériaux dont le coût est 100 % financé par ces mêmes dispositifs. Et quand il y a une augmentation du prix du CEE, comme c'est le cas, ils peuvent se faire rembourser deux ou trois fois ; la capacité de marge est très importante par rapport au coût des éléments, et au regard des économies d'énergie réelles. Cette faille du système vous a-t-elle été signalée ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Je vous répondrai en tant qu'observateur du dispositif et en tant que directeur adjoint de TRACFIN.

Doivent être pris en compte, le coût des travaux, le rendement énergétique pour le particulier et, enfin, la façon dont le coût des travaux est transformé en CEE, qui permet aux obligés de remplir leurs obligations. Je ne suis pas certain qu'il existe une équation permettant de trouver le juste équilibre entre la rentabilité énergétique, le coût financier et ce que l'obligé va récupérer comme certificats pour atteindre ses obligations de diminution de la facture énergétique. Il n'y a pas de cohérence qui coule de source.

Les travaux peuvent coûter cher, donner droit à des certificats importants en valeur, mais avec une efficacité énergétique qui peut sembler laisser à désirer.

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Ce qui n'est pas logique puisque le pourcentage d'économies d'énergie détermine le montant en euro du CEE.

Dans le cadre des coups de pouce, une prime de précarité peut être versée ; il s'agit d'un coup de pouce social au dispositif d'économies d'énergie. Mais le montant de l'aide versée à travers CEE doit être équivalent à l'efficacité énergétique recherchée, c'est la raison du système.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Je n'ai pas compétence pour vous répondre sur la cohérence de l'équation du système.

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Le nombre de délégataires et de mandataires est limité aujourd'hui.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Le nombre de délégataires était de 75, lors de la troisième période, il était de 29, au 4 juillet – il n'est pas passé de 30 et 10, comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure.

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S'agissant des éoliennes, il nous a été indiqué que des sociétés réalisaient des bénéfices extraordinaires ; en est-il de même chez les délégataires ou les mandataires, avec le CEE ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

TRACFIN traque les flux financiers clandestins. Nous n'avons pas à nous prononcer sur une entreprise qui réalise de gros bénéfices dès lors qu'elle les réalise dans un cadre légal.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Parfois nous pouvons détecter deux ou trois entreprises qui dégagent d'importants bénéfices et nous apercevoir que les responsables ont tenté de faire un abus de bien social ou de financer par les comptes de l'entreprise une voiture de collection ou des tableaux. Mais ce n'est pas dans nos missions ; cela peut simplement nous interpeller.

Je ne peux pas tirer une loi générale en partant d'une minorité d'entreprises. Je n'ai pas de vision représentative d'un secteur, quel qu'il soit. J'ai juste une vision d'un dysfonctionnement, à travers les déclarations de soupçon qui nous sont transmises.

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Nous avons été alertés, lors de l'une de nos auditions, sur des sociétés éoliennes, en Italie, qui pratiquaient du blanchiment d'argent. Si personne n'a entendu ce genre d'histoires à propos de sociétés françaises, un certain nombre de parcs ont fait l'objet de ventes successives – rachetées par des fonds étrangers.

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Nous n'avons jamais reçu de signalements sur ce sujet. Nous n'avons pas eu à travailler sur les sociétés éoliennes domiciliées en France. Si une société italienne implante des éoliennes en France, cela échappe au système financier français. Nous ne disposons pas de capteurs pouvant nous faire remonter cette information.

Seules la Guardia di finanza et la CRF italienne pourraient nous transmettre ces informations et elles ne l'ont jamais fait.

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Des sociétés basées dans des paradis fiscaux – qui rachèteraient des parcs éoliens français – seraient-elles susceptibles de vous intéresser ou pas du tout ?

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Albert Allo, directeur adjoint de TRACFIN

Tout type d'information m'intéresse, mais il faut qu'elle me soit utile, que je puisse l'exploiter. Nous devons avoir un intérêt à agir au niveau national. Maintenant, si je détecte un flux financier entre les Caraïbes et une autre zone dans le monde, j'informerai la cellule de renseignement financier des pays émetteur et récepteur. Et si la transaction n'est pas illégale, je n'ai aucune raison de la connaître.

Nous sommes avant tout un service d'enquête opérationnelle, nous faisons de la veille pour connaître l'évolution des dispositifs, et détecter les nouvelles sources potentielles de fraude. Je n'ai pas la capacité de faire des analyses macro financières d'un secteur donné.

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Monsieur le directeur adjoint, je vous remercie.

L'audition s'achève à quinze heures vingt.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du jeudi 11 juillet 2019 à 14 h 05

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marjolaine Meynier-Millefert

Excusés. - Mme Sophie Auconie, M. Christophe Bouillon