Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du jeudi 25 juillet 2019 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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L'audition débute à quatorze heures dix.

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. Nous recevons M. Jorge Vasconcelos, docteur en ingénierie électrique, président de New Energy Solution (NEWES), membre du conseil d'administration de l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER).

Spécialiste des réseaux, notamment au niveau européen, il est également un expert des politiques publiques relatives à la transition énergétique qui ont été menées tant en Espagne qu'au Portugal.

Notre commission qui, ce matin, a auditionné des experts de l'Allemagne et de la Suède s'attache aujourd'hui à comparer les choix de transition énergétique des différents pays européens. C'est la raison pour laquelle, monsieur Vasconcelos, nous souhaiterions connaître votre appréciation des choix effectués au Portugal et en Espagne. Quelle est la part de l'électricité dans la consommation énergétique totale ? Quelle est la part respective de l'hydraulique, de l'éolien et du solaire ? Dans quelle mesure ces choix d'énergies renouvelables (EnR) sont-ils compatibles avec une intensification des usages électriques ? Comment sont compensés les effets des intermittences ? Par hasard, nos voisins ne compteraient-ils pas sur nous pour compenser cette intermittence par notre hydraulique ou notre nucléaire ? Quelles sont les modalités de soutien public aux énergies renouvelables ?

Enfin, en tant qu'expert des réseaux électriques, pouvez-vous nous dire si l'interconnexion des réseaux en Europe et ses conséquences sur la fixation du prix de marché permettent, à elles seules, de pallier les effets de l'intermittence des EnR dont le développement est le plus encouragé dans les différents pays ?

Faut-il se limiter à l'interconnexion des réseaux ou faut-il un gestionnaire pour organiser un dispatching européen ?

L'intermittence peut se traduire par des pics très élevés ou par l'absence de production non corrélés avec les hauts et les bas de consommation. Si la réponse est positive, jusqu'à quelle proportion d'EnR dans la puissance électrique installée reste-t-elle vraie ? Croyez-vous au foisonnement ?

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire « Je le jure. »

(M. Jorge Vasconcelos prête serment.)

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Jorge Vasconcelos

. Merci de cette invitation qui m'a un peu surpris ; il n'en reste pas moins que je suis très honoré d'être ici et d'avoir cet échange de vues avec vous. Je le ferai très librement : je n'ai pas préparé de présentation technocratique, je vais plutôt tenter de vous décrire le contexte européen. Il faut en effet connaître l'évolution récente de l'organisation du secteur énergétique en Europe, en particulier du secteur électrique. Pour ce faire, il convient de remonter trente ans en arrière, en 1989.

À cette époque, une nouvelle Commission européenne fut constituée. À son arrivée, le nouveau commissaire européen à l'énergie a trouvé sur son bureau une communication des autorités françaises l'incitant à favoriser l'ouverture des réseaux d'électricité au transit d'électricité en Europe. Il faut se souvenir que c'était l'époque des monopoles nationaux.

Avec ses excédents d'énergie nucléaire, la France cherchait à passer des contrats à l'extérieur, notamment avec le Portugal. À la fin des années 1988, des négociations ont échoué parce que l'Espagne, en l'absence d'un cadre législatif clair, avait demandé des frais de transit trop élevés, ce qui avait rendu ces exportations-importations impossibles.

La préoccupation française a été à la genèse de la libéralisation du secteur en Europe. Elle a ensuite essayé de limiter l'ouverture car elle était intéressée à une possibilité de transit entre les grandes compagnies. Nous ne sommes pas parvenus à une libéralisation complète, à une ouverture totale du secteur énergétique en Europe. Ainsi que cela arrive souvent, on engage un processus de transformation sociale et économique, et puis il s'avère que l'on n'est pas en mesure de contrôler tout ce qui se passe. C'est assez criant si l'on se réfère à 1989. Qui a étudié la révolution connaît bien cette dynamique ! Il est très important de le préciser pour la suite.

Le processus de libéralisation a débuté par une approche assez simpliste qui consistait à imaginer que l'abolition des monopoles juridiques et l'application systématique du droit de la concurrence européenne seraient suffisantes pour parvenir à un marché relativement libéralisé, ouvert, européen et intégré, formé non de douze marchés nationaux, mais d'un vrai marché européen de l'électricité et du gaz naturel.

La négociation politique fut assez difficile ; elle a abouti à un compromis en 1996, avec la première directive sur l'électricité, et en 1998, avec la première directive sur le gaz.

Ce compromis donnait satisfaction à la demande française d'un transit par les réseaux tiers mais elle imposait aussi un minimum d'ouverture, c'est-à-dire le droit de choix pour les consommateurs finaux.

C'était un compromis acceptable par tous les pays. Il comprenait le droit d'échange de l'énergie, notamment transfrontalier, mais l'absence de détails techniques a été un frein et cela ne fonctionnait pas en pratique.

En 2000, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé d'accélérer le processus de libéralisation en Europe pour donner un peu plus de vitesse à l'économie européenne. C'est dans ce contexte que la libéralisation totale du secteur énergétique a été décidée parallèlement à la libéralisation des télécoms, des transports, etc.

C'est dans ce contexte politique que l'on a progressé dans la préparation d'une deuxième directive sur l'électricité qui a vu le jour en 2003. Cette directive établissait les bases du modèle européen de l'énergie, encore à l'œuvre aujourd'hui. Ce modèle revêt trois caractéristiques fondamentales.

Premièrement, depuis 2007, un droit de choix pour tous les consommateurs d'électricité et de gaz naturel en Europe, pas uniquement pour les gros consommateurs industriels, et la liberté d'investissement.

Deuxièmement, l'accès réglementé aux infrastructures, donc au réseau de transports, au réseau de distribution d'électricité et de gaz, aux terminaux de gaz liquéfié et, dans certains pays, au stockage de gaz. L'accès réglementé devait s'accompagner de tarifs publiés et connus ex ante. Au début, des pays ne souhaitaient pas ce type de transparence et plaidaient pour un accès négocié au réseau. Avec la directive 2003, le principe d'accès réglementé a été établi.

Troisièmement, l'introduction de la régulation indépendante, qui n'était pas prévue dans la première directive de 2006. Certes, des pays l'avaient introduite, mais sans aucune obligation au niveau européen, l'Allemagne ayant été le dernier pays, en 2004-2005, à introduire la régulation indépendante dans le domaine de l'énergie.

Après les premiers pas réalisés en 1996, le modèle européen était bien établi en 2003 mais cet ensemble législatif de 2003 restait insuffisamment détaillé et il était difficile de faire progresser la construction d'un vrai marché intégré européen sans ce type de détails techniques.

Entre-temps, en 2003, les États-Unis et l'Europe ont eu à connaître des blackouts, qui ont joué le rôle d'alarme auprès du législateur qui s'est interrogé sur la robustesse du modèle. En 2006, nous avons connu la première crise du gaz suite aux interruptions en plein hiver de l'approvisionnement de l'Ukraine par les Russes.

Parce que la libéralisation et la construction d'un marché intégré européen ne progressaient pas assez rapidement et que des blackouts et des crises gazières mettaient en cause la sécurité d'approvisionnement, la Commission a voulu lancer un nouveau paquet législatif en 2007.

M. Barroso, alors commissaire chargé de l'énergie et président de la Commission, a considéré que le défaut de fonctionnement initial résidait dans le manque d'indépendance des gestionnaires de réseaux et que la nécessité s'imposait d'aller plus loin dans la séparation des activités, non pas uniquement fonctionnelle, mais également de propriété des actifs des réseaux de transport, d'électricité et de gaz.

La proposition législative de la Commission prévoyait la séparation de propriété mais, finalement, elle n'a pas été retenue. En 2009, le nouveau paquet législatif était beaucoup plus détaillé que celui de 2003 mais il a raté l'obligation de séparation de propriété et a pâti de dispositifs assez bureaucratiques qui ont freiné la construction de cette indépendance et l'avancement de la construction du marché intérieur.

Le législateur européen a alors compris qu'il était quasiment impossible de faire fonctionner un marché d'une telle complexité sans le détailler davantage. Pour ne pas surcharger le dispositif législatif des directives, déjà lourd techniquement, a été prévue la création de codes de réseaux, les network codes, pour l'électricité et pour le gaz naturel. Ils devaient être développés par des groupes de gestionnaires de réseaux européens, sur avis de l'Association des régulateurs européens de l'énergie, et fondés sur un processus d'approbation que l'on appelle « la comitologie », l'un des processus les plus obscurs et les plus difficiles à expliquer, en tout cas, une procédure peu transparente.

Tout cela a conduit à la création, à Bruxelles, de nouvelles bureaucraties de gestionnaires de réseaux d'électricité, de gaz et de régulateurs. Leurs bureaux comptent aujourd'hui des dizaines et des dizaines d'experts qui travaillent en permanence sur ces codes. Cette nouvelle configuration a très largement modifié l'équilibre : alors que les grandes entreprises nationales détenaient auparavant le savoir technique, aujourd'hui, de par la complexité introduite par ces codes, les organisations à Bruxelles détiennent la clé du savoir. La position des entreprises s'est affaiblie, qui détiennent seulement un peu du savoir en raison du processus devenu plus complexe et de la réduction des coûts et des personnels. L'équilibre des pouvoirs entre le niveau européen et le niveau national des entreprises a donc évolué.

Nous sommes ainsi rendus à cette situation aujourd'hui. La complexité technique est considérable et la clarté de l'application des principes du modèle européen n'est pas toujours à la hauteur de la complexité technique. Selon moi, le système manque de simplicité quant aux principes et à l'orientation qui préside à l'application de ces mêmes principes. Nous avons créé des structures assez complexes qui, parfois, prennent des décisions qui ne sont pas prévues dans la législation mais qui sont nécessaires pour faire fonctionner le système. On peut discuter pour savoir si c'est acceptable ou non.

Dans ce contexte général européen, que pouvons-nous dire de l'Espagne et du Portugal ?

Ces pays ont été parmi les premiers à adopter la libéralisation. En 1992, le Portugal a construit la première centrale éolienne en Europe continentale, deux ans après le Royaume-Uni. En 1994, l'Espagne a décidé de changer le cadre législatif du système électrique, le Portugal en 1994-1995. Avec le Royaume-Uni, ces pays ont été à l'avant-garde de la libéralisation en Europe.

Entre-temps, dès le début du xxie siècle, des préoccupations politiques ont porté sur le développement durable. La première directive sur les renouvelables est intervenue en 2001, suivie en 2005 par des principes sur le compromis européen portant sur l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, etc. C'est ainsi qu'en 2007, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé une approche intégrée « énergie et climat » en Europe. On a alors abandonné une politique autonome d'énergie pour une politique intégrée d'énergie et climat.

En 2014, la Commission Juncker a essayé de rapprocher le volet relatif aux marchés intérieurs et le volet relatif au développement durable et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ces deux volets avaient connu antérieurement des développements séparés et autonomes. Suite aux propositions législatives présentées en 2016, la Commission Junker a essayé de les rendre un peu plus cohérents. Le nouveau paquet législatif, qui a été approuvé cette année, a essayé de résoudre ces difficultés. Nous verrons jusqu'à quel point il y parviendra.

Le Portugal et l'Espagne, qui ont été pionniers en matière de libéralisation, l'ont aussi été, d'une certaine façon en matière de pénétration des énergies renouvelables sur le plan électrique. Si le Danemark et l'Allemagne ont été les premiers à développer le solaire et l'éolien, l'Espagne et le Portugal ont été les premiers à atteindre un niveau de pénétration assez important et à résoudre sur le plan technique la gestion des systèmes, notamment le problème de l'intermittence. Cette expérience a été positive, si ce n'est que l'on a assisté à un excès de volontarisme. En 2004-2005, le Portugal a bâti ce qui fut pendant quelques mois la plus grande centrale solaire au monde, mais les coûts de production étaient énormes. En 2007-2008, elle a produit des milliers de MW solaires, à des coûts très élevés. Or, l'Espagne avait déjà introduit en 2001 un mécanisme visant à limiter les tarifs pour des raisons politiques car le gouvernement souhaitait contrôler l'inflation. En 2007, on avait compris que le poids des subventions aux énergies renouvelables, notamment au solaire, allait faire grimper le prix de l'électricité. Le développement du solaire et des énergies renouvelables en général a donc été arrêté.

Ce matin, a eu lieu au Portugal la première vente aux enchères du solaire pour des projets de taille moyenne, dont je viens de recevoir les résultats. Le prix est de 36 euros/MWh pour des projets de dizaines de MW. C'est la fin des grands projets européens, et le Portugal donne cet exemple. Nous verrons demain quels seront les résultats des autres mises aux enchères. D'un point de vue technique, le système résiste et se développe dans de bonnes conditions ; du point de vue économique, cela n'a pas été très bien géré. Nous verrons comment cela évoluera à l'avenir.

Quels sont les problèmes qui se posent aujourd'hui dans le cadre d'une réflexion sur les transitions énergétiques ? Je les énoncerai sans les traiter. J'emploie le pluriel, parce qu'il n'existe pas une seule transition énergétique au monde ni même en Europe ; en effet, plusieurs voies sont possibles.

Premièrement, ce modèle européen de marché qui est un modèle dit marginaliste est incompatible avec nos objectifs de développement durable. Les marchés existants en Europe ne sont plus opérationnels mais dysfonctionnels. Dès lors, que pouvons-nous faire ? J'évoquerai plus avant les différentes écoles de pensée, si vous le souhaitez. Les marchés créés pour permettre une libéralisation efficace ne sont pas à la hauteur du défi que nous devons relever aujourd'hui et qui est celui d'une plus grande pénétration des renouvelables.

Deuxièmement, transition énergétique signifie mettre ensemble les ressources énergétiques, l'électricité ou le gaz naturel, mais aussi étudier en commun les questions adjacentes : le bâtiment, la mobilité, tout ce qui fait la consommation d'énergie. Il nous faut étudier l'urbain, les villes qui consomment 80 % des énergies et donc les émissions. L'échelle locale est très différente des échelles nationale et européenne, elle pose des problèmes sur le plan technique, mais aussi de modèle économique, de régulation et de gouvernance qui, pour l'heure, restent irrésolus. Il convient, par conséquent, de trouver une interface entre cette nouvelle réalité locale et le marché national et européen.

Troisièmement, la nécessité s'impose de réformer les marchés et de mener des politiques publiques plus cohérentes aux niveaux local, national et européen et multisecteurs.

Il nous faut aussi réinventer la régulation. Celle qui a été instaurée avait pour objectif la protection des consommateurs, notamment par le biais de la concurrence ; aujourd'hui, il est nécessaire de repenser et de réinventer la régulation.

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. Merci beaucoup de cet historique qui permet de replacer les événements dans leur contexte.

L'Espagne et le Portugal sont en bout de réseau et n'occupent pas la position centrale d'autres pays européens, ce qui pourrait amener à un soutien du réseau européen plus limité, en tout cas, c'est ce que l'on nous a laissé entendre. La question liée aux EnR est celle d'une forme d'intermittence, le manque de foisonnement serait susceptible de mettre en difficulté ces pays situés en bout de réseau qui ne pourraient pas compter entièrement sur leurs voisins pour venir compléter leur consommation. Ce sujet est-il pris en compte spécifiquement par le Portugal et l'Espagne ? Est-il considéré comme un risque ou un frein au développement des EnR intermittentes par le Portugal et l'Espagne qui sont peut-être en position plus fragile que la France ou l'Allemagne dont la position est plus centrale ?

Avec le développement des EnR, n'assiste-on pas à l'émergence d'une forme de contre-culture ? La culture actuelle de centralisation des réseaux et du pilotage de l'énergie n'est pas celle qui prévalait au développement des EnR, à l'origine plus régionalisées. Avec le nucléaire, on a centralisé pour rationaliser et rendre le système plus efficace et plus pertinent. À l'inverse, les EnR n'obligent-elles pas à une décentralisation, contre laquelle le système lutterait dans la mesure où c'est contre intuitif par rapport à la ligne qui a été défendue jusqu'à présent ? On a cherché à centraliser pour mieux maîtriser la production alors que les EnR invitent à une logique très locale. N'assisterions-nous pas à une résistance du réseau à la décentralisation ?

Les EnR permettent-elles une appropriation plus grande par les citoyens des questions énergétiques ? De par ce système, les citoyens entrent dans une relation immédiate, contrairement à une relation médiate qui passe par un réseau centralisé, donc par un médiateur et un régulateur qui ont tendance à centraliser les questions, empêchant finalement les utilisateurs de s'approprier la question de l'énergie, les fluctuations des prix, lissées par un prix stable, voire la manière dont l'énergie est produite qui devient invisible dès lors que l'on se place « de l'autre côté de la prise ». Les EnR participent-elles à l'appropriation par les citoyens de la question de l'énergie et cette appropriation peut-elle amener à une prise de conscience d'usage ou de consommation plus raisonnables ?

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Jorge Vasconcelos

. Votre première question porte sur les réseaux. Très souvent, la technique et la physique ont été utilisées pour freiner la libéralisation du secteur énergétique. Au début des années 1990, les représentants de l'industrie électrique et du gaz expliquaient à tout le monde, notamment aux décideurs politiques nationaux et européens, que le commerce transfrontalier de l'énergie n'était pas possible pour des questions techniques, ce qui était faux, on le sait aujourd'hui. Ces gestionnaires de réseau, ces anciens monopoles ont un peu abusé d'arguments tirés de la science et de la technique pour défendre des positions économiques.

Je suis ingénieur de formation et je connais les lois de la physique, je sais distinguer un problème réel d'une excuse utilisée pour éviter d'emprunter certaines voies. Par exemple, je sais très bien que ce sujet qui est très à la mode aujourd'hui partout dans le monde, à savoir l'application de la blockchain de l'énergie, censée révolutionner notre secteur électrique, ne fonctionnera pas dans le secteur de l'énergie parce qu'il est, par définition incompatible ; en revanche, d'autres systèmes peuvent parfaitement fonctionner. La libéralisation de nos réseaux, la pénétration des énergies renouvelables et la gestion de la demande sont possibles.

Un réseau émaillé, à l'instar de celui de l'Europe occidentale, pose-t-il des problèmes particuliers ? Oui. La différence entre le centre et la périphérie joue-t-elle un rôle très important dans le contexte de la gouvernance d'un marché intégré ? Non, ce n'est d'ailleurs pas le vrai problème. Nous savons bien qu'entre la péninsule ibérique et la France, les interconnexions d'électricité et de gaz sont très faibles au regard de ce que nous observons ailleurs. Mais cela pose un problème de justice et de répartition des bénéfices du marché européen et, à la limite, d'équité du projet européen entre les citoyens. Pour autant, cela ne pose pas un problème technique spécifique. Il faut comprendre que, dans un système interconnecté, tout ce qui se passe dans le réseau affecte l'ensemble du réseau instantanément.

J'ai évoqué précédemment les blackouts de 2003. Dans la nuit du dimanche 28 septembre, la Suisse a connu un problème qui a touché l'Italie, alors même que la consommation était peu élevée. Le blackout a duré plusieurs heures en Italie qui est restée sans électricité.

À l'époque j'étais le régulateur portugais et le président du Conseil des régulateurs européens. Le lendemain, j'ai reçu des coups de fil de propriétaires portugais de centrales éoliennes au Portugal. Ils m'ont interrogé sur les coupures. Ils étaient en train de produire quand soudain, sans explication aucune, les gestionnaires de réseau ont coupé. La perturbation en Suisse et en Italie a provoqué une fluctuation de la fréquence dans le réseau européen qui est intervenue instantanément partout. À l'époque, les générateurs éoliens étaient très sensibles aux variations de fréquence et ils ont été automatiquement séparés du réseau. Depuis, nous avons traité cette question et amélioré la réponse des machines.

Autre exemple, en 2006, un problème de communication est survenu entre deux gestionnaires de réseaux allemands d'électricité, sur les quatre que compte l'Allemagne. Un pont, qui conduit un câble électrique, a été ouvert pour permettre à un bateau de sortir et a séparé les deux réseaux présents de chaque côté de ce pont. Plus de 12 millions d'Européens ont été privés d'électricité, de l'Autriche au Portugal. Cela démontre que si un problème intervient dans un réseau interconnecté, il se répercute sur l'ensemble du réseau en raison de cette solidarité imposée par les lois de la physique. Cela suppose d'avoir une gestion technique très efficace de ce réseau interconnecté. Les risques sont considérables, à la mesure du réseau.

Je vais être direct et très franc : jusqu'à aujourd'hui, on n'a jamais voulu tenir compte de cette nécessité technique nécessaire à un bon fonctionnement d'un marché intégré. On n'a jamais voulu accepter l'idée qu'un réseau physique, un réseau électrique interconnecté, exclut les frontières politiques. Les lois de la physique ne respectent pas les frontières. Bien sûr, on peut essayer de forcer les flux énergétiques à suivre les frontières politiques – et y parvenir jusqu'à un certain point. On peut réussir en termes d'économie et de fiabilité du système, de sécurité d'approvisionnement et des normes. Vous le savez bien, puisque la France a risqué à plusieurs reprises un blackout, cette année et les deux années précédentes, en l'absence de la gouvernance nécessaire à la bonne gestion du réseau européen. Une telle situation implique une centralisation de la gestion. Cela ne signifie pas qu'une personne décide de ce que chacun doit faire au Portugal, en Espagne, en France, en Croatie ou ailleurs. Nous avons besoin d'un ordinateur – situé n'importe où, même en Nouvelle-Zélande – qui, en temps réel, gère l'ensemble des informations du réseau physiquement interconnecté. Ces informations analysées permettraient d'établir le degré de sécurité de notre réseau et de connaître les limites de nos infrastructures à ne pas dépasser. Je pense notamment aux lignes, nécessaires aux transactions commerciales et à un régime de marché.

Vous me dites qu'après avoir travaillé sur ce projet, nous sommes en train de faire marche arrière. Nous aurions dû suivre cette voie mais nous ne l'avons pas fait. Le système actuel n'est pas une réponse solide et nécessaire au souhait d'intégration efficace des marchés dans un réseau physiquement interconnecté. La gouvernance des marchés intérieurs n'a jamais été bien traitée. Je me souviens de M. Merlin, premier président de l'Association européenne des gestionnaires de réseaux électriques, qui expliquait la nécessité d'avoir une gestion intégrée des systèmes européens pour éviter tout risque. Malheureusement, ses appels n'ont pas été entendus.

La volonté des gestionnaires de réseaux et du niveau politique fait nettement défaut ; ils refusent de reconnaître que l'application du principe de subsidiarité, dans ce cas concret, nécessite de traiter cette question au niveau européen, le seul où elle peut l'être efficacement. Ce n'est pas une question qui relève d'options politiques ou idéologiques, elle découle de la volonté d'avoir un marché intégré, qui nécessite une infrastructure physique interconnectée. Si on veut maintenir un réseau physiquement interconnecté, il faut accepter l'idée d'une centralisation efficace de la gestion du système, ce que l'on n'a pas bâti, parce qu'on ne l'a pas voulu car elle entraîne des coûts. Mais l'absence d'un tel système a conduit à des situations aberrantes à certaines frontières.

On ne peut arguer d'une production aujourd'hui très décentralisée pour promouvoir la centralisation économique et affirmer, comme certains, qu'il faut parvenir avant tout à une centralisation efficace et complète et à un marché européen parfait, selon l'ancien modèle, avant de s'engager dans une nouvelle étape de la décentralisation de la production. Ce n'est pas possible ; en raison des prix actuels des énergies nouvelles, le processus de décentralisation est inévitable, ne serait-ce que d'un point de vue économique.

Les gestionnaires de réseaux et la majorité des régulateurs européens essaient de résister à cette décentralisation et à cette digitalisation du secteur électrique. Ils ne peuvent présenter des arguments raisonnables, ni techniques ni économiques. La décentralisation et la digitalisation vont donc se produire, elles sont d'ailleurs déjà à l'œuvre, ajoutant au degré de complexité d'un processus qui n'a pas été traité de façon claire. On a voulu bâtir le système du marché intégré européen sans traiter les questions très simples et premières de la coordination, du partage des coûts et des bénéfices, et enfin de la solidarité.

Et maintenant, que faire ? Il existe deux écoles de pensée. D'une part, il y a ceux qui souhaitent aboutir à un processus de centralisation sur la base de mécanismes qui évitent l'émergence d'une entité européenne pour coordonner les réseaux physiques et d'un régulateur européen fédéral comme il existe aux États-Unis, en un mot tout ce qui relève de la dimension européenne. C'est possible, cela fut fait avec des coûts énormes. On peut continuer ainsi. Mais cela suppose d'arrêter le développement local et le processus de décentralisation. C'est l'idée qui anime la majorité des grandes entreprises et des régulateurs. Cette approche caractérise fortement le produit final formé par le quatrième paquet de la Commission européenne « Énergie propre pour tous les Européens », présenté en 2016 et approuvé cette année.

La seconde approche est portée par les nouvelles entreprises qui essayent de créer des modèles alternatifs. Parfois, il ne s'agit même pas d'entreprises mais de coopératives, d'organisations qui ont une vision différente de considérer nos ressources énergétiques et de les gérer, surtout au niveau local, mais aussi national et européen.

Je suis d'accord avec vous : cette nouvelle voie rapproche les citoyens-consommateurs et les petits producteurs des questions énergétiques. Le lien entre production de politiques publiques et production d'énergie se resserre et devient plus sain, conduisant à une gestion plus efficace, plus sobre et plus intelligente des ressources énergétiques. Pour l'heure, il faut être conscient que cette école de pensée minoritaire se heurte à de multiples obstacles législatifs et réglementaires partout en Europe qui ne facilitent pas le développement d'une telle approche. Les résistances sont considérables.

J'illustrerai mon propos d'un exemple récent au Portugal. Le gouvernement a annoncé son intention de permettre le développement de nouvelles communautés d'énergies renouvelables et de faciliter le schéma d'autoproductions renouvelables pour les entreprises, les citoyens, les coopératives, les associations, les municipalités, mais aussi pour les consommateurs industriels. Il leur permet d'utiliser les réseaux et les infrastructures d'une façon nouvelle, pas seulement selon les règles de notre marché marginaliste. L'intention a été annoncée, des projets de textes législatifs assez avancés dans cette direction ont été présentés. Finalement, certaines forces qui veulent conserver le statu quo ont vaincu. Je n'ai pas encore pris connaissance du texte qui a été approuvé par le conseil des ministres portugais, mais je sais qu'il ne va pas très loin. C'est une nouvelle occasion ratée de faire avancer cette démarche plus démocratique, plus décentralisée de la gestion des ressources énergétiques. Le Portugal n'est malheureusement pas le seul mauvais exemple.

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. Vous nous avez dit que les gestionnaires de réseau ont menti par le passé, lorsqu'il fallait libéraliser, sur l'impossibilité de faire commerce de l'énergie ; aujourd'hui, ces mêmes gestionnaires de réseau nous disent qu'ils savent gérer l'intégration des énergies intermittentes. Si donc ils ont menti il y a vingt ans sur leur capacité ou leur incapacité à commercer, faut-il les croire sur parole aujourd'hui quand ils nous disent qu'ils arriveront à gérer, quel que soit le taux d'intégration des EnR ?

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. Nous le savons, le commerce transfrontalier est possible. Il existe depuis le début du XXIe siècle. Les gestionnaires affirmaient que l'utilisation par des usagers individuels des interconnexions ne mettait pas en péril la gestion du système intégré, ce n'était pas vrai. La première directive de 1996 prévoyait ce droit de commerce transfrontalier aux gros consommateurs mais n'affichait aucune indication sur les règles d'application de ce principe, la décision était laissée à l'appréciation de chaque État membre. Et donc cela ne marchait pas en pratique. La Commission l'a reconnu très tôt, en 1998. Elle a convoqué en forum les régulateurs de l'époque, assez peu nombreux, les ministères des pays où il n'y avait pas de régulateur – la France, par exemple, n'avait pas encore de régulateur – et les représentants de l'industrie pour résoudre ce problème d'une façon volontaire, sans avoir à produire une nouvelle directive ou un règlement.

Ce processus, connu sous le nom de Forum de Florence, a abouti. C'est ainsi qu'au début de l'année 2000, nous nous étions tous accordés sur un schéma qui permettait le fonctionnement des interconnexions.

Pour ce qui concerne la capacité des gestionnaires de réseaux à gérer les intermittences, on doit y croire, oui, mais cela ne correspondait pas du tout à leur première réaction. Aujourd'hui, ils nous disent que c'est possible, mais, il y a dix ans, ils affirmaient que c'était quasiment impossible. Lorsque j'ai pris mes fonctions de régulateur de l'énergie en 1996, les gestionnaires de réseau au Portugal affirmaient que le maximum de capacités renouvelables qu'ils pouvaient raccorder au réseau était de 300 MW.

Je leur ai demandé de me présenter des études. Ils m'ont dit ne pas en avoir mais « qu'ils savaient ». J'ai alors commandé une étude à un institut de recherche. Au fur et à mesure que l'étude progressait, les gestionnaires de réseaux venaient me voir pour me dire que l'on pouvait arriver à 450 MW, puis ils m'ont parlé de 550 MW ; à la fin de l'étude, nous étions à 1 000 MW ! On pouvait, en effet, raccorder beaucoup plus sans investissements supplémentaires dans les réseaux. Le Portugal compte aujourd'hui plus de 5 000 MW éoliens.

En 2000, je me suis rendu en Hongrie. Le gestionnaire de réseau racontait exactement la même chose à son régulateur. Il avançait 300 MW, c'était devenu une sorte de chiffre magique ! Nous savons depuis que ce n'était pas vrai.

Selon moi, la question n'est pas tant de savoir si les gestionnaires des réseaux de transport sont en mesure de gérer ces problèmes. Ils le font aujourd'hui dans les pays nordiques, un peu partout en Europe, où les pénétrations sont, par exemple, sur une année, de plus 40 % au Danemark, de 30 % en Espagne et au Portugal. Pendant certaines périodes, on intègre uniquement des renouvelables pendant trois ou quatre jours consécutifs. Cette capacité technique est donc démontrée. Le problème c'est qu'avec la décentralisation, nous avons besoin d'une gestion partagée entre les gestionnaires des réseaux de transport et les gestionnaires de réseau de distribution ; or, ils ne veulent pas partager la responsabilité. C'est l'un des obstacles à une transition énergétique efficace que nous devons résoudre aujourd'hui. Ce manque de gouvernance que l'on a observé par le passé lors de la construction du marché intérieur se répète aujourd'hui dans le processus de décentralisation, mais au manque de gouvernance au niveau local se surajoute aujourd'hui un manque de gouvernance et de coordination entre le niveau local et le niveau national.

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. Les experts que nous avons reçus nous ont dit que, si le Danemark ou le Portugal intégraient 40 % d'EnR au niveau européen, cela se gérerait. Ce que je crains ce sont trois jours sans vent en Europe, de l'Allemagne au Portugal, dans un mix énergétique où tout le monde aurait fait une part importante aux EnR. Comment éviter le blackout ?

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Jorge Vasconcelos

. Il convient de distinguer deux questions : celle de l'opération en temps réel du système qui pose des problèmes techniques, tels la présence de nuages, une éclipse de soleil, la réduction de la production solaire ou photovoltaïque ou encore des problèmes de vent. Dans cette configuration, il faut comprendre que la corrélation entre les différentes géographies est faible. La probabilité de ne pas avoir de vent de la Finlande jusqu'au Portugal, de Suez jusqu'à la Sicile est extrêmement faible. C'est un phénomène qui ne se produit pas. Et si des variations rapides se produisent, les gestionnaires de réseaux savent les maîtriser. Le vrai problème n'est pas là, il réside dans le manque de gouvernance et de règles claires pour déterminer le partage de responsabilité, donc le partage des coûts entre les différents réseaux quand un problème de ce type se produit. Nous n'avons pas défini ces règles parce que nous ne l'avons pas voulu.

L'autre problème sous-jacent tient à la capacité de réserve dont nous avons toujours besoin dans un système électrique. Si la pénétration d'énergie solaire et éolienne est importante, nous devons étudier la question de la réserve sous un autre angle. Par exemple, nous avons besoin, d'un point de vue méthodologique, d'une approche probabiliste qui n'est pas encore appliquée au niveau européen. Je sais que le prochain plan de développement du réseau introduira cette méthode mais nous en sommes encore loin.

Par ailleurs, la direction générale de la concurrence et la direction générale de l'énergie à Bruxelles n'ont pas compris, ou n'ont pas voulu comprendre, que dans un réseau physiquement interconnecté, la question essentielle est la sécurité d'approvisionnement au niveau européen d'un marché physiquement interconnecté ; elle ne peut qu'être traitée au niveau du réseau interconnecté et donc au niveau européen. Encore une fois, elle relève de la mathématique et de la physique, elle n'a rien à voir avec des préférences politiques internes au projet européen.

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. Si ce n'est qu'aujourd'hui, vous n'avez pas d'opérateurs européens qui gèrent le réseau européen.

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. C'est même plus grave que cela. La direction générale de la concurrence nous a expliqué ce que les États membres devaient faire. La question s'est posée à propos des dispositifs de rémunération de capacités que certains États membres ont voulu introduire. La Commission nous a indiqué que cela pouvait poser un problème de concurrence et qu'il fallait d'abord que chaque État procède à une analyse au niveau national tenant compte de ses voisins, du moins de certains voisins. Retenir un mécanisme de rémunération de capacité parce que l'on pense avoir des problèmes de capacité à long terme oblige à garder un certain pourcentage de cette capacité pour des opérateurs étrangers, donc pour des aides transfrontalières. D'un point de vue scientifique, c'est une fiction, cela n'est pas possible, c'est une mystification.

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. Je le comprends du point de vue de la théorie, mais au plan pratique, dans un réseau interconnecté, si la probabilité d'absence de vent pendant trois jours est très faible, elle existe néanmoins. Chaque pays a intérêt à ce que son voisin dispose de réserves mais dans un réseau européen interconnecté, cela suppose que chaque pays paye. Entre deux pays, c'est assez facile, entre la France et l'Espagne, on partage l'addition. Par contre, si on demande demain à la France de renforcer le tronçon entre Toulouse et Perpignan parce que l'on considère qu'en cas de problème en Pologne, ce tronçon jouera un rôle très important, la France pourrait demander le prix du renforcement de la ligne dans l'intérêt général. Si nous suivons votre logique, cela suppose une question de paiement.

Vous évoquez ensuite les réserves qui permettent d'équilibrer le système. D'après ce que vous nous dites, l'Europe demande aux différents pays de penser aux voisins, si ce n'est qu'en réalité les réserves sont calculées au plan national en fonction de l'équilibre du réseau national. Je comprends donc qu'il serait possible de gérer l'intermittence si le réseau européen se fondait sur un dispatcheur européen, avec un ordinateur européen, sur un système de paiement et de prise en charge européens fondés sur une clé de répartition des coûts. Dans la mesure où cela n'existe pas, j'en déduis, en creux, que nous pourrions être confrontés à un blackout européen en raison du dysfonctionnement physique du réseau. Ou alors donnez-nous des raisons d'espérer !

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. Un blackout s'est produit en 2003, un autre en 2006.

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. Nous sommes passés à côté d'un blackout en janvier 2019.

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. Les chiffres des renouvelables à l'époque étaient très faibles. Les renouvelables ne sont donc pas la cause des blackouts . Les problèmes qui y ont conduit n'ont pas encore été résolus. Selon les rapports produits à l'époque par l'Association des gestionnaires de réseaux, on comprend que l'on n'a pas fait ce qui aurait dû l'être.

Dans la mesure où votre commission procède à des analyses comparatives, il est intéressant de voir quelle a été la réponse du législateur aux États-Unis. Cinquante millions de personnes ont souffert d'une coupure d'électricité au mois d'août 2003 ; en Europe, au mois de septembre 2003. Plus pragmatiques, les Américains ont créé une solution fédérale, ils ont demandé aux gestionnaires de réseau de créer une organisation pour traiter ces questions et de présenter des propositions approuvées par le régulateur fédéral. C'est ainsi qu'ils ont développé des modèles et des mécanismes de partage de risque, qui ont été approuvés par le régulateur. Le partage des coûts et des bénéfices était clair. On n'a pas voulu faire de même en Europe. Je crois nécessaire de dissocier les deux questions, c'est-à-dire que le problème existe, en dehors même des renouvelables.

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. Oui, le problème existe. Le fait d'injecter des renouvelables est-il neutre par rapport au problème préexistant ? En janvier 2019, nous sommes passés à deux doigts d'un blackout. Croyez-vous à la théorie du foisonnement des EnR, qui repose sur la multitude des vents ? S'il n'y a pas de vent au nord, il y en a au sud ; finalement, ces EnR fonctionnent globalement au plan européen de manière stable et donc annulent les risques. Nous avons reçu ici même des chercheurs qui nous ont démontré, graphiques à l'appui, la forte corrélation entre les vents espagnol et français, entre le vent français et le vent allemand, etc., et que le foisonnement ne fonctionnait pas. Quel est votre avis ?

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. S'agissant d'une technologie comme l'éolien, la corrélation entre différentes géographies n'est pas très forte et il n'y a pas de corrélation entre les problèmes des différentes technologies que sont le solaire, l'hydraulique, le photovoltaïque. Si donc vous mélangez les deux aspects, la nécessité de définir une capacité de réserve, quels que soient le mix énergétique et le périmètre géographique défini, la question demeurera. Le problème doit être traité de façon rationnelle. Or, nous avons aujourd'hui un système irrationnel, car on ne veut pas traiter rationnellement l'ensemble du réseau interconnecté et, après discussion, sur le partage sur la base d'une analyse commune.

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. Je n'arrive pas à comprendre si, selon vous, le foisonnement des EnR fonctionnant, diversifier le mix énergétique est neutre pour le réseau ou si la corrélation existe mais qu'elle n'est pas positive, en raison d'un risque lié à un problème d'irrationalité du réseau. Nous essayons, pour notre part, d'identifier si le fait que chaque pays développe des EnR, chacun dans son coin, augmente les risques physiques d'un sous-optimum, indépendamment des choix politiques.

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. Le problème ne tient pas aux renouvelables mais au manque de gouvernance associé aux coûts. Nous ne les voyons pas, mais nous payons les coûts liés à l'inefficacité du fonctionnement du marché, au manque de capacité d'interconnexion et à une bonne gouvernance du marché intérieur. Depuis le début de la libéralisation, cela nous coûte des milliards.

Une des idées du projet européen de libéralisation visait à faciliter la gestion économique des ressources entre les différents pays. Lorsqu'un pays pratique des coûts plus bas, d'autres pays importent. Nous avons tous intérêt à cliver un marché intégré. Il serait logique de développer des infrastructures de transport au niveau interne et des interconnexions. Les prix pratiqués par les différentes régions européennes diffèrent sensiblement. Il existe donc une incitation économique à faire des transactions, mais si ces transactions ne se produisent pas, c'est que se posent des problèmes, soit de type réglementaire, soit de gestion de cette infrastructure physique. C'est par ce biais qu'il convient de traiter la question, non en affirmant que l'on ne peut plus développer des sources d'énergie renouvelables parce que l'on ne sait pas gérer le système. Il faut d'abord comprendre les besoins de gouvernance du marché ; on décidera ensuite des technologies que nous souhaitons retenir et des quantités qu'elles produiront, tout en restant prudents. Je cite souvent aux étudiants et à l'occasion de conférences l'exemple de l'interconnexion sous-marine entre la France et l'Angleterre. Un câble a été construit dans les années 80. Pour schématiser, on a organisé une réunion politique, les deux gouvernements ont décidé de faire cette interconnexion parce qu'ils pensaient que c'était important sur le plan politique et sur le plan économique. La décision a été prise et a ensuite été communiquée aux deux monopolistes : Central Electricity Generating Board en Angleterre, EDF en France.

Les entreprises ont organisé des groupes de travail pour envisager la réalisation du projet. L'une des premières questions qui se pose habituellement est celle du partage des coûts et des bénéfices pour les trente années à venir. Cette histoire, véridique, m'a été racontée par des amis, tant britanniques que français. Pour déterminer les bénéfices, ils sont partis du principe que les flux d'énergie circuleraient à 50 % dans un sens comme dans l'autre.

Le câble a été construit. Vingt ans après la mise en service de ce câble, on constate que 98 % du temps les flux circulent de la France vers d'Angleterre ; 2 % du temps de l'Angleterre vers la France. S'agissait-il d'une mauvaise décision ? Non, c'était une excellente décision parce que le câble a été effectivement très utilisé, certes d'une façon différente de celle qui était prévue, mais il a rencontré une utilité économique.

Le réseau européen est aujourd'hui interconnecté. On ne va pas couper les lignes pour revenir à un réseau national, ce serait irrationnel. Il nous faut donc utiliser ce réseau interconnecté de façon intelligente pour arriver à un vrai partage des bénéfices, tenant compte du potentiel de développement des ressources renouvelables dans les différents pays – un débat qui n'est pas engagé aujourd'hui.

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. Des personnes auditionnées nous ont expliqué que le développement des EnR était irrationnel parce que remplacer le nucléaire par une EnR électrique intermittente n'avait aucun sens. Selon elles, les EnR étant intermittentes, on ne pourrait jamais se passer des volumes produits par le nucléaire. Avec les EnR électriques, les éoliennes et le solaire, on mettrait en place un itinéraire bis qui serait un surplus d'énergie sur le réseau qui devrait être payé en tant que surplus. La production des EnR ne viendrait jamais en déduction de la production nucléaire nécessaire à la France. Cela reviendrait à financer en même temps le nucléaire, dont la France ne peut se passer et qui ne diminuerait pas, et les EnR électriques, qui seraient une énergie supplémentaire inutile et que l'on devrait payer, à la fois en termes d'installation et de surplus.

L'argumentaire repose sur l'intermittence des EnR. En Europe, la compensation ou la complémentarité ne pourra pas jouer. Quand il y a du vent en Europe, il souffle partout en Europe en même temps. Il n'y a pas de différence entre le vent dans les pays du Nord et le vent dans les pays du Sud, il n'y a pas de différence non plus des temps d'ensoleillement ; il n'y a donc aucune possibilité de foisonnement entre pays européens qui produiraient différentes EnR. Selon vous, cette démonstration sur le foisonnement et la complémentarité des EnR, que ce soit les EnR des différents pays ou les EnR entre elles, est-elle valide ?

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Jorge Vasconcelos

. Nombre d'études sur le vent ont été publiées. Des études financées par la Commission européenne montrent la très faible corrélation entre les différentes régions.

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. « Corrélation très faible » signifiant que les régions n'ont pas de vent en même temps.

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. Un argument qui va dans le sens du foisonnement.

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. Si vous n'avez pas de vent ici, il y en a ailleurs. Pour preuve, les éoliennes offshore tournent 4 000 heures par an et les éoliennes onshore 2 000 heures : la différence est énorme. Pour ce qui est du solaire, reportez-vous à la carte de l'Europe. Entre Helsinki et Lisbonne, les températures diffèrent. La terre tourne autour du soleil, ce qui signifie que les pointes de production solaires changent tout au long de la journée d'une partie à l'autre. C'est assez intuitif, il est facile de comprendre que les pointes de production photovoltaïque varient sur le temps d'une journée, selon les pays.

Je ne répondrai pas à la question de savoir si la France doit garder son parc nucléaire jusqu'à sa fin de vie utile ou si elle doit suivre l'exemple allemand et donc sortir du nucléaire avant. Il s'agit là d'un choix politique propre à chaque société. Ce que je dis c'est que, indépendamment du choix politique légitime de la France, dans un réseau interconnecté physiquement qui connaît une production de plus en plus intermittente, vous ne pouvez pas ignorer le problème parce que la France appartient à ce réseau interconnecté. Le choix national est légitime mais un autre choix nécessaire s'impose au niveau européen, en raison de l'appartenance de la France à un réseau physiquement interconnecté.

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. Ce que vous nous dites là est extrêmement important, parce qu'un raisonnement anti-EnR en France est fondé sur des études scientifiques qui montrent la présence simultanée de vent et de soleil partout en Europe, attestant d'une forte corrélation entre les productions. Nous connaîtrions donc des temps de surproduction et des temps de non-production qui ne pourraient être compensés que par le stockage et les réseaux.

De votre côté, vous nous dites que les études scientifiques démontrent que le vent ne souffle pas en même temps en Europe et que l'Europe ne connaît pas de pics de production solaire simultanés. Pourriez-vous nous transmettre les références scientifiques qui corrèlent ce propos ?

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. Dans la mesure où des personnes nous ont affirmé l'inverse, nous allons croiser les données. Soit il y a corrélation, soit il n'y en a pas. Des tableaux nous ont été présentés qui montraient la présence simultanée des vents en Allemagne et en France, en France et en Espagne – il y avait une dizaine de comparaisons. La corrélation était très grande.

Je voudrais faire une remarque.

Vous avez commencé votre propos par la libéralisation du marché qui est plutôt anti-État. Vous nous avez expliqué doctement que nous avions bâti une grande administration à Bruxelles. Je ne peux m'empêcher de refréner un sourire. Vous commencez par dire que l'on va libérer les acteurs et cela se termine par la constitution d'un super-État !

J'en viens maintenant à ma question qui porte sur le prix de vente du solaire. Vous annoncez 36 euros du MWh. Pensez-vous que ce prix reflète l'intégralité du coût économique de la gestion de ce réseau ?

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Jorge Vasconcelos

. Ce coût reflète le coût réel de la production. Dans d'autres pays, notamment en Amérique latine, on a vu récemment des valeurs de cet ordre de grandeur, voire inférieures.

Pour répondre à votre question sur le coût total pour le système, la question se pose, pas uniquement pour le photovoltaïque, mais pour toutes les technologies et on ne peut pas y répondre sans une étude sur la sécurité d'approvisionnement du système à long terme, qui doit tenir compte des caractéristiques des différentes technologies et de l'interaction entre elles comme de l'interaction entre les différentes parties de réseaux interconnectés. Sans cette analyse commune, on peut inventer des chiffres, lancer des hypothèses, faire des calculs, mais ils ne reflètent pas vraiment le coût efficace dans un système intégré complet.

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. Dans tous les débats, les gens se jettent des coûts de production à la figure à propos de l'éolien, du solaire, du nucléaire. De ce que vous dites, je comprends que l'on n'a pas fait d'études sur le coût total ; c'est bien le coût total qui nous intéresse, non le coût de production.

On peut affirmer que le photovoltaïque est à 36 euros, mais si, ensuite, la société paye 30 euros de plus parce qu'il faut renforcer les réseaux, vendre à perte le surplus lié à un pic de production, payer des gens pour qu'ils achètent son électricité, s'il faut créer des unités de réserve ou de stockage supplémentaires qui coûtent de l'argent et si, pour finir, il faut une centrale à gaz pour pallier d'éventuelles pannes, si donc je n'intègre pas les coûts cachés, je compare des choux et des carottes.

Si, sur cette base, et au-delà même des choix politiques, entre le nouveau nucléaire, à 70 euros, et le photovoltaïque, deux fois moins cher, j'arbitre en faveur du photovoltaïque, j'arrête de faire du nouveau nucléaire mais si j'avais intégré l'ensemble des coûts, peut-être aurais-je arbitré différemment. N'existe-t-il pas d'études sur le coût économique des EnR prenant en compte l'ensemble des facteurs ?

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Jorge Vasconcelos

. Les études sont nombreuses ; ce que je veux dire, c'est que dans un système physiquement interconnecté comme le système européen, obtenir une réponse fiable nécessite de tenir compte du fonctionnement intégré du système. Si on coupe le système en morceaux, cela entraîne des coûts nécessaires à ce système coupé. L'analyse est, de fait, erronée. On trouve ainsi des études qui affichent des chiffres comprenant les besoins de stockage.

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. Des études et des articles techniques expliquent, sur la base d'un système revêtant telle ou telle configuration et garantissant un certain niveau de fiabilité, les capacités nécessaires, donc le coût total du système. Le problème c'est que ces analyses ne tiennent pas compte d'un système physiquement intégré. Il s'agit toujours de fictions parce qu'elles essayent de résoudre un sous-système en ignorant ce qui se passe en parallèle ; les résultats sont donc faux, ce sont des approximations.

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Jorge Vasconcelos

. Elles varient beaucoup de l'une à l'autre selon leur commanditaire. Entre une étude d'un promoteur de solaire et celle d'une entreprise opposée à la production décentralisée qui préfère garder les actifs existants, les résultats sont opposés.

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. En d'autres termes, chacun produit son étude, mais personne n'en commande au plan européen. Alors que l'on injecte des centaines de milliards d'euros dans le changement du mode de production, on pourrait pour le moins se payer une étude pour déterminer au niveau européen le coût réel de chaque énergie !

Prenons l'exemple de l'hydroélectricité qui fait, en France, l'objet d'un large consensus. Parce qu'elle permet de stocker l'électricité et d'équilibrer le système, tout le monde la veut ! Le coût de production de l'hydroélectricité est de x mais dans la mesure où elle participe à la stabilisation du système, le coût réel est plus bas. Alors que le coût de production de l'hydroélectricité est de 30-35 euros, il est peut-être de 20 euros parce que les Français, les Allemands et les Espagnols en ont besoin. Si nous demandions à ces pays s'ils sont prêts à payer pour que la France garde une capacité hydroélectrique, ils répondraient affirmativement pour éviter un blackout. Si on veut tenir un raisonnement global, il faut avoir accès à des chiffres globaux.

Vous dites que toutes les études sont fausses parce qu'orientées selon le commanditaire. Si le MW est à 36 euros, le chiffre est intéressant pour cibler la production mais cela ne dit rien des arbitrages de financement.

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Jorge Vasconcelos

. Quelqu'un investira des millions, bâtira une centrale et recevra cet argent. Les consommateurs paieront 36 euros par MWh, ils paieront beaucoup moins que le prix moyen du marché ibérique qui avoisine aujourd'hui 55 euros le MWh.

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. Oui, mais si, sur ma facture d'électricité, le coût du réseau a été augmenté de 20 % parce qu'il fallait renforcer le réseau, en tant que citoyen, j'obtiendrai le coût global.

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. Je comprends, mais il faut rester proche des faits. Si nous connaissons aujourd'hui les prix de production c'est grâce aussi à la transparence qui a été introduite dans le système et qui s'applique au marché européen. Auparavant, la France, comme les autres pays, ne connaissait pas les vrais coûts parce que les ingénieurs qui faisaient le plein d'expansion du système savaient les gérer et les transférer d'un secteur à l'autre – de la production au transport et à la distribution. Les exemples historiques sont nombreux.

Grâce au système de transparence, nous connaissons le coût du nucléaire en Grande-Bretagne, le coût du solaire ici ou là, nous connaissons le prix de production de toutes ces technologies dans les différents pays. Il faut remercier ceux qui ont fait la libéralisation et qui ont introduit la régulation indépendante pour nous offrir aujourd'hui ce degré de transparence.

S'agissant des coûts du système et du coût de développement des réseaux, je suis d'accord avec vous. Jusqu'à présent, nous ne disposons pas d'une méthodologie transparente. Libéraliser nécessite d'avoir une capacité de transport plus grande. Au moment zéro de la libéralisation, la structure des réseaux de transport reflétait la structure verticalement intégrée de l'industrie. Il est logique qu'après libéralisation, nous ayons besoin d'une nouvelle structure, d'une adaptation de la structure et de la topologie des capacités des réseaux. On s'attendait à des changements de la longueur des lignes de transport d'électricité partout en Europe et, surtout, à certaines frontières en raison du différentiel de prix. Avec quelques collègues, nous avons publié des statistiques. Quinze ans après la libéralisation, nous relevons que rien ne s'est passé, voire, dans certains pays, que la longueur des lignes 4,5 kilovolts est inférieure à ce qu'elle était au moment de la libéralisation. Le mécanisme de rationalisation et d'adaptation de l'infrastructure aux nouveaux objectifs politiques et économiques n'a pas été appliqué. Les gestionnaires de réseaux ont résisté et les régulateurs, dans la plupart des pays, n'ont pas su donner l'impulsion nécessaire.

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. Sur la base de l'ensemble des connaissances dont vous disposez, quels sont, à votre avis, les prix des principales EnR – éolien, solaire – qui pourraient être atteints durant des périodes courtes et selon quel pourcentage de variabilité ? Si le photovoltaïque est à 36 euros et que l'on y ajoute des coûts de réseaux, on pourrait estimer le surcoût à 5 ou à 10 % de 36 euros. Êtes-vous en mesure de donner un prix prévisible ? La commission d'enquête se demande si miser sur les EnR est un choix politique avisé, mais aussi s'il s'agit d'un choix économiquement judicieux.

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Jorge Vasconcelos

. J'ai été régulateur pendant dix ans et je n'ai jamais essayé de faire de prévisions car je savais qu'elles seraient aisément démenties par le marché. Laissons donc la concurrence et les marchés fonctionner, bien sûr, dans un cadre législatif et réglementaire précis qui définit les coûts des différentes technologies. Cela ne peut se faire non plus au niveau national, parce que les entreprises de production des différentes technologies sont des multinationales européennes, chinoises, américaines. Nous parlons ici d'un marché d'équipement et d'un marché financier globaux. L'évolution des coûts des différentes technologies dépend en premier lieu de l'évolution des marchés mondiaux. Je n'ai personnellement pas la compétence pour vous livrer une réponse. Du reste, les experts de l'industrie et du pétrole à Vienne ou ici, à Paris, comparent les prévisions du prix du pétrole à la réalité ; on comprend vite qu'il faut se méfier de ces prévisions. Je ne répondrai donc pas à cette question sous cet angle.

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. Je vais vous pousser dans vos retranchements ! Si vous étiez à la place du législateur et si vous deviez faire des choix d'investissement, les feriez-vous dans les EnR parce que vous les considéreriez comme durables et parce que vous estimeriez qu'il s'agit là d'un investissement suffisamment sûr pour y placer votre argent et celui des citoyens ou cela vous paraîtrait-il trop risqué ?

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Jorge Vasconcelos

. S'agissant du solaire, je pense qu'il y a un malentendu quand vous ajoutez des coûts de réseaux aux 36 euros/MWh parce que la mise aux enchères porte sur des capacités disponibles. Si quelqu'un veut bâtir une centrale photovoltaïque, il doit payer en totalité les coûts de raccordement et de renforcement du réseau s'ils n'existent pas. En l'occurrence, on n'ajoute rien du point de vue de l'investissement, c'est un coût d'investissement sec. On trouve par ailleurs les coûts d'opération du système. À cet égard, je le répète, on ne peut vous livrer une réponse fiable si on ne considère pas le système intégré interconnecté.

Que ferais-je si j'étais décideur ? J'en discuterai avec la société, avec tous les citoyens. C'est un choix politique. La réponse obtenue en France est différente de celle obtenue en Allemagne, au Danemark, en Espagne ou au Portugal. Ce sont des choix légitimes, démocratiques. Nul besoin d'imposer un mix énergétique européen à tout le monde. On peut très bien vivre avec la diversité totale des moyens de production, mais puisque nous travaillons sur un réseau physiquement interconnecté, il est essentiel d'assurer que cette diversité de choix démocratiques des différentes sociétés garantit un fonctionnement fiable du système physique et un fonctionnement efficace du marché intégré. C'est dans le sens de cette nouvelle gouvernance que nous devons travailler, non en imposant des restrictions aux États membres qui veulent utiliser de nouvelles technologies.

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. Merci beaucoup.

Puisque vous aimez les faits, je vous livre deux chiffres : en France, le coût des éoliennes en mer est de 150 euros le MWh avec une renégociation qui a notamment inclus la prise charge par Réseau de transport d'électricité d'une partie des coûts de raccordement au réseau qui ont donc disparu du coût de production et sont apparus sur la facture. Six mois plus tard, le coût du MWh de l'éolien en mer était de 50 euros. Questionnons-nous sur la transparence ! Tout cela à six mois d'intervalle, ce qui ne laisse pas de nous interroger sur la réalité des coûts de production.

L'audition s'achève à quinze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Réunion du jeudi 25 juillet 2019 à 14 heures

Présents. - M. Julien Aubert, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Vincent Descoeur, Mme Marjolaine Meynier-Millefert, M. Vincent Thiébaut

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Véronique Louwagie