Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du lundi 17 juin 2019 à 16h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • alliance
  • centrale
  • consommateur
  • distributeur
  • fournisseur
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La réunion

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L'audition débute à seize heures

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Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi M. Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, M. Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E et Mme Annette Kliemann, administratrice.

Avant de vous donner la parole, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je dois vous demander de prêter serment.

M. Cecilio Madero Villarejo, M. Philippe Chauve et Mme Annette Kliemann prêtent successivement serment.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Merci, monsieur le président, de donner à trois fonctionnaires de la Commission européenne l'occasion de vous aider dans vos travaux. C'est un honneur pour nous d'être entendu par cette commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Vous voudrez bien m'excuser car mon français n'est pas aussi fluide qu'il le faudrait mais je vais faire de mon mieux.

En tant que directeur général adjoint, j'ai été en charge des affaires antitrust pendant sept ans et, depuis le 1er mars, je m'occupe des fusions et concentrations. En fait, je cumule les deux fonctions en attendant la nomination de mon successeur aux affaires antitrust.

Quel est le contexte, du point de vue de la Commission européenne ? La situation a beaucoup évolué par rapport à celle qui prévalait il y a encore quelques décennies. Sous l'effet de la concurrence dans la grande distribution, les consommateurs ont désormais à leur disposition des produits alimentaires d'une variété et d'une fraîcheur sans précédent, à des prix raisonnables et dans un nombre toujours plus grand de points de vente.

Pour arriver à ce résultat, la grande distribution a dû réaliser des économies d'échelle dont, à notre avis, tout le monde a profité : les consommateurs mais aussi les fournisseurs qui ont beaucoup moins de difficultés à distribuer leurs produits. Il suffit de comparer la France avec d'autres pays européens – l'Italie, la Pologne ou la Grèce, par exemple – où un fournisseur doit passer par de nombreux systèmes complexes de grossistes, pour se rendre compte que ce pays est du bon côté en ce qui concerne la distribution dite « moderne ».

Dans ce contexte, les opérateurs raisonnent en grande taille pour se rapprocher du consommateur et satisfaire ses exigences toujours plus variées, dans des délais sans cesse plus courts. Quoi qu'ils disent dans les enquêtes, les consommateurs se montrent toujours plus sensibles au prix. Les personnes qui ont du mal à faire face aux dépenses du quotidien mais aussi les consommateurs plus aisés ne veulent pas payer des prix élevés pour leur nourriture. Que l'on approuve ou non cet état de fait, il semblerait que tout le monde veuille des produits bon marché. Selon nos études, le prix est le premier facteur d'achat et, partant, de choix du magasin où le consommateur va faire ses courses.

Partout en Europe, les distributeurs qui gagnent des parts des marchés sont ceux qui affichent les prix les plus bas : les discounters de type Aldi et Lidl dans beaucoup d'États membres ; les champions des prix bas de certains marchés nationaux comme Leclerc en France et Colruyt en Belgique.

Face à cette exigence de prix bas, l'offre des produits de marque est assez – voire très – concentrée dans nombre de catégories. Cela signifie que les grands fournisseurs de produits de marques nationales représentent à eux seuls près de la moitié des ventes ; ils ont acquis depuis longtemps un fort pouvoir de négociation et ils peuvent augmenter les prix de manière non négligeable. En France, par exemple, l'essentiel des ventes dans beaucoup de catégories – thés, cafés, eaux minérales, sodas, céréales, poudres de chocolat, produits laitiers et autres – est dans les mains de trois, deux ou parfois un seul fournisseur.

Il existe donc des raisons objectives qui poussent les distributeurs à obtenir des économies d'échelle, synonymes aussi de gains de pouvoir de négociation. C'est ce qui a conduit très tôt à la création de centrales d'achat dont la Commission européenne s'occupe. Ces centrales d'achat regroupent des commerçants qui vendent sous des enseignes distinctes – en France, l'exemple typique est celle de Leclerc et Intermarché. Ces enseignes ont grandi au point de devenir parfois les plus gros opérateurs de marché. Le secteur est aussi marqué par des opérations de fusion-acquisition dont mes fonctions actuelles m'amènent à m'occuper. Je vous assure que nous avons du travail.

La Commission pense que ces alliances ont des effets bénéfiques qui ne se limitent pas aux seuls distributeurs. Selon une étude de la Banque centrale européenne – BCE –, la présence d'alliances se caractérise par des prix plus bas pour les consommateurs. La concentration à l'achat peut aussi être bénéfique en termes d'innovation. Certains ont parfois du mal à comprendre que l'agriculture et l'innovation peuvent aller de pair, que ces deux choses ne sont pas contradictoires. Il y a quelques années, nous avions commandé une étude économétrique approfondie portant sur des centaines de magasins à travers l'Europe. Elle a montré que l'augmentation de la concentration à l'achat était associée à une plus grande fréquence d'apparition de nouveaux produits dans les rayons des magasins, voire d'innovations. Selon les auteurs de l'étude, les fournisseurs – eux-mêmes très concentrés – sont obligés d'innover davantage pour convaincre un nombre plus limité d'acheteurs de prendre leurs produits.

Cependant, les alliances à l'achat peuvent aussi avoir des effets négatifs et la direction générale de la concurrence de la Commission européenne commence à s'y intéresser. Elles peuvent susciter au moins trois types de problèmes.

En premier lieu, elles peuvent servir de véhicules de coordination des prix, ce qui contrevient aux règles de concurrence applicables au niveau du traité, notamment parce qu'elles peuvent annuler les effets bénéfiques dont je viens de parler. Cela est interdit par le droit de la concurrence, quelle que soit la taille du marché couvert par l'alliance. Ce souci est d'autant plus pertinent dans des cas où, comme en France, les distributeurs changent fréquemment d'alliance. Cette tendance se développe aussi dans les alliances internationales. La réponse à ce type de comportement est l'application du droit de la concurrence et je vous assure que la commissaire, Mme Margrethe Vestager Hansen, n'hésite pas une seconde à le faire lorsque les conditions sont réunies.

En deuxième lieu, les alliances peuvent réduire structurellement la concurrence entre distributeurs si les partenaires se trouvent être les principaux concurrents en aval pour la vente au consommateur final. Dans les cas extrêmes où tous les distributeurs d'un marché s'entendent pour acheter tous les produits qu'ils vendent, ils auront les mêmes assortiments et, comme par hasard, quasiment les mêmes prix, car ils n'auront plus d'intérêt à se faire concurrence. Une telle situation a été observée en 2014 en Italie et les autorités de la concurrence nationales ont agi de façon très professionnelle pour y mettre fin. Il est très rare que ce soit aussi simple – tout le monde se mettant d'accord sur le même assortiment et le même prix – car il existe la plupart du temps d'autres concurrents en aval qui ne sont pas membre de l'alliance. Dans ce cas, il faut voir si ces concurrents extérieurs sont suffisamment forts pour obliger les membres de l'alliance à transmettre leurs économies à l'achat aux consommateurs. En se fondant sur des observations empiriques et des études économiques sérieuses, nos lignes directrices « horizontales » considèrent que ces problèmes sont peu probables quand les parts de marché ne dépassent pas 15 %. En cas de problème, il faut mener des enquêtes de confiance et appliquer les règles de concurrence.

En troisième lieu, les alliances peuvent affecter négativement l'offre en amont si l'alliance couvre une très grande partie du marché et force les fournisseurs à dégrader leurs offres ou à diminuer l'innovation. Là encore, nos lignes directrices considèrent que ce problème est peu probable quand les parts de marché ne dépassent pas 15 %. Au-delà de ce taux, il faut voir. Ce problème risque de toucher les petits fournisseurs plutôt que les grands qui couvrent une large partie du marché. Là encore, la réponse consiste à mener des enquêtes de concurrence sur le plan national – en France, vous êtes très bien servi avec l'Autorité de la concurrence – ou européen lorsque plusieurs États membres sont concernés.

Pour résumer, les alliances entre distributeurs ont des raisons objectives d'exister mais elles comportent des risques qui peuvent être traités par des enquêtes de concurrence appropriées. Je le répète : nous n'hésitons pas à le faire lorsque les conditions sont réunies. En France, nous avons récemment mené des inspections au siège de plusieurs sociétés faisant parties de ces alliances. Ces enquêtes étant en cours, je ne peux pas vous en dire grand-chose mais vous pouvez imaginer que lorsque nous effectuons ce genre de visites surprises, en France ou dans un autre État membre, c'est que nous pensons que certains éléments nécessitent au moins une vérification pour nous assurer d'un strict respect des règles de concurrence applicable.

Cela étant dit, il existe d'autres problèmes générés par les distributeurs, que le droit de la concurrence ne peut pas régler. Avec humilité et objectivité, je peux vous dire que nous ne prétendons pas pouvoir tout faire et tout régler avec le droit de la concurrence. Il faut d'autres instruments. C'est pourquoi le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne ont récemment adopté une directive sur les pratiques déloyales de la chaîne agroalimentaire, qui est entrée en vigueur le 30 avril dernier et que les États membres devront transposer dans les deux ans à venir. Indépendamment des alliances et des distributeurs, la taille de certains opérateurs dans la chaîne agroalimentaire leur donne un pouvoir de négociation par rapport aux petits fournisseurs, qui peut être mal utilisé et conduire à des pratiques commerciales abusives. Celles-ci doivent être appréhendées par la directive et les règles concernant les pratiques déloyales et pas nécessairement par les règles de concurrence.

Le problème existe et c'est pour cela que nous avons proposé cette directive. Avec notre approche, les institutions européennes cherchent à éliminer les pratiques manifestement abusives qui sont généralement inefficaces. En même temps, cette approche laisse aux partenaires la possibilité de se mettre d'accord sur des pratiques – telles que les contributions à des promotions – qui peuvent être efficaces et bénéfiques pour les petits partenaires. Cette directive ne peut pas tout régler mais elle représente un précédent important. Le législateur national est libre de compléter ces dispositions en fonction de la situation spécifique du marché du pays.

Pour conclure, je tiens à répéter qu'à la Commission, en particulier à la direction de la concurrence et à la direction générale de l'agriculture et du développement rural, nous n'hésiterons pas à appliquer ces règles si les conditions sont réunies. Je vous remercie de votre attention.

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Merci, monsieur le directeur général adjoint.

Monsieur Chauve, peut-être pourriez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu'est la task force alimentaire au sein de la direction E ?

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Au sein de la direction générale de la concurrence, il y a une direction E qui dispose d'une task force, c'est-à-dire d'une unité qui fait les enquêtes de concurrence dans la chaîne alimentaire. Nous avons, par exemple, mené récemment une enquête qui a conduit à la sanction du numéro un mondial de la bière, qui avait segmenté les marchés en Europe. C'est nous qui menons aussi les enquêtes sur les supermarchés et les alliances d'achat entre distributeurs.

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Nous allons passer aux questions et je vais vous poser la première. À l'intérieur de l'Union européenne, y a-t-il d'autres élus et d'autres parlements qui s'intéressent à ces questions de relations commerciales et au rôle que peuvent y jouer les grands distributeurs et leurs centrales d'achat ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

La réponse est oui mais j'ai l'impression que le Parlement français y porte un intérêt plus vif que d'autres – je parle sous le contrôle de mes collègues. En tout cas, c'est la première fois que je suis auditionné sur le sujet par une commission parlementaire.

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Existe-t-il une étroite coopération ou collaboration entre les instances de la concurrence européennes et nationales, c'est-à-dire, pour ce qui concerne la France, entre vos services et l'Autorité de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Puisque nous parlons du cas spécifique français, je peux vous réponse sans nuance : oui, nos relations sont très bonnes et très fluides. D'une manière générale, la direction de la concurrence de la Commission européenne discute de manière fluide, dynamique et constructive avec les autorités de la concurrence des vingt-huit États membres. Nous avons un droit de coordination vis-à-vis des autorités nationales de concurrence. La coordination est très facile avec les autorités de la concurrence françaises parce que nous sommes au même niveau et que nous parlons la même langue. Je peux vous rassurer : la connexion est très bonne et très fluide entre le niveau national et le niveau européen.

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Vous avez une vision globale du panorama européen. Au cours de nos auditions, nous avons beaucoup entendu parler de déflation. Chez les industriels de l'agroalimentaire français, elle serait d'environ 1 % à 2 % par an, ce qui représenterait une moyenne de quelque 4 % au cours des trois dernières années. En revanche, les industriels allemands ou italiens verraient leurs prix augmenter d'environ 1 % à 1,9 % en moyenne. Qu'en pensez-vous ? À votre connaissance, la France est-elle réellement en déflation et, si c'est le cas, est-elle le seul pays de l'Union européenne dans cette situation ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Vous êtes peut-être mieux placé que nous pour le savoir même si nous avons aussi des chiffres que M. Chauve peut vous donner. Personnellement, je ne crois pas que la France soit en déflation. Prenez mes propos à la fois comme une constatation et un compliment : en Europe, il y a peu de secteurs agricoles qui soient plus costauds que celui de la France. Je ne prétends pas qu'il n'y a pas difficultés mais l'agriculture française reste une référence et une puissance au niveau européen. Pour les chiffres, je laisse la parole à M. Chauve.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Quand on regarde les prix alimentaires au niveau européen, on voit que la France ne figure clairement pas parmi les pays les moins chers. D'autres pays, avec un niveau de développement et un pouvoir d'achat des consommateurs comparables, ont un indice des prix beaucoup plus bas que celui de la France. Prenons les données publiées par Eurostat en 2017 : l'indice des prix de la France est 114 alors que celui de l'Allemagne et des Pays-Bas est de 101. La différence est très significative. De façon temporaire, on peut observer une petite inflation en Allemagne ou aux Pays-Bas et une légère déflation en France mais, en moyenne, les prix restent nettement plus élevés dans l'hexagone. L'Espagne ou l'Italie affichent aussi un indice des prix plus bas. À part les pays nordiques, la plupart des pays ont un indice des prix plus bas que celui de la France.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Monsieur le rapporteur, permettez-moi de compléter la réponse de M. Chauve. Comme vous le savez certainement, on peut faire dire n'importe quoi à une statistique. Ce n'est pas certainement l'intention des fonctionnaires de la Commission européenne. Les chiffres d'Eurostat pour 2017, qui sont constatables, montrent que les produits alimentaires, hors alcool, étaient nettement plus chers en France qu'en moyenne dans les autres pays de l'Union européenne. L'indice était 114 pour la France, de 100 pour l'ensemble de l'Union européenne, et de 106 pour les pays de la zone euro. Les produits alimentaires, hors alcool, étaient nettement plus chers en France qu'en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne ou Royaume-Uni, pays dont l'indice était de 101. Je ne veux pas vous inonder de chiffres mais, honnêtement, nous n'avons pas l'impression qu'il y ait une telle déflation. Tout dépend des chiffres retenus.

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J'aimerais comprendre comment est structuré votre indice des prix. Nous nous comparons souvent à l'Allemagne. On peut le faire pour les exportations et le commerce. Il me semble plus difficile de comparer ce que les Allemands et les Français consomment, leur façon de le faire, la qualité des produits qu'ils choisissent, les lieux où ils vont les acheter. Les Allemands fréquentent beaucoup les hard discounters alors que les Français et les habitants des pays nordiques ont une vision différente qui explique peut-être l'évolution de l'indice des prix. Les Français aiment les marques alors que les Allemands regardent la typologie de produit. Cet indice des prix prend-il en compte cet aspect des choses ou ne reflète-t-il que le panier moyen ? S'il ne tient compte que du panier moyen, il est forcément moins élevé en Allemagne puisque ce ne sont pas des marques.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Ces indices de prix reflètent la consommation des produits alimentaires mais aussi certains coûts. S'ils sont beaucoup plus élevés dans les pays nordiques, cela tient en partie à des coûts de distribution en général plus élevés. Le prix s'explique donc par d'autres facteurs que le coût du produit lui-même.

Vous avez raison de noter que l'Allemagne compte une proportion non négligeable de discounters. À la Commission européenne, nous nous garderons de conclure que les produits vendus dans ces magasins sont forcément de moins bonne qualité. Les instituts indépendants, qui mènent des enquêtes comparatives sur les produits de marque et ceux des discounters, ne parviennent d'ailleurs pas systématiquement à ce type de conclusion. Les consommateurs sont très exigeants sur le rapport qualitéprix et pas uniquement sur le prix. Les consommateurs sont peut-être plus sensibles à ce rapport dans les pays où les discounters se sont le plus développés. En France, il y a eu une concurrence assez forte sur les marques à certaines périodes. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les discounters ne se sont pas développés. Il peut y en avoir d'autres.

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Sans nier les chiffres que vous nous présentez, je constate que l'on compare des pommes et des poires – autrement dit, des produits différents. Je préfère que l'on compare entre un produit de marque ayant fait l'objet de travaux de recherche-développement et un produit de hard discount qui ne fait que recopier un produit existant. Quant à l'indice des prix, le volume échangé est certes plus élevé mais, par déflation, je fais référence au prix net acheté par la grande distribution à l'industrie agro-alimentaire. Vous avez évoqué le revenu du modèle agricole : rappelons que l'objectif de cette commission d'enquête n'est pas d'examiner le revenu des agriculteurs même si, par ruissellement, l'agriculteur bénéficiera lui aussi d'une tendance favorable à l'ensemble de la chaîne ; nous nous penchons sur les relations entre les centrales d'achat, les industriels et les fournisseurs. La déflation repose donc sur des tarifs nets : avez-vous des informations en la matière, en termes d'indice et non de prix de vente au consommateur ? Êtes-vous conscient de la déflation qui existe dans ce pays ?

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Personne ne détient de statistiques générales sur les prix et si quelqu'un le prétend, je souhaite connaître ses sources, car les seules statistiques existantes concernent le prix final au consommateur – et ce sont ces chiffres qui vous ont été présentés lors des auditions précédentes. Cela étant, la baisse des prix au consommateur doit bien provenir de quelque part : elle n'est pas sans lien avec l'évolution du prix de la vente en gros et, par conséquent, du prix de la vente par le fournisseur au supermarché.

Y a-t-il déflation généralisée ? Personne ne possède le chiffre exact. Ce qui est certain, c'est que si des alliances ont été construites, c'est aussi dans le but – les faits le confirmeront – d'exercer une pression sur les prix de la fourniture en amont.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

En particulier le prix des fournitures des grandes marques. Les statistiques que j'ai citées, monsieur le rapporteur, proviennent d'Eurostat. Je peux naturellement demander des précisions sur les types de pommes et de poires que nous comparons, pour reprendre votre analogie.

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Venons-en au sujet de la concentration à l'achat. En France, nombreux sont ceux qui, parmi les parlementaires et d'autres acteurs publics comme l'Autorité de la concurrence, s'interrogent sur le fait que quatre ou cinq centrales d'achat peuvent se partager un marché de telle sorte qu'une centrale détienne à elle seule 25 % à 30 % de parts de marché. L'Autorité de la concurrence s'est inquiétée dès 2015 de cette concentration qui, selon elle, présentait des risques anticoncurrentiels. Dans votre propos liminaire, monsieur Villarejo, vous avez-vous-même déclaré que les distributeurs changent fréquemment d'alliances.

On peut donc imaginer sinon une collusion, du moins le transfert d'informations d'une centrale à l'autre, y compris via des commerciaux qui sont employés successivement dans l'une et l'autre. Il y a lieu de s'interroger sur la part de marché d'une centrale d'achat à l'issue d'un regroupement, mais aussi sur les éventuelles pratiques anticoncurrentielles.

L'Europe est un marché où la concurrence est libre et non faussée. M. le rapporteur rappelait que notre commission d'enquête n'a pas pour objet de se pencher sur le revenu agricole mais, à nos yeux, il faut améliorer le partage de la valeur ajoutée créée par l'ensemble des acteurs du secteur, qu'il s'agisse des producteurs agricoles ou des industriels. Ce sujet nous préoccupe au plus haut point et, à titre personnel, je m'étonne que l'Europe n'ait pas mis bon ordre dans ces opérations de regroupement qui se produisent sous nos yeux sans que personne n'y voie de difficulté.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Cette question, à laquelle je n'ai aucune intention de me dérober sur le fond, me ramène au tiraillement inhérent à la fonction de fonctionnaire communautaire, en particulier à la Commission. Chacun sait, dans un temple de la démocratie comme le sont l'Assemblée nationale et tout autre parlement national démocratique, que la Commission est tantôt critiquée parce qu'elle est résolue à aboutir à un document, un rapport, une communication voire une directive sur tous les sujets, tantôt parce qu'elle n'agit pas face à des comportements particuliers tels que ceux que vous décrivez.

L'autorité de la concurrence française s'est dite préoccupée par certains mouvements d'alliance survenus sur la scène économique française. Je vous l'ai dit : nous travaillons en réseau de manière très productive et constructive. Je ne saurais faire la leçon à mes collègues de l'Autorité de la concurrence française, car son action est en parfait accord avec la nôtre. Nous nous partageons d'ailleurs la tâche : l'autorité française est compétente en France et nous nous occupons de ce qui dépasse ses frontières. En clair, vous êtes entre de très bonnes mains – et je ne dis pas cela par pure politesse à l'égard de mes collègues de l'autorité de la concurrence. C'est elle que vous devez interroger – et je sais que vous l'avez déjà auditionnée. Rassurez-vous cependant : s'il faut agir, elle le fera. Quant à nous, nous tirons sur tout ce qui bouge dans la mesure où nous pouvons prouver que ce qui bouge fait mal.

Au mois de mai – c'est-à-dire hier – nous avons conduit des inspections visant des sociétés bien connues qui appartiennent aux alliances qui viennent d'être évoquées. Ces derniers temps, nous dites-vous, il s'est produit un mouvement d'alliances dans lequel certains quittent leur alliance en emportant leur savoir-faire avec eux. Je ne peux ni l'exclure ni l'affirmer. Lorsque nous conduisons des inspections inopinées, nous nous employons à saisir tous les documents qui permettraient ultérieurement d'inspecter les sociétés inspectées afin d'élaborer des solutions et d'imposer des interdictions voire des amendes très élevées. Ces inspections sont en cours d'instruction et je ne saurais vous dire quelle sera leur issue ; dans le cas contraire, nous risquerions un recours gagnant devant la Cour. Quoi qu'il en soit, je serai heureux de revenir vous donner des informations sur ces enquêtes le moment venu, si vous le souhaitez.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Il est vrai qu'en France, quatre ou cinq acheteurs représentent l'essentiel des achats. N'oublions cependant pas qu'en face, il y a souvent deux ou trois vendeurs ! Dans une telle situation, il n'est donc pas évident que l'acheteur détienne le pouvoir de marché. Certes, d'autres facteurs entrent en jeu, mais ce n'est pas le faible nombre d'acheteurs qui crée en soi un problème. Il faut tenir compte de la concentration des fournisseurs. C'est pourquoi nous raisonnons au cas par cas, de sorte de tenir compte de la concentration en amont comme en aval.

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Vous avez parlé de centrales ayant 15 % de parts de marché. Est-ce que 25 % à 30 % de parts de marché vous semble un niveau élevé ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Oui.

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D'autre part, ces regroupements et alliances ont-ils selon vous pour objet de rompre les clauses de non-concurrence ?

Enfin, le Parlement a adopté une directive relative aux pratiques commerciales déloyales, qui porte notamment sur les retards de paiement pour produits périssables, les annulations et modifications tardives de commandes, le refus de signer un contrat écrit avec le fournisseur ou encore l'utilisation abusive d'informations confidentielles. Quelles mesures l'Europe a-t-elle prises pour mettre fin à ces agissements ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Selon nos lignes directrices établies sur la base d'une analyse économique et empirique des marchés, il est très difficile, jusqu'à 15 % de parts de marché, que la possibilité d'agir de manière déloyale est avérée. Je ne vous dirai cependant pas que des parts de marché s'élevant à 20 %, voire 30 % ou 35 %, sont également acceptables : cela dépend des cas. En fonction des conditions du marché et du créneau concerné, il se peut qu'une telle situation relève des règles de la concurrence. Je ne pourrais répondre plus en détail que sur la base d'un cas précis. Les inspections en cours permettent d'examiner ces pourcentages et les quotas de marché, mais il n'existe pas de réponse automatique applicable à toutes les situations. À 15 %, toutefois, il ne se présente généralement aucun problème.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Expliquons par un exemple concret pourquoi une part de marché de 30 % n'est pas nécessairement problématique. Nous venons d'achever une enquête sur le numéro un du secteur de la bière, AB-InBev. Ce groupe détient 55 % du marché de la bière en Belgique, tandis que le premier supermarché en détient 30 % environ. Notre enquête conclut sans ambiguïté qu'Ab-InBev est dominant et qu'il peut agir sur le marché indépendamment de tous les autres opérateurs, en aval comme en amont, et des consommateurs. L'acheteur qui détient 30 % du marché n'est donc pas capable d'opposer un pouvoir de marché à l'opérateur dominant. C'est pourquoi les lignes directrices n'établissent pas de seuil au-delà duquel il se poserait un problème. C'est au cas par cas qu'il faut déterminer à quelle situation les acheteurs font face. Lorsque l'offre est concentrée, les centrales d'achat ont du sens. Si, en revanche, l'offre est répartie entre d'innombrables petits opérateurs, on peut alors s'interroger sur l'opportunité d'un regroupement à l'achat.

Par clause de non-concurrence, monsieur le président, faites-vous référence aux contrats de travail ?

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On peut raisonnablement imaginer que les regroupements ne se font pas sans un certain nombre de clauses, y compris les clauses de non-concurrence entre commerciaux, par exemple, qui sont appelés à travailler pour telle centrale puis pour telle autre.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

En effet, le fait que les personnes changent d'entreprise est un problème général dans ce secteur. Soulignons cependant que les passerelles existent non seulement d'un distributeur à l'autre mais aussi entre fournisseurs et distributeurs. Un vendeur chez tel fournisseur pourra ensuite devenir acheteur chez un distributeur, et inversement. Nos enquêtes ont fait apparaître tous les types de situations. Les problèmes peuvent survenir lorsqu'un excès de transparence conduit à une collusion. Nous nous employons précisément à vérifier que la transparence n'est pas trop importante au point de susciter un risque de collusion, qui serait accentué en cas de transferts excessifs des personnes entre les opérateurs.

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Je n'imagine guère un industriel négocier avec une centrale puis, six mois plus tard, changer d'opérateur…

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Faites-vous référence aux personnes ou aux entités ?

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

S'agissant des personnes, nos enquêtes ont clairement montré que dans certaines situations, un acheteur de supermarché peut devenir vendeur chez un manufacturier et inversement. Les problèmes naissent d'un excès de transferts produisant trop de transparence et un risque d'échange d'informations.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Là encore, l'Europe a agi en adoptant en fin d'année dernière, dans des délais record, une directive entrée en vigueur le 30 avril. Elle prévoit l'interdiction de dix pratiques, ainsi que de six autres pratiques en l'absence d'accord préalable. Encore une fois, l'Europe a agi alors que les pays disposant de règles en la matière sont loin d'être majoritaires. La France s'en est dotée il y a longtemps, mais certains États n'ont pris aucune mesure législative. L'Europe a donc fait un pas décisif pour harmoniser les interdictions.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

On peut observer dans ce type de comportements tout et son contraire. Il existe en effet des clauses de non-concurrence, mais aussi des personnes qui quittent une alliance – pratique tout aussi négative – en emportant tout leur savoir-faire avec elles, soit pour ne pas entrer en concurrence avec l'alliance qu'elles quittent soit pour mieux cibler et coordonner leur action, au risque d'une collusion.

Cela étant, la Commission européenne n'est pas opposée aux centrales d'achat dès lors qu'elles parviennent à imposer une certaine discipline aux grandes marques. Il arrive en effet qu'elles apportent ce faisant une réponse légitime au problème du pouvoir de marché des grands producteurs. Quoi qu'il en soit, la direction générale de la concurrence examine les situations au cas par cas et intervient dès qu'elle constate un problème.

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Permettez-moi de revenir sur la concentration des fournisseurs. Vous semblez affirmer, monsieur Chauve, que les fournisseurs sont eux aussi extrêmement concentrés. Toutes nos auditions, pourtant, ont fait apparaître non pas une hyper concentration mais, bien au contraire, un phénomène de satellisation. D'une part, la plupart des acteurs industriels que nous avons auditionnés représentent moins de 5 % du chiffre d'affaires des grandes surfaces dans lesquels ils sont présents, alors que ces clients leur sont indispensables puisqu'ils représentent en moyenne 20 % à 30 % de leur propre chiffre d'affaires. D'autre part, dans le secteur des produits agro-alimentaires, les distributeurs manifestent une forte appétence à se tourner vers les PME. Qu'est-ce qui pourrait faire évoluer votre vision du marché français en faveur d'une meilleure protection des petits acteurs dont vous avez vous-même reconnu qu'ils sont désavantagés face à l'hyper concentration des grandes centrales ?

Enfin, avez-vous une vision claire de l'activité réelle de ces centrales, de ce qu'elles proposent à leurs clients distributeurs et de la validité de leurs services ?

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Je vous invite à consulter le rapport que nous avons publié en 2014 sur la concentration dans un grand nombre de secteurs : il montre bien l'atomisation des producteurs dans certains d'entre eux, mais la très grande concentration qui prévaut dans certains autres où deux ou trois fournisseurs représentent à eux seuls l'essentiel des ventes de produits de marque. Les petits ne diront certes pas qu'ils sont grands, mais il existe tout de même de grands fournisseurs – je pense au secteur des produits alimentaires pour bébé et à celui des céréales de petit-déjeuner.

Il va de soi que la Commission européenne ne se désintéresse pas pour autant de la protection des PME. Si nous comprenons mal pourquoi il est nécessaire de protéger les grands, nous convenons volontiers, en revanche, qu'il faut protéger les petits. C'est pourquoi la Commission a proposé la directive relative aux pratiques commerciales déloyales, qui a été adoptée et dont vont se saisir les 28 États membres, alors que les règles faisaient souvent défaut – même en France, où toutes les pratiques visées par la directive n'étaient pas interdites jusqu'à présent.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Sachez que nous surveillons les centrales d'achat : si nous conduisons les inspections que j'ai évoquées, c'est parce que nous estimons qu'il faut examiner certains sujets de près – même si je ne peux pas préjuger du résultat des enquêtes.

En théorie, le regroupement des centrales d'achat au point où elles serviraient l'ensemble des distributeurs dans un secteur donné pourrait en effet présenter un risque. L'autorité nationale de la concurrence et la direction générale devraient alors établir la situation de position dominante – car, en l'absence de position dominante, nous ne pourrions pas réagir. Il faut ensuite déterminer si le pouvoir de marché est utilisé afin de réduire les prix au-delà d'un niveau qui semblerait logique, pour augmenter les marges des distributeurs. Si c'est le cas, c'est en fin de compte au producteur ou au consommateur qu'il reviendra de payer le coût que lié à l'extraction illégale de bénéfices résultant de la position dominante en question. Il faut cependant démontrer ces faits ; on ne saurait se contenter de suspicions sans preuves.

En l'absence de pouvoir de marché ou de position dominante permettant à un opérateur d'agir sans tenir compte du comportement de ses concurrents, les centrales d'achat peuvent avoir intérêt à réduire le plus possible les prix qu'elles obtiennent des grandes marques et des producteurs afin de faire baisser les prix finaux, d'où une hausse du nombre de clients dans les supermarchés concernés par rapport à leurs concurrents – à condition, naturellement, que tous les supermarchés ne soient pas contrôlés ou fournis par les mêmes centrales. En somme, je n'exclus pas l'existence de problèmes graves, et c'est pourquoi nous instruisons plusieurs dossiers précis.

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Annette Kliemann, administratrice à la direction générale de la concurrence

Vous avez évoqué la directive sur les pratiques déloyales dans le secteur agro-alimentaire, et vous savez que le Parlement européen a demandé à la Commission de conduire une analyse des centrales d'achat et des alliances de distributeurs. Pour ce faire, nous voulons nous fonder sur les faits avant d'envisager de quelconques mesures. Nous allons donc organiser un atelier technique avant la fin de l'année pour examiner avec l'ensemble des acteurs de la chaîne les fonctions qu'ils exercent – qui peuvent être positives – et ce qu'ils font réellement, y compris la fourniture éventuelle de services payants. Il convient notamment d'établir s'il s'agit de services indispensables. Nous abordons les faits en toute neutralité. L'atelier, auquel seront également invitées les autorités de la concurrence, permettra également d'examiner le cadre juridique actuel et ses effets économiques, ainsi que les gains d'efficacité que les centrales d'achat peuvent produire et les enjeux qui concernent les autres opérateurs de la chaîne, en particulier en amont.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Soyez assurés, en tout état de cause, que nous vous écoutons, même si nous n'agissons pas toujours aussi rapidement que ce que suggère M. le président. La difficulté tient à la nécessité de garantir les droits de défense des centrales et de tous les autres opérateurs économiques qui font l'objet d'allégations d'actes illicites. Nous sommes néanmoins conscients du problème éventuel que les centrales d'achat pourraient représenter. La centrale AgeCore, par exemple, regroupe un nombre impressionnant d'opérateurs – Edeka Allemagne, Intermarché France, Coop Suisse, Conad Italie, Eroski Espagne et Coruyt Belgique. La centrale Coopernic, quant à elle, regroupe notamment Leclerc, Coop Italia et le groupe néerlandais Ahold Delhaize. Nous inspectons leur fonctionnement.

En principe, cependant, nous ne sommes pas opposés aux activités transfrontalières de vente et d'achat de produits et services, car elles vont dans le sens du marché intérieur que nous essayons de protéger. Dès qu'un acteur outrepasse les règles, il paye ; AB-InBev, par exemple, a dû s'acquitter d'une amende de 200 millions d'euros pour avoir entravé la vente aux Pays-Bas, à moindre prix, de bière produite en Belgique ne pouvant pas être vendue au même prix dans ce pays car l'entreprise s'employait à « partitionner » le marché. Dès que nous avons établi les preuves de tels agissements, nous avons fait le nécessaire.

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Vous nous dites, monsieur le directeur général, que, pour qu'il y ait position dominante, il faudrait qu'on puisse le démontrer. Je tiens à rappeler que, sur le territoire français, nous comptons 400 000 agriculteurs, 17 000 industriels de l'agroalimentaire, près de 70 millions de consommateurs, mais seulement… quatre centrales d'achat !

Êtes-vous au courant qu'il y a des services qui sont surfacturés, mais que les plus grands industriels n'ont pas d'autre choix que de les acheter ? J'ajoute que ces services sont payés dans des pays qui ne sont même pas membres du territoire européen, sous la menace de déréférencement.

Je prendrai l'exemple de Pernod Ricard, leader de son marché, qui peut pourtant se trouver déréférencé pendant des mois. Les industriels ont connu des chantages au remplacement de leur marque par la marque distributeur (MDD). D'ailleurs, j'aimerais vous entendre sur votre vision de la MDD.

Les éléments que je vous donne ne font-ils pas la démonstration d'une position dominante de la part des centrales d'achat ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Je ne doute pas de la véracité des exemples que vous venez de citer et j'en prends note. Mais, ce qui m'étonne, compte tenu du fait que vous me parlez de grandes sociétés dotées d'un pouvoir certain, c'est que ces gens savent très bien comment faire pour venir à Bruxelles nous raconter leur histoire et nous donner les éléments nous permettant d'agir. Ce qui m'étonne donc, c'est qu'ils ne viennent pas nous raconter tout cela.

Vous parlez d'éventuelles menaces ou agissements qui auraient une dimension transfrontalière, au-delà de la France, là où il nous revient d'agir en la matière. Je crois que la prochaine fois qu'ils viendront vous dire des choses pareilles, vous pourrez donc les envoyer chez nous.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Il est évident que nous avons entendu le genre d'exemples que vous avez mentionnés.

Une autorité nationale d'un pays européen autre que la France nous a confié que, dans son marché, effectivement, un grand manufacturier était venu aborder avec elle ce genre de problèmes, en constatant que la moyenne de ses bénéfices en Europe s'établissait à 19 %, disons, mais que, lorsqu'il était soumis à des situations exceptionnelles, en termes de pouvoir de marché des supermarchés, ses bénéfices tombaient à 17 %. Eh bien, cette autorité a considéré que ce n'était peut-être pas vraiment la priorité, pour les autorités publiques, de dépenser leurs ressources sur un tel sujet.

Car il y a, dans la chaîne de la valeur ajoutée, des gens qui ont des taux de marge bien plus bas. Ce sont qui eux ont besoin de l'aide des autorités. Et c'est là que les autorités dépensent leurs ressources. Je crois donc qu'il faut mettre en perspective ce qui est peut-être le jeu un peu brutal de la négociation entre fournisseurs.

Cela étant dit, la position de la Commission est assez claire. Elle a expliqué, dans le cadre son étude d'impact sur la directive relative aux pratiques commerciales déloyales, qu'elle ne veut pas intervenir dans les négociations économiques difficiles entre grands fournisseurs et grands acheteurs.

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Je ne vous demande certes pas d'intervenir dans les pratiques, mais je vais vous livrer le fond de ma pensée. Nous siégeons en commission d'enquête depuis quelques semaines et, pour tout vous dire, je pense que nous aurons eu tôt fait le tour du sujet. La grande distribution est née en France, avec Michel-Édouard Leclerc et ainsi de suite… La grande distribution n'est-elle pas née en France ?

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Tout à fait !

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Eh bien, en quelques semaines, on a compris le mode de fonctionnement d'un certain nombre d'acteurs qui se présentent à nous comme des coopératives d'achat.

On peut comprendre que la question des volumes permette de négocier et d'obtenir des prix attractifs pour le consommateur, mais l'Europe doit se saisir de ce dossier, en réalisant exactement le même travail que celui que nous réalisons en France. Car, des centrales d'achat, nous sommes passés à une étape supérieure, celle de centrales de service facturant des prestations dont un bon nombre sont virtuelles : heures de réunion au coût exorbitant, transmission de données statistiques inexploitables ou peu utiles pour les industriels… Ainsi s'en va la valeur créée par les producteurs agricoles et renforcée par des industriels qui produisent des denrées alimentaires d'excellence. D'ailleurs, quel est le droit qui s'applique, lorsqu'un contrat de ce type est signé ? Est-ce que c'est le droit français ou le droit suisse ou le droit belge ?

Vous parliez du consommateur qui est très attentif à la question du rapport qualité-prix. Je le crois comme vous, mais la question des centrales de service dépasse la question du rapport qualité-prix. Il s'agit seulement de « pomper » les richesses des producteurs et des entreprises pour les envoyer je ne sais où ! Cela représente des sommes astronomiques !

En France, le gouvernement cherche des solutions pour arriver à plus de justice, plus d'équité et plus de transparence. Je crois que l'Union européenne aurait intérêt elle aussi à s'atteler très sérieusement au sujet.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Monsieur le président, je prends note. Je vais rapporter vos propos à madame la commissaire. Mais, de la même façon que le gouvernement français fait de son mieux en la matière, nous conduisons nous aussi des inspections.

Ne m'entraînez cependant pas sur un terrain glissant vers lequel je ne veux pas aller. Si nous conduisons des inspections, ce n'est pas parce que nous nourrissons une curiosité malsaine. Croyez-m'en : lorsque nous faisons des enquêtes et que nous arrivons à prouver et à démontrer qu'il y a quelque chose qui « cloche », les outils dont dispose la DG Concurrence peuvent être appliqués à tous les niveaux.

Mais je ne saurais aller au-delà, monsieur Chauve et ses fonctionnaires étant déjà engagés à 100 % dans leur travail d'investigation.

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Notre commission, se réunit aussi parce qu'on a récemment adopté la loi EGAlim, après avoir constaté comment les producteurs se faisaient exploiter. Vous citez des marges de 17 % ou 19 % dans l'agroalimentaire, mais les marges que l'on connaît pour un certain nombre de produits comme les légumes ou la viande tournent plutôt autour de 1 % à 2 %.

La situation que le rapporteur et le président vous ont décrite est tout de même inquiétante pour nous Français. En effet, vous connaissez l'importance de l'agroalimentaire dans notre balance des paiements. Or nous sommes à cet égard en perte de vitesse. Nous devons donc nous intéresser à la baisse de compétitivité des entreprises en France.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Si nous parlons de marges de 17 % ou de 19 %, c'est parce qu'on vous parle des opérateurs qui négocient avec les alliances internationales. Quant à elles, les PME à la marge de 1 % ne négocient pas directement avec elles, peut-être à quelques exceptions près tout au plus.

Je vous parlais du cas très concret des opérateurs que nous voyons dans nos enquêtes. Ces grandes marques ont des marges même plus élevées que la moyenne que je vous citais. Or ceux qui ont des marges élevées ne constituent pas le problème.

Le vrai sujet, c'est la situation des petits. C'est celui sur lequel nous sommes le plus mobilisés, en particulier au niveau agricole.

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Les ETI et les PME sont en tout cas dans une souffrance extrême.

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Elles sont en outre amenées à négocier avec les centres internationaux, comme nos travaux l'ont confirmé.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Ceux qui sont venus nous voir ne sont pas ces opérateurs-là. Ceux qui sont venus nous voir sont plutôt les opérateurs des grandes marques qui détiennent des portefeuilles internationaux.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Nous nous efforçons de faire la part les choses. Ce n'est pas parce qu'une grande marque jouit de marges de bénéfices situées entre 15 % et 18 % que tout ce qu'on peut lui faire est acceptable, mais il y a une gradation. Il vaut mieux commencer par aider les gens dont vous parlez.

Comme je vous le disais dans mon propos liminaire, ce n'est pas le manque de travail qui caractérise la direction générale de la concurrence, ni la Commission européenne en général. Mais je ne peux qu'inviter les gens dont vous parlez à venir nous voir.

Ne voyez pas dans mon propos une volonté de me défausser. Au contraire, nous travaillons toujours au cas par cas. Nous ne pouvons-nous fonder sur de grandes idées. Je ne puis affirmer à la cantonade que je suis persuadé, en vous écoutant, qu'il y a quelque chose qui cloche, sans être capable de le démontrer.

En revanche, si ces sociétés petites et moyennes peuvent soumettre à notre attention des cas concrets, je peux vous promettre que nous les examinerons, dans la mesure où ces cas dépassent le cadre français.

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La relation est tout de même totalement déséquilibrée. Depuis de nombreux mois, dans cette maison, on parle de rééquilibrage des relations commerciales.

Même en audition à huis clos, nos interlocuteurs hésitent à s'exprimer et à exposer les problématiques de manière précise. Même en audition à huis clos ! De là à se rendre auprès des institutions de l'Union européenne… Je pense que le travail d'investigation que nous réalisons au niveau français devrait être réalisé aussi par d'autres États membres, tout comme il devrait être également réalisé au niveau européen.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Monsieur le président, vous dites que les gens ont peur et je puis le comprendre, même pour de grandes sociétés, car j'ai une certaine expérience de ces investigations. Je me souviens d'une affaire, il y a quelques années, où les grands fabricants d'ordinateurs n'osaient pas venir nous dire ce que nous savions qui se passait, parce qu'ils avaient besoin des systèmes opérationnels à installer sur leurs PC…

Permettez-moi de vous livrer deux éléments à même, je l'espère de vous rassurer.

D'abord, nous nous appuyons sur des lanceurs d'alerte. Ceux-ci permettent à la société qui se trouve dans ce type de situation de s'adresser à nous, sans s'adresser à nous. Je m'explique : une boîte existe, qui recueille, dans des termes extrêmement précis et encadrés, l'information qui nous est donnée, sans que la Commission puisse même en connaître l'origine. Car nous n'avons pas besoin du tampon de la société. Les données nous suffisent. Encore faut-il, cependant que ces données soient fiables.

Ensuite, la Commission européenne fait ses meilleurs efforts, même si certaines gens pensent le contraire, pour protéger ceux qui ont besoin de protection, justement parce qu'ils sont petits. D'ailleurs, la digitalisation devrait bientôt nous apporter une nouvelle vague de problèmes. Les algorithmes permettront de contrôler la fixation des prix, en repérant automatiquement celui qui est en train de vouloir aller un peu plus loin.

Récemment, dans le secteur du numérique, nous avons imposé des amendes à quatre grandes sociétés internationales, dont deux étaient européennes, parce qu'elles utilisaient leur pouvoir de contrôle du marché pour empêcher que de petits distributeurs aillent, sur internet, plus loin qu'elles ne voulaient. Grâce à une information précise, nous avons pu démontrer que l'algorithme était utilisé en vue de détourner la concurrence entre les producteurs, d'une façon contraire aux intérêts de celui qui achète les produits en question.

Quoi qu'il en soit, il y a moyen de nous parler et de nous donner des informations que nous pouvons utiliser. Si vous le souhaitez, monsieur le rapporteur, je pourrai vous indiquer où précisément les adresser.

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Je vous remercie, monsieur le directeur général, de vos explications. Faciliter l'accès à la plainte est plus que positif, même si je pense qu'on devrait plutôt favoriser les bonnes relations entre la grande distribution et les industriels.

Au cours de nos auditions, nous avons entendu qu'après dépôt de plainte et prononcé de pénalités, les négociateurs de la grande distribution vont jusqu'à demander le « remboursement » de ces pénalités au cycle suivant de négociations… Voilà ce qui se passe !

Aujourd'hui, quel est le « ticket d'accès » facturé par la grande distribution pour entrer sur le marché européen ? Comme chef de la task force ou comme directeur général adjoint, sauriez-vous estimer aujourd'hui le coût que cela représente, en termes de chiffres d'affaires des industriels ?

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Nous avons accès à des données très confidentielles dans nos enquêtes, mais elles sont précisément… confidentielles. Elles ne nous sont fournies que parce que nous sommes strictement tenus à ne pas les divulguer. Donc je ne pourrai pas répondre à votre question.

Cela étant dit, je peux répondre à la question précédente, qui portait sur la pénalisation de quelqu'un qui s'est plaint. Eh bien, justement, la directive prévoit de punir les opérateurs qui appliqueraient de telles sanctions. Certes, on ne va pas tout résoudre, mais on essaye de résoudre les difficultés au maximum.

Nous n'avons certainement pas la certitude, au niveau européen, qu'on va résoudre tous les problèmes. En plus, certains sont spécifiques. N'avez-vous pas entendu, dans certaines auditions, que le marché français était peut-être plus « dramatique » à cet égard, pour des raisons peut-être plus structurelles ou culturelles ? C'est ce qui vous a été exposé dans certaines auditions.

Ce qui est sûr, c'est qu'on voit effectivement que les distributeurs négocient de manière dure partout. Mais on n'a peut-être pas partout la même dramatisation qu'en France. C'est un pays qui compte, depuis des années, beaucoup d'actions concernant les pratiques commerciales. Ce que nous essayons de faire au niveau européen, c'est d'apporter une harmonisation des règles et de l'expérience dans les différents États, pour tirer les règles vers la meilleure protection possible.

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Puisqu'on parle des sanctions, est-ce que vous les trouvez proportionnées ?

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Annette Kliemann, administratrice à la direction générale de la concurrence

Pour la première fois, l'Europe dispose d'une directive qui prévoit des sanctions, à savoir des amendes et d'autres pénalités appropriées, en corrélation avec l'infraction.

Les États membres nous ont demandé plusieurs fois d'introduire des règles fixant un maximum et un minimum. Mais nous ne sommes pas encore prêts. Vous imaginez bien que, dans 27 États membres, les règles sont assez diverses, en ce qui concerne le montant de l'amende à imposer. Pour le moment, nous n'en avons donc rien fait. Cependant, la pratique est désormais établie de faire se rencontrer, une fois par an, les autorités exécutives en charge de la répression des pratiques déloyales dans les différents États membres. Elles échangent, dans ce cadre, leurs bonnes pratiques.

Qu'est-ce que l'Europe va faire à l'avenir ? Les États membres vont être obligés de traiter des affaires dont les parties témoignent une certaine appréhension. C'est pourquoi je pense qu'il faudra recueillir auprès des organisations de producteurs, sous le sceau de la confidentialité, les pratiques que vous décrivez. Dans le cadre des réunions régulières rassemblant toutes les autorités des États membres, on pourra ainsi établir les pratiques qui sont vraiment problématiques.

La directive répertorie seize pratiques douteuses. Mais il faut aussi être attentif au mécanisme d'exécution, à la protection de la confidentialité et au mécanisme de coordination, lequel ouvre pour l'Europe des pistes d'avenir.

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La cour des comptes française a expliqué qu'on devait mettre en place un site internet pour que les gens soient libres de venir y expliquer leur problème et, en tout cas, les éventuelles dérives des contrats. Est-ce que vous pensez que cela aiderait les fournisseurs et les industriels, petits comme gros, s'ils avaient l'obligation de déclarer les déréférencements ? Est-ce que ce type d'obligations déclaratives permettrait peut-être de mieux diriger les enquêtes ?

Car la DGCCRF, le Défenseur des droits et l'autorité de la concurrence française s'accordent sur un chiffre : zéro. Zéro plainte en France ! C'est pourquoi il me semble qu'il faut libérer la parole.

Enfin, monsieur le directeur général, depuis le début de cette audition, nous parlons de prix bas. Mais je voudrais aussi vous entendre sur ce qu'est un prix juste.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

Pour terminer notre audition, ce n'est pas la question la plus facile !

D'abord, est-ce que cela ne nous aiderait pas d'avoir ce type de mécanisme déclaratif ? Vous pouvez bien imaginer que, nous qui sommes en charge de ce qui se passe au niveau de 28 États membres, nous avons vocation à nous occuper des affaires de telle ampleur et de telle dimension que, une fois arrivés à leur terme, nous puissions créer les conditions pour que, même s'il s'agit d'un cas précis, cela fasse naître un précédent pour l'avenir. Que nos enquêtes en cours apportent quelque élément nouveau, voilà qui envoie un message très précis au petit monde de la grande distribution.

Je ne suis pas en mesure de vous dire que ce serait une mauvaise idée d'imposer des obligations déclaratives. Au contraire, il se peut même que ce soit une bonne idée. Mais elle serait à mettre en oeuvre au niveau national. Car vous n'allez pas être en désaccord avec moi, lorsque je vous dirai que ce qui peut se faire mieux au niveau national, il ne revient pas à Bruxelles de le gérer. Nous sommes tous d'accord sur ce principe de la subsidiarité.

En ce qui concerne l'absence totale de plainte, nous avons l'option d'agir ex officio, c'est-à-dire en pratiquant l'auto-saisine. Si nous n'avons pas de plainte, nous pouvons lancer une enquête de notre propre initiative, malgré des contraintes de ressources considérables.

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Philippe Chauve, chef de la task force alimentaire au sein de la direction E à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

En pratique, nous ne procédons en effet que par auto-saisine.

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Cecilio Madero Villarejo, directeur général adjoint en charge des affaires antitrust à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne

On ne fait donc que de l'auto-saisine. D'où tout le mérite de ces fameux lanceurs d'alerte. Il y a des experts, de grands spécialistes d'internet, qui savent analyser les données d'une façon que le citoyen normal ne serait pas capable de le faire. Ils peuvent ainsi nous contacter, dans le respect du secret. Car ce qui compte, c'est la qualité de l'information, non qui est derrière.

Je ne voudrais pas terminer cette audition sans donner l'impression d'être juste. Je parlerai donc des prix justes autant que je le peux. À la DG Concurrence de la Commission européenne, nous n'agissons pas tant que nous ne sommes pas en mesure d'accuser quelqu'un par écrit, avant d'imposer une amende ou des réparations (remedies) qui résistent à un examen devant le juge de Luxembourg. Car on nous traîne souvent en justice. C'est pourquoi nos procédures prennent un peu de temps, et même, parfois, pas mal de temps. Nous devons être extrêmement soigneux, parce que les juges de Luxembourg vont regarder ce que nous faisons.

Au début de mon intervention, j'ai voulu rappeler que, qu'on le veuille ou non, les gens aujourd'hui –et je suis le premier à blâmer– s'intéressent avant tout à la question du prix. Nous vivons dans un monde tellement utilitariste ! Ce qui compte, c'est le prix, coûte que coûte…

C'est pourquoi on peut ne pas aimer les centrales d'achat, mais il est évident qu'elles ont servi à rendre très dynamique la fixation des prix, au-delà de ce que les économistes appellent le point de rencontre entre l'offre et la demande. Je ne veux donc pas quitter cette audition en donnant l'impression que seules les centrales d'achat sont à blâmer et à critiquer. J'ai suffisamment d'expérience pour vous dire que les grandes marques, lorsqu'elles peuvent presser le citron, ne s'en privent pas de leur côté, si cela peut leur permettre d'arriver à des marges faramineuses. Or celui qui paye, c'est finalement le consommateur et, éventuellement aussi, le distributeur. Car essayer de concurrencer les grandes marques avec les marques distributeurs réduit leurs propres marges. Le problème est donc plus compliqué que ce que notre débat peut laisser entendre.

Sur la notion de « prix juste », ce devrait être celui qui apporte le plus de protection à celui qui en a le plus besoin. Je ne voudrais pas parler comme un homme politique, ce que je ne suis pas. Mais il est évident que tous nos efforts devraient tendre à préserver surtout ces petits et moyens producteurs qui se trouvent dans une position de faiblesse relative devant les grandes marques ou les centrales d'achat. Le prix juste est celui qui permet à quelqu'un de rester sur le marché en ayant l'assurance d'un retour minimum.

Vous poussez le juriste que je suis à réfléchir à ce que peut être un prix juste. Je réfléchirai à une définition plus exacte pour la prochaine fois, mais j'imagine qu'un prix juste est celui qui permet d'arrêter les abus qui se produisent. Pour l'heure, je suis désolé de ne pas être plus précis que je ne le peux.

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Je vous remercie. Il ne faut pas que l'Europe soit naïve, car il faut que nous puissions travailler, que ce soit au niveau national ou au niveau européen, à des relations commerciales assainies et apaisées. Beaucoup de nos invités parlent même de négociations commerciales collaboratives. Il est vrai qu'il est plutôt spécifique à la France de connaître des relations commerciales aussi tendues.

Quant à nous, nous recherchons seulement un meilleur partage de la richesse créée, c'est-à-dire de la valeur ajoutée, tant pour nos producteurs et nos industriels que pour nos commerçants, à savoir les distributeurs. Il n'y a certes pas beaucoup de députés nationaux qui soient favorables à une économie administrée. Nous sommes pour une concurrence libre et non faussée. Mais il faut vraiment travailler à ce que les relations commerciales s'humanisent. Même si on ne rêve pas ! Car on connaît le rôle et la puissance de l'argent. Comme on dit dans ma région de Bretagne, l'argent est un mauvais maître…

Le projet européen est un projet humaniste. Il faut donc que vous puissiez travailler à moraliser et à amener de l'éthique dans les relations commerciales. Peut-être que l'Europe a aussi un rôle à jouer quant au rôle social des entreprises qui sont implantées sur son territoire.

L'audition s'achève à dix-sept heures trente-cinq

Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 17 juin 2019 à 16 heures

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois

Excusés. - Mme Martine Leguille-Balloy, M. Arnaud Viala