Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du vendredi 27 septembre 2019 à 12h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Présidence

La commission entend M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil relatif aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

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Mes chers collègues, en ce début d'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2020, j'ai une pensée pour Jacques Chirac et sa famille – et je crois pouvoir m'exprimer au nom de l'ensemble de notre commission. Il peut paraître décalé de parler du budget à l'heure où les Français sont en deuil d'un président qu'ils aimaient, quelle que soit leur couleur politique, mais c'est ainsi… Et rappelons-nous que Jacques Chirac a lui-même été secrétaire d'État à l'économie et aux finances.

Je vous informe que nous avons reçu un projet de décret de virement de crédits, qui est à votre disposition.

Nous recevons ce matin M. Didier Migaud, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Je vous rappelle que nous entendrons à treize heures trente M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, et M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, qui viendront nous présenter le projet de loi de finances à l'issue du conseil des ministres.

Monsieur le président du Haut Conseil des finances publiques, vous êtes ici pour présenter l'avis sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale que le Haut Conseil a adopté le 23 septembre. Je rappelle que, depuis 2012, le Haut Conseil émet des avis sur les prévisions macroéconomiques qui fondent les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que sur la cohérence entre l'article liminaire du PLF et du PLFSS et les orientations pluriannuelles de solde structurel fixées par la loi de programmation – en l'occurrence, celle de 2018.

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Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Vous avez évoqué le président Jacques Chirac et je n'oublie pas qu'il a commencé sa carrière professionnelle comme magistrat à la Cour des comptes.

Je suis accompagné aujourd'hui de MM. François Monier, rapporteur général du Haut Conseil des finances publiques, Vianney Bourquard et Vladimir Borgy, rapporteurs généraux adjoints, Cyprien Canivenc, rapporteur, et Richard Hughes, un ancien haut responsable du Trésor britannique qui contribue, pour quelque temps, aux travaux du Haut Conseil des finances publiques et de la Cour des comptes. Il est intéressant d'avoir son sentiment sur ce qui se passe aujourd'hui au Royaume-Uni.

L'exercice qui nous rassemble aujourd'hui est désormais bien rodé : c'est en effet la septième fois que notre Haut Conseil rend un avis sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, et la troisième fois sous cette législature.

Vous l'avez rappelé, la mission du Haut Conseil des finances publiques ne consiste pas à produire ses propres prévisions. Il doit se prononcer sur les prévisions macroéconomiques présentées par le Gouvernement à l'occasion du PLF et du PLFSS pour 2020, ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Cette mission nous conduit à réaliser une analyse approfondie des textes qui nous sont soumis par le Gouvernement. Pour formuler notre avis, nous nous appuyons sur des prévisions issues d'un ensemble d'organismes, tels que la Commission européenne, le Fonds monétaire international (FMI) ou l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Nous auditionnons également de nombreux experts et représentants d'institutions françaises et internationales, notamment, pour cet avis, la Banque de France, la Banque des règlements internationaux, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), le Centre de recherches pour l'expansion de l'économie et le développement des entreprises (Rexecode) et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Je crois que votre commission a elle-même auditionné un certain nombre d'économistes la semaine dernière.

Je tiens tout d'abord à revenir sur le contexte macroéconomique dans lequel s'inscrivent les deux textes qui ont été soumis au Haut Conseil. Je présenterai ensuite les appréciations que nous portons sur les prévisions macroéconomiques formulées par le Gouvernement et sur le scénario de finances publiques qui leur est associé.

S'agissant d'abord du contexte macroéconomique, l'économie mondiale connaît, depuis plusieurs trimestres, un ralentissement marqué qui touche principalement l'Union européenne, la Chine et certains autres pays émergents. Ce ralentissement a été particulièrement marqué dans l'industrie. Il a pesé sur les échanges commerciaux, affectés de surcroît par la mise en place de mesures protectionnistes. Depuis la fin de l'année 2018, on observe ainsi un coup de frein sur les échanges de marchandises, en légère baisse au premier semestre 2019. Les échanges de services, eux, ont en revanche continué de croître.

Dans ce contexte international, la zone euro connaît un fléchissement de sa croissance. Cette inflexion recouvre cependant des évolutions contrastées entre les pays : à la mi-2019, la croissance sur un an est quasi nulle en Allemagne et en Italie, elle est modérée en France et elle demeure encore soutenue en Espagne. Plusieurs facteurs ont contribué à atténuer le ralentissement de l'activité dans la zone euro : je pense à l'orientation budgétaire légèrement expansive en 2019, au maintien d'une politique monétaire accommodante et à la dépréciation de l'euro vis-à-vis du dollar depuis le début de l'année 2018.

J'en viens à la situation de la France. Notre économie n'a pas échappé au ralentissement général. Sa croissance demeure néanmoins un peu supérieure à la moyenne de ses partenaires européens depuis la mi-2018. La demande intérieure hors stocks a progressé au deuxième trimestre 2019, portée par les mesures favorisant le pouvoir d'achat et par une augmentation toujours soutenue de l'investissement des entreprises. Malgré l'évolution défavorable du commerce mondial, les exportations françaises ont progressé de 2,5 % entre la mi-2018 et la mi-2019, marquant ainsi une légère amélioration des parts de marché de la France. Après une forte dégradation en 2018, le climat des affaires tiré des enquêtes de conjoncture s'est légèrement redressé depuis le début de 2019, laissant prévoir le maintien d'une croissance modérée sur la fin de l'année.

La situation et les perspectives de croissance que je viens de vous exposer sont toutefois entachées de plusieurs risques majeurs, dont l'avis du Haut Conseil rend compte.

À court terme, le principal risque est celui d'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne. L'impact économique de cet événement sans précédent est particulièrement difficile à estimer. La première année, il serait, selon une étude récente de l'OCDE, de près de 2 points de PIB pour le Royaume-Uni, supérieur à 0,5 point pour l'Espagne et les Pays-Bas et proche de 0,5 point pour l'Allemagne, l'Italie, mais aussi la France. L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) prévoit un impact sur l'économie française de 0,6 point de PIB sur plusieurs trimestres. Quant à l'OFCE, il estime que cet impact pourrait être moindre, de l'ordre de 0,25 point. En tout cas, il est certain qu'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne ne serait pas neutre.

De nouvelles hausses des tarifs douaniers de la part des États-Unis, notamment à l'encontre de l'Union européenne, constituent un autre risque important pour la croissance. Le Haut Conseil estime que plusieurs autres facteurs sont également susceptibles d'affecter la trajectoire de croissance française : les tensions géopolitiques au Moyen-Orient et leurs répercussions possibles sur le prix du pétrole, les vulnérabilités financières liées à la hausse de l'endettement mondial, ainsi que la conjoncture économique en Allemagne, où la diminution de la demande intérieure pourrait s'ajouter à la récession industrielle en cours depuis plusieurs trimestres. Au total, les perspectives de croissance de l'économie française sont entourées d'aléas extérieurs défavorables.

J'en viens à présent aux observations formulées par le Haut Conseil sur le scénario macroéconomique du Gouvernement.

S'agissant de la croissance pour 2019, le Gouvernement prévoit dans le PLF un rythme de 1,4 %, soit une prévision identique à celle formulée au printemps dernier dans le programme de stabilité. Compte tenu de l'acquis de croissance au deuxième trimestre et des prévisions récentes pour la croissance du troisième trimestre, le Haut Conseil juge atteignable la prévision de croissance du Gouvernement pour 2019. Cette prévision est d'ailleurs cohérente avec celles des organisations internationales et des instituts de conjoncture, qui la situent pour la plupart autour de 1,3 %.

S'agissant de 2020, le Gouvernement prévoit un léger fléchissement de la croissance du PIB à 1,3 %. La consommation des gains de pouvoir d'achat du début 2019 ayant été plus lente que prévu, la prévision du Gouvernement fait l'hypothèse qu'elle se prolongera en 2020. Le taux d'épargne marquerait ainsi un léger recul, après avoir augmenté de 0,6 point en 2019. Le Haut Conseil estime que la baisse modérée du taux d'épargne ainsi prévue est vraisemblable. Il considère également que les hypothèses retenues par le Gouvernement quant à l'évolution de l'investissement des entreprises sont plausibles. La prévision du Gouvernement d'une croissance de 1,3 % en 2020 s'inscrit dans la fourchette des prévisions disponibles, comprises entre 1,2 et 1,4 %. Le Haut Conseil considère donc cette prévision comme plausible. Il souligne toutefois qu'elle ne prend pas en compte l'éventualité d'un Brexit sans accord et ses conséquences sur la croissance française.

S'agissant des prix à la consommation, le Gouvernement anticipe dans le projet de loi de finances pour 2020 une hausse de 1,2 % en moyenne annuelle pour 2019 et pour 2020. La baisse de l'inflation prévue par le Gouvernement en 2019 et 2020 par rapport à 2018 s'explique essentiellement par la moindre contribution des produits pétroliers, qui est nulle en 2019, alors qu'elle représentait 0,6 point en 2018. La prévision d'inflation du PLF repose sur l'hypothèse conventionnelle de stabilité du prix du pétrole à son niveau du mois d'août, à savoir 59 dollars le baril. Compte tenu des risques qui pèsent actuellement sur le maintien opérationnel des capacités de production, le prix du pétrole pourrait être plus élevé que celui prévu par le Gouvernement. Par exemple, si le prix du baril se maintenait au niveau de 64 dollars constaté la semaine dernière, c'est-à-dire 5 dollars au-dessus de l'hypothèse du PLF, l'inflation serait accrue d'environ 0,15 point au bout d'un an et l'activité réduite d'un peu moins de 0,1 point par rapport au scénario de croissance du PLF pour 2020. J'observe que, ce matin, un baril de pétrole coûte 62,50 dollars.

L'inflation « sous-jacente », hors produits à prix volatils et tarifs administrés, augmenterait très légèrement, passant de 0,8 % en 2018 à 0,9 % en 2019 et 2020. Le Haut Conseil note que le Gouvernement a légèrement révisé à la baisse ses prévisions d'inflation pour 2019 et 2020. L'appréciation qu'avait portée le Haut Conseil dans son avis d'avril 2019 sur le programme de stabilité se trouve confirmée. Il avait alors estimé que « la hausse attendue de l'inflation sous-jacente […] pourrait être plus lente que prévu par le Gouvernement ». Les prévisions d'inflation pour 2019 et 2020 sont proches de la moyenne du consensus forecast de septembre – respectivement 1,2 % et 1,3 %. Le Haut Conseil considère que les prévisions d'inflation retenues par le Gouvernement pour 2019 et 2020 sont raisonnables.

S'agissant des prévisions d'emploi et de masse salariale, le Haut Conseil estime pour 2019 que celles-ci sont cohérentes avec les dernières statistiques disponibles, qui enregistrent pour le premier semestre 2019 des créations d'emplois supérieures à ce que le fléchissement de l'activité faisait attendre. Pour 2020, le Haut Conseil considère que les prévisions du Gouvernement sont raisonnables, le ralentissement attendu de la masse salariale traduisant celui de l'emploi.

J'en ai fini avec les observations formulées par le Haut Conseil sur le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement pour les années 2019 et 2020. J'en viens à présent aux observations relatives aux prévisions de finances publiques.

Je donnerai d'abord l'appréciation du Haut Conseil sur les prévisions de recettes et de dépenses formulées par le Gouvernement.

S'agissant des recettes, le Gouvernement retient notamment une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB de 1 en 2019 et en 2020. Cette élasticité unitaire résulterait d'une évolution plus dynamique que le PIB des impôts d'État, compensée par une progression des recettes des administrations de sécurité sociale légèrement inférieure à celle de l'activité. Au total, après avoir analysé les montants estimés des mesures nouvelles pour 2019 et pour 2020, le Haut Conseil considère que les prévisions de prélèvements obligatoires sont cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu.

S'agissant des dépenses, l'augmentation globale des dépenses présentée dans le PLF hors crédits d'impôts pour 2019 est de 2,0 % en valeur et de 0,7 % en volume, en retenant pour déflateur l'indice des prix du PIB. En 2020, les dépenses des administrations publiques croîtraient de 1,6 % en valeur et de 0,4 % en volume, en décélération par rapport à 2019. Ce ralentissement s'expliquerait pour l'essentiel par le profil de l'investissement local, qui serait en forte augmentation en 2019, puis se stabiliserait quasiment en 2020 – avec une prévision à - 0,1 %.

L'objectif de dépenses de l'État intègre pour 2019 un accroissement des crédits des ministères de 5,7 milliards d'euros par rapport à l'exécution 2018. Cet objectif inclut des économies de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2019 – des économies qui restent à réaliser en exécution. Les crédits des ministères poursuivraient leur croissance entre 2019 et 2020, à hauteur de 6 milliards d'euros.

Le Haut Conseil constate que des efforts visant une budgétisation plus réaliste des dépenses de l'État ont été effectués depuis le PLF pour 2018, même si quelques poches de sous-budgétisation demeurent. Il relève également que des incertitudes entourent les prévisions de prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne (PSR-UE) et de charge d'intérêts. Dans le PLF pour 2020, le Gouvernement prévoit un prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne en légère diminution – de 100 millions d'euros – par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, alors que la dernière année des cadres financiers pluriannuels (CFP) montre généralement une forte accélération des dépenses de l'Union européenne et du prélèvement sur recettes.

En sens inverse, la charge d'intérêts pourrait être un peu moins élevée que ce que prévoit le projet de loi de finances pour 2020. Par exemple, si les taux d'intérêt restaient inchangés à leur valeur au 1er septembre 2019, c'est-à-dire à - 0,6 % pour le taux à trois mois et à - 0,2 % pour le taux à dix ans jusqu'à la fin de l'année 2020, l'économie supplémentaire en dépense serait de l'ordre de 1 milliard d'euros en 2020. Je note que, ce matin, le taux à dix ans est de - 0,3 %.

Une telle évolution accentuerait la baisse déjà inscrite dans la prévision du Gouvernement, selon laquelle la charge de la dette des administrations passerait de 40,3 milliards d'euros en 2018 à 35,9 milliards en 2019 et 33,7 milliards en 2020, soit une diminution de près de 0,3 point de PIB en deux ans, alors même que la dette globale ne ferait que se stabiliser à un niveau proche de 100 points de PIB. Après avoir progressé de plus de 30 points depuis la crise de 2008, le ratio dette sur PIB n'a effectivement pas amorcé sa diminution, à la différence de ce que l'on observe dans la zone euro depuis 2016.

Les dépenses des administrations de sécurité sociale seraient en légère décélération en 2020 par rapport à 2019. Cette prévision nous paraît atteignable, sous réserve que les économies annoncées, notamment sur l'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) et sur l'assurance chômage (Unédic) se réalisent pour les montants attendus.

Les dépenses de fonctionnement des administrations publiques locales (APUL) augmenteraient de 1,5 % en 2019 et de 0,7 % en 2020 dans le scénario du Gouvernement. Leur investissement augmenterait de 8,9 % en 2019, puis diminuerait de 0,1 % en 2020, en lien avec le cycle électoral. Les informations disponibles à ce jour indiquent que la dépense locale en 2019 pourrait être plus soutenue que celle prévue dans le PLF, notamment en matière d'investissement – les chiffres de la fin du mois d'août sont supérieurs à ceux annoncés par le Gouvernement. Il pourrait en aller de même en 2020, compte tenu notamment du niveau élevé de l'épargne des collectivités locales.

En résumé, le Haut Conseil estime que la prévision d'évolution des dépenses publiques pour 2019 et 2020 est plausible et qu'il en va de même des prévisions de déficit nominal, de - 3,1 points de PIB en 2019 et - 2,2 points en 2020, compte tenu de l'appréciation formulée plus haut sur les recettes.

J'en viens à présent à la cohérence des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale examinés par le Haut Conseil avec les orientations pluriannuelles de solde structurel. Cette cohérence s'apprécie au regard de la trajectoire de solde structurel formulée dans la loi de programmation en vigueur, celle du 18 janvier 2018.

Le solde public nominal, comme je l'ai dit, s'établirait à - 3,1 points de PIB en 2019, puis à - 2,2 points en 2020. Vous le savez, l'année 2019 est marquée par le cumul exceptionnel du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et de la baisse de cotisations, qui dégrade le solde nominal de 20 milliards d'euros – l'équivalent de 0,8 point de PIB – sans incidence sur le solde structurel. La composante conjoncturelle du déficit serait quasi-nulle pour les deux années, compte tenu de l'estimation retenue par le Gouvernement d'un écart de production lui-même très proche de zéro. Une fois corrigé des effets de la conjoncture et des événements exceptionnels, le solde structurel, tel qu'estimé par le Gouvernement, serait de - 2,2 points de PIB pour les deux années 2019 et 2020.

En 2019, ce solde structurel serait en amélioration de 0,1 point par rapport à 2018. D'après les chiffres présentés dans le projet de loi de finances pour 2020, l'écart avec la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques s'établirait à - 0,1 point de PIB en 2018 et à - 0,3 point en 2019. L'écart moyen sur deux années serait donc de 0,2 point par an en moyenne, soit un niveau très proche du seuil de 0,25 point par an prévu pour le déclenchement du mécanisme de correction, à l'article 23 de la loi organique de 2012. Le Haut Conseil note que l'hypothèse d'un déclenchement du mécanisme de correction lors de l'examen du projet de loi de règlement pour 2019 ne peut donc être écartée, compte tenu des incertitudes qui pèsent inévitablement tant sur les estimations du PIB que sur celles de solde public.

S'agissant de 2020, le solde structurel serait inchangé par rapport à 2019, soit - 2,2 points de PIB. Cette prévision de déficit structurel prend notamment en compte les mesures annoncées fin avril, à la suite du grand débat national. Le solde structurel en 2020 s'écarterait sensiblement de l'objectif inscrit dans la loi de programmation de janvier 2018, qui prévoyait pour 2020 un déficit structurel de 1,6 point de PIB. Le Haut Conseil relève en conséquence que le Gouvernement présente un article liminaire du projet de loi de finances qui s'écarte fortement de la trajectoire de la loi de programmation en vigueur. Un tel choix pose un problème de cohérence entre le projet de loi de finances pour 2020 et la loi de programmation des finances publiques, et il affaiblit la portée de l'exercice de programmation pluriannuelle en matière de finances publiques.

Le Haut Conseil souligne que les ajustements structurels – c'est-à-dire les variations du solde structurel – prévus pour 2019 et 2020 sont très faibles et en deçà de ceux prévus par la loi de programmation. Selon le projet de loi de finances, la variation de solde structurel entre 2018 et 2019 s'élèverait ainsi à 0,1 point de PIB et serait nulle entre 2019 et 2020, alors que la loi de programmation prévoyait un ajustement de 0,3 point les deux années. L'effort structurel, qui représente la partie de l'ajustement structurel directement liée à un effort en dépense ou à des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires, s'élèverait à 0,1 point de PIB en 2019 comme en 2020, alors que la loi de programmation des finances publiques prévoyait 0,7 point en deux ans.

Sur la période 2018-2020, l'écart cumulé d'effort structurel entre le PLF et la loi de programmation de -0,6 point sur les deux années 2019 et 2020 correspond essentiellement à un moindre effort en dépense de -0,3 point de PIB, malgré la baisse des charges d'intérêts, et à une réduction supplémentaire des prélèvements à hauteur de -0,2 point de PIB.

Ces chiffres doivent en outre s'apprécier au regard des engagements européens que la France a pris. Le Haut Conseil souligne que les ajustements structurels prévus pour 2019 et 2020, qui seront soumis à l'appréciation de la Commission européenne, sont inférieurs au minimum prévu dans le volet préventif du pacte de stabilité, qui correspond à un ajustement de 0,5 point par an.

Je terminerai en soulignant que le déficit public de la France, nominal comme structurel, un peu supérieur à 2 points de PIB hors opérations exceptionnelles, demeure nettement plus élevé que la moyenne de la zone euro, qui se situe en 2019 autour de 0,9 point de PIB, en nominal et en structurel. Malgré une certaine amélioration, la situation de nos finances publiques reste fragile et laisserait peu de marge de manoeuvre budgétaire dans l'hypothèse d'une accentuation du ralentissement économique.

Voilà, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, les quelques observations que je voulais faire, en ma qualité de président du Haut Conseil des finances publiques. Je vous remercie de votre attention et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Monsieur le président, je vous remercie pour cette présentation. L'avis du Haut Conseil des finances publiques, qui est très dense, valide les prévisions du Gouvernement et les hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent le projet de loi de finances pour 2020, qu'il s'agisse de l'emploi, de la masse salariale, de la croissance ou de l'inflation. Cette validation, favorisée par la manière dont nos finances publiques sont organisées depuis quelques années, est une bonne chose et la garantie d'un débat serein.

Cela étant, certains des points que vous avez soulevés me paraissent extrêmement inquiétants, et nous y reviendrons avec les ministres. Le solde structurel reste extrêmement élevé en valeur absolue. Dans la mesure où il n'y a presque plus de variable conjoncturelle, le solde structurel sera à peu près équivalent au solde nominal en 2020. Or le niveau de notre déficit, qui va stagner à 2,2 % en 2019 et 2020, est plus de deux fois supérieur à celui de nos partenaires de la zone euro. L'absence d'effort structurel est problématique en soi, mais elle pose aussi la question du sens des lois de programmation que nous votons : l'écart est grand entre ce que nous avons voté dans la loi de programmation des finances publiques et la réalité actuelle.

Au mois de juillet, le rapporteur général et moi-même avons écrit au Premier ministre pour lui faire part de notre inquiétude et l'inviter à réviser la loi de programmation des finances publiques dès cet automne, afin de prendre acte de la situation, non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan politique. En effet, ces courbes ne sont pas comptables : elles résultent de choix politiques. Or le Premier ministre nous a répondu qu'il n'avait ni l'obligation, ni l'intention de réviser la loi de programmation au cours de l'automne. Il a renvoyé le débat au printemps et en a élargi le champ, au-delà de la loi de programmation. Vous notez à juste titre, monsieur le président, que, dans ces conditions, l'article liminaire du projet de loi de finances n'est pas cohérent avec la loi de programmation des finances publiques.

Vous avez expliqué que vous ne prenez pas en compte, et c'est bien naturel, les risques liés aux crises éventuelles que pourrait provoquer la sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne, ni les nuages qui continuent de s'amonceler sur le commerce international. Mais peut-être pourriez-vous nous aider à mieux évaluer le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, puisque vous dites qu'il y a des risques de ce point de vue. Ce prélèvement sur recettes est souvent synonyme de bonne nouvelle, mais vous semblez dire que nous pourrions au contraire avoir une mauvaise surprise : pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ? Enfin, pouvez-vous nous en dire davantage sur les sous-budgétisations que vous pointez ?

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Permettez-moi de m'associer à vos propos concernant le décès de l'ancien Président de la République, Jacques Chirac. Je me souviens d'une élection présidentielle, pour laquelle j'avais récupéré beaucoup de procurations pour m'assurer que le score des valeurs républicaines serait très supérieur à celui du candidat qui ne les représentait pas. La reconnaissance par le président Chirac de la responsabilité de la France dans l'Holocauste n'y était pas étrangère : c'était une preuve de courage.

Je tiens tout d'abord à souligner l'analyse positive du Haut Conseil : toutes les hypothèses gouvernementales structurant le PLF 2020 sont considérées comme raisonnables, atteignables, cohérentes, plausibles. Dans la sémantique du Haut Conseil, très proche de celle de la Cour des Comptes, cela signifie que nous avons fait preuve de clarté et de sincérité, ce qui nous convient particulièrement.

En revanche, la trajectoire que nous avons adoptée dans la loi de programmation des finances publiques est devenue obsolète : il faut en changer. Avec le président de la commission des finances, nous avons effectivement écrit en juillet au Gouvernement en ce sens. Il ne s'agit pas de remettre en cause la mise en oeuvre de mesures ambitieuses pour le pouvoir d'achat des ménages, justifiée par l'urgence économique et sociale, mais de préserver la crédibilité de notre politique budgétaire : elle justifie que l'on ajuste nos objectifs de solde public pour la fin du quinquennat. J'ai bien entendu vos propos, monsieur le président du Haut Conseil, concernant le mécanisme de correction pouvant être enclenché à l'occasion de la loi de règlement : en l'absence d'une loi de programmation des finances publiques rectificative au printemps 2020, ce mécanisme de correction serait-il enclenché ?

Concernant l'incertitude liée au Brexit, et dans la mesure où vous comptez un expert – je n'ai pas dit un réfugié politique ! (sourires) – dans vos rangs, je souhaiterais que vous nous éclairiez sur le coût envisagé de 0,5 point de PIB en 2020 et 2021 pour la France en cas de Brexit sans accord : les données et les informations économiques récentes confortent-elles cette estimation ?

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Selon l'avis du Haut Conseil des finances publiques, plusieurs feux sont au vert. Certes, nous reconnaissons qu'il y a un sujet comptable de modulation de notre trajectoire budgétaire par rapport à la loi de programmation initiale mais nous respectons bien les règles de sérieux budgétaire, alors que nous avons pris et continuons de prendre des mesures massives de redistribution vers les classes moyennes. Les prévisions vous semblent sincères : nous faisons preuve de réalisme comptable tout en prenant des décisions adaptées à l'état de notre pays.

Vous avez souligné que notre prévision de croissance nationale, qui contraste avec celle de la zone euro, ne tenait pas compte de l'éventualité d'un Brexit sans accord. Pouvez-vous nous préciser la nature et les modalités de chiffrage des répercussions que vous évoquez ? Selon moi, les conséquences du Brexit sont difficilement chiffrables mais peut-être le Haut Conseil a-t-il déjà réalisé des estimations ?

Par ailleurs, comment le Haut Conseil intègre-t-il les possibles évolutions d'assiette favorables dans les prochains mois concernant l'impôt sur les sociétés ? La France défend de nombreuses solutions au G7, au G20 et à l'OCDE, dont celle d'une imposition minimale, et nous avons un réel espoir d'aboutir dans les années qui viennent. Les économistes qui font des chiffrages prévoient des impacts très bénéfiques pour la France : le Haut Conseil intègre-t-il ces perspectives de fiscalité internationale ?

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Votre présentation fait état de plusieurs inquiétudes. La première porte sur le niveau du déficit structurel, qui reste en 2020 identique à celui de 2019 et s'éloigne fortement du déficit prévu dans la loi de programmation des finances publiques, bien que la situation soit très favorable concernant la charge d'intérêts.

Le Haut Conseil des finances publiques relève un problème de cohérence entre le PLF et la loi de programmation des finances publiques, les choix opérés par le Gouvernement affaiblissant la portée de l'exercice de programmation pluriannuelle. J'irai un peu plus loin : les renoncements réguliers et récurrents du Gouvernement ne sont-ils pas de nature à remettre en cause la cohérence de l'ensemble de ses hypothèses ?

Par ailleurs, concernant la croissance de l'activité, vous indiquez que les aléas extérieurs ne sont pas pris en compte, notamment le prix du baril. Avez-vous une réelle inquiétude concernant l'évolution de ce dernier ?

Enfin, vous faites état d'une incertitude concernant l'évolution du comportement des ménages : avez-vous des éléments vous conduisant à avoir des doutes ? Ainsi, la réforme des retraites, source d'inquiétude chez les Français, peut-elle avoir des conséquences ?

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L'avis du Haut Conseil est encourageant pour la sincérité du budget que nous examinerons dès la semaine prochaine. Si les prévisions de croissance restent positives en France, en dépit du coût de 0,5 point de PIB que pourrait entraîner le Brexit, il n'en demeure pas moins que l'endettement public a encore augmenté, passant de 98,4 % à 98,8 % sur une année : ces chiffres témoignent d'une tendance contraire à celle de la zone euro, qui a vu la charge de la dette publique diminuer depuis 2016. Si les taux d'intérêt, soutenus par une politique monétaire européenne favorable, semblent encore intéressants et diminuent la charge de la dette, ces perspectives pourraient-elles évoluer en cas de confirmation d'un Brexit dur dans les prochains mois ?

Un point a particulièrement retenu votre attention concernant le solde structurel : les ajustements en 2019 et 2020 se situent en deçà de ceux prévus par la loi de programmation. Vous estimez dans votre avis que la trajectoire de ce solde présenterait une difficulté au regard de la loi de programmation. L'amélioration des indicateurs de croissance économique, portée par le dynamisme des entreprises et renforcée par les mesures d'encouragement à l'investissement que nous avons adoptées depuis le début de cette législature, ne serait-elle pas susceptible de résoudre cette difficulté ?

Par ailleurs, avec la disparition progressive de la taxe d'habitation, pensez-vous que le taux de prélèvements obligatoires amorcera une baisse à l'horizon 2020 ? Quel bilan tirez-vous de la mise en place de cette mesure pour les finances publiques et celles des collectivités territoriales ?

Enfin, quelles perspectives d'évolution le Haut Conseil distingue-t-il concernant la contractualisation avec les collectivités territoriales, sujet que vous aviez abordé dans votre avis précédent ?

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Nous prenons acte des choix du Gouvernement de laisser filer l'endettement et de procéder à une tentative de relance par la consommation des ménages à hauteur de 9 milliards. Même si nous souhaitons la réussite de cette politique, les prévisions de croissance sont fragiles et, de toute façon, à 1,3 %, il n'y a pas de marge d'amélioration structurelle du marché de l'emploi et des finances publiques. Il en va de même pour les taux d'intérêt, la croissance mondiale, qui peut aggraver son ralentissement, le coût des énergies fossiles ou le Brexit.

En toute hypothèse, nous ne sommes plus dans la trajectoire : le solde structurel s'établirait à - 2,2 % et non - 1,6 %. Ne pensez-vous pas qu'il serait utile que le Gouvernement établisse une nouvelle loi de programmation dans l'objectif d'une maîtrise des grands équilibres budgétaires, à travers une redéfinition de la politique budgétaire à moyen terme ?

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Vous remarquerez tous que, dans les tableaux « Climat des affaires en France et en zone euro » et « PIB en volume en France et en zone euro », la courbe française est meilleure que la courbe européenne. Cela me donne l'occasion de saluer les effets d'une politique obtenue grâce à la mobilisation des gilets jaunes, qui a permis une meilleure croissance que chez nos collègues européens.

Selon le Haut Conseil, la prévision de croissance du PLF est atteignable pour 2019 à 1,4 %, et plausible pour 2020 à 1,3 % : pourtant, le consensus forecast, qui compile toutes les prévisions des principaux organismes, prévoit plutôt 1,3 % de croissance en 2019 et 1,2 % en 2020 : pourquoi donc ne pas dire que la prévision de croissance du Gouvernement est légèrement surestimée ?

De plus, vous dites vous-même que cette prévision ne prend pas en compte l'éventualité d'un Brexit sans accord et ses conséquences sur la croissance française. Or l'impact serait, selon l'OCDE, de 0,5 point la première année. Doit-on en conclure que si un Brexit sans accord intervenait, le Gouvernement devrait procéder à des coupes encore plus importantes dans les dépenses pour atteindre ses objectifs européens ?

Par ailleurs, vous indiquez que l'objectif de déficit inclut des économies de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, économies qui restent à réaliser en exécution. Cela signifie-t-il que le Gouvernement coupera dans les trois prochains mois les budgets de certains ministères pour un total de 1,5 milliard d'euros, sans que nous sachions lesquels seront visés ?

Enfin, le ralentissement de l'activité dans la zone euro a été atténué par une « orientation budgétaire légèrement expansive », pour reprendre vos termes. Ne devrait-on pas faire la même chose en France, ne serait-ce que pour atténuer les effets d'un ralentissement de la croissance que nous constatons tous ? De ce point de vue, la transition énergétique pourrait largement en bénéficier.

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Même si vous ne le dites pas, votre avis montre très bien que si le déficit public ne diminue pas, ce n'est pas parce que l'État serait trop dépensier mais bien parce que le Gouvernement fait de l'idéologie en baissant sans véritables égards les prélèvements obligatoires, en particulier ceux des plus aisés et du secteur marchand : 28,2 milliards d'euros de baisses d'impôts supplémentaires en 2019 du fait d'un CICE doublé. Sur ces points, je renvoie mes collègues au tableau situé page 12, qui détaille l'effort structurel réalisé et met en lumière la boussole budgétaire de l'exécutif et de sa majorité : toujours moins d'impôts pour toujours moins de dépenses publiques – cela ne change pas.

En 2020, il y aura à nouveau des baisses d'impôts sans véritable financement, alors que des marges de manoeuvre sur les recettes existent, notamment sur les niches fiscales, la progressivité de l'impôt sur le revenu ou encore la fiscalité du patrimoine. Sur ce point, disposez-vous d'éléments évaluant l'effet de la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune sur l'investissement et la création d'emplois dans notre pays ?

Vous signalez par ailleurs dans votre avis l'existence de vulnérabilités financières liées à la hausse de l'endettement mondial : quelles sont ces vulnérabilités ? Menacent-elles la France et l'Europe ?

Enfin, vous anticipez un moindre recours à l'épargne en 2020 par rapport à 2019 : quels sont les éléments vous permettant de faire cette anticipation, alors que le niveau d'épargne est particulièrement important cette année ?

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Vous avez mis l'accent sur la question du déficit structurel dans votre avis. Il y est indiqué que « l'identification des composantes conjoncturelle et structurelle du déficit public repose fondamentalement sur l'estimation du PIB potentiel ». Le problème est que le PIB potentiel fait l'objet d'un certain nombre d'incertitudes statistiques qui sont très fortes. Vous avez fait un effort sur le plan pédagogique, puisque vous tentez d'expliquer ce qu'est la croissance potentielle. Il serait peut-être intéressant d'aller jusqu'au bout de l'explication du mode de calcul de la croissance potentielle sur le plan économétrique – car nous sommes dans la main des économètres, il faut le reconnaître. Il y a des incertitudes statistiques. L'écart de production, c'est-à-dire la différence entre le PIB effectif et le PIB potentiel, est de - 0,3 point pour l'OCDE et de + 0,4 point selon la Commission européenne, ce qui ne représente que 15 milliards d'euros de différence…

Il y a beaucoup d'incertitudes sur le calcul de l'élasticité des prélèvements obligatoires et il existe un grand débat dans la littérature économique sur les hypothèses relatives à la fonction de production. S'agissant des résultats obtenus, vous aviez souligné en 2017 que des révisions très importantes peuvent se produire. En 2006, on avait estimé l'écart de production à - 0,8 % dans un premier temps mais on a atteint + 2,3 % en définitive – excusez du peu !

Le Gouvernement estime la croissance du PIB potentiel à 1,25 % en 2020. Je rappelle qu'il s'agit du niveau de production que l'on pourrait obtenir en l'absence de tensions sur les facteurs de production – le capital et le travail. Nous rencontrons des chefs d'entreprise qui nous disent que les délais de livraison des machines outils ont considérablement augmenté parce qu'il existe une dynamique d'investissement très forte dans le pays et que les délais s'allongent. Les chefs d'entreprise nous disent aussi qu'ils rencontrent des difficultés en matière de main-d'oeuvre, qu'il y a des goulets d'étranglement pour les recrutements. J'estime que le taux de 1,25 % est inférieur à ce que devrait être la croissance potentielle. Or cela change tout. Si la croissance potentielle est beaucoup plus importante, cela affecte le calcul du déficit structurel, qui sera beaucoup moins élevé que ce qui est annoncé. Il faudrait vraiment lancer un débat sur le calcul de la croissance potentielle et du déficit structurel.

Vous y verrez peut-être malice, mais je voudrais aussi revenir sur les débats qui ont eu lieu en séance le 14 octobre 2015. Le président de la commission des finances – c'était à l'époque Gilles Carrez – se disait « structuro-sceptique » : il avait déposé un amendement par lequel il dénonçait le caractère artificiel, voire arbitraire, des notions de croissance potentielle, d'écart de production et de solde structurel. J'invite à faire preuve de prudence à l'égard des chiffres retenus en la matière. Ne faudrait-il pas engager un débat entre économètres et économistes sur cette question ?

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En ce qui concerne le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, un de vos graphiques pointe un écart de 1 milliard d'euros entre la prévision pour 2020 et le profil moyen de la dernière année des cadres financiers pluriannuels au cours des trois derniers exercices. Un tel écart est substantiel.

Selon la synthèse de votre avis, un Brexit sans accord aurait des conséquences évidentes sur la croissance française et donc sur les recettes potentielles. Ne faut-il pas aussi prévoir une augmentation du prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne du fait de la sortie du Royaume-Uni ? Elle aura des implications multiples, y compris dans ce domaine.

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Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Merci pour toutes ces observations et ces questions.

S'agissant des hypothèses macroéconomiques, nous avons considéré que la prévision du Gouvernement est atteignable. Pour 2019, cela peut être une question d'arrondi, tout simplement. Pour atteindre un taux de 1,4 %, il faudrait 0,35 % aux troisième et quatrième trimestres. Ce n'est pas nécessairement impossible : l'estimation de la Banque de France est de 0,3 %, comme celle de l'INSEE. Comment arrondira-t-on ? Il est vraiment difficile de se prononcer aujourd'hui, mais l'objectif peut tout à fait être atteint. En ce qui concerne 2020, le Gouvernement a réduit de 0,1 % sa prévision, qui correspond à la moyenne de la fourchette des estimations. Cela peut aussi dépendre de l'acquis de croissance en 2019 et de la façon dont on arrondit. Par ailleurs, tout cela est sous réserve que l'INSEE, dont vous avez auditionné le directeur général la semaine dernière, ne révise pas ses estimations pour les différents trimestres, à la hausse ou à la baisse. Nous considérons – je l'ai dit – que les hypothèses macroéconomiques sont tout à fait plausibles.

Quant aux incertitudes sur la conjoncture internationale, aucun organisme ne prend en compte dans son scénario central l'hypothèse d'un Brexit sans accord. Il existe beaucoup d'incertitudes sur les conséquences qui auraient lieu dans ce cas. On le voit bien quand on regarde l'ampleur de la fourchette pour l'impact possible sur la croissance dans l'Union européenne – et en France. L'INSEE, je l'ai dit, a chiffré l'impact d'un Brexit sans accord à 0,6 point de PIB, sur plusieurs trimestres. L'OCDE considère qu'il peut y avoir un impact de 0,5 point en France, tandis que l'OFCE retient un chiffre inférieur, celui de 0,25 point. Tout le monde considère qu'un Brexit sans accord aurait des répercussions sur l'activité dans notre pays, tout simplement parce que cela implique à moyen terme des pertes économiques, principalement liées à la réduction des échanges commerciaux. Néanmoins, cela dépendra très fortement des conditions de la mise en oeuvre du Brexit, en particulier de la mise en place ou non de droits de douane sur les produits importés au Royaume-Uni, de la préparation des entreprises – il n'est pas facile de mesurer si elles sont bien préparées – et des délais aux frontières pour les marchandises et les personnes.

La Banque d'Angleterre est beaucoup plus pessimiste que les instituts que je viens de citer en ce qui concerne l'impact sur le PIB au Royaume-Uni et les conséquences dans les États membres de l'Union européenne. Si vous le permettez, je vais laisser Richard Hughes vous en dire quelques mots.

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Richard Hughes, Trésor britannique

D'après l'OCDE, un Brexit sans accord aurait un impact d'environ 2 % du PIB en 2020. Selon les dernières estimations de la Banque d'Angleterre, qui datent du 3 septembre dernier, l'impact sur le PIB s'élèverait en 2020 à 5,5 % du PIB au Royaume-Uni. Si l'on utilise le même ratio que l'OCDE entre l'économie britannique et l'économie française, l'impact serait alors d'environ 1 % en France.

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Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

En ce qui concerne le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, nous constatons en effet un écart entre la prévision du Gouvernement pour 2020 et le profil moyen au cours des trois derniers exercices – cela représente à peu près 1 milliard d'euros.

Les évolutions, dans un sens et dans l'autre, peuvent s'équilibrer. Si les taux d'intérêt restent bas, cela redonnera des marges de manoeuvre du côté de la charge liée à l'endettement. Nous n'avons pas d'inquiétude particulière sur l'équilibre prévu entre les dépenses et les recettes, sous réserve que tout soit conforme en exécution, bien sûr, notamment s'agissant des économies à réaliser.

De même que la Cour des comptes, nous notons un effort réel de sincérisation de la part de l'exécutif. Il peut exister encore quelques poches de sous-budgétisation, c'est exact – elles sont essentiellement liées aux OPEX et aux missions intérieures. Le phénomène se réduit de plus en plus, mais il y a toujours un risque, qui peut éventuellement être compensé par de bonnes nouvelles dans d'autres domaines. Compte tenu des informations qui sont les siennes, le Haut Conseil n'est pas en mesure de porter une appréciation plus détaillée sur l'ensemble des dépenses : nous n'avons pas connaissance de tout le projet de loi de finances au moment où nous rendons notre avis. La Cour des comptes pourra vous apporter des éléments complémentaires.

Les enquêtes dont nous avons connaissance font état d'un moral plutôt bon, et même en amélioration en septembre, en ce qui concerne les ménages français. On est plutôt au-dessus de la moyenne. Cela peut avoir des conséquences sur le niveau de consommation et rendre tout à fait possible une légère baisse du taux d'épargne en France, comme le prévoit le Gouvernement, d'une manière d'ailleurs prudente.

Sur le plan international, il peut aussi y avoir des évolutions positives avec des répercussions en France. Je pense, par exemple, à une baisse plus importante du taux d'épargne et à un niveau de consommation plus élevé. Il y a une forte incertitude sur la situation en Allemagne et sur le niveau du rebond qui pourrait avoir lieu dans ce pays – on a de fortes interrogations au sujet de l'industrie allemande et des répercussions de l'évolution du commerce mondial.

On a assisté à une baisse du taux de prélèvements obligatoires (PO) en 2019, du fait de la transformation du CICE. Il ne faut pas l'oublier, même si les objectifs du Gouvernement pour 2020 sont marqués par un moindre effort en matière de dépenses et par une augmentation des réductions d'impôts, ce qui pèsera naturellement sur les indicateurs. Les PO remonteront par rapport à cette année, avec le contrecoup de la transformation du CICE.

Je ne peux pas répondre à la question portant sur les collectivités territoriales. Dans son rapport sur les finances publiques locales, la Cour des comptes a constaté que les objectifs de la contractualisation paraissent tenus, même si l'on manque encore de recul pour apprécier les effets du dispositif. La Cour a formulé un certain nombre de propositions pour l'améliorer.

Il existe de nombreuses interrogations à propos des aspects structurels. Une réflexion est en cours au niveau européen sur le potentiel de croissance, l'écart de production et la définition du solde structurel. Cette approche est fragile, mais c'est encore la moins mauvaise si l'on veut corriger les effets de la conjoncture – et tout le monde convient qu'on doit le faire. Le solde structurel reste intéressant pour apprécier la réalité de la situation dans un contexte où la conjoncture peut bouger. Il n'y a pas d'autre méthode à l'heure actuelle. Une réflexion est engagée et il est souhaitable qu'elle aboutisse compte tenu des interrogations et des incertitudes qui existent : quand on regarde les estimations, on voit qu'il y a des différences au sujet de l'écart de production et des conséquences que l'on peut en tirer en matière de solde structurel.

Sur ce dernier plan, on constate que la France ne progresse pas beaucoup. L'ajustement structurel est faible par rapport aux objectifs inscrits dans la loi de programmation des finances publiques et à ce que prévoient les règles européennes dans le cadre du volet préventif pour les pays se trouvant en dessous de 3 % de déficit. Il n'appartient pas au Haut Conseil de recommander une modification de la loi de programmation mais il pourra peut-être constater, à un moment, qu'il existe un tel écart que cela nécessite le déclenchement du mécanisme de correction. Il est vrai que le projet de loi de finances prévoit, ex ante, un écart important avec la loi de programmation en vigueur. Le Gouvernement a été amené à modifier ses objectifs du fait des conséquences qu'il a tirées du mouvement des gilets jaunes et des décisions prises à la suite du grand débat national, mais la loi de programmation n'a pas été corrigée dans l'immédiat. L'écart entre le PLF pour 2020 et la loi de programmation de 2018 conduit naturellement à s'interroger sur le sens des lois de programmation et sur la programmation en tant que telle.

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Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques

Oui. Il vous concerne, comme l'ensemble des pouvoirs publics.

Informations relatives à la commission

La commission a reçu en application de l'article 12 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) un projet de décret de virement de crédits d'un montant de 400 000 euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), du programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances à destination du programme 124 Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative de la mission Solidarité, insertion et égalité des chances.

Ce virement de crédits permettra la collecte de données individuelles sur l'orientation, l'accompagnement et l'insertion des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et l'élaboration de deux conventions post doctorats dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

Membres présents ou excusés

Réunion du vendredi 27 septembre 2019 à 12 heures

Présents. - M. Damien Abad, M. Julien Aubert, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, M. Philippe Chassaing, M. Éric Coquerel, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. Nicolas Forissier, M. Joël Giraud, Mme Olivia Gregoire, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Marc Le Fur, Mme Patricia Lemoine, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, Mme Bénédicte Peyrol, M. Benoit Potterie, M. François Pupponi, M. Xavier Roseren, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Éric Woerth

Excusés. - M. François André, M. Fabrice Brun, M. M'jid El Guerrab, Mme Sarah El Haïry, M. Christophe Jerretie, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Philippe Vigier

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