Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du mercredi 9 octobre 2019 à 15h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • conjugale
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  • médecin
  • parentale
  • plainte
  • sages-femmes
  • sexuelle
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La réunion

Source

La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de M. Gaël Le Bohec, vice-président.

Dans le cadre de la mission d'élaboration du Livre Blanc de la Délégation sur la lutte contre les violences conjugales, table ronde, ouverte à la presse, de professionnels de santé :

- Mme la docteure Cécile Morvant, médecin généraliste ;

- Mme la docteure Charlotte Gorgiard, Unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu ;

- Mme Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins dédiée aux femmes victimes de violences à la Maison des Femmes de Saint-Denis ;

- pour le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes : Mme Anne-Marie Curat, présidente, et M. David Meyer, chargé des relations institutionnelles ;

- pour le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes : Mme la docteure Geneviève Wagner, chirurgienne-dentiste, présidente de la commission « Exercice et déontologie », et Mme Stéphanie Ferrand, juriste ;

- Mme la docteure Emmanuelle Piet, gynécologue et médecin de protection maternelle et infantile, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En préambule, je rappelle que cette table ronde s'inscrit dans le cadre du travail mené par notre Délégation en parallèle du Grenelle des violences conjugales lancé le trois septembre dernier par Marlène Schiappa aux côtés du Premier ministre Édouard Philippe. Pour enrichir cette démarche lancée par le Gouvernement, nous avons choisi de revenir en profondeur sur les nombreux travaux que nous avons déjà réalisés au sein de la Délégation sur les violences faites aux femmes en général et sur les violences conjugales en particulier. Nous sommes en train d'élaborer un Livre blanc qui comprendra des recommandations à la hauteur de la gravité de la situation. Nous le remettrons au Gouvernement dans le courant du mois de novembre.

Dans le cadre de ce travail, nous avons d'ores et déjà auditionné M. Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur, Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice ainsi que M. Julien Denormandie, ministre en charge de la Ville et du Logement. Nous avons également reçu plusieurs structures associatives ainsi que des personnalités expertes dans la lutte contre les violences conjugales. Pour cette troisième table ronde, nous accueillons aujourd'hui plusieurs professionnels de santé impliqués dans la lutte contre les violences conjugales :

- Mme la docteure Cécile Morvant, médecin généraliste ;

- Mme la docteure Charlotte Gorgiard, Unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu ;

- Mme Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins dédiée aux femmes victimes de violences à la Maison des Femmes de Saint-Denis ;

- pour le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes : Mme Anne-Marie Curat, présidente, et M. David Meyer, chargé des relations institutionnelles ;

- pour le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes : Mme la docteure Geneviève Wagner, chirurgienne-dentiste, présidente de la commission « Exercice et déontologie », et Mme Stéphanie Ferrand, juriste ;

- Mme la docteure Emmanuelle Piet, gynécologue et médecin de protection maternelle et infantile, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV).

Cette table ronde nous permettra aujourd'hui d'aborder en détail le rôle des professionnels de santé, quelle que soit leur spécialité, dans la prévention, la détection et la prise en charge des victimes de violences conjugales.

Malgré plusieurs plans successifs et un arsenal juridique puissant, des dysfonctionnements demeurent d'un bout à l'autre de la chaîne de prise en charge des victimes de violences conjugales ; il nous faut donc sans plus tarder affronter les carences de notre système. Nous devons mieux identifier les blocages, les freins et les obstacles qui empêchent les pouvoirs publics de prendre efficacement en charge les victimes, tant sur le plan judiciaire que social et médical.

C'est dans cette optique que nous avons organisé aujourd'hui cette table ronde qui, j'en suis certain, nous permettra de travailler concrètement à organiser une meilleure prise en charge des victimes de violences conjugales et notamment une meilleure prise en charge des femmes victimes, car nous savons qu'elles sont malheureusement très majoritaires.

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docteure Cécile Morvant, médecin généraliste

de formation, je suis également médecin légiste et médecin rééducateur. J'ai plusieurs thématiques à aborder en partant des questions que vous nous aviez adressées. En matière de détection, on constate que les professionnels de santé ne détectent pas assez ces situations de violences conjugales, probablement parce qu'il n'y a pas encore assez de dépistage systématique. Je note toutefois, au cours des formations pour lesquelles j'interviens, qu'il y a de plus en plus de centres où le dépistage est systématique. C'est notamment le cas là où interviennent les sages-femmes ou les gynécologues.

On ne dépiste pas assez parce qu'on n'y pense pas ou parce qu'on ne sait pas quand y penser, souvent par manque de formation. Je constate aussi que les professionnels de santé n'osent pas toujours poser des questions parce qu'ils ne savent pas quoi faire. Et même s'ils posent la question, ils ne savent pas quoi proposer ensuite.

La prise en charge est surtout un accompagnement, c'est-à-dire une écoute, une façon d'être et de dire. Souvent les professionnels de santé ont envie de protocoles et veulent agir alors qu'il faut dans un premier temps bien comprendre tout le processus des violences, voir comment il fonctionne, ce qu'est l'emprise, etc. Ces phases permettent d'aider les victimes à verbaliser et, partant, à faire leur choix. Nous avons bien un rôle d'orientation, d'information et de conseil. Plus le professionnel de santé va être formé et comprendre le processus de violence, plus il sera à même de prendre en charge ces patientes.

Deuxième constant : la formation initiale est clairement insuffisante, si ce n'est absente. Je parle ici de tous les professionnels de santé, pas uniquement des médecins. Sont concernés les infirmiers, les aides-soignants, les kinésithérapeutes, les rééducateurs, les sages-femmes, les psychologues,…

Je crois qu'il faut continuer l'effort engagé depuis 20 ans : il faut former les professionnels d'abord hospitaliers, parce que cela aura un impact sur la prise en charge et la détection, mais que cela aura aussi un impact sur la formation puisque ce sont souvent les professionnels hospitaliers qui vont intervenir dans les facultés et les écoles sur ces thématiques. Dans les services d'urgences à l'hôpital, nous avons des référents théoriques ou pratiques. Je crois qu'il faudrait exiger davantage que ces référents soient formés ou aient une sorte de validation d'acquis d'expérience ou une vraie formation universitaire – il existe maintenant des diplômes universitaires sur ces sujets – pour que ce ne soit pas simplement un nom sur une liste. Parfois on se contente de donner un nom pour dire qu'on a respecté cette obligation. J'en parle en connaissance de cause puisque mon hôpital a fait ainsi : la seule femme médecin des urgences a été nommée référente parce que c'était la femme du service des urgences. On a dit qu'elle allait être la référente, sans qu'elle ne manifeste aucun intérêt particulier et sans qu'elle ait accès à une formation. Ce n'est pas bien.

J'intègre les psychologues aux professionnels de santé. Il faut qu'ils soient formés sur le processus de domination conjugale, sur les stratégies des auteurs et surtout formés pour réaliser un dépistage actif. Quand j'interviens auprès d'infirmières ou d'infirmiers qui travaillent en milieu psychiatrique ou auprès de psychologues, en raison de leur façon de travailler, ils attendent que la personne soit prête à parler ; et on peut parfois longtemps. Quand je suis amenée à faire des certificats médicaux pour des victimes, je leur demande s'ils en ont parlé à leur psychologue. Leur réponse est généralement négative. Il faut changer cela et faire en sorte que ces professionnels de santé soient plus actifs vis-à-vis des victimes. C'est un changement de mentalité et de pratiques pour beaucoup.

J'ai fait une recherche en ligne avec les mots-clés « formation sur les violences conjugales » en cherchant à savoir quelle est l'offre disponible. Parmi les quelques pages proposées, j'ai trouvé des formations dans des universités, des organismes de formation qui s'investissent et beaucoup de formations délivrées par des associations. Mais laquelle choisir ? Ces formations sont-elles toutes à jour ?

Ne pourrait-on pas envisager, pour organiser cette offre, de répertorier et de référencer ces formations via la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) ou via un site gouvernemental ? On pourrait envisager une sorte de label qui attesterait et validerait le contenu des formations et le profil des formateurs ; cela aiderait les gens à choisir.

Il y a beaucoup à faire pour la formation des libéraux et des professionnels en ambulatoire. Ce n'est pas facile parce qu'ils n'ont pas les mêmes disponibilités. Je parle ici des infirmiers à domicile, ceux qui font la prise en charge en ambulatoire. Cela concerne aussi les auxiliaires de vie, les services d'aide à la vie sociale pour les personnes handicapées,… Il faut probablement continuer à les orienter vers des formations faites par les associations ou les réseaux locaux qui, en même temps, vont pouvoir leur proposer d'intégrer leur réseau en tant que partenaire.

La troisième problématique que je voulais aborder est celle des filières de victimologie qui devraient être plus réparties sur le territoire. Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous évoquez l'exemple de la cellule d'accueil d'urgence des victimes d'agressions (CAUVA) ou celui de la Maison des femmes de Seine-Saint-Denis. Ce sont des initiatives extrêmement intéressantes et il faut bien évidemment les soutenir. Je travaille dans l'Ardèche, zone rurale, où il ne sera pas possible de disposer d'un centre de ce type. Il me semble qu'il faut plus envisager de travailler sur des filières ou des pôles de victimologie qui tiennent compte des moyens locaux et qui s'appuient sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT). L'idée serait de constituer une filière organisée pour avoir des ressources en victimologie dans chaque GHT, en lien avec les filières médico-légales. Existent des consultations pour la douleur, des centres d'addictologie, c'est-à-dire des réponses à des thématiques transversales. Pourquoi ne pas déployer pareil dispositif pour les violences conjugales et même pour toutes les violences ?

J'aimerais également insister sur la protection de la mère et de l'enfant qui a déjà été au coeur de vos échanges avec Édouard Durand. Nous avançons de plus en plus sur cette thématique car il faut prendre conscience des situations de violences conjugales et de leur impact sur les enfants. Il faut mesurer les difficultés pour la mère à exercer sa parentalité, et enfin tenir compte du profil des auteurs lors des jugements aux affaires familiales.

Depuis 2010, des mesures d'accompagnement protégé sont possibles mais elles ne sont pas assez utilisées. Il faudrait sûrement aussi s'inspirer de ce qui est par exemple mis en place en Seine-Saint-Denis, toujours très en avance. Dans l'Ardèche, nous nous en sommes inspirés pour organiser et sécuriser l'exercice du droit de visite. Nous savons en effet que la passation des enfants est souvent le moment où le père fait preuve de rage, de violences, de menaces, ou d'actes de dénigrement sur la mère. Ces espaces de rencontres protégés et ces mesures d'accompagnement évitent à la mère victime d'être en contact avec l'auteur. Ainsi nous privilégions l'intérêt et la sécurité de l'enfant qui bénéficierait par ailleurs d'un temps seul avec un professionnel formé, par exemple pendant le transport, quand il se rend sur le lieu du droit de visite. Cela éviterait toutes les manipulations et instrumentalisations de l'enfant. Je pense aussi que c'est un moyen de diminuer le risque de reproduction de la violence, parce que nous savons qu'il y a des possibilités que cela se reproduise au cours des générations.

Enfin, je pense qu'il faut informer chaque citoyen sur le processus des violences. À l'heure actuelle, il y a beaucoup de campagnes et nous avons beaucoup avancé. Nous affirmons que la violence est inacceptable. C'est positif et il faut continuer mais il faut peut-être aussi donner plus de moyens pour comprendre comment cela fonctionne, comprendre ces relations de domination, cette emprise, les stratégies des auteurs… Ce fonctionnement est commun à toutes les violences familiales, aux violences sexuelles, aux violences au travail, aux violences sur les enfants. Cela permettrait à chacun de mieux repérer, en tout cas plus tôt, une situation ou une relation inacceptable, une relation d'emprise. L'objectif est d'avoir plus de moyens pour que les victimes puissent s'en échapper. Si on identifie mieux cette situation, si un proche comprend mieux ces mécanismes, il sera plus à même d'aider la victime. Indirectement nous aiderons aussi les professionnels qui auront plus d'outils. Les films de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) sont très intéressants et c'est un outil que nous utilisons tous. Nous avons également imaginé des mini-films avec des saynètes où on pourrait voir comment fonctionne la stratégie de l'auteur, et comprendre les réactions ou non-réactions des victimes. On y verrait les éléments qui amènent la victime à ne pas oser parler de ce qui vient de lui arriver. Ce serait l'occasion de parler des différentes formes de violences.

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docteure Charlotte Gorgiard, Unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu

Médecin légiste, je travaille à l'unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu à Paris. Après avoir présenté mon unité, j'aborderai la problématique des violences conjugales selon un spectre assez spécifique puisque le service où je travaille examine uniquement des personnes qui ont déposé plainte. Les victimes que nous recevons ont déjà fait la démarche d'aller au commissariat pour rapporter des faits de violence.

L'UMJ de l'Hôtel-Dieu est la première unité médico-judiciaire de France ; recevant environ 15 000 victimes par an. Nous ne disposons pas de statistiques très précises, mais nous estimons que 15 à 20 % de ces 15 000 victimes sont victimes de violences conjugales. La grande majorité sont des femmes ; il ne faut pas oublier que parfois certains hommes sont victimes, les hommes déposant probablement moins plainte que les femmes.

Je vais concentrer mon propos sur la situation des femmes victimes de violences conjugales. Dans ces situations, seulement 14 % des femmes déposent plainte. Comme nous ne recevons que les femmes qui ont porté plainte, nous ne prenons en charge que des victimes qui ont déjà condamné moralement les violences ou qui sont t déjà dans une démarche d'évolution, de changement, avec la volonté de s'éloigner de l'auteur des violences.

Plusieurs profils peuvent être mis en évidence. Les victimes de violences physiques viennent déposer plainte principalement pour des gifles, des coups, etc. L'examen clinique est en général assez rapide puisque nous retrouvons, malheureusement, peu de lésions traumatiques. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de violences - je rejoins ce que disait ma consoeur -, cela veut dire que la détection des violences est difficile puisqu'il y a peu de blessures physiques, or les cas exceptionnels des violences graves par arme à feu ou par arme blanche. En l'absence de blessures physiques, le médecin généraliste aura, lui aussi, du mal à détecter les violences.

La consultation en UMJ vise, d'une part, à établir un constat des blessures et, d'autre part, à évaluer l'incapacité totale de travail (ITT). Cette ITT aide le magistrat à classifier l'infraction, sachant que dans le cas des violences conjugales, nous sommes dans une situation délictuelle puisqu'il s'agit du conjoint ou de l'ex-conjoint. Le rôle de la consultation est également de questionner tous les autres types de violence. Dans notre pratique, nous nous rendons bien compte que si le motif de consultation ou de dépôt de plainte initial est le plus souvent les violences physiques, elles s'accompagnent très souvent de violences psychologiques et également de violences sexuelles. Nous nous rendons de plus en plus compte que les violences sexuelles conjugales sont extrêmement importantes. Nous estimons qu'environ deux tiers des victimes que nous voyons ont allégué des violences physiques, mais elles n'ont pas forcément parlé des violences sexuelles. Quand nous posons la question de façon systématique en consultation, elles nous parlent pourtant des violences sexuelles au sein du couple.

C'est le premier message que je voudrais faire passer aujourd'hui : si le dépôt de plainte concerne d'abord les violences physiques, la consultation doit être l'occasion d'un dépistage systématique des violences psychologiques, des violences sexuelles et également des violences sur les enfants.

Dans le déroulement de la consultation, nous réalisons ensuite l'examen clinique et nous terminons l'entretien par une orientation des victimes vers les associations. Nous avons la chance à l'Hôtel-Dieu de travailler avec des associations solides et très formées sur les situations de violences conjugales. Nous sommes le plus souvent confrontés au problème du logement. Les personnes qui sont examinées pour des situations de violences conjugales ont, la plupart du temps, décidé de quitter leur conjoint quand elles ont déposé plainte mais sont dans l'incapacité de quitter le logement parce qu'elles ont peur qu'on leur enlève leurs enfants si elles quittent le domicile. Elles ont aussi peur de perdre leurs biens et leur foyer. Elles nous disent se sentir dans la difficulté, vouloir partir mais ne pas vouloir laisser leurs enfants ou leur domicile. C'est une inquiétude très fréquente et finalement ces femmes finissent par rester avec leur conjoint faute d'une solution alternative.

En ce qui concerne la formation, il y a bien un manque mais nous progressons. Dans notre pratique, nous nous rendons compte que les policiers sont de mieux en mieux formés à l'entretien et à l'audition des personnes victimes de violences ; ils abordent aussi de façon systématique les violences psychologiques, les violences financières, les violences sexuelles et les violences sur les enfants. Ces violences sont désormais intégrées systématiquement aux questions posées lors des auditions. La formation des professionnels de santé s'améliore aussi. À la faculté de médecine Paris Descartes, il y a des modules spécifiques pour les étudiants hospitaliers qui commencent leurs études de médecine. On les forme de plus en plus à la question des violences conjugales, mais ce n'est pas encore parfait. Les sages-femmes sont également de mieux en mieux formées. Il faudrait que ce mouvement s'élargisse, que dans les facultés de médecine on augmente le temps de formation dédié aux violences de tout ordre. On parle aujourd'hui des violences conjugales, mais il faut aussi parler des autres types de violence.

Nous parlons des violences faites aux femmes au sein du couple. Il ne faut pas oublier non plus les couples homosexuels. Très probablement – je n'ai pas d'estimation précise à vous donner –, ces personnes déposent encore moins plainte que les femmes des couples hétérosexuels, par peur aussi de l'image qu'elles pourraient renvoyer. Il y a un travail à faire sur la condamnation de ces violences et sur leur dépistage systématique. Il faut que les violences ne soient plus un tabou, que les médecins soient capables, lors d'un entretien classique avec un patient, de poser des questions systématiquement, de demander s'il existe des violences au sein de la famille de la même manière qu'il pose des questions sur les antécédents médicaux et chirurgicaux ou sur les allergies.

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Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis

Je rejoins mes collègues sur la formation : sage-femme depuis dix ans, j'ai vu une amélioration. De plus en plus d'étudiants témoignent qu'en stage, ils voient des professionnels faire du repérage systématique. Nous allons dans le bon sens, mais ce n'est pas assez puisqu'il y a encore beaucoup trop de femmes qui décèdent et que ces violences ont des conséquences dramatiques sur la santé des femmes et des enfants. Il faut diffuser massivement les récentes recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) qui recommandent le repérage systématique. Les deux fiches pratiques donnent des outils, notamment pour la rédaction des certificats médicaux.

Par rapport à mon champ de compétences, la périnatalité, il convient de renforcer les actions de prévention dès la grossesse, puisque nous savons aujourd'hui que les violences ont des conséquences sur la femme enceinte et sur l'enfant, même in utero. Pour ce faire, commençons par renforcer ce qui existe et notamment la protection maternelle et infantile. Aujourd'hui, beaucoup de centres ne peuvent plus suivre les enfants jusqu'à l'âge de six ans parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Il s'agissait pourtant d'un outil précieux pour repérer les violences et accompagner les enfants qui y sont exposés, ainsi que leurs mères. Dans les secteurs où nous ne parvenons à faire ce suivi que jusqu'à l'âge de trois ans, on assiste à une véritable perte de chance. La commission qui travaille sur les 1 000 premiers jours de vie pourrait se saisir du sujet des violences intrafamiliales. Nous savons que le contexte des violences a un impact sur l'épigénétique ; les professionnels doivent le savoir et être formés pour cela. Cela peut se faire en s'appuyant sur les réseaux de santé périnatale qui ont une mission de formation et qui sont en charge de l'animation du réseau.

Ainsi que je l'ai constaté, lorsque les structures s'emparent de ces sujets, on voit que les pratiques changent, notamment grâce à cette culture du réseau. En Seine-Saint-Denis grâce au réseau « Naître dans l'Est Francilien » (NEF), tous les personnels des maternités ont été formés et un repérage systématique a été mis en place. Les formations aux violences faites aux femmes doivent être financées dans le cadre du développement professionnel continu (DPC). Lorsqu'une sage-femme s'interroge sur la formation qu'elle va suivre, le fait que cette formation soit prise en charge – quand d'autres modules ne le sont pas – peut être un facteur d'incitation utile. Sur le terrain, on constate qu'il faut que tous les professionnels aient compris l'intérêt du repérage systématique et qu'ils y aient été formés. Cela demande des moyens, notamment d'interprétariat lorsque les patientes ne sont pas francophones. Or les moyens ne sont pas au rendez-vous. Il y a certes des violences conjugales dans tous les milieux socio-économiques, mais quand on ne maîtrise pas la langue française, on est dans une situation de plus grande vulnérabilité et de plus grande dépendance vis-à-vis de l'agresseur.

Dans le questionnaire que vous nous avez adressé, vous vous demandez s'il faut encourager les signalements par les professionnels de santé. Je répondrai évidemment positivement mais je pense qu'il faut clarifier deux points. Les professionnels de santé libéraux n'ont pas l'obligation de faire de signalement, il ne s'applique qu'aux fonctionnaires. Il faut changer cette règle. L'autre problème concerne le signalement pour les mineurs victimes de violences âgés de 15 à 18 ans. Pour cette catégorie, il n'y a pas d'obligation de signalement.

Plus généralement, la question du signalement se pose pour tous les professionnels. Les juristes ou les avocats ont peur de commettre une faute déontologique en signalant des faits. Je pense que nous avons besoin d'une règle claire précisant que faire un signalement n'expose à aucun risque déontologique ; cela rassurerait les professionnels. Il ne me semble pas qu'une telle précision existe de façon explicite pour les professionnels libéraux.

Aujourd'hui la sécurité sociale ne rembourse pas les psychothérapies des victimes de violences, alors même qu'elles en ont besoin. Nous le constatons à la Maison des femmes où nous accueillons des femmes de toute l'Île-de-France, les psychiatres de secteur ne sont pas formés au trauma complexe. Ils le reconnaissent d'ailleurs et nous disent ne pas avoir abordé ce sujet durant leurs études. Ils raisonnent surtout à partir de leur référentiel de psychose et ils sont très bien formés pour accompagner par exemple quelqu'un de schizophrène. Mais face à une personne ayant subi de l'inceste pendant quatre ans, pendant dix ans, ils ne savent pas vraiment faire.

Il faut encourager les prises en charge holistiques comme celles que nous proposons à la Maison des femmes. Il n'est pas possible de créer en six mois des maisons des femmes dans tous les départements. Mais il existe partout des centres médico-psychologiques (CMP) sur lesquels on peut s'appuyer. Avançons sur la prise en charge spécialisée mais formons aussi les professionnels de secteur.

La création du national de ressources et de résilience (CNRR) et des dix centres de soins en psychotrauma est évidemment une très bonne initiative mais je regrette qu'ils ne comprennent pas de somaticiens qui interviendraient avec les psychiatres et les psychologues. Avoir des médecins généralistes, des gynécologues, des sages-femmes,… aux côtés des psychiatres et des psychologues spécialisés serait vraiment très complémentaire et cela éviterait de morceler, encore une fois, ces victimes qui le sont déjà par la violence.

À la Maison des femmes de Saint-Denis, des plaintes sont prises dans notre structure par des policiers que nous avons formés. Cela évite aux femmes d'aller dans les commissariats, les plaintes sont beaucoup mieux prises – c'est vraiment à encourager – et en plus, nous avons pu former les policiers qui sont venus. Même pour des procédures où les femmes n'ont pas déposé plainte chez nous, cela facilite les choses, parce que nous nous connaissons et nous avons appris à travailler ensemble. Peut-être qu'il serait intéressant de développer des formations continues où on mélange les professions. Ce n'est pas aux femmes de faire ce lien entre nous : elles ont à résister aux violences, à des violences terribles, à protéger leurs enfants et c'est déjà suffisant. Il faut améliorer la circulation de l'information : des femmes obtiennent parfois des ordonnances de protection sans que le commissariat dont elles dépendent n'en soit informé ! De même, le juge aux affaires familiales n'est pas forcément informé d'une audience pénale. Je pense qu'Édouard Durand vous a parlé de cette complexité.

La Maison des femmes de Saint-Denis étant une structure hospitalière, nous pouvons nous appuyer sur les compétences de l'hôpital en addictologie, en infectiologie quand les femmes ont été exposées à des violences sexuelles, et nous pouvons mettre en place des consultations de médecine légale sans réquisition. Je pense que c'est vraiment l'avenir de la médecine légale, c'est-à-dire commencer par le soin et la prise en charge médicale, réaliser les prélèvements nécessaires et ensuite seulement envisager le dépôt de plainte. Il est vraiment regrettable que les compétences de médecine légale ne soient réservées qu'à la minorité des victimes qui déposent plainte. Seulement 20 % des victimes des violences conjugales déposent plainte, le taux est de 10 % pour les violences sexuelles. Il y a quelques services aujourd'hui en France de médecine légale qui offrent cette possibilité d'être reçu sans réquisition, et nous voyons l'effet positif sur les victimes. Parfois, elles étaient opposées au dépôt de plainte et, en se sentant prises en charge, en lisant le certificat, en se sentant crues, en voyant qu'elles disposent de preuves matérielles, elles vont aller vers la plainte sous 15 jours, sous trois mois. S'il n'y avait pas eu ce constat médical, je pense que cela aurait mis beaucoup plus de temps.

Des gendarmes qui travaillent sur la mallette d'aide à l'accompagnement et l'examen des victimes d'agressions sexuelles (MAEVAS) pour tous les professionnels des urgences centrales gynécologiques afin qu'ils puissent faire un examen de victimes de violences sexuelles dans les règles de l'art. Cela me paraît être une initiative à développer.

Quand nous allons former les professionnels dans les centres de protection maternelle et infantile ou que nous intervenons dans les maternités, les professionnels nous disent avoir besoin d'outils concrets. Il y a une brochure assez magnifique, dédiée aux parents, qui s'appelle « la santé des enfants exposés aux violences conjugales », qui a été éditée par le département des Hautes-Alpes et reprise par deux autres. L'État pouvait s'en saisir et la diffuser car elle est très bien faite.

Le département de la Seine-Saint-Denis a mis en place des outils pour aider les professionnels de la petite enfance, notamment les pédopsychiatres et les psychologues de l'enfant, à dispenser des soins pratiques pour les enfants exposés aux violences conjugales. C'est aussi à diffuser au niveau national parce qu'une psychologue qui demain voudrait prendre en charge des enfants exposés aux violences conjugales pourrait s'appuyer sur des outils déjà développés par des spécialistes. Il s'agit de diffuser ce qui fonctionne et ce qui a fait ses preuves pour gagner du temps.

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Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes

Les sages-femmes sont bien sûr au coeur du problème des violences. La lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité pour les sages-femmes défenseurs du droit des femmes. Depuis 2013, nous avons travaillé en partenariat avec la MIPROF et avec Ernestine Ronai pour proposer des formations aux sages-femmes. Nous avons vraiment oeuvré pour que cette initiative se diffuse sur tout le territoire, en veillant par exemple à ce que toutes, dans les réunions de conseils départementaux, il y ait eu une communication sur les violences et que des formations aient été proposées.

Nous avons beaucoup travaillé pour que les sages-femmes puissent vraiment repérer, dépister les violences et ce de façon systématique lors de chaque consultation. Notre profession touche toutes les femmes puisque, depuis 2009, nous sommes maintenant compétents pour le suivi gynécologique de prévention. À ce titre, nous suivons et nous accompagnons toutes les femmes en dehors de la grossesse, pendant la grossesse, tout au long de la grossesse et quelle que soit l'issue de la grossesse – je rappelle que nous avons la compétence pour des IVG médicamenteuses. Nous sommes donc clairement au coeur de l'accompagnement et de la prise en charge des femmes.

La grossesse est un moment où vont éclater les violences conjugales, notamment lorsqu'elles sont latentes au niveau du couple. Les nombreux rendez-vous de suivi de la grossesse avec un professionnel de santé doivent donc être l'occasion de repérer les violences. Comme interlocuteur de premier niveau, les sages-femmes doivent utiliser tous les outils disponibles pour ce repérage. Beaucoup d'entre nous participent aux formations de la MIPROF et réfléchissent à l'articulation entre signalement et respect du secret médical. Au sein de l'Ordre, nous travaillons à une modification de notre code de déontologie. Certains de ses articles interdisent aujourd'hui à la sage-femme de s'immiscer dans les affaires de famille. Notre service juridique est interpellé au quotidien par des sages-femmes qui se demandent comment agir sans se mettre en défaut vis-à-vis du code de déontologie. Nous avons à apporter cette connaissance auprès de toute la profession. Il y a cinq ou six ans, nous avons ainsi mis en place le programme de retour à domicile précoce (PRADO), qui permet, après l'accouchement, aux sages-femmes de rentrer dans les familles et ainsi de repérer beaucoup de situations susceptibles de poser problème, notamment pour les enfants. Je tenais à préciser la place de la sage-femme dans ce cadre pour bien montrer que le repérage peut se faire au domicile des patientes.

Nous incluons désormais la question des violences dans la formation initiale comme dans les formations continues. Normalement, ce doit aussi être inclus dans les orientations du développement personnel continu (DPC). L'agence nationale du développement personnel continu vient d'arrêter des orientations visant à former toutes les sages-femmes, à bien les informer pour qu'ils puissent utiliser tous les outils à leur disposition et ainsi bien prendre en charge les victimes et bien les orienter.

Sur la prise en charge, j'ai déjà évoqué la nécessaire clarification du cadre juridique.

En ce qui concerne les 1 000 premiers jours, il faut – et nous ne manquons pas de le demander à chaque audition – généraliser l'entretien prénatal dans la prise en charge et le suivi de la grossesse. C'est un très bon outil pour repérer un problème dès l'origine et pouvoir agir pendant toute la grossesse. Alors que les plans de périnatalité prévoyaient déjà sa généralisation en 2005, nous constatons que ce n'est toujours pas le cas 14 ans après. Les derniers chiffres de l'enquête périnatale de 2016 disent que seulement 29 % des entretiens prénatals précoces sont réalisés. Cette situation s'explique par le fait que cet entretien prénatal a été présenté comme un premier cours de préparation à la naissance. Il faut pourtant absolument le dissocier de cette préparation à la naissance. Toutes les femmes ne suivent pas les préparations à la naissance – on estime qu'une femme sur deux suit cette préparation -, surtout quand ce sont des femmes qui ont déjà plusieurs enfants. Donc souvent ce premier entretien n'a pas lieu ! Il ne s'agit pas d'une consultation médicale d'orientation, il comprend une plus grande dimension psychosociale quand l'entretien réalisé au cours du premier trimestre vise à orienter le suivi. Cet entretien permet d'ajuster la prise en charge qui peut être proposée ensuite aux femmes.

Il faut donc bien distinguer ces deux étapes, généraliser de façon systématique cet entretien et le traiter différemment en termes de prise en charge et de rémunération des professionnels.

J'ai rencontré les équipes qui travaillent sur les 1 000 premiers jours. Lors d'un déplacement à Metz ce matin pour les journées cadres de sages-femmes, j'ai compris que ce point avait été identifié par tous les acteurs. Il semble que la direction générale de la santé l'ait bien pris en compte.

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docteure Geneviève Wagner, chirurgienne-dentiste, présidente de la commission Exercice et déontologie du Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes

Pour les chirurgiens-dentistes, la prise de conscience au niveau ordinal s'est faite avec l'intégration de notre profession dans les travaux de la MIPROF au cours du dernier trimestre 2015. Les travaux opérationnels ont commencé en 2016 avec l'élaboration d'un certificat médical et d'une affiche – nous vous avons transmis tous les documents que nous avons réalisés dans ce cadre.

La lettre de notre organe national, diffusée auprès de tous les chirurgiens-dentistes, a consacré plusieurs articles à la question des violences.

Les chirurgiens-dentistes ont l'habitude de faire des certificats médicaux initiaux. Par exemple, lorsqu'un enfant tombe à l'école et se casse une dent, il faut acter d'une façon neutre que la dent est cassée, comment elle est cassée et comment elle va être réparée. Ce certificat est d'autant plus important que reconstituer une dent est souvent un acte financièrement lourd. Dans le cas des violences, la différence tient à la prise en charge sociétale et à notre rôle éventuel dans l'accompagnement.

Lorsqu'une patiente se présente à nous, nous pouvons constater les chocs, faire une détection opératoire. Je pense à la patiente qui déclare avoir pris une porte de garage sur la tête mais qui a les dents cassées comme si elle avait pris un coup. Nous pouvons alors détecter les violences mais il n'est pas simple de s'immiscer. Le questionnement systématique n'est pas non plus aisé à intégrer dans notre pratique qui est déjà compliquée.

Face à ces difficultés, l'Ordre a décidé de vraiment s'impliquer et de s'investir en aidant les professionnels de manière plus cadrée et plus systématique. Nous avons ainsi mis en ligne une formation, en e-learning, où nous mettons à disposition tous les documents et films de la MIPROF. Nous l'avons fait en collaboration avec la MIPROF, de manière à ce qu'un maximum de professionnels puisse être formé dans un cadre plus simple, facile et moins contraignant qu'une formation en présentiel. Ces dernières existent mais elles sont beaucoup plus élaborées. Le e-learning permet de développer les fondamentaux et de donner des outils sur les certificats, des fiches de prise de charge pour savoir réagir. Nous avons également mis en place un référent dans chaque conseil départemental. La désignation se fait parfois par défaut, mais souvent vise des gens qui sont quand même un peu impliqués ; ils bénéficient d'un soutien national. Quand il y a une « défection » ou une carence au niveau local, le conseil régional prend le relais.

Les référents ont été formés par la MIPROF ; nous avons aussi organisé une formation au niveau de l'Ordre pour appuyer et aider les professionnels. La démarche est en effet difficile. L'affiche que j'évoquais, nous l'avons voulue neutre, pas trop agressive pour pouvoir être mise dans tous les cabinets dentaires. Nous avons voulu essayer d'avoir quelque chose de générique pour avoir l'adhésion d'un maximum de professionnels. La difficulté est que l'on demande au chirurgien-dentiste de s'impliquer sociétalement, ce qui est humainement complexe.

Mettre une affiche dans nos salles d'attente, dans un lieu visible, pousse un peu les femmes à nous parler quand nous sommes en consultation. Ce qui est important, c'est de savoir que souvent, les patients ne rentrent pas forcément seuls en consultation. Il n'est pas forcément facile de s'y opposer et l'accompagnateur peut être l'auteur des violences. Il faut néanmoins y être attentif et cela suppose d'avoir été formé.

La formation, qui n'existait pas vraiment dans notre profession, se développe, que cela soit en présentiel ou par cet outil en e-learning.. Les référents permettent de constituer un réseau au niveau départemental pour faire le lien avec tous les acteurs, que ce soit la police, les parquets, ou les associations.

Il est toutefois difficile de suivre les changements. En tant que chirurgienne dentiste de terrain, je dois dire que dans le cadre d'un exercice libéral il est difficile de suivre les mutations professionnelles, de savoir qui est le référent départemental de s'adresser au nouveau quand il a changé, de savoir qui contacter dans les associations… À Paris, il existe des structures importantes qui peuvent faire le lien ; en province ce n'est pas forcément aussi évident.

Pour les signalements, je laisserai ma collègue juriste intervenir. Je voudrais juste revenir sur certains éléments. Il est difficile de savoir comment signaler. En Savoie où j'exerce, le parquet nous conseille de passer par le filtre ordinal. Le conseil départemental a en effet un contact direct avec le parquet et les magistrats du siège. Ces derniers n'ont pas à traiter toutes les demandes, ni à recevoir les appels parfois abracadabrantesques de certains confrères. C'est l'Ordre qui présente des dossiers et les magistrats n'ont ainsi qu'un seul interlocuteur. On peut ainsi aller plus vite et assurer une permanence. Au niveau de l'ordre, nous savons aussi comment réagir et quels éléments faire remonter.

Les référents disposent quant à eux d'une liste recensant ce qu'il est possible de faire, document que nous pouvons remettre à une patiente ; ils ont aussi la liste des associations qui peuvent être contactées.

Personnellement, j'ai ajouté un item au questionnaire médical que j'utilise. Je n'ai pas retenu la question : « êtes-vous victime de violences ? », car elle n'est pas facile à poser si le mari est à côté de la patiente. J'ai préféré la formule « avez-vous pris déjà un choc, des coups ? ». Sur la base de sa réponse, nous engageons la conversation et c'est plus facile ainsi. On peut envisager un questionnement plus direct mais les patients ne vont pas forcément oser répondre. Une femme va peut-être plus facilement le dire ; un homme pas toujours ; un enfant, comment va-t-il le dire ? Nous avons des leviers pour engager la conversation, et surtout nous pouvons nous appuyer sur une prise de conscience de plus en plus importante du phénomène.

Les instances ordinales sont très impliquées et il faut poursuivre l'effort. Grâce à la MIPROF, nous avons un vrai rôle, un engagement que nous n'avons pas forcément en tant que chirurgiens-dentistes. Nous avons pris conscience que nous pouvions agir en tant que profession. Lorsque nous constatons des traces de choc, des dégâts sur le visage, un coup, une lèvre blessée… nous pouvons établir un certificat. Ce dossier médical dentaire doit être très bien rempli. Même si la personne ne nous dit pas qu'elle a été blessée ou qu'elle a subi quelque chose, le fait de noter, de prendre l'habitude de noter systématiquement ce que nous avons constaté, de garder les radios, de tout conserver est une base. Nous avons aussi pris l'habitude de communiquer avec nos collègues, surtout lorsqu'il faut réaliser des actes très invasifs qui demandent de travailler avec un médecin – je pense par exemple à une extraction qui peut être cinglante ou aux hémorragies. Se parler est un atout ; l'aide du référent est importante car nombre de nos confrères ne sont pas à l'aise. Certains n'ont pas de difficulté mais nombre d'entre eux restent convaincus que c'est une contrainte supplémentaire. Je sais que cette affirmation peut apparaître choquante. Mais il est compliqué de faire face à une personne violente qui se présente au cabinet alors que sa compagne ne souhaite pas porter plainte ou qu'elle a fini par retirer sa plainte. Il faut savoir comment réagir. C'est la vraie vie des cabinets libéraux : faire face à de tels événements parfois tard le soir et seul.

Alors parler avec ses confrères est une aide. Il faut soutenir les formations, accélérer les prises de conscience, développer les réseaux multiprofessionnels,… On y arrive progressivement mais, comme vous l'aurez compris, les signalements ne sont pas faciles à faire.

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Stéphanie Ferrand, juriste auprès du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes

Le pôle juridique de l'Ordre est très sollicité par les chirurgiens-dentistes qui se demandent comment signaler au procureur de la République les sévices qu'ils ont pu constater dans l'exercice de leur profession. Ainsi que l'a rappelé la docteure Wagner, les chirurgiens-dentistes sont soumis au secret médical ; le code pénal les autorise dans certains cas à signaler ces sévices. Le problème tient peut-être à l'interprétation du code pénal : quand la personne est majeure, il faut absolument, pour que le signalement soit fait, avoir son accord, sauf si elle est particulièrement vulnérable. Quand le chirurgien-dentiste est face à une femme violentée, il peut supposer qu'elle est particulièrement vulnérable, mais il s'agit aussi d'un adulte majeur autonome dont il devrait recueillir le consentement. Cet équilibre est parfois difficile à trouver pour le chirurgien-dentiste. Il faut régler ce problème ; pour cela je ne sais pas s'il faut changer la loi ou les pratiques.

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Je pense que nous pourrons y revenir lors des échanges mais ce sont en effet des questions très intéressantes. Certaines victimes demandent par exemple le maintien absolu de recueil de leur consentement pour pouvoir faire un signalement. Comme vous le soulignez, il y a sans doute une réflexion à avoir sur les bonnes pratiques et sur les évolutions envisageables en la matière.

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docteure Emmanuelle Piet, gynécologue et médecin de protection maternelle et infantile, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV)

Depuis quarante ans, j'assure des formations à destination de policiers ou de médecins sur les violences. Des progrès ont été faits mais cela reste un véritable tonneau des Danaïdes. Nous ne pourrons jamais former les 240 000 policiers et gendarmes et une victime pourra toujours faire face à un professionnel non formé ; c'est irritant.

Même en accentuant les formations, on n'atteindra pas l'objectif recherché. Face à ce constat, des pays comme la Belgique ou les Pays-Bas empruntent une autre voie. Ils ont créé des centres hospitaliers d'accueil des victimes. Si l'on veut porter plainte dans ce centre, ce sont des policiers volontaires sélectionnés et formés qui vont venir sur place. C'est beaucoup moins coûteux. À Bruxelles par exemple, quarante policiers formés travaillent aux alentours et viendront pour recueillir la plainte. Pour la qualité de l'accueil de la victime, c'est incomparable. Elle peut venir spontanément, les policiers peuvent la prendre en charge, une association peut la diriger vers ces centres… Mais tout le monde sait que lorsqu'on est victime, c'est là qu'il faut aller.

On y est accueilli par des professionnels formés qui connaissent la violence, qui vont être gentils, qui sont habilités à faire un recueil médico-légal des preuves même si la personne ne veut pas porter plainte et qui vont conserver des éléments. Dès que les victimes ont été accueillies, elles peuvent aller se doucher. Cela n'a l'air de rien, mais c'est très important. Le centre va même lui fournir des sous-vêtements si jamais il faut garder les siens en tant que preuve dans le cadre d'un éventuel dépôt ultérieur de plainte.

Des soins sont prodigués à la victime. Si elle a été violée, elle peut en effet avoir besoin d'une prise en charge pour le SIDA ou d'une pilule d'urgence. Elle est également reçue par un psychologue ou un psychiatre car après avoir été passée à tabac, elle peut avoir envie de parler à quelqu'un. Tout cela se fait dans un même lieu. Et les policiers agissent en civil, avec un véhicule banalisé, de façon à ce que si la victime doit rentrer chez elle, elle le fasse en toute discrétion.

C'est un véritable changement des mentalités et c'est vers quoi nous devons tendre, à l'instar de la Belgique et des Pays-Bas. Nous pourrions créer un centre de ce type par département ; cela ne me semble pas si difficile. Tout le reste risque d'être dans une solution moyenne ; nous pouvons faire mieux !

À défaut de ces centres, nous pouvons améliorer les recueils médico-légaux dans tous les hôpitaux, notamment avec la mallette MAEVAS qui, si elle est bien expliquée, sera utile mais elle restera un pis-aller. On peut se contenter de ces solutions qui sont mieux que rien mais il me semble que ce serait le moment de faire mieux. Je crois que la création de ces centres ne représenterait pas un effort insurmontable pour les deniers publics que je sais comptés. Au final, ce serait une économie et surtout un progrès considérable pour les victimes.

Je dois dire que j'en ai assez ! Il faut changer de paradigme.

Comme je le relevais, c'est bien de former - et on forme bien – et il faudrait en effet que dans les études de médecine on intègre une question d'examen sur les violences conjugales. Ils sont déjà interrogés sur les violences sexuelles ou sur la situation des enfants, on pourrait étendre l'interrogation aux violences conjugales. Nous pourrions aussi améliorer la formation des autres personnels formés de façon obligatoire. Tout ne se règle pas avec la formation continue. Il faut être volontaire et on retrouvera donc toujours les mêmes personnes et on n'avancera pas aussi vite qu'on le voudrait.

J'aimerais attirer votre attention sur deux sujets. Il faut tout d'abord donner à une personne victime la possibilité d'être hospitalisée de façon anonyme. Après l'accouchement sous X, il faut permettre aux femmes victimes de violences d'être hospitalisées sous X. Les compagnons teigneux cherchent et trouvent leur victime ; il nous faut un protocole pour véritablement cacher ces femmes.

Mon deuxième point a trait au secret professionnel. Je crois que nous nous trompons, voire que nous ne respectons pas la loi sur le secret professionnel lorsque nous recevons une patiente avec son compagnon ou sa mère… Le secret professionnel est lié au patient que nous recevons, pas à la personne qui l'accompagne. Nous commettons des fautes professionnelles et il faut le rappeler. Recevoir un couple pour un début de grossesse conduit à faire état devant l'homme des antécédents de la patiente et peut nous amener à parler de sa séropositivité, de sa syphilis… C'est une rupture du secret professionnel. Dès lors, soit la femme ment et nous aurons des informations médicales fausses, voire imbéciles, ou elle parle et elle prend le risque d'être violentée à la sortie de la consultation. Il faut respecter les dispositions de l'article 226-13 du code pénal et il faut le rappeler à tous les professionnels.

L'article 226-14 du code pénal prévoit les cas où le secret professionnel est levé. Pour les adultes, nous pouvons le faire, même si la femme n'est pas d'accord, lorsqu'elle n'est pas en état de se défendre. C'est le cas de toutes les victimes de violences. On pourrait donc ne pas écouter ces victimes alors même qu'elles meurent de ne pouvoir faire ce qu'elles veulent quand elles sont victimes de leur compagnon. J'aimerais qu'on s'inquiète du désir de la dame. C'est évidemment difficile car elles ont peur et qu'il faut évaluer – et nous ne sommes pas très bons en ce domaine – la dangerosité de l'auteur. Nous ne pouvons que progresser en la matière. Il existe des éléments objectifs pour mesurer la dangerosité lorsque la victime a été menacée plus d'une fois de mort, lorsque des armes sont utilisées, lorsque l'auteur a jeté les chats de la maison par fenêtre… Je ne reviens pas sur le processus « Féminicide » dont Ernestine Ronai a dû vous parler.

Il faut veiller aussi à la prise en charge des enfants. L'expérience de la Seine-Saint-Denis sur l'hospitalisation systématique des enfants dans un service de pédiatrie chaleureux où l'on peut faire un bilan de la santé des enfants me semble être un minimum. La prise en charge des enfants ne peut pas dépendre de l'autorisation du père en prison ; c'est pourtant ce qui se passe en ce moment. Par exemple, le père des enfants de Julie, tuée en Corse, ne veut pas qu'ils soient suivis par un psychiatre. Ils ne sont donc pas suivis par un psychiatre car il a encore l'autorité parentale bien qu'il soit auteur d'un féminicide. Une suspension de l'autorité parentale, au moins pendant la procédure, me semblerait être un minimum. J'ajoute que quand on est un père qui a violé ses enfants, il me semble aussi un peu ridicule que l'on continue à avoir l'autorité parentale.

La prise en charge gratuite des soins pour les enfants doit être assurée. Or homme violent fait toujours opposition à ce que l'on soigne les enfants et les psychiatres refusent de les prendre en charge. Ils craignent d'être attaqués par le père qui bénéficie de l'autorité partagée. Il faut avancer sur ce sujet.

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Vos propos précis et engagés permettent de prendre du recul et de connaître mieux les différents rôles cruciaux que jouent les professionnels de santé dans la prise en charge des victimes de violences conjugales.

Vous avez parlé de la formation des professionnels de santé. Vous toutes ici avez une expertise particulière dans la prise en charge des violences conjugales ; pensez-vous que ce soit le cas de la majorité de vos collègues ? Je relève que seules des femmes se sont exprimées aujourd'hui. Quelle est la place des hommes et des hommes impliqués en particulier dans le monde de la santé ? Voyez-vous une spécificité le domaine de la prise en charge des victimes de violences conjugales : est-ce une demande des femmes victimes d'être reçues par des professionnels de santé femmes ? De manière générale, pensez-vous que nous puissions encore progresser en termes de formation pour impliquer tous les professionnels, indépendamment de leur spécialité et de leur sexe ? Quelles seraient selon vous les priorités dans ce domaine de la formation ?

J'aimerais ensuite vous interroger la prise en charge immédiate et de long terme des victimes. Nous souhaiterions développer la possibilité de recueil de preuves sans plainte dans les centres hospitaliers sur le modèle de ce qui se fait au CAUVA à Bordeaux. Pensez-vous que ce soit utile ? Comment pensez-vous que nous puissions déployer un tel modèle ? Pensez-vous d'ailleurs que l'accueil d'urgence des structures hospitalières soit le mieux adapté ?

La confidentialité est un enjeu essentiel en la matière. Pour visiter un centre d'accueil de victimes au Canada, il faut s'engager à ne jamais dire y être allé, à ne pas révéler où il se situe et l'adresse n'est communiquée qu'au tout dernier moment. Faudrait-il envisager un tel dispositif ? Quelle serait, selon vous, la structure idéale ?

Avez-vous connaissance d'autres types de pratiques et de structures accueillant des victimes, par exemple à l'étranger ? Nous avons évoqué le cas belge et néerlandais mais pourriez-vous approfondir ce point ? Pensez-vous que nous manquons en France de structures spécialisées dans ce type d'accueil ?

Pour la prise en charge de long terme, les associations de terrain ont largement souligné la nécessité d'accompagner les victimes de violences conjugales, non pas seulement dans l'urgence, mais jusqu'à la sortie pleine et totale de la situation de violence, ce qui peut prendre des mois voire des années. Quelle est votre analyse en la matière ? Quelles sont les carences que vous pouvez constater ? Comment pourrions-nous améliorer cette prise en charge sur le long terme ?

Enfin, je voudrais avoir votre avis sur la prise en charge des enfants. Nous avons parlé des 1 000 premiers jours et des cas où les enfants sont les témoins et les victimes de violences conjugales. La prise en charge de ces enfants vous semble-t-elle suffisante et coordonnée ? Comment pourrions-nous par ailleurs progresser dans l'articulation entre prise en charge du parent victime et exercice de l'autorité parentale ?

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docteure Emmanuelle Piet, gynécologue et médecin de protection maternelle et infantile, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV)

Il me semblait que nous avions répondu à ces interrogations dans nos propos liminaires ; souhaitez-vous que nous redéveloppions tous ces points ?

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Je souhaitais que nous puissions approfondir certains des points que vous avez en effet déjà abordés. J'aurais aimé plus d'éléments de comparaison internationale, notamment par rapport aux questions de confidentialité et aux modalités pratiques de mise en oeuvre. Sur l'exercice de l'autorité parentale, j'ai bien entendu qu'il y avait un problème, mais quelles pistes d'amélioration pourrait-on retenir ?

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docteure Charlotte Gorgiard, Unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu

Je vais répondre à la question sur le recueil des preuves sans plainte. Il a été dit que c'était ce vers quoi la médecine légale devait tendre en France. Je suis complètement d'accord avec cette position. Nous avons un vieux passif de médecine légale qui disait que la médecine légale était la médecine du constat. Je pense que nous devons nous en éloigner pour tendre vers la médecine légale en tant que médecine de la violence, c'est-à-dire la médecine du soin de la violence. Plus nous avançons et plus les professionnels, médecins légistes et professionnels des unités médico-judiciaires en règle générale, seront à même de se saisir cette problématique et de s'éloigner un peu de la question de l'autorité judiciaire et de la réquisition pour tendre vers le soin de la personne.

Il faut développer des consultations hors réquisitions judiciaires. Les UMJ sont vraisemblablement un bon lieu pour le faire car nous sommes déjà formés à prendre en charge ces patients. Nous aimerions, dans un monde parfait, ouvrir les consultations aux personnes qui n'ont pas déposé plainte. Se pose la question des moyens. Nous avons des consultations à flux tendu et nous ne pouvons pas absorber les consultations hors réquisition même si nous le souhaitons et que nous avons la compétence pratique pour le faire. Si nous disposions dans mon unité de trois praticiens, d'une infirmière et d'une assistante sociale en plus des effectifs actuels, nous n'aurions aucun problème à assurer cette mission. Nous n'avons cependant pas les moyens. Le modèle de la Maison des femmes de Saint-Denis est un excellent modèle mais il ne peut être transposé faute de moyens. Je crois que ce que je décris est valable partout en France et tous mes collègues légistes aimeraient assurer ces consultations mais ne disposent pas des ressources pour le faire.

Je reviens sur la prise en charge des enfants. Lorsque nous recevons une victime de violences conjugales, nous demandons systématiquement s'il y a des violences sur les enfants. Le plus souvent il n'y a pas de violences physiques sur les enfants. Pour autant, un enfant témoin de violences conjugales est-lui-même violenté. Il faudrait alors pouvoir examiner l'enfant et proposer au moins une évaluation par un psychologue spécialisé, mais là encore nous manquons de moyens. Les études commencent à montrer que très probablement, ces enfants témoins de violences au sein du couple que forment leurs parents vont développer un traumatisme réel à l'âge adulte.

Dans mon service, nous avons la chance d'avoir une psychologue spécialisée dans les mineurs, à qui nous adressons des enfants qui ont été témoins de violences même s'ils n'en ont pas été physiquement victimes ; force est de constater qu'elle dépiste de vrais traumatismes chez les enfants témoins. Ces enfants à l'âge adulte risquent aussi, soit de reproduire des violences, soit d'être à leur tour victimes de violence et de se remettre aussi dans des situations de conflits conjugaux.

Vous évoquiez enfin le rôle des associations. Nous savons que les associations réalisent un important travail de soutien, d'accompagnement juridique et d'accompagnement social. Quelles solutions pouvons-nous apporter aux personnes qui décident de quitter le domicile ? Malheureusement sur le territoire, nous manquons de places dans des foyers et de propositions de logements pour des familles lorsque la mère a décidé de quitter son conjoint. Tant que nous n'aurons pas géré ce problème d'urgence - qui passe aussi par une décision sur le fait que le père violent puisse ou non conserver l'autorité parentale - nous n'arriverons pas à sortir de ce cercle vicieux. Les femmes n'arriveront pas à sortir des situations de violence si nous ne leur proposons pas de solution d'urgence.

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docteure Cécile Morvant, médecin généraliste

Dans le monde rural où je travaille, il n'existe pas d'UMJ. En tant que médecin légiste, je travaille sur un réseau de proximité. On peut donner plus de moyens aux UMJ mais dans ces zones il n'y aura jamais d'UMJ. Il faut donc parler de filière et pas seulement d'unités. Nous en avons toutes parlé avec des termes différents je crois. Il peut s'agir de centres de victimologie, de maison des femmes, de lieux d'accueil spécialisés…

Ce que nous sommes en train de dire, c'est qu'il faut qu'il y ait des endroits où les femmes puissent se rendre et qui assurent une prise en charge médico-psychosociale spécifique avec des gens formés. Il nous faut une sorte de lieu d'accès de premier recours qui oriente ensuite sur une UMJ ou un réseau de proximité. Emmanuelle Piet voulait créer un centre par département. Dans mon secteur, je suis à deux heures et demie d'un centre hospitalier universitaire… Même si on créait un centre d'accueil au Nord de l'Ardèche, il faudrait toujours deux heures et demie de route pour y aller. On ne peut pas demander aux victimes de prendre la route pour voir un médecin légiste. Nous avons donc besoin de filières fonctionnelles locales.

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Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis

La Belgique compte trois centres de prise en charge des violences sexuelles : un à Bruxelles, un à Liège et un à Gand. Ils sont chapeautés par un médecin légiste et les équipes sont constituées de sages-femmes et d'infirmières légistes formées, ce qui coûte moins cher que de recourir à des médecins. Je ne sais pas si c'est une bonne idée mais c'est la réalité de ces centres.

Entre novembre 2017 et mai 2019, ces centres ont accueilli 730 victimes, et 50 % d'entre elles ont déposé plainte. C'est beaucoup plus que les 10 % de victimes de violences sexuelles en France qui déposent plainte.

Les sages-femmes et les infirmières accueillent des victimes ayant subi une agression sexuelle de moins d'un mois. La personne qui accueille consacre en moyenne une heure et demie à l'accueil d'une victime. Les auditions, conduites par des policiers spécialisées, durent quant à elles en moyenne deux heures. Leur formation ne se fait pas en trois jours comme en France mais dure deux semaines. Les policiers sont chapeautés par un policier qui a également une formation de psychologue. Lorsque les faits datent de plus d'une semaine, c'est à la victime de se déplacer au commissariat.

Après la prise en charge, les centres assurent un suivi. Les sages-femmes et les infirmières recontactent les patientes. Elles font un suivi téléphonique le lendemain puis une fois par semaine.

Les prélèvements sont conservés six mois. En l'absence de plainte et lorsque la victime est majeure, ils détruits après ce délai.

J'ai trouvé la comparaison que vous avez faite des filières de médecine légale rattachées aux GHT avec les unités « douleur » ou avec les unités mobiles de soins palliatifs. Cela permettrait de faire disparaître les UMJ libérales : en Seine-Saint-Denis, un district de police sur quatre dépend encore d'une UMJ libérale qui ne propose pas la même qualité de certificats médicaux. Si c'est un cas isolé, cela peut se régler facilement mais sinon il faut s'interroger. Il ne s'agit en effet pas d'un service hospitalier avec des protocoles ; ce sont des professionnels libéraux qui fonctionnent à l'acte sans repérage systématique. Ils s'en tiennent à ce que la personne dit et ne vont pas au-delà. Nous constatons également que les ITT ne sont pas calculées de la même façon dans chaque unité. Certaines UMJ prennent vraiment en compte la dimension psychologique, d'autres pas du tout. Il me semble qu'une harmonisation serait nécessaire.

La Maison des femmes réalisant également des avortements – nous sommes un centre de planification familiale, nous pouvons conserver les produits d'aspiration lorsqu'une femme fait le choix d'une interruption volontaire de grossesse suite à un viol mais qu'elle ne dépose pas plainte tout de suite. La conservation des preuves sans besoin de plainte est à mettre en place de façon urgente.

Pour créer des structures spécialisées, il va falloir des financements. Nous souhaitons que soit créée une mission d'intérêt général (MIG) pour que tous les hôpitaux qui veulent s'investir dans cette médecine de la violence – le mot est utilisé notamment en Suisse où il y a des unités de ce type depuis plus de 20 ans – puissent en bénéficier. En effet les soins qui sont délivrés dans ce cadre ne peuvent pas relever de la tarification à l'activité. Ce sont des consultations plus longues et qui coûtent de l'argent dans un premier temps. Mais on gagne beaucoup d'argent ensuite si on assure une bonne prise en charge initiale. Nous attendons beaucoup des annonces du 25 novembre prochain et nous espérons que cette MIG sera bien créée.

Il nous faut aussi des ressources financières. La Maison des femmes reçoit des aides de la direction générale de l'offre de soins ainsi qu'un soutien du fonds d'intervention régional. Mais dans l'ensemble nos ressources dépendent beaucoup de fondations privées ou d'aides ad hoc. Ce n'est pas une solution pérenne ni généralisable : ce sont des fonds publics qui doivent financer nos structures.

Vous vous êtes interrogé sur les carences dans la prise en charge de long terme. Beaucoup de structures font de l'accueil et de l'orientation et offrent cinq ou six consultations de psychotrauma. Mais quand il faut prendre en charge les patients dans la durée, cela devient compliqué et le service est vite embolisé. Peu de structures sont capables de prendre en charge un patient jusqu'à la disparition complète des symptômes post-traumatiques. Alors vers qui orienter ces patients ? Vers la psychiatrie de secteur ? Ces professionnels ne sont pas formés sur le trauma complexe, ne feront pas le diagnostic adapté et ne mettront pas le bon protocole de soin en place. Il faut des professionnels formés avec des techniques à la pointe de l'EMDR, de l'hypnose, et qui prennent en charge les patients jusqu'à la disparition des symptômes post-traumatiques.

Il faut aussi articuler le soin avec l'action des associations qui dont un travail très important de déconstruction et qui assurent une prise en charge collective ; que ce n'est un problème de couple entre monsieur et madame, c'est un problème de société. Il y a aussi besoin de soignants ; nous ne pouvons pas tout faire reposer sur les associations. Pour moi, la limite du centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) de Bruxelles tient au fait que les femmes qui ont subi des viols de plus d'un mois ne sont pas prises en charge et qu'on les renvoie vers SOS Viol, ce qui est bien sûr mieux que rien puisqu'il s'agi d'une association qui a beaucoup d'expertise, mais cela veut dire qu'il n'y a pas de recours à la santé possible. Il faut du soin et un soutien associatif, mais pas seulement l'un des deux.

Enfin, je pense que si nous voulons progresser dans la prise en charge immédiate et de long terme, il faut rappeler que prendre en charge les violences est un acte médical. Il n'est pas nécessaire d'être féministe pour le faire – tant mieux si c'est le cas mais ce n'est pas obligatoire. La docteure Wagner parlait d'exercice d'humanité ; je crois que nous sommes au-delà. La violence est un facteur de risque sur la santé. Ne pas prendre en charge un facteur de risque sur la santé, c'est ne pas faire de la bonne médecine - bien sûr, il faut être formé et il faut avoir les conditions d'exercice pour le faire.

Les violences conjugales ne sont pas les affaires privées de la famille : ce sont des délits et des crimes. À partir du moment où c'est interdit par la loi, ce ne sont plus les affaires de la famille. S'il y a une refonte du code de déontologie, peut-être qu'il introduire un nota bene rappelant que les violences faites aux femmes ne sont pas les affaires privées de la famille, c'est un facteur de risque majeur sur la santé interdit par la loi. Cela clarifierait les choses.

Sur l'obligation de signalement, Me Dominique Attias, ancienne vice-bâtonnière du Barreau de Paris, avait bien rappelé lors de son audition au Sénat par la mission sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs qu'un fonctionnaire a l'obligation de signaler – pour les mineurs – et qu'un médecin libéral a la possibilité de signaler, c'est-à-dire qu'il agit toujours en son âme et conscience. Il faudrait vraiment se battre pour qu'il y ait une obligation étendue à tous les soignants pour les mineurs. Pour les majeurs, je suis d'accord sur le fait qu'il faut quand même leur laisser la possibilité de choisir pour elles-mêmes. Ce n'est pas le cas pour les mineurs. Et on ne peut se satisfaire d'un renvoi à une décision « en son âme et conscience » ; quand on est seul dans son cabinet libéral avec une salle d'attente bondée, on voit à quoi cette solution aboutit.

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docteure Geneviève Wagner, chirurgienne-dentiste, présidente de la commission Exercice et déontologie du Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes

Lorsque j'évoquais un enjeu sociétal, je voulais souligner que c'est une question traitée par l'Ordre national.

En faisant du soin dentaire, nous ne voyons pas toutes les femmes traumatisées sauf si – et c'est important – les associations ou les professionnels intègrent le fait que lorsqu'il y a des violences, il y a souvent des dents cassées ou problèmes maxillo-faciaux que nous sommes en mesure d'identifier et de prendre en charge.

Ce qui est important dans la démarche, c'est d'aider les femmes une fois qu'elles seront sorties du contexte de violence. Quand elles seront sans ressource, qui va prendre en charge financièrement la réhabilitation ?

Je crois que nous pouvons déjà participer à la prise de conscience de tous les chirurgiens-dentistes et les inciter à tout noter dans les dossiers médicaux. C'est notre rôle d'Ordre. Ce constat est déterminant même si le professionnel ne voit qu'une fois cette personne. Nous n'avions jusque-là pas forcément le réflexe de noter ce genre d'éléments ou de bien spécifier que la dent est cassée. Grâce aux travaux de la MIPROF, nous savons à quel point ce relevé est important. Je note que cela peut aussi servir pour les identifications quand il y a par exemple un attentat.

Il faut que toutes les associations et les professionnels pensent aux enjeux dentaires : consulter un chirurgien-dentiste permet d'établir un certificat qui pourra servir ultérieurement et d'éviter des dégâts plus importants par la suite.

Le président évoquait les questions de prise en charge. Il n'est pas possible de tout prendre en charge : un os malaire cassé enfoncé, cela peut être très compliqué à refaire et ce ne sera pas une simple reconstitution. Avoir un appareil amovible parce qu'on ne peut pas faire autrement, pour une personne de 20 ou 30 ans, cela peut être très traumatisant, alors qu'elle avait toutes ses dents. Cela n'a toutefois pas le même coût qu'un bridge complet par exemple.

Lorsque les parents ne veulent pas faire soigner leurs enfants, la situation est plus claire puisque cela va être constaté, notamment à l'école. L'absence de soins dentaires est de la maltraitance et nous pouvons alors saisir le juge compétent.

Quant à savoir s'il faut des praticiens hommes ou femmes, je crois qu'il est très positif de travailler en binôme ; je suis très favorable à la mixité. En ma qualité de présidente de la commission exercice et déontologie, je travaillais en binôme avec un confrère homme. Aujourd'hui je travaille en binôme avec le vice-président Christian Winkelmann. Dans notre profession, les hommes sont très investis sur ces sujets. Jean-François Largy, président du conseil départemental de la Côte-d'Or, est par exemple l'un des maîtres d'oeuvre de notre formation en e-learning. Il a été le représentant pour la HAS dans notre domaine.

Nous ne voyons que les bouches, les dents et les faces, nous ne voyons pas les gens. Nous ne voyons pas quelqu'un qui a été agressé. Il y a des unités dentaires ou dentologiques en chirurgie orale dans les hôpitaux, mais ce n'est pas encore très développé. Quand il y a un simple accident de voiture avec un traumatisme facial, on ne pense pas forcément aux dents ou à la mâchoire. C'est regrettable.

Je crois qu'il faut aborder la question des violences de façon sociétale. Il nous faut être aussi particulièrement attentifs aux enfants.

En ce qui concerne les enjeux déontologiques, nous y travaillons au sein de l'Ordre. Nous trouvons que le terme « d'affaires familiales » est désuet. Nous n'avons certes pas à nous immiscer dans les affaires privées mais ici il ne s'agit pas de cela mais d'agressions et de violences.

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J'ai entendu les appels de Mme Delespine. Nous verrons quelles annonces le Gouvernement fera le 25 novembre. Au sein de la Délégation, nous avons décidé d'élaborer ce Livre blanc pour faire remonter un maximum de propositions concrètes ; nous espérons que l'exécutif pourra utilement s'en inspirer.

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docteure Emmanuelle Piet, gynécologue et médecin de protection maternelle et infantile, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV)

Le retrait ou la suspension de l'autorité parentale est tout à fait fondamental. Il faudrait vraiment qu'au moment du meurtre soit prononcé un retrait provisoire de l'autorité parentale le temps de l'enquête. Tuer la mère de ses enfants, ce n'est pas être un bon père et il faut vraiment suspendre l'autorité parentale. En maintenant cette autorité, nous n'avons que des ennuis. Y compris de leur prison, ces pères continuent par exemple à empêcher les enfants d'être soignés. Et c'est légal ! Je crois qu'il faut changer cela, c'est une mesure d'urgence qui n'a aucun impact financier.

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Membre du groupe Les Républicains, je présentais aujourd'hui une proposition de loi qui va être examinée demain avec la proposition de loi portée par mon collègue Aurélien Pradié dans le cadre d'une niche parlementaire. Nous allons améliorer – il y a un consensus sur cette question – la protection des femmes suite à la loi de 2009 de Guy Geoffroy en faisant en sorte que le bracelet électronique soit généralisé et que les délais de l'ordonnance de protection soient raccourcis. C'est un grand progrès et je me réjouis que nous ayons pu obtenir un consensus. Nous devons être cohérents : nous ne pouvons pas le matin protéger la mère et l'après-midi ne pas protéger l'enfant pour toutes les raisons que vous venez de rappeler. L'exemple de Julie Douib le montre hélas bien.

Aujourd'hui des centaines de familles souffrent de cette situation et nous devons agir en changeant la loi. Le Grenelle est intéressant mais cela ne doit pas nous empêcher d'avancer sur le plan législatif.

En ce qui concerne l'autorité parentale, nous faisons des propositions ordonnées : face aux pires violences, la suspension de l'autorité parentale doit être la règle et son maintien l'exception. J'insiste sur ce point – notamment pour les personnes qui regardent nos débats en ligne - : le retrait de l'autorité parentale n'est jamais définitif. Je n'ai jamais demandé une telle modification. La personne à qui l'autorité parentale a été retirée, même si elle a été déchue, peut la redemander au bout d'un an. C'est la loi. Dans ma proposition, cela ne change pas.

Par ailleurs, suspendre l'autorité parentale ne déchoit pas le parent de tous ses droits. L'obligation économique demeure ; il peut aussi continuer à correspondre avec ses enfants. Avec la suspension, nous disons simplement qu'un parent violent ne peut pas être un bon parent. C'est une mesure de protection des enfants et en même temps des femmes.

Mme Piet a raison d'insister sur le fait que le père violent – car c'est souvent le père qui est violent – continue de harceler la mère au travers de l'enfant ; c'est à travers lui que continuent l'emprise et les violences conjugales.

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Nous sommes effectivement face à une urgence. Vos témoignages ont permis d'identifier que l'accompagnement n'était pas aujourd'hui suffisant. J'aimerais vous interroger sur la prise de conscience aussi bien des patients que des accompagnants. Nous n'avons jamais autant parlé des violences conjugales qu'aujourd'hui, cela a-t-il eu une influence sur les comportements ? Avez-vous remarqué des changements chez les témoins ? Quand la société parle plus du phénomène des violences, comment se traduit-il dans vos cabinets ou dans les hôpitaux où vous intervenez ?

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docteure Cécile Morvant, médecin généraliste

Plus nous échangeons entre professionnels, plus nous participons à la libération de la parole. Je ne suis pas certaine pour autant qu'il y ait plus de personnes qui parlent spontanément de violences. Avec Metoo nous avons reçu plus de plaintes ; je l'ai vu en pratique avec une augmentation des demandes de certificats médicaux. Il y a moins de honte. En tout cas, l'idée et le message qui passent sont qu'il est plus banalisé d'avoir le droit d'en parler à son entourage et à un professionnel. Cela a aussi eu un impact sur les professionnels. Je connais deux confrères peu impliqués sur ces sujets mais je vois leur attitude changer avec ce qu'ils entendent dans les médias ; leur réflexion mûrit.

Sur l'autorité parentale, ce que la docteure Piet et Mme Boyer proposent me semblent concret et facile. Je vous ai aussi parlé des mesures d'accompagnement protégé et des espaces de rencontre protégés. Les auteurs ne sont pas tous les mêmes. Il y a des cas plus ou moins graves, certains ont plus d'emprise que d'autres. Mais je crois qu'il faut que toutes les situations de violences conjugales, puissent faire l'objet de mesures d'accompagnement protégé et de lieux de visite médiatisés parce qu'effectivement, on constate que les enfants sont impactés physiquement et psychologiquement dans leur éducation, dans un risque de reproduction de violences déjà pendant l'enfance ou à l'âge adulte. Ces dispositifs sont prévus par les textes depuis 2010, mettons-les en place !

Il faut par ailleurs réfléchir à la suspension de l'autorité parentale quand il y a une grande dangerosité de l'auteur, ou envisager un droit de surveillance de l'auteur.

Il me semble qu'il faut distinguer les réponses selon les profils des auteurs. Lorsque cela est possible, il faut faire prendre conscience et proposer des mesures d'accompagnement protégées. Lorsque les auteurs ont du mal à se remettre en cause, je préconise une suspension de l'autorité parentale avec un droit de surveillance de l'auteur, ainsi que le recours à ces espaces de rencontre protégés et à une assistance éducative en milieu ouvert. Pour les auteurs qui se considèrent au-dessus de la loi quoi qu'on en dise, je recommande un retrait ou une suspension de l'autorité parentale.

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docteure Geneviève Wagner, chirurgienne-dentiste, présidente de la commission Exercice et déontologie du Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes

Plus nous parlons des violences et plus les gens sont investis. Dans nos cabinets, l'affiche fait beaucoup et incite les patientes à parler plus. Mes confrères manifestent également un vif intérêt. Dans mon département, nous allons organiser une réunion sur les violences avec le conseil de l'Ordre et les deux organismes de formation continue qui sont très demandeurs de ce genre de formation. Je précise pour rassurer le président sur la mixité que le conseil départemental est présidé par une femme et les organismes de formation par deux hommes.

Sur l'autorité parentale, il serait en effet plus facile de nous adresser à un magistrat ou à une personne en charge de la tutelle si l'auteur n'a plus l'autorité parentale ; je préférerais néanmoins agir dans le cadre d'un consentement éclairé de façon à éviter des démarches et à faire en sorte que les enfants soient plus facilement soignés.

Tous les auteurs de violence ne sont pas forcément des gens démunis. Établir un certificat initial peut être utile pour la suite de la procédure et pour obtenir une réparation dentaire. Il faut agir vite avant que les preuves ou les traces n'aient disparu. J'invite chacun à adresser les femmes victimes de violences à un chirurgien-dentiste.

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Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis

Depuis le lancement du Grenelle, le nombre d'appels au 3919 a explosé. Dans nos cabinets, la hausse est moins nette car les patientes sont sous emprise et ont peur des représailles si elles osent réagir. Cela prend du temps. Comme mes collègues, je relève en revanche une mobilisation de la communauté médicale somatique et psychique.

Je voulais aussi répondre sur la mixité. Pour certaines femmes, ne plus pouvoir être en présence d'un homme est un symptôme post-traumatique. Les violences entraînent en effet des cognitions erronées, des croyances qui peuvent être que tous les hommes sont violents. Cela se travaille. À la Maison des femmes, il y a un sage-femme homme, il y a un médecin homme, un sexologue homme, un gynécologue homme. C'est aussi restaurant d'être pris en charge par un homme bien traitant et cela vient justement annuler cette croyance erronée que tous les hommes sont violents. Cela peut être thérapeutique quand c'est consenti par la personne et que l'on prend le temps nécessaire pour qu'elle l'accepte.

Il y a des professionnels de santé masculins engagés ; dans les professionnels de santé on compte de plus en plus de femmes. C'est le cas chez les sages-femmes et les infirmières, mais c'est de plus en plus le cas chez les médecins où je crois qu'il y a désormais plus de femmes que d'hommes. Dans les colloques et les formations, il y a toujours beaucoup plus de femmes présentes, mais il y a aussi des hommes impliqués qui luttent à nos côtés pour mieux accompagner et prendre en charge les femmes victimes.

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La question était bien celle de la mixité tout au long du parcours. J'ai pour mémoire le témoignage d'une femme victime qui disait avoir un « déclic » quand elle a été prise en charge par une gendarme. Elle s'est alors permis d'autres confidences. C'est vraiment sur l'ensemble du parcours qu'il faut assurer, comme vous le disiez, une certaine mixité pour assurer un meilleur accompagnement.

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Le Gouvernement est actuellement en train de collecter de nombreuses propositions et la Délégation participe à cet exercice avec son Livre blanc. Nous sommes également mobilisés dans nos territoires où une trentaine de députés organisent des mini-Grenelle. Notre objectif est bien de nourrir les travaux du Gouvernement et de transmettre à Marlène Schiappa des recommandations en espérant qu'elles seront reprises et qu'elles contribuent à la lutte contre les violences conjugales.

La docteure Wagner a rappelé que les chirurgiens-dentistes font partie des professionnels de santé qui sont au premier rang de la détection des femmes victimes de violences lorsqu'ils constatent des fractures de dents, de la mâchoire, des lèvres ouvertes… Il faut que ces professionnels puissent proposer une prise en charge du symptôme clinique, détecter, soutenir, mais aussi orienter la femme victime de ces violences. J'avais rencontré au sein de ma circonscription le Syndicat des femmes chirurgiens-dentistes qui m'a fait part de cette préoccupation. Ils ont participé notamment à l'élaboration d'un kit de formation pour les chirurgiens-dentistes créé par la MIPROF. Je crois que nous pouvons saluer la mobilisation de votre profession.

Lors des échanges en circonscription avait été évoquée l'idée d'un budget dédié à la reconstruction dentaire. J'aurais aimé avoir votre avis sur cette idée et aussi savoir s'il était nécessaire de travailler sur d'autres pistes que nous n'aurions pas évoquées aujourd'hui. Que pourrions-nous faire de plus, au-delà de ce qui est engagé notamment avec la MIPROF ?

Dans plusieurs déplacements, j'ai pu constater que les agences régionales de santé (ARS) ne sont souvent pas associées aux réflexions sur la lutte contre les violences. Pensez-vous qu'elles pourraient avoir un rôle plus important, notamment dans les discussions avec les professionnels de santé que vous êtes ? Pourraient-elles jouer un rôle de coordination aussi ?

Certains de nos collègues travaillent à la reconnaissance du statut de victime pour les enfants témoins victimes de violences conjugales. Je parle ici des enfants qui n'ont pas subi eux-mêmes de violences physiques.

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Cela fait partie des propositions que nous portons dans le cadre de l'examen des propositions de loi que j'évoquais.

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Que pensez-vous de cette proposition ? Elle ne semble pas faire pas l'unanimité chez les professionnels que nous rencontrons. Quels sont les arguments qui s'opposent à cette idée ?

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Tous les professionnels de santé sont en première ligne que vous soyez médecin généraliste, dentiste ou sage-femme. Lorsque la parole de la femme a du mal à se libérer, on attend que vous preniez l'initiative.

Dans les petits cabinets et notamment dans les zones rurales – l'Ardèche a été évoquée mais je pense aussi à mon département de la Drôme, le professionnel de santé est seul face à la femme, face à l'homme, face à l'enfant qui peut être victime. Pour répondre à cette solitude, connaissez-vous des structures avec lesquelles vous pourriez travailler ? Cette information est-elle systématiquement diffusée ? Comment se passent ces prises en charge pour les patients et ensuite comment travaillez-vous avec des structures pour assurer un accompagnement ?

En ce qui concerne les enfants, nous sommes revenus à plusieurs reprises sur le problème de l'exercice de l'autorité parentale. Pour parvenir à suspendre cet exercice, il faut une procédure devant le juge aux affaires familiales et apporter des éléments de preuve concernant les carences parentales, avec toutes les difficultés que cela peut comporter.

Nous savons très bien que les juges tiennent à maintenir la relation parentale, beaucoup hésitent à prononcer une suspension et n'arrivent pas à se laisser convaincre, considérant que c'est remettre en cause la parentalité même du parent.

Pour le droit de visite, les lieux neutres constituent une avancée mais ces structures sont trop peu nombreuses.

Par ailleurs, l'accès à un magistrat peut être trop long : dans certains départements le délai peut aller jusqu'à six voire douze mois !

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docteure Cécile Morvant, médecin généraliste

Pour répondre à votre question sur la solitude des professionnels de santé et la coopération avec d'autres structures, je crois que tous mes confrères confirmeront que nous ne connaissons pas les organisations vers qui nous tourner. Dans mon département, beaucoup de choses sont mises en place avec un bon réseau. Malgré l'existence d'une coordination, beaucoup de mes confrères ne connaissent pas ce réseau, ne savent pas quelles associations existent, avec qui travailler ni comment faire pour signaler. Il nous faut nous améliorer et ce n'est pas un problème de moyens. L'important est de se faire connaître et faire reconnaître qui fait quoi car on ne peut pas être compétent dans tous les domaines.

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Peut-être faut-il mieux travailler en transversalité en associant tous les services ?

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Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis

L'ARS a un rôle de coordination notamment pour soutenir les médecins référents violence et mettre une dynamique de travail. Un médecin urgentiste, surtout dans l'état actuel des services d'urgence, ne peut pas faire bouger les lignes tout seul. Il faut qu'il se fasse épauler par une infirmière, une assistante sociale, etc. Dans certains services d'urgence, un repérage systématique avait été mis en place mais faute de médecins séniors en poste fixe, il n'est plus possible de le maintenir. Les services d'urgence tournent beaucoup avec des vacataires et des intérimaires et les bonnes pratiques reculent.

Il est pourtant utile que l'ARS vienne vraiment soutenir ces initiatives et harmoniser les pratiques sur le territoire, en s'appuyant sur la déléguée départementale aux droits des femmes ou la déléguée régionale. Il faut aussi intégrer le réseau périnatal dans cette démarche car nous savons que les violences faites aux femmes ont un impact sur la grossesse et la petite enfance. En la matière, on constate une évolution : il y a quatre ou cinq ans, les ARS étaient peu impliquées sur ces sujets ; elles le sont beaucoup plus aujourd'hui. Et quand elles s'impliquent dans cette coordination, cela aide vraiment les professionnels.

Sur la reconnaissance du statut de victime pour les enfants, je nous invite à faire attention à notre vocabulaire. Un enfant exposé à la violence conjugale est victime des violences conjugales juridiquement. Nous sommes plusieurs autour de la table à en être convaincus, mais nous sommes aussi plusieurs à avoir dit qu'ils ne sont pas victimes de violences. Nous devrions dire qu'ils ne sont pas victimes de violences physiques et sexuelles car c'est que nous voulons dire précisément. Ils sont en effet victimes de violences psychologiques dans les tous les cas. Il faudrait également bannir le mot « témoin » parce que cela fait penser à tort que ce n'est pas trop grave. Retenons plutôt le terme de co-victime car même si on ne touche pas à un seul de leur cheveu, ces enfants sont victimes sur plan médical et psychique, développant des symptômes de stress post-traumatique. Le premier des risques, ce n'est pas qu'ils reproduisent ces violences à l'âge adulte ; ils risquent aussi de mal se développer avec des troubles du développement psychomoteur en raison de lésions neurologiques par surexposition au stress. Je serais curieuse les arguments qui expliqueraient que ces éléments ne justifient pas de les reconnaître comme victimes.

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En déplacement, notamment à Dijon, nous avons rencontré la brigade de police dédiée aux violences sexuelles et aux violences conjugales ; elle assurait l'audition des enfants. Pour eux, le statut juridique donné à un enfant exposé à des violences conjugales – quand bien même il n'a pas été victime de violences physiques – va conduire à auditionner cet enfant. Et ils soulignaient que l'enfant se sent très souvent coupable de « dénoncer » son père violent, dans le cas le plus général. Parfois, cela peut être plus destructeur d'être entendu par un officier de police que de ne pas le faire. Ces policiers recourent donc à ces auditions le moins possible. Quand l'enfant est sujet des violences, il est considéré comme victime des violences et on lui pose des questions ; lorsqu'il n'est pas la victime directe, il est tiraillé car il craint d'envoyer son père en prison. Les policiers disent avoir beaucoup de mal à gérer ces situations.

Par ailleurs, nous savons que le processus connaît des allers et des retours. Parfois les femmes retirent la plainte qu'elles ont déposée. Dans ce cas, ce que se passe-t-il pour l'enfant : reste-t-il victime même en cas de retrait de plainte ? Que faire des frères et soeurs qui n'étaient pas présents au moment des violences mais qui sont témoins régulièrement de ces violences ? Juridiquement on pourrait avoir un seul enfant de la fratrie considéré comme victime ?

Je crois que beaucoup de questions restent en suspens même si nous nous accordons à reconnaître que ces enfants sont des victimes sur le plan psychologique au moins. Comment traduire cette réalité dans la loi ?

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Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis

Dans votre témoignage, je suis interpellée par le fait que les policiers raisonnent comme si les violences psychologiques n'étaient pas des violences. Ils auditionnent les enfants de façon systématique s'ils ont été victimes de violences physiques ou sexuelles mais s'ils ont été victimes de violences psychologiques qui vont provoquer des troubles de stress post-traumatique potentiels, ils s'interrogent. Ce sont pourtant aussi des violences qui détruisent la santé des enfants. Je suis surprise qu'ils fassent une telle différence. Ils disent ne pas vouloir impliquer l'enfant quand il est exposé à la violence conjugale sans être frappé lui-même car l'enfant sera tiraillé.

Karen Sadlier a montré que les enfants font face à un conflit de protection : ils ne savent pas s'ils doivent se protéger eux-mêmes, protéger la fratrie, protéger leur mère ou leur père. C'est bien pire que le conflit de loyauté en cas de divorce, lorsque le conflit se fait sans violence et sur un pied d'égalité.

Face aux violences conjugales, peut-être faut-il envisager d'autres dispositifs, organiser l'audition de l'enfant par un psychologue qui pourra dire comment il va. On pourrait alors lui demander comment il va, s'il arrive à se concentrer à l'école, s'il se sent en sécurité… Plutôt que de lui demander ce que son père a fait à sa mère, concentrons sur ce que l'enfant vit. Il doit être entendu comme une victime et non comme le témoin des violences conjugales. Il faut le traiter comme nous traitons une victime de violence puisqu'il est victime au moins d'une violence psychologique. Si on le traite comme un témoin, l'enfant pourrait avoir l'impression de dénoncer avec des conséquences potentielles graves. Je pense par exemple au risque d'identification anxieuse au conjoint agresseur.

Évidemment de telles pratiques ne s'improvisent pas. Il faudrait vraiment que les policiers soient soutenus par des professionnels de la santé, par un psychologue spécialisé. C'est une piste pour les aider à moins se sentir démunis et à avoir l'impression de faire plus de mal que de bien.

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Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes

Il y a effectivement des conflits de protection très importants pour des enfants auditionnés par la police et qui peuvent revenir sur leurs déclarations alors même qu'ils ont bien assisté aux violences.

L'avocat du conjoint violent utilise souvent le conflit de protection de l'enfant pour accuser la femme victime. Cette dernière est sujette à une maltraitance institutionnelle, parce que, dans beaucoup d'endroits, les juges suivent les avocats qui défendent les hommes violents. Je peux vous donner au moins dix exemples de ce type en France. Ce conflit de protection de l'enfant se transforme en maltraitance institutionnelle pour la mère.

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Pour l'enfant, votre certificat médical initial va être fondamental. Lorsque l'enfant est victime de violences physiques, la situation sera claire pour le policier ou le gendarme qui va l'entendre. En cas de violences psychologiques, sans certificat médical, nous savons bien qu'il n'y aura pas d'audition. C'est le certificat qui lance la procédure. Avec lui, on pourra qualifier les faits et établir la culpabilité de l'auteur.

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Mathilde Delespine, sage-femme, coordinatrice de l'unité de soins à la Maison des Femmes de Saint-Denis

Je propose d'impliquer les pédiatres et les puéricultrices sur ce sujet. Les médecins généralistes, les gynécologues et les sages-femmes ont beaucoup progressé sur ces questions. En revanche, c'est plus compliqué après la naissance, notamment en raison de l'autorité parentale conjointe. On ne peut pas recevoir la mère seule avec l'enfant et laisser le père dans la salle d'attente. On peut le faire pour une femme enceinte puisqu'on parle de sa santé ; ce n'est plus possible quand il s'agit de l'enfant.

Il faut que les pédiatres s'appuient sur les travaux des sociétés savants et notamment sur ceux des pédiatres légistes qui ont une connaissance très fine de la symptomatologie des enfants exposés aux violences. Il faut développer les études sur les conséquences métaboliques notamment. Peut-être que votre Livre blanc pourrait le proposer ou, au moins, inciter le collège national des pédiatres à développer ses connaissances sur cette symptomatologie qui n'est pas forcément pathognomonique. Ce n'est pas parce qu'un enfant a ce symptôme qu'il est forcément exposé à de la violence conjugale, mais un faisceau de symptômes doit amener le clinicien à envisager cette hypothèse. Ce serait vraiment une grande avancée.

Nous avons tous vu des enfants suivis par un psychomotricien, un orthophoniste, ou suivi en CMP ; pourtant nous ne lui avons jamais demandé s'il est en sécurité chez lui. Nous essayons de panser une hémorragie mais sans jamais d'en guérir la cause, c'est dommage.

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docteure Geneviève Wagner, chirurgienne-dentiste, présidente de la commission Exercice et déontologie du Conseil national de l'Ordre national des chirurgiens-dentistes

Le syndicat des femmes chirurgiennes-dentistes et l'Ordre national organisent avec la MIPROF des formations sur les violences faites aux femmes et qui se concentrent d'abord sur la prise en charge. Il nous semble évident qu'il faut protéger les mères mais aussi les enfants. Nous voyons plusieurs phénomènes lorsque l'enfant est stressé. Il peut se casser des dents, serrer les dents, peut-être manger beaucoup plus de sucre… On peut aussi constater l'absence de soins qui est une forme de maltraitance.

Il faudrait proposer une prise en charge financière de façon à réhabiliter rapidement les personnes qui, après un coup, peuvent avoir quelque chose de cassé. En effet, même mise en sécurité, la victime n'a pas forcément les moyens d'être couverte. Les aides de la sécurité sociale et des caisses existent mais elles mettent du temps à se mettre en place. Il faut une solution beaucoup plus rapide, par exemple un fonds complémentaire pour les interventions les plus coûteuses. En tout état de cause, il faudrait faire comme pour les bilans et les examens bucco-dentaires qui sont pris en charge intégralement, c'est-à-dire mettre d'office ces personnes dans un cadre où elles sont prises en charge automatiquement et rapidement. Nous ne sommes que des maillons du soin dentaire ; ce dispositif relève des organismes gestionnaires.

La médecine bucco-dentaire n'intègre pas du tout sur la prise en charge psychologique. Il faudrait le faire et également progresser sur la prise en charge des frais lorsque l'agresseur n'est pas solvable. La réhabilitation et la prise en charge psychologique sont nécessaires : il faut traiter les grincements de dents, le fait de tout casser, d'avoir des parafonctions, parfois de prendre certaines drogues… Ce sont les conséquences de ces violences ; ce n'est pas la conséquence directe du coup mais c'est une conséquence plus générale au niveau de l'état global et de la dentition, avec ensuite un effondrement au niveau des articulations temporo-mandibulaires et des problèmes annexes sur tout le corps.

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docteure Cécile Morvant, médecin généraliste

On évoquait la prise en charge financière des soins dentaires ; nous aurions aussi besoin d'une enveloppe pour avoir des psychologues et des psychiatres formés afin d'avoir un suivi et une prise en charge. Nous avons vraiment besoin de financer ces psychologues formés à même d'assurer une prise en charge dans la durée des femmes victimes et des enfants exposés aux violences conjugales.

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Je relève avec satisfaction que vous parlez des enfants victimes parce que ce sont les grands oubliés des violences conjugales. Je faisais précédemment allusion au fait qu'ils servent souvent de moyen de pression en cas d'emprise. Tout le monde a entendu parler du conflit de loyauté parce que le divorce est un phénomène banal et que nous arrivons à le comprendre ; le conflit de protection est en revanche beaucoup plus compliqué ainsi que vous l'avez souligné. À ce sujet, je nous renvoie collectivement aux travaux du Centre Hubertine Auclert ainsi qu'à ceux d'Édouard Durand et d'Ernestine Ronai ; ils décrivent bien ce phénomène.

En cas de violences conjugales, même s'il n'a pas reçu de coups, l'enfant doit bien être considéré comme une victime, d'abord pour que sa parole soit bien recueillie. Quand nous mettons à l'abri la mère, l'enfant peut très bien être obligé d'aller voir son père violent la moitié des vacances scolaires et un week-end sur deux, ce qui expose la mère et qui permet au parent violent de maintenir son emprise sur la mère à travers l'enfant. Mais au-delà, l'enfant n'est jamais pris en charge psychologiquement.

Vous avez parlé des lieux neutres, mais ils ne sont pas mis en place et ils ne sont pas définis par la loi. Je crois qu'on confond aussi lieu neutre et lieu médiatisé. La remise des enfants se fait souvent dans un lieu neutre. Faute d'une définition de ces lieux neutres, les associations nous disent que cela se fait régulièrement dans un commissariat parce que c'est hors du domicile.

Quand le juge traite des violences sur la mère, il doit traiter la situation de l'enfant, aussi bien sur le plan économique que sur le plan psychologique. Reconnaître l'enfant comme victime permet de recueillir sa parole, de le prendre en charge et de le soigner. Ce n'est pas ce qui a été évoqué précédemment, les policiers de ce commissariat me semblant insuffisamment formés.

Le parent violent doit savoir qu'il n'est pas tout-puissant. Quand ses agissements seront connus, la justice n'enlèvera pas les enfants à leur mère – ce dont il la menace souvent – mais que les enfants seront bien considérés comme victimes de ses actes. La loi doit être claire sur ce point. La prise en compte des violences est un changement de paradigme.

Faute d'une prise en charge, il ne faut pas s'étonner que les enfants dans les foyers violents, parce qu'ils sont sous le conflit de protection, reproduisent ces schémas. Non seulement ils ne sont pas pris en charge, mais en plus, ils ne sont pas considérés. Les considérer à part entière les protège et cela protège la mère. Cela permettra aussi, si nous arrivons à bien les prendre en charge, de désengorger les cabinets médicaux ultérieurement puisque la prise en charge aura été faite au bon moment. Nous ne pouvons pas sauver la mère et ne pas sauver l'enfant.

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docteure Charlotte Gorgiard, Unité médico-judiciaire (UMJ) de l'Hôtel-Dieu

La prise en charge actuelle des violences conjugales risque de créer davantage une médecine à deux vitesses. Les femmes ou les personnes qui en ont les moyens peuvent se séparer plus facilement du conjoint violent, peuvent se loger plus facilement, peuvent recourir à des consultations avec des psychologues en dehors du milieu hospitalier et bénéficier de séances d'EMDR… Sans moyens ce n'est pas possible. On doit offrir à ces femmes des solutions, leur proposer des consultations avec des psychologues avec un remboursement par la sécurité sociale, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est ainsi que ces femmes et ces enfants guériront et ne retourneront pas dans le cercle des violences.

Il faut aussi que tous les enfants témoins de violences puissent accéder à des consultations médico-légales et soient pris en charge sur plan psychologique.

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Comme la présidente Marie-Pierre Rixain a déjà eu l'occasion de le dire, je suis persuadé que le Grenelle sur les violences conjugales permettra de vraies avancées et que nous pourrons parvenir à déconstruire le continuum des violences et à mieux prendre en charge toutes les victimes, quelle que soit leur situation, quelles que soient leurs spécificités. Je vous remercie vivement de votre venue et de vos interventions.

L'audition s'achève à 17 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Valérie Boyer, Mme Céline Calvez, Mme Bérangère Couillard, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Gaël Le Bohec, M. Mickaël Nogal

Excusée. – Mme Cécile Muschotti, Mme Marie-Pierre Rixain, Mme Laurence Trastour-Isnart