La réunion

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14 octobre 2019

La séance est ouverte à treize heures trente-cinq.

Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.

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Nous allons commencer nos auditions de ce jour. Je voudrais saluer la présence des élues Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon et Mathilde Panot, ainsi que de Mme la rapporteure.

Nous allons entendre aujourd'hui Mme Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.

Avant de vous passer la parole pour un mot d'introduction sur la question du chlordécone pendant cinq à dix minutes, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées pour une commission d'enquête impose de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite, Madame, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Mme Frédérique Vidal prête serment.

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Je suis aussi contraint de demander aux deux représentants de prêter serment si toutefois ils envisagent de prendre la parole.

(M. Lloyd Cerqueira, conseiller parlementaire, et M. Didier Hoffschir Haut fonctionnaire au développement durable, prêtent serment.)

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Mon audition et celle de mes collègues ministres interviennent après de nombreuses interventions des différentes parties prenantes, parmi lesquelles des acteurs de la recherche, qu'ils soient chercheurs ou responsables d'établissement.

Votre initiative, que je salue, va être en mesure de mieux éclairer la situation complexe, ce « scandale environnemental », pour reprendre les termes du Président de la République, auquel les populations des Antilles sont confrontées, populations pour lesquelles, au sein et auprès desquelles mon ministère ainsi que les établissements d'enseignement supérieur et de recherche sont pleinement investis.

Avant d'aborder les questions détaillées que vous m'avez adressées et qui serviront de fil rouge à mon intervention, je voulais assurer nos compatriotes des Antilles de mon complet engagement à leurs côtés et remercier mes collègues chercheurs pour la qualité de leurs travaux, parfois très précoces, qui permettent d'éclairer les causes et les conséquences de cette crise.

Je vais m'efforcer de répondre aux trois séries de questions que vous avez bien voulu m'adresser au travers de cette intervention.

Tout d'abord, pour l'effort en matière de recherche et les financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR), s'agissant des programmes financés spécifiquement par cette agence, je vous confirme que ce sont bien dix projets spécifiquement consacrés à l'étude de la sphère du chlordécone qui ont été financés par l'ANR depuis 2005. Néanmoins, sans autre précision, ces chiffres ne permettent pas de dresser un bilan de ce qu'ont été les financements des projets de recherche sur cette question.

Le chiffrage financier de 4,6 millions d'euros consacrés à ces dix projets ne constitue qu'un financement supplémentaire pour les équipes de recherche ; le coût complet des recherches englobant les frais des personnels et des infrastructures nécessite de multiplier ce premier chiffre de 4,6 millions d'euros par un facteur 4.

Surtout, il est important de s'attacher au contenu de ces projets retenus par l'ANR, qui s'efforcent d'éclairer la contamination par le chlordécone sur des aspects très complémentaires, depuis l'étude de cohorte jusqu'à celle de bio-indicateurs de la pollution des rivières. Ces projets ne peuvent être isolés mais doivent être examinés au regard de l'ensemble des autres travaux consacrés à la santé environnementale et aux perturbateurs endocriniens en général, dont le chlordécone fait partie.

Depuis 2005, les appels à projet de l'Agence nationale de la recherche, ont permis de soutenir 78 projets financés pour un coût de fonctionnement de 32,1 millions d'euros. Je songe notamment aux programmes Santé-Environnement, Contaminants, Écosystèmes Santé ou encore Contaminants et environnement, sans compter les appels à projets génériques lancés depuis 2014.

Naturellement l'ANR n'est pas le seul financeur de la recherche sur projets ; le ministère de la Santé a aussi participé à une meilleure connaissance de la prévalence des pathologies, notamment via les Programmes hospitaliers de recherche clinique. Je ne reviendrai pas sur ces travaux, notamment ceux du Pr Luc Multigner sur la prévalence des cancers de la prostate chez les travailleurs agricoles et sur l'ensemble de recherches cliniques qui ont suivi et qui seront probablement développées par ma collègue ministre des Solidarités et de la Santé.

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sont également sources de financement pour des actions plus appliquées, lesquelles pourront être listées par mes autres collègues chargés de l'écologie et de la santé.

Au coeur des plans chlordécone, on trouve également des projets financés sur le programme des interventions territoriales de l'État (PITE), qui est un financement interministériel à la main des préfets pour répondre de façon agile à la situation sur le terrain. Il faut aussi mentionner le rôle des collectivités et des régions directement et indirectement via le fonds européen de développement régional (FEDER) et le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et, puisque nous évoquons l'Europe, il faut prendre en compte aussi les grandes questions de recherche comme les recherches sur les perturbateurs endocriniens ou plus généralement la santé environnementale.

À tous ces financements sur projets viennent s'ajouter les investissements propres des établissements d'enseignement supérieur et de recherche, dont :

– les universités ;

– le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ;

– le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

– l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) ;

– l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) ;

– l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Tous les projets financés par l'ANR ou d'autres organismes sont nouveaux, originaux, directement proposés par les chercheurs et les laboratoires et sont choisis par des jurys scientifiques en toute indépendance. Ils permettent de faire progresser de façon significative et disruptive le front de connaissance sur le sujet complexe des pesticides et de leurs effets sur l'homme et sur l'environnement.

Sur le plan quantitatif, la conférence de synthèse organisée l'an dernier en Martinique et en Guadeloupe a fait état de 120 publications scientifiques spécifiquement dédiées au chlordécone, ce qui est tout à fait significatif et témoigne de l'effort réalisé en matière de recherche sur ce sujet.

Au-delà de la production de connaissances nouvelles, un socle de compétences très complet est disponible et mobilisé pour traiter de la problématique du chlordécone sous ses aspects de recherche. Ces compétences de nos chercheurs sont largement sollicitées par les pouvoirs publics, comme en témoignent les nombreuses demandes d'expertise scientifique produites sur la question depuis les années 1970.

S'agissant des difficultés que certains chercheurs ont pu porter à votre connaissance, il faut apporter quelques précisions. Si l'on considère la production de nouvelles connaissances et ce qui se passe lors des appels à projets de recherche, les chiffres montrent que dans le cas spécifique de l'appel à projets chlordécone, un taux de sélection de 28 % a été opéré par l'ANR, bien supérieur au taux actuel de sélection, d'environ 15 %, et de celui de 10 % observé en 2014, année où l'ANR était en capacité de financer le moins grand nombre de projets.

Ces chiffres signifient que nous avons privilégié une recherche d'excellence selon les meilleurs standards internationaux et permis à un nombre de projets largement plus significatif que la moyenne des projets normalement retenus, d'être financés. C'est une exigence de qualité que nous devons à nos concitoyens et qui n'a en rien limité la multiplicité des approches ou des programmes de recherche relatifs au chlordécone.

L'ensemble des guichets a permis aux meilleurs programmes et chercheurs de trouver le bon niveau de financement pour mener à bien leurs travaux. Pour prendre l'exemple du CIRAD, celui-ci a fait appel, pour ces sujets, à l'ANR, au FEDER, au Plan National d'Action Chlordécone, à l'Observatoire de l'eau en Martinique, au ministère des Outre-mer et à l'Appel pesticides, cette liste n'étant pas exhaustive.

Un travail collectif simplifierait les démarches et les procédures pour gagner en efficience. Des solutions pratiques commencent à émerger ; c'est ce que nous avons mis en place dans le cadre de l'appel d'offres sur les sargasses, porté par l'ANR. Celle-ci a proposé de s'associer aux collectivités territoriales pour un appel à projets commun mobilisant l'ensemble de la communauté scientifique nationale mais aussi toutes les structures de transfert de la connaissance vers l'application sur le terrain, les industriels et des laboratoires de valorisation. En outre, des contacts ont été pris avec l'ADEME pour regrouper l'effort de recherche et couvrir toute l'échelle de maturité des développements technologiques. Étant donné que l'origine de ces proliférations de sargasses pourrait être liée à l'intensification des pratiques agricoles au Brésil, le Fonds de Recherche de l'État de São Paulo a également été contacté par l'ANR et a déclaré son intérêt à participer à cet appel à projets. Sur ce modèle, nous devons lancer des appels d'offres cohérents et coordonnés qui permettront une organisation la plus efficace et efficiente possible sur des sujets de préoccupation et notamment sur le sujet du chlordécone dans le futur plan IV.

Vous avez également souhaité m'interroger sur la coordination, avec un aspect particulier sur la dimension interdisciplinaire de la recherche sur le chlordécone et la façon d'organiser au mieux les coopérations scientifiques sur la question.

L'approche interdisciplinaire comme la coopération sont des éléments-clés dès lors qu'une question complexe est posée. C'est le cas de la crise du chlordécone. Par conséquent, nous devons faire en sorte que chaque facette de cette question puisse être interrogée par une ou plusieurs disciplines de recherche. Ainsi, plusieurs programmes existent autour du développement d'outils permettant l'analyse de matrices croisées variées présentes dans les sols, l'air, les tissus, les fluides biologiques, chez les animaux et les plantes et dans les aliments :

– des études du suivi de la dégradation et des métabolites produits par le chlordécone ;

– des questions qui intéressent la distribution et le transfert entre les différents milieux ;

– la biosurveillance ;

– des études épidémiologiques et comportementales pour mieux cerner les risques ;

– des études sur des modèles animaux pour mieux comprendre les situations qui vont mener à des vulnérabilités dans un contexte plurifactoriel ;

– des études rétrospectives historiques sur la chronologie de la contamination par le chlordécone.

Chaque discipline apporte le meilleur autour de ce sujet, et notre rôle consiste à faire en sorte que le dialogue soit établi entre ces différentes approches pour orienter les futurs projets et définir précisément les questions sur lesquelles la recherche va s'avérer la plus pertinente ou les questions nécessaires pour des politiques publiques efficaces. C'est le rôle du Groupe d'orientation et de suivi scientifique (GOSS) et de la concertation Inter-alliances, qui a été fortement portée par mon ministère.

Les éditions successives du plan chlordécone témoignent de la construction pas-à-pas de la place de cette société de la connaissance s'appuyant sur la recherche et la démarche scientifique dans les différents plans.

Le troisième plan prévoyait ce groupe d'orientation et de suivi scientifique mis en place en 2016, chargé d'animer un réseau de recherche sur le chlordécone pour permettre notamment de concrétiser ses actions de recherche mais aussi en assurer le suivi, et de faciliter les interactions entre les équipes, la structuration des projets communs et l'opportunité de réorienter les actions en cours.

Le Groupe Inter-alliances (GIA), qui comporte l'alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan) et l'alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna), est en mesure de porter un regard sur les nouvelles actions de recherche et de les prioriser en cohérence avec la Stratégie nationale de recherche et l'Initiative Française pour la Recherche en Environnement-Santé (IFRES).

En lien avec le GOSS, le Groupe Inter-alliances va émettre des recommandations pour la priorisation des actions de recherche au regard des données existantes et pour identifier les domaines pour lesquels la recherche doit être poursuivie et les connaissances approfondies, et enfin proposer des actions concrètes et applicables dans la gestion de la pollution et de ses impacts sur la santé et l'environnement. Faire travailler ensemble ces groupes est un signe de maturité de la façon dont on peut organiser la communauté scientifique au service d'un défi de cette taille.

Le Groupe d'orientation et de suivi scientifique a vu ses compétences élargies au-delà des aspects de santé. Il est impliqué dans les préconisations pour les différents plans. En début d'année, un bilan de l'action du travail du GOSS et du Groupe Inter-alliances sur trois ans d'activité a été mené et a proposé que ces deux groupes travaillent dorénavant ensemble. Cette proposition fait suite à l'organisation par le GOSS et le GIA du colloque scientifique qui s'est tenu au mois d'octobre 2018 sur les trois volets environnement, alimentation et santé.

C'est chose faite : le GOSS et le GIA ont fusionné en juin 2017 pour créer un comité scientifique chlordécone afin de simplifier la gouvernance de la recherche. Ce comité inclut désormais le volet des sciences humaines et sociales, avec la présence de l'alliance Athéna mais aussi un représentant d'un chercheur en sciences humaines et sociales. Ce nouveau comité issu de la fusion du GOSS et du GIA a pour mission de travailler sur les appels à projets ciblés qui seront nécessaires.

Ce comité donnera en toute transparence des avis sur les appels à projets émis dans le cadre du programme d'intervention territoriale de l'État par les préfectures. Cette année par exemple, un appel à projets a été lancé sur le sujet de la remédiation et la façon de dépolluer les sols. Je fais toute confiance à ce conseil scientifique dans cette nouvelle version pour produire d'ici à fin 2019 un document priorisant les sujets et les perspectives de recherche suite au colloque de 2018, qui nous servira à la construction du quatrième plan. Ce travail sera diffusé et discuté, complété par le travail des inspections générales, auxquelles nous avons demandé d'évaluer la gouvernance du dernier Plan (ce qui correspond aux actions 15 et 18 du plan chlordécone III).

Concernant plus spécifiquement le troisième sujet que vous avez souhaité aborder lors de cette audition, soit la recherche sur le chlordécone et ses conséquences aux Antilles, je voudrais d'abord vous réaffirmer que la contamination au chlordécone est incontestablement une priorité du Gouvernement, et les paroles du Président de la République à ce sujet ont été claires.

Le bilan de la recherche en la matière est tout à fait positif. Le rôle des chercheurs est à la fois un rôle d'alerte, de signalement des problèmes identifiés, mais aussi de propositions, de solutions. Néanmoins, la particularité de la recherche est qu'elle travaille sur du temps long et en effet, il faut du temps pour être capable de mesurer scientifiquement tous les effets de la contamination et toutes ses incidences, qu'elles soient agricoles ou sanitaires.

J'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises à ce sujet même si ce n'était pas spécifiquement devant cette commission. Je ne crois pas que la consolidation de la recherche passe nécessairement par un fléchage dédié de moyens. L'important est de pouvoir développer une approche interdisciplinaire, soutenir le déploiement d'une recherche d'excellence et être capable de coordonner les différents guichets de financement. C'est cet effort que nous avons engagé et qui sera poursuivi. Tous les chercheurs veulent plus de visibilité et surtout plus de simplicité dans les démarches de recherche et de financement, notamment pour pouvoir se consacrer pleinement à leurs travaux.

Si un fléchage ne me paraît pas une solution, cela ne signifie pas que nous n'ayons pas à renforcer les moyens de la recherche, et notamment les moyens de coordonner cette recherche. Il est beaucoup plus efficace de traiter tout en la distinguant la contamination au chlordécone au sein d'une action plus large qui englobe l'ensemble des contaminants par les produits phytosanitaires.

Concrètement, la préparation du quatrième Plan national Santé-Environnement (PNSE) va nous donner l'occasion de conforter l'engagement de la recherche française sur ces questions de santé environnementale et sur l'étude de ce concept très transdisciplinaire et multifactoriel que l'on nomme exposome, c'est-à-dire la façon dont l'organisme répond à une exposition simple ou multiple à différents perturbateurs que l'on trouve dans l'environnement, ce qui nous permet d'appréhender à la fois les expositions cumulées, chroniques, régulières ou irrégulières dans le temps. Au sein de ce Plan national Santé-Environnement, une attention particulière sera portée au chlordécone de façon à mieux apprécier les conséquences sanitaires et environnementales associées au chlordécone dans un environnement plus global.

La recherche n'est pas un phénomène linéaire et prévisible et la progression des connaissances est par définition irrégulière ; elle s'alimente d'avancées théoriques et conceptuelles produites par la recherche fondamentale parfois très éloignées du sujet initialement traité ou des percées technologiques. C'est donc toujours sur un front large privilégiant l'échange qu'il faut faire avancer la recherche. C'est pourquoi les plans nationaux devront s'inscrire dans une perspective européenne. Notre communauté scientifique, j'y veille, est déjà bien engagée de ce point de vue. Je songe au programme conjoint européen d'études de l'exposome sur le biomonitoring humain pour l'Union européenne (HBM4EU), mais aussi aux appels à projets dédiés aux exposomes lancés dans le cadre du grand défi sociétal Changements démographiques et sanitaires de la programmation actuelle à l'horizon 2020, qui fera partie du nouveau programme Horizon Europe.

S'il est de la responsabilité de la recherche d'accompagner les populations, les collectivités et les pouvoirs publics pour mieux comprendre les conséquences de la contamination par le chlordécone, les moyens d'y remédier et d'en analyser les causes, il est également important que la recherche puisse proposer des voies alternatives de façon à sortir du recours sans cesse croissant aux produits phytosanitaires. C'est aussi l'objectif du programme prioritaire de recherche que j'ai lancé cette année avec le Secrétaire général pour l'investissement, pour dessiner avec l'ensemble des parties prenantes une nouvelle agriculture pour demain.

Ce programme dispose d'un volet spécifique pour les questions ultramarines et pour l'agriculture tropicale. Là encore, j'ai souhaité la constitution de consortia autour de ces problématiques spécifiques.

Soyez convaincus que je veille et que mon ministère veille toujours à bien prendre en compte l'Outre-mer, aussi bien pour l'accompagner dans les crises qu'il peut connaître (chlordécone, sargasses, risques telluriques et climatiques…) que pour favoriser son développement et le bien-être de ses populations. C'est tout l'objet des plates-formes de recherche du plan Innovation Outre-mer que nous avons mis en place avec ma collègue Annick Girardin.

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Vous l'avez dit, Madame la ministre, suite à ce « scandale environnemental » et même « le fruit d'un aveuglement collectif » pour reprendre les termes du Président de la République, les Outre-mer, ces territoires, les populations doivent être assurées du complet engagement de votre part mais aussi de votre ministère.

Il n'y a pas si longtemps, nous avons reçu ici l'Agence nationale de la recherche, laquelle nous a indiqué avoir financé depuis 2016 dix projets de recherche sur le chlordécone à hauteur de 4,6 millions d'euros.

Ma première question est la suivante : ce bilan vous semble-t-il à la hauteur des enjeux ? Pour poursuivre cette question, certains chercheurs ont fait part des difficultés à financer leurs projets de recherche ; pour quelle raison ? L'ANR a précisé que c'était au niveau de votre ministère, qu'il vous revenait de donner l'ordre de priorisation du volet recherche s'agissant de la dépollution des contaminations.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Sur la question précise d'appels à projets ne ciblant que le chlordécone, le président de l'ANR vous a donné les chiffres mais comme j'ai tenté de vous l'expliquer, ces projets constituent une partie additionnelle de fonctionnement dans notre système de recherche. Globalement, pour un budget de recherche de l'ordre de 100, 20 % sont mobilisés pour le fonctionnement, contre 80 % d'implication en termes de salaire ou en infrastructures. Il faut donc multiplier par 4 ou 4,5 ce montant en millions d'euros qui correspond uniquement à la fraction d'argent supplémentaire qui vient s'ajouter à tous les travaux menés dans les laboratoires et financés par ailleurs.

L'une des questions majeures est celle de la visibilité, de la multiplication des guichets et des actions en matière de recherche. C'est notre objectif, d'où notre souhait d'un travail conjoint entre le GOSS et le GIA et notre demande d'une inspection générale sur la gouvernance de ces plans de recherche sur des grands défis très complexes. À cette somme d'un peu plus de 4 millions d'euros de l'ANR, il faut ajouter l'ensemble des programmes de l'ANR qui traitaient de la question plus générale des pesticides ou des perturbateurs endocriniens, car toute meilleure compréhension du fonctionnement des perturbateurs endocriniens va apporter des éléments de réponse sur le fonctionnement potentiel du chlordécone, ce qui nous permet également d'avancer. Au total, environ 47 millions d'euros ont été dédiés à ces questions de perturbateurs endocriniens ou d'impact des pesticides sur l'environnement et sur la santé humaine, qu'il faut multiplier par 4 pour avoir une idée du coût complet.

Le problème de visibilité auquel nous faisons face fait que très souvent, il est difficile de répondre lorsqu'on nous demande quelle somme est investie sur cette priorité. Nous sommes capables de dire ce que nous avons mis en plus pour créer un effet de levier mais nous sommes difficilement capables de recenser l'ensemble de la recherche de base qui y contribue. Le colloque qui s'est tenu l'an dernier nous y a aidés, faisant état d'environ 120 publications, ce qui correspond à un niveau de recherche élevé qui montre que d'importants travaux ont été réalisés de ce point de vue.

Je comprends que les projets de certains chercheurs parmi ceux que vous avez auditionnés n'aient pas été retenus. Or, c'est la règle de base d'une recherche de qualité : on ne retient que les meilleurs projets, les plus pertinents. Certains projets posent parfois le même type de questions mais la même question peut être mieux posée par un autre projet. Il n'est pas simplement question de la qualité de la question posée mais de la méthodologie présentée, qui peut être estimée meilleure.

Dans cette question spécifique, c'est au taux de succès que le ministère a veillé. Le nombre de projets sélectionnés par rapport au nombre de projets retenus est très important. En moyenne, le taux de succès est inférieur à 20 %, il est actuellement aux alentours de 18 %. Il a malheureusement été très longtemps entre 10 et 15 %, ce qui signifie probablement que de bons projets ne sont pas financés. La moyenne internationale stipule que le taux de succès doit être de l'ordre de 25 % pour être sûr de financer l'ensemble des bons projets. Sur la question du chlordécone, nous avons financé à hauteur de 28 % des projets. Nous nous sommes placés dans une configuration dans laquelle nous avons essayé de ne laisser de côté aucun projet validé comme parmi les meilleurs en termes de qualité et de méthodologie par un jury international.

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En début de séance, lorsque vous avez commencé vos propos, vous avez employé un terme très significatif. Je vous le dis comme je le pense. On ne peut pas vous reprocher quoi que ce soit étant donné que vous n'étiez pas présente en 1972. Vous avez employé le terme « drame » et avez rajouté, il me semble « scandale environnemental ». Venant de la bouche d'une ministre, il est important d'entendre cela. En plus d'environnemental, on aurait pu rajouter « humain » car les conséquences sont humaines. Moi, martiniquais, et tous les Guadeloupéens et Martiniquais vivent cela comme un vrai drame. Nous nous sentons démoralisés, manipulés, nous avons le sentiment d'avoir été trompés. Je suis conscient que c'est la reprise des paroles du Président de la République. Vous savez que je suis dans l'opposition mais je suis très respectueux de la République et j'ai soutenu des présidents avant M. Macron. C'est la première fois qu'un Président de la République dit clairement la question de la responsabilité et de la réparation et emploie le terme « aveuglement collectif », qui concerne tout le monde, y compris l'État, y compris les importateurs de chlordécone, de Képone et de Curlone et les utilisateurs.

Mon problème et mon souci sont que nous allons rentrer dans une bataille de chiffres. Pourquoi pas ? Mais comment aborder un drame avec des mécanismes classiques ? Comment aborder un drame qui dure depuis 48 ans (1972-2020) et qui est systémique sur le plan social, humain, économique, culturel, etc. avec des solutions classiques ? Depuis très longtemps, nous ressentons que ce qui est fait n'est pas suffisant, qu'il faut coordonner plus et investir beaucoup plus de moyens, vous l'avez dit vous-même.

Madame la ministre, êtes-vous d'accord sur le fait de mettre en priorité stratégique la question du chlordécone ? La question est très simple et très claire et appelle un oui ou un non. Si la réponse est non, nous restons dans un cycle classique en fonction des initiatives des universités, des centres de recherche, des moyens financiers et de tout ce que l'on veut. Entre temps, des personnes meurent, entre temps, la terre est toujours polluée. Acceptez-vous, oui ou non, de faire du chlordécone une priorité stratégique ? Vous avez parlé du travail conjoint du GOSS et du GIA. Nous avons vraiment le sentiment que des efforts sont faits mais il n'y a pas de cohérence, pas de priorité, le travail n'est pas dédié à cette question. On ne peut pas prendre quelque chose de pluridisciplinaire dans des temps décalés qui sont de l'initiative du chercheur. Pourriez-vous répondre avec satisfaction à cette question ? Proposerez-vous au Président de la République de considérer le chlordécone comme une priorité stratégique ? Je formule officiellement cette demande ici mais notre commission risque de reprendre cette formule.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Oui, je suis vraiment convaincue que c'est un drame, d'autant plus que pendant longtemps, la mesure de l'ampleur de ce drame n'a peut-être pas été prise en compte. Vous l'avez rappelé, historiquement, alors que d'autres pays ont fait des choix différents en termes d'interdiction, la France a continué pendant longtemps à autoriser ce type de traitement mais je tiens à dire que la position de la recherche et le fait que l'on écoute la recherche dans la définition des politiques publiques a l'air évidents, mais en regardant la réalité, on voit que ce n'est pas si évident. Je peux prendre l'exemple du climat : depuis de très nombreuses années, des publications scientifiques alertent sur des difficultés comme cela a été le cas pour le chlordécone et aucune décision de politiques publiques n'est prise par la suite.

Ce que nous souhaitons changer profondément – c'est le mécanisme qui est à l'oeuvre depuis maintenant plus de deux ans et demi –, c'est de faire en sorte que les politiques publiques s'appuient aussi sur les résultats de la recherche et sur les connaissances, qui sont essentiels car ils peuvent protéger de la question de l'aveuglement collectif. C'est aussi une autre façon d'aborder les sujets complexes. Dire que les sujets complexes doivent être abordés par le meilleur de chaque discipline semble une évidence mais ce n'est pas la réalité du fonctionnement de la recherche ces dernières années, où tout se faisait en tuyaux d'orgue et où on consacrait telle somme d'argent à la recherche dans telle discipline. Depuis deux ans et demi, nous ne procédons plus de cette façon mais nous élaborons des programmes prioritaires de recherche qui s'appliquent à des défis, qu'ils soient technologiques, environnementaux ou sociétaux. C'est une autre façon d'appréhender les choses puisque cela signifie que toutes les disciplines sont bien appelées non seulement pour continuer à alerter de manière rationnelle, méthodologique et argumentée de façon scientifique lorsque c'est nécessaire, mais aussi pour que les réponses apportées le soient dans tous les champs.

Pour prendre l'exemple des épidémies d'Ebola, en l'absence de sciences humaines et sociales, nous étions incapables de proposer une vraie stratégie d'éradication de cette épidémie car nous ne prenions pas en compte l'importance des rites funéraires. Le problème ne relevait pas simplement du champ médical mais aussi du champ des sciences humaines et sociales.

Enfin, pour vous répondre plus spécifiquement, la raison pour laquelle je souhaite qu'au-delà du plan chlordécone IV, il existe au sein du PNSE 4, qui va définir les priorités, un volet spécifiquement dédié au chlordécone de façon à l'inscrire comme faisant partie d'une priorité dans ce plan national. Nous sommes en train de travailler à cette question, et en plus de l'extension d'un quatrième plan chlordécone, je proposerai au Premier ministre et au Président de la République qu'un tel volet soit intégré à ce plan, ce qui me paraît la meilleure façon de l'inscrire dans les priorités stratégiques nationales.

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Vous répondez donc, Madame la ministre, que le chlordécone sera considéré comme priorité stratégique nationale dans le cadre du Plan national chlordécone IV.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Dans le Plan national Santé-Environnement, je le propose effectivement.

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Disposez-vous de cas dans lesquels des priorités stratégiques sont spécifiques et non pas dans un Plan national comme faisant partie de ses éléments ? Par exemple, le numérique et le travail font-ils partie d'un Plan national où sont-ils considérés comme des priorités stratégiques à part ?

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Concernant le chlordécone, ce sera les deux : un plan chlordécone ainsi que, dans le Plan national Santé-Environnement, un volet spécifique sur le chlordécone.

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Il y aura donc un plan chlordécone et de la recherche spécifique et ce sera considéré comme une priorité stratégique nationale, c'est bien votre réponse.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

C'est ce que je demande : qu'il y ait dans ce Plan national Santé-Environnement un volet spécifiquement dédié au chlordécone de manière à ce que ce soit affiché dans les priorités.

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Je reprends ma question : existe-t-il des priorités stratégiques hors Plan national, dans le cadre de votre ministère ?

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Sur les sujets de santé et environnement ?

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Non, je parle d'autres sujets : les sujets du numérique et du travail. Vous les avez déclarés comme priorités stratégiques.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Oui.

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Sans qu'il soit besoin de les intégrer au Plan national, c'était quelque chose de spécifique car le numérique et le travail sont des enjeux exceptionnels pour l'avenir.

Nous demandons à ce que le chlordécone soit détaché comme priorité stratégique, point. Si vous le mettez sans le Plan Santé-Environnement, c'est encore mieux, mais c'est parce que c'est votre nomenclature d'organisation de la recherche, justement pour nous permettre de bénéficier de la transversalité très intelligente que vous avez indiquée et que tout le monde nous indique : comment dissocier dans un tel problème le social et le culturel, c'est-à-dire l'aspect technique, scientifique, etc. ?

Nous vous demandons donc si vous acceptez que le chlordécone soit considéré comme une priorité stratégique nationale.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Je pense que ce à quoi vous faites référence lorsque vous parlez de priorité stratégique nationale et que vous donnez comme exemple le numérique et l'emploi est différent. Dans la priorité nationale Numérique et emploi, la part de la recherche est importante sur la question du numérique, de même que la part de la formation, mais ce n'est pas ainsi qu'on définit ce qui est prioritaire dans la « nomenclature » du monde de la recherche. Nous avons des programmes prioritaires de recherche et nous sommes en train de construire cette stratégie nationale santé-environnement qui va impliquer les questions de recherche, de santé et d'environnement comme son nom l'indique. Dans ce plan, la proposition de mon ministère est que le chlordécone bénéficie d'un affichage comme étant une priorité de ce Plan Santé-Environnement.

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J'ai bien compris que vous ne répondez pas à notre demande. Vous mettez le chlordécone dans le Plan Santé-Environnement mais vous ne l'isolez pas comme une priorité stratégique nationale en soi.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Cela me paraît très difficile dans le monde de la recherche car vous allez refaire un silo, ce qui signifie que les chercheurs qui travaillent de façon générale sur la question des perturbateurs endocriniens ne seront pas en contact avec les chercheurs qui vont travailler sur le chlordécone. L'intérêt d'avoir un plan national est que les personnes impliquées vont être capables de se parler sur des sujets qui sont liés les uns aux autres.

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Pardonnez-moi mais c'est ce que vous faites depuis 48 ans. Pas vous, mais la République.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Non, je vous assure que c'est très différent et que je suis très attachée à ce que ce soit différent car auparavant, on aurait financé des cohortes mais pas de recherches fondamentales.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Non, justement. Ces plans sont très interministériels et permettent de prendre le sujet dans sa globalité, que ce soit sur des questions sociales, des questions culturelles, des questions de santé ou des questions scientifiques de fond. Je ne souhaite pas priver la recherche sur le chlordécone de l'interaction, de façon générale, avec la recherche sur les pesticides et sur les perturbateurs endocriniens car les solutions et une meilleure compréhension de ce qu'implique et de ce qu'induit le chlordécone seront peut-être issues d'études menées sur un autre perturbateur endocrinien. C'est une volonté de faire en sorte que les chercheurs de plusieurs disciplines travaillent ensemble sur ce que j'appelle des défis.

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Parce que vous considérez que le fait de déclarer le chlordécone priorité stratégique va empêcher ce que vous venez de dire ? Je ne le pense pas, et ce n'est pas non plus l'avis de l'ANR. L'ANR nous donne un processus de classement des priorités stratégiques, des appels à projets spécifiques ou encore des appels « flash » que vous organisez. Le reste dépend de l'initiative des individus. La raison pour laquelle nous souhaitons une priorité stratégique nationale pour le chlordécone, c'est parce qu'en Guadeloupe et en Martinique, 95 % de la population sont imbibés de chlordécone. Ce n'est pas le même drame que le risque que vous évoquez ici.

Je suis moi-même urbaniste et technicien, je sais qu'il faut assurer la corrélation entre le béton, l'urbanisme, le bâtiment et l'architecture, vous avez parfaitement raison. L'une des grandes négligences a été le social, l'analyse culturelle qui pourrait nous permettre de reprendre la main par nous-mêmes par une forme de résilience que nous pouvons construire. Mais nous demandons la reconnaissance par l'État. Nous allons certainement finir par démontrer la responsabilité de l'État, qui a donné ces autorisations de 1972 à 1990. C'est pourquoi nous voulons déclarer le chlordécone comme une priorité nationale, pour apaiser l'aigreur qui monte actuellement dans ces pays.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Une fois de plus, je pense que nous ne parlons pas de la même chose. Cela n'a rien à voir avec le fait que l'ANR ouvre des lignes de financement spécifiques sur le sujet le chlordécone ; c'est déjà le cas. Ce que je souhaite, c'est que ce soit affiché comme un des axes du Plan national Santé-Environnement de manière à ce que tous les sujets environnementaux qui vont avoir un impact sur la santé puissent être regardés de manière beaucoup plus transversale. Il est important qu'il y ait un plan spécifiquement dédié au chlordécone abordant les questions de pollution des sols, des différents types de plantes, etc. et qu'en parallèle, le chlordécone soit un des axes du Plan national.

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Cela ne fonctionne pas. De toute façon, nous y reviendrons jusqu'à la fin de l'audition et je ne cesserai de vous répéter la même chose.

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Aujourd'hui, une tribune regroupant différentes associations qui se battent pour la vérité sur le scandale d'État qu'est le chlordécone demande à ce qu'une commission justice et vérité soit créée et que soit mis à la disposition de tous (à la fois des citoyens et des chercheurs) l'intégralité des documents récupérés comme cela avait été fait aux États-Unis dans les années 2000 lorsque 80 millions de pages de documents internes des fabricants de cigarettes avaient été dévoilés. Cette question de transparence est importante, notamment suite à une révélation faite par un ancien député selon laquelle des stocks de chlordécone seraient enfouis sous un lycée. Je sais qu'une enquête est ouverte sur ce sujet.

J'aurais aimé vous entendre sur cette question de la transparence des documents et de la cartographie.

Le chlordécone est un scandale d'État qui malheureusement fait écho à de nombreux autres tels que celui de l'amiante (un grand nombre de personnes savaient pour l'amiante) et du glyphosate. Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait que la recherche soit écoutée pour que les décisions de politiques publiques soient prises. Quels enseignements tirez-vous de ce scandale d'État ? Comment faire pour que le principe de précaution soit réellement mis en place et que plus jamais des sols et des eaux soient pollués pendant des centaines d'années et que des personnes meurent et soient malades comme elles le sont aujourd'hui, de manière absolument dramatique et massive ?

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Madame la ministre, comme nous avons eu l'occasion de le rappeler lors des dernières auditions, c'est toute la chaîne alimentaire qui a été contaminée au fil de nombreuses années.

Plusieurs études et contrôles ont été réalisés mais les délais pour obtenir les résultats sont trop longs et il n'est plus possible de justifier une telle attente par l'envoi des prélèvements et la distance qui sépare l'Hexagone de la Guadeloupe ou la Martinique.

De nouvelles techniques permettent de déceler et doser le chlordécone ou tout autre produit présentant un tel danger de pollution. Ainsi, comme je vous en ai fait part par courrier, la microfluidique est une technique nouvelle qui permet d'accélérer drastiquement les délais de contrôle par la miniaturisation des éléments analysés.

Il semble que nos instances de protection sanitaire au niveau national pourraient s'intéresser à ces techniques nouvelles (celle-ci ou une autre). Cette pollution ne sera malheureusement pas la dernière mais les travaux réalisés par cette commission doivent aussi permettre de tirer des enseignements pour l'avenir.

Madame la ministre, dans quelle mesure pensez-vous pouvoir faire évoluer les processus de nos instances nationales pour qu'elles prennent en compte ces innovations, ces techniques nouvelles dont les avantages sont indéniables, éprouvés et qui proposent des solutions éminemment plus rapides en cas d'événement de ce type ?

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

La question de la transparence et de l'information est extrêmement importante. C'est pour cela qu'un site spécifique sur lequel figure l'ensemble des rapports a été ouvert, et qu'une communication particulière et des interactions particulières avec les populations ont eu lieu au moment du colloque scientifique de 2018, avec des ateliers, des tables rondes et de la vulgarisation de l'ensemble des connaissances acquises. Il est essentiel de mettre à disposition de tous l'ensemble des rapports qui ont été réalisés, en particulier par l'ensemble des organismes de recherche.

En outre, il est important d'attirer l'attention sur la compréhension de ces rapports. C'est pour cela que je préfère de loin qu'une animation soit réalisée par les scientifiques afin d'expliquer les conclusions et les résultats de ces rapports. C'est trop facile d'extraire une phrase et cela a d'ailleurs très souvent fait beaucoup de mal. Pour reprendre l'exemple du climat, extraire une phrase du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et faire la démonstration que cette phrase, sortie de son contexte, est discutable, a permis de remettre en cause tout le rapport du GIEC. Nous avons connu cela à plusieurs reprises au cours des dernières décennies.

C'est un vrai sujet : il faut bien comprendre que la connaissance produite est valable à un temps T et ne sera peut-être plus valable demain. Par conséquent, il faut éviter de sortir de son contexte une notion ou une connaissance, car la sortir de son contexte, de l'explication, du moment et de la méthodologie qui a permis d'obtenir ce résultat engendre souvent des extrapolations ou des amalgames qui n'ont strictement plus rien à voir.

Tous les rapports publics rendus par l'INRA, par l'INSERM, etc., sont déjà disponibles ou en train d'être rendus disponibles sur ces sites. L'accompagnement est très important et les colloques tels qu'ils ont lieu l'an dernier permettent de mieux accompagner les populations de ce point de vue.

Éviter de manière définitive que ces drames se reproduisent, bien sûr, on ne peut que souhaiter cela, mais je voudrais attirer votre attention par une forme d'anecdote : une des sources majeures de perturbateurs endocriniens dans l'environnement est la contraception féminine, ce qui est assez surprenant. Il n'en demeure pas moins que c'est une réalité. Il est très difficile d'être capable de prédire tout ce qui peut arriver un jour par anticipation. Ce qui pose problème, c'est lorsqu'on a accumulé des évidences, que d'autres pays se mettent à interdire des produits et que nous ne le faisons pas, c'est ce qui s'est produit dans le cas du chlordécone. C'est un sujet différent sur lequel le Président de la République s'est clairement exprimé par rapport à cette volonté de reconnaître qu'il y avait eu une réaction inappropriée, un « aveuglement collectif » sur ce sujet, pour reprendre ses termes.

Sur les questions de mise en place des meilleures technologies possibles pour faire les dosages les plus fins possibles, je ne voudrais pas m'avancer mais je crois que c'est ce qui est en train de se passer dans les laboratoires de l'Institut Pasteur, qui sont en train d'acquérir tout le matériel nécessaire pour faire des dosages de manière plus fiable et plus rapide, puisqu'il est toujours question de délais dans le dosage et de la fiabilité des dosages. Le travail à mener a été entamé, notamment pour définir les seuils à partir desquels ces dosages doivent impliquer systématiquement des prises en charge des personnes et des traitements ou des surveillances particulières. C'est l'analyse de la littérature scientifique qui va permettre d'établir cela. Sauf erreur de ma part, le sujet est attendu pour 2020 ; l'ANSES est en train de produire de nouvelles normes de dosage du chlordécone, notamment dans le plasma.

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J'aurais aimé que Mme la ministre nous apporte des précisions car elle a fait allusion au volet recherche dans le cadre du futur plan chlordécone, de même qu'un volet spécifique dans le cadre du Plan national Santé-Environnement dédié au chlordécone. De plus, vous disiez en préambule qu'il fallait simplifier les démarches et les procédures et vous aviez pris l'exemple des sargasses, dans le cas desquelles l'ANR s'est associée aux collectivités pour effectuer des appels d'offres cohérents et coordonnés. J'aurais aimé que vous puissiez nous préciser quel sera le lien, l'interactivité. Je n'ai pas encore très bien compris. Nous attendions beaucoup de votre audition, en sachant très bien que dans les territoires, aussi bien en Guadeloupe qu'en Martinique, il nous a été dit que le volet recherche avait été insuffisant et n'était pas la hauteur des enjeux par rapport à cette pollution depuis bien des années.

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C'est une vérité. Nous n'avons fait qu'entendre cela.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Probablement. De toute façon, tout ce qui est ressenti correspond à une forme de réalité. Simplifier les choses signifie arrêter d'avoir cinquante guichets avec chacun un petit financement qui ne sait pas ce que fait le guichet d'à côté et qui fait que finalement, on n'arrive pas à avoir une visibilité complète sur l'impact des actions de l'État. J'inclus d'ailleurs dans les guichets ce que font les régions et les collectivités territoriales, qui est extrêmement important mais très peu souvent partagé. On distingue l'État (y compris de par sa représentation territoriale), le ministère, les organismes de recherche nationaux, les universités au niveau local, les Régions et les collectivités. Toutes ces personnes abordent le même défi mais en ignorant ce que fait leur voisin et comment leur voisin l'aborde. Définir une stratégie nationale, mettre en place des outils de coordination ne veut pas dire compliquer, cela veut dire que pour les chercheurs, il faut que le point d'entrée soit simple.

Si je prends l'exemple de l'ANR, pour le moment l'ANR n'est pas la seule agence de financement de la recherche mais les points auxquels nous sommes en train de réfléchir, notamment dans le cadre de la future loi de programmation de la recherche, consistent à faire en sorte que, quelles que soient les sources de financement, l'ANR puisse être l'agence de financement nationale de la recherche, d'où que viennent les fonds, afin de parvenir à une vision et un pilotage centralisés. Une expérimentation est d'ailleurs en cours avec la région Normandie, qui a confié à l'ANR le portage de tous ses projets de financement de recherche. C'est une simplification énorme : les chercheurs et les laboratoires extérieurs n'ont pas à faire une veille permanente sur les dates d'ouverture et de fermeture de toutes les demandes de financement de toutes les structures potentiellement à même de financer la recherche.

Au niveau de l'État, cela nous permet de lancer ce que l'on appelle des ANR flash. Si on sent qu'il y a un verrou sur un projet qu'il faut vite faire avancer, on investit une somme d'argent sur une période très courte pour inciter les personnes impliquées à aller au bout de cette expérimentation. Vous parliez de microfluidique tout à l'heure : une ANR flash a eu lieu sur la microfluidique de façon à faire sauter les derniers verrous technologiques et à faire en sorte que la microfluidique puisse constituer un nouvel outil d'analyse rapide et fiable (pas uniquement du chlordécone mais de façon générale). Lorsqu'une agence et un opérateur s'associent, il est beaucoup plus facile d'agir directement. C'est ainsi que nous entendons simplifier les choses. Si des modifications législatives sont requises, la loi de programmation de la recherche, que j'aurais le plaisir de vous proposer probablement en début d'année 2020, sera elle aussi un bon véhicule.

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Je ne doute pas du tout de vos bonnes intentions mais, excusez-moi de vous le dire, je pense que vous noyez le poisson. Je ne vois pas en quoi ce que vous proposez va améliorer considérablement ce qui existe déjà. Vous allez, avec le GIA et le GOSS trouver des solutions de mise en cohérence. C'est un peu la question de la coordination interministérielle. Un comité interministériel de votre Gouvernement se réunit une ou deux fois par an pour traiter de la coordination globale du plan chlordécone. Comment voulez-vous piloter quelque chose de systématique d'une telle ampleur économique, sociale et humaine avec deux réunions ? Le préfet lui-même est en charge de la coordination locale. La mission d'un préfet implique énormément de travail. La coordination, la gouvernance locale sont en panne. D'ailleurs, pour votre information, nous sommes restés trois à quatre ans sans plan chlordécone, sans une seule réunion.

Je le dis clairement : nous considérons qu'inscrire le chlordécone dans une stratégie nationale est une bonne chose mais ma préoccupation porte sur l'établissement du chlordécone comme une question prioritaire stratégique à l'intérieur du Plan national.

Pour vous donner un chiffre, 1 583 nouveaux cas de cancers sont enregistrés chaque année en Martinique, dont 53 % sont des cancers de la prostate. Au départ, le Pr Multigner a déclaré qu'il y avait un lien très important entre le cancer de la prostate et le chlordécone, qui se situerait autour d'un pourcentage que je ne donnerai pas ici. Il ajoute que la récidive en termes de cancer est avérée.

Accouchements prématurés, malformations cognitives pour les enfants, endométriose… sachez, Madame la ministre, que nos terres agricoles sont actuellement touchées ou très touchées et que seulement 50 000 euros ont été consacrés à la recherche en matière de remédiation des sols au cours des cinquante dernières années alors que la recherche est au coeur de la dépollution. Priorité nationale est le terme que je souhaite. L'intégrer à la stratégie nationale est un minimum dont on ne peut se contenter. Je le regrette mais les paroles du Président Macron risquent de rester inappliquées si on ne va pas vers une vraie priorité nationale.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Je vais vous répondre sur l'idée que je noierais le poisson. Je vous crois tout à fait sincère dans l'objectif de cette commission et je pense qu'elle est extrêmement importante car elle nous permet de nous focaliser et de mieux travailler. Je vais vous dire ce que je crois très sincèrement.

On a, en permanence, deux façons de faire les choses. On a du déclaratif, on peut dire que c'est une grande stratégie nationale, etc. La stratégie nationale de la recherche, le livre blanc ont regroupé des centaines voire des milliers de pages, et une fois que cela a été fait, cela a été posé. Dans le deuxième cas, on peut chercher à faire les choses et à faire en sorte que les choses avancent. Certes, il n'y a peut-être que deux réunions par an ou peut-être même aucune réunion pendant quatre ou cinq ans sur le plan chlordécone, je l'ignore. Ce que je souhaite, et c'est ce que j'accompagne en permanence, c'est qu'il y ait des propositions de feuilles de route concrètes afin que des connaissances continuent à être produites de manière à associer tous les acteurs pour qu'à partir de ces connaissances, on extraie des solutions. C'est bien joli d'avoir des connaissances sur les étagères mais si on ne prévoit pas la coordination qui permet de proposer des solutions à partir de ces connaissances, on est dans le droit formel et non dans le droit réel.

La façon dont j'anime ce ministère et les différents acteurs de la recherche est toujours dans un souci d'efficacité. Ma conviction profonde est que cette efficacité viendra du fait que le pilotage soit simplifié, que des indicateurs nous permettent de continuer ce pilotage et qu'il soit partagé entre les différentes agences de financement, et que l'État et les Régions soient capables de travailler de manière coordonnée au service et au bien-être des populations avant à leur propre service et bien-être.

Certains sujets requièrent une véritable cohésion, tout le monde doit travailler dans le même sens. Je ne doute pas que c'est dans ce sens que cette commission a travaillé et apporté ses travaux mais je voulais vraiment conclure en vous disant que c'est un engagement véritable d'organiser au mieux ce qui relève de mon ministère et de ma compétence, c'est-à-dire non seulement une connaissance affinée de ce qui a été produit par la recherche, une capacité de financer les lieux où on a encore besoin de financer cette recherche parce qu'on a des trous dans les connaissances, et surtout une façon d'organiser cela avec l'ensemble des acteurs pour produire des solutions concrètes.

Il ne sert à rien de continuer à vouloir planter la canne à sucre pour extraire le chlordécone des sols alors que les premières études montrent que la canne à sucre ne sera pas le bon vecteur. Il faut faire des choses aussi simples que cela : on teste, on regarde. La canne à sucre dépollue-t-elle ? Si elle ne dépollue pas, on arrête, on ne continue pas à financer pour voir si elle dépolluera dans quinze ans, on va trouver des solutions. Je prends cet exemple mais je pourrais en prendre beaucoup d'autres. C'est très important et je suis sûre que nous le ferons ensemble.

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Très bien.

J'y reviendrai jusqu'à la fin et je répéterai les mêmes choses. Si on met tout bout à bout, je trouve que vous avez de bonnes intentions. Je suis mieux placé que vous. Vous êtes présente, vous gérez le problème avec conscience, avec honnêteté, je le sens, mais je vis dans le chlordécone depuis quelques décennies.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Et moi, je vis dans la recherche depuis quelques décennies.

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D'accord, mais la recherche que vous vivez et que je respecte est très différente du chlordécone que j'ai dans le sang, qui est extrêmement plus angoissant, chère Madame.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Absolument, vous avez raison. C'est aussi pour cela que nous devons trouver des solutions.

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C'est de ce fait que je pense que les ministres passent et les problèmes restent.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

C'est dommage.

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Voulez-vous l'inverse ? Voulez-vous rester éternellement ?

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Non, c'est dommage que les problèmes restent.

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Oui, c'est dommage. Depuis le premier plan chlordécone en 2008, on a abordé cette question avec beaucoup de conviction. Vous allez passer, je passerai, les autres passeront. 700 ans se seront écoulés pour qu'on règle ce problème de manière naturelle. Vous imaginez que nous aimerions bien accélérer la remédiation. Il y a une réelle déperdition d'énergie en matière de recherche, c'est pour cela que je parle de la responsabilité de l'État. Je souhaite vraiment le démontrer en toute honnêteté, pas pour tricher ou pour convaincre que c'est la responsabilité de la République, que la continuité de la responsabilité d'État va conduire à des solutions exceptionnelles, notamment en matière de remédiation des sols.

L'objectif est de dépolluer et ce qui peut nous permettre de dépolluer, c'est la science et la recherche. Cette recherche est en panne aujourd'hui, mal coordonnée, sans moyens conséquents, sans moyens dédiés, sans stratégie transversale du social, de l'humain au technique, du scientifique au sol, à la pêche, à l'organisation de la société et, vous l'avez dit, aux sciences humaines accolées à la recherche. C'est pour cela que le fait que l'État, la République déclare l'enjeu chlordécone comme un enjeu national, une priorité nationale me semble le minimum à faire pour respecter ces populations. Je ne demande pas plus, faites ce que vous voulez ensuite, mais cela vous appartient. Vous êtes mieux placée.

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Madame la ministre, vous avez dit que la pollution au chlordécone dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique était « incontestablement une priorité pour le Gouvernement ». Je vous ai posé la question sur la simplification des démarches et des procédures. Vous m'avez répondu en disant qu'il faut le faire, il faut aller de l'avant pour, pas à pas, trouver des voies et moyens pour travailler non seulement dans le cadre des perturbateurs endocriniens mais aussi pour lutter contre les pesticides et voir si on peut aller vers une décontamination, une dépollution, mais qu'il faut aussi travailler ensemble et que l'État et les collectivités puissent s'engager main dans la main.

Lors des auditions sur le territoire et même au mois de juin et juillet, la question abordée est celle de la confiance. C'est la raison pour laquelle cette audition est très importante. Aujourd'hui, au travers des investigations et des auditions que nous avons menées sur le territoire, un problème de confiance se pose vis-à-vis des politiques publiques de recherche menées depuis quelque temps.

Ma question est donc la suivante : dans le cadre du volet recherche du futur plan chlordécone IV, que prévoyez-vous réellement ?

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Je vais essayer de décomposer votre question.

Concernant la confiance dans les territoires, je ne comprends pas quelle est la question potentiellement puisque nous avons des équipes de recherches qui travaillent sur le chlordécone en Martinique et en Guadeloupe bien sûr, mais aussi, et fort heureusement, partout en France. Considérer qu'on ne fait de la recherche sur un sujet que dans les lieux où la question se pose n'a pas de sens. Heureusement que nous sommes en capacité de coopérer de façon internationale et déjà entre les équipes de recherche nationales. Dans le monde de la recherche, la question de confiance ne se pose pas.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

La confiance des populations dans le monde de la recherche est malheureusement mon cheval de bataille depuis maintenant deux ans et demi. Il suffit que quelqu'un déclame quelque chose pour que cela devienne la vérité (c'est le drame des réseaux sociaux) alors que pendant ce temps, depuis des dizaines, parfois des centaines d'années, des scientifiques produisent de la connaissance, et parce que cette connaissance doit être expliquée et accompagnée et qu'elle est un peu plus difficile à comprendre, qu'elle ne se résume pas en des slogans qui claquent, elle est beaucoup moins écoutée que le sentiment de quelqu'un, le témoignage de quelqu'un qui vaut généralité. Cela n'a rien de spécifique à la Martinique ou à la Guadeloupe, c'est un problème mondial, lié à mon sens au fait que des informations erronées sont capables de se diffuser via les réseaux sociaux 16 fois plus vite (cela a fait l'objet d'études scientifiques) que des informations vérifiées par des scientifiques. Cela vous donne une idée de l'ampleur de la difficulté en ce qui concerne la confiance.

Ce que nous avons proposé, et qui a été validé avec Annick Girardin sur la question de la recherche dans les territoires ultramarins, est de faire ce que ces territoires, parce qu'ils vont porter des plates-formes d'innovation et de recherche, puissent être des territoires sur lesquels vont converger les meilleurs chercheurs, quelle que soit leur nationalité, pour venir sur le terrain afin de comprendre la complexité des questions posées. Pour reprendre un exemple qui m'est plus personnel, travailler sur un gène isolé dans son laboratoire est une chose, échanger avec les familles d'enfants atteints de pathologies liées à ce gène. L'objectif est non seulement d'être capable de disposer de ces plates-formes de recherche qui accueillent des scientifiques du monde entier mais aussi de faire en sorte que les solutions en termes d'innovation et les solutions technologiques soient produites et développées sur place ; en effet, autant on peut faire de la recherche dans n'importe quel laboratoire du monde sur n'importe quel sujet, autant pour ce qui concerne le transfert de cette recherche, la levée des verrous technologiques, l'innovation et l'implantation des innovations, il est important d'être sur les territoires.

Nous avons proposé la mise en place de plates-formes dédiées de recherche et d'innovation sur tous les territoires ultramarins en fonction des questions spécifiques à ces territoires. Seront pris en compte le sujet du chlordécone comme celui des sargasses, comme les questions de vulcanologie à Mayotte, comme les questions d'énergie tellurique à la Réunion… Nous sommes en train de définir les signatures et la manière de développer ces plates-formes de recherche et d'innovation qui seront elles aussi financées. C'est mieux de faire des choses concrètes.

Les discussions étant en cours, il est difficile de vous annoncer ce qui sera prévu dans les différents plans. Or vous l'avez évoqué, M. le Président, et c'est exactement ce que je dis depuis le début de cette audition : il est prévu que nous arrêtions d'aborder ce défi complexe discipline par discipline pour l'aborder de manière transdisciplinaire, ce qui est absolument essentiel. Partout où il manque des financements, nous devons veiller à ce qu'ils puissent être mobilisés et efficaces par rapport aux questions posées. En outre, nous devons travailler une question qui a assez peu été abordée, soit la question du transfert : une fois que l'on imagine, si on reste sur la question de la remédiation, que telle ou telle plante est éventuellement en capacité soit de fixer soit d'extraire des sols, il faut tester expérimentalement, vérifier.

Comment met-on en place ce transfert depuis une connaissance qui reste théorique et conceptuelle sur la preuve par l'effet afin que cela fonctionne ? Je suis en train de porter tout cela, notamment au travers de ces plates-formes de recherche et d'innovation ultramarines, avec la collaboration des acteurs locaux ou l'ensemble des laboratoires de la Guadeloupe et de Martinique. C'est ainsi que nous devons procéder, en proposant des choses extrêmement concrètes et les moyens qui vont avec. Cette méthodologie fonctionne et nous le savons. Si nous voulons trouver des solutions, il faut être capable de passer du concept de la théorie à l'application. Dans le domaine de la recherche, cela signifie qu'il faut expérimenter des choses sur le terrain, regarder les questions de dépollution, etc. Ma collègue de la Santé vous parlera probablement de l'importance de continuer les observations, les cohortes, etc.

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Madame la ministre, pour être tout à fait honnête, je trouve assez choquant qu'à deux reprises dans vos réponses, vous parliez des fake news. Je pense que vous serez d'accord avec nous : nous parlons du chlordécone, qui a été reconnu comme cancérogène probable dès 1979 par le Centre international de recherche sur le cancer, de populations qui ont été empoisonnées pendant trente ans en ignorant tout ce qui allait leur arriver, avec comme résultat, les Antilles qui détiennent le triste record du plus fort taux de cancer de la prostate au monde. Je pense qu'il est assez malvenu de parler de fake news alors que justement le Président de la République a reconnu qu'il y avait une responsabilité de l'État et qu'on était dans un modèle où on avait privilégié l'économie au détriment de la santé, des populations et de l'avenir des générations futures. Cela m'interpelle, notamment parce que justement, les scientifiques disent parfois des choses qui ne sont pas simplement mal interprétées. C'est vraiment malvenu de parler des fake news de manière aussi forte alors que nous sommes en train de parler de populations qui exigent de savoir. Vous aurez probablement vu les mouvements d'associations et de citoyens qui refusent de payer leurs factures d'eau tant qu'ils ne savent pas ce qui va se passer sur la dépollution des cours d'eau, on parle de poissons contaminés, de tous les aliments contaminés ou presque. On ne peut pas se limiter à dire cela. Hormis l'interdiction par les États-Unis en 1976, des paroles fortes de scientifiques ont fait que, déjà à l'époque, les responsables savaient.

La demande ne porte pas que sur la vérité sur ce qui s'est passé afin que cela ne recommence plus jamais. M. le Président a énormément insisté là-dessus : ce n'est pas qu'une question de confiance de la population, la population estime avoir été trahie, et à raison. La question désormais est celle-ci : quel acte l'État pose-t-il pour rétablir cette confiance ?

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Madame la députée, je suis vraiment désolée mais nous sommes dans l'exemple parfait de la simplification à outrance. Je n'ai en aucun cas dit qu'on parlait de fake news lorsqu'on parlait du drame du chlordécone, je n'ai jamais dit cela. J'ai répondu à une question très simple : la population a-t-elle confiance aujourd'hui dans la recherche ? C'est uniquement à cette question que j'ai répondu.

Le problème est cette simplification massive. Vous dites que les gens sont extrêmement inquiets sur les questions de l'alimentation ; reprenons la littérature scientifique. On sait que certains types de végétaux cumulent le chlordécone et notamment tous les légumes racines, tandis que d'autres ne les accumulent pas, comme par exemple la banane. Je vous dis cela de mémoire mais c'est scientifique : on a évalué le taux d'accumulation ou son absence dans certains végétaux.

Plutôt que de dire que c'est terrible, que toute l'alimentation est polluée – c'est exactement ce que je disais tout à l'heure –, à force de crier au loup, on décrédibilise tout le reste. Si en tant que parlementaire, vous affirmez aujourd'hui que toute la nourriture est polluée aux Antilles et que je prends une banane, j'en fais l'analyse, et que la banane n'a pas accumulé le chlordécone, je pourrais, dans un réflexe de simplification, dire que rien n'est pollué aux Antilles. Or la réalité est que ni que tout est pollué, ni que rien est pollué. Nous devons être capables de donner des vraies informations aux gens de manière à ce qu'ils ne s'empoisonnent plus, voilà la réalité.

C'est une démarche scientifique et, de ce point de vue, il faut rester extrêmement précis. Je ne qualifie en aucun cas ce qui s'est passé avec le chlordécone de fake news.

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Je tiens à dire que c'est grâce à des militants écologistes en 1974 qui, dans leur plate-forme de revendication à Chalvet au nord de la Martinique, ont indiqué comme quatorzième ou quinzième point l'arrêt de l'usage du chlordécone. Ce sont des prédécesseurs de l'Assaupamar, une association très connue qui a tiré la sonnette d'alarme sur le risque de dangerosité. La place et le rôle des militants, syndicalistes ou autres, doivent être respectés car ce sont des lanceurs d'alerte qui nous permettent de modifier les choses.

Madame la ministre, je reviens sur une question. Vous semblez nous laisser croire que nous pourrions mettre en doute le caractère pluridisciplinaire de la problématique, la profondeur de l'apport de la recherche et la cohérence scientifique accumulée dans un domaine tel que celui-là. Ce n'est pas le cas, il n'y a pas de problème entre nous. La seule différence, c'est que ce sujet me préoccupe depuis 48 ans, tandis qu'il vous préoccupe depuis peut-être deux ans. Entre 48 ans et deux ans, il y a un monde de différence. Je vous répète que ce que vous avez dit est un cautère sur une jambe de bois. Vous allez restaurer la mise en cohérence de la recherche par une solution de rapprochement par exemple du GOSS et du GIA. Vous recherchez la cohérence en matière de financement, de nature de la recherche, etc. Tant mieux mais honnêtement, cela ne va pas régler le problème. Il faut aller dans ce sens mais nous considérons que si nous voulons régler un problème aussi grave, aussi complexe, aussi difficile, allant de l'humain au foncier, du foncier au sous-sol, du sous-sol aux eaux souterraines, des eaux souterraines à la vie de chacun, etc. nous devons connaître la vérité. Par exemple, pour quelle raison les Martiniquais n'auraient-ils pas le droit de savoir exactement quelles sont les terres polluées et à quel niveau ? Cela demande de la recherche, cela demande de l'analyse. Quels laboratoires font les analyses ? Il n'existe aucun laboratoire équipé, structuré et organisé à l'exception du laboratoire départemental de la Martinique, qui a pu obtenir quelques moyens pour être à même d'analyser sur place. Une jeune femme, Sarra Gaspard, qui travaille à l'Université des Antilles, cherche des financements depuis quinze ans pour faire évoluer la remédiation naturelle du sol. Elle attend année après année. Pensez-vous que le pêcheur attend, que l'agriculteur attend ?

Je ne suis pas venu vous faire la guerre mais vous sensibiliser. Nous avons auditionné l'Agence nationale de la recherche et nous avons bien compris que si le Président de la République, comme pour le glyphosate, a décidé d'avoir un délégué interministériel qui coordonne l'ensemble matin, midi et soir, la coordination nationale sur le chlordécone représentera deux réunions de 10 minutes par an. Je suis bien informé. Nous devons changer de braquet. Je ne plaisante pas, c'est une souffrance. Notre demande est claire : pourriez-vous accepter que la question de la priorité stratégique du chlordécone pour 800 000 personnes devienne une réalité ? Si vous ne l'acceptez pas, c'est votre problème mais au moins le monde le saura. Le chlordécone devrait être déclaré enjeu d'intérêt national. Si nous n'obtenons pas ce minimum, cela n'a plus de sens.

Ce débat est l'affaire de tous. Nous devons rendre un rapport. Pour l'instant, la ministre ne répond pas à ma demande : priorité stratégique nationale, oui ou non ?

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Si je ne partage pas complètement le ton de notre président, je partage certaines de ses inquiétudes, notamment car nous savons très bien que dans notre pays, nous avons souvent un problème avec la transversalité et la transdisciplinarité. On sent bien, au fil des auditions que des moyens existent, pas nécessairement très compliqués, qui permettraient aux dispositifs de gagner en efficacité et à l'ensemble des services de l'État impliqués de travailler ensemble pour dégager des solutions. Depuis deux ans, on constate un progrès extrêmement sensible dans la prise en compte de la problématique (le Président de la République s'est déjà exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet). On essaie de dégager rapidement des solutions et de tout mettre en oeuvre pour que ce soit fait. Comment organise-t-on aujourd'hui cette interministérialité, qui est souvent le talon d'Achille de nos dispositifs de politiques publiques et qui permettrait à la fois de rassurer et d'apporter une meilleure visibilité sur ce qui est fait pour nos concitoyens des Antilles ?

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Mon cher collègue, mon ton est le ton d'un homme blessé. 800 000 blessés pourraient s'exprimer ainsi en Martinique et en Guadeloupe. C'est le ton d'un homme qui a fait confiance à la République et qui considère que ce n'est pas en traitant la question du chlordécone de manière identique, en l'intégrant dans une stratégie nationale où nous ne retrouverons pas du tout qu'on va régler le problème. Il faut absolument dédier des formes d'action spécifique sur les territoires en souffrance.

Aujourd'hui, nous sommes en train de devenir les plus gros importateurs d'aliments au monde. Comme cela a été dit, on considère que toute notre production est polluée ; il pourrait même y avoir des conséquences sur le tourisme. Je considère qu'après 48 ans, il n'est pas normal d'en être au stade de traitement de la question de la recherche, qui est au coeur du problème, par des coordinations de circonstance. Le Martiniquais ou le Guadeloupéen qui l'accepte, ce n'est pas normal. Je fais partie de ceux qui refusent cela.

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Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation

Je comprends tout à fait que vous viviez ce sujet dans votre chair. Je n'ai aucun problème, je le prends au contraire comme une implication personnelle supplémentaire.

Pour répondre à votre question simplement, d'abord, déclarer une priorité nationale ou non se décline très souvent par l'existence d'un plan. Nous en sommes au quatrième Plan Chlordécone et ma conclusion de ce que j'ai pu observer des plans précédents et des différents rapports que nous allons avoir est que ces plans, qui ont pourtant été affichés comme plans de priorité, ont peut-être failli dans la façon dont on associait l'ensemble des disciplines et des sciences (je parle de mon domaine) à la problématique du chlordécone.

D'une part, un pilotage va être renforcé pour permettre à l'ensemble des sciences, y compris les sciences humaines et sociales, de travailler ensemble, parler et discuter de façon à ce que la connaissance continue à être produite, discipline par discipline, mais aussi que l'interdisciplinarité permette de faire émerger des solutions. C'est souvent ce qui manque : comment aller plus loin que l'identification du problème, de la théorie ? En général, le monde de la recherche s'arrête une fois la connaissance produite, pour que le meilleur usage possible en soit fait.

C'est très important que le monde de la recherche accompagne. L'interministérialité se traduit de différentes façons, d'abord par le fait que, outre le ministère des Outre-mer, chacun de nos ministères dans chacune des politiques publiques doit intégrer le volet Outre-mer (les territoires ultramarins ont leurs spécificités). Avec Annick Girardin, nous avons travaillé aussi ces questions.

En outre, une de mes propositions était que le Plan national Santé-Environnement totalement interministériel qui va être proposé, parallèlement au plan chlordécone spécifique, intègre un volet spécifiquement dédié au chlordécone, ce qui est ma façon de porter la priorité de ce sujet dans le domaine de la recherche et de l'innovation.

La réunion s'achève à quinze heures dix.

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Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 14 octobre à 13 heures 35

Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Justine Benin, M. Raphaël Gérard, M. Serge Letchimy, Mme Mathilde Panot, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Guillaume Vuilletet

Excusé. – Mme Véronique Louwagie