La réunion

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Mardi 15 octobre 2019

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq.

Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.

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Bienvenue aux élus qui participent très activement aux travaux de cette commission. Nous allons entendre Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Chère Annick Girardin, je vous souhaite la bienvenue.

Je voudrais rappeler que les membres de la commission ont décidé de rendre publiques les auditions. Ces auditions sont donc enregistrées, filmées, et retransmises en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale. Je dois dire que c'est très suivi, d'après les retours.

Je rappelle que l'article six de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité. Je vous invite donc, madame la ministre, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

Mme Annick Girardin prête serment.

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Je suis amené aussi à faire jurer les membres présents qui peuvent, s'ils le souhaitent, prendre la parole. Madame Gaëlle Nerbard, monsieur Emmanuel Berthier, monsieur Arnaud Martrenchar et madame Sandra-Elise Reviriego, veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »

Mme Gaëlle Nerbard, M. Emmanuel Berthier, M. Arnaud Martrenchar et Mme Sandra-Elise Reviriego prêtent successivement serment.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Vous avez auditionné hier mes collègues Frédérique Vidal et Agnès Buzyn, qui sont des scientifiques de formation et de renom. Elles ont pu, à cette occasion, répondre à vos questions de façon précise et détaillée dans leurs champs respectifs. Pour ma part, vous le savez, je suis une femme de terrain, une politique qui est députée depuis 2007 et, je l'avoue, j'ignorais presque la question du chlordécone jusqu'à mon arrivée à l'Assemblée nationale. Mais très vite, j'ai pris la mesure du sujet au contact des parlementaires ultramarins, et notamment ceux qui venaient de Martinique et de Guadeloupe. J'ai saisi qu'il y avait là une incompréhension, une défiance à l'égard de l'État et de l'ensemble des gouvernements successifs. Je crois même que l'on peut parler de suspicion – le mot est important – de dissimulation d'information. Ce qui est clair, c'est qu'il y avait une perte de confiance totale. C'est à mon arrivée au ministère des outre-mer et au gré de vos interpellations, courriers d'associations, de particuliers également, en allant sur place en Martinique, en Guadeloupe, au contact des populations antillaises, que j'ai compris la gravité de l'impact du chlordécone au niveau sociétal dans les Antilles françaises. J'ai dit « sociétal », car au-delà des données scientifiques qui sont exposées, c'est bien le ressenti et certainement le manque d'information de nos concitoyens qui est au coeur du sujet. Comment ne pas réagir quand on entend des mots comme « empoisonnement collectif » ? Comment répondre à ce besoin plus que légitime de comprendre et d'être rassuré ? Ce qu'ont exprimé les Martiniquaises, les Martiniquais, les Guadeloupéennes et les Guadeloupéens.

Je veux bien sûr ici saluer la création de cette commission qui doit permettre de faire la lumière sur ce passé et de proposer, c'est ce qui m'intéresse, des solutions pour l'avenir à la hauteur du drame vécu par les Antilles. Plus largement, le deuxième, le troisième, et le quatrième plan chlordécone que nous allons travailler ensemble doit répondre au souci de transparence et à l'obligation que nous avons tous aujourd'hui, État et Gouvernement, devant les populations, d'être à ce rendez-vous.

Je crois qu'il faut que nous changions nos méthodes, que nous renforcions la communication. Les plans déployés par l'État ont été insuffisamment expliqués et je l'ai dit dès mon arrivée au ministère, il y a des actions, des mesures, des plans, mais force est de constater que nous, État, avons encore des efforts à faire sur l'information, sur la communication des populations. Au-delà aussi, nous avons des efforts à faire dans nos actions, dans la sécurité alimentaire, qui pose d'ailleurs la question de la mutation du système de production agricole et de pêche, et je sais que demain, mon collègue ministre de l'agriculture et de la pêche sera devant vous. C'est dans ces circonstances que j'ai souhaité réunir au ministère des outre-mer la ministre de la Santé, puisque nos directions respectives copilotaient le plan chlordécone avec le ministère de l'Agriculture en mars 2018, en présence de l'ensemble des parlementaires – certains sont ici – et présidents d'exécutif de Guadeloupe et de Martinique. Je tiens encore à remercier l'ensemble des participants à cette réunion parce qu'elle était inédite. C'est la première fois, au vu des données que nous avions en arrivant, qu'avec la ministre de la Santé, nous avons décidé d'animer nous-mêmes ce type de rencontres avec les élus, d'animer nous-mêmes les rendez-vous bilan du plan chlordécone III, mais aussi la future préparation du plan chlordécone IV. Je veux ici dire que ce n'était pas une habitude, que les ministres prennent directement en main ces dossiers, mais cela a été pour nous une évidence. Très vite d'ailleurs, Frédérique Vidal, son cabinet, et celui de Nicolas Hulot nous ont rejoints pour préparer la feuille de route 2019-2020 que le Président de la République avait annoncée. Bien sûr, nous l'avons fait avec Jérôme Salomon, le directeur général de la santé (DGS), et avec Emmanuel Berthier, le directeur général des outre-mer (DGOM), qui copilotent ce dispositif. Les rendez-vous à ce moment-là ont été largement médiatisés parce que des ministres étaient à la barre, parce que des parlementaires étaient en face pour faire en sorte que nous arrivions à trouver des solutions ensemble aux inquiétudes qui étaient posées. Je reste persuadée que cette transformation, cette manière de travailler différemment, cette volonté de travailler tous ensemble, ont fait que ce sujet a largement été remis sur le haut des priorités du gouvernement. Cela a été confirmé aussi par, en parallèle, les propos du Président de la République qui ont été clairs au sujet du chlordécone. Il était aux Antilles. Il a déclaré : « la pollution au chlordécone est un scandale environnemental. La responsabilité en est collective. L'État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution. » C'est la première fois qu'un président s'exprime sur le chlordécone de cette manière sur les territoires concernés et reconnaît sa part de responsabilité. Cette responsabilité partagée nous oblige à l'action, à une action collective et coordonnée entre l'État, les collectivités territoriales notamment, mais ce sont aussi des actions que nous devons mener avec les populations.

Vous savez, ma manière de faire, c'est la co-construction. Cette co-construction, nous devons la faire avec celles et ceux qui sont directement concernés. C'est certainement à l'échelon local que nous avons péché en n'intégrant pas assez dans nos réflexions les maires, par exemple, qui sont au plus proche des populations, et les populations elles-mêmes. Je crois que c'est tout le sens du travail de transparence que nous avons voulu mettre en place depuis maintenant de nombreux mois. C'est le sens aussi du travail au plus proche du terrain avec les COPIL (comités de pilotage locaux). Il faudra que nous arrivions à redynamiser le travail dans ces réunions de terrain parce que nous pouvons constater aujourd'hui qu'il n'y a pas assez de participation locale, sans doute parce que c'est nouveau, sans doute parce que personne n'en a encore pris l'habitude.

Avec mes collègues ministres, nous sommes engagés collectivement au nom du Gouvernement aux côtés des Antillais et des Antillaises sur la question de la pollution au chlordécone.

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Ma première question porte sur cette pollution ô combien désastreuse pour nos populations de Guadeloupe et de Martinique. Vous avez certes commencé à répondre, mais vous allez quand même préciser certains points. Votre ministère est chargé de coordonner la politique de l'État en outre-mer. Pourquoi n'êtes-vous pas aujourd'hui le ministre coordinateur du plan chlordécone ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Peut-être un peu d'histoire avant de répondre à votre première question. Tout d'abord, on peut le reconnaître, la prise de conscience des pouvoirs publics sur la pollution au chlordécone a été tardive. À la suite des études faisant état d'une possibilité de contamination de l'environnement, une mission interministérielle était envoyée en 1998. Cette mission concluait à la nécessité d'identifier les analyses pour mesurer la réalité de la contamination sur le terrain. S'en est suivi un plan de surveillance global des résidus des pesticides. Un plan global interministériel d'évaluation et de gestion des risques liés au chlordécone a été décidé et élaboré en 2003 seulement par le ministre de l'Agriculture, à l'époque, Hervé Gaymard. Il s'est poursuivi jusqu'en 2008, date de la mise en place des premiers plans chlordécone.

Les deux premiers plans nationaux chlordécone, 2008-2010 et 2011-2013, étaient pilotés par le DGS. Les aspects prioritaires de protection de la santé des populations justifiaient sans doute ce choix. En octobre 2007, le Premier ministre a en effet confié au professeur Didier Houssin, DGS à l'époque, la coordination nationale du plan. À l'issue du plan II, 2011-2013, compte tenu des aspects cette fois-ci interministériels, puisque c'est là que le plan s'étend, allant au-delà du champ de la santé puisque cela touche l'environnement, la recherche, l'accompagnement des professionnels, le Premier ministre a décidé – nous étions en janvier 2014 – de confier le copilotage du plan II, 2014-2020, au DGS, qui poursuit sa mission, mais également de le faire avec le DGOM. C'est sous leurs présidences respectives que sont aujourd'hui organisés les copilotages nationaux. Le copilotage DGOM-DGS se justifie par les aspects interministériels, tout en mettant en avant l'aspect prioritaire – je crois qu'il faut le garder – de la protection des populations. Au plan local, nous avons remis en place les COPIL depuis 2018. Cela faisait quatre ans qu'ils ne s'étaient pas réunis dans les territoires.

Les efforts fournis par le préfet de la Martinique d'un côté, et par la Secrétaire générale de la Guadeloupe de l'autre, sont conséquents. Je tiens ici à les saluer et à les remercier pour leur travail, comme je le fais d'ailleurs pour les deux directions qui copilotent cet exercice. En même temps, je me demande s'il est pertinent de garder ce modèle sur la durée. Pourquoi ? Parce qu'un préfet, parce qu'un Secrétaire général en préfecture a d'autres priorités également. Je peux sans doute en témoigner en tant que ministre des outre-mer, puisque je suis responsable en grande partie des missions toujours plus importantes qui leur sont confiées. Je suis obligée aussi de reconnaître que nous ne pouvons pas tout faire, surtout si nous voulons bien le faire. Je suis encore en même temps partagée pour être très honnête. Monsieur le président, vous avez émis l'idée hier à Mme Agnès Buzyn de mettre en place un référent unique – pourquoi pas un délégué interministériel – avec notamment des coordinateurs locaux. Je crois que le travail qui nous attend le nécessitera. Si j'ai estimé en mars 2018 que je devais prendre l'initiative, avec ma collègue Agnès Buzyn, d'une réunion interministérielle pour répondre aux fortes inquiétudes produites par le rapport de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), rappelez-vous, en décembre 2017 sur les seuils de LMR, de limites maximales de résidus, je pense aujourd'hui que le plan IV que nous allons tous mettre en place nécessitera un investissement intense et dédié sur le sujet. Les attentes sont tellement grandes chez nos populations. Le travail va tellement devoir être fourni qu'il faudra être à la hauteur de la tâche et sans doute fonctionner autrement.

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Madame la Ministre, vous avez employé des mots qui ont de l'importance. Vous parlez de responsabilité d'État, mais vous avez pris la précaution de rajouter « partagée », et le Président de la République avait parlé de responsabilité collective. Lorsqu'on parle de responsabilité collective, cela voudrait dire que l'on implique tout le monde, y compris l'État, les importateurs, car c'est un produit qui a été importé, ceux qui ont donné l'autorisation, ceux qui ont importé, ceux qui ont pollué, parce qu'il a été découvert tout à l'heure que des importateurs se sont transformés en producteurs en Martinique, sur le sol français, produisant en France, et les autorisations successives qui ont été données, y compris d'utilisation pour les planteurs. Quand nous disons collective, je souhaite que nous soyons clairs. Le peuple qui a subi la pollution ne peut pas être intégré comme responsable de la pollution. Je pense que nous sommes d'accord. Merci, parce qu'il pouvait y avoir une mauvaise interprétation.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Vous avez raison, monsieur le président, il faut à chaque fois que nous précisions que « responsabilité collective » veut dire ceux qui étaient ou qui avaient un minimum d'information, et certainement pas une population insuffisamment informée à l'époque.

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La responsabilité collective ne veut pas dire grand-chose. Cela veut dire tout le monde, donc personne. C'est pour cela que je préfère que l'on cible.

La deuxième observation, c'est que quand nous avons mis sur pied la commission d'enquête, il y avait des suspicions sur ce que nous allions chercher, mais les ministres – dont vous – ont été totalement d'accord sur le fait que cette commission d'enquête était là pour chercher des preuves. Ce n'est pas pour faire une littérature, c'est une enquête que nous faisons. Qu'avons-nous trouvé ? Nous avons suffisamment d'éléments pour dire que la responsabilité de l'État ne doit pas être seulement reconnue, mais est engagée. Pour quelle raison j'emploie cette expression ? C'est parce que l'État savait en 1969 que le chlordécone est extrêmement dangereux. Nous vous en apporterons la preuve. Je pense qu'il y a une démonstration extrêmement claire. En 1969, la commission d'étude de la toxicité déclare la chose suivante en refusant l'autorisation d'homologation demandée par, à ce moment-là, la SOPHA en 1968, et la société d'exploitation de produits pour les industries chimiques (SEPPIC) en 1969 : « On pose ici le problème de l'introduction d'un nouvel organochloré toxique et persistant ». À partir de cela, on peut se poser la question : comment un système dérogatoire a-t-il pu être utilisé au moins à cinq reprises entre 1972 et 1981 pour pouvoir autoriser ce produit ? Je ne prends que cet exemple, j'aurais pu en prendre d'autres.

J'en prends un second. Comment, après l'incident d'Hopewell en 1975, avec la fermeture de toute production américaine entre 1975 et 1977, avons-nous pu donner une autorisation de vente encore provisoire en 1981, avec une homologation en 1986 ? Comment sommes-nous arrivés en 1972 à donner cette première autorisation ? Simplement parce qu'en 1971, nous avons déclassifié le chlordécone en passant de catégorie A à catégorie C. Cette manipulation a eu lieu exactement quelques mois avant l'autorisation. Nous vous avons donné quelques billes, quelques éléments. Nous en avons davantage. Je voudrais remercier M. Didier Guillaume, qui a tout fait pour que nous ayons tous les éléments. Nous avons toutes les pièces. C'est pour cela que je souhaite que l'on précise. La responsabilité de l'État, madame la ministre, est engagée. Je souhaite que vous répondiez par oui ou par non. La responsabilité de l'État est-elle engagée sur tout le volet autorisation ? Je ne viens même pas sur la question de la prolongation. Nous pourrons en parler.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Monsieur le président, madame la rapporteure, vous avez fait référence à un certain nombre de dates, de décisions, de choix, qui ont été faits, et je crois que vous avez un certain nombre de données. Je l'ai dit dans mon propos introductif, une part de la responsabilité de l'État a déjà été reconnue par le Président de la République en septembre 2018 en Martinique. L'objectif de votre commission d'enquête est d'éclairer les responsabilités de chacun. La responsabilité de l'État est certaine. Je crois que nous pouvons tous ici en convenir, au-delà des éléments que vous avez que je ne connais pas aujourd'hui. Quand on parle de responsabilité collective, c'est la responsabilité de l'État « aux côtés de » ; aux côtés de fabricants de pesticides, aux côtés de ceux qui les ont importés, aux côtés des exploitants agricoles, aux côtés des socioprofessionnels de l'époque, comme d'ailleurs des élus des territoires qui ont été touchés. Ma conviction est que vos travaux, vos investigations, et les auditions nombreuses que vous avez conduites, à Paris comme en Martinique et en Guadeloupe, vous amèneront à identifier les responsabilités et, par là même, à faire qu'il y aura une manifestation de la vérité peut-être enfin, parce que les populations en ont besoin pour être apaisées, pour sans doute aussi être moins en colère, et c'est légitime que nos concitoyens le soient. Ils se sont sentis oubliés. Ils se sont sentis trahis par un État dont la première fonction est de protéger ses populations.

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La responsabilité de l'État est donc reconnue et engagée.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

La responsabilité de l'État est aujourd'hui reconnue et engagée.

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Merci, madame, de votre franchise et de la clarté de vos propos, mais ce n'est vraiment pas vous qui êtes en cause puisque le dossier dure depuis de très nombreuses années. En tant que parlementaire et membre de cette commission d'enquête, nous allons de découverte en découverte et nous nous apercevons qu'il y a eu – c'est le sentiment que j'en ai – une omerta sur ce dossier. Des décisions ont été prises. Personne ne les assume. On a empoisonné ou mis en danger la santé des gens. Il va falloir qu'il y ait cette commission pour que nous découvrions la vérité. C'est cela qui me gêne le plus, c'est que nous ne sommes pas capables dans ce pays, quand une faute a été commise – je répète que l'on met la vie des gens en danger, la santé des gens en danger – d'arrêter, d'essayer d'assumer, de reconnaître les responsabilités et de réparer si on peut, y compris de sauver la vie des gens en dépolluant, etc. Je découvre de plus en plus ce dossier que je pensais connaître un peu, mais c'est très révélateur des dysfonctionnements majeurs de notre pays à tous les niveaux. Il faudra que nous connaissions la vérité, mais peut-être après aussi, que nous tirions les conséquences de tels dysfonctionnements pour que plus jamais cela n'arrive. C'est une chaîne de dysfonctionnements terribles que nous constatons à chaque audition.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Je ne parlerai pas du passé, je n'étais pas là. La ministre des outre-mer ou le ministère des outre-mer a bien sûr copiloté les plans, mais sur les périodes antérieures, n'était pas en première ligne. Ce que je sais, c'est que depuis que je suis là, ce dossier a été pris en main par les ministres eux-mêmes, que la transparence est une règle pour moi, que sur ce sujet comme sur les autres, ce n'est pas toujours évident de lever le couvercle de la casserole qui bout parce que nous savons bien ce que cela veut dire, sauf qu'il faut savoir l'assumer. C'est ma manière de fonctionner.

Ensuite, dans les solutions, il faut coproduire, parce que sinon, comme nous l'avons trop souvent fait sur le premier, et le deuxième, et le troisième plan, cela se prépare en chambre, en dehors des territoires, en dehors des personnes concernées, en dehors des acteurs. Je ne suis pas sûre que nous avons toujours été extrêmement pertinents dans les réponses, mais il y avait la volonté de répondre ; le plan chlordécone I, le plan II, le plan III, que nous sommes en train d'évaluer, le plan IV aujourd'hui, que j'espère, nous allons préparer tous ensemble. Je crois honnêtement que cette commission d'enquête prendra aussi sa part dans les solutions proposées qui viendront éclairer le politique et qui permettront de faire un plan IV plus complet et à la hauteur de ce drame qui a touché les Antilles.

Je crois honnêtement aussi qu'il ne faut pas s'arrêter là et, vous avez raison, changeons de méthode. Quand je propose aux territoires d'outre-mer de faire une trajectoire 5.0 et de mettre dedans le zéro intrant polluant, c'est que plus jamais cela. C'est ma manière de faire. Je suis ministre des outre-mer. Je le propose aux outre-mer, et je suis heureuse de constater aujourd'hui que ce zéro intrant polluant, cette trajectoire 5.0, a été signée par toutes les collectivités d'outre-mer ou presque. Cela veut dire que chacun est conscient, aujourd'hui, que nous ne pouvons pas renouveler les erreurs, parce que nous, territoires d'outre-mer même si, effectivement, cela a touché la Martinique et la Guadeloupe, même si nous en étions loin, nous avons malgré tout eu ces informations et ensuite, nous avons pu découvrir les choses. Honnêtement, je crois aussi que si nous sommes réunis ici en commission d'enquête, c'est sans doute parce que ce couvercle a été largement soulevé par des ministres. C'est sans doute parce que les médias se sont intéressés au sujet. C'est aussi parce que bien sûr, les élus – parce que cela part des élus – ont réagi, et c'est pour cela que Président de la République parle de responsabilité collective, parce qu'avant nous, ici, il y a beaucoup de gens qui sont passés.

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Depuis votre arrivée concernant ce dossier en particulier, nous avons véritablement, il faut le reconnaître, vu cette synergie des différents ministères et cette façon de travailler qui pour moi est la bonne. Si la responsabilité d'État peut être effectivement engagée – au cours de cette commission d'enquête, nous avons des éléments véritables qui le prouvent – il faudra aussi réparer, il faudra aussi indemniser.

Mme la ministre Agnès Buzyn, dans le cadre de la discussion de l'année dernière sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), s'était engagée à créer un fonds d'indemnisation des victimes du pesticide, en disant cela allait aussi englober le chlordécone, puisque nous avions deux textes, un pour les pesticides en général, et un pour le chlordécone.

Concernant l'article 46 de ce PLFSS qui traite de cet engagement, avez-vous été associée aux travaux concernant cet article-là et à la rédaction du dispositif de fonds d'indemnisation ? Comme on pouvait déjà l'imaginer, le fonds d'indemnisation ne couvrira ni les indemnisations intégrales ni la prise en compte des victimes environnementales et économiques. Or, nous savons que dans le cadre de la pollution au chlordécone, c'est véritablement cette indemnisation qui est importante. Pour nous, l'heure est venue pour le chlordécone, puisque nous n'aurons pas tant de reconnaissances de maladies professionnelles, le chlordécone n'étant plus utilisé depuis près de 30 ans. Il n'y a pratiquement plus d'ouvriers agricoles utilisant le chlordécone et ayant utilisé le chlordécone. Pensez-vous que le fonds tel qu'il a été prévu est suffisant ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Agnès Buzyn, ministre de la Santé, a rappelé hier que, comme elle s'y était engagée, au PLFSS 2020, il y a bien la création d'un fonds d'indemnisation pour les victimes de maladies professionnelles liées aux pesticides, dont le chlordécone, qui pourra indemniser à la fois les victimes de maladies professionnelles agricoles, les exploitants agricoles retraités avant 2002, et les enfants dont la pathologie est directement liée à l'exposition professionnelle de l'un de leurs parents pendant la période prénatale. Pour financer les dépenses du fonds qui pourraient atteindre aujourd'hui – c'est le chiffre que nous avons – 53 millions d'euros par an, la taxe sur les ventes de produits phytosanitaires va progressivement être augmentée. La ministre de la Santé a pu vous apporter des réponses techniques. Mon collègue Didier Guillaume, que vous interrogerez demain, complétera vos interrogations.

Il est vrai que ce n'est pas un fonds généralisé au-delà des victimes de maladies professionnelles agricoles, des exploitants agricoles ou de leurs enfants. Le DGOM a-t-il été associé à ces travaux ? Je souhaite demander au directeur de la DGOM qui est là. Je sais que oui, mais comment exactement, ce n'est pas moi qui suis allée aux réunions.

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Emmanuel Berthier

Je confirme que le pilotage est un pilotage du ministère de la Santé, que le responsable premier est le DGS, mais qu'il le fait dans le cadre d'une démarche interministérielle que vous avez précisée tout à l'heure. Nous avons été associés dans le cadre de réunions interministérielles à la préparation de la position de la ministre de la Santé.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Ce fonds est-il suffisant, et pourquoi ce fonds ne concerne-t-il pas tous les Martiniquais et Guadeloupéens, martiniquaises et guadeloupéennes, qui vivaient à cette époque ou encore aujourd'hui ayant eu un risque d'être contaminé ? En premier lieu, contrairement aux expositions professionnelles pour lesquelles l'expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de 2013 a relevé de fortes présomptions de liens de causalité concernant certaines pathologies rencontrées par les populations agricoles les plus exposées, nous n'avons pas encore aujourd'hui pu établir cette même association s'agissant des expositions environnementales. C'est le vrai débat. Comment traite-t-on aujourd'hui ces expositions environnementales ? La réponse à cette question ne figure pas dans le dispositif qui a été mis en place aujourd'hui et qui ne concerne que les professionnels qui ont pu être touchés.

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Madame la Ministre, vous avez déclaré que la responsabilité de l'État était reconnue et engagée. À travers les différents plans chlordécone depuis 2008, nous pouvons dire modestement que la responsabilité de l'État a également été en partie tenue et que l'engagement, certes tardif, beaucoup trop tardif, commence quand même à trouver sa traduction, y compris financièrement ; 31, 32 millions d'euros. Nous allons bientôt évaluer le troisième plan et préparer avec les autorités compétentes, avec vous-même, le quatrième plan chlordécone dont Mme la Ministre Agnès Buzyn a déclaré qu'il devait être beaucoup plus ambitieux. À un moment où l'on met en place le fonds d'indemnisation des victimes des pesticides en général, on trouve là un mode opératoire concret, avec bien sûr la taxation sur la vente des produits phytosanitaires, mais également un effort de l'État qui devra trouver là encore le moyen de tenir sa responsabilité.

Sur quels éléments jugez-vous le premier bilan du troisième plan chlordécone et quels sont, à votre avis, les axes principaux, les pistes les plus pratiquement efficaces pour le quatrième plan chlordécone ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Vous avez raison. C'est aussi mon rôle de rappeler l'implication de l'État dans le premier plan, le plan II et le plan III. Je crois qu'il faut rappeler quelques chiffres. Le plan I a annoncé pour 2008 à 2010 un budget de 33 millions d'euros. Les dépenses ont pu être tracées – c'est important aussi – à hauteur de 19,9 millions d'euros, dont 12,9 millions pour la part relevant de l'État.

Pour le plan II, le budget annoncé, 2011-2013, 30 millions d'euros, dépense ayant pu être retracée, 24,6 millions d'euros, dont 21,3 millions d'euros de la part de l'État.

Lors du plan trois, le budget annoncé est en deux tranches : budget annoncé pour 2014-2017 et ensuite, nous passons en 2018, 2019 et 2020, 2014–2017, c'est 15,1 millions d'euros prévus, dont 14,8 millions pour l'État. En 2018, ce sont 2,8 millions, dont 2,6 pour l'État.

Je crois que c'est important de faire une petite pause avant de parler des années qui ont suivies. Nous avons connu là une certaine difficulté dans les investissements prévus au départ. Il faut savoir qu'aux côtés de l'État, il y avait les fonds européens, et qu'entre le moment où on prépare le plan III et le moment où on le met en oeuvre, les fonds européens sont gérés par les collectivités territoriales, et non plus par l'État, et qu'à partir de là, mobiliser les fonds européens a été beaucoup plus difficile, certaines collectivités estimant que ce n'était pas leur rôle, d'autres ne participant pas obligatoirement à la hauteur de ce qui avait été prévu par l'État. Ce n'est pas un engagement refusé, c'est l'État qui, en chambre, avait préparé ce plan, à la manière dont il avait déjà fait précédemment, c'est-à-dire crédit État, crédit européen, et soutien des collectivités.

Sur l'année 2019, ce sont presque 2,8 millions d'euros, dont 2,6 millions d'euros de l'État. Pour l'année 2019, le Président l'a souhaité, l'a annoncé, ce sera 3 millions pour l'année.

Je veux vous redire comment cela s'organise. D'abord, le plan chlordécone est financé à la fois par le PITE, le programme des interventions territoriales de l'État, et par des actions complémentaires de chaque ministère. Le plan III est financé en majeure partie via le PITE par des prélèvements à la source sur le budget des six ministères contributeurs. Je le dis parce que cette notion de prélèvement à la source, pour moi, est quelque chose qui doit pouvoir se poursuivre. Pour le ministère de l'Agriculture, c'est 28,3 % de la somme totale. Pour l'économie et les finances, c'est 26,8 %. Pour la santé et le social, c'est 11,2 %. Pour la transition énergétique, c'est 11,2 %. Pour le ministère des outre-mer, c'est 11,2 %. Pour l'enseignement supérieur et la Recherche, c'est une participation de 11,2 %, c'est aussi en complément, s'il est nécessaire, des transferts en gestion. Je crois que c'est comme cela qu'il faut construire les futurs dispositifs, en mettant peut-être davantage de lisibilité et de visibilité dans ce PITE parce que les actions complémentaires sont souvent moins visibles. Il faut aussi que nous arrivions à valoriser toutes les actions menées sur le terrain que nous n'arrivons pas à identifier.

Un autre chiffre : entre 2005 et 2019, le financement des actions de santé publique a été mis en action pour un montant total de 11,8 millions d'euros – c'est important, cela cible les domaines dans lesquels nous avons travaillé – les actions en faveur des agriculteurs, à hauteur de 15 millions d'euros, et l'accompagnement des pêcheurs pour 11 millions d'euros, je crois qu'il faut aussi pouvoir le rappeler.

Sur le bilan du plan chlordécone III, nous avons lancé une mission d'évaluation qui est en cours, et qui devra rendre son travail pour la fin de l'année, bilan qui arrivera à peu près en même temps que les conclusions de votre commission d'enquête. Des travaux, bien sûr, ont déjà été portés et continuent à être portés par l'ensemble des ministères sur la question de la gouvernance, sur la question de la co-construction ; comment davantage travailler sur le terrain ? Le Président de la République l'a annoncé, nous irons même vers une consultation de la population sur le sujet. Je crois que c'est important que nous puissions le faire.

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Nous avons reçu un chercheur au CNR dont j'ai oublié le nom, en particulier sur des sujets comme le chlordécone. Il faut continuer à regarder les conséquences que cela a eues, comment nous pouvons dépolluer, il y a encore des recherches à faire. Nous sommes loin du compte en termes de recherche. Ce qu'il nous a dit, qui nous a interpellés, c'est qu'aujourd'hui, il n'a pas été mandaté par son ministère de tutelle – cela relève de la compétence gouvernementale, pas de votre ministère – qui doit le mandater pour engager de nouvelles études et débloquer des fonds pour effectuer ces nouvelles études. Il disait : « si on me le demande, je le ferai, mais je ne peux pas m'autosaisir ». Or, il considère, pour avoir travaillé sur le sujet, que nous sommes loin d'avoir terminé les études et qu'il faut en faire d'autres. La question est de savoir pourquoi le gouvernement ne demande pas à cet organisme qui dépend de lui d'intensifier, de multiplier, de compléter les études dont nous avons besoin en termes épidémiologiques, en termes de pollution, en termes de santé publique, qui permettraient d'en savoir un peu plus. Il faut juste que le Gouvernement accepte de débloquer les fonds pour lancer cette étude. Il a même des chercheurs antillais qui étaient prêts à faire des études. Aujourd'hui, cela a l'air d'être bloqué au niveau gouvernemental.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Je ne sais pas de quoi vous me parlez là, donc je ne vais pas me permettre de répondre. Par contre, je crois qu'il est important de rappeler que lors de sa visite aux Antilles en septembre 2018, le Président de la République a souhaité qu'il y ait une feuille de route interministérielle 2019-2020, parce que nous voyions bien que nous n'étions pas à la hauteur de la réponse, que la dynamique devait être relancée, et qu'il avait des exigences et une ambition supplémentaire. Cette feuille de route chlordécone 2019-2020 a été recentrée sur quatre enjeux – et l'enjeu recherche est bien là, c'est pour cela que je veux les citer – les enjeux environnementaux de la lutte contre le chlordécone, tendre vers le zéro chlordécone dans l'alimentation. Je voudrais signaler ici qu'au départ, c'est une idée qui vient de la Martinique sur la volonté de mettre un label zéro chlordécone et que, soutenue par le préfet de la Martinique, cette action, petit à petit, a été portée par les ministères pour que l'on soit sûr que ce zéro chlordécone touche toutes les populations. On a entré ce processus, ou du moins cet enjeu, dans la feuille de route, pour accompagner les populations avec les actions de prévention adaptées et mieux communiquer et impliquer davantage les populations.

Sur la question de la recherche, les actions en la matière restent au coeur de la lutte contre ce pesticide, en particulier concernant les impacts sur la santé, mais aussi sur le mode de dépollution des sols. La ministre de l'Enseignement, de la Recherche et de l'Innovation a eu l'occasion, hier en répondant à vos questions, de vous dire comment elle voyait la recherche sur ce sujet spécifique chlordécone, comment elle comptait l'inclure aujourd'hui dans la loi de programmation de la recherche qu'elle prépare, avec un volet spécifique chlordécone. Ce sera peut-être plus facile d'activer un certain nombre de recherches à ce moment-là.

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Madame Agnès Buzyn – cela va dans le sens de mon collègue Pupponi – parce qu'elle a bien compris que la question de la recherche était centrale pour sortir de cette situation-là, tant sur le plan physicochimique que sur le plan humain, à la suite de ma question : « Êtes-vous favorable à ce que le chlordécone soit considéré comme une priorité stratégique nationale de la recherche ? » a répondu « oui », ce qui n'est pas la même chose que d'inscrire comme une priorité ou un élément de priorité dans le plan national. Ce sont deux dispositifs très différents. Êtes-vous favorables à cela pour nous permettre d'assurer la transversalité de la recherche, du social, du sociétal, du culturel, au physicochimique, au problème de sol, aux problèmes de plans, de transmission, etc., dont l'instantanéité de la recherche et le résultat sont nécessairement liés ? Ces deux choses sont transversalement liées. Seriez-vous favorable, comme votre collègue, Mme Buzyn, à ce que le chlordécone soit considéré comme une priorité stratégique ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

D'abord, je crois qu'il faut rappeler à ceux qui nous regardent, qui nous écoutent, que le chlordécone est une priorité nationale. Elle l'est à travers les différents plans dont nous avons pu parler, les financements dédiés, le comité de pilotage national, les comités locaux. Nous voyons bien que cette organisation montre la priorité nationale. Je rappelle que les priorités nationales se caractérisent par un effort gouvernemental particulier sur un domaine ciblé. Là, c'est bien le cas. Il en est ainsi des différents plans nationaux, c'est important aussi de les rappeler. Nous voyons bien ce qui est fait, plan Ecophyto, Plan national Santé Environnement (PNSE), plan national pour l'innovation, et plan de lutte contre les stupéfiants. À ce titre, nous pouvons donc parler de priorité nationale. La lutte contre la pollution au chlordécone fait partie des domaines dont la gravité de la catastrophe a justifié la création d'un plan national depuis maintenant onze ans. Ont-ils été à la hauteur du drame ? C'est une autre question, mais ils ont été des réponses quand les gouvernements successifs ont estimé qu'il fallait agir, et agir vite.

Un autre élément qui montre que ce sujet est une priorité nationale, c'est la modalité de financement de la part de l'État. Je le disais tout à l'heure en citant les montants, c'est la création ou la mise en place d'un PITE. Il y en a cinq aujourd'hui dans le budget 2019. Ils sont peu nombreux et cela montre la priorité que souhaite donner ce gouvernement au sujet du chlordécone. Le PITE a l'intérêt d'être interministériel et de permettre de mettre les engagements de tous au service d'une priorité. La difficulté, je le disais tout à l'heure, c'est que tout ne rentre pas dans ce PITE. C'est peut-être là que nous avons une dispersion et l'impression que l'effort n'est pas suffisant quand on a une lecture extérieure.

Au regard des critiques formulées et malgré cette priorisation nationale que j'ai citée, je suis obligée de poser la question : sommes-nous à la hauteur des enjeux ? Faut-il être au rendez-vous de ce que vous appelez une priorité stratégique ? Mais là, c'est pour la recherche essentiellement.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

C'est un complément qui, hier, a été largement explicité par ma collègue. « Priorité stratégique » signifie que nous allons promouvoir certaines études avec les financements qui vont avec. Agnès Buzyn hier a annoncé que le financement dédié pour une étude menée par l'INCa est en cours et garanti, et elle le mettra en place. La ministre de la Recherche a pour sa part expliqué que sa vision était sur une programmation de la recherche plus globale avec un volet spécifique chlordécone. J'aurais tendance à dire, si j'ai des avis arrêtés sur autre chose – vous les avez entendus de ma part – je crois honnêtement qu'il faut des financements dédiés à la question du chlordécone en termes de recherche, mais je respecte aussi la vision de ma collègue qui a une meilleure connaissance du monde de la recherche que moi.

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Elle est d'accord. Excusez-moi de vous contredire, mais ma question était très simple. Si quelqu'un aujourd'hui est satisfait de l'organisation de la recherche sur le chlordécone, levez le doigt. Moi, pas. Tout le monde est d'accord là-dessus. Ce sont des moyens qui sont liés à des initiatives de chercheurs ou de laboratoire en université et des moyens qui sont octroyés après une bataille qui peut durer cinq ans pour obtenir 50 000 euros. Vous-même, vous dites, madame la ministre, que les collectivités ne participent pas au financement. Quand vous dites 30 millions, il y a une partie qui n'est pas dedans. Sommes-nous d'accord ? Parce que pour telle ou telle raison politique, nous ne faisons pas cela.

Êtes-vous d'accord pour flécher et rendre obligatoires les financements ? Parce que les fonds européens n'appartiennent à personne d'autre qu'au peuple, mais c'est une autre bataille. Nous sommes d'accord qu'aujourd'hui, il n'y a pas de cohérence, ni en timing, ni en moyens financiers globaux, ni en transversalité. C'est le constat que les chercheurs ont fait à plusieurs reprises pour dire qu'il faut absolument avoir une priorité stratégique nationale et que le chlordécone, comme pour le numérique et le travail, soit déclaré d'intérêt stratégique. Je pense qu'il faut le faire. Mme Agnès Buzyn est d'accord. Mme Frédérique Vidal est plus réservée. Nous aurons – ce n'est pas moi qui rapporte – des propositions à faire. Parmi les propositions, je suppose que cette demande sera formulée. Vous, ministre, allez-vous donner un avis favorable pour que ce soit considéré comme priorité nationale ?

Êtes-vous d'accord aussi pour flécher les financements pour ceux qui sont irresponsables ? Parce que si vous dites 30 millions, vous savez bien que cela ne suffit pas, puisque si on parle d'indemnisation et de réparations, je ne pense pas que l'on répare grand-chose avec 3 millions par an. Vous avez vous-même dit que vous étiez très contente que les trois ministres se soient retrouvés ensemble pour la première fois pour pouvoir coordonner les actions au Ministère de l'outre-mer. Cela faisait quatre années que le comité ne s'était pas réuni, pour une priorité dite « nationale », quatre ans. En quatre ans, nous n'avons pas une réunion, ni en Guadeloupe ni en Martinique. Comment cela peut-il être une priorité nationale avec ce genre de situation ? Ce n'est pas possible. Puisque nous avons besoin de moyens et de la recherche, de moyens d'indemnisation, de réparation, comment prend-on l'argent ? Il faut les flécher et ne pas laisser la liberté à des gens de dire : « les fonds européens, je ne les mets pas. » De quel droit ? Entre temps, il y a des gens qui meurent. Ce n'est pas la peine de crier là-bas et en même temps de dire que c'est la responsabilité de l'État.

Êtes-vous d'accord pour avoir une cartographie accélérée ? 15 % des sols de la Guadeloupe sont cartographiés et analysés, 15 % au bout de 47 ans. Les Américains l'ont fait en deux ans. Êtes-vous d'accord pour que les tests des sols soient gratuits pour tout le monde ? Êtes-vous d'accord pour que les agriculteurs victimes du chlordécone bénéficient des mêmes niveaux d'aides que ceux qui ont profité du chlordécone et qui aujourd'hui bénéficient de tous les financements majoritaires pour financer l'agriculture ? Je pense aux planteurs de bananes. Comment ceux qui sont victimes peuvent-ils ne pas obtenir autant que ceux qui sont fautifs ? Ne voyez-vous pas qu'il y a une injustice incroyable ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Sur la question de la priorité stratégique pour la recherche, dans ce que j'ai entendu hier de la ministre Frédérique Vidal, c'est sa volonté. Ce n'est pas pour rien qu'elle prépare une loi de programmation de la recherche. Sur la question du PITE, honnêtement, dans la gestion, on n'a peut-être pas été suffisamment bons sur le volet recherche dans la justification de l'utilisation des crédits recherche que mettait ce ministère.

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Le PITE, 3 millions. Le PITE Guyane, 20 millions.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Tout à fait. Cette notion de loi de programmation sur la recherche, c'est la volonté de dire « il y a la recherche sur la santé environnementale que je veux mettre comme une priorité, et dans ces priorités, je veux mettre le volet chlordécone. » Je me dis que la ministre est largement bien placée pour nous dire ce qu'il y a de mieux à faire. Ce que je ferai en tant que ministre des outre-mer, et le rôle qui est le mien, est de veiller à ce que la recherche outre-mer, et notamment sur ce grave sujet, ce drame, parce que c'est un drame, il y ait les moyens de pouvoir faire les recherches nécessaires aujourd'hui. Nous avons insuffisamment d'informations, de données sur la dépollution des terres et sur la question de la contamination.

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Mme Agnès Buzyn n'a pas dit cela. Vous reprenez les mots de Mme Frédérique Vidal.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Tout à fait, de la ministre de la Recherche.

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Mme Vidal dit ce qu'elle veut, elle a le droit, et Mme Buzyn dit aussi ce qu'elle pense. Elle pense qu'elle pense juste. Nous allons devoir demander un arbitrage sur cette décision entre deux avis différents du gouvernement. Je comptais sur vous pour en faire un, mais pour l'instant, les événements ne vont pas en ma faveur.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Je le ferai en leur présence, monsieur le président, c'est ce que nous avons l'habitude de faire, la co-construction. Vous avez dit quelques éléments importants et je veux parler de la cartographie parce que je suis autant choqué que vous. Quand j'apprends que la DGOM, la DGS ont contacté la CADA, pour avoir leur avis sur la publication de ces cartes, l'avis qui a été dit, c'est « non seulement on vous le donne, mais on vous dit qu'il faut publier ». Donc, on publie.

Il y a un grand débat à ce moment-là parce que rendre les choses transparentes, c'est montrer où nous en sommes. J'arbitre et je dis : « nous allons y aller parce que c'est un minimum…

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

… de montrer ce que nous avons fait ». C'est là que je réalise les pourcentages de réalisation, et que nous ne sommes pas au rendez-vous de la cartographie. Quand on me dit qu'on a bien avancé, je dis « on y va, on publie ». C'est immédiatement « on publie » puisqu'on a des éléments, il n'y a pas de raison de ne pas les partager avec les populations.

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La cartographie n'est pas obligatoire, madame la ministre. Êtes-vous prête à la rendre obligatoire ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Nous allons pouvoir avancer largement sur toutes les zones qui nécessitent d'être faites parce que j'en ai pris l'engagement, et je le reprends ici. Nous travaillons sur ce volet parce que c'est le minimum pour le faire.

Sur la question des sols et de la gratuité de toutes les analyses, aujourd'hui l'analyse n'est pas obligatoire. Il faut que nous y travaillions. Je ne donne pas la réponse là puisque nous allons travailler dans le cadre du plan chlordécone IV et que nous allons pouvoir tous en discuter ensemble. Il faut savoir aussi que beaucoup de gens ne veulent pas faire d'analyse de leurs sols, parce qu'après, quand on veut vendre ses terres, il y a une petite question. Il va falloir que nous sachions jusqu'où nous allons et comment nous le faisons.

Sur les nouveaux modèles agricoles, vous savez que nous pensons la même chose. Vous savez que l'agriculture – le ministre en parlera mieux que moi demain – en Martinique et en Guadeloupe doit connaître une véritable mutation, que celle-ci doit être largement accompagnée, et je n'oublie pas les pêcheurs, mais ce n'est pas exactement le même travail. Je crois honnêtement que le ministre demain vous dira qu'il y a cette volonté d'accompagner la mutation. En même temps, c'est tout l'écosystème qu'il sera nécessaire de remettre en cause à cette occasion, pas que le volet agriculture, mais l'écosystème complet qui tourne autour de l'économie de production locale dans ces territoires.

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Madame la ministre, en préambule, vous avez eu des mots très forts en disant : « comment ne pas réagir quand on entend empoisonnement collectif ? » et que vous souhaitez faire la lumière sur ce passé dans un souci de transparence et en vue de changer de méthode. Là, vous ajoutez même que différents plans chlordécone ont eu lieu, mais que ces plans étaient insuffisamment expliqués. Vous avez répondu certes sur les plans chlordécone, mais deux questions à ce stade. Pensez-vous réellement que les différents plans chlordécone depuis le premier plan étaient à la hauteur des enjeux, de la pollution au chlordécone de nos terres en Guadeloupe et en Martinique ? Comment améliorer la co-construction et le copilotage du plan chlordécone entre l'État et les collectivités et entre les ministères concernés ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Sur le bilan des différents plans, il faut savoir que le premier plan chlordécone a été évalué, mais pas le deuxième. Nous avons construit un troisième plan sans évaluer le deuxième. Tout cela s'est fait en chambre. Je n'ai pas dit que des actions n'avaient pas été menées, je n'ai pas dit que les résultats étaient négatifs, j'ai dit que nous n'avions pas fait de rapport d'évaluation interministériel sur le plan II, ce qui me paraît être une erreur.

Sur le plan III, avant de construire le IV, il était important pour moi qu'il y ait une mission interministérielle impartiale d'évaluation, une mission qui fera des propositions, je l'espère, fortes, qui montreront les forces et les faiblesses du plan III – j'en connais déjà une partie pour l'avoir regardée et pour avoir vu vivre les dernières années – et en tirer un bilan qui nous aidera tous à faire mieux et à être plus ambitieux. Comme Agnès Buzyn l'a dit hier, c'est une volonté du Président de la République et du Premier ministre.

Pour stopper la contamination, il faut que nous communiquions mieux. Il faut que nous informions mieux. Il faut que nous éduquions mieux. Il faut que nous arrivions collectivement à inciter à d'autres pratiques d'agriculture sur le territoire, mais aussi de vente des produits et de consommation des produits. C'est extrêmement important. La notion d'information a été insuffisante et nous le voyons aujourd'hui puisqu'il y a en Martinique, en Guadeloupe, des petites mamies qui vont faire pousser des ignames dans leur jardin et qui ne savent pas que cultiver des racines sans savoir si le terrain contient ou pas des pesticides, c'est un problème. Nous avons encore de jeunes femmes enceintes qui ne savent pas qu'il faut être suivies en Martinique et en Guadeloupe, puisqu'il y a des risques. C'est quelque chose qui est inacceptable pour la ministre que je suis. C'est pour cela que depuis deux ans je souhaite qu'il y ait davantage de formations. C'est pour cela qu'aujourd'hui, on retrouve sur les derniers plans des tas de communication, les sites ont été ouverts dans les préfectures. Certes, cela relance sur un site chlordécone qui nécessiterait d'être amélioré, mais en même temps, c'est véritablement cela ma préoccupation. Il faut aussi bien sûr lutter contre les circuits informels, vous le savez aussi.

Comment fait-on autrement tous ensemble ? Un, en ayant un bon bilan du chlordécone III très transparent, ouvert à tous, peu importe ce qu'on y trouvera. Deux, en faisant participer les collectivités sur le terrain à la construction et à la co-construction du plan ; peut-être seront-ils plus volontaires pour participer au financement. Effectivement, les fonds européens n'appartiennent à personne et quand ils sont fléchés sur des opérations aussi graves que celle-ci, cela doit être au rendez-vous, parce que là-dessus, il n'y a pas de discussion possible ; le soutien doit être là. Dans le futur, collectivités, État, partenaires économiques, associations devront construire ensemble le plan quatre qui doit répondre à l'ensemble des ambitions que nous avons tous ici. Il va falloir que nous soyons à la hauteur.

L'implication de la population est importante et le Président de la République l'a annoncée aux Antilles, c'est construire avec la population. C'est sans doute le plus dur, mais nous le ferons avec des consultations auprès de la population, mais bien sûr aussi à travers le corps médical qui touche la population, le secteur associatif qui touche la population, les professionnels du secteur alimentaire, les élus ; je suis sûre que chacun jouera son rôle. Pour ma part, je veillerai à ce juste équilibre parce que c'est ma fonction première, l'interministériel, ou l'interpartenariat.

J'ai aussi dit tout à l'heure que nous avions insuffisamment impliqué les maires. J'ai parlé des collectivités, département, région, je veux aussi rajouter que désormais les maires devront être associés.

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Madame la ministre, que pensez-vous des moyens mis en place dans le cadre des contrôles opérés par la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et des contrôles (DIECCTE), et opérés par la douane sur les produits d'importation ? Par rapport à cette pollution au chlordécone, les jardins traditionnels, les jardins créoles sont mis à mal surtout lorsqu'il avait été fait état des circuits formels et du circuit informel. Aujourd'hui, il y a l'accompagnement dans le cadre des jardins familiaux. La question est la suivante : comment mieux accompagner nos agriculteurs ou nos populations dans le cadre des jardins familiaux ? Quels sont les moyens supplémentaires que vous allez mettre en place dans le cadre du futur plan chlordécone pour les contrôles au niveau de la DIECCTE et des douaniers ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Nous pouvons sans doute toujours faire mieux. Ce que je sais, c'est que sur ces deux dernières années, nous avons mis des efforts beaucoup plus importants en matière de contrôle.

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Arnaud Martrenchar

Les contrôles sont faits par la DIECCTE sur les produits végétaux au niveau de la mise sur le marché. Vous avez entendu en commission d'enquête les responsables de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui sont venus vous expliquer comment ils procédaient à ces contrôles, à la fois sur les produits végétaux locaux, mais aussi sur les produits importés. La liste des nombres de contrôles est publiée chaque année. Le Président de la République a annoncé qu'on allait augmenter le PITE de 40 % sur deux ans. Une partie de l'augmentation de ces fonds sur le PITE a servi à intensifier les contrôles. Il y a des contrôles faits par les douaniers et par la DIECCTE sur les produits importés, il faut sans doute en faire plus et c'est ce qui est prévu. Il y a aussi des contrôles qui sont faits par la DIECCTE au niveau des produits végétaux qui sont mis sur le marché, et par la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) au niveau des produits végétaux sur les champs, et des produits animaux, quel que soit le lieu de production et de commercialisation.

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Arnaud Martrenchar

Le PITE, en loi de finances, est à 2,1 millions.

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Arnaud Martrenchar

Martinique et Guadeloupe. En loi de finances. Ensuite, il est abondé en cours de gestion par des versements de différents ministères. Actuellement, il est passé à 2,5 millions. En 2020, il passera à 3 millions.

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Considérez-vous que le PITE soit un fonds capable de répondre à l'ampleur des dégâts ? Parce qu'avec le PITE, vous faites tout. Vous augmentez le nombre de prélèvements, vous augmentez le nombre de contrôles, vous financez des actions de recherche. Honnêtement, pour 800 000 personnes, ce n'est pas grand-chose. Tout le monde parle du PITE comme si c'était un monument. C'est une souris, une fourmi, par rapport au drame. C'est tout petit. Je me permets de vous le dire. Très honnêtement, permettez-moi de vous dire que je suis choqué que l'on croie que le PITE va régler le problème.

Pour faire les analyses de sol, à supposer que nous soyons d'accord sur le fait que ce soit obligatoire, prenons l'exemple : 15 000 hectares obligatoirement à analyser. Pour orienter une politique, il faut savoir ce qu'il y a dans le sol. On ne connaît pas la quantité de chlordécone. Comment voulez-vous orienter une politique d'usage ? En plus, vous êtes dans l'usage culturel. C'est l'informel. L'informel, c'est 70 % des échanges. Ce n'est pas rien. C'est ce qui nous nourrit et nous fait garder une culture culinaire de la production qui nous est propre. C'est qui nous sommes, notre identité. Si on ne met pas les moyens pour l'endogène, la pollution locale, nous sommes les rois des importations. Nous sommes les rois de la bouffe importée. Le PITE, c'est 3 millions d'euros pour deux pays, donc 1,5 million par pays. Ce n'est rien du tout. Comment la République peut-elle se permettre de dire à un peuple : « avec trois millions d'euros, vous êtes servis » ? Les 15 millions d'euros qu'il y a pour les fonds européens, lorsque quelqu'un qui « je ne mets rien parce que cela ne me regarde pas », c'est le cas de la Martinique, nous n'avons pas ces 15 millions. Il faut avoir le courage de le dire, personne ne le dit. Les agriculteurs qui veulent analyser leur sol doivent payer en Martinique. On ne sait pas si cela va être obligatoire. Comment voulez-vous piloter un plan de reconquête du sol et de l'agriculture sans savoir ce qu'il y a dans le sol ? C'est comme si vous faisiez voler un avion sans vérifier s'il y a de l'essence dedans. Il a décollé, mais il va tomber à un moment donné.

Nous sommes d'accord sur tout, vous le savez bien, mais pas sur cela. Je considère qu'il n'y a pas de manifestation d'intérêt national quand on reste quatre ans sans pilotage du chlordécone, quand il n'y a pas de réunion interministérielle, dont les réunions interministérielles deux fois par an pour organiser une interministérielle. J'ai bien senti qu'entre Mme Agnès Buzyn et Mme Frédérique Vidal, il n'y a pas de coordination. Les deux ont répondu deux choses radicalement différentes sous l'autorité du même ministre, du Premier Ministre. Comment voulez-vous parler d'interministériel ? C'est un pilotage à vue.

Oui, vous avez raison. Les plans chlordécone de 2008, c'était une excellente idée. Dire que rien n'a été fait serait un mensonge, mais ce n'est pas à la hauteur. Nous sommes vraiment dans un rythme de type molokoï selon l'expression créole, de tortue.

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Ne croyez-vous pas quand même qu'il y a, dans ce qui est mis en place par le Gouvernement, juste un petit hiatus ? On demande à de hauts fonctionnaires de mettre en place des plans, des recherches, pour éventuellement mettre en cause d'autres hauts fonctionnaires. On demande aux administrations déconcentrées de l'État sur le terrain d'aller faire éventuellement les prélèvements, de faire la cartographie, de faire des recherches. On ne leur donne pas les moyens, mais ils savent très bien qu'en allant faire tout cela, ils vont découvrir que leurs prédécesseurs, voire eux-mêmes, ont une part de responsabilité dans tout cela. Donc nous demandons à ceux qui sont éventuellement responsables de se juger eux-mêmes. Croyez-vous que dans un sujet comme cela, on peut être juge et partie ? Peut-on demander à un préfet de faire des recherches pour voir si les préfets prédécesseurs ont donné des autorisations illégales qui ont empoisonné des gens ? Nous savons comment cela fonctionne. Dans la haute administration, ils vont se protéger. Cela peut être humain. Ils sont tout à fait respectables et responsables.

Sur la recherche, nous savons que des chercheurs martiniquais et guadeloupéens ont fait des demandes de financement. Ils attendent des réponses de financement depuis un an, deux ans, trois ans, et on ne déclenche pas les études.

Quand la ministre nous dit : « je vais faire une grande loi qui va nous permettre de », peut-être qu'il faut la faire. Mais en attendant, on peut déclencher tout de suite les financements. Lorsque des chercheurs locaux ou du centre national de la recherche scientifique (CNRS) disent qu'ils sont prêts à faire des études et qu'ils n'ont pas de réponse, cela pose un problème. On ne peut pas leur dire : « attendez, on va faire une loi ». Ne peut-on pas gérer le court terme, déclencher les études tout de suite qui sont demandées en attendant la grande loi ?

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C'est une très bonne chose que cette commission d'enquête sur le chlordécone soit mise en route et des mots forts ont été donnés ; vous avez parlé d' « empoisonnement collectif » et de « responsabilité engagée de l'État ». Je veux vous interroger sur toutes les pratiques agricoles qui existent de par les outre-mer et qui sont souvent bien en deçà de ce qui se pratique en hexagone. Je pense par exemple à l'utilisation des pesticides classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) pour la canne à sucre à la Réunion. Cette commission d'enquête sur le chlordécone ne peut-elle pas être pour nous un signal de devoir de vigilance pour les futurs scandales phytosanitaires qui risquent d'apparaître dans d'autres outre-mer, où les pratiques sont « borderline » par rapport à ce qui se fait en métropole ? Cela est dû entre autres à des cultures qui n'existent pas en Hexagone, du fait des climats propices, comme justement pour la canne à sucre ou la banane, mais également pour d'autres fruits exotiques dans les outre-mer et que nous ne faisons pas en Hexagone. Il faut bien le reconnaître, les surveillances agronomiques sont souvent moindres et moins pointilleuses. Je pense également au maraîchage, que ce soit en Polynésie ou à Mayotte, où l'utilisation du glyphosate, et même à la Réunion et larga manu par rapport à ce qui se pratique en métropole. Je pense que cette commission d'enquête sur le chlordécone doit être également un signal et un marqueur pour tous les futurs scandales phytosanitaires que nous pourrons être amenés à rencontrer à l'avenir.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Du plan chlordécone I au plan chlordécone III, je crois qu'heureusement que nous avions de hauts fonctionnaires qui ont mené leur mission, parce qu'honnêtement, ce sujet est plus délicat pour les politiques que pour les hauts fonctionnaires et je ne dirai que cela. Vous savez que j'étais ministre de la Fonction publique. Vous avez lu mes écrits sur la haute fonction publique, vous savez ce que je pouvais leur reprocher, mais je sais aussi combien c'est grâce à eux que nous avons affronté directement ce sujet. Je ne veux absolument pas qu'il y ait de critique. Par contre, la critique est que c'est pensé en chambre. La critique est que ce n'est pas connecté avec le terrain. La critique est qu'il n'y a pas de co-construction dans le I, dans le II, il n'y avait même pas d'évaluation dans le II. Cette fois-ci, nous allons faire autrement. On ne peut pas dire que les hauts fonctionnaires ou les fonctionnaires ne font pas ou n'ont pas fait. Ils ont des chefs. Cela s'appelle des ministres. Chacun sa responsabilité. Quand un gouvernement décide de mettre en place un programme, celui-ci est mis en place par des fonctionnaires qui sont chargés de le faire. Je crois que nous ne serons pas d'accord là-dessus même si nous sommes souvent d'accord sur plein de choses. Le travail qui est le leur n'est jamais facile, et nous n'avons pas toujours par le passé tous facilité les choses. Ce sujet du chlordécone n'est facile pour personne, et surtout pas, d'ailleurs, pour tous ceux qui vivent sur ces territoires.

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Sur la cartographie, comment peut-on imaginer qu'un pays comme la France n'ait pas été capable, au bout de tant d'années, d'avoir une cartographie précise de la pollution ? C'est impensable. Le gouvernement dit « c'est une priorité, il faut le faire » et ce n'est pas fait. Il y a bien un responsable qui n'a pas été capable de dire : « voilà les terres polluées ». Aujourd'hui encore, des gens cultivent des terres polluées parce que nous ne sommes pas capables de leur dire « votre terre est polluée ». Il y a bien un dysfonctionnement majeur.

Je suis originaire de Corse, et actuellement en Corse, il y a une bactérie qui tue les végétaux, la xylella fastidiosa. Quand on trouve encore un arbre qui serait infecté, la préfète intervient et fait déraciner tous les arbres sur un rayon de plusieurs centaines de mètres sur des privés. On rentre sur le terrain des privés, on démaquise tout. Actuellement, on peut rentrer sur le terrain des gens si c'est dangereux parce qu'on parle de santé publique. La question qui m'inquiète, c'est pourquoi n'avons-nous fait que 15 % ? Comment explique-t-on que la cartographie ne concerne que 15 % ?

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

La réponse est : quand nous en avons les moyens, les hommes font. Pour répondre au volet agricole, d'abord rappeler que l'agriculture tropicale est quand même difficilement comparable avec l'agriculture de l'Hexagone. C'est sans doute d'ailleurs pour cela que par le passé, davantage de pesticides ont été utilisés. S'il faut une réponse technique, je pense qu'on peut vous la faire tout à l'heure.

Ensuite, dire que ces territoires sont aussi des territoires de solutions et que l'on a beaucoup progressé avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), avec l'agence française de développement (AFD), avec d'autres organismes qui sont venus trouver des solutions sur les différents territoires.

Quand vous dites que quelquefois nous sommes « borderline », je vous invite vraiment à poser cette question au ministre de l'Agriculture parce que je ne suis pas une technicienne de l'agriculture et je pourrais dire des erreurs. Si vous souhaitez qu'à cette question, des réponses plus pointues soient apportées, ce sera la DGOM qui répondra, mais dans le cas contraire, je parlerai des sujets qui sont les miens.

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Nous allons continuer les auditions, notamment sur la question de la réparation puisque le Président de la République a parlé de réparation. Que cela signifie-t-il ? Pouvons-nous rentrer dans un processus d'indemnisation individuel ? Je ne suis pas sur cette ligne-là. C'est ma position. Par contre, je pense qu'il faut maintenir les deux termes : réparation et indemnisation. Bien sûr, indemnisation sur le plan économique. Sur le plan sanitaire, ce sont des prises en charge ou des accompagnements extrêmement importants et adaptés pour permettre de sortir de la situation de la pollution du sol par des grilles de médiation possibles et identifiables. Je n'ouvre pas ce débat-là parce que je pense que nous allons devoir entrer dans une négociation, une discussion. Je me permets d'avancer des idées. Quand Mme la rapporteure aura terminé son rapport, il y aura certainement des discussions par rapport à toutes les propositions qui seront formulées. Je tiens à vous remercier sur une chose. Nous avons entendu deux ministres, Mme Buzyn, qui a reconnu la part des responsabilités de l'État en allant très loin, en disant que sur les questions d'indemnisation, elle était favorable et que cela donnait un sens au mot réparation. Je vous remercie parce que vous êtes allée un peu plus loin. Vous avez indiqué que la responsabilité de l'État est reconnue et surtout, engagée. Les deux termes sont importants. Si c'est la responsabilité engagée de l'État, cela veut dire qu'il faut que l'on expertise. Je pense que pour vous, pour nous, le Président de la République, pour les Martiniquais, les Guadeloupéens, et la France et le monde tout entier, nous avons tout intérêt à la transparence, à la connaissance, et à la vérité. Si c'est reconnu et engagé, cela veut dire qu'il va falloir que nous changions le système en soi et globalement, pour être beaucoup plus efficaces et beaucoup plus pertinents, que nous puissions dire à la population, « nous tentons, dans une durée donnée, de muter la chose ». Pour l'instant, c'est l'incertitude la plus totale. Je tenais à vous remercier pour ces propos qui, dits au niveau d'une ministre, ont une importance capitale.

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Annick Girardin, ministre des outre-mer

Si cette mutation globale des territoires est indispensable, elle ne sera possible que si nous sommes tous au rendez-vous, l'État d'abord, bien sûr, mais l'État ne fera pas seul et ne pourra pas faire seul.

La réunion s'achève à dix-neuf heures dix.

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Membres présents ou excusés

Réunion du Date à mardi 15 octobre 2019 à 17 heures 45

Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Justine Benin, Mme Annie Chapelier, M. Serge Letchimy, M. Didier Martin, M. François Pupponi, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Excusé. – Mme Véronique Louwagie

Assistait également à la réunion. – Mme George Pau-Langevin