Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de paris le jeudi 3 octobre

Réunion du mercredi 30 octobre 2019 à 15h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 10.

Présidence de M. Éric Ciotti, président

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Mes chers collègues, la commission d'enquête sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques tragiques commises à la préfecture de police le 3 octobre dernier procède cette après-midi à la première des nombreuses auditions qu'elle sera amenée à faire. C'est avec votre audition, monsieur le préfet de police, que nous ouvrons nos travaux et nous vous remercions pour votre présence. Nous tenons à vous dire notre émotion face à la mort de quatre fonctionnaires de police. En cet instant, nous pensons à Damien Ernest, à Aurélia Trifiro, à Brice Le Mescam et à Anthony Lancelot ; nous pensons à leurs familles ; nous pensons à leurs collègues, à la grande famille des policiers. Nous exprimons toute notre considération pour ces hommes et ces femmes qui, chaque jour, assurent la sécurité des Français.

Cette commission se réunit dans le but de faire la lumière sur les dysfonctionnements dont le ministre de l'Intérieur a lui-même reconnu l'existence devant la commission des lois de notre assemblée – utiliser ce mot ne relève donc d'aucune volonté polémique. Elle poursuit un autre objectif, sur lequel tout le monde, je pense, s'accordera : formuler, à l'issue de ses travaux, des propositions susceptibles d'éviter que de tels faits se reproduisent. Nous savons qu'il s'agit d'une haute ambition dans la mesure où il n'existe pas de risque zéro en matière de terrorisme. Notre pays, depuis l'affaire Merah en 2012, l'attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo de janvier 2015 et les attentats de Paris du 13 novembre 2015, s'est engagé dans un « long chemin tragique », selon l'expression qu'a employé l'un des patrons des services de renseignement français devant une autre commission d'enquête, dont j'étais aussi le Président, en 2015. Cette tragédie, qui a frappé le cœur de l'une des premières institutions de la République, la préfecture de police, en marque une nouvelle étape qui ne sera sans doute pas la dernière des épreuves que notre pays aura à subir, malheureusement.

Cette lucidité doit nous conduire à adopter des dispositifs qui nous protègent plus et qui nous protègent mieux. C'est cette seule motivation qui me guide, loin de toute volonté d'instruire un procès politique ou un procès judiciaire.

Depuis 2012, 263 personnes ont été tuées en France dans des attentats islamistes, plusieurs centaines ont été blessées, de Paris à Nice, en passant par Trèbes et Carcassonne. Avec M. le rapporteur, Florent Boudié, et les représentants de tous les groupes de l'Assemblée nationale, nous conduirons nos travaux dans un esprit de responsabilité et avec sérénité. Beaucoup d'auditions auront lieu à huis clos. Nous serons amenés à dégager des pistes d'amélioration face à une forme inédite d'attaque : inédite parce qu'elle a touché une des premières institutions de la République ; inédite parce qu'elle a été perpétrée par l'un des fonctionnaires travaillant en son sein, ce qui lui confère un caractère encore plus tragique.

Monsieur le préfet de police, je salue la présence à vos côtés de Mme Virginie Brunner, contrôleur général des services actifs de la police nationale. Avec les membres du bureau de la commission et M. le rapporteur, nous avons souhaité que cette première audition soit publique. Elle est par conséquent ouverte à la presse et sera diffusée sur le canal de télévision interne de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. ».

(M. Didier Lallement et Mme Virginie Brunner prêtent successivement serment.)

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Didier Lallement, préfet de police

Cet attentat a soulevé une immense émotion que vous nous avez aidés à partager. Mes remerciements vont à la Représentation nationale, à votre président M. Ferrand et à chacun d'entre vous pour vos messages de soutien et votre participation aux obsèques de nos collègues tombés le 3 octobre. Cet attentat a eu lieu au sein de la préfecture de police, dans un endroit où nous ne pensions pas être un jour attaqués. Chacun d'entre nous, en passant là où ces meurtres ont été commis, peut revivre cette violence qui continue de marquer profondément l'ensemble des fonctionnaires. Les soutiens que nous avons reçus de la part de la Représentation nationale et d'une grande partie de la population nous ont été très précieux face à ce traumatisme.

Nos pensées vont aux victimes mais aussi à leurs familles. J'ai pris l'engagement devant les comités techniques internes de suivre leur devenir en accordant une attention toute particulière aux enfants, afin que tous les moyens d'assistance sociale et psychologique leur soient accordés, sans oublier le soutien affectif de l'ensemble de l'institution. De nombreux dispositifs ont d'ores et déjà été déployés et le Président de la République a longuement rencontré les familles, tout comme le ministre de l'Intérieur. Tout cela, bien sûr, n'empêchera pas la violence du deuil qu'elles ont à affronter.

Les fonctionnaires de la préfecture de police ont repris le chemin du travail dès après l'attentat et je dois dire que cette capacité de mobilisation des uns et des autres m'a tout particulièrement impressionné. Je tiens à les saluer devant vous, mesdames, messieurs les députés.

Sur l'attaque du 3 octobre elle-même, je pense plus utile de répondre à vos questions que de développer une longue intervention liminaire.

Les faits ont été commis par un adjoint administratif principal, c'est-à-dire un fonctionnaire n'appartenant pas à un corps des services actifs de police mais travaillant au sein de la préfecture de police. Sur les 42 000 agents de la préfecture de police, il y a environ 6 000 personnels administratifs, le reste des effectifs se répartissant entre fonctionnaires des services actifs, les policiers, et militaires de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Les fonctionnaires administratifs font partie de l'institution et sont nombreux à travailler parmi les 2 800 fonctionnaires du siège, sur l'île de la Cité. Il n'y avait donc pas de spécificité dans l'emploi de Mickaël Harpon. Il travaillait depuis le 2 janvier 2003 à la préfecture de police où il effectuait des tâches de maintenance informatique sous l'autorité d'un officier responsable de la section informatique de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP).

Comme tous les fonctionnaires travaillant au sein de la DRPP, il était habilité au niveau secret défense. Il a fait l'objet de nombreuses enquêtes d'habilitation au cours de sa carrière. Sa première habilitation a été délivrée le 8 juillet 2003. Elle a été renouvelée en mai 2008 puis en août 2013. Le prochain renouvellement devait intervenir en avril 2020, conformément au nouveau délai de validité de sept ans. Il suivait en quelque sorte le cheminement classique des fonctionnaires habilités au niveau secret défense au sein de la préfecture de police.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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. Cette affaire a mis très vite en évidence des failles et des défaillances. Une note de Mme la directrice du renseignement de la préfecture de police, Mme Françoise Bilancini, que nous auditionnerons après vous, publiée dans la presse l'a indiqué très clairement. Il semblerait que Mickaël Harpon ait manifesté, au cours de l'année 2015, des signes de radicalisation, en déclarant que l'attentat de Charlie Hebdo était, selon ses termes, « justifié ». De tels propos tenus par un fonctionnaire appartenant à un service majeur de notre pays engagé dans la lutte contre le terrorisme islamiste auraient dû, à mon sens, immédiatement conduire à sa suspension ou à sa mutation. Je voudrais d'abord vous interroger, monsieur le préfet, sur les raisons pour lesquelles, selon vous, ses déclarations relevées par plusieurs de ses collègues n'ont pas conduit à une réaction de prudence. Pourquoi le principe de précaution n'a-t-il pas été appliqué ?

Deuxième question : il semblerait également que Mickaël Harpon ait rencontré à la mosquée qu'il fréquentait, à Gonesse, des personnes radicalisées. Selon des informations dévoilées dans la presse, il aurait à ce titre fait l'objet d'un signalement de la part d'autres services de renseignement. S'agit-il du service central du renseignement territorial (SCRT) ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ? Nous confirmez-vous que son profil a été transmis à la DRPP ?

Comment se fait-il que ces deux types de signaux n'aient pas été perçus alors même qu'ils concernaient une personne travaillant dans un service sensible ? Y a-t-il eu un défaut dans le croisement de ces informations ? Pour répondre à ces questions, nous serons amenés à travailler de manière plus approfondie sur la coopération entre les divers services de renseignement. Le service du renseignement territorial du Val-d'Oise ne dépend pas, en effet, de la préfecture de police.

Troisième question – et je citerai encore la presse car c'est notre seule source, avec les informations que M. le ministre de l'Intérieur a bien voulu nous donner lors de son audition devant la commission des lois –, nous confirmez-vous que depuis le 3 octobre, vingt-sept fonctionnaires ont fait l'objet d'un signalement pour radicalisation ? Ce chiffre est beaucoup plus élevé que celui qu'avait évoqué votre prédécesseur devant la mission d'information sur les services publics face à la radicalisation dont nos collègues Éric Poulliat et Éric Diard ont été rapporteurs. Ces signalements auraient-ils dû être effectués plus tôt ? S'ils ne l'ont pas été, s'agit-il d'une faute ? Les critères de signalement ont-ils été resserrés depuis la tragédie de la préfecture de police ?

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Je tiens tout d'abord à souligner le caractère exceptionnel des circonstances qui ont conduit à cette tragédie et à vous dire que nous pensons aux victimes, à leurs familles et à leurs collègues. C'est pour nous l'occasion de saluer le travail courageux et exigeant qui est celui des agents de la DRPP et des fonctionnaires de la préfecture de police.

Dans les mois qui viennent, nous allons nous interroger sur les dysfonctionnements qui ont conduit à ces attaques et nous essaierons de faire toute la clarté sur les faits, en notre qualité d'élus de la République. Le règlement de notre assemblée nous accorde six mois pour travailler : nous prendrons tout le temps nécessaire, en tenant compte de la double contrainte du secret de l'instruction et du secret défense. Cela nous laissera un champ suffisamment large pour analyser, évaluer et, le moment venu, pour formuler des préconisations.

Si notre commission d'enquête se réunit, c'est qu'au lendemain de l'attentat, un rapport qui n'avait pas vocation à être diffusé par la presse a établi un lien entre des signes accréditant la thèse de la radicalisation et l'acte commis par Mickaël Harpon.

Monsieur le préfet de police, nous vous remercions d'avoir accepté le principe de cette audition. Ma première question est la suivante : comment évaluez-vous le risque de radicalisation au sein de la DRPP et de manière plus générale au sein de la préfecture de police ? Avez-vous des chiffres précis à nous donner ?

Deuxième question déterminante : quelles procédures avez-vous engagées depuis le 3 octobre pour limiter les risques ? Certes, il n'y a pas de risque zéro, comme vous l'avez dit, monsieur le président, mais il nous appartient en tant qu'élus de la Républiques de les réduire au maximum.

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Didier Lallement, préfet de police

. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, sur les faits eux-mêmes, vous comprendrez qu'il me faut attendre les résultats de l'enquête judiciaire pour en savoir plus, notamment pour comprendre ce qui s'est passé exactement en 2015.

Sur les signalements eux-mêmes, j'ai lu dans la presse ce chiffre de vingt-sept. Aujourd'hui, le stock de signalements dont je dispose n'est pas de vingt-sept mais de quarante-huit. Dans une note du 7 octobre, j'ai tenu à demander à l'ensemble des directeurs des services de la préfecture de police d'encourager la remontée des signalements pour des raisons qui me paraissaient impératives : plus jamais, au sein de notre institution, des faits de cette nature ne doivent se reproduire.

Ces quarante-huit signalements ne sont pas tous postérieurs au 3 octobre, mais nous continuons à les examiner. Il y a des signalements depuis très longtemps à la préfecture de police qui, comme toutes les administrations, est à l'image de notre pays. Depuis 2012, il y a eu soixante-trois signalements. Ils ne faisaient pas l'objet d'une procédure particulière mais depuis le 7 octobre, j'ai mis en place un dispositif spécifique, un groupe ad hoc au sein de la préfecture de police chargé de les examiner. Un signalement est quelque chose de vivant. Son examen ne permet pas toujours de décider s'il faut ou non le clore. Un signalement peut, par exemple, concerner un fonctionnaire en congé de maladie pendant de très longs mois et il faudra attendre son retour pour le clôturer, le cas échéant.

Depuis que j'ai pris mes fonctions de préfet de police, le 21 mars, il y a eu trente-sept signalements, dont trente-trois depuis le 3 octobre. Il faut distinguer le stock du flux. Parmi les quarante-huit signalements en cours d'examen, certains sont antérieurs au 3 octobre et parmi ces quarante-huit signalements, trente-trois sont intervenus depuis le 3 octobre, même si certains ont pu être clôturés. Ce chiffre de quarante-huit représente un « delta » dans le flux des signalements.

Il est vrai – et je l'assume totalement – que j'ai encouragé les signalements de manière à lever les doutes. Tout signalement permet de s'interroger, à commencer sur le point essentiel de savoir s'il faut ou non laisser le fonctionnaire armé. Sur l'ensemble des signalements, douze ont conduit à désarmer les agents, dont sept depuis le 3 octobre. Les signalements visent à protéger les fonctionnaires de leur collègue ayant fait l'objet d'un signalement mais aussi le fonctionnaire concerné lui-même, qui bénéficie de la protection de l'administration.

Jusqu'à présent, il n'existait pas de texte, à part la note de 2015 du directeur général de la police nationale sur la laïcité signalant que l'inspection générale de la police nationale (IGPN) est l'organisme de référence en matière de radicalisation. Depuis 2015, l'ensemble des signalements de la préfecture de police sont partagés avec l'IGPN et le groupe ad hoc que j'évoquais continue à procéder de même. Les levées de doute se font après criblages et enquêtes. Si les doutes persistent, diverses suites peuvent être données. C'est à ce titre que j'ai demandé la suspension de plusieurs fonctionnaires au directeur général de la police nationale qui est l'autorité qui procède aux nominations et aux mouvements. Depuis le 3 octobre, sur trois suspensions demandées, une a été notifiée et les deux autres sont en cours d'instruction.

De la même façon, par deux fois, j'ai fait des demandes auprès du directeur général de la police nationale, pour que soit saisie la commission prévue par l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure modifié par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT.

Il y a eu aussi, par le passé, des révocations et d'autres actes lourds.

Je souhaite que vous reteniez de mon intervention ma détermination à aller jusqu'au bout dans les signalements. Je conçois que, pour les fonctionnaires qui en font l'objet, cette procédure puisse être extrêmement désagréable mais cela fait partie des vérifications collectives que nous devons effectuer avec le fonctionnaire concerné et l'ensemble de ses collègues de manière à ce que le stade des interrogations puisse être dépassé et qu'un climat serein soit rétabli.

Un grand nombre de signalements s'avère rapidement sans objet. Nous voyons bien que des craintes s'expriment mais je tiens à ce que les criblages et les enquêtes nécessaires soient effectués de manière à dire au fonctionnaire à l'origine du signalement s'il s'est trompé ou non.

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Qu'en est-il du lien avec la mosquée de Gonesse ?

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Didier Lallement, préfet de police

. À ce stade, cela relève d'éléments de l'enquête judiciaire dont je ne dispose pas.

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Au cours des nombreuses auditions que mon collègue Éric Diard et moi-même avons menées dans le cadre de notre mission d'information sur la radicalisation dans les services publics, nous avons constaté que la lutte contre la radicalisation reposait avant tout sur la détection. Dans nos préconisations, nous avons insisté sur le développement du criblage et des enquêtes administratives de sécurité dont l'efficacité dépend de la fiabilité du renseignement.

Au sein de la préfecture de police, existent-ils un ou des référents radicalisation ? Ont-ils un rôle opérant dans la chaîne de remontée des informations ? Pouvez-vous nous donner des détails sur la façon dont les informations remontent ? Rencontrez-vous des résistances, qu'elles soient de nature corporatiste ou émotionnelle ? Nous pouvons imaginer qu'il n'est pas aisé de faire part d'un signal faible de radicalisation chez un collègue que l'on connaît depuis vingt ans.

Les sanctions appliquées pour les cas avérés ont-elles donné lieu à des contentieux ?

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Monsieur le préfet de police, je tiens tout d'abord à vous faire part de l'effroi et de la peine que nous avons ressentis après la terrible attaque du 3 octobre.

Le 11 décembre dernier, avec mon collègue Éric Poulliat, nous avons auditionné votre prédécesseur Michel Delpuech ainsi que Françoise Bilancini. Il nous a été dit que « tous les faits de jeunes dans la rue criant “Vive Daech” ou “Allahou Akbar” étaient recensés et remontés au renseignement de la préfecture de police car dans cette masse de cas pathétiques, il y a des cas intéressants ».

La note de Françoise Bilancini, que la presse a évoquée, relate une plainte contre Mickaël Harpon pour violences conjugales et une dispense de peine par le tribunal. À la suite de ces événements, le haut fonctionnaire de défense du ministère de l'Intérieur avait demandé en 2010 qu'il fasse l'objet d'une « mise en éveil » de la hiérarchie.

Pouvez-vous nous expliquer comment la préfecture de police qui prend soin de faire remonter les cas de jeunes criant « Allahou Akbar » dans la rue a pu laisser passer le cas de Mickaël Harpon qui a provoqué en 2015 une altercation dans son service, après avoir fait l'apologie de l'attentat de Charlie Hebdo ?

Il est beaucoup question de l'imam de Gonesse fiché S et de deux autres imams radicalisés d'origine guadeloupéenne. Avez-vous des éléments à nous communiquer à ce sujet ?

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Monsieur le préfet de police, je veux vous faire part, comme le président et le rapporteur, de ma peine et de mon effroi. L'attentat du 3 octobre est l'un des plus traumatisants que notre pays ait connus, parce qu'il a touché le saint des saints de notre appareil d'État, de nos dispositifs de sécurité et peut-être même de nos systèmes de renseignement. C'est pour cette raison que nous avons besoin d'un diagnostic lucide, réaliste et sans concession. S'il y a eu des morts, c'est qu'il y a eu des failles.

Ma première question concerne le déroulement des faits et la réaction de nos forces de police. Cette tuerie a duré sept minutes, sept interminables minutes. On peut imaginer qu'il y a eu des cris d'effroi et des appels à l'aide, lorsque le terroriste s'est déplacé à l'intérieur de la préfecture de police armé d'un couteau. Pouvez-vous nous donner davantage de détails sur ce qui s'est passé au cours de ces longues minutes ? Les policiers qui ont été massacrés étaient-ils armés ? D'une manière générale, les policiers sont-ils armés lorsqu'ils sont dans leur bureau ? S'agissant de la durée de l'attaque, je souhaiterais vous faire part d'un échange que j'ai eu avec le directeur de la police de Jérusalem. Israël a été confronté, pendant plusieurs années, à ce que l'on a appelé l'« Intifada des couteaux ». Or, en moyenne, il se passait une minute et vingt secondes entre le début et la fin d'une attaque. Ne devrions-nous pas revoir notre protocole de réaction en cas d'attentat ?

Ma deuxième question concerne l'identification des fonctionnaires de police armés radicalisés. Selon vous, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné dans le cas de Mickaël Harpon ? Qu'est-ce qui explique que, bien qu'il se soit réjoui publiquement de l'attentat contre Charlie Hebdo et qu'il ait donné des signes évidents de radicalisation, son cas ne soit pas remonté à sa hiérarchie ? Je vais être plus clair : estimez-vous que, au nom du « Pas d'amalgame », il y a une tendance à l'autocensure chez certains fonctionnaires, qui pourraient craindre d'être accusés de discrimination ou d'islamophobie ? Pensez-vous que des signalements anonymes pourraient être une solution ?

Enfin, y a-t-il, selon vous, un risque d'annulation de la part du juge administratif ou de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg ? N'est-ce pas là un obstacle, qui pourrait empêcher d'écarter les individus radicalisés ?

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J'espère, monsieur le préfet de police, que vous ferez des réponses plus complètes à ces questions qu'aux précédentes.

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Didier Lallement, préfet de police

Monsieur Poulliat, au sein de la préfecture de police, plusieurs personnes, et même plusieurs services, sont chargés de la prévention et de la lutte contre la radicalisation. Au sein de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), il existe par exemple une cellule chargée d'analyser les signaux faibles qui remontent du terrain, notamment les signalements qui sont faits dans la rue. Cette cellule transmet les informations à la DRPP, pour que les faits graves soient immédiatement traités et fassent l'objet d'un suivi. La DRPP est donc aussi, par nature, un service de lutte contre la radicalisation – j'ai bien conscience qu'en disant cela, je me heurte à la réalité de l'attentat qui a eu lieu. Une division complète de la DRPP se consacre à cette question : on peut sans doute lui reprocher de s'être trop penchée sur ce qui se passait à l'extérieur, et pas assez sur ce qui se passait en son sein. D'autres personnes sont également chargées de la lutte contre la radicalisation : au sein de mon cabinet, un conseiller chargé de la prévention travaille, par exemple, sur les actions à mener en lien avec les collectivités locales. Vous le voyez, il n'y a pas un référent unique, mais de nombreuses structures et de nombreux canaux.

Vous m'interrogez sur le cas spécifique de Mickaël Harpon. Au risque de vous décevoir, monsieur le président, je ne peux pas vous l'expliquer et je me garderai de toute interprétation, tant que l'instruction n'aura pas établi les faits. Y a-t-il, dans le système policier, une tendance, sinon au secret, du moins à la discrétion ? Il y a sans doute, entre les fonctionnaires de police, une grande fraternité de travail. Je ne sais pas si elle explique le cas d'espèce, mais il est certain qu'elle joue beaucoup. Il y a toujours une réticence à aborder des questions de cette nature, parce qu'on pense qu'elles peuvent être réglées entre collègues. Le travail policier vous déconnecte un peu, non pas du monde réel, mais du monde fait d'horaires fixes et de week-ends que nos concitoyens connaissent. Dans ce contexte, la cellule de travail devient fondamentale et cela peut effectivement expliquer certaines réticences.

Ma circulaire du 7 octobre avait précisément pour but de rappeler que les problèmes ne se règlent pas au sein de petits groupes et qu'il faut passer par la hiérarchie de la préfecture de police : c'est à elle de prendre ses responsabilités en matière de suivi des cas de radicalisation. Je ne veux pas que ces questions soient traitées au niveau des services.

Monsieur Habib, vous dites que sept minutes, c'est très long, mais comme cela paraît court, quand on les vit en direct ! De nombreux fonctionnaires de police sont armés lorsqu'ils vont de leur domicile à leur lieu de travail, mais très peu le sont à l'intérieur de la préfecture de police, qui est réputée sûre – elle l'était, du moins, jusqu'à l'attentat. Lorsqu'ils arrivent, les fonctionnaires déposent généralement leur arme dans un coffre, et rares sont ceux qui la portent à la ceinture – même si j'en observe davantage ces derniers temps. Une fonctionnaire de police qui a croisé l'assassin pendant l'attaque m'a d'ailleurs dit s'en être beaucoup voulu, et s'en vouloir encore, de ne pas avoir été armée. Le fait que la plupart des fonctionnaires ne soient pas armés a représenté une difficulté. Je note toutefois que le fonctionnaire de garde qui a neutralisé Mickaël Harpon a parfaitement joué son rôle : il a fait preuve d'un grand sang-froid, en dépit de son extrême jeunesse administrative, puisqu'il n'était là que depuis six jours.

Ce qui est certain, c'est que nous n'avons envisagé les questions de surveillance de la radicalisation et de sécurité qu'à l'extérieur, et non à l'intérieur de la préfecture de police. Lorsque j'ai été prévenu de l'attaque, j'ai d'ailleurs pensé que nous étions attaqués de l'extérieur et j'ai immédiatement demandé de sécuriser la périphérie de la préfecture. Nous n'avions pas de dispositif destiné à faire face à une tuerie de masse à l'intérieur même de nos locaux. Nous sommes en train de prendre des dispositions en ce sens. Dans la mesure où la préfecture de police accueille un public nombreux, je veux m'assurer de l'étanchéité des systèmes de circulation des fonctionnaires et du public. L'enceinte de la préfecture de police est très vaste et compte de multiples accès et j'ai décidé, pour des raisons de sécurité, de créer un accès réservé aux seuls fonctionnaires : il sera ouvert d'ici quinze jours. Pour bien comprendre d'où l'on part, il faut tout de même rappeler qu'une bouche de métro se trouvait, il y a quelques années encore, dans la cour de la préfecture de police… La caserne de la Cité, qui date du XIXe siècle, n'a jamais été conçue comme un système bouclé, mais nous prenons actuellement des dispositions pour limiter les risques d'attaques.

Je ne peux pas répondre sur les faits, mais je peux dire un mot de l'état d'esprit qu'il faut avoir. Je vous l'ai dit et je le répète : nous ne devons avoir aucun tabou lorsque nous interrogeons, entre fonctionnaires, les phénomènes de radicalisation, car c'est la sécurité collective et individuelle qui est en jeu. J'explique d'ailleurs aux fonctionnaires qui font l'objet d'un signalement qu'il est normal que la collectivité de travail s'interroge. Mon devoir de chef est de m'assurer que toutes les mesures de sécurité sont prises pour garantir au mieux la sécurité des fonctionnaires. Je le leur dois, en tant que responsable du dispositif.

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Monsieur le préfet de police, le ministre de l'Intérieur a eu une communication pour le moins précipitée et il n'a pas pris beaucoup de recul sur les faits, puisqu'il a d'abord dit qu'il n'y avait rien à signaler au sujet de Mickaël Harpon. Et le parquet l'a contredit quelques heures plus tard. J'aimerais savoir qui a fourni ces informations au ministre de l'Intérieur, et dans quelles circonstances. Est-ce vous, monsieur le préfet de police, qui lui avez communiqué ces informations ?

J'ai un désaccord avec vous sur le périmètre de notre commission d'enquête. Vous nous avez dit que le fait que le signalement de Mickaël Harpon à sa hiérarchie n'ait pas été suivi d'effet relevait de l'enquête judiciaire. Je ne suis pas du tout de cet avis et je pense qu'il s'agit précisément d'un problème administratif : c'est un problème qui concerne le fonctionnement du système que vous dirigez. Or c'est précisément le rôle de notre commission d'enquête de déterminer ce qui a pu mal fonctionner pour qu'une hiérarchie à qui l'on a fait remonter un signal fort – car l'apologie du terrorisme ne peut évidemment pas être considérée comme un signal faible – n'ait pas donné suite.

Si nous n'obtenons pas de réponse à cette question, la commission d'enquête ne pourra pas travailler ; elle ne pourra pas faire les préconisations qui sont nécessaires pour que, à l'avenir, des signalements de ce type soient entendus par l'administration et aboutissent à la mise à l'écart des fonctionnaires concernés. Vous n'avez pas répondu de façon précise à la question de notre collègue Éric Poulliat. Avez-vous, au sein de la préfecture de police, un référent radicalisation, précisément chargé des cas éventuels de radicalisation au sein de vos services ?

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Monsieur le préfet de police, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui. Je veux à mon tour vous faire part de la peine que nous a causée ce drame et m'associer au travail des policiers, en tant qu'élu de la nation et aussi à titre plus personnel.

Je vais essayer de vous poser des questions qui ne sont couvertes ni par le secret de l'instruction, ni par le secret défense.

Il y a quelques mois, le ministre de l'Intérieur et son secrétaire d'État vous ont demandé de réfléchir à la réorganisation de cette vieille dame qu'est la préfecture de police et de leur remettre les premières conclusions de votre travail à la mi-juillet. À ce jour, la représentation nationale n'a pas eu connaissance de ces préconisations. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Sur le fond, la préfecture de police a un service spécialisé dans les renseignements, la DRPP, et il existe deux services de compétence nationale : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le service central du renseignement territorial (SCRT). Cela signifie que trois services travaillent sur des thèmes voisins. Cette organisation présente des inconvénients. Le président Ciotti les a soulignés et vous a interrogé à ce sujet. Vous n'avez pas répondu à sa question, au nom du secret de l'instruction. Je ne vais donc pas vous interroger de nouveau sur les inconvénients de cette organisation, mais sur son intérêt. Quel intérêt y a-t-il, selon vous, à maintenir un service indépendant de renseignement au sein de la préfecture de police ? Ne serait-il par préférable de fusionner les différents services au sein de la direction générale de la sécurité intérieure ?

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Monsieur le préfet, avant de vous donner la parole, je dois vous dire que nous ne pouvons pas nous satisfaire de vos réponses, ou plutôt de cette absence de réponses. Notre commission d'enquête – la Garde des Sceaux l'a précisé et nous l'entendons bien – trouve ses limites dans le respect de l'enquête judiciaire et dans celui du secret défense. Mais, après une heure d'audition, nous ressentons une très grande frustration. Vous ne nous avez pas répondu au sujet de l'organisation administrative de la préfecture de police, alors même qu'elle relève de votre compétence. Vous êtes devant la Représentation nationale et nous sommes en droit d'attendre des réponses plus précises que celles qui ont été faites à la presse. En tout cas, nous ne pouvons pas en attendre moins : il convient de respecter la Représentation nationale. Ce qui s'est passé en 2015 relève de l'organisation administrative de la préfecture de police. Nous voulons savoir comment cette administration s'organise et pourquoi les signalements qui ont été faits ne sont pas remontés. Notre collègue Jean-Michel Fauvergue vous a interrogé sur l'articulation entre deux services de renseignement majeurs de notre pays, à savoir le renseignement territorial et la DRPP. Ce qui s'est passé entre le Val-d'Oise et la préfecture de police pose un problème d'organisation qui appelle des réponses précises de votre part.

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Monsieur le préfet de police, plusieurs d'entre nous ont déjà été, hélas, président, vice-président ou rapporteur d'une commission d'enquête. Or, pour qu'un tel exercice ait une utilité, il faut que les parlementaires, comme les personnes auditionnées, fassent autre chose qu'enfiler des perles.

La question de l'articulation entre ce qui s'est ou non passé dans le Val-d'Oise et ce qui s'est ou non passé à la préfecture de police n'est pas accessoire pour nous : elle est au cœur des interrogations qui justifient la constitution même de cette commission d'enquête. La question de fond à laquelle nous voulons répondre est la suivante : comment mieux détecter des individus islamistes infiltrés au cœur de l'État et comment les mettre hors d'état de nuire ?

Au sujet de l'articulation entre le Val-d'Oise et la préfecture de police, j'aimerais vous poser une question plus générale. Il y a dix ans, le ministre de l'Intérieur de l'époque, sous l'autorité du Président de la République, avait créé ce que l'on appelle la police d'agglomération, qui est définie par une double limitation : un périmètre géographique – qui réunit Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne – et une limitation organique, puisque seules trois directions de la préfecture de police sont concernées : la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), la direction de la police judiciaire (PJPP) et la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC).

Le périmètre de la police d'agglomération, tel qu'il a été défini en 2009, n'incluait donc pas les questions de renseignement, si bien qu'il existe aujourd'hui trois blocs chargés du renseignement : la DRPP, exclusivement compétente pour la ville de Paris, sous votre autorité ; le service central du renseignement territorial qui, je crois, dépend de la direction centrale de la sécurité publique, elle-même sous l'autorité du DGPN ; et, enfin, la direction générale de la sécurité intérieure. Pouvez-vous nous confirmer que le renseignement s'organise autour de ces trois blocs, et pouvez-vous nous dire comment vous envisagez l'évolution de cette organisation ?

Il me semble que deux évolutions sont envisageables.

La première option consisterait à dire qu'en termes de compétence territoriale (ratione loci), comme d'un point de vue fonctionnel (ratione materiae), le champ de la préfecture de police, en matière de renseignement, doit s'étendre à l'ensemble des questions franciliennes.

La deuxième option, très différente, consisterait au contraire à dire que la DRPP ne se justifie plus et qu'il faut envisager une fusion de vos services, soit avec le renseignement territorial, soit avec la DGSI – soit avec les deux. On avait évoqué, dans une autre commission d'enquête, l'hypothèse d'une direction générale du renseignement national, dans laquelle fusionneraient tous ces services.

On pourrait imaginer aussi des options intermédiaires. Comprenez en tout cas que nous avons besoin, sur ces questions, d'avoir votre point de vue, éclairé par une analyse factuelle et administrative – et non judiciaire –, des éventuels dysfonctionnements survenus autour du cas Harpon. En clair, y a-t-il eu un dysfonctionnement dans les échanges entre le renseignement territorial du Val-d'Oise et la préfecture de police ? Même si cela vous pousse à prendre un petit risque, et sans vouloir vous faire sortir de votre champ, j'aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez, au fond, de l'organisation actuelle du renseignement. Nous ne pouvons pas mener nos travaux si nous n'avons pas une parole de vérité de la part des hauts fonctionnaires de l'État, du préfet de police en particulier.

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Didier Lallement, préfet de police

Être préfet de police, c'est courir un risque permanent, monsieur Larrivé…

Madame Le Pen, je ne sais pas si Mickaël Harpon a fait l'objet d'un signalement. En tout cas, je n'en trouve pas la trace administrative : seule l'enquête judiciaire pourra établir s'il y a eu, ou non, un signalement. Je n'ai trouvé, ni dans le dossier de l'intéressé, ni dans aucun autre dossier, la trace d'un signalement fait en 2015. Les propos que Mickaël Harpon aurait alors tenus sont sans doute avérés et je n'ai aucune raison de douter de ce qui est rapporté dans la presse, mais je répète que je n'ai pas de trace administrative d'un signalement. Je ne peux pas vous parler de ce qui s'est passé à cette époque, puisque je n'en trouve aucune trace.

Cela m'amène à la question que vous m'avez posée au sujet de l'intervention du ministre de l'Intérieur, peu après l'attaque. Le ministre de l'Intérieur a communiqué, au moment où il l'a fait, sur la base des informations factuelles dont nous disposions, à savoir le dossier de l'individu. Le parquet national anti-terroriste (PNAT) a évoqué le fait que Mickaël Harpon avait eu un blâme. Mais les blâmes sont effacés du dossier administratif au bout de trois ans et je n'ai pas la trace de ce blâme. Vous voyez donc bien que seule l'enquête judiciaire pourra déterminer s'il y a eu un signalement, à qui il a été fait et ce qu'il en est devenu. Je répète que je suis dans une situation de responsabilité administrative : je peux vous dire ce qui figure dans les dossiers et vous exposer les dispositifs existants. Monsieur le président Ciotti, je ne peux vous dire que ce que je sais. Je ne peux pas faire des conjectures sur des informations qui ont été rapportées dans la presse : je me dois, à ce stade, d'être extrêmement prudent.

Je répète qu'il n'y a pas un, mais plusieurs référents radicalisation. Je vous ai dit qu'il existe une cellule à la DSPAP qui s'occupe de la remontée des signaux faibles : elle travaille en externe, mais aussi en interne, en matière de sécurité publique. Il revient à chaque dispositif de faire remonter les signaux. Très franchement, je ne crois pas du tout à un système qui compterait un seul référent radicalisation, surtout dans une organisation comme la nôtre, où il importe que l'ensemble de l'encadrement et des fonctionnaires soit sensibilisé. Le système, tel qu'il existe aujourd'hui, me paraît assez pertinent. Ce qu'il faut, c'est renforcer sa capacité à se saisir de certains sujets et aider les fonctionnaires à faire des signalements. L'anonymisation pourrait effectivement être une piste : elle a d'ailleurs été suggérée par des organisations syndicales. J'ignore ce que le ministre de l'Intérieur décidera, mais il me paraîtrait tout à fait envisageable de créer une plateforme sur laquelle les fonctionnaires pourraient faire des signalements de façon anonyme, à condition de tenir compte des limites d'un tel système et de prendre les précautions déontologiques qui s'imposent.

Monsieur le député Fauvergue, le ministre m'a effectivement demandé, au moment de mon installation, de lui faire des propositions en vue de la restructuration de la préfecture de police. Je lui ai fait des propositions au début du mois de juillet, comme il me l'avait demandé. À ce jour, je n'ai eu de réponses que sur une petite partie de mes propositions, le ministre m'ayant indiqué que les autres seraient versées dans les discussions sur le livre blanc, auxquelles je crois que les parlementaires seront associés, et qui ont fait l'objet de la constitution d'un certain nombre de groupes de travail. Il ne me revient pas d'apporter des réponses à mes propres propositions, mais je peux vous en exposer l'esprit.

Vous me demandez s'il est légitime qu'il existe une direction du renseignement au sein de la préfecture de police. À vrai dire, la question est plus large et dépasse celle du renseignement : c'est celle de la pertinence du maintien de la préfecture de police au sein de la direction générale de la police nationale. Pour ma part, j'observe que les grandes agglomérations du monde, comme Londres ou New York, ont tendance à avoir des services de police intégrés. L'évolution métropolitaine de l'organisation des territoires conduit, dans la plupart des pays occidentaux, et au-delà, à ce type de constat. Faut-il démonter ce dispositif en France, sous prétexte qu'il a été créé en 1800 et que son ancienneté serait le signe de son obsolescence ? Je ne crois pas à ce type de raisonnement. Je crois que la seule question qui vaille est celle de la pertinence d'un système propre à Paris. Pour ma part, je pense que cela a une pertinence, et c'est ce qui a présidé à l'ensemble de mes propositions.

J'ai tout de même une nuance à apporter, et ce sera une façon de répondre à M. Guillaume Larrivé. Je ne crois pas qu'il soit opportun d'étendre les compétences du préfet de police. L'extension de ses compétences à la petite couronne a déjà été difficile d'un point de vue managérial et je ne crois pas à une extension à l'ensemble de la zone. Je n'ai pas d'éléments à vous donner, à ce stade, sur Gonesse. Mais si vous me demandez s'il faut améliorer la coordination entre la DRPP et le SCRT dans la grande couronne, ma réponse est évidemment oui. La DRPP joue un rôle de coordination zonale, mais j'observe que les coordonnateurs zonaux du renseignement, qui existent aussi en province, où ils sont les responsables du renseignement de la DDSP chef-lieu de la région, souffrent également de la faiblesse de cette coordination zonale. J'en ai fait l'expérience en Nouvelle-Aquitaine : il est très clair que le préfet de zone manque d'informations dans l'approche des dispositifs zonaux. Je ne verrais donc que des avantages à ce que l'échange d'informations soit amélioré, mais je ne crois pas qu'il faille toucher aux compétences du préfet de police.

Enfin, pour que le système « préfecture de police » fonctionne efficacement, il faut qu'il soit fondé sur une grande déconcentration. Je ne crois pas du tout à un système qui reposerait sur un commandement opérationnel à un niveau très élevé, dans des administrations centrales, et qui suivrait l'action du terrain de très loin. Je pense que l'action du terrain doit se faire au plus près.

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La question de l'organisation occupera une partie importante des travaux de notre commission mais, dans l'immédiat, puisqu'il s'agit de la première audition, je souhaite m'en tenir aux faits. Pouvez-vous tout d'abord définir la chaîne hiérarchique qui vous sépare du poste de Mickaël Harpon ?

Ensuite, vous dites ne pas avoir eu connaissance d'un signalement, or la presse publie la copie d'une note de Mme Bilancini, adressée au ministre de l'Intérieur sous votre couvert, qui évoque des signalements. Avez-vous eu connaissance de cette note ? Quelles remarques vous inspire-t-elle ? Que pensez-vous de cette procédure et du suivi des signalements ?

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Didier Lallement, préfet de police

J'ai évidemment connaissance de cette note puisque c'est moi qui l'ai demandée. Bien évidemment, cette note existe et elle dit une chose très précise : « Dans ces circonstances, ils [les fonctionnaires concernés] n'ont jamais jugé utile de rendre compte à leur hiérarchie des faits datant de 2015. » Ainsi, et Mme Bilancini pourra vous le confirmer puisqu'elle est signataire de cette note, aucun signalement n'est remonté par la voie hiérarchique.

Il faut s'entendre sur les mots : il y a eu manifestement des échanges entre différents niveaux de fonctionnaires mais ils n'ont à aucun moment pris la forme d'un signalement, c'est-à-dire d'une transmission à un niveau hiérarchique permettant d'actionner le dispositif d'alerte. C'est à raison que le ministre de l'Intérieur a parlé de dysfonctionnements : cela me paraît assez évident.

Je ne suis pas en mesure de vous expliquer cette situation : je ne fais que la constater à ce stade. On peut toujours s'interroger sur les raisons pour lesquelles un groupe à un niveau hiérarchique subalterne considère qu'il n'a pas à faire ce signalement. Je ne veux pas me hasarder sur le terrain des hypothèses tant que l'enquête judiciaire n'aura pas établi le rôle précis des uns et des autres. Mais j'ai parfaitement connaissance de ce compte rendu, qui mentionne explicitement les choses de cette façon.

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Nous avançons et je vous en remercie, monsieur le préfet, puisque vous nous indiquez maintenant que cette note existe et qu'un signalement, en tout cas verbal, a été fait. C'est un progrès par rapport à vos précédentes déclarations qui me paraissaient s'éloigner un peu de la vérité que l'on doit à cette commission.

Pensez-vous qu'au cœur d'un service de renseignement, au cœur d'un service de lutte contre le terrorisme, un signalement administratif écrit soit nécessaire pour créer un doute et justifier l'application d'un principe de précaution ? Quand une personne travaillant au sein d'un service majeur de nos institutions se livre à une apologie du terrorisme – je le dis d'autant plus librement, monsieur le préfet, que vous n'étiez pas en poste à la préfecture de police à l'époque –, le signalement de ce type de comportement doit désormais systématiquement être pris en compte. Nous sommes au cœur de notre travail et il n'est nul besoin de s'abriter derrière d'autres considérations : notre objectif est que les failles et les dysfonctionnements évoqués par le ministre ne se reproduisent plus. Pensez-vous qu'il faut une procédure écrite, en plusieurs exemplaires, pour susciter un intérêt ou déclencher une alerte ?

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Didier Lallement, préfet de police

Bien sûr que non ! À aucun moment, je ne vous ai dit une chose pareille ! Je n'ai à aucun moment dit que le signalement devait être écrit : je dis simplement que les signalements doivent remonter à la hiérarchie pour valoir signalement, sinon ils sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire des échanges entre fonctionnaires qui n'atteignent pas le niveau hiérarchique permettant leur prise en compte collective.

Pourquoi ces échanges n'ont-ils pas donné lieu à un signalement, écrit ou oral, en 2015 ? Je ne peux pas répondre à cette question parce que je n'étais pas là, parce qu'une partie de ces interrogations sont sous le mandat judiciaire, parce qu'une partie des fonctionnaires concernés sont morts – il faut quand même le rappeler ! – et que nous n'avons donc pas l'ensemble des éléments. Il y a eu des échanges entre fonctionnaires en 2015, dont Mme Bilancini a pris connaissance postérieurement à l'attentat et dont elle m'a rendu compte. J'ai effectivement souhaité que ce compte rendu fasse l'objet d'une note au ministre. Quant à la communication de cette note à la presse, je n'en suis pas responsable !

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La question qui nous importe est évidemment l'absence de chaîne formalisée de détection, qui vous contraint à vous appuyer sur les éléments d'un rapport évoquant un signalement informel en 2015. Avez-vous connaissance d'autres signalements informels ? Avez-vous eu connaissance, depuis le 3 octobre, de propos ou de comportements équivalents chez d'autres agents de la préfecture de police qui n'auraient pas été formellement signalés ?

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Première question, qui me vient à l'esprit après avoir entendu vos réponses : qui a signalé quoi en 2015 et à qui ? Vous dites qu'il n'y a pas eu de signalement hiérarchique mais la note indique que des agents de la préfecture de police ont bien signalé des faits à quelqu'un : nous avions le sentiment qu'il s'agissait de leur supérieur direct. Il y a donc bien eu un signalement.

Deuxième question, avec les précautions d'usage parce que c'est un peu délicat : lorsque vous apprenez qu'un agent du service de renseignement de la préfecture de police se convertit à l'islam, y a-t-il une procédure pour vérifier pourquoi cet agent s'est converti ? C'est son droit, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté : il n'est pas question pour moi de stigmatiser qui que ce soit et la liberté de conscience existe dans notre pays. Mais dans un service de renseignement, cherche-t-on à savoir pourquoi et comment un agent s'est converti, quelle mosquée et quel imam il fréquente, afin de vérifier qu'il n'est pas en train de se faire « retourner » par des réseaux islamistes ? Y a-t-il une enquête minimale pour déterminer dans quelles conditions cet agent s'est converti ?

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L'un des objets de notre commission d'enquête étant de faire la lumière sur des dysfonctionnements possibles au sein de la préfecture de police, je voudrais prendre un peu de recul sur l'actualité et revenir sur l'assassinat du père Hamel en 2016 à Saint-Étienne-du-Rouvray. Selon certaines informations, la DRPP a, dans les trois semaines précédant l'assassinat du père Hamel, capté sur la messagerie Telegram des échanges qui montraient assez clairement les intentions du tueur, Adel Kermiche. Or les informations ainsi recueillies n'ont pas été transmises, en tout cas pas avant l'assassinat du père Hamel. Est-ce là un autre dysfonctionnement, après celui que nous venons d'évoquer sur la bizarrerie de ce non-signalement de 2015, qui en était un sans l'être tout à fait ?

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Didier Lallement, préfet de police

Le plus simple est que je vous remette cette note : vous aurez ainsi l'ensemble des éléments. Mais je veux bien la lire devant la commission : « Le major [c'est-à-dire le responsable hiérarchique de premier niveau] confirme que cet échange a bien eu lieu, qu'il était informel et que ses deux collègues étaient dans la retenue [il s'agit des deux collègues à l'origine de l'échange] . Il leur demandait alors s'ils souhaitaient formaliser ce signalement, ce qui n'était pas leur intention, leur démarche s'inscrivant dans une perspective de conseil. Ils déclaraient qu'ils souhaitaient en parler à leur chef de section (…). Ce dernier serait revenu vers le major fin août début septembre (…) pour lui dire “qu'il n'y avait pas de sujet avec M. Harpon et qu'il gérait à son niveau.” »

Les mesures que j'ai prises depuis ont pour objet d'éviter que cela ne se reproduise : les signalements doivent désormais remonter à mon niveau, au cabinet du préfet. Voilà donc ce que je pouvais vous dire sur ces éléments, dont Mme Bilancini et moi-même avons pris connaissance après l'attentat. Ils corroborent ce que disait le ministre de l'Intérieur : dans l'administration, ce sont les traces écrites qui donnent des indications sur ce qui a pu se passer précédemment ; or il n'y avait rien dans les dossiers. Tout cela me paraît assez cohérent.

Comme moi, vous vous interrogez sur ce qu'il s'est passé à cette époque. S'agissait-il d'un cas d'espèce, lié à un environnement, à un groupe d'individus désirant se conduire de cette façon-là, ou bien était-ce un fonctionnement systématique de la police ? Voilà la question au cœur de mes préoccupations, et c'est pour cela que j'ai pris les initiatives que je vous ai décrites tout à l'heure, dans le but d'encourager la remontée d'informations.

Monsieur Pupponi, la conversion à l'islam ne doit pas entraîner de vérification particulière. En revanche, quand le comportement d'un fonctionnaire habilité secret défense dans un service de renseignements change, alors oui, la question doit être posée. Dans le cas de Mickaël Harpon, que je ne connaissais pas, un autre élément me paraît assez important : il était sourd-muet. Selon ses collègues, il ne répondait pas au téléphone dans le service parce qu'il n'était pas compréhensible par un tiers. Il est donc possible qu'il n'y ait pas eu d'expression d'un prosélytisme extrême puisqu'il parlait fort mal – pure hypothèse de ma part, puisque vous me demandez mon avis ; je me garderai bien de m'aventurer sur ce terrain-là.

L'analyse des faits montre qu'il s'agit peut-être d'un cas spécifique. Toutefois, je me dois d'envisager que des comportements de cette nature existent : je dois donc absolument décloisonner le système pour encourager la remontée des signalements à mon cabinet et déclencher les enquêtes nécessaires.

Enfin, concernant Saint-Étienne-du-Rouvray, je n'ai pas d'autres éléments que ceux qui ont été fournis à la Représentation nationale par le passé.

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Je m'associe tout d'abord à l'ensemble des témoignages de soutien et de solidarité exprimés par mes collègues au nom de la Représentation nationale et de l'ensemble des Parisiens.

La question de la remontée des signalements pose celle de la formation et de la sensibilisation de l'ensemble des agents. Vous avez évoqué, à très juste titre, la nécessité de conjuguer le respect de la liberté de culte de chacun avec l'exigence d'efficacité dans la détection. Selon moi, cela se passe à trois niveaux : la nature des faits signalés, le processus de détection et son traitement. Avez-vous pu, à la suite de ces événements, identifier des évolutions possibles dans les processus internes de formation de l'ensemble des agents ? Vous avez évoqué en particulier une cellule qui permettrait un traitement au bon niveau en ce qui concerne l'ensemble des personnels, agents et fonctionnaires de la préfecture de police : quels éléments envisagez-vous le cas échéant d'améliorer ?

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Mickaël Harpon était habilité secret défense et le renouvellement de son habilitation devait intervenir en avril 2020. Différentes durées existent aujourd'hui pour les habilitations défense : dix ans pour le niveau confidentiel défense, sept ans pour le secret défense – c'est celle dont bénéficiait Mickaël Harpon –, cinq ans pour le très secret défense.

Beaucoup d'événements peuvent se produire dans la vie d'un individu en cinq, sept ou dix ans : il faut vraiment s'interroger sur la durée de cette habilitation. Le but de notre commission est non seulement d'établir des responsabilités, mais aussi de trouver des pistes d'amélioration pour éviter que de tels événements puissent un jour se reproduire et que de tels dysfonctionnements perdurent. En votre qualité de préfet de police et au vu de votre expérience, trouvez-vous que la durée de ces différentes habilitations défense est pertinente et si oui, ne pensez-vous pas que des contrôles devraient être systématiquement menés pendant cette durée, afin de nous assurer de la fiabilité et de l'intégrité des agents qui en bénéficient ?

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Didier Lallement, préfet de police

La durée de l'habilitation ne nous exonère pas de toute responsabilité. Il est en effet parfaitement possible qu'un agent habilité connaisse un processus de radicalisation : il ne faut donc pas attendre la prochaine enquête, dans cinq ou sept ans. Cela repose sur la détection des signaux faibles et sur la capacité de la communauté de travail à se mobiliser pour éviter des cas de ce type.

La diminution de la durée d'habilitation nous prémunirait-elle de cas de radicalisation ? Je pense que même une durée de trois ans ne nous garantirait de rien. En revanche, des éléments liés à un mariage, à un changement de comportement dans l'environnement proche, à des changements physiques peuvent constituer des signes de radicalisation qui doivent amener à des signalements. Mais là aussi, il faut s'entendre sur ce qu'est le signalement : le rôle du responsable hiérarchique dans un service de renseignement est bien évidemment d'observer et d'apprécier comment se comportent ses fonctionnaires. La sensibilisation est donc un vrai sujet.

Les événements du 3 octobre ont provoqué un séisme suffisamment significatif pour qu'un grand nombre de réticences soient aujourd'hui levées. Je ne dis pas qu'elles le sont toutes, mais ce qui paraissait impossible est maintenant présent dans toutes les têtes. Vous avez donc raison, madame Avia, il faut accompagner cela d'un dispositif de formation. Toutes les formations assurées par la direction des ressources humaines de la préfecture de police intègrent déjà une sensibilisation à ce sujet – je ne vous les relate pas mais je le ferai dans mes réponses écrites. De même, diverses initiatives ont été prises, comme l'application « police de sécurité du quotidien » sur les tablettes NEO dont disposent les fonctionnaires, qui permet d'accéder au module dit de radicalisation. De multiples voies existent aujourd'hui – fiches réflexes, formations, etc. – pour sensibiliser à cette question.

In fine, il reste le comportement de la femme ou de l'homme, le regard qu'il porte sur son environnement. La formation doit permettre d'expliquer aux policiers que signaler n'est pas dénoncer. C'est un problème de culture, que j'essaye de changer avec l'ensemble de mon encadrement et des fonctionnaires. L'idée de la plateforme anonymisée formulée par certaines organisations syndicales m'intéresse, même si nous connaissons les limites de ce type d'exercice : il ne faut pas que cela se transforme en une dénonciation systématique de certains sous prétexte qu'ils appartiennent à telle ou telle religion. Nous n'en sommes pas là pour le moment : il faut simplement s'assurer de la faisabilité de ce dispositif du point de vue de la procédure.

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Avant de passer la parole à Mme Constance Le Grip, je voudrais vous poser une question sur les indications pour le coup très précises que vous nous avez communiquées sur les trente-trois signalements qui sont remontés jusqu'à vous depuis le 3 octobre. Ils ont conduit à désarmer sept policiers depuis cette date et sans doute cinq avant, ainsi qu'à demander trois suspensions dont une, à ce stade, a été accordée par le directeur général de la police nationale (DGPN).

Quelle hiérarchie dans la gravité des faits fonde ces différentes décisions, qui vont du signalement à la suspension ? Les signalements de faits précédant le 3 octobre sont-ils comparables aux signaux qu'avait émis Mickaël Harpon ? Comment qualifieriez-vous leur degré de gravité ? Le fait que ces signalements n'aient pas été effectués plus tôt révèle-t-il une défaillance dans la remontée des signalements ?

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Didier Lallement, préfet de police

Depuis 2012, il y a eu soixante-trois signalements. Le cas de Mickaël Harpon n'est pas isolé : il y avait au même moment, dans d'autres services, un ensemble de signalements. Une quinzaine de cas a donné lieu à des suites administratives : cinq révocations, un licenciement d'adjoint de sécurité, trois mutations, des refus de titularisation ; en outre, deux cas se sont traduits par des démissions. Certains de ces signalements, quoiqu'anciens, sont aujourd'hui encore « vivants », les fonctionnaires faisant l'objet de ces observations étant en congé de maladie.

L'objet de ma démarche est de resserrer les signalements. Aujourd'hui, un cas aussi grave que celui de Mickaël Harpon devrait à l'évidence faire l'objet d'un signalement immédiat : cela ne souffre aucune interrogation méthodologique.

Les signalements reçus depuis le 7 octobre portent essentiellement sur des cas de changement de comportement : changement d'apparence physique ou dans les rapports avec les collègues, comportement avec certains gardés à vue non conforme au code de déontologie de la police. Il y a assez peu de signalements portant sur des expressions prosélytes, et tous sont antérieurs au 3 octobre. Nous n'avons pas reçu de signalements récents de personnes qui se réjouiraient de la commission d'attentats.

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Aucun des trente-trois signalements n'atteint ce niveau ?

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Didier Lallement, préfet de police

Pas à ma connaissance.

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Et parmi les trente-trois signalements, combien appartiennent à la DRPP ?

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Didier Lallement, préfet de police

Je ne crois pas qu'il y en ait mais je vais le vérifier.

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Ma question rejoint celle de notre collègue Valetta Ardisson sur l'habilitation secret défense. Quels sont les critères, les éléments de vérification pris en compte dans la procédure devant conduire à la délivrance de cette habilitation ? S'agissant du cas précis de Mickaël Harpon, avez-vous eu l'occasion, après le tragique attentat terroriste du 3 octobre, de prendre connaissance des différents éléments qui avaient été contrôlés en vue de la délivrance de l'habitation secret défense ? Si oui, quels sont-ils – documents, formations, liste d'appels téléphoniques, réseau d'amis et de connaissances, etc. ? La conversion à l'islam ne pourrait-elle être considérée comme un critère à prendre en considération dans la délivrance de l'habilitation secret défense ? Je parle bien de conversion à l'islam, et non de la religion héritée de ses parents et de ses grands-parents. Enfin, sur le stock de quarante-huit signalements en cours d'examen, et parmi les sept policiers désarmés, combien étaient titulaires d'une habilitation secret défense ?

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Didier Lallement, préfet de police

Sous réserve de confirmation, il n'y a pas eu de signalement d'un fonctionnaire de la DRPP depuis le 3 octobre. Je n'ai donc pas de fonctionnaires habilités secrets défense parmi les personnes signalées.

Dans le cas de Mickaël Harpon, la conversion semble être liée à son mariage. L'enquête judiciaire établira les faits mais j'observe que c'est à ce moment-là qu'il manifeste un début de religiosité. Peu importe le fait générateur, me direz-vous ; en tout état de cause, c'est une conversion et les services doivent faire preuve de vigilance en la matière.

Mais je ne veux pas que l'on imagine que la conversion à l'islam, ou à toute autre religion, entraînerait immédiatement un signalement : ce n'est pas du tout comme cela que nous procédons et ce n'est pas l'idée que je me fais de la laïcité. Ce sont les signes de déloyauté vis-à-vis de la République qui doivent faire l'objet de signalements ; peu importe le fait générateur de la déloyauté à la République.

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Je voudrais juste deux précisions. Si j'ai bien compris, Mickaël Harpon avait fait l'objet d'un blâme : quand on appartient à un service de renseignements, un blâme peut-il faire l'objet d'un signalement ?

Par ailleurs, vous nous avez indiqué qu'il y avait une cellule « radicalisation » à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) : cette cellule a-t-elle un périmètre plus large que la DSPAP, ou bien existe-t-il un ou plusieurs référents au sein de la DRPP ?

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Didier Lallement, préfet de police

C'est le procureur national antiterroriste qui a indiqué, dans sa conférence de presse du 5 octobre, que Mickaël Harpon avait reçu, en mai 2012, un blâme consécutif à une procédure pour violences conjugales ayant donné lieu au prononcé d'une dispense de peine par le tribunal correctionnel de Nanterre, le 28 octobre 2009. Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure à Mme Le Pen, cela ne figurait pas dans son dossier, étant donné qu'en matière administrative le blâme ne peut rester que trois ans dans le dossier d'un individu. Aussi, lorsque j'ai consulté le dossier de Mickaël Harpon après l'attentat, n'y avait‑il aucune trace de blâme. Je ne l'ai appris que grâce à la précision du procureur national antiterroriste.

Il n'y a pas de cellule de radicalisation en tant que telle à la DRPP, mais une division consacrée à la radicalisation. Si votre question porte sur l'existence d'un individu de référence au sein de la DRPP chargé de la radicalisation interne, sachez qu'il n'y en a pas. Mais la DRPP ne compte pas un grand nombre de fonctionnaires. La DSPAP en comptant, quant à elle, 20 000, le directeur ne peut pas tous les connaître. C'est pourquoi il existe une cellule spécifique pour faire remonter les informations. À la DRPP, au contraire, le directeur connaît l'ensemble de ses fonctionnaires.

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La fin de votre réponse, monsieur le préfet de police, est en soi une explication de la défaillance, en soulignant que le manquement de 2015 est d'autant plus incompréhensible.

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Monsieur le préfet de police, vous dites qu'il n'y a pas de trace du blâme. Il y en a pourtant une, puisque, lorsque l'habilitation secret défense de Mickaël Harpon a été renouvelée le 1er août 2013, il a bénéficié d'un avis favorable avec mise en éveil de la hiérarchie. Dans le secteur du renseignement, tout changement de comportement peut représenter une vulnérabilité pour le service. Cette mise en éveil de la hiérarchie ne constituait‑elle pas pour vous un premier signalement, qui laissait entendre qu'une telle personne n'avait rien à faire dans un service du renseignement, a fortiori celui de la préfecture de police ?

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Didier Lallement, préfet de police

Il n'y a pas de traces administratives d'une mise en éveil de la hiérarchie dans le dossier de l'individu.

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Didier Lallement, préfet de police

Quant à la réaction de la hiérarchie aux faits de 2015, encore une fois, je ne peux vous répondre.

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L'ennui avec Harpon, c'est qu'il avait été condamné, fût-ce avec une dispense de peine. Si le blâme aurait déjà dû constituer un signe d'appel, à tout le moins, en cas d'habilitation secret défense d'un agent, un minimum d'enquête devrait permettre, soit par la consultation du B2, soit par celle du fichier du traitement des antécédents judiciaires, de connaître les ennuis externes au service d'un agent. Sans doute le manque de coordination entre l'interne et l'externe pose‑t‑il problème.

Pour ce qui est de l'interne, vous avez probablement raison, monsieur le préfet de police, quand vous faites remarquer qu'il s'agit d'une matière humaine et d'une psychologie particulière – celle du signalement. Comme l'a dit Laetitia Avia, il y a un problème de sensibilisation et de formation. Vous avez dit vous‑même qu'il existait une logique particulière du groupe au sein duquel avait été exprimé des inquiétudes sur le comportement de Mickaël Harpon . La hiérarchie avait également un rôle à jouer. Tout cela constitue un maelström un peu complexe, dont il semble, à vous écouter, qu'on a fait une « tambouille » interne sans qu'il y ait eu le moindre contrôle.

Existe‑t‑il des fiches d'action précises pour dire qui contacter et, dans tel ou tel cas, la procédure à suivre ou des fiches d'information pour prévenir la hiérarchie sans qu'une action soit nécessairement déclenchée ? Si les faits sont exacts, il est tout de même frappant d'apprendre que Mickaël Harpon avait commis un délit clair d'apologie d'attentat en 2015, qui en était pourtant resté à une simple discussion interne entre un chef de section et un major. Comment agir concrètement pour favoriser les signalements ? Quelle est la portée de votre circulaire du 7 octobre ?

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Si nous avons beaucoup évoqué l'identification des signes inquiétants et la remontée des renseignements, j'aimerais m'attarder sur un autre temps, qui me semble crucial, celui du recrutement des agents, essentiel pour détecter des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation. Quelles sont les procédures existantes pour appréhender le risque de façon précise ? Selon quels critères ? Dans quelle durée ? Par ailleurs, est‑ce que depuis le 3 octobre les procédures et les critères ont été réévalués pour être plus sûrs ?

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Monsieur le préfet de police, je voulais vous interroger sur la découverte d'une clé usb contenant différents documents, qui servaient à transférer des données d'un poste de travail à un autre. Cela conduit à s'interroger sur la traçabilité des différentes clés, sur leur circulation dans la préfecture de police et en dehors, et sur les risques relatifs à la dispersion d'informations classées secret défense. Quelles procédures mettre en œuvre pour protéger les données et, éventuellement, bloquer certains ports usb sur les postes des fonctionnaires ?

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Didier Lallement, préfet de police

Pour ce qui est de l'habilitation, je reviens encore et toujours au seul élément administratif dont je dispose sur les faits : la note de la directrice du renseignement du 5 octobre, que je vous remettrai. Je vous en lis un autre extrait sur les suites données à la procédure de violences volontaires commises par Mickaël Harpon sur la plainte de son épouse : « Ces agissements pour lesquels un rapport avait été rédigé par l'intéressé n'avaient pas été considérés à l'époque comme étant suffisants pour motiver un retrait ou non‑renouvellement d'habilitation. Le haut fonctionnaire de défense du ministère de l'intérieur avait ainsi rendu un avis favorable à l'habilitation avec mise en éveil de la hiérarchie. » Je ne peux pas vous répondre quand vous me demandez pourquoi ce rapport ne figure pas dans le dossier de l'individu, ni pourquoi ces éléments n'ont pas fait l'objet de signalements à la hiérarchie. Mme Bilancini, qui a pris ses responsabilités à partir de 2017, n'avait pas connaissance de ces faits‑là ; par construction, moi non plus. Vous aurez l'occasion de lui demander des précisions.

Monsieur Paris, il va en effet falloir constituer des référentiels et des fiches action, selon les différentes situations, pour aider les fonctionnaires et les guider. Je vais essayer d'entreprendre ce travail avec la direction générale de la police nationale, dans la mesure où je pense que cela ne concerne pas que la préfecture de police, mais l'ensemble de la police nationale. Les fonctionnaires doivent disposer de modes d'emploi beaucoup plus pertinents. Les formations, comme celle concernant l'usage de la tablette NEO, ont une portée très générale sur le phénomène de radicalisation. Il faut mener un travail pour mieux le détecter à l'intérieur de la police, selon une série de critères. Nous devons progresser, à l'évidence.

Pour ce qui est des clés usb, je me garderais bien de m'aventurer dans un domaine qui relève de l'enquête. Cela ne me paraît pas choquant qu'un informaticien ait des clés usb pour vider des ordinateurs. La vraie question est de savoir si des informations ont circulé en dehors du périmètre de la DRPP et ont été communiquées à l'extérieur. J'attends une information du procureur national antiterroriste, pour savoir si son enquête préliminaire a révélé des éléments d'une telle nature, ce qui pourrait changer la dimension des choses. En revanche, je le répète, il ne me semble pas anormal de retrouver dans le bureau d'un membre d'une cellule informatique une clé usb, comme en ont tous ses autres collègues. Tous les informaticiens m'ont confirmé en avoir une, pour enregistrer sur des machines ne devant plus fonctionner des données de sauvegarde, qui sont par la suite effacées. Ce qui est important, bien sûr, c'est que ces données ne sortent pas et qu'elles ne soient pas transmises à l'extérieur.

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Deux confirmations, s'il vous plaît, monsieur le préfet de police, et une dernière question. Tout d'abord, vous me confirmez que vous n'avez pas ouvert d'enquête interne, alors qu'un signalement interne avait été fait, sans aller jusqu'au rapport, soit par peur – on a effet appris que Mickaël Harpon avait accès aux coordonnées de tous les agents –, soit par crainte d'être accusé de faire un signalement uniquement sur la base de la religion, et qu'un signalement en provenance du Val d'Oise indiquait que ce monsieur fréquentait une mosquée, manifestement tenue par des islamistes ? Ces deux signalements n'ont pas eu de conséquences, et vous n'avez ouvert aucune enquête administrative interne pour connaître les raisons d'un tel dysfonctionnement.

Deuxièmement, vous me confirmez que, contrairement à d'autres services de l'État, il n'existe pas, au sein de la préfecture de police, un service chargé de prévenir et de lutter contre les différentes vulnérabilités et menaces, telle la radicalisation islamiste. Est-ce l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) qui dispose d'une antenne spéciale pour la préfecture de police et joue un rôle dans ce domaine ?

Enfin, qui instruit et contrôle les habilitations relevant du secret de la défense nationale au sein de la préfecture de police ?

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Didier Lallement, préfet de police

Je n'ai pas lancé d'enquête interne, dans la mesure où il y avait une enquête judiciaire. Dès lors, l'ensemble des faits administratifs étant saisis dans ce cadre, je n'avais pas la matière pour lancer une enquête administrative sur des faits qui relèvent du judiciaire. Je crois avoir été assez précis sur ce point. Je vous ai donné les éléments dont je disposais : le compte rendu, que j'ai demandé à la directrice, de ce qui apparaissait après l'attentat, puisqu'elle n'en était pas informée sur le moment, compte rendu établi sur la base de conversation qu'elle a pu avoir en dehors de l'enquête judiciaire, c'est‑à‑dire sans évoquer des faits judiciaires. Je vous en ai fait loyalement état, comme c'est mon devoir et conformément au droit.

Je me suis mal fait comprendre sur le service consacré à la radicalisation. De fait, il n'existe pas un service mais des services consacrés à la radicalisation au sein de la préfecture de police. Il n'y a pas un correspondant, mais plusieurs. Il existe plusieurs niveaux dans le dispositif. Il n'y a pas une cellule chargée de la radicalisation des personnels. C'est par le biais du dispositif hiérarchique et de cellules généralistes sur la radicalisation que ces cas doivent être traités.

Les habilitations sont instruites en fonction d'un protocole signé entre la DGSI et la DRPP, par la DRPP, avant d'être transmises au haut fonctionnaire de défense du ministère de l'Intérieur, lequel délivre les habilitations sur la base de l'instruction menée par les différents services, en l'occurrence la DRPP.

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Monsieur le préfet, vous avez déclaré que vous avez désarmé sept policiers, pour cause de radicalisation. Imaginons que ces sept policiers prennent un jour un couteau et tuent quelqu'un… Quand la radicalisation est avérée, ne faut‑il pas tout simplement suspendre les agents ? Le doute doit profiter aux citoyens et aux victimes potentielles. Cela me semble évident, même si je comprends qu'il soit parfois difficile de suspendre certains agents.

Par ailleurs, dans le cas d'une suspicion, l'anonymat me paraît très important. Il va de soi qu'il ne peut pas être total, au risque de conduire à des délations calomnieuses. En revanche, il doit y avoir un anonymat partiel. La cellule traitant les signalements devrait être très étanche pour garantir la protection de la personne qui fait un témoignage.

Enfin, je continue à penser que sept minutes au sein de la préfecture de police, c'est très long. Avec Bernard Cazeneuve, après le Bataclan, à ma demande notamment, la doctrine d'intervention a changé, pour aller au contact. Dans un endroit comme la préfecture de police, où il y a des centaines de personnes armées, face à un événement d'une telle gravité, les policiers doivent aller au contact et tuer. Sans entrer dans des détails, puisque l'audition est publique, je continue à penser que sept minutes, dans un tel cadre, c'est vraiment très long.

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Monsieur le préfet de police, je voudrais revenir sur les clés usb, sachant que les renseignements dont nous disposons dans cette commission d'enquête proviennent surtout de la presse. Le bruit que des clés usb avaient été retrouvées au domicile de Mickaël Harpon a circulé : le confirmez‑vous ?

Quant aux procédures de sécurité, il s'agissait de la cellule informatique d'un service de renseignement, au saint des saints du travail antiterroriste. J'ai visité des services où l'on vous confisquait votre téléphone portable pour éviter toute fuite. Est-ce qu'il n'existe pas des procédures plus resserrées dans les services de renseignement pour éviter la fuite d'éléments, en particulier de noms et d'adresses personnelles de fonctionnaires, ce qui inquiète beaucoup depuis l'attentat de Magnanville ?

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Didier Lallement, préfet de police

Monsieur Habib, lorsque je considère que le niveau de gravité peut être significatif, je demande la suspension des fonctionnaires. Vous avez raison : l'arme de fonction n'est pas le seul vecteur possible. Les demandes de suspension que j'ai faites l'ont été pour des fonctionnaires qui avaient d'ores et déjà été désarmés. Le désarmement est une mesure de premier niveau, avant l'instruction des dossiers.

Sur l'anonymat, je vous ai répondu tout à l'heure, à titre personnel. Ce n'est pas à moi, préfet de police, de prendre une telle décision, qui doit être prise au sein du ministère de l'intérieur. Je n'ai pas d'objection à la création de dispositifs de la nature de celui que vous évoquiez. Mais je pense surtout qu'il faut le même dispositif pour toute la police nationale – on reproche trop souvent à la préfecture de police d'appliquer des mesures spécifiques.

Sept minutes, c'est long, vous avez raison, à une petite réserve près : vous êtes à l'intérieur de la préfecture de police, pendant l'heure du déjeuner, avec des fonctionnaires et un agresseur qui ne porte pas de signe distinctif annonçant une agression de cette nature. Quand bien même des fonctionnaires auraient été armés et l'auraient croisé, ils auraient vu un homme couvert de sang et, quoi qu'il en soit, étant donné les règles d'ouverture du feu, il leur aurait fallu s'interroger pour savoir si c'était une victime ou un auteur. On n'est pas dans le cas de figure des attentats que vous décrivez.

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Il avait quand même un couteau à la main, si vous me permettez…

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Didier Lallement, préfet de police

Il avait effectivement un couteau, mais encore faut‑il le voir. En quelques secondes, sur un homme couvert de sang, ce n'est pas aussi évident que cela. Je ne suis pas le meilleur spécialiste de la question, mais je dis que ce n'est pas aussi simple que cela. En revanche, je suis d'accord avec vos conclusions : nous devons être plus rapides dans les protocoles. C'est notamment pour cela que j'ai mis en place un dispositif de patrouille interne. Jusqu'à présent, le port du badge était assez souple à l'intérieur de la préfecture de police – tout le monde n'en portait d'ailleurs pas. J'ai demandé que le port du badge soit systématique et qu'il y ait des contrôles à l'intérieur de la préfecture de police, aussi bien des personnels en uniforme qu'en civil, de manière à avoir en interne un dispositif de filtrage. Interviendrait‑on pour autant plus rapidement pour un événement qui se passerait au premier étage d'un bâtiment ? Peut-être. Je ne sais pas combien de temps on aurait pu gagner.

Il n'y a pas eu de coups de feu, sinon à la fin. Il faut bien vous rendre compte que personne n'entend rien. Il y a des cris à l'évidence, qui ne sont entendus qu'à proximité. L'enquête établira sans doute que des fonctionnaires, par habitude, s'enferment pour déjeuner, certainement pour ne pas être dérangés par leurs collègues. Un fonctionnaire à proximité, qui avait fermé sa porte, a entendu les cris et signalé immédiatement le problème au poste de garde. Les choses se sont ensuite enchaînées. Une partie des victimes ont aussi été croisées dans l'escalier. Encore une fois, je ne juge pas des circonstances, mais je suis d'accord avec votre conclusion : il faut être beaucoup plus rapides et avoir des modalités d'information.

Je n'ai pas connaissance d'une information sur des clés usb retrouvées au domicile de l'intéressé. La DRPP doit renforcer ses procédures. Je veux néanmoins saluer devant votre commission Mme Bilancini pour son travail. Depuis qu'elle a été nommée directrice en 2017, plusieurs procédures ont été remises en vigueur. Elle a retiré un certain nombre d'habilitations. Comme il s'agit de choses qui se sont produites avant mon arrivée, je n'en tire aucun bénéfice, mais dis tout à fait objectivement ce qu'elle a fait – elle a notamment décidé que la délivrance des habilitations est conditionnée à des entretiens, au‑delà des criblages.

Mme Bilancini aura sans doute l'occasion de vous en dire plus sur son travail tout à l'heure. Elle a véritablement changé la nature d'une DRPP qui, pour autant que je puisse en juger en 2019, n'était pas encore entrée dans une logique de service de renseignement du deuxième cercle. Mme Bilancini a véritablement rehaussé le dispositif, même si, très objectivement, son action n'a pas permis de détecter les faits de 2015 et les suites qu'elle ne pouvait pas connaître. Néanmoins, elle a modernisé les procédures et la sécurité bâtimentaire. Par exemple, avant son arrivée, aucune procédure n'assurait l'étanchéité de la DRPP. Je crois même qu'il y avait une crèche à proximité… Tout cela a été réorganisé. Je défendrai vraiment Mme Bilancini qui a fait un travail remarquable dont on peut se féliciter.

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Est-ce à dire, monsieur le préfet de police, a contrario, que ce qui avait été fait par ses prédécesseurs n'était pas au niveau de sécurité que l'on pouvait exiger ?

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Didier Lallement, préfet de police

Je me garderai bien de me livrer à de telles appréciations. Je parle seulement en tant que préfet de police, en 2019, en me fondant sur le compte rendu qui m'a été fait par la DRPP en fonction, des mesures qu'elle a prises à partir de son entrée en fonction, avant mon arrivée. Si elle a pris ces mesures, c'est qu'elles n'avaient, de fait, pas été prises auparavant…

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À la suite de François Pupponi et de Constance Le Grip, je voudrais revenir sur une question qui me paraît vraiment très importante : celle des conséquences à tirer d'une information selon laquelle un fonctionnaire du ministère de l'Intérieur se convertit à l'islam. Je voudrais vous faire part d'une interrogation et peut‑être, monsieur le préfet de police, d'un désaccord. Bien sûr, comme député, comme citoyen, je ne dis pas qu'une conversion à l'islam doit nécessairement entraîner la suspension et a fortiori la révocation d'un fonctionnaire. Je ne le dis pas, je ne le pense pas – cela n'aurait pas de sens. En revanche, dans la France de 2019, la conversion à l'islam n'est‑elle pas en soi un fait qui justifie, de la part de l'autorité hiérarchique au sein du ministère de l'Intérieur, que l'on procède à la collecte d'un certain nombre d'informations, pour distinguer ce qui relève de l'exercice normal, dirons‑nous, du culte musulman de ce qui relèverait, par hypothèse, de l'adhésion à ce que le Président de la République lui‑même, dans la cour d'honneur de la préfecture de police, devant les cercueils des victimes de Harpon, a qualifié d'hydre islamiste ? La caractéristique d'une hydre est bien d'avoir plusieurs têtes, et nous savons que des techniques de dissimulation existent. Monsieur le préfet de police, mon intervention est moins une interrogation que l'expression d'une position et d'un désaccord. Je pense que nous pouvons raisonnablement soutenir, parce que nous sommes républicains, que la conversion à l'islam d'un agent du ministère de l'Intérieur doit faire en soi l'objet d'une interrogation et d'une vérification, a fortiori si cet agent est employé dans un service de renseignement au cœur de la préfecture de police.

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Didier Lallement, préfet de police

Comme vous le dites, Monsieur Larrivé, c'est l'expression d'une position. Je suis d'accord avec vous : la radicalité doit faire l'objet d'une meilleure prise en compte. Mais est‑ce que, dans notre société, la radicalité vient d'une seule religion ? À titre personnel, je ne le pense pas. Il y a de multiples formes de radicalité qui sont en train de monter en puissance et qui nécessitent de mener des vérifications tout au long de la carrière d'un fonctionnaire. Le vieux système que nous avons connu, qui se résumait à un examen en début de carrière, n'a plus de sens aujourd'hui.

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Mes chers collègues, monsieur le préfet de police, nous allons mettre un terme à notre audition. Pourrez-vous nous communiquer par écrit les réponses au questionnaire très précis que nous vous avons adressé, notamment sur la chaîne hiérarchique qui a structuré l'organisation de la DRPP depuis 2015 et les événements à l'origine du signalement que nous avons évoqué ? Nous vous remercions pour vos réponses, même s'il nous a parfois fallu insister un peu pour aller de façon plus précise vers la réalité des faits.

La séance est levée à 17 heures 25.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Laetitia Avia, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, M. Meyer Habib, M. Guillaume Larrivé, Mme Constance Le Grip, Mme Marine Le Pen, Mme Alexandra Louis, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. François Pupponi, M. Guy Teissier, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Guillaume Vuilletet

Excusés. - M. David Habib, M. Jean-Michel Mis, Mme George Pau-Langevin

Assistaient également à la réunion. - Mme Brigitte Kuster, M. Sylvain Maillard