Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 16h50

Résumé de la réunion

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  • militaire
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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

La séance est ouverte à 16 heures 50.

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Nous sommes heureux de recevoir le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, pour une audition consacrée à la situation mondiale. L'actualité internationale est marquée par un risque croissant d'escalade des tensions, un surgissement tous azimuts de crises sociales et la persistance de nombreux conflits.

La situation sécuritaire reste très précaire au Sahel, où les militaires engagés sur le terrain paient un lourd tribut dans la lutte contre le terrorisme. Votre audition, monsieur le ministre, intervient à un moment bien particulier pour la Nation, quarante-huit heures après le terrible accident d'hélicoptères survenu au Mali. Permettez-moi de rendre hommage en notre nom à tous, aux treize militaires qui ont trouvé la mort lors d'une opération de combat contre des groupes armés terroristes.

Les militaires français sont engagés au nom de la France au Sahel pour défendre, au péril de leur vie, des principes et des valeurs qui sont les nôtres. Nous soutenons leur action et nous sommes à leurs côtés. Ils le font aussi pour défendre et protéger l'Europe. Nos partenaires européens, dont certains sont déjà présents, doivent s'impliquer davantage. De même, la communauté internationale doit s'engager fortement pour soutenir, aux côtés de l'Union africaine, le G5 Sahel pour qu'à terme les États sahéliens puissent être en capacité d'assurer leur propre sécurité.

Nous le savons tous : la réponse militaire est indispensable, vitale, pour rétablir la sécurité. Elle doit nécessairement s'accompagner d'un effort redoublé pour créer les conditions de la stabilité, du développement et du retour de l'État dans toutes les zones de la région. C'est bien une stratégie globale qui doit être mise en oeuvre au Sahel.

Dans le Nord-Est syrien, le retrait unilatéral américain et l'offensive militaire de la Turquie ont créé une rupture de confiance entre alliés et entraîné une catastrophe humanitaire. Il est indispensable que la suspension des combats aboutisse à une désescalade durable. La France doit rester particulièrement vigilante sur ce point et marquer comme ligne rouge vis-à-vis d'Ankara une opposition totale à la relocalisation forcée de milliers de réfugiés dans le Nord-Est syrien qui aurait pour seul objectif de changer durablement la composition ethnique de la région. Cette région constituait jusqu'alors un espace au sein duquel les populations locales parvenaient à construire un début de dialogue démocratique, égalitaire, tranchant avec l'obscurantisme. La France doit défendre le projet d'une Syrie décentralisée, inclusive et respectueuse de l'ensemble de ses minorités.

L'instabilité est également le résultat d'une forme de mondialisation des crises sociales. Le malaise s'exprime dans plusieurs pays du Moyen-Orient, à l'image des manifestations qui agitent l'Irak et l'Iran, où les répressions en cours sont sources d'inquiétude. La contestation s'exprime également au Liban, pays auquel nous sommes particulièrement attachés, et je veux mentionner ici la Jordanie que nous ne devons pas oublier et qui mérite un soutien renforcé de la communauté internationale. La situation de ces pays exige toute l'attention de la France, tant ils sont importants pour la stabilité du Moyen-Orient.

La situation libyenne semble évoluer de manière négative, tant l'opposition entre le gouvernement d'union nationale de Fayez al-Sarraj et l'Armée nationale libyenne de Khalifa Haftar reste forte. De surcroît, l'activisme de certains États n'aide pas à la résolution du conflit. Comment enrayer cette spirale ? Le pays voisin, l'Algérie, est à un moment clé de son histoire : j'ai pu constater, à l'occasion d'un tout récent déplacement dans ce pays, l'attente d'un changement profond en matière politique, bien sûr, mais aussi économique et sociale, compte tenu de la crise très lourde qui traverse le pays.

Un autre continent, l'Amérique latine, est en proie à une forte agitation sociale. La simultanéité des colères du Chili à l'Équateur en passant plus récemment par la Colombie, a presque relégué en arrière-plan la crise au Venezuela, où la situation économique, sociale et humanitaire s'aggrave pourtant de jour en jour. Et comment ne pas évoquer Hong Kong où la crise et la contestation perdurent jour après jour dans une violence qui interpelle ?

D'autres turbulences appellent des réponses stratégiques fortes de moyen et long terme. Les désaccords sur les finalités et les dissensions entre certains membres de l'Alliance atlantique posent la question de l'avenir de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Vous vous êtes exprimé récemment sur ces sujets, mais plus avant, je crois que c'est bien la question fondamentale de la capacité de l'Europe à assurer et à assumer sa propre sécurité et sa propre défense qui est désormais posée avec acuité. Sur cette question cruciale, la France, avec ses alliés européens, doit être à l'initiative. Sur ces grandes questions et sur d'autres telle celle du multilatéralisme, je vous laisse la parole.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Merci, je suis un peu embarrassé par rapport à l'ampleur des questions que vous posez. Je parlerai d'abord du Sahel. Je suis ému, comme vous, à la suite de ce terrible accident. J'ai une pensée très particulière pour ces treize soldats. D'autant plus que, dans des fonctions antérieures, j'ai été amené à les connaître, y compris une partie d'entre eux personnellement. L'émotion des Français est à la mesure du dévouement de ces hommes. Ces derniers connaissent les risques de leur mission ; ils savent quel peut en être le prix. Ils ont choisi une vie d'abnégation au service de notre pays et de sa sécurité. Leur disparition nous oblige, et je tiens à leur rendre hommage comme vous, et comme l'ensemble de la Nation le fera lundi.

Face à ce drame, soyez certains que notre détermination à lutter contre la menace terroriste au Sahel reste totale. Nous maintiendrons l'action militaire indispensable, comme l'a dit avec force le Premier ministre devant l'Assemblée nationale hier. Cet accident intervient à un moment où, par ailleurs, nos forces armées et les forces en constitution du G5 Sahel avaient obtenu des résultats significatifs qui avaient permis de stabiliser certaines zones, de neutraliser quelques leaders terroristes… Mais, il ne faut pas le nier, nous avons à faire face à une situation sécuritaire difficile. Elle est particulièrement difficile au Mali dans le Liptako, dans la région qu'on appelle des trois frontières, entre le Burkina-Faso, le Mali et le Niger. Elle est aussi très difficile au nord du Burkina Faso, où les attaques se sont multipliées ces derniers mois, à l'initiative de deux grandes mouvances terroristes : l'EIGS, l'État islamique dans le Grand Sahara, qui fait référence à l'État islamique – donc à Daech ; il faut appeler les choses par leur nom ; et le RVIM, le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans, autour de Iyad Ag Ghali, qui est le regroupement un peu « qaïdiste » de ces groupes. L'EIGS étant plus au Burkina Faso, le RVIM davantage au centre et nord du Mali.

Nous devons poursuivre notre action contre ce terrorisme. C'est à la fois la sécurité de ces pays et peut-être leur existence même, qui sont en cause, et notre propre sécurité, celle des Français, celle des Européens. Ces volontés de destruction de l'État et de prise en otage des populations présentent des risques majeurs. Nous devons donc poursuivre les efforts, vous avez raison de le dire, madame la présidente.

Mais la réponse est globale, c'est-à-dire qu'elle intègre à la fois nos propres initiatives militaires au travers de la force Barkhane ; à la fois l'action de formation et de stabilisation menée par d'autres forces que ce soit la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, la MINUSMA, qui représente tout de même au Mali plus de 12 000 militaires ou l'EUTM Mali, mission de formation de l'Union européenne au Mali, l'initiative européenne de formation de l'armée malienne, qui regroupe environ 700 personnes ; à la fois, la force conjointe du G5 Sahel avec des effectifs potentiels de 4 500 hommes et qui est en train de se structurer… Cela, c'est l'action militaire avec ses différentes variantes. Mais cette réponse globale comprend aussi l'action humanitaire. Nous avons engagé, depuis le lancement de l'Alliance Sahel en particulier, énormément de moyens pour conforter les zones fragiles. En 2019, 675 millions d'euros de projets ont été engagés par l'Agence française de développement (AFD) au Sahel, dans les cinq pays concernés, singulièrement dans les zones fragiles. Nous avons accéléré les procédures de l'AFD pour que les modes d'action soient plus proches du terrain. Des projets à impact rapide ont été mis en oeuvre, en particulier dans la zone sensible des trois frontières. La réponse globale, c'est cela aussi.

Mais ce qui me paraît le plus important pour parfaire cette réponse globale, c'est désormais encore plus d'action politique. Encore plus d'action politique au Mali, pour que les engagements pris soient respectés ; pour que le DDR – pour désarmement-démobilisation-réinsertion – soit réellement acté ; pour que l'Accord d'Alger, y compris dans la partie décentralisation – cet accord remonte maintenant à quatre ans – soit réellement appliqué ; pour que l'État malien revienne à Kidal ; et qu'il y ait une volonté commune affichée de lutter contre le terrorisme… Plus d'action politique, plus de pression politique. Plus de pression politique aussi au Burkina Faso, où il importe que les autorités puissent rassembler la Nation contre les risques. Il y a aujourd'hui 2 000 écoles fermées au Burkina Faso en raison de l'action des groupes terroristes dans le nord du pays. Cela signifie des générations qui ne seront pas formées.

Il faut plus de politique aussi pour que la force conjointe du G5 Sahel soit concrétisée. Cela avance mais met parfois un peu de temps. Plus de politique aussi pour faire en sorte que le P3S, le Partenariat pour la sécurité et la stabilité pour le Sahel, soit mis en oeuvre. Une rencontre aura lieu avant la fin de l'année à Bruxelles pour acter tout cela. Le P3S, c'est à la fois l'élargissement de la zone d'action commune aux pays côtiers, c'est-à-dire Côte d'Ivoire, Togo, Bénin et Sénégal en particulier, mais aussi l'élargissement des missions, ainsi qu'un engagement plus fort de l'Union européenne. Plus de politique, pour faire considérer par le nouveau Haut-représentant de l'Union européenne que l'enjeu sécuritaire – en fait l'enjeu global – est un enjeu européen. Voilà le sujet. Le moment est à l'émotion, Florence Parly, ministre des armées, est partie tout à l'heure à Gao, mais une fois l'émotion passée, je pense que cette action sera tout à fait déterminante pour mettre en oeuvre cette stratégie globale.

Je voulais revenir aussi sur la situation dans le Nord-Est syrien et surtout faire un point sur la réunion que nous avions sollicitée à Washington. Je vous rappelle que nous avons eu au mois d'octobre deux événements concomitants : le 9 octobre, la décision de la Turquie de pénétrer dans le Nord-Est syrien pour établir une zone dite de sécurité, poussant les Forces démocratiques syriennes à reculer, et quatre jours plus tard, l'annonce par le secrétaire américain à la défense, M. Mark Esper, du retrait américain de l'ensemble de la zone. Notre réaction avait alors été de dire que ces décisions unilatérales n'étaient pas acceptables ; qu'elles fragilisaient singulièrement notre combat contre Daech ; que, lorsqu'on renonçait à soutenir ceux qui étaient nos alliés contre Daech pour des raisons de sécurité des frontières, on n'était pas dans l'ordre des choses de la coalition ; et qu'il fallait que la coalition se réunisse. Nous l'avions demandé, la France la première, moi-même devant l'Assemblée nationale, et nous l'avions demandé solidairement au niveau européen – les vingt-huit, y compris la Grande-Bretagne –, et le Président de la République s'en était entretenu aussi avec le Président Trump.

Cette réunion s'est déroulée le 14 novembre. D'abord, elle a eu lieu avec tout le monde, c'est-à-dire avec les trente pays les plus engagés dans le combat contre Daech. Nous nous étions mis d'accord avec les Européens sur notre proposition – disons, sur ma proposition –, sur cinq points essentiels pour nous. D'abord le maintien de l'action de la coalition en Syrie et en Irak jusqu'à l'éradication complète de Daech, ce qui veut dire en fait jusqu'à la stabilisation politique de ces deux pays. Ensuite, nous avons demandé à ce qu'aucun des membres de la coalition ne prenne d'initiatives unilatérales, sans en avertir les autres. Troisièmement, nous avons insisté sur la nécessité d'une détention sûre des combattants emprisonnés. Je rappelle que les combattants djihadistes emprisonnés sont 10 000 à 12 000. On a tendance à parler surtout des quelques dizaines de Français qui pourraient éventuellement, s'ils étaient dispersés, commettre des actes terroristes en France. Mais ils sont 10 000 ou 12 000 à pouvoir le faire. Et quand on sait qu'en Irak, il y a une clandestinité des anciens combattants de Daech, cette crainte n'est pas secondaire. Le combat continue et la détention sûre des combattants était l'un des objectifs que nous avions mis en avant. Nous avions aussi insisté sur la nécessité de soutenir économiquement, humanitairement l'Irak qui traverse une période difficile. On était alors au milieu des situations sociales conflictuelles en Irak, il fallait pouvoir apporter la pérennité d'un soutien économique à ce pays au moins dans sa phase de transition. Tout cela supposait, en particulier sur le premier point, que les États-Unis fassent savoir qu'ils poursuivaient leur action dans la zone et que, dans la mesure où ils le faisaient, la France remplirait ses engagements à la fois civils et militaires dans l'ensemble de la région. Ces cinq points ont été actés dans le communiqué final. Je ne vais pas vous dire que cela a été simple, mais ils ont été actés. Je tenais à souligner devant vous ce fait très important. Un processus de règlement politique se met en oeuvre, à Genève, à l'initiative de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies M. Geir Pedersen. Le Comité constitutionnel est constitué, non sans mal puisqu'il a fallu plusieurs mois pour cela. Il doit maintenant aborder les étapes à venir du règlement politique indispensable : il ne saurait y avoir de victoire militaire en Syrie, ni de règlement du problème Daech, sans stabilité politique de ce pays. C'est ce sur quoi il faut agir, en sachant que la coalition n'a qu'un unique objectif : le combat contre Daech.

Quelques mots de la Russie et de la Chine car, même si l'on ne peut parler de situations de crise, j'ai néanmoins, dans le contexte actuel, des éléments d'information importants à vous donner, d'autant plus qu'il y a eu au mois de novembre un déplacement à Pékin du Président de la République, que j'ai accompagné. Je tiens d'abord à dissiper un éventuel malentendu : entretenir des relations politiques soutenues avec Moscou et avec Pékin, nous pouvons et nous devons le faire sans pour autant tomber dans l'irénisme, ni la naïveté. Et quand il le faut, nous sommes prêts au nom de nos valeurs et de nos intérêts à jouer les rapports de force – nous l'avons d'ailleurs démontré en plusieurs occasions –, mais cela n'empêche pas d'ouvrir la porte à un dialogue constructif sur les sujets importants pour nous, qu'ils soient d'ordre stratégique ou économique. C'est le cas pour la Russie, en particulier après la rencontre que le Président de la République a eue avec le président Poutine à Brégançon, à la fin de l'été. Dans cette relation, l'enjeu est double : d'abord rapprocher la Russie de l'Europe pour commencer à sortir d'un climat de défiance et éviter qu'elle ne s'éloigne encore davantage de nous. Cette démarche va être conduite en étroite coordination avec nos partenaires européens, en tenant compte de leurs intérêts, mais en essayant d'agir et de dialoguer avec Moscou chaque fois que nous le pouvons parce qu'une attitude de défiance ne permet pas d'avancer. Dialoguer sans renier nos oppositions, en les connaissant d'ailleurs, et même en les identifiant.

Ensuite, il importe, dans notre relation avec la Russie, de lui proposer de jouer le jeu du dialogue, des règles internationales. C'est l'état d'esprit qui dominait à Brégançon, et nous avons poursuivi cette relation dans un échange que nous avons eu, Florence Parly et moi-même, à Moscou, au courant du mois d'octobre avec nos homologues respectifs, MM. Sergueï Lavrov et Sergueï Choïgou. Nous avons établi à ce moment-là, un agenda de confiance et de sécurité, dans le cadre d'un dialogue structuré sur la sécurité et la stabilité en Europe, sur cinq thèmes. Premièrement, le renforcement de notre coopération bilatérale dans certains domaines prioritaires – je pense notamment à l'environnement et au climat, et la Russie vient d'ailleurs de ratifier l'accord de Paris ; c'est une bonne nouvelle –, à la fois dans les relations entre nos sociétés civiles, à la fois dans notre partenariat économique. Ensuite, la création de mécanismes bilatéraux de dialogue et de transparence sur les enjeux stratégiques et de défense, afin de prévenir tout risque de malentendu, donc d'escalade involontaire. Troisième axe : la restauration progressive de la stabilité stratégique en Europe. Agir ensemble pour la mise en oeuvre potentielle de règles collectives, y compris pour assurer le relais en cas de rupture du traité FNI – forces nucléaires à portée intermédiaire. Quatrièmement, la réaffirmation des valeurs du Conseil de l'Europe et des principes d'Helsinki et de la Charte de Paris dont on va fêter le trentième anniversaire l'année prochaine. Cinquièmement, la réflexion sur la manière dont on peut agir ensemble sur les crises ; nous venons d'en évoquer deux, il y en a d'autres. Nous nous sommes mis d'accord sur cet agenda. Le Président de la République et le président Poutine ont désigné par ailleurs chacun un envoyé spécial, qui doivent maintenant avancer sur ces points. Nous ferons régulièrement le point de la situation. Le Conseil de coopération franco-russe ne s'était pas réuni depuis 2012 et notre souci est de faire en sorte que la Russie puisse saisir cette occasion. Nous disons qu'il faut passer d'une défiance totale au moins à un début de confiance.

Bien évidemment, dans cette affaire, la question la plus urgente, et le symbole le plus significatif, c'est la question ukrainienne. J'observe qu'il s'est passé depuis qu'on s'est vus plusieurs choses : d'abord le président Volodymyr Zelensky a pris des initiatives en ouvrant l'accès à Stanytsia Luhanska, dans le Donbass. Il y avait trois portes d'entrée qui faisaient l'objet de situations conflictuelles depuis plusieurs années : Petřínské, Zolotye et Stanytsia Luhanska. Aucune initiative n'était prise, et le président Zelensky l'a fait. Comme il a pris l'initiative d'intégrer le processus qu'on appelle « la formule Steinmeier ». Je ne veux pas entrer dans les détails techniques, il s'agit d'un aménagement réglementaire et d'un aménagement d'agenda sur le statut du Donbass trouvés alors que M. Frank-Walter Steinmeier, qui est maintenant Président de la République allemande, était ministre des affaires étrangères. Cela a été pris en compte par les autorités ukrainiennes. Parallèlement, on a assisté à des gestes d'ouverture de l'autre côté, puisque les marins dits de Kertch ont été libérés, les bateaux rendus. Et des prisonniers ont été échangés. Et nous sommes sur le point de tenir au niveau des chefs d'État et de gouvernement, un sommet au Format dit « Normandie » qui aura lieu à Paris le 9 décembre prochain et qui, je l'espère, pourra permettre d'avancer dans un processus de stabilisation sur la question du Donbass en particulier, et sur l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Cette évolution est importante à noter, parce que c'est un sujet central et également très symbolique de la volonté de passer de la défiance à un début de confiance.

Quelques mots aussi de la Chine, où notre déplacement a été très important. Là aussi, il y a deux postures parallèles. Il y a le fait que nous considérons, au niveau européen, que la Chine est un rival systémique. Cela a été reconnu par la Commission européenne au printemps dernier, et acté par le Conseil des chefs d'État et de gouvernement européens. C'est un constat nouveau. À nous d'en tirer toutes les conséquences, et l'Europe a commencé à le faire en se dotant d'un instrument européen de contrôle des investissements stratégiques, en renforçant nos instruments et notre doctrine en matière de défense commerciale. Le mandat qui s'ouvre au plan européen doit nous permettre d'aller beaucoup plus loin, en particulier dans le domaine technologique, pour nous assumer comme puissance et comme ensemble préservant ses propres intérêts, y compris commerciaux et industriels. Cela a été acté dans un programme en dix points, repris par le Conseil européen et dans les orientations de Mme Ursula von der Leyen, à la présidence de la Commission européenne.

Nous avons d'un côté cela, et de l'autre, le fait que la Chine est aussi un acteur incontournable au plan international. Nous ne pouvons l'ignorer. Il faut donc trouver un moyen, tout en défendant nos intérêts, de passer de la rivalité au partenariat, chaque fois que c'est possible. À cet égard, l'approche européenne est tout à fait essentielle. Et je fais observer que dans les deux derniers moments politiques majeurs au cours desquels nous avons été amenés à rencontrer le président Xi Jinping, à chaque fois le Président Macron a souhaité que ce soit élargi au niveau européen. Cela a été le cas lorsque le président Xi Jinping est venu à Paris en mars, quand la Chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avaient participé aux échanges. Ça a été le cas aussi à Shanghai au mois de novembre, puisque la Commission européenne était présente grâce à M. Phil Hogan, commissaire européen, et un ministre allemand qui a assisté à l'ensemble des discussions sur ces questions. Nous avons avec la Chine cette double relation qu'il nous faut mener de manière très ferme et dans les deux sens. Et je peux dire que le bilan de notre récente présence en Chine a été plutôt positif, sans nullement cacher nos points de vue concernant les questions des droits de l'homme, y compris la question de Hong Kong.

Enfin, je voudrais dire deux mots du sommet de l'OTAN, qui aura lieu la semaine prochaine, pour son soixante-dixième anniversaire. Il n'a échappé à personne que le Président de la République a récemment évoqué en termes forts les nouveaux défis auxquels était confrontée l'Alliance atlantique. Soixante-dix ans après sa création, il ne s'agissait ni de nier ses succès, ni de contester sa crédibilité au plan militaire, mais de ne pas se contenter d'une commémoration. Il s'agissait aussi de pointer les troubles de nature politique que nous devons impérativement surmonter pour faire en sorte que l'Alliance s'adapte à son environnement et soit capable de répondre aux défis, aux nouvelles menaces à l'égard de notre sécurité. Cette déclaration a fait beaucoup parler et le Président de la République recevra demain le secrétaire général de l'OTAN, M. Jens Stoltenberg. Je suis allé à une rencontre des ministres des affaires étrangères de l'OTAN, destinée à préparer le sommet des chefs d'État qui se tiendra à Londres la semaine prochaine et, avec mon collègue allemand, nous avons plaidé pour le lancement d'une revue stratégique permettant d'engager une réflexion substantielle sur l'avenir de l'Alliance et apte à redonner tout leur sens aux termes de confiance, de solidarité, de responsabilité, y compris sur la manière d'appréhender les nouvelles menaces, parce que la situation géostratégique d'aujourd'hui n'est pas la même que celle d'il y a soixante-dix ans. Dans ce cadre, nous considérons que si l'Alliance demeure le fondement de la sécurité collective, nous devons être plus exigeants dans nos attentes à l'égard du respect des engagements pris. Nous devons aussi être plus exigeants dans l'affirmation d'une vraie ambition pour des Européens plus responsables et assumant une part plus importante non seulement militaire mais également politique au service d'une relation transatlantique, donc d'une alliance qui doit se refonder. Voilà quels sont les sujets sur la table. Le lancement d'une revue stratégique semble avoir été décidé dans son principe, il faudra maintenant la décliner, et que ce soit validé par le sommet de Londres qui réunira les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'Alliance.

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Nous devions parler de sujets qu'on n'aborde pas fréquemment, mais l'actualité nous a rattrapés. Ma première question portait sur la situation au Sahel mais vous y avez déjà répondu… Je reviens d'Ukraine et les Ukrainiens que j'ai rencontrés – cinq parlementaires, dont quatre nouvellement élus – saluent finalement les gestes de la Russie mais restent très réservés quant à l'attitude de notre Président. Ils ne comprennent pas très bien pourquoi nous avons réintégré la Russie au sein du Conseil de l'Europe. Ils se posent beaucoup de questions, J'ai essayé de leur expliquer que la pire des choses à faire était de ne pas se parler, mais le message n'est pas encore très bien passé. Je tenais à vous faire part de ces échanges.

J'en viens à mes deux questions. La première est celle de mon collègue Buon Tan, qui n'a pu être présent, et porte sur l'axe indo-pacifique. Le Président de la République a dit en janvier dernier, en Australie, combien il était important que notre politique étrangère se centre aussi sur cet axe indo-pacifique et j'aurais voulu avoir de votre part une petite précision sur cet axe, sur les objectifs que la France se donne et sur les moyens que nous comptons engager.

Quant à ma propre question, elle concerne la présence française et les relations entre la France et l'Iran. Ici, on comprend tout à fait et on salue les efforts de notre Président de la République dans la relation avec l'Iran. L'engagement de la France est indéniable, le vôtre également, celui de M. Bruno Le Maire aussi au travers des efforts de la direction générale du Trésor. Mais je rappelle que, si la France concentre aujourd'hui des critiques de l'Iran, c'est aussi parce qu'elle est bien seule au niveau européen. Si le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie partagent votre position, aucun ami n'a un poids politique réel pour débloquer la situation. Nos marges de manoeuvre sont compliquées : les événements sur les installations pétrolières saoudiennes n'aident pas, la solution Instex (Instrument in Support of Trade Exchanges) est au point mort, la détention de nos chercheurs par les Gardiens de la révolution n'est pas acceptable et elle nous pose un vrai problème.

Malgré notre investissement dans ce dossier, nous risquons de nous faire doubler. Politiquement, les États-Unis nous imposent leurs choix ; économiquement, ils sont sur place et nous avons bien constaté une présence américaine, notamment grâce à différents produits. Culturellement, la coopération entre les universités iraniennes et américaines, allemandes, italiennes fonctionne alors que chez nous, ça bloque. Il est difficile de faire venir des étudiants iraniens, tout simplement parce qu'ils ne peuvent pas vivre en France, ils ne peuvent pas ouvrir un compte en banque, ils ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, ne peuvent pas recevoir d'argent de leur famille… De leur côté, les Américains sont un véritable aspirateur à talents iraniens dont on sait qu'ils sont très bien formés. Il est vraiment regrettable qu'on ne soit pas présents dans ces coopérations universitaires, car nous avons eu une coopération importante. Ma question est simple : comment maintenir la France sur la carte de l'Iran ? Car, à défaut, si nous n'y sommes plus, dans dix ou quinze ans ce n'est pas vers nous qu'ils se tourneront et ils nous reprocheront même de ne pas avoir été à leurs côtés.

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Ma première question porte sur le Sahel, en ayant une pensée pour les familles et les frères d'armes des treize soldats français décédés la nuit dernière, en particulier pour ceux du capitaine Nicolas Mégard, originaire de ma circonscription.

On a pu lire que le groupe islamiste Ansar Dine désirait engager des négociations de paix avec les gouvernements du Burkina Faso et d'Algérie. Qu'en est-il ? Quelle est la position de la France sur ces tentatives de discussions, et sur le fait d'acter la partition du Mali ?

Vous avez par ailleurs évoqué le voyage du Président de la République en Chine, au début du mois de novembre, et ma deuxième question porte sur Hong Kong. On a pu voir des manifestations monstres qui ont été confirmées dans les urnes par un scrutin local largement en faveur des militants du camp de la démocratie. Quelle est la position de la France en particulier au vu des coups de boutoir qui sont portés contre le dispositif « un pays, deux systèmes » qui permettait à Hong Kong d'avoir une position un peu à part dans la République populaire de Chine ?

Enfin, ma dernière question concerne l'OTAN, plus particulièrement les retours après l'expression forte employée par le Président de la République. Je pense en particulier à la vive inquiétude de nos partenaires des pays baltes, qui ont l'Alliance atlantique très à coeur, parce qu'ils vivent des choses à une autre échelle que nous, en particulier dans leur relation avec leur grand voisin. Je prends l'exemple de l'Estonie qui figure parmi nos alliés au Mali dans l'opération Barkhane : comment leur demander de continuer à fournir des efforts si en même temps le Président de la République tient des propos qui les amènent pour le moins à s'interroger ?

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Ma question rejoint un peu la question précédente. J'aimerais savoir où en sont concrètement nos discussions avec ces pays de l'Europe de l'Est, dont on dit qu'ils ont plus peur de la Russie que du front sud. Je voudrais savoir dans quel esprit nous discutons avec eux ? Vous avez utilisé l'expression « enjeux européens » mais, pour les définir, encore faut-il être sûr qu'ils sont partagés. La réaction du président du Conseil européen, M. Donald Tusk, à la déclaration de notre Président a été lue, pour beaucoup dans notre pays, comme une réaction de désaccord, alors qu'en fait c'est plutôt un questionnement à partir de l'idée « vous n'avez pas vécu ce que nous avons vécu avec la Russie, vous ne pouvez pas savoir ». Pour ma part, j'y vois plus un problème interculturel qu'un désaccord sur le fond. La Pologne n'a pas envie d'attaquer la Turquie, il faut être clair. Quant à la réaction de l'Estonie, ce n'est pas un hasard : il y a en Estonie une région qui ressemble beaucoup à la Crimée d'il y a dix ans. Les gens ont ces inquiétudes, mais on sait qu'il faut arriver à quelque chose. J'ai le sentiment que dans les discussions que nous avons avec ces pays, nous essayons de les convaincre au lieu d'essayer de les intégrer. Or, si l'on parle d'enjeux européens, il faut que leur définition soit inclusive et n'oblige pas à choisir entre deux options.

Je crois que nous allons aussi vers un combat avec nos opinions publiques. Nous sommes un des derniers pays où l'engagement militaire est un engagement citoyen. Je crois que cette définition des « enjeux européens » doit faire l'objet d'un travail avec les peuples, avec leurs représentants, de façon inclusive. J'ai peur que, si on ne fait pas ce travail, les citoyens des différents pays aient de plus en plus envie de se décharger des problèmes et de moins en moins envie de donner leur vie pour leur pays.

Je voudrais donc savoir dans quel esprit se déroulent les discussions avec nos partenaires et où elles en sont au sein de l'Union européenne, en particulier sur la construction de la défense européenne ?

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Je partage bien sûr l'émotion de mes collègues qui vous interrogent sur la situation au Sahel mais j'évoquerai pour ma part une autre zone de conflit tout aussi préoccupante, le Yémen, notamment l'utilisation par l'Arabie Saoudite d'armes de fabrication française contre les populations civiles. On a beau nous dire que récemment les chars ont été désengagés de la zone de conflit, que les canons CAESAR (camion équipé d'un système d'artillerie) ne servaient qu'à protéger la frontière de l'Arabie saoudite et qu'ils n'avaient qu'une portée de quarante kilomètres, tout cela nous semble quand même un peu gros.

Plus récemment, un nouveau sujet a fait irruption et d'autres intérêts français semblent malheureusement impliqués. En effet le groupe Total est actionnaire d'une entreprise locale Yémen LNG qui opère un important complexe industriel, notamment une usine de liquéfaction de gaz à Balhaf dans la province de Shabwa. Or, un récent rapport d'organisations non gouvernementales (ONG) opérant sur place semble indiquer que cet équipement, dont une partie a été réquisitionnée et occupée un temps par les forces émiraties, aurait servi de lieu de détention dans lequel des exactions auraient été commises. Pouvez-vous nous indiquer si vous disposez d'informations sur ce sujet délicat ? Que pensez-vous par ailleurs de la proposition d'un certain nombre d'ONG d'une plus stricte régulation des ventes d'armes, notamment d'une application plus scrupuleuse du traité sur le commerce des armes de 2013, prohibant les livraisons qui pourraient déboucher sur des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, des génocides ou encore la répression de populations civiles ?

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Je m'associe évidemment comme tous mes collègues à l'hommage qui est rendu à nos treize héros. Je pense que plus que jamais nous devons éradiquer cet islamisme djihadiste qui défigure le monde.

Pour paraphraser le Président de la République, qui a dit que l'OTAN est en état de mort cérébrale, l'accord JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action ou Plan d'action global commun) du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien est à mon avis lui aussi en état de mort cérébrale. L'Iran viole ouvertement tous ses engagements et produit de l'uranium enrichi en quantité chaque jour un peu plus importante. Le 7 novembre, l'Iran a officiellement relancé ses travaux d'enrichissement dans son usine souterraine de Fordo, dans le sud de Téhéran, et surtout l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) affirme dans son rapport trimestriel du 11 novembre avoir détecté des particules d'uranium dans un entrepôt non déclaré à Téhéran. Entre parenthèses, l'existence de ce site secret avait été dévoilée dès 2018 par le Mossad et révélée dans la foulée par le Premier ministre israélien. Alors que le régime iranien est en train de réprimer dans le sang avec une férocité inouïe – on parle de plus de cent cinquante morts en quelques jours – un mouvement de protestation populaire, la France va-t-elle prendre acte de la caducité de l'accord du P5+1 (ou E3+3) ? Va-t-elle prendre des sanctions, et si oui lesquelles, contre ce régime pour l'empêcher de développer un arsenal nucléaire militaire ? Je note au passage que nous avons émis à peine quelques vagues regrets et que nous nous sommes abstenus de condamner officiellement la brutalité du régime iranien, alors qu'il y a quelques semaines nous condamnions sans hésitation la construction de logements, de crèches, d'infrastructures dans les localités juives de Judée-Samarie…

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Je rends tout d'abord hommage avec l'ensemble des députés de mon groupe à nos soldats engagés sur le front au Sahel, dont treize ont perdu la vie au combat.

Député de la 9e circonscription des Français établis hors de France, de l'Afrique de l'Ouest et du Maghreb, ma circonscription compte 151 000 de nos compatriotes, répartis sur seize pays qui, pour la plupart, ont une histoire commune avec la France. Ce lien historique, linguistique et culturel presque charnel avec notre pays suscite un attrait qui ne s'est jamais démenti malgré les péripéties de l'histoire. Je peux le constater à chaque fois que je me déplace dans ma circonscription. Et je profite de votre présence, monsieur le ministre, pour remercier chaleureusement les agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères en poste à l'étranger, pour leur dévouement et leur professionnalisme. Ils évoluent dans des contextes politiques et sécuritaires de plus en plus difficiles. Nous l'avons encore constaté, vous et moi, la semaine dernière lors de notre déplacement au Sénégal avec le Premier ministre.

Toutefois, cette relation particulière qui lie la France avec le Maghreb et l'Afrique de l'Ouest suscite également des attentes et crée parfois des malentendus. Parmi ces incompréhensions, citons l'intervention de la France au Sahel, à travers notre force sur place, sujette à de nombreux fantasmes ; le maintien du franc CFA ; ou le ressenti, à tort ou à raison, que notre politique d'accueil des étudiants et d'attribution des visas se ferait désormais prioritairement en direction de pays émergents dont la Chine, l'Inde et les pays d'Amérique du Sud.

L'année 2020 sera extrêmement importante pour ma circonscription, si l'on pense aux processus post-électoraux en Tunisie et en Algérie ; aux prochaines élections présidentielles en Guinée et en Côte d'Ivoire ; au dix-huitième sommet de la francophonie qui se tiendra en Tunisie en décembre marquant les cinquante ans de l'Organisation internationale de la francophonie ; ou encore au sommet Afrique-France qui aura lieu les 4, 5 et 6 juin prochains à Bordeaux. Cette année doit permettre de renouveler et de renforcer ce lien particulier entre la France et le continent africain.

Je souhaite appeler votre attention sur d'autres ambassadeurs de notre pays, au rôle moins formel mais tout aussi important, c'est-à-dire la diaspora. Selon The African Institute of Remittances, les transferts de fonds des diasporas africaines ont atteint 65 milliards de dollars en 2017, soit plus du double de l'aide publique au développement des bailleurs de l'Afrique qui est de 29 milliards. Il s'agit d'une hausse de 36 %, en moins de dix ans. Vous étiez présent hier à Marseille, dans le cadre de la troisième conférence Méditerranée du futur qui vise entre autres à relancer le processus d'intégration méditerranéenne : comment la France peut-elle accompagner au mieux cette diaspora – binationale, bien souvent – dans son désir de participer au développement économique de l'Afrique et, par ricochet, au rayonnement de la France ?

Pour terminer, la question des visas est une épine dans nos relations avec nos partenaires africains. J'appelle de mes voeux la création d'une mission sur le sujet. En attendant, comment pouvons-nous fluidifier ce problème qui crée un certain nombre de malentendus avec nos partenaires ?

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Je voudrais d'abord m'associer aux hommages qui sont rendus aux treize militaires qui ont péri au Mali, et aux condoléances adressées aux familles et à leurs proches et dire que, maintenant comme hier d'ailleurs, des questions se posent sur l'utilité de notre intervention militaire au Sahel. Je pense que la prolongation de notre intervention mériterait un débat, pas simplement en commission mais dans l'hémicycle. Depuis le début de la législature, il n'y a pas eu de débat sur cette intervention militaire, puisque ce n'est pas vous qui l'avez lancée – quoique, cela dépend comment on se place… – et je pense qu'on pourrait en faire un point utile en hémicycle.

Ma première question, que j'ai déjà posée à votre collègue, Mme la ministre des Armées, n'est pas tout à fait identique à celle d'Alain David. Un site gazier semble être utilisé au Yémen par des soldats. C'est un énorme site dont Total détient 39 %, et des soldats émiratis en ont fait une prison dans laquelle il y a de la torture, semble-t-il, et des exécutions sommaires. Un rapport vient d'être rendu public par trois ONG – l'Observatoire des armements, SumOfUs, les Amis de la Terre – et il a d'ailleurs eu de l'écho, puisque Le Monde en particulier en a rendu compte. Cela nous intéresse évidemment : c'est une entreprise française, et il en va de notre responsabilité de savoir ce qui se passe.

Seconde question : j'ai été troublée par une information de Libération sur le talent français qui semble s'exporter dans le domaine du maintien de l'ordre. Il semble que le président du Chili Sebastián Piñera, chef d'État particulièrement autoritaire, ait fait appel à la police française pour conseiller son homologue chilienne. Confirmez-vous cette information selon laquelle la France collabore au régime violent, autoritaire et répressif au Chili ?

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Puisque monsieur le ministre revient de Chine, peut-il nous donner des nouvelles de nos ressortissants français, particulièrement de Laurent Fortin ?

Le premier sujet que je voulais aborder a trait à l'expulsion d'Omar Shakir, le représentant d'Human Rights Watch en Israël et en Palestine, qui travaillait sur les atteintes aux droits humains commises par Israël, par l'Autorité palestinienne ou par le Hamas. L'ONG a rappelé qu'Israël rejoint la triste liste des pays qui ont expulsé ses représentants, comme l'Iran, l'Égypte ou le Venezuela. Pour bien comprendre cette expulsion, il faut remonter un peu dans le temps, en mars 2017 : un amendement à la loi régissant l'entrée sur le territoire a habilité Israël à refuser l'entrée dans le pays aux personnes qui appellent publiquement au boycott d'Israël. Dès l'année suivante, les autorités israéliennes ont révoqué le permis de travail d'Omar Shakir pour ce motif, contesté en justice par son ONG. Le procès a validé le motif d'expulsion de M. Shakir, à nouveau validé par la Cour suprême israélienne au début de ce mois. L'interprétation judiciaire repose sur le fait que les activités de plaidoyer et de recherche de M. Shakir – indiquant que les entreprises qui travaillent dans les colonies israéliennes sont illégales du point de vue du droit international – sont considérées comme étant un appel au boycott d'Israël. C'est la première fois que le gouvernement se sert de la loi de 2017 pour expulser une personne qui résidait légalement en Israël. La diplomatie française s'inquiète-t-elle de cette expulsion néfaste pour Israël comme pour les droits de l'homme dans la région ? La diplomatie française a-t-elle rappelé à Israël que l'occupation des colonies était illégale du point de vue du droit international et que critiquer un point de droit international ne pouvait porter atteinte au statut d'un ressortissant ?

J'en viens à l'arme nucléaire. Le 23 novembre, à l'occasion d'une cérémonie avec les hibakusha, comme sont appelés les survivants des bombardements de Hiroshima et de Nagasaki, le pape François a insisté sur le fait que « l'utilisation de l'énergie atomique à des fins militaires est aujourd'hui plus que jamais un crime non seulement contre l'homme et sa dignité mais aussi contre toute possibilité d'avenir dans notre maison commune ». Cette déclaration porte donc à nouveau la lumière sur les véritables dégâts du nucléaire militaire. Il met en péril l'environnement et l'humain. Je le dis souvent aux jeunes : on peut se battre pour préserver le climat en se disant que dans dix, vingt ou trente ans peut-être, notre planète deviendra invivable. Il faut savoir que dans cinq minutes, si on était amené à utiliser l'arme nucléaire, si elle était déclenchée, notre planète deviendrait invivable. Cinq minutes… La question de l'arme nucléaire est posée avec force et suite à cette rencontre avec les hibakusha, le pape a rappelé les choses à la veille de la conférence du traité de non-prolifération, qui se tiendra en mai 2020. La France va-t-elle tenter de faire avancer les discussions, notamment sur le désarmement complet ? Continuera-t-elle à ignorer les efforts des militants de la paix qui tentent de faire entrer en vigueur le traité d'interdiction des armes nucléaires ? Où en est la France sur le traité d'interdiction de production des matières fissiles ? Où en est la diplomatie française pour faire entrer en vigueur le traité d'interdiction des essais nucléaires ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Quelques mots d'abord sur la relation avec nos partenaires européens et l'Iran. Les propos tenus m'étonnent un peu parce que nous sommes en pleine relation de confiance et de clarté avec nos principaux partenaires européens sur l'Iran, en particulier avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne qui sont, comme nous, signataires du JCPoA. Nous sommes ensemble pour tenter des efforts de désescalade, ensemble sur la sécurité du Golfe, nous sommes ensemble sur Instex qui n'est pas mort puisque les premières opérations commerciales vont avoir lieu dans les semaines qui viennent : il y avait un problème de réciprocité et d'interlocuteurs iraniens pour permettre les premières transactions mais nous sommes toujours dans cette logique. Et nous sommes aussi ensemble pour essayer de maintenir des canaux de discussion avec les autorités iraniennes. Il n'y a donc pas de distorsion entre nous et nos partenaires européens que nous tenons régulièrement informés de nos propres actions et réciproquement. Nous informons aussi le Conseil des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne d'un certain nombre d'initiatives que nous pouvons prendre. Mais je dois dire que les efforts de désescalade que nous avons tentés, que le Président de la République a tentés à plusieurs reprises, n'ont pas abouti pour toute une série de raisons. En particulier parce qu'il y a eu de la part des autorités iraniennes des ruptures dans le dispositif du JCPoA. Tous les deux mois, il y a une encoche supplémentaire si bien qu'on s'interroge aujourd'hui, je le dis très clairement, sur la mise en oeuvre du mécanisme de règlement des différends qui est prévu dans le traité. Étant donné la succession d'actions prises par les autorités iraniennes qui sont progressivement en rupture avec le contenu du JCPoA, la question se pose. Nous sommes toujours favorables à une désescalade, et nous avons tenté plusieurs initiatives qui n'ont pas abouti et qui sont aujourd'hui un peu en retrait, dans la mesure où nous avons des Français qui sont emprisonnés. Par ailleurs, nous avons pu constater de la part des autorités iraniennes des attaques régionales qui ont été menées, y compris contre l'Arabie saoudite, vous vous en souvenez.

Parallèlement, je constate avec vous l'ampleur des manifestations qui ont lieu aujourd'hui en Iran, et qui, indirectement, ne favorisent pas la mise en oeuvre d'une politique de désescalade à laquelle on pourrait éventuellement associer les États-Unis. Puisque la logique de pression maximale qui a été engagée, et qui n'est pas la nôtre, semble leur donner raison, en raison du comportement à la fois du Guide suprême et du Président Hassan Rohani à l'égard des manifestants. Nous sommes dans cette situation compliquée dans laquelle nous tenons toujours à reprendre des initiatives de désescalade, à mettre en oeuvre l'accord de Vienne… Je suis très heureux que M. Lecoq parle du nucléaire, parce que cela fait partie aussi de la mise en oeuvre du traité de non-prolifération. Nous maintenons notre vigilance et notre détermination et nous souhaitons que les autorités iraniennes puissent saisir les mains tendues lorsqu'elles se tendent. Par ailleurs, nous avons condamné très clairement la très grave répression des manifestations menée par les autorités iraniennes.

En ce qui concerne l'Indo-Pacifique, le périmètre, c'est l'ensemble du Pacifique et de l'océan Indien, et pour nous, les acteurs majeurs en sont l'Australie, l'Inde et le Japon. C'est avec eux que nous travaillons avec une double préoccupation : d'abord le maintien de la stabilité et de la paix, ensuite, la promotion des biens communs mondiaux, c'est-à-dire l'ensemble des enjeux climatiques et la préservation de la biodiversité. Nous avons nommé un envoyé spécial sur ces questions, qui est aussi en relation avec Singapour et avec les pays africains de l'Est pour créer cet espace de stabilité, de paix, de lutte contre les trafics et de promotion des biens communs mondiaux.

S'agissant des interrogations de l'Ukraine, le fait que la Russie rejoigne le Conseil de l'Europe est une chance pour le respect des droits des citoyens et des valeurs européennes. Le Conseil de l'Europe, c'est aussi la Cour européenne des droits de l'homme et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est la possibilité pour les citoyens russes de disposer d'un recours judiciaire. Il vaut mieux que la Russie soit dedans que dehors. C'est ce qu'on a expliqué au Président Zelensky et je crois que cela commence à être compris, même si des interrogations s'expriment quant à notre position à ce sujet.

Monsieur Dumont, quand j'ai dit « plus de politique » à propos du Sahel, cela veut évidemment dire pas de partition du Mali, pas de modification de frontières. Vous parlez d'Ansar Dine : c'est l'un des groupes de la mouvance d'Iyad Ag Ghali parmi d'autres. Il y a aussi Al-Mourabitoune et quelques autres. Ce sont des groupes terroristes qui sévissent dans une partie du Mali et il n'y a pas de négociations avec eux et toujours pas de volonté de notre part d'accompagner quoi que ce soit qui pourrait ressembler à une partition du Mali. C'est donc au contraire de plus de politique dont nous avons besoin – je crois que je l'ai dit avec force parce que j'en suis totalement convaincu –, afin que les autorités maliennes réaffirment l'intégrité, l'unité du Mali et qu'elles se rassemblent autour des objectifs. Nous sommes aussi là pour cela.

S'agissant des pays baltes, l'Estonie en particulier, si précisément nous pouvons parler clairement concernant l'OTAN, c'est bien parce que nous remplissons totalement nos engagements, y compris en Estonie. Nous sommes maintenant en Lettonie, où nous assurons une présence militaire qu'on appelle la Présence avancée renforcée (eFP). Nous sommes aussi présents dans le ciel, parce que nous assurons la police du ciel à tour de rôle dans la région. Nous sommes là pour assurer nous-mêmes la sécurité des Estoniens. Et les Estoniens, du coup, nous aident au Sahel. Mais, au préalable, c'est nous qui étions présents, j'en ai quelques souvenirs, y compris avec nos blindés. Nous étions là, nous sommes toujours là. Et c'est parce qu'on remplit nos engagements qu'on peut parler fort. Sinon, effectivement, la parole n'a pas de sens. Et on le fait ailleurs ; d'une certaine manière, on le fait aussi en Afrique, pour assurer la sécurité des Européens.

La question qui a été posée par le Président de la République sur l'OTAN est venue à un moment où il y avait tout de même de grosses interrogations. Moi-même, j'ai parlé, devant vous dans l'hémicycle, de trouble. Il est vrai que c'est dans une autre configuration, puisque ce n'est pas l'Alliance qui intervient dans le Nord-Est syrien, mais la coalition, même si l'OTAN est un tout petit peu présente dans la formation. Mais quand celui qui assure le leadership de l'Alliance – la même Alliance que nous ! – dit « je renonce » et que par ailleurs un autre membre de la même Alliance dit « je vais attaquer » ceux qui étaient nos alliés dans la lutte contre le terrorisme, eh bien, on commence à s'interroger. Donc, j'ai parlé de trouble et le Président de la République a estimé qu'il fallait qu'on se repose la question de la qualité du lien transatlantique, de l'efficacité de la couverture sécuritaire qu'il représente et de la nécessité d'affronter dans un échange la nouvelle donne des grandes questions de sécurité. Telle est la question, que l'on ne peut se poser que si nous sommes nous-mêmes engagés.

Dans notre relation avec l'OTAN, nous sommes solidaires, nous connaissons notre histoire, nous connaissons la sensibilité de ces pays – l'Estonie, la Lituanie, mais aussi ceux qui sont à proximité de la mer Noire – et nous sommes extrêmement vigilants pour faire en sorte que la sécurité des uns et des autres puisse être assurée. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons qu'il y ait une réflexion sur la refondation de l'OTAN. Moi, l'impression que j'ai eue en parlant avec mes collègues, c'est que notre interrogation, notre trouble sont compris. Certains ne veulent pas le faire, mais il faut se poser la question de notre sécurité et de la manière dont l'Europe peut assumer elle-même sa propre sécurité dans le lien transatlantique et peut être plus forte. Je pense que le débat ne fait que commencer ; il faut l'ouvrir dans la sérénité et aussi dans le respect d'un certain nombre de principes et la volonté d'assurer la sécurité de nos pays, de nos populations.

À propos de Hong Kong, ce qui est clair c'est que le vote de dimanche dernier a marqué un revers pour les autorités de Pékin. La participation a été de plus de 70 % et les choix des électeurs pour les partis démocratiques ont été très massifs. Mais ce ne sont que des élections de district, équivalant à nos élections municipales. Le vote pour la ou le chef de l'exécutif n'interviendra qu'en 2022 avec un collège électoral plus vaste comprenant d'autres acteurs que ceux qui viennent d'être élus. Mais ce résultat montre que le discours qui est tenu par Pékin sur la rupture entre l'opinion et les manifestants n'est pas juste. Il nous permet aussi de rappeler nos exigences concernant le maintien, à la fois de la loi fondamentale de 1997 et aussi du principe « un pays, deux systèmes ». Nous nous sommes exprimés très clairement sur le sujet et à plusieurs reprises publiquement comme dans les conversations que le président la République a eues avec le Président Xi, à la fois publiques et dans une configuration plus restreinte. Nous disons les choses telles qu'elles sont.

J'ai vu comme vous l'article sur l'affaire de Balhaf, au Yémen ; et je mène une investigation pour essayer de comprendre ce qui a pu se passer. Ce sujet fera l'objet d'une vérification complète de ma part, sachez-le bien. Pour le reste, la situation au Yémen n'est quand même pas très saine. Vous avez reçu M. Martin Griffiths, envoyé spécial des Nations unies au Yémen et il y a des éléments plutôt positifs aujourd'hui. Je trouve que M. Griffiths fait des efforts importants : nous sommes à un moment où il est possible d'agir, à la fois parce que les Émiriens ont permis une unification au sud, et aussi parce qu'on voit bien que l'Arabie saoudite souhaite pouvoir sortir de ce guêpier. Toute la question, c'est le poids que l'Iran mettra pour convaincre ses alliés et aussi agir.

On fait état de certains actes de guerre et il y en a de très nombreux, y compris des actes de guerre des Houthis contre des pays voisins, ce qui n'est quand même pas bien, monsieur David. Vous le savez mais, malheureusement, vous n'en parlez jamais. Moi, je suis obligé de parler de tout, y compris des attaques des Houthis contre l'Arabie saoudite, parfois contre des aéroports. Tout cela montre qu'il faut une solution politique.

J'ai bien noté tous les sujets que vous avez évoqués, monsieur El Guerrab mais je ne répondrai évidemment pas à tout ce qui a trait à votre circonscription.

Simplement, à propos du franc CFA, l'initiative, la responsabilité, sont africaines. Vous le savez, le président ivoirien Alassane Ouattara a été mandaté par ses pairs de la CEDEAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) pour faire des propositions. Nous, nous sommes disponibles. C'est aux Africains de dire s'ils veulent et comment ils veulent créer leur propre monnaie et je suis convaincu que lorsque le Président de la République se rendra à Abidjan, au mois de décembre, cela fera l'objet de discussions.

Concernant le rôle de la diaspora, vous étiez avec moi à MEETAfrica (Mobilisation européenne pour l'entrepreneuriat en Afrique) à Dakar, et nous avons pu nous rendre compte ensemble de l'apport de la diaspora militante, dès lors qu'elle se mobilise en faveur de projets concrets. Cela faisait plaisir à voir, à entendre et à constater. Cette mobilisation est un bon signe pour les pays dans lesquels cela se produit : j'aimerais qu'ils soient un peu plus nombreux.

Madame Autain, vous souhaitez qu'il y ait un débat sur l'intervention militaire au Sahel, je l'ai bien noté… Pour le Chili, je n'avais pas l'information que vous avez donnée, mais j'en avais une autre, qui va certainement vous intéresser : le président Piñera a souhaité savoir comment le Grand débat s'est passé en France. C'est le seul sujet dont j'ai été saisi pour l'instant, mais c'est à mon avis une bonne démarche. Nous n'avons pas aujourd'hui de coopération en matière de police avec ce pays, sauf dans la lutte contre les stupéfiants : voilà ce que je peux vous répondre.

Monsieur Lecoq, nous avons condamné l'expulsion de M. Shakir avec beaucoup de fermeté. Concernant les colonies, notre position n'a pas changé d'un iota et ne changera pas. On l'a dit, on l'a répété, je le dis ici à chaque fois, à chaque séance ; je commencerai encore mes prochains propos en vous redisant mon attachement à la résolution des Nations unies qui le dit. Donc la position de la France n'a pas bougé du tout. Par ailleurs, j'ai quelques raisons d'être un peu optimiste pour M. Laurent Fortin comme pour Mme Marion Cambounet. Je ne peux pas en dire plus.

Sur le nucléaire, notre position est extrêmement claire : nous sommes pour la suppression de toutes les armes nucléaires. Mais tous ensemble ! Nous sommes pour le TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires), mais également pour l'élimination des armes nucléaires, et pour que cette élimination se fasse en commun, avec l'ensemble des acteurs car nous n'entendons absolument pas renoncer à assurer notre sécurité dans un tel mouvement. Nous avons au fur et à mesure des années réduit notre capacité nucléaire au strict minimum sécuritaire pour nous. Elle est aujourd'hui un outil essentiel de notre sécurité par rapport à d'autres puissances nucléaires. Donc, oui, nous sommes d'accord avec le pape François en ce qui concerne le désarmement nucléaire, mais il faut que tout le monde le fasse en même temps : la Chine, la Russie, etc.

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Le 9 octobre dernier nous auditionnions M. Bertrand Badie, professeur émérite des universités en relations internationales, lui aussi fervent défenseur du multilatéralisme inclusif. Il rappelait l'importance de parler avec tout le monde afin de prendre en compte l'émergence des acteurs régionaux et locaux dans la mondialisation. Je rebondis sur ses propos à la suite de votre tribune en faveur du multilatéralisme écrite conjointement avec votre homologue allemand le 12 novembre dernier. Vous y mentionniez la volonté de créer un multilatéralisme rénové, plus inclusif et ouvert à tous les acteurs qui comptent aujourd'hui : États, acteurs de l'économie mondiale et représentants des sociétés civiles. Au regard de ces considérations sur lesquelles Bertrand Badie et vous-même semblez être en accord, comment comprendre l'émergence des nombreuses contestations sociales au Chili, en Irak, au Liban… Bertrand Badie disait que les conflits sont davantage d'origine sociale que d'origine politique : qu'en pensez-vous ?

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Je voudrais tout d'abord adresser une pensée très émue et affectueuse à notre ami et ancien collègue Jean-Marie Bockel qui, avec douze autres familles, affronte ce drame au Mali avec une très grande dignité et un très grand courage, et qui a réaffirmé la nécessité pour la France de combattre au plus près sur le terrain.

Monsieur le ministre, nous avons assisté à Dakar au Forum de la paix et de la sécurité. Au-delà des moyens engagés au Sahel, qui sont tout de même relativement importants, il apparaît clairement qu'il y a un manque de coordination et, surtout, de stratégie partagée. Cela explique certainement la volonté que vous avez exprimée d'une plus grande concertation et d'une vision politique sur ce sujet. Mais pouvez-vous nous donner des exemples concrets qui traduisent cela dans les faits ? En effet, force est de constater qu'avec les forces engagées, la coalition recule : le nord du Burkina Faso est en train de tomber, le Mali ne tient qu'à un fil… On perd du terrain. Qui plus est, au nord, la Libye est un facteur de déstabilisation très fort.

En Libye, le Président de la République a été à l'origine d'une rencontre, le 25 juillet 2017, entre le Premier ministre Fayez el-Sarraj et le maréchal Khalifa Haftar. Après avoir trouvé un accord récemment, en 2019, la situation n'a pas l'air de s'arranger. Que fait la France ? Comment voyez-vous la suite de la situation ?

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À propos du Sahel, vous avez dit qu'il y avait besoin d'amplifier l'action politique, notamment avec les pays concernés. Ces pays ont-ils la volonté et les moyens de répondre à cela ? Peuvent-ils être de véritables partenaires ? À ce titre, je voudrais vous faire part également d'une observation du Président de la République du Togo, pays où j'ai effectué une visite pendant quatre jours. Le Togo, qui essaie de se démocratiser, qui entretient par ailleurs d'excellentes relations avec la France, notamment avec la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), a un problème de frontière avec le Burkina Faso au nord comme à sa frontière maritime. Ce pays est également préoccupé à la perspective des actes de terrorisme qui pourraient s'y produire alors qu'il n'en connaît pas actuellement. Le Président se disait ainsi soucieux de la charge financière d'une montée en puissance de la lutte contre le terrorisme, dans un contexte où le Fonds monétaire international (FMI) lui impose que ses finances publiques soient saines. Je suppose que la situation est identique pour d'autres pays africains. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Ma deuxième question concerne la Russie. Vous avez dit qu'un dialogue constructif entre nos deux pays devait à nouveau s'instaurer. Je crois que tout le monde y gagnerait mais quid des sanctions économiques prises à l'encontre de ce pays à la suite de l'annexion de la Crimée ? Sachant que la Russie ne reviendra pas en arrière, il faudra bien que ces sanctions tombent. Quelle est votre position à ce sujet ?

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Ma question porte sur l'action diplomatique de la France auprès de la Russie et de l'Ukraine. Depuis l'élection du président Zelensky, vous l'avez dit, la résolution du conflit russo-ukrainien a enregistré un progrès important, notamment avec la signature, le 1er octobre, du plan Steinmeier, destiné à clarifier des points demeurant litigieux dans l'application des accords de Minsk. Mais les deux républiques sécessionnistes de Donetsk et de Lougansk ont aussitôt répliqué que tout changement devrait se faire en concertation avec elles. Par ailleurs, en dépit des entraves au cessez-le-feu, le retrait des troupes survenu récemment dans trois zones pilotes de la ligne de front du Donbass, montre la bonne volonté des belligérants, de même que l'échange de prisonniers qui a eu lieu le 7 septembre et qui a notamment permis – nous nous en réjouissons – la libération du cinéaste Oleg Sentsov.

Nous serons très attentifs au sommet au format Normandie du 9 décembre. Il nous semble que les conditions pour relancer le processus de paix en Ukraine sont réunies. Toutefois, je ne vous cache pas que nos interlocuteurs, ukrainiens ou russes de l'opposition, se posent des questions, non pas tant sur ce processus que sur l'avenir de la Crimée et sur les déclarations du Président de la République à propos du renouveau des relations entre la France et la Russie. Enfin, c'est ma conclusion en forme de question, quel avenir ont les sanctions ? Elles ont permis d'instaurer un sain rapport de force, mais elles ne semblent pas permettre de changer l'avenir de la Crimée. Comment pourrions-nous, au niveau soit national, soit européen, instaurer des sanctions individuelles : gel des avoirs, interdiction de visas du type Magnitsky Act ? Bref, comment moderniser cet outil des sanctions indispensable au multilatéralisme ?

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Ma question porte sur la réforme du processus d'adhésion à l'Union européenne, et sur la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux. Cela fait quinze ans maintenant que les pays candidats multiplient leurs efforts pour répondre aux critères de Copenhague. Malgré les profondes réformes qui ont été engagées et les actes courageux de réconciliation comme l'accord de Prespa, le Conseil européen a récemment décidé, contre l'avis de la majorité des États membres, de reporter une nouvelle fois l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie. La France, le Danemark et les Pays-Bas ont estimé que l'Union européenne n'était pas prête à un nouvel élargissement. Ils plaident en faveur d'une réforme du processus d'adhésion. Dans ce contexte, j'aurais voulu avoir des précisions sur les propositions que la France souhaite faire dans la perspective des discussions sur l'élargissement qui auront lieu au printemps prochain et en amont du prochain paquet élargissement de janvier 2020, notamment sur les principes de la nouvelle approche qui est prônée par la France, s'agissant tant des conditions que des étapes, ainsi que des bénéfices escomptés.

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La COP25 va s'ouvrir dans quelques jours à Madrid, dans un contexte assez inédit, en raison notamment de sa délocalisation tardive vers l'Espagne à la suite de la violente crise sociale qui secoue le Chili. Cette délocalisation a notamment fait obstacle à la présence d'un certain nombre d'acteurs du Sud. Cette COP25 n'en demeure pas moins importante. Elle devra préparer la COP26 de Glasgow, rendez-vous crucial de l'accord de Paris ; lancer des chantiers qui ont été laissés en suspens lors de la dernière COP ; mettre l'accent sur la protection des océans et de la biodiversité ; aborder une question essentielle du défi climatique toujours loin d'être réglée, à savoir comment inciter les pays à revoir à la hausse leurs engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre alors qu'elles empruntent plutôt la trajectoire inverse. Cette information alarmante a en effet été rappelée cette semaine par le bulletin annuel de l'Organisation météorologique mondiale. Les principaux gaz à effet de serre à l'origine du réchauffement climatique ont franchi de nouveaux records de concentration en 2018 et aucun signe de ralentissement n'est actuellement visible. Alors, au-delà des points de blocage et des nombreux obstacles de cette COP25, nous ne pouvons échouer à Madrid. Alors même que vous développez l'idée d'un multilatéralisme rénové plus inclusif, pouvez-vous nous dire comment cette COP25 se prépare ? Pensez-vous qu'elle puisse être un succès ? Enfin, pourriez-vous aussi nous dire qui y portera la voix de la France ?

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La lutte contre les émissions de CO2 et le changement climatique sont au coeur de la politique verte. Grâce au nucléaire, la France est mieux classée que l'Allemagne ou, surtout, la Pologne qui continuent de faire tourner leurs centrales à charbon. Cependant, on ressent un réel besoin de politique commune pour parler d'une seule voix face à des géants tels que Gazprom, notamment afin de définir nos priorités et le mix énergétique que nous voulons pour notre continent. Au niveau des infrastructures, un accent doit être mis sur l'industrie de réseau et de transport d'électricité. Avec l'augmentation du nombre d'objets connectés et l'extension de la 5G, les capacités de production et de transport d'électricité pour faire fonctionner cette nouvelle myriade d'objets sont et resteront des enjeux stratégiques primordiaux pour l'économie de demain. Une fois ce constat dressé, il faut noter qu'une partie du réseau de transport de l'électricité, pièce essentielle du puzzle d'une politique énergétique commune, échappe à certains États membres. En effet, au moment de la crise économique, la State Grid Corporation of China, entreprise d'État chinoise, s'est emparée du réseau grec, ainsi que d'une partie des réseaux italien et portugais. State Grid est le plus grand gestionnaire de réseau, transporteur et distributeur d'électricité au monde en nombre d'employés, avec plus de 1,5 million de salariés quand l'Estonie est peuplée de 1,2 million d'habitants… Des progrès ont été accomplis dans le contrôle des investissements étrangers dans l'Union européenne, cependant, maintenant que la Chine a été définie comme un rival systémique par la Commission actuelle et que la future Commission a fait du « Green Deal » sa priorité, quelle est la stratégie des États membres pour faire face à la présence de ce géant chinois ? Et quel est le rôle de la France dans cette stratégie ?

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Merci, Monsieur le ministre, pour vos propos au sujet du multilatéralisme auquel nous sommes tous attachés. C'est pour cette raison que je voudrais évoquer la question du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), dont je rappelle qu'il a été créé pour financer l'aide multilatérale en santé avant d'être élargi au climat et à l'environnement. Je rappelle aussi que les principales organisations bénéficiaires étaient le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, UnitAid pour l'achat de médicaments, l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI), auxquels se sont ajoutés progressivement le Fonds vert pour le climat ou le Partenariat mondial pour l'éducation… L'année dernière, nous avons supprimé 270 millions d'euros qui correspondaient à la part de la taxe sur les transactions financières (TTF) affectée à l'AFD, qui elle aussi bénéficiait de ce financement. Nous l'avions fait dans l'optique de recentrer les financements innovants sur l'aide multilatérale et sur les biens publics mondiaux. Or nous avons de nouveau un problème puisque le FSD n'augmentera pas en 2020, en dépit des nombreux amendements que j'ai moi-même défendus et que beaucoup de mes collègues ont soutenus. Comment dès lors concrétisons-nous les annonces du Fonds mondial ?

Ma deuxième question porte sur le périmètre de ce FSD, puisqu'un quart de son budget – je dis bien un quart – est dédié aux projets de l'AFD. Dès lors que la part de la TTF a été supprimée, comment peut-on justifier une telle affectation des financements à l'AFD ?

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Au cours de la sixième édition du Forum de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique, a notamment été évoqué le P3S, le Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel. Le Président de la République et la chancelière allemande Angela Merkel, accompagnés du président en exercice du G5 Sahel, le président burkinabé Roch Marc Kaboré, ont annoncé, lors du sommet du G7 à Biarritz, ce partenariat qui vise à accroître l'efficacité des efforts déployés dans les domaines de la défense et de la sécurité intérieure. Il s'agit notamment d'améliorer la coordination du soutien international et de soutenir les réformes nécessaires au sein de ce secteur. Outre la force française Barkhane présente au Sahel, la MINUSMA, l'EUCAP Sahel Niger, la Mission de formation de l'Union européenne et le G5 Sahel sont tous à pied d'oeuvre pour combattre le terrorisme. Comment s'assurer de la bonne coordination et de la bonne articulation de ces dispositifs pour qu'ils atteignent leur objectif commun ? Vous nous avez donné quelques éléments, notamment en nous indiquant qu'il fallait une réponse globale, qu'il fallait aussi plus de politique, c'est-à-dire plus d'action politique, plus de pression politique. Mais si vous êtes en mesure de nous communiquer d'autres éléments, je suis intéressée.

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On parle souvent de soft power, et j'aimerais vous entendre sur un sujet qui, à intervalles réguliers, revient et suscite quelques polémiques. Qu'en est-il de l'implantation et de la réalité des instituts Confucius en France ?

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Pour revenir au Sahel, je m'associe à l'hommage rendu à nos soldats, mais aussi évidemment aux troupes qui restent sur le terrain, parce que les choses vont être de plus en plus compliquées, même pour leur propre sécurité. Pour compléter ce que vient de demander ma collègue sur le P3S et sur la force Takuba, on a effectivement une force conjointe au Sahel qui a montré ses limites : il faut le reconnaître, elle n'est pas aussi opérationnelle que ça, les financements ne sont pas là et le travail aux frontières n'est pas au rendez-vous…

Quant à la force Takuba, on ne sait pas réellement ce que signifie cette annonce. Certes, nous partageons les mêmes objectifs, mais, concrètement, que signifie cette force ? S'agit-il de forces communes ? J'ai vu que la République tchèque vient de donner son accord, sous réserve de l'approbation par le Parlement ; la Belgique, va dégager trois personnels ; l'Estonie va passer de cinquante à quatre-vingts… Mais qui sont vraiment les unités de forces spéciales européennes ? Sur quelles forces va-t-on s'appuyer au Mali même ? Y aura-t-il des supports aériens ? Est-on dans la formation ? Dans l'opérationnel ?

S'agissant de l'Iran, vous-même et d'autres ministres nous avez dit plusieurs fois que nous respections notre parole et que c'était notre force. Pourtant, les Américains se sont retirés unilatéralement et nous sommes incapables de respecter effectivement notre propre parole. Instex ne fonctionne pas, on attend les premières opérations commerciales qu'on nous promet depuis longtemps. Surtout, quand on parle d'accrocs de l'Iran, qui déroge tous les deux mois à ses engagements, force est de constater que nous-mêmes n'avons respecté aucun de nos engagements vis-à-vis de ce pays comme vis-à-vis du JCPoA. Entre un partenaire qui s'en va et les autres partenaires qui ne respectent pas leurs engagements, pourquoi l'Iran respecterait-il 100 % des siens ?

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J'aimerais vous parler des « China Cables », cette série de directives dévoilées récemment, qui émanent de l'État-parti chinois et révèlent le fonctionnement des camps d'internement des Ouïgours dans la région de Xinjiang. Ces directives ont été obtenues par le Consortium international des journalistes d'investigation et ont été relayées par plusieurs médias, notamment Le Monde. Cette enquête met en lumière la politique de répression systématique et d'internement de masse menée par Pékin. J'aimerais connaître la position de votre ministère et de la France par rapport à ces révélations ?

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S'agissant du Sahel, je témoigne de l'émotion de tout le groupe d'amitié France-Niger, mais je regrette aussi les déclarations anti-françaises et anti-Barkhane qui ont été proférées de façon très violente par des parlementaires maliens au sein de l'assemblée malienne – j'ai des enregistrements, si vous le souhaitez –, ainsi que, publiquement, par des officiers burkinabés. Une campagne de désinformation concernant l'éventuelle attaque par Barkhane d'un poste militaire nigérien, a fait l'objet de démentis. On voit que la bataille de la communication se mène aussi, à côté de la bataille sur le terrain.

Deux de nos collègues, Annie Chapelier et Valérie Thomas, ont été les premières à se rendre au Soudan du Sud dans le cadre d'une visite parlementaire depuis l'indépendance du pays, en juillet 2011. Elles ont vu une situation humanitaire extrêmement dégradée et une espèce d'incapacité de l'exécutif à avancer sur quoi que ce soit. Cette faillite de l'État au Soudan du Sud a entraîné le non-respect des échéances pour une réconciliation nationale, mais aussi le rappel de l'ambassadeur américain, il y a quelques jours, avec probablement une préparation de sanctions. Je voudrais savoir si du côté français, par rapport à cette faillite qui fait des milliers de morts de façon régulière, il est prévu quelque chose.

Enfin, vous vous êtes rendu en septembre au Soudan voisin et, depuis lors, une décision avait été prise quant au non-transfert à la Cour pénale internationale (CPI) de l'ex-président Omar el-Béchir. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Madame Le Peih, je suis très déterminé à agir pour un nouveau multilatéralisme et je ne suis pas le seul, puisque je constate qu'à partir du moment où l'on a créé cette dynamique, en particulier avec mon collègue allemand, nous avons été rejoints à l'occasion de notre initiative à New York au mois de septembre par plus de cinquante ministres des affaires étrangères, tandis que certains pays se sont même faits de véritables animateurs de cette initiative, tels le Mexique, le Ghana et Singapour. Nous sommes dans une logique extrêmement positive pour l'avenir et c'est une orientation, un fil rouge de notre politique à moyen terme. Les derniers événements dont nous avons été à l'origine se sont déroulés au moment du Forum de Paris au mois de novembre, où nous avons abordé tous les sujets liés à la régulation de l'espace numérique.

Quand je dis nouveau multilatéralisme, cela veut dire aussi participation des entreprises, des ONG, de la société civile pour faire en sorte que nous soyons le creuset de l'innovation d'un nouvel ordre mondial, à organiser dans le respect de chacun et à partir de règles qui pourraient être approuvées collectivement. Cela s'est bien passé au Forum de Paris et la prochaine échéance est à Munich, au mois de février. Nous allons y reprendre des initiatives, toujours avec les mêmes, afin de créer cet état d'esprit. C'est peut-être long, mais c'est un choix politique majeur, qui est celui du Président de la République, que nous relayons à nouveau et que beaucoup viennent rejoindre.

En ce qui concerne la Libye, une initiative est prise par l'Allemagne, avec l'accord et la complicité active du représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies en Libye, M. Ghassan Salamé, qui devrait permettre la rencontre à Berlin des différents acteurs avec les partenaires extérieurs qui jouent un rôle dans le processus libyen et que l'on considère comme ses parrains. Nous avions tenté déjà par deux fois une telle initiative. Elle est donc désormais relayée par l'Allemagne et nous souhaitons qu'elle aboutisse. Nous faisons tout pour que les acteurs libyens puissent être au rendez-vous et engagent un processus de paix, qui passe forcément par un processus électoral.

Avec mon collègue italien, nous avons présidé à New York, en septembre, une réunion de l'ensemble des acteurs, des partenaires, qui vont donc se retrouver à Berlin, à l'exception des Libyens. Nous sommes sur la même ligne, alors que tel n'a pas toujours été le cas. Le processus est assez facile à lire, sa mise en oeuvre est bien plus difficile. Il n'y aura pas en Libye de victoire militaire : tout passe par une solution politique, et il faut essayer, avec les pressions nécessaires, de la faire aboutir. Nous souhaitons que l'initiative de la diplomatie allemande soit une étape dans cette perspective.

S'agissant du Partenariat pour la sécurité et la stabilité du Sahel, le P3S, je l'ai dit dans mon propos introductif, il s'agit d'élargir géographiquement la zone. Un pays comme le Togo est directement intéressé, parce que les Togolais sont très sensibilisés aux risques dans le Nord. Il faut donc élargir l'initiative, au-delà du G5 Sahel, au moins aux pays qui risquent d'être menacés par les opérations terroristes et qui présentent une certaine fragilité : le Togo, le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Sénégal. L'idée est aussi d'élargir les enjeux en essayant d'aider au renforcement de la sécurité intérieure et du processus de justice, tout cela dans une dynamique européenne : c'est cela le P3S. Il est en gestation et je pense qu'on aboutira avant la fin de l'année à un dispositif complet et cohérent, qui répond d'ailleurs à la demande – je le dis à ceux qui ont posé cette question – des Africains eux-mêmes. Lors de la rencontre qu'ils ont eue à Ouagadougou, il n'y a pas si longtemps, ils ont souhaité cet élargissement de compétences comme cet élargissement géographique.

En ce qui concerne le FMI et les sanctions, la question se pose réellement. C'est vrai qu'on demande à certains pays, à la fois de renforcer leur action militaire et de respecter des contraintes imposées par le FMI. Ce sont des sujets que nous évoquons avec les responsables du FMI, selon les pays et selon la façon dont ils sont affectés par l'insécurité. Mais, en effet, il reste un travail à faire auprès du FMI.

S'agissant des sanctions contre la Russie, les règles sont claires ; elles ont été fixées par l'Union européenne. Certaines sont liées à la situation de la Crimée, d'autres à la situation en Ukraine. Les conditions à remplir sont connues de tous : les Russes le savent bien, les Ukrainiens aussi. L'articulation entre les sanctions et les mesures de paix ainsi qu'avec le respect des nouveaux accords est extrêmement précise, les uns et les autres la connaissent.

Sur l'élargissement de l'Union européenne, vous connaissez notre position : elle a été exprimée à plusieurs reprises. Nous considérons que l'avenir, le destin des pays des Balkans est d'être dans l'Union européenne. Mais toutes les conditions d'ouverture de négociations avec la Macédoine du Nord et l'Albanie n'ont pas été remplies. Nous souhaitons donc qu'elles le soient par l'une et l'autre – car nous ne sommes pas favorables au découplage –, donc que ces deux pays poursuivent leurs initiatives. Il existe en particulier des questions liées à la séparation des pouvoirs et au respect du droit qui ne sont pas totalement remplies. Par ailleurs, le Président a souhaité que l'on revoie les conditions et le processus d'adhésion, afin qu'il y ait davantage de réversibilité et de progressivité, pour que ce ne soit plus du tout ou rien. Il y aura un sommet entre l'Union européenne et les pays des Balkans, en mai 2020, et il faut que la nouvelle méthode puisse être agréée auparavant, pour qu'il y ait une perspective claire d'entrée dans un processus d'adhésion pour ces pays – pour les autres, cette perspective semble plus lointaine.

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble de la préparation de la COP25. Je dirai simplement, d'abord, que c'est le Premier ministre qui représentera la France dans cet événement de haut niveau convié par le président du gouvernement espagnol, M. Pedro Sánchez. C'est le signe de l'importance que notre pays accorde à cette COP25. Elle se doit d'être un succès car c'est un moment majeur. Vous avez souligné les risques et les menaces qui pesaient sur les diagnostics qui avaient été concrétisés sous forme d'engagements au moment de l'accord de Paris lors de la COP21. Nous avons trois objectifs majeurs pour cette COP. Le premier est de conclure les dernières négociations sur les règles d'application de l'accord de Paris. Tout n'est en effet pas achevé : une décision est en particulier attendue sur les systèmes d'échange de quotas d'émission, afin que le nouveau régime climatique international soit applicable dès 2020.

Le deuxième objectif est d'envoyer des messages clairs à la communauté internationale sur le relèvement indispensable de l'ambition d'ici 2020, c'est-à-dire d'ici la COP26 qui se tiendra à Glasgow.

Nous pensons aussi qu'un troisième élément doit être au coeur de cette COP25 : permettre l'accélération des initiatives concernant la contribution des forêts à la lutte contre le changement climatique. Le Premier ministre coprésidera, aux côtés de nos partenaires, la première réunion de l'Alliance pour la préservation des forêts tropicales, que nous avons lancée le 23 septembre à New York.

Voilà les trois grands sujets. La « grande » COP sera celle de Glasgow l'an prochain, mais il faut que celle-ci soit dans la logique d'une préparation active de cette échéance.

Madame Poletti, vous avez exposé les enjeux de la connectivité de l'électricité, qui est pour nous un sujet majeur de la souveraineté européenne, un vrai sujet de géopolitique pour la Commission européenne et sa nouvelle présidente, Ursula von der Leyen, qui devra préserver la puissance et le poids économique et commercial de l'Union européenne, ce qui suppose d'en finir avec une certaine naïveté, ce qui est parfois en vigueur. La détermination affichée par la Présidente est de bon augure dans ce domaine-là, comme dans d'autres, tel le numérique.

Je ne peux que souscrire, monsieur Mbaye, à votre volonté que la TTF soit totalement allouée au FSD, mais ce n'est pas ce qui a été décidé dans les arbitrages budgétaires. Le FSD dispose aujourd'hui de 738 millions d'euros de recettes qui sont affectés, vous l'avez dit, aux domaines de la santé, de l'éducation et du climat, c'est-à-dire à tous les biens publics mondiaux, conformément à sa vocation initiale. À Lyon, le Président de la République a annoncé 200 millions d'euros supplémentaires. Pour l'instant l'attribution et la manière de mobiliser cette somme ne sont pas encore actées, mais nous y travaillons de très près pour que ce soit vraiment dans le cadre du FSD.

Les instituts Confucius, madame Rauch, sont au nombre de dix-sept en France. Généralement, ils relèvent de la loi de 1901 relative au contrat d'association, et ils nouent des partenariats avec les collectivités locales ou avec les universités, parfois avec les deux. Ils sont sous la tutelle du ministère chinois de l'éducation. Nous suivons ces projets avec une attention particulière : nous sommes très heureux, quand ces instituts s'ouvrent, qu'ils contribuent au rayonnement de la Chine, de sa culture. C'est un outil d'influence très important. Nous attendons évidemment de la part de ces instituts qu'ils respectent les libertés académiques : d'une manière générale, c'est le cas. Et nous attendons aussi de nos amis chinois qu'ils aient la même attitude à l'égard des alliances françaises en Chine. Nous rappelons de temps en temps cette double nécessité.

Je crois avoir répondu aux questions sur le P3S. Mais je veux bien redire que nous souhaitons un double élargissement, à la fois géographique et thématique, ce qui suppose que d'autres pays s'ajoutent à ceux du G5, sous coordination européenne.

Pour la force Takuba, Madame Dumas, il s'agit de poursuivre l'engagement européen en mobilisant des forces spéciales qui voudront bien se joindre à notre effort militaire pour qu'elles soient intégrées à l'action de Barkhane et viennent aussi en soutien des forces du G5 Sahel. Cette initiative, prise par Florence Parly, rencontre un écho certain chez plusieurs pays. Aussi, je pense que cette opération va pouvoir être lancée assez rapidement. Vos autres questions à ce propos devraient sans doute être posées à la ministre des armées. Mais le G5 monte en puissance et les soutiens arrivent, y compris au plan financier puisque, sur les 414 millions d'euros annoncés de contribution et de soutien, 176 millions ont été versés ou sont en cours d'exécution. Les relais sont pris et les engagements sont à peu près tenus.

C'est d'ailleurs aussi le cas de nos engagements à l'égard de l'Iran. Peut-être n'en êtes-vous pas convaincue, mais quand mon collègue Mohammad Javad Zarif, ministre iranien des affaires étrangères, me remercie de la manière dont nous agissons, je pense qu'il sait de quoi il parle…

S'agissant des Ouïgours, nous suivons avec la plus grande attention l'ensemble des témoignages et des documents, relayés par la presse depuis plus d'une semaine, en particulier sur le système répressif et sur celui des camps d'internement au Xinjiang. Nous avons fait des déclarations très fermes à cet égard. Et nous exhortons la Chine – outre à la fermeture des camps d'internement – à inviter dans les meilleurs délais la Haute-Commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Michelle Bachelet, et les experts des procédures spéciales, afin qu'ils rendent compte de manière impartiale de la situation. Cette question a été évoquée lors des discussions que le Président de la République a eues avec le Président Xi Jinping, lors de son déplacement en Chine.

Monsieur Maire, je suis aussi très soucieux de la manière dont la désinformation peut se propager, singulièrement au Burkina Faso et, depuis peu, au Mali. Il y a une vraie bataille de communication et une vraie campagne d'explication à mener, mais pas uniquement par nous. Quand je disais tout à l'heure « plus de politique », je pensais aussi à cela, pour éviter le développement de fausses informations.

S'agissant du Soudan du Sud, nous appelons très fermement à l'application de l'accord de paix et à la formation d'un gouvernement inclusif. Nous encourageons le Président Salva Kiir et l'opposant historique Riek Machar à aboutir dans leurs discussions. C'est la position que nous avons eu l'occasion déjà de faire connaître à plusieurs reprises.

En ce qui concerne le Soudan, Omar el-Béchir est jugé à Khartoum pour des délits liés à la corruption. Lors de ma visite à Khartoum, j'ai appelé les autorités à coopérer avec la CPI. La décision du transfert de l'ex-président el-Béchir à la CPI reviendra aux autorités soudanaises et nous suivons cela de très près. J'ajoute que mon déplacement à Khartoum dans ce nouveau contexte a été extrêmement positif avec des responsables politiques qui sont dans un nouveau monde et tout à fait désireux de coopérer avec la France. C'est une des parties de l'Afrique qui connaissent de nouvelles orientations : je pense au Soudan – le Soudan du Sud est un autre sujet –, mais aussi à l'Éthiopie. Nous y sommes attendus. Ce sont des pays qui restent très fragiles, où l'arrivée de nouvelles équipes a d'abord été un événement, et qui ont devant eux des chantiers tout à fait colossaux auxquels nous voulons contribuer.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour la qualité du débat que vous avez eu avec l'ensemble des membres de la commission, pour le temps que vous nous avez consacré et pour la disponibilité qui a été vôtre, à un moment où le monde est sacrément bousculé et où la position de la France doit être constamment exigeante.

La séance est levée à 18 heures 55.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 27 novembre 2019 à 16 h 50

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Jean-Claude Bouchet, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Frédérique Dumas, M. Pierre-Henri Dumont, M. M'jid El Guerrab, Mme Anne Genetet, M. Meyer Habib, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Jean François Mbaye, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Hugues Renson, Mme Marielle de Sarnez, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy, Mme Nicole Trisse

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Moetai Brotherson, Mme Samantha Cazebonne, M. Michel Fanget, M. Claude Goasguen, M. Philippe Gomès, M. Michel Herbillon, M. Christian Hutin, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Sonia Krimi, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Christophe Naegelen, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Michèle Tabarot, Mme Valérie Thomas, M. Sylvain Waserman

Assistait également à la réunion. - M. Bruno Fuchs