Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 4 décembre 2019 à 10h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • AGRASC
  • confiscation
  • gendarmerie
  • juridiction

La réunion

Source

La réunion débute à 10 heures 40.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente

La Commission entend MM. Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann, auteurs, en qualité de parlementaires en mission dans les conditions prévues par l'article L.O. 144 du code électoral, du rapport intitulé : « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » (novembre 2019).

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Le rapport intitulé « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » a été réalisé par nos deux collègues, MM. Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann, nommés à cet effet parlementaires en mission auprès du Gouvernement. C'est un sujet qui intéresse la commission des Lois, Mme Alexandra Louis en particulier. Nous sommes donc extrêmement intéressés par les conclusions de vos travaux.

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Il s'agit d'un sujet fondamental, parce qu'en termes de répression de la délinquance, nous partons d'une situation où la culture française n'est absolument pas imprégnée par la problématique des saisies et confiscations. La mesure d'une « bonne affaire » se faisait auparavant à l'aune du nombre de personnes à interpeller, du nombre de personnes condamnées à de la prison ferme et du nombre d'années de prison prononcé, quitte à ce que le détenu continue à gérer ses affaires et son patrimoine depuis son établissement pénitentiaire et qu'à la sortie il puisse mener une « belle vie » avec l'argent mis de côté. Cela n'était pas une caricature il y a une vingtaine d'années.

Nous avions fait un travail commun il y a presque dix ans qui avait abouti à la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale. J'avais eu l'honneur, avec notre ancien collègue Guy Geoffroy, de rapporter ce texte. Il avait conduit à la création d'une agence dédiée, car nous avions identifié toute une série de rugosités, un manque de structures spécialisées et un défaut de compétences. Dans sa lettre de mission du 19 juin 2019, le Premier ministre nous demande de faire un bilan de l'action de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ainsi que des autres structures qui existent. La police nationale dispose en effet de la plate-forme d'identification des avoirs criminels (PIAC) et la gendarmerie nationale est dotée de la cellule nationale des avoirs criminels (CeNAC). Il existe aussi des groupements d'intervention régionaux.

Le Premier ministre nous a donc demandé de faire un bilan à la fois qualitatif et quantitatif de l'ensemble de ces structures, de vérifier s'il existait des chevauchements et si des recentrages et des simplifications étaient nécessaires, notamment en ce qui concerne les procédures financières. Un autre aspect de notre mission portait sur la confiscation des biens mal acquis, c'est-à-dire des biens détournés par des dirigeants de pays étrangers ou leurs proches.

Je me félicite d'avoir mené cette mission avec un éminent membre de la commission des Finances.

Premier constat : nous n'avons rencontré personne qui critique l'AGRASC, qui est reconnue par l'ensemble des interlocuteurs nationaux et internationaux. La France bénéficie de fonctionnaires qui travaillent très bien et sont très compétents, notamment en matière de lutte contre la délinquance économique et financière. Ces fonctionnaires identifient les biens susceptibles d'être saisis afin qu'ils puissent être confisqués, l'agence exerçant un rôle de conseil. La PIAC gère un petit nombre d'affaires, entre 15 et 20 par an, qui sont très bien traitées. Mais, en tant que parlementaires, on ne peut que regretter que ces agents bien formés traitent seulement 15 ou 20 affaires par an.

Deuxième constat : la culture de la confiscation reste très centrée sur la délinquance économique et financière. Il nous a ainsi été relaté, dans le cas d'une fonctionnaire de l'État qui « arrondissait » ses fins de mois en faisant du proxénétisme, que le pavillon où s'exerçait cette activité n'avait pas été saisi, parce que cela n'est pas encore un réflexe pour de la délinquance non économique et financière, avec le risque que l'activité reprenne à la fin de la sanction.

Troisième constat : l'élaboration des statistiques est perfectible. Les saisies ne cessent d'augmenter mais il n'existe aucune chaîne unique de recensement et de centralisation des données. Les services de police et de gendarmerie font leurs statistiques avec des tableurs Excel, la douane également. L'AGRASC ne joue pas de rôle en la matière. Les biens rentrent dans les greffes des tribunaux, où ils sont mélangés avec d'autres biens saisis à des fins probatoires. Si, dans le cas, par exemple, d'un homicide commis dans une voiture, il est normal que celle-ci soit conservée jusqu'à la fin de la procédure et l'épuisement de tous les recours comme moyen de preuve, il n'y a aucune raison qui justifie la conservation des saisies à vocation confiscatoire. L'un des buts du législateur en 2010 avait été de promouvoir la vente avant le jugement. Concrètement, cela signifie qu'en cas de saisie d'un véhicule, il ne sera pas nécessaire de payer des fourrières pour le garder pendant deux ou trois ans, le temps que le tribunal correctionnel ou la cour d'appel se soient prononcés. Il pourra être vendu tout de suite, l'argent étant alors consigné à la Caisse des dépôts et consignations. Si la personne est relaxée, l'argent lui sera restitué, et, si elle est condamnée, il lui sera définitivement confisqué. Force est de constater que ce mécanisme ne fonctionne pas bien. Actuellement, un grand nombre de parquets s'autocensure, notamment pour des raisons liées à la limitation des frais de justice qui représentent, dans les gros tribunaux, plusieurs centaines de milliers d'euros. Certains véhicules pourraient être très utiles mais, au lieu de cela, nous faisons des greffes une gare de triage. Il faut être pragmatique comme dans le système néerlandais.

Dernier constat : nos forces de l'ordre sont sensibles à la réutilisation des véhicules saisis. Le service compétent de la gendarmerie fonctionne bien à cet égard. Un tiers des véhicules banalisés de la gendarmerie provient de saisies et l'affectation à une direction ou à un service dure six mois environ. Au terme de ce délai, c'est-à-dire lorsque le véhicule commence à être connu du public qu'il sert à surveiller, il est vendu selon la procédure de droit commun. En Île-de-France, la gendarmerie nationale dispose même d'une application informatique sur laquelle chaque service peut indiquer ses besoins. Ainsi le service qui a besoin d'un véhicule n'ira-t-il pas le saisir lui-même en cherchant dans son périmètre s'il en existe un du même type mais sera informé, par le biais de cette application, des véhicules qui y ont été enregistrés afin que l'un d'eux lui soit attribué.

Dans la police nationale, en revanche, cela ne fonctionne pas du tout. Dans beaucoup d'endroits, c'est l'autocensure qui prime par peur que les demandes d'attribution d'un véhicule prennent trop de temps pour être validées par la hiérarchie. Le ministre a conscience de ce problème. Ces exemples montrent que nous avons acquis un savoir-faire que se sont appropriés certains services mais qui n'a pas été généralisé. Faire évoluer la situation ne coûterait pas grand-chose : des marges de manoeuvre sur le plan organisationnel existent qui pourraient permettre des progrès considérables.

De même, il y a des tribunaux où cela fonctionne très bien et d'autres non. Aller rechercher ce qui a été saisi au fur et à mesure de la procédure, ce qui a été contesté et ce qui ne l'a pas été et s'assurer que la décision finale de confiscation sera bien appliquée peut prendre d'une à trois journées de travail au magistrat qui clôture une information. Par ailleurs, l'AGRASC n'est pas tenue au courant de toutes les décisions de confiscation.

Il me semble vous avoir exposé tous les manques que nous avons constaté et nos propositions pour les combler. Certaines nécessitent un véhicule législatif pour être mises en oeuvre. D'autres relèvent de l'organisation des services. Nous avons besoin d'un portage politique de cet objectif de saisie et de confiscation dans l'ensemble de l'appareil répressif de l'État.

Enfin, cela ne me choque pas que nous ne saisissions pas un véhicule parce qu'il va faire perdre de l'argent à l'État. En revanche, que l'on ne saisisse pas un véhicule parce que l'État ne gagnerait pas d'argent me choque beaucoup. Cela représente tout de même pour la population le moyen ou le fruit d'un acte de délinquance. Pour la paix sociale, le délinquant ne doit pas pouvoir mener un train de vie fastueux. Nous faisons la même remarque à propos du matériel vidéo saisi dans certains appartements. Nous devons faire preuve de davantage d'agilité sur l'ensemble du territoire.

Notre mission comportait une dimension territoriale, qui nous est apparue très importante. Doit-on territorialiser le savoir-faire que nous avons développé au niveau national pour aller frapper la délinquance locale ? Je pense que nos concitoyens l'attendent.

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S'il y a un maître mot qui a guidé notre travail, c'est celui de l'efficacité, d'abord dans notre méthode de travail, ensuite à travers les échanges que nous avons noués avec l'ensemble des acteurs entendus, enfin par les constats et propositions que nous formulons. Nous avons auditionné 144 représentants d'administrations centrales, de services d'enquête, de juridictions, d'agences de l'État, au premier chef desquels l'AGRASC. Nous avons également entendu des organisations de la société civile, notamment au sujet des biens mal acquis et de leur restitution, que j'évoquerai en dernière partie.

Jean-Luc Warsmann a parfaitement dressé les constats qui sont les nôtres.

Chaque mot du titre du rapport est bien choisi. Il s'intitule : « investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner ». J'insiste vraiment sur le terme d'« investissement », parce que nous pensons que les propositions que nous faisons dans ce rapport représentent des investissements importants mais soutenables et rentables sur le plan politique, sociétal, financier et budgétaire. En effet, ces investissements permettraient de réaliser de sérieuses économies en termes de gestion des biens saisis, et aussi grâce aux gains issus de la vente des biens confisqués.

Nos propositions portent d'abord sur l'investissement dans l'organisation des services. L'une est de déconcentrer l'AGRASC dans les territoires. Nous proposons de créer 16 agences régionales de l'AGRASC calquées sur les budgets opérationnels de programme (BOP) des cours d'appel. Nous pensons qu'aujourd'hui, la principale limite en termes d'efficacité de l'AGRASC est son inégale présence dans les territoires selon la nature des dossiers, et en particulier dans les petites juridictions, qui ont pourtant besoin de son appui et de son expertise. C'est pour cela que cette première proposition nous paraît indispensable et sine qua non pour le succès de toutes les autres préconisations.

Nous proposons aussi que l'AGRASC soit mieux dotée en moyens, afin qu'elle puisse assurer son rôle extrêmement important de centre de ressources et d'information. Nous avons été frappés par le constat unanime dressé par toutes les personnes auditionnées sur le manque d'accès à l'information et aux statistiques et l'absence de centralisation de celles-ci. Aujourd'hui, un service d'enquête de police ou de gendarmerie qui saisit un bien ne sait pas ce que devient ce bien. Un magistrat qui ordonne une confiscation ne sait pas ce que devient la gestion de ce bien, et l'AGRASC elle-même n'est informée que lorsqu'elle est formellement sollicitée. Elle n'est pas au courant de tout ce qui se fait sur l'ensemble du territoire. Il est donc nécessaire que l'AGRASC devienne ce centre de ressources.

Ensuite, il est important d'investir dans la procédure pénale numérique et d'y intégrer la dimension patrimoniale qui en est totalement absente. Nous pensons que c'est un vrai problème. Beaucoup d'investissements ont été faits dans le logiciel Cassiopée, mais il n'intègre pas la problématique des saisies et confiscations de façon satisfaisante.

Par ailleurs, il conviendrait d'investir dans les moyens humains, par un surcroît de dépense publique mais aussi par des transferts au sein du titre II pour ne pas trop augmenter le nombre d'agents publics. Il nous paraît important d'affecter davantage d'assistants spécialisés dans les principales juridictions, à commencer par les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Il s'agit de personnes, contractuelles ou fonctionnaires, qui viennent apporter leur expertise au sein de ces juridictions. Certaines sont issues de la direction générale des finances publiques (DGFIP), d'autres des douanes, et d'autres de la police et de la gendarmerie nationales. Ces personnes qui viennent travailler au plus près des magistrats et des greffiers apportent une véritable valeur ajoutée, et nous proposons qu'il y en ait systématiquement qui soient dédiées à la problématique de la saisie et de la confiscation dans chacune des plus grandes juridictions de notre pays. Pour les plus petites juridictions, nous proposons que ce soit géré par des greffiers qui soient davantage formés et sensibilisés à cette problématique.

Si je résume, l'investissement consisterait à faire de l'AGRASC un vrai réseau sur l'ensemble du pays avec 16 petites agences dans les territoires, à renforcer les JIRS d'assistants spécialisés et les plus petites juridictions de greffiers spécialisés en saisie et confiscation. Ainsi, chaque échelon territorial, chaque juridiction verrait sa capacité d'agir renforcée.

Par ailleurs, il n'est pas anodin que Jean-Luc Warsmann et moi-même ayons été nommés ensemble, puisqu'il existe une vraie problématique en termes de circuits financiers. L'AGRASC a aujourd'hui un système de financement qui n'est pas satisfaisant. Elle est financée par l'État et par le produit des intérêts des sommes placées à la Caisse des dépôts et consignations à l'issue des ventes, ce qui constitue un financement assez instable. Nous proposons de resincériser le financement de l'AGRASC, en en faisant une agence opérateur de l'État qui soit dans le giron du contrôle parlementaire, et qu'elle soit financée par une ligne d'action du programme de la mission « Justice », lors du vote du projet de loi de finances de chaque année.

S'agissant de ce que redistribue l'AGRASC à travers les fonds de concours, nous proposons là aussi de resincériser et de rendre plus lisibles les circuits financiers, en remontant systématiquement au budget général de l'État l'ensemble des sommes issues des ventes. Nous proposons que chaque ministère qui a participé à la saisie et à la confiscation soit doté de la même manière à travers les missions « Sécurités » et « Justice ». Au-delà de leur aspect technique, ces évolutions soulèvent un réel intérêt en termes de clarification financière et de lisibilité, permettant aux parlementaires de mieux contrôler cette agence et de comprendre ce qu'elle fait sur tous les territoires.

Enfin, nous proposons de clarifier un certain nombre d'organisations et de services au sein du ministère de l'Intérieur pour gagner en efficacité. La PIAC est un outil qui fonctionne très bien mais qui doit se rapprocher davantage des commissions nationales et régionales d'aménagement commercial. Au sein de la gendarmerie nationale, l'identification et la saisie des biens pourraient se faire avec plus de synergies. Notre lettre de mission nous interrogeait sur la pertinence d'une fusion de la PIAC et de l'AGRASC. Nous ne la pensons pas pertinente dans la mesure où ces deux structures exercent deux métiers différents qui doivent conserver leurs spécificités. En revanche, des synergies et des partages d'expertise sont possibles entre elles. Je ne vous apprends pas grand-chose, ainsi qu'au ministre de l'Intérieur, en vous disant que des progrès sont possibles en termes de rapprochement de certains services de la police et de la gendarmerie nationales.

Par ailleurs, nous proposons de clarifier les fonctions de l'AGRASC en matière de statistiques et de monopole des ventes avant jugement. C'est important pour qu'il y ait une cohérence d'ensemble.

Enfin, dans les juridictions, nous proposons d'obliger le magistrat à prendre une décision dans les trois mois sur le devenir du bien saisi, qu'il s'agisse d'une conservation pour valeur probatoire, d'une vente avant jugement, d'une affectation du bien à un service, de sa restitution – éventuellement contre paiement – ou de sa destruction. Cette décision doit être prise dans un délai raisonnable pour éviter l'accumulation de biens saisis, à l'image du parc automobile du tribunal de grande instance de Créteil, dont les frais de gardiennage coûtent presqu'un million d'euros par an, ce qui, à l'échelle nationale, peut représenter des dizaines de millions d'euros. Or je ne suis pas certain qu'il soit de notre devoir de nous préoccuper de l'avenir financier des fouriéristes, qui profitent de cette situation. Des économies sont donc à réaliser en étant beaucoup plus efficaces sur le devenir du bien saisi.

Concernant les biens mal acquis, il nous était demandé dans la lettre de mission de donner suite à une proposition de loi du Sénat qui avait été portée par M. Jean-Pierre Sueur sur la restitution des biens mal acquis issus de la corruption internationale aux populations victimes des pays d'origine. Nous avons proposé un modèle qui ressemble à celui de la Suisse : chaque cas doit être traité sur-mesure. Nous ne voulons pas que la mission « Aide publique au développement » soit dotée du montant total de la vente des biens. Nous voulons absolument que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères se saisisse de chaque dossier, crée une cellule ad hoc associant systématiquement l'AGRASC et l'Agence française de développement (AFD), dont l'expertise en matière de financement des projets de développement est reconnue, et ouvre un dialogue diplomatique avec le pays d'origine. Là est la difficulté. Il faut évidemment que ce ministère utilise toute sa créativité et toute son expérience pour permettre, aux côtés de l'AFD, de faire circuler au mieux l'argent afin qu'il puisse bénéficier à des projets de développement, au plus près de la société civile locale. Nous avons confiance dans la capacité de l'AFD à financer des projets qui auront un impact important en termes de coopération internationale et d'aide au développement. Dans le rapport, nous proposons un certain nombre de thématiques prioritaires, comme la santé et l'éducation, parce que malheureusement, ce sont souvent des pays qui sont en souffrance dans ces domaines. Nous proposons qu'il soit mis fin au système actuel qui alloue toute vente d'un bien mal acquis au budget général de l'État. Pour le dire autrement, nous souhaitons que chaque euro issu de la vente d'un hôtel particulier ou d'une Porsche provenant de la corruption internationale retourne bien vers des projets au bénéfice des populations d'origine.

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Cette démarche sur la saisie des avoirs criminels avec la création de l'AGRASC a été une excellente idée : elle peut porter des coups très rudes à la délinquance et aux grands réseaux de criminalité. C'est une arme extraordinairement dissuasive qui est assez simple : toucher les délinquants et les criminels au portefeuille. Dans tous les pays où elle a été appliquée avec constance, détermination et efficacité, elle a porté ses fruits. Certains criminels ne craignent pas la prison, c'est même pour certains une forme de reconnaissance dans le milieu, mais saisir les avoirs acquis dans un cadre criminel – les maisons et les voitures – est un puissant vecteur. Si cet objectif est particulièrement pertinent, sa concrétisation s'avère plus compliquée. Des étapes ont été franchies. J'ai été amené, à partir de 2017, à déposer des propositions de loi qui vont dans le même sens que votre rapport avec pour objectif de favoriser l'action de l'AGRASC. Ce que vous proposez me paraît extrêmement intéressant et pertinent, notamment, sur le plan territorial, la création d'antennes déconcentrées de l'AGRASC et des compétences renforcées pour les parquets. Comme vous l'avez souligné, il y a des situations ubuesques, par exemple des fourrières où vieillissent inutilement des véhicules... J'espère que vos propositions, que je soutiens, seront entendues et mises en oeuvre rapidement et qu'elles ne seront pas – comme c'est le cas pour beaucoup de rapports et de missions – classées de façon verticale par l'exécutif.

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Je voudrais saluer la qualité de ce rapport, qui nous permet de prendre un peu de recul sur la loi de 2010 et de mesurer son effectivité, sur un sujet qui est extrêmement important, puisqu'il s'agit de faire en sorte que le crime ne paie plus.

S'agissant des trafics, nous parlons souvent d'économie souterraine. Elle n'est d'ailleurs parfois pas si souterraine que cela. Le nerf de la guerre, c'est l'argent. Nous sommes beaucoup à le constater et à le dire : toucher au patrimoine des délinquants est dissuasif. Or, s'il est vrai que cette loi a permis de donner une réelle impulsion, votre rapport démontre que, dans les faits, la réponse n'est pas encore satisfaisante. D'ailleurs, dans de nombreux dossiers, il n'y a pas nécessairement d'enquête patrimoniale. Je pense à la délinquance de grande envergure, mais aussi aux dossiers de moyenne délinquance, notamment au trafic de stupéfiants qui gangrène les territoires. Pour beaucoup d'auteurs d'infractions, la vraie motivation est l'argent. Lorsqu'ils ressortent après avoir purgé leur peine, ils peuvent parfois reprendre un train de vie assez confortable.

Ma première question concerne le modèle irlandais. À l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dont je fais partie, nous avons adopté un projet de résolution en janvier 2018 sur ce sujet précis. Les États membres étaient invités à améliorer leur législation pour faire en sorte que la confiscation soit plus facile à opérer, en recourant notamment à des présomptions de fait. Il était aussi demandé de prévoir, sous certaines conditions, des confiscations sans condamnation préalable. Le modèle irlandais a été salué, je le trouve intéressant puisqu'il est fondé sur une véritable politique préventive. Des saisies peuvent intervenir en dehors d'un cadre pénal : l'Irlande l'a fait à une époque. Cela permettait de récupérer des avoirs qui sont issus des trafics, et de mettre une certaine pression sur ces trafiquants. Je sais que ce modèle, même si les juridictions suprêmes de ce pays l'ont validé, avait fait polémique mais il a produit des résultats significatifs. Il faut savoir qu'en Europe, en 2016, on ne saisit que 2,2 % des avoirs illicites, et on n'en confisque que la moitié. Cela veut dire que 99 % des avoirs illicites continuent à circuler. Il y a donc encore une marge de progrès très importante. J'ai bien compris qu'il y avait une difficulté pour aller plus loin dans la volonté d'appliquer cette loi, et notamment pour faire en sorte que les juridictions s'approprient ces outils et qu'il y ait une vraie culture patrimoniale. Toutefois, serait-il possible de se rapprocher du régime irlandais ?

Le deuxième aspect qui me paraît extrêmement intéressant est celui de l'indemnisation des victimes. La difficulté est que, pour de nombreuses infractions, il y a des victimes directes ou indirectes. Pouvez-vous nous préciser quels sont les mécanismes qui permettraient de faciliter l'indemnisation des victimes à travers ces saisies et confiscations ?

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D'abord, notre système pèche en matière d'identification des biens à saisir et confisquer. Quand un réseau est découvert, les forces de police sont mobilisées pour arrêter ses membres très rapidement, sans qu'il ait été procédé, au préalable, à l'identification de leurs biens. Voilà pourquoi nous proposons la présence d'assistants spécialisés dans les tribunaux.

Le deuxième manque de notre système concerne les outils susceptibles de faciliter l'identification, la saisie et la confiscation des biens. Ainsi, il n'est pas rare que les fonctionnaires provenant d'autres ministères voient leur accès aux fichiers interrompu par leur administration d'origine alors même que cet accès serait très précieux dans l'exercice de leurs nouvelles missions. Nous proposons donc que les assistants conservent l'accès aux fichiers du ministère dont ils relèvent. Nous avons aussi observé une grande pauvreté dans la mise en oeuvre de ces fichiers. On nous a par exemple cité le cas d'un département où seules deux ou trois personnes avaient accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA), parce que c'est un vieux fichier dont les accès ne peuvent être démultipliés.

Pour aller jusqu'au bout du raisonnement, demain, des saisies doivent pouvoir être prononcées à l'encontre de quelqu'un qui est jugé en comparution immédiate. Il suffit de faire une recherche dans le fichier des comptes bancaires et de vérifier dans celui des cartes grises si cette personne possède un véhicule. Dans certains cas celui qui ressort avec une peine de sursis prétend qu'il n'a rien eu alors que lorsque les comptes bancaires sont bloqués et la voiture saisie, la sanction est plus durement ressentie.

S'agissant du modèle irlandais qui a été évoqué, nous n'avons pas tiré le fil jusqu'au délit de non-justification de ressources. Ce délit est inscrit dans notre droit mais les biens sont de plus en plus camouflés, comme dans le cas d'une société civile immobilière enregistrée sous le nom d'une compagne à qui un commerce a été offert. La non-justification de ressources pourrait être mobilisée, mais il faut du temps pour la caractériser.

Enfin, au niveau international, de plus en plus de biens franchissent les frontières. La PIAC dispose d'une brochure qui montre comment cela fonctionne pays par pays. Au-delà, c'est le système D. Il existe un pays – que je ne citerai pas – dont les services ont indiqué qu'ils ne voulaient pas coopérer parce qu'ils ne disposaient pas des outils idoines, jusqu'au moment où une magistrate a constaté être parfaitement en mesure d'y arriver. Lorsque nous disons que l'AGRASC doit avoir un rôle d'animation, c'est notamment vrai en matière de partage de l'information. Par exemple, à Marseille, dont un juge a été nommé magistrat de liaison en Espagne, tous les acteurs compétents savent comment procéder lorsqu'un problème se pose avec ce pays grâce aux contacts dont il dispose.

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Madame Louis, vous parlez d'indemnisation des victimes. Je pense que nous pouvons envisager des formes de restitution sociale, comme en Italie et en Espagne, où cela fonctionne très bien. Des anciens locaux de la mafia italienne ont, par exemple, été transformés en cinémas de quartier ou en locaux d'associations. Cela permet de faire revivre des lieux qui étaient gangrénés par la mafia. La situation française est différente mais il serait souhaitable que les AGRASC régionalisées, grâce à leur connaissance du terrain, se saisissent de cette possibilité – parce qu'il faut des gens proches du terrain – et puissent prendre des décisions de réaffectation sociale des biens confisqués, plutôt que de les vendre. Cela me paraît au moins aussi intéressant que la simple restitution sous forme d'indemnisation des victimes, parce qu'il y a une dimension sociétale à laquelle la population peut être sensible. C'est notamment vrai pour le crime organisé dans les quartiers, où il est nécessaire d'indemniser les victimes pour changer de paradigme et gagner la bataille républicaine et sociale. Dans ces endroits-là, je pense qu'il est vraiment intéressant de récupérer les biens – voitures, locaux, etc. – qui peuvent être réutilisés à des fins associatives et sociales. C'est en tout cas l'une des préconisations de notre rapport qui peut recevoir, dans votre département, un écho favorable.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la peine complémentaire de confiscation doit respecter le principe de proportionnalité. S'il est nécessaire de davantage la mettre en oeuvre, il n'est pas possible de saisir, par exemple, un bien immobilier pour n'importe quelle condamnation. Les magistrats sont parfois confrontés à cette exigence.

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Vous parlez des véhicules saisis et des coûts de mise en fourrière. Il y a des cas encore plus stupéfiants dans les petits commissariats de police, où le parc de véhicules utilisables par les policiers est constitué de vieilles voitures qui ont 400 000 kilomètres et qui ne leur permettent pas d'exécuter leurs missions correctement. Sur le même parking, de grosses cylindrées saisies sont en attente de décision d'affectation parce qu'il n'y a pas de fourrière disponible mais les policiers ne peuvent pas les utiliser dans l'intervalle et les regardent avec envie et un peu de désespoir. Il est urgent de régler cette question.

Par ailleurs, préconisez-vous des conventions internationales pour la saisie des biens détenus dans des pays européens ? Nous avons tous en tête des cas de délinquants qui font l'objet de saisies modestes sur le territoire français mais qui possèdent des patrimoines très conséquents à l'étranger..

Vous avez également évoqué la déconcentration de l'agence sur seize territoires, qui ne correspondent pas aux régions : pouvez-vous nous indiquer quelle sera la pertinence géographique de cette répartition ?

Enfin, la traduction de vos propositions est-elle seulement de niveau réglementaire ou implique-t-elle l'adoption de dispositions législatives ?

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La réponse pénale est importante, mais elle l'est encore plus lorsqu'elle s'accompagne d'une confiscation des avoirs criminels. C'est également un résultat appréciable pour les policiers qui sont parfois démotivés par certaines réponses judiciaires. Vous avez aussi mis en lumière quelque chose qui est malheureusement trop fréquent, à savoir le nombre important de services qui, au sein des forces de sécurité intérieure, réalisent des missions identiques ce qui mobilise inutilement un nombre important d'équivalents temps plein (ETP), alors qu'un regroupement de ces services serait plus efficient.

Concernant la saisie des avoirs sur les petits et moyens trafics, je suis en accord avec ma collègue Alexandra Louis : ainsi, en matière de stupéfiants, la majeure partie des avoirs criminels part dans des pays étrangers, en particulier au Maroc. Il est donc important de conclure des accords avec les pays les plus concernés pour faire évoluer les choses.

La régionalisation de l'AGRASC est une idée très intéressante. Ma question porte sur la dotation en moyens humains de ces structures : s'agira-t-il d'ETP prélevés sur le budget de la justice ou envisagez-vous une autre affectation des ressources humaines ?

Par ailleurs, l'enquête patrimoniale est évidemment quelque chose d'important pour permettre la saisie des biens. Compte tenu du travail qui est actuellement celui des officiers de police judiciaire (OPJ), il est malheureusement compréhensible que peu d'entre eux s'intéressent à cette question. Quelle solution proposez-vous ? J'ai bien noté que vous suggériez de recourir à des assistants de police et de gendarmerie, ce qui est une très bonne idée, sous réserve qu'ils puissent avoir accès aux fichiers de recherche. Mais nous devons pouvoir leur garantir un déroulé de carrière identique à celui de leurs collègues qui restent dans les services de police et de gendarmerie, ce qui n'est pas toujours évident.

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Je voudrais parler d'un domaine dans lequel l'évaluation patrimoniale est plus facilement engageable, parce que c'est l'objet du délit : celui des marchands de sommeil. La loi ELAN a prévu une peine complémentaire de confiscation selon des modalités assez semblables à celles concernant les trafiquants de drogue, par la présomption de revenus issus de la mise à disposition de logements indignes. Ma question ne porte pas vraiment sur le fait que l'on confisque ou pas. Les premières décisions commencent à tomber. Je rappelle à toutes fins utiles qu'il n'y a pas si longtemps, nous n'avions comme recours possible que l'expropriation. Par exemple, dans le 18ème arrondissement de Paris, un « pauvre » marchand de sommeil exproprié a été indemnisé à hauteur de 6,4 millions d'euros. C'est presque du blanchiment ! L'objet du délit devient la source de la fortune officielle de celui qui le commet. Cette disposition de la loi ELAN permet désormais la confiscation. Il s'agit maintenant de savoir ce que l'on fait des biens qui sont confisqués. L'ingénierie est plus complexe dans ce cas que lorsqu'il s'agit de savoir si un véhicule est réutilisable ou pas par les services de police. Que faisons-nous des personnes qui sont logées dans ces biens ? Comment assure-t-on la rénovation et la transmission à une collectivité ou à un bailleur social ? Comment insère-t-on ces biens dans un projet de requalification d'un quartier ou d'un centre-bourg ?

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Des efforts doivent effectivement être accomplis au niveau international. C'est au sein de l'Union européenne que l'entraide fonctionne le mieux. La règle qui prévaut est que l'État qui saisit et confisque sur son propre territoire conserve une partie de la valeur du bien et rend le reste à l'autre État. C'est plus difficile et compliqué en dehors de l'Union Européenne. On nous a ainsi raconté que dans un État proche de la France, mais situé en dehors de l'Europe, l'enquête et la confiscation aboutissaient avec des succès divers selon l'identité de la personne visée, selon qu'elle est liée ou non au gouverneur de cet État ou à son réseau... Le Quai d'Orsay devrait placer ce sujet au coeur des négociations de nos accords internationaux. Un accord doit régir la saisie et la confiscation entre États, et il est légitime que l'État qui procède à la saisie et à la confiscation conserve une partie de la valeur confisquée.

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S'agissant de la déconcentration de l'agence sur 16 territoires, notre proposition se fonde effectivement sur les BOP des cours d'appel plutôt que par région. Nous nous sommes efforcés de faire des propositions réalistes : nous pensons que 16 agences permettront de couvrir les besoins des juridictions, au vu des auditions que nous avons menées sur le terrain. Nous nous sommes évidemment déplacés, ailleurs qu'à Paris et Créteil. Nous sommes notamment allés à Marseille et dans d'autres territoires. Et il nous semble que le BOP est le bon échelon. Ce serait déjà un très bel investissement, si la garde des Sceaux et le Gouvernement acceptaient de le financer.

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Si dans une cour d'appel un assistant spécialisé est malade ou en congé, il n'y a plus personne pour prendre son relais. Il faut donc au moins des binômes qui soient les référents pour l'ensemble des juridictions.

Pour répondre à M. Jean-Michel Fauvergue, il convient évidemment de regrouper les services et de lutter contre les doublons.

Lors de son audition, la gendarmerie nous a expliqué être en train de mener des échanges avec un certain nombre de banques pour dématérialiser la procédure de réquisition, afin de gagner du temps d'enquête.

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Effectivement, des majorations seront nécessaires en titre II si nous voulons mettre en oeuvre nos propositions, mais dans des proportions raisonnables. Si vous regardez dans le détail du rapport, nous nous efforçons de transférer des fonctionnaires de police et de gendarmerie au sein des AGRASC déconcentrées, ainsi que des personnes de la DGFIP et de la douane judiciaire, qui ont tous un niveau d'expertise suffisant. C'est d'ailleurs le cas rue de Richelieu, où les équipes de l'AGRASC sont composées de personnes venant d'horizons divers et utilisant différents outils informatiques : c'est ce qui fait la force de cette agence. Des personnes viennent des JIRS, d'autres étaient gendarmes, d'autres encore magistrats. La directrice générale de l'AGRASC est une magistrate elle-même. C'est ce que nous voulons reproduire au niveau régional, mais cela demandera un peu plus de magistrats, de policiers, de gendarmes et d'agents fiscaux.

Nous insistons sur les besoins en investissement, tant sont importantes les différences d'efficacité entre police et gendarmerie nationales. Je l'ai dit, un tiers du parc automobile civil de la gendarmerie provient des confiscations, mais beaucoup moins pour la police. Comme Jean-Luc Warsmann l'a relevé, il y a une forme de découragement dans les services d'enquête de la police nationale pour aller saisir les biens. Les enquêteurs se disent que, de toute façon, ils n'auront jamais le véhicule le temps que la procédure d'attribution aboutisse.

Au-delà, il y a un vrai problème d'attractivité de la fonction d'OPJ. Je ne vous apprends rien, mais si nous ne réglons pas ce problème, tout ce que nous proposons sera fragilisé. Il faut absolument que les policiers soient davantage attirés par ces fonctions, que les excès de tracasseries administratives, le manque de reconnaissance et le manque d'intéressement rendent peu attractives. Vous connaissez le sujet beaucoup mieux que moi, et le ministre Laurent Nuñez que nous avons sollicité à ce sujet était également parfaitement au fait de cette problématique.

Pour répondre à M. Guillaume Vuilletet, prenons l'exemple d'un schéma facile à comprendre, celui du gardiennage des véhicules. Les confie-t-on à la police ? Les vend-on ? Les garde-t-on comme élément probatoire ? Vous avez raison, il existe de nombreux cas où cela demande une ingénierie plus complexe, et c'est exactement pour cela que l'AGRASC existe. Elle a ainsi une capacité à traiter directement avec les syndics de copropriété pour régler les problèmes quotidiens lorsque l'on saisit un appartement afin que la vie de l'immeuble continue : je rappelle que c'est le contribuable qui paie les frais de copropriété pendant que le bien est saisi. L'ingénierie doit donc être optimisée si l'on veut que les coûts de gestion n'explosent pas.

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Il faut évidemment développer l'enquête patrimoniale. Cela peut se faire par la cosaisine d'un service de police et de la JIRS compétente, qui s'en occupe. Je partage entièrement ce qui a été dit sur les OPJ. Nous avons eu un témoignage indiquant que des gardiens de la paix sans formation particulière arrivent parfois sur ces fonctions. Inévitablement, ils se trouvent démunis face à des dossiers de montages fiscaux ou de placements très compliqués. C'est pour cela que le recours aux assistants spécialisés nous semble une très bonne solution.

Concernant la loi ELAN, il s'agit de la proposition n° 18 qui vise à compléter les dispositions législatives existantes pour rendre obligatoire la confiscation des biens meubles et immeubles en relation directe avec l'infraction. Tout ce qui est en lien, direct ou indirect, avec celle-ci, doit être saisi et confisqué.

Nous avons également eu le cas d'un bien immobilier confisqué, dans lequel la compagne du condamné habitait. Une procédure a été nécessaire pour faire expulser cette personne. L'AGRASC, pour appliquer la loi, a dû la reloger et remettre en état le logement. C'est pour cela que nous avons proposé que la confiscation d'un bien vaille expulsion de la personne qui y habite. Le logement peut ainsi être libéré, pour être remis à la collectivité. Il y a également des vides juridiques et parfois des contradictions entre deux législations poursuivant toutes deux un but d'intérêt général, qui aboutissent à des paralysies et à la conservation de biens pendant plusieurs années par l'AGRASC : ces situations doivent cesser.

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J'entends bien que les frais de copropriété sont payés et que l'on veut expulser la petite amie ou l'oncle qui occupe le bien... Le problème est que ces gens sont aussi les victimes des marchands de sommeil. L'ingénierie sociale permet de reloger ces gens d'une façon ou d'une autre, ce qui n'est pas forcément simple car certains n'ont pas de titre de séjour. Au-delà du fait de payer et d'optimiser les factures de copropriété, quand il s'agit d'immeubles entiers ou d'immeubles qui vont connaître une évolution – démolition ou construction –, comment assurons-nous que le bien soit transmis dans de bonnes conditions au porteur du projet d'aménagement par exemple ?

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Dans le cas des marchands de sommeil, c'est très particulier. À Villeneuve-Saint-Georges, il y a à peine un mois, l'AGRASC a saisi un immeuble entier à la suite de la condamnation d'un marchand de sommeil qui en était le propriétaire.

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Pour reprendre l'exemple précédent, aujourd'hui, nous n'indemniserions plus un marchand de sommeil car nous avons les moyens de confisquer et de saisir son bien. C'est quelque chose que nous avons voulu simplifier pour tous les types d'infractions. L'agence s'occupe des biens, c'est son métier. Par exemple, elle confisque des bateaux, elle peut dépenser de l'argent pour les remettre en état et les revendre. Parfois, il faut réinvestir de l'argent pour que le bien puisse trouver un acheteur plus facilement.

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J'aimerais avoir des précisions concernant la traduction réglementaire et législative de ces propositions.

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Ma question porte sur les ventes avant jugement. Dans la mission d'évaluation que j'ai conduite sur la délinquance économique et financière, nous avons vu que, dans beaucoup de cas, peu de ventes avant jugement étaient prononcées, alors que c'est faisable en l'état actuel de la loi.

Vous proposez d'élargir et de modifier les critères pour éviter la dépréciation du bien. Pourquoi pas, je pense que c'est une bonne chose, mais quels retours avez-vous eu de la part des magistrats ? Pourquoi ne la prononcent-ils pas ? Quels sont les obstacles qu'ils disent rencontrer pour le faire ? Est-ce parce qu'ils n'y pensent pas, parce que c'est compliqué ou parce qu'il faut un greffier pour le faire ?

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Existe-t-il des conventions entre les bailleurs sociaux et l'AGRASC pour gérer des biens qui sont saisis dans le cadre des procédures ? Encore une fois, la personne n'est pas l'alibi du marchand de sommeil, mais bien la victime. Comment cela se passe-t-il en la matière ? Des conventions ont été signées dans six départements entre les parquets, le département et le ministère du logement pour optimiser la lutte contre les marchands de sommeil. L'AGRASC est-elle partie prenante ?

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J'ai récemment visité un commissariat de ma circonscription qui accueille plusieurs services territoriaux, dont la sûreté départementale et une brigade des stupéfiants. Plusieurs agents de police ont déploré devant moi la vétusté du matériel, notamment des véhicules qui ont souvent entre 180 000 et 200 000 kilomètres. Des efforts sont faits sur le plan budgétaire, mais ce n'est pas encore tout à fait au niveau des besoins de changement du parc automobile. Or ces agents, qui opèrent souvent eux-mêmes des saisies, notamment dans le cadre de trafics de stupéfiants, récupèrent certaines voitures. Je ne parle pas des voitures de luxe, qui peuvent être aisément vendues, mais de véhicules plus modestes qu'ils pourraient utiliser. Vous avez mis en avant la différence entre le travail fait sur ces questions par la gendarmerie et la police nationales, avec des lourdeurs administratives et des pratiques qui ne sont peut-être pas optimales concernant cette dernière. Pourriez-vous éclaircir cela et rappeler les pistes d'amélioration que vous préconisez ?

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Pour répondre à M. Viala, il y a dans notre rapport un tableau qui énumère nos préconisations avec une colonne définissant le niveau d'action pertinent, législatif, réglementaire ou organisationnel.

Concernant les ventes avant jugement, il y a un aspect psychologique et surtout matériel. Aujourd'hui, on ne différencie pas la saisie probatoire de la saisie confiscatoire. C'est pour cela que l'on propose un sas de trois mois en faisant du greffe une « gare de triage ». Nous proposons qu'il y ait des personnes de l'AGRASC qui soient là pour éviter un surcroît de travail pour le greffier. L'agent de l'AGRASC préparerait la décision du magistrat en suggérant ce qui est à garder, ce qui est à détruire car cela ne vaut rien, et ce qui est à vendre. Le magistrat prendra sa décision et celle-ci sera exécutée. Aujourd'hui, il n'y a pas les hommes et le savoir-faire pour réaliser ces tâches. J'ai une grande admiration pour les greffiers : le travail qu'ils font est considérable. À Marseille, nous avons visité des salles immenses avec des ordinateurs qui ne valent plus rien, où se trouvent de très nombreuses armes à répertorier, le cas échéant en remontant dans des procédures antérieures... L'intervention de l'AGRASC est pour cela nécessaire.

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Monsieur Bernalicis, plusieurs raisons expliquent le faible recours aux ventes avant jugement. Parfois, les magistrats n'y pensent pas. Il y a aussi des problèmes de ressources humaines, tant sont grandes les difficultés, dans certaines juridictions, en termes de greffiers. Nous insistons bien là-dessus dans le rapport, et c'est aussi pour cela que nous préconisons que la décision sur le devenir du bien saisi soit prise en trois mois. La vente avant jugement est fortement conseillée, quand cela s'y prête.

Par ailleurs, c'est le travail des équipes de l'AGRASC de faire du sur-mesure et de contacter sur place des acteurs permettant de trouver la meilleure solution et de protéger les populations victimes de marchands de sommeil, si elles logent dans des appartements qui sont saisis. Il faut approfondir ce travail et régionaliser pour être au plus près du terrain. Par exemple, vous savez comme moi qu'il faut connaître de près le fonctionnement des Offices publics de l'habitat (OPH) pour être en mesure de travailler avec eux. Il est donc important que ce ne soit pas l'AGRASC de Paris qui travaille avec un OPH d'Indre-et-Loire et, par conséquent, de territorialiser son travail. Nous croyons profondément que c'est une des clés du succès.

Monsieur Rudigoz, nous avons du mal à comprendre pourquoi il existe autant de différences dans l'attribution des biens saisis entre la police et la gendarmerie nationales. Des procédures internes sont certainement en cause, mais il est clair que les pratiques de la gendarmerie doivent devenir des exemples à suivre.

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En particulier, nous appelons de nos voeux la généralisation de ce que fait la gendarmerie en Île-de-France. Nous souhaitons que les services indiquent leurs besoins en termes de matériel et que les problèmes de hiérarchie, lorsqu'ils existent, soient identifiés et résolus.

Par ailleurs, lorsque la procédure judiciaire amène à restituer l'argent qui a été saisi parce qu'il ne peut pas être confisqué, nous invitons à consulter auparavant les services fiscaux et sociaux pour que, si le mis en cause a des dettes fiscales et sociales, celles-ci soient remboursées, ce qui n'est pas fait systématiquement.

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Nous examinerons avec beaucoup d'intérêt la proposition de loi que vous nous avez annoncée, puisqu'un certain nombre de préconisations ont un caractère législatif. Nous vous remercions.

La réunion s'achève à 11 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Florent Boudié, M. Christophe Bouillon, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Eliaou, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Isabelle Florennes, M. Raphaël Gauvain, Mme Marie Guévenoux, M. Sacha Houlié, M. Sébastien Huyghe, Mme Élodie Jacquier-Laforge, M. Guillaume Larrivé, M. Philippe Latombe, Mme Marie-France Lorho, Mme Alexandra Louis, M. Olivier Marleix, M. Stéphane Mazars, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Paul Molac, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Naïma Moutchou, Mme Valérie Oppelt, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. Thomas Rudigoz, M. Pacôme Rupin, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Arnaud Viala, M. Guillaume Vuilletet, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Jean-Louis Masson, M. Fabien Matras, M. Aurélien Pradié, Mme Valérie Rabault, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Maina Sage, M. Raphaël Schellenberger

Assistaient également à la réunion. - Mme George Pau-Langevin, M. Laurent Saint-Martin