Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mardi 17 décembre 2019 à 19h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • IGA
  • audit
  • inspection
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à 19 heures 05.

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend M. Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration.

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Nous avons l'honneur de recevoir M. Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration (IGA). Nous le remercions d'autant plus pour sa présence parmi nous que ses homologues de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) n'ont pas considéré utile de participer à nos travaux. Ces travaux, pourtant, ont pour objectif de mieux comprendre les difficultés que posent l'application juridique, mais aussi la mise en œuvre sur le terrain des lois que nous votons, afin de nous permettre de proposer des voies d'amélioration. Nous réfléchissons ainsi au rôle que les parlementaires devraient jouer pour veiller plus étroitement au respect de la volonté du législateur et aux moyens supplémentaires dont ils pourraient avoir besoin pour ce faire.

Nous avons reçu M. Thomas Cazenave, qui était alors délégué interministériel à la transformation publique, puis M. Alain Espinasse, le directeur de la modernisation et de l'administration territoriale. Il nous semble que votre compétence sur les services déconcentrés de l'État fait de vous un observateur extérieur privilégié. Il nous intéresserait de connaître les difficultés auxquelles peuvent se heurter ces services déconcentrés dans l'application de la loi et dans quelle mesure le député pourrait les aider.

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

L'inspection générale de l'administration (IGA) est une inspection générale placée sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, qui a pour autant une double vocation, à la fois ministérielle dans le vaste périmètre qui est celui du ministère de l'Intérieur, mais aussi interministérielle dans la mesure où des lettres de mission peuvent lui être confiées par le Premier ministre ou par d'autres membres du Gouvernement que le ministre de l'Intérieur ; je pense en particulier à la ministre de la Cohésion des territoires, à la disposition de laquelle l'IGA se trouve, et à la ministre des Outre-mer. Nous travaillons également dans le cadre de missions interministérielles, surtout avec les ministères des Affaires sociales, de la Santé, de l'Environnement et d'autres ; les missions sont nombreuses.

Le premier de nos métiers est le contrôle du fonctionnement des services, comme nous l'effectuons notamment à travers des enquêtes administratives lorsque des dysfonctionnements ou des irrégularités surviennent. Le contrôle porte à la fois sur la régularité par rapport aux textes applicables et sur le bon emploi des crédits. Notre deuxième métier, apparu plus tardivement dans l'histoire administrative, est l'audit interne, l'IGA étant l'auditeur interne du ministère de l'Intérieur. Ce métier nous conduit à apprécier les risques et les dispositifs de prévention des risques qui sont mis en œuvre dans les administrations, aussi bien au niveau central que territorial. Notre troisième métier – je ne mets pas d'ordre d'importance – est l'évaluation des politiques publiques qui vise à vérifier l'atteinte des objectifs des politiques publiques, leur efficacité et leur efficience. Enfin, nous assurons un appui aux services, puisqu'il arrive assez fréquemment que l'on nous confie des missions d'appui aux services d'administration centrale ou territoriale dans leur démarche de transformation. Je citerai aussi, puisque je me trouve devant une mission d'information parlementaire, les cas dans lesquels, à la demande du Gouvernement, tel ou tel de mes collègues vient appuyer un parlementaire en mission dans la réalisation de ces travaux. Cela se produit assez fréquemment.

J'en viens à l'application des lois et à leur concrétisation dans les territoires. Ce point essentiel ne constitue que l'un des nombreux sujets examinés par une inspection générale lors de ses missions. Il est évidemment très important. Il est même prioritaire dans l'ordre des préoccupations, mais il est loin d'être exclusif. Il n'est pas présent dans toutes les missions d'inspection. En effet, les questions de qualité du service public rendu aux usagers sur le terrain, notamment dans les territoires, les questions du management des équipes par les chefs de service, du bon emploi des crédits et, plus largement, les bonnes pratiques des administrations et la communication sur les actions mises en œuvre, font partie du quotidien des inspecteurs, qui ne sont pas toujours amenés à travailler directement sur l'application ou la concrétisation d'une disposition législative.

En revanche, certains de nos travaux sont beaucoup plus directement et concrètement reliés à la notion d'application des lois. Il arrive que les inspections générales soient directement chargées par le Gouvernement d'effectuer le bilan de l'application d'une loi. Nous pourrions citer plusieurs exemples plus ou moins récents dans des domaines très différents. Nous avons été amenés à travailler par exemple sur le bilan des dispositions législatives relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations (GEMAPI). Nous avons récemment effectué un bilan de la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Nous avons, dans un passé un peu plus ancien, été amenés à examiner le bilan des dispositions législatives qui ont créé de nouvelles mesures de police administrative dans le cadre de l'état d'urgence. Plus ou moins régulièrement, nous effectuons des bilans et une évaluation de textes législatifs.

De manière beaucoup plus générale, un service d'inspection, qu'il s'agisse de l'IGA ou d'autres corps de contrôle ou d'évaluation, vérifie dans le cadre de ses missions que l'ensemble de ce que l'on appelle le « bloc de légalité » a été respecté, non seulement les lois votées ici par l'Assemblée nationale et le Parlement, mais aussi les décrets d'application, les arrêtés ministériels et préfectoraux d'application. Le contrôle porte tout à la fois sur le volet législatif et sur le volet réglementaire, sans que nous ne soyons forcément amenés dans nos rapports à faire cette distinction, même si nous citons les textes, bien évidemment.

De façon très concrète, au-delà de ce corpus juridique, nous nous assurons que les circulaires, directives et instructions émanant du Gouvernement sont mises en œuvre, que ce soit d'ailleurs dans les administrations centrales ou dans les services déconcentrés de l'État.

L'IGA reste un organe du pouvoir exécutif, placé sous son autorité. Pour autant, l'application de la loi en tant qu'expression de la volonté générale appréhende par définition tous les travaux des inspections dans la mesure où toute action administrative procède de la loi.

Au sujet de la concrétisation des lois dans les territoires, le volet territorial des politiques publiques est très présent dans nos travaux. Il est présent à un double titre. L'IGA étant rattaché au ministère de l'Intérieur, nous évaluons l'organisation des préfectures et la mise en œuvre de leurs attributions dans le cadre d'une mission permanente qui nous conduit à élaborer un programme annuel de déplacement dans les services des préfectures. De ce fait, nous avons construit tout un corpus de constats, de recommandations, sur l'organisation territoriale de l'État. Ceci est renforcé par un autre volet de notre activité, qui consiste à coordonner toutes les inspections ministérielles qui interviennent dans les directions départementales interministérielles (DDI) : directions départementales des territoires ou des territoires et de la mer, directions départementales de la cohésion sociale ou encore de la protection des populations. Plusieurs inspections ministérielles sont impliquées dans cette évaluation des DDI dans les départements, et l'IGA les coordonne, anime et pilote le réseau de ces inspections. Nous avons là aussi un programme de travail annuel qui nous conduit à intervenir dans les DDI et à faire au Gouvernement des recommandations sur l'évolution de ces services déconcentrés.

D'autre part, l'IGA est fréquemment saisie au sujet des collectivités locales. Dans le respect de la décentralisation, nous n'inspectons pas les collectivités locales. Nous ne pouvons intervenir dans une collectivité locale ponctuellement qu'à la demande de l'exécutif de cette collectivité, qui peut être amené à demander au Gouvernement de lui prêter le concours de l'inspection générale. En revanche, nous effectuons des missions d'évaluation dans les champs des politiques décentralisées. L'IGA compte d'ailleurs dans ses rangs plusieurs anciens directeurs généraux de services de grandes collectivités locales qui complètent leur parcours professionnel au sein de l'État, et notamment à l'IGA. Cette dernière est désormais bien connue des grandes associations nationales de collectivités locales (maires de France, départements de France, régions, intercommunalités) avec lesquelles elle a même parfois conduit, à la demande du Gouvernement et de leurs présidents, des missions conjointes à quelques occasions. Elle a effectué au cours des dernières années des revues de dépenses prévues et votées dans les lois de finances, sur des sujets relatifs à la gestion publique locale, par exemple, la fonction achat ou les dépenses de voirie des collectivités locales. Elle a même réalisé un audit qui avait été commandé à la fois par le Premier ministre et le président de l'association des maires de France sur la mutualisation des moyens dans le bloc communal (communes et intercommunalités).

Votre mission d'information questionne les disparités territoriales dans l'application des lois. Bien sûr, l'IGA est parfois amenée à faire ce constat, seule ou conjointement avec d'autres inspections générales. Les exemples de disparités sont nombreux. J'écarterai tout de même les cas dans lesquels le législateur a lui-même différencié les règles ou les organisations, ce qui arrive. À l'occasion de ces missions relatives au retour d'expérience des catastrophes climatiques (submersions marines, inondations, etc. ), de plus en plus fréquentes, l'IGA relève que l'application de la règle d'urbanisme, largement décentralisée, est très inégale selon les territoires, et que les inégalités qui la marquent sont au nombre des facteurs d'aggravation des conséquences humaines et matérielles de ces événements.

Dans le champ de la libre administration des collectivités, l'IGA relève fréquemment que des dispositions votées par le législateur, par exemple en matière de structures intercommunales ou de délégation de compétences, ne sont pas utilisées aussi intensément sur toutes les portions du territoire, ce qui est a contrario parfaitement légitime, tant il est vrai que le législateur, loin de ne créer que des obligations, édicte également des facultés.

Autre exemple beaucoup plus régalien : l'attention portée à la prévention de la fraude documentaire (titres d'identité, passeports, cartes d'identité, permis de conduire, certificats d'immatriculation de véhicules, titre de séjour) et à ses conséquences socio-économiques n'est pas la même sur tout le territoire, selon que la pression est plus ou moins forte sur l'impératif de rapidité de la réponse à l'usager par rapport à l'impératif de sécurité. Dans la délivrance des titres, les exemples de disparités pourraient être encore beaucoup plus nombreux.

Votre mission s'est penchée de près sur l'organisation territoriale de l'État. Cette dernière a fait l'objet de recommandations approfondies de l'IGA et des inspections qu'elle coordonne. Nous constatons que les fonctions support des directions départementales interministérielles, c'est-à-dire les finances, les ressources humaines, l'immobilier, sont encore insuffisamment mutualisées, et la gestion des personnels insuffisamment harmonisée au niveau national, ce qui freine les mobilités entre services et donc la motivation et l'efficacité des personnels. Les régimes de rémunération des personnels locaux dépendant des différents corps ou départements ministériels devraient être rapprochés afin de favoriser ces mobilités. Nous notons également que l'articulation entre le niveau régional et le niveau départemental de l'action de l'État mérite d'être repensée. La répartition des effectifs de l'État entre le niveau régional et le niveau départemental mérite d'être réorientée au bénéfice de la proximité, dont le renforcement favorise une meilleure concrétisation des lois, selon ce que nous pouvons constater.

L'IGA est directement à l'origine de la création des secrétariats généraux communs entre les préfectures et les DDI, création qui est de nature à réduire les charges de gestion des DDI, et donc à les recentrer sur leur métier. Les grands opérateurs de l'État tels que l'agence de la rénovation urbaine, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ou d'autres agissent encore souvent de manière isolée, sans coordination parfois de leurs actions avec celles des préfets et des services déconcentrés de l'État. Il est à espérer que la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui va commencer à fonctionner au début de 2020, permettra de remédier à cette insuffisante coordination et au déclin, que toutes les inspections générales observent, des ressources d'ingénierie dans les territoires, qui contribue à la moindre mise en œuvre des dispositions législatives ou des crédits mis en place par le législateur.

Le ressenti des usagers du service public est au cœur de vos préoccupations. L'IGA, comme d'autres inspections générales, est consciente de la faible place des indicateurs de satisfaction dans ses travaux. C'est pourquoi elle réfléchit à la modernisation de ses outils d'analyse de manière à faire évoluer ses méthodes, par des panels d'usagers par exemple, ou par l'utilisation des outils que les réseaux sociaux mettent à notre disposition. Néanmoins, l'usager est au cœur de nos travaux, puisque c'est lui qui, in fine, apprécie la concrétisation de l'intention des législateurs à travers les textes. Nous avons contribué à la labellisation des maisons France Services en nous déplaçant dans près de 80 structures mises en place par les collectivités locales et les grands opérateurs. Nous avons également accompagné la démarche de numérisation de la délivrance des grands titres réglementaires (carte nationale d'identité, passeports, permis de conduire, etc.) en recommandant à l'administration de compenser les effets de la fracture numérique par des actions au plus près des publics concernés. Il s'agit là d'objets de la vie quotidienne, puisque ce sigle et cette appellation ont également attiré votre attention. Ils n'en ont pas toujours la dénomination, mais sont au plus près des préoccupations de nos concitoyens, et donc de mes collègues.

Vous évoquez également la simplification des normes applicables aux collectivités locales. Cette simplification a fait l'objet de plusieurs travaux de l'IGA, notamment en appui au sénateur Lambert et à la commission consultative compétente dans cette matière. L'inflation des normes n'est pas toujours antagoniste de la concrétisation des lois, tant il arrive parfois que le législateur national, au gré de l'examen des textes et des amendements qui lui sont apportés, soit lui-même en partie responsable de la norme incriminée par les acteurs locaux des politiques publiques. C'est pourquoi un renforcement de la prise en compte des études d'impact permettant d'améliorer la mesure de l'effet de l'inflation normative sur l'action publique locale et les budgets locaux, est au nombre des préoccupations de l'IGA. C'est également une des préconisations issues des travaux en cours sur l'évaluation des politiques publiques, que ce soit ici même à l'Assemblée nationale, dans le cadre du printemps de l'évaluation qui a fait l'objet d'une table ronde à laquelle j'ai eu l'occasion de participer à l'invitation du président Ferrand, ou encore du cycle de conférences de la section du rapport et des études du Conseil d'État qui se penche sur l'évaluation des politiques publiques.

Quant à la réorganisation des services d'inspection, ce point faisant l'objet de réflexions du Gouvernement dans le cadre du mandat confié à M. Frédéric Thiriez sur la haute fonction publique, votre mission voudra bien m'autoriser dans ce contexte à ne pas m'exprimer plus précisément à ce sujet, mais je suis prêt à répondre à toutes vos questions sur l'organisation des inspections générales et sur les réflexions qu'elle m'inspire.

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Vous avez parlé de rapports sur l'état d'urgence et sur le dispositif de lutte contre le système prostitutionnel : sont-ils publics, publiés ? Pouvons-nous en avoir connaissance ? Sont-ils sur un site ?

Deuxièmement, dans le cadre de vos missions d'inspection, avez-vous imaginé associer ou rencontrer les députés du territoire du lieu de l'inspection ?

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

Un certain nombre de rapports font l'objet d'une classification au titre du secret de la défense nationale et ceci, notamment, parce que l'IGA est l'un des services membres de l'inspection des services de renseignement (ISR), qui est un vivier dans lequel le Premier ministre puise pour le contrôle des services de renseignement. La création de cette inspection est d'ailleurs relativement récente. À travers la délégation parlementaire au renseignement, les parlementaires peuvent avoir l'occasion de demander la communication de ces rapports qui, du fait de leur classification sous l'égide du secret de la défense nationale, font l'objet de procédures précises de communication ; c'était le cas du rapport que j'ai cité sur les mesures administratives relatives à l'état d'urgence.

Votre deuxième question porte sur le fait, pour les missions d'inspection générale, de rencontrer les députés pour évoquer leur sentiment sur le territoire dans lequel ils ont été élus. Cela se produit, notamment, lorsque nous balayons une politique départementale. Nous avons des missions permanentes qui nous conduisent par exemple à apprécier la manière dont la politique départementale de sécurité est mise en œuvre dans tel ou tel département sous l'autorité du préfet, avec les forces de sécurité, mais aussi en partenariat, notamment avec les communes dans le cadre des pouvoirs de police municipale, et, plus généralement, avec l'ensemble des partenaires qui concourent ou s'intéressent à la politique de sécurité. Dans ce cadre, les membres de l'IGA sont parfois amenés à rencontrer des députés ou des sénateurs. Notre mission permanente d'évaluation des politiques de sécurité civile peut aussi nous conduire à voir les parlementaires. Dans une compétence extérieure à l'IGA, l'organe du ministère de l'Intérieur chargé d'évaluer les préfets à titre personnel, dans leurs actions quotidiennes, rencontre systématiquement les élus nationaux et locaux.

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Nous explorons des voies nouvelles. Lorsqu'il y a une inspection, puisque la loi couvre tous les domaines, il serait intéressant que les députés de la circonscription, peu importe leur appartenance politique, soient conviés à un temps d'échange avec l'inspection afin de savoir que sur ce territoire se déroule une inspection sur un sujet qui, d'une manière ou d'une autre, les a intéressés au niveau national. Ceci peut apporter beaucoup à la construction de la réflexion.

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Se met en place depuis quelques mois au niveau gouvernemental un suivi des réformes qui s'intéresse aux « objets de la vie quotidienne » et qui poursuit le même objectif que cette mission d'information, c'est-à-dire la rapidité de concrétisation des textes votés. Votre service est-il associé à ce suivi ?

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

L'IGA dépendant du ministère de l'Intérieur, l'actualité est un facteur prioritaire dans les missions que nous réalisons. Le ministre de l'Intérieur nous impose un impératif de réactivité par rapport à des sujets immédiats, sensibles, dans le champ des politiques régaliennes qui sont celles de la sécurité intérieure, des libertés publiques, de l'immigration, de l'asile. L'actualité commande et est prioritaire. Parallèlement, nous avons un programme de travail qui fait l'objet de propositions que je soumets à chaque fin d'année pour une mise en œuvre l'année suivante au directeur de cabinet et au ministre de l'Intérieur qui en valident le contenu. Bien entendu, certaines des thématiques que je propose pour ce programme de travail portent sur des évaluations de politiques publiques. Pourtant, les évaluations de politiques publiques ont fréquemment fait l'objet d'exercices nationaux, dépassant le seul cadre du ministère de l'Intérieur, par exemple la révision générale des politiques publiques, la modernisation de l'action publique (MAP), ou plus récemment, même si cet exercice n'est pas labellisé « évaluation des politiques publiques », à Action publique 2022. Dans ce cadre-là, des évaluations sont effectuées. L'IGA, comme les autres inspections générales interministérielles, est toujours associée à ces évaluations qui peuvent porter sur l'ensemble des thématiques du champ de l'action publique. Nous avons donc un programme annuel, mais l'actualité commande de façon tout à fait prioritaire ; la presse vous l'a appris lors des derniers mois.

Vous l'avez souligné vous-même, le concept d'objets de la vie quotidienne, qui traverse l'action publique depuis longtemps, est défini en tant que tel depuis une période relativement récente. L'IGA n'a pas été amenée à rendre compte de la mise en œuvre des actions qui ont été retenues comme des objets de la vie quotidienne pour le ministère de l'Intérieur, mais cela viendra. Il y a toujours un décalage, qui est pertinent, entre le moment où une politique est mise en œuvre et le moment où l'inspection générale est saisie pour son évaluation. Un bilan plus transversal pourrait être confié au corps d'évaluation de l'État sur la mise en œuvre de ces fameux objets de la vie quotidienne.

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Vous avez parlé d'un rapport sur la lutte contre le système prostitutionnel. Nous avons ici à la délégation aux droits des femmes des interrogations sur cette question et en particulier sur le problème des titres de séjour. Vous connaissez la difficulté de délivrer des titres de séjour qui sont prévus dans le cadre de ce dispositif. Il serait extrêmement intéressant de pouvoir lire ce rapport.

En second lieu, nous aurions gagné du temps à ce que des députés de cette délégation ou sur le territoire, là où vous avez réalisé cette inspection, soient entendus. Ils auraient interrogé le dispositif législatif mis en œuvre qui n'est peut-être pas parfaitement opérationnel. C'est un exemple intéressant, en ce qu'il montre l'intérêt d'une approche collective.

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

Ce rapport vient d'être remis au Gouvernement. C'est à lui qu'il appartient – c'est le cadre de nos travaux – d'en décider la publication. Le rapport approfondit certaines des questions que vous avez évoquées. Il insiste beaucoup sur les mécanismes de sortie du système prostitutionnel et la manière dont ils peuvent être mis en œuvre. À l'occasion de l'élaboration de ce rapport, de très nombreux acteurs concernés par cette question ont fait l'objet d'entretiens. Je n'en ai pas la liste ici, ni en mémoire ni en papier, mais il ne m'étonnerait pas que des membres de la délégation parlementaire aient été auditionnés à ce sujet puisqu'il s'agit de l'évaluation d'un texte de loi.

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Votre champ d'action est assez vaste, du niveau national au niveau local et jusqu'auprès des usagers. Je ne suis pas un spécialiste ; je suis député en Loire-Atlantique et, professionnellement, j'étais agriculteur. Nous parlons d'inspections, d'évaluations, de contrôles et de propositions qui sont faites à l'issue de vos différents travaux. Puisque nous auditionnons de nombreux acteurs de l'évaluation qui font de l'inspection au sens large, il y a donc tout un panel de particuliers et de structures qui évaluent. Comment vous situez-vous, IGA, dans ce panel ? Il y a des évaluations dans les ministères. La Cour des comptes en fait également. Lorsque nous avons travaillé sur ce sujet au comité d'évaluation et de contrôle, je me suis aperçu qu'il y avait énormément « d'évaluateurs ».

Dans votre travail, dans vos missions, à qui rendez-vous des comptes ? Qui sont celles et ceux qui évaluent vos missions d'évaluation ? En quoi êtes-vous utiles dans ce panel et dans ce travail d'évaluation ?

Enfin, pourriez-vous nous parler de la manière dont le projet de loi « 3D » redéfinira vos missions auprès des collectivités, ce qui finalement se répercutera jusqu'aux usagers ?

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

La diversité du paysage des évaluations a pu apparaître à travers les conférences qui ont été organisées à l'initiative du Président de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des politiques publiques. Le Parlement est le premier des évaluateurs, le Président de l'Assemblée nationale l'a rappelé à l'occasion de l'inauguration de ce printemps de l'évaluation. La Cour des comptes est une autorité constitutionnelle qui est placée sous la double autorité du Gouvernement et du Parlement, en application de la Constitution. Ce n'est pas le cas des inspections générales qui sont placées sous l'autorité de l'exécutif. L'IGA est placée sous l'autorité du ministre de l'Intérieur lorsqu'il lui confie des missions, et des autres membres du Gouvernement qui lui en confient également.

Qui nous contrôle ? Les autorités que je viens de mentionner. D'autres organismes concourent à l'évaluation des politiques publiques : l'Université elle-même puisque l'évaluation des politiques publiques est un thème universitaire qui fait l'objet, en toute indépendance, de travaux qui présentent des critères particuliers et répondent à des normes scientifiques. J'espère d'ailleurs que dans l'avenir, le monde universitaire pourra être plus étroitement associé aux travaux d'évaluation conduits par les administrations publiques. Un organisme associatif, la société française de l'évaluation, qui est plus proche du secteur privé, s'intéresse également à l'évaluation des politiques publiques. Tous ces acteurs contribuent au paysage de l'évaluation. Le Conseil d'État lui-même va consacrer, en 2019-2020, son rapport annuel à l'évaluation des politiques publiques.

Ces évaluations sont à l'origine d'un certain nombre de recommandations qui sont validées ou non par le Gouvernement et dont ensuite, les inspections générales peuvent être amenées à effectuer le suivi. Il nous est fréquemment demandé, au bout de six mois ou d'un an, lorsque les recommandations que nous avons pu faire dans un rapport d'inspection ou d'évaluation de politiques publiques ont été validées par le Gouvernement, d'y revenir et de vérifier si, sur le terrain, ces recommandations ont été mises en œuvre.

Sommes-nous utiles ? Nous le sommes parfois à très court terme lorsque nous effectuons des enquêtes administratives sur des dysfonctionnements au sein des services. Nous le sommes directement puisque nos recommandations peuvent aboutir à des suites immédiates, voire malheureusement – lorsque nous agissons dans un cadre prédisciplinaire – à des sanctions disciplinaires à l'endroit d'agents. Lorsque nous constatons des infractions pénales, nous pouvons être amenés à porter des infractions à la connaissance du parquet en application de l'article 40 du code de procédure pénale. C'est une utilité très immédiate.

À moyen ou long terme, nous formulons des recommandations, dont certaines sont mises en œuvre par le Gouvernement. Certaines se traduisent par des textes législatifs et d'autres pas. Mais il arrive aussi que quelques-unes de nos recommandations voient le jour à l'issue d'une décennie ou plus. Nous travaillons parfois pour les générations futures. Il n'y a pas de réponse univoque à la question de l'utilité d'un corps d'inspection. Elle est parfois immédiate, parfois à moyen ou long terme. C'est tout l'intérêt de l'action que nous menons en matière d'évaluation, nous travaillons aussi pour l'avenir.

Le projet de loi « 3D » est un exercice législatif que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre dans le cadre de la décentralisation, de la déconcentration et de la différenciation. La préparation de ce projet de loi peut s'appuyer sur les travaux des inspections générales, qui sont nombreux dans les dernières années sur le champ de la décentralisation, des délégations de compétences ou encore de l'organisation territoriale de l'État. J'espère qu'ils pourront y contribuer utilement, mais il ne m'appartient pas de me prononcer sur une œuvre législative en cours d'élaboration.

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Par rapport à cette notion d'utilité, je cherche à trouver de la cohérence dans tout ce que nous faisons, à optimiser et, dans le contexte que nous vivons aujourd'hui, à économiser de l'argent. Dans le panel de toutes ces structures qui font de l'évaluation, certaines sont-elles plus utiles que d'autres ? Faudrait-il en évaluer, les remettre en cause ? Est-ce fait ? Des analyses, des réflexions sont-elles menées à partir de questionnements que vous pouvez vous poser ? Avec une redéfinition des missions, une restructuration des choses, nous pourrions être encore plus utiles, sans remettre en cause qui que ce soit ni porter de jugement. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

Dans le secteur privé, toutes les grandes entreprises disposent aujourd'hui d'une direction de l'audit. Si nous précisons la comparaison, le ministère de l'Intérieur, qui compte aujourd'hui un peu plus de 250 000 agents qui travaillent dans le cadre des politiques publiques qu'ils mettent en œuvre, pourrait très bien être comparé à un grand groupe du secteur privé industriel ou de services, qui bien entendu ne se passe pas d'une grande direction de l'audit interne. De ce point de vue, l'audit interne dans les administrations publiques s'inspire des principes et du fonctionnement de l'audit dans le secteur privé, à travers la transposition des normes internationales de l'audit au secteur public. Personne aujourd'hui ne se pose la question de l'utilité des directions de l'audit des grands groupes du secteur privé. Elles sont indispensables, surtout dans des périodes de transformation profonde. C'est pourquoi je crois profondément en la pertinence et l'utilité, à moyen et à long termes, des organismes d'inspection générale qui sont les auditeurs internes de l'État.

Cependant, nous pouvons toujours mieux faire, mieux nous organiser et renforcer le professionnalisme de nos méthodes. C'est la raison pour laquelle nos guides méthodologiques et nos processus de travail ont profondément évolué dans les dernières années, se sont précisés au fil des décennies, se sont inspirés des normes du secteur privé notamment, mais pas entièrement, puisque l'administration publique a ses spécificités. Les inspections générales ont été amenées à diversifier leurs profils de recrutement, à diversifier les voies d'accès à leurs services. C'est pour cela qu'au nombre des collaborateurs de l'IGA, je compte d'anciens préfets, mais aussi d'anciens directeurs généraux de services de grandes collectivités locales, ou encore d'anciens responsables de services de police ou de gendarmerie, qui nous amènent à être encore plus concrets, plus précis et plus opérationnels et, j'espère, plus utiles dans le cadre de nos recommandations.

À travers votre question, je devine implicitement l'idée que des réorganisations pourraient conduire à rapprocher les services d'inspection, à rationaliser et à mutualiser leurs actions. Nous travaillons déjà beaucoup ensemble dans le cadre des missions interministérielles qui nous amènent à constituer des équipes plurielles. L'organisation plus générale de la manière dont l'audit interne s'exerce dans la fonction publique, dont les inspections générales contribuent à l'action du Gouvernement, fait l'objet de projets, de réflexions, de réformes, dans lesquels l'IGA s'inscrira après que le Gouvernement aura tranché sur les options qui vont lui être présentées.

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Quels sont les profils des personnes qui travaillent au sein de votre service en matière de compétences, de formation ? Cela peut nous permettre de connaître les méthodes ou les méthodologies qu'ils appliquent.

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Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration

Nous recrutons, comme l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales, chaque année, des élèves à la sortie de l'École nationale d'administration (ENA). Ces élèves, depuis peu, sont amenés au bout de deux ans à être affectés sur des emplois considérés comme prioritaires pour les besoins du Gouvernement, donc peu de temps après leur sortie de l'ENA, à aller sur le terrain pour compléter leur approche des politiques publiques. Au moins la moitié de ces élèves de l'ENA qui choisissent les inspections générales à la sortie de l'école sont issus du concours interne, et ont donc déjà une expérience professionnelle administrative.

Vous le savez, ce recrutement direct fait aujourd'hui l'objet d'une réflexion, peut-être de propositions de réforme. Je ne me prononcerai pas sur ce point, mais il s'agit du recrutement actuel, dit « primo recrutement » tel que nous nous le mettons en œuvre. Beaucoup d'autres voies de recrutement existent, par le tour extérieur, par l'apport d'inspecteurs dits « en service extraordinaire » pour un nombre d'années limité. Nous recrutons parmi les responsables publics qui ont une expérience déjà importante de dirigeant : comme inspecteur, à des niveaux de sous-directeur ou de sous-préfet, et comme inspecteur général, en tant qu'ancien préfet ou directeur de collectivité. C'est un recrutement qui, par sa diversité, apporte l'expérience de l'administration publique et nous permet d'être plus concrets, plus pragmatiques et plus réalistes dans les recommandations que nous faisons au Gouvernement.

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Je vous remercie beaucoup de nous avoir consacré de votre temps et vous donne rendez-vous l'année prochaine pour la suite de nos auditions.

La séance est levée à 19 heures 45

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Yves Daniel, M. Régis Juanico, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Vincent Thiébaut, Mme Cécile Untermaier, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Corinne Vignon