Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Réunion du mardi 21 janvier 2020 à 19h05

Résumé de la réunion

Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

Source

La séance est ouverte à 19 heures 05

Présidence de Mme Cécile Untermaier, présidente

La mission d'information sur la concrétisation des lois entend Mme Francoise Thiebault, secrétaire générale du Conseil départemental des associations familiales laïques de Paris (CDAFAL 75), de M. Jean-Jacques Renard, vice-président, et de M. Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir.

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Nous sommes très heureux d'accueillir à présent les représentants d'associations de consommateurs : Mme Françoise Thiebault, secrétaire générale du Conseil départemental des associations familiales laïques de Paris (CDAFAL 75) et M. Jean-Jacques Renard, vice-président. Nous accueillons également M. Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir.

Nos travaux ont pour objectif de mieux comprendre les difficultés que pose l'application juridique, mais aussi la mise en œuvre sur le terrain des lois que nous votons, afin de nous permettre de proposer des voies d'amélioration. Nous réfléchissons aussi aux nouveaux rôles que les parlementaires devraient jouer pour veiller plus étroitement au respect de la volonté du législateur et aux moyens supplémentaires dont ils pourraient avoir besoin pour ce faire.

Il nous a semblé utile de vous entendre dans la mesure où les associations que vous représentez sont les témoins privilégiés des difficultés que peuvent rencontrer les consommateurs, c'est-à-dire nos concitoyens, ceux qui appliquent ou se voient appliquer les lois que nous votons. Nous ne doutons pas que vous pourrez nous donner des exemples de lois dont la pédagogie n'a pas été suffisamment assurée, ou dont la complexité a rendu très difficile l'application sur le terrain, voire a abouti à une souffrance pour les citoyens assujettis à ce dispositif.

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Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir

Environ 100 000 litiges par an nous sont soumis par les consommateurs, que ce soit au travers de notre maillage territorial, par courrier, par mail ou par téléphone. Dès la publication des textes, nous avons l'expérience nécessaire pour les traduire pour les rendre compréhensibles des citoyens, des consommateurs ou encore des assurés. L'une des étapes, de plus en plus essentielle, de la concrétisation de la loi est le « faire savoir ». Dans un second temps, il s'agit pour les parlementaires de se faire comprendre : quelle était la volonté initiale du législateur lorsque l'effet, sur le terrain, n'est pas tout à fait celui qui semblait ressortir des débats ?

Le « faire savoir » permet aux citoyens, au consommateur, à l'assuré ou au locataire de percevoir les textes de façon très concrète. D'un point de vue juridique, on parle de clarté et de compréhension de la loi, mais ce n'est pas le sens de mon propos. La question concerne plutôt les remontées du terrain et comment il s'agit de les « faire savoir ». Il est certain que les citoyens ne vont pas aller chercher le texte brut. Le site Legifrance.gouv.fr n'est consulté que par les spécialistes du droit. Partant de ce constat, ce ne sont pas tellement les textes qui comptent pour le citoyen, mais plutôt les effets qu'ils produisent sur lui. Nous sommes dans une logique de rapidité et d'accessibilité de l'information. Le consommateur que nous rencontrons se concentre sur la question suivante : « concrètement, que se passe-t-il avec ce nouveau texte ? ».

Il y a une tendance actuelle à rendre de plus en plus accessibles les textes de loi, notamment par la création de sites internet gérés par des ministères, par exemple Faire.fr, une mine d'informations sur la rénovation énergétique. Il est certain que la consultation du Journal officiel (JO) ou de Légifrance au sujet de la rénovation énergétique est difficilement accessible sans intermédiaire, mais il y a parallèlement un important travail de traduction et d'explication, par exemple sur le site Service-public.fr. Il faudrait s'assurer que ces sites, extrêmement précieux sur le terrain, ressortent des moteurs de recherche. Il y a par exemple une instruction en cours sur un cas où 120 sites internet administratifs frauduleux avaient été développés. Or, nous savons que l'utilisateur final tend dans la réalité à cliquer sur les premiers résultats indexés. Il serait à la fois simple, utile et important de distinguer le site officiel dès le départ, par exemple grâce à une icône. L'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) indique que 46 % des Français ont des difficultés pour faire une recherche sur internet concernant une démarche administrative simple. Les sites qui existent offrent déjà une solution. Service-public.fr est un site très précieux qui gagnerait à être mieux référencé, sans avoir, accessoirement, à payer les moteurs de recherche.

Nous sommes régulièrement confrontés à cet enjeu du « faire savoir ». Dans votre questionnaire, vous mentionnez nos publications. Nous produisons des guides et des kits pratiques « clé en main », afin de traduire et de diffuser les textes qui sont adoptés. Nous avons parfois des difficultés, notamment lorsqu'un texte est extrêmement technique. Un exemple, qui ne résulte pas d'une initiative française, est le texte communautaire sur la vente hors établissement, ou « démarchage ». Un règlement communautaire a défini le démarchage : c'était à n'y plus rien comprendre. L'appellation « ventes hors établissement » correspond certes à un sens juridique, mais le grand public parle au quotidien de démarchage. La traduction en langage courant, pour que chacun puisse identifier les situations couvertes par le texte, est donc difficile. Nous sommes arrivés à produire une traduction de ce texte par des exemples concrets. Du point de vue de juristes, c'est un problème difficile à appréhender et la technicité et les définitions ont parfois un caractère indépassable. Une solution consisterait éventuellement à créer une porte unique. Service-public.fr a cette ambition, mais il y a en parallèle une multiplication des sites ayant un objectif similaire, peut‑être trop nombreux. Certains sont par exemple mis en place par les autorités administratives indépendantes. Il y a beaucoup d'informations disponibles qu'il faut peut-être mieux organiser.

Dans un second temps, il s'agit pour les parlementaires de se faire comprendre. La volonté exprimée par le législateur lors de l'adoption d'une loi peut être éludée dans la traduction pratique. Les rapports sont extrêmement intéressants, mais s'adressent à un public averti. Ainsi, dans le cadre d'une instance judiciaire, nous avons soumis aux magistrats les débats parlementaires qui enrichissaient un article de loi, afin de leur exposer l'intention du législateur. Ces éléments ont été écartés et il a été fait application de la lettre de la loi, peut-être mal interprétée. Les études d'impact et l'ensemble des travaux effectués en amont du vote de la loi sont extrêmement riches, mais demeurent des documents techniques, difficilement accessibles pour les citoyens qui manquent de temps ou d'intérêt pour en prendre connaissance.

Lorsque nous avons un doute, ou que nous souhaitons comprendre en profondeur les conséquences concrètes d'une mesure issue d'un texte très technique, comme un règlement ou une directive, voire une loi, nous nous reportons aux considérants liminaires qui en offrent une autre perspective. Quand je dis que les parlementaires doivent se faire comprendre, c'est notamment par ce biais, en rendant explicite la profondeur du texte et son caractère opératoire, mais aussi en assurant une cohérence d'ensemble qui ne peut exister que quand tous les acteurs concernés en ont la même lecture.

Une autre difficulté pour le législateur est de se faire comprendre lorsque l'on en vient à l'application précise du texte. Certains textes ont pour objectifs de régir des situations dans toute leur complexité et jusque dans le détail. La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », les lois du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur et du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, dites « lois Chatel », ou encore la réforme du droit des obligations appartiennent à cette catégorie. Ces textes, qui touchent tout le monde dans des situations du quotidien, ne se sont pas heurtés à des problèmes de concrétisation dans leur mise en œuvre pratique.

L'inverse se produit lorsque le législateur ne s'est prononcé que sur des principes généraux en laissant les détails au pouvoir réglementaire, lorsque le texte est sujet à interprétation ou lorsqu'il ne prévoit pas de sanction. Nous partons du principe que la sanction participe aussi de la force obligatoire de la loi et favorise son application.

Il ressort des précédentes auditions menées par votre mission d'information que les décrets d'application sont adoptés dans les six mois suivant la publication des lois. Nous avons des exemples concrets qui montrent que ce n'est pas toujours le cas. Ainsi, concernant le plafonnement de l'état daté en matière de copropriété, une promesse avait été donnée et inscrite à l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Or, nous attendons le décret d'application de cette mesure depuis des années. Cela est d'autant plus problématique qu'il s'agit d'un acte auquel tout le monde est confronté : dans le cadre d'une vente immobilière, cet état daté, obligatoire, est facturé entre 280 et 500 euros, voire 700 euros dans quelques localités.

Un autre exemple concerne les pièces détachées pour l'électroménager. L'ambition du législateur était d'avoir une information utile sur leur disponibilité dès l'achat de l'appareil. Mais alors que le consommateur pense qu'il aura une information lorsque des pièces sont indisponibles, les textes réglementaires prévoient au contraire une information dans le seul cas où des pièces sont disponibles. Cela peut le conduire à se sentir floué. Il faut donc progresser par des petits pas, dont l'un consisterait à renverser la logique de cette mesure réglementaire. Nous avons d'ailleurs introduit un recours devant le Conseil d'État dans ce but. Les remontées du terrain ne conduisent pas nécessairement à des révolutions, mais, dans ce cas, elles ont permis d'attirer notre attention sur ce problème, né d'une latitude laissée par la loi au pouvoir réglementaire.

Par ailleurs, il y a une garantie qui couvre tout acheteur d'un bien électroménager. Mais en cas de difficulté, si l'appareil est échangé ou remplacé, beaucoup de consommateurs nous demandent si le bien échangé est lui-même couvert par la garantie. Nous n'avons pas de réponse, alors qu'il s'agit d'un achat du quotidien. Cela participe aussi d'une certaine défiance des consommateurs. Nous sommes là pour apaiser leur ressenti.

Pour revenir à l'exemple du démarchage, le code de la consommation prévoit qu'un professionnel peut démarcher dès lors qu'il y a des relations contractuelles préexistantes. C'est une belle formule d'un point de vue juridique, mais dont le sens n'est pas évident. L'interprétation en sera laissée au professionnel, qui l'appréciera peut-être de manière extensive. La bonne concrétisation des lois dépend donc à la fois des attentes des consommateurs qui découlent de leur compréhension du texte et des latitudes qui sont laissées aux acteurs à travers les formules utilisées.

Concernant l'absence de sanctions, un exemple concerne la possibilité de changer d'assurance emprunteur dans le cadre d'un crédit immobilier. La banque adverse a dix jours pour indiquer à son client si la nouvelle proposition convient. Mais, si elle ne le fait pas, il n'y a pas de sanction. Le public accueille favorablement ce genre de mesure, mais est ensuite déçu parce que le texte n'est pas complet.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne peut pas tout sanctionner, elle n'en a ni les moyens ni les effectifs. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) est un modèle en ce qu'il a un effet dissuasif, parce qu'il porte une menace de sanction à hauteur de 4 % du chiffre d'affaires mondial. Il est donc très suivi. Les professionnels peuvent réserver un bon accueil aux réformes, notamment législatives, lorsqu'ils comprennent qu'elles portent une logique « gagnant‑gagnant ». Quant au consommateur que nous défendons, il sera d'autant plus prompt à revenir vers un professionnel que la prestation s'inscrit dans un cadre clair.

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Vous avez terminé votre propos par des exemples concrets qui sont très intéressants. Nous y reviendrons, afin de savoir comment vous voyez le rôle des parlementaires dans tout cela.

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Nous sommes totalement en phase avec les propos qui ont été tenus sur le « faire savoir » et sur les enjeux de pédagogie et de communication qui permettraient de rendre la loi et son application concrète plus compréhensibles pour le grand public. J'ajouterai à l'exemple du site Service‑public.fr les supports télévisés et internet, en rappelant que le service public télévisuel a pour mission d'informer, d'éduquer et de distraire. Or, nous percevons de moins en moins cette mission d'éducation.

Nous sommes les représentants d'une association départementale qui est la branche parisienne du Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL). Le CNAFAL est représenté dans un certain nombre de secteurs et des services très concrets. Notre principe est que nous pouvons avoir des représentations, mais à condition d'assurer des permanences locales et de rendre service aux gens sur le terrain ; c'est ce qui nous nourrit.

Depuis 21 ans, je suis représentante des consommateurs au Conseil supérieur de l'énergie (CSE). Je suis la doyenne en termes de longévité. J'ai vu passer énormément de textes réglementaires. Les lois et les textes d'application sont de plus en plus complexes et techniques dans bien des secteurs, ce qui rend leur application extrêmement difficile. Par exemple, lors de l'examen au Parlement de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) et de ses 5 000 amendements, dont à peu près 800 ont été retenus, l'étude d'impact qui accompagne tout projet de loi s'est trouvée en inadéquation croissante avec le texte à mesure que celui-ci était modifié. Nous avons une grande difficulté ensuite, sachant que nous avons très peu de retours d'expérience, à recueillir des éléments qui nous permettent de vérifier que la loi se concrétise bien et est bien appréhendée par les citoyens.

Dans le cas du certificat d'économie d'énergie (C2E) porté par la loi TECV, il y a plusieurs problèmes que nous n'avions absolument pas anticipés. L'un d'eux est lié à l'interaction entre différents ministères. Les C2E ont par ailleurs grossi au fil du temps et cela devrait davantage être le cas avec la cinquième période prévue par la loi. D'autres problèmes tiennent à la question du démarchage dont parlait M. Bartlome. Il y a aussi une stérilisation de gisements d'efficacité énergétique à cause d'une perte de confiance, alors que le but de la loi était justement de contribuer à l'environnement et au climat par des travaux d'isolation énergétique. Il existe enfin des problèmes de concurrence déloyale.

Quand la troisième période d'essai des C2E a démarré, le ministère de l'Écologie a indiqué qu'elle permettrait de réaliser, sur les factures des particuliers, des entreprises et des administrations, dix milliards d'euros d'économies par an. Personne n'a vérifié cela. Nous savons que les quotas d'obligations ont été respectés – d'où un doublement lors de la quatrième période –, mais nous n'avons pas de données concernant les économies réalisées par les consommateurs. Il semblerait que l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) soit en train de travailler en ce sens, alors que nous préparons la cinquième période.

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Jean-Jacques Renard, vice-président de la CDAFAL 75

L'école est un sujet très intéressant du point de vue de la concrétisation des lois. C'est une sorte de micro‑société dans laquelle les règles qui s'appliquent sont assez éloignées de celles qui prévalent dans la société. Il y a par exemple des élèves majeurs qui sont pourtant soumis à un autre statut que celui des adultes de l'établissement. Deux axes me semblent intéressants à développer.

Le premier concerne les réformes de l'éducation, qui donnent lieu à une forme de frénésie. À sa prise de fonctions, l'actuel ministre a dit : « il faut arrêter de tout changer tout le temps. Je ne serai pas le ministre qui mettra son nom en bas d'une loi. » Mais comme l'a noté l'historien des sciences de l'éducation Claude Lelièvre, nous n'avons jamais eu un ministre qui ait autant introduit de changements, de la maternelle à l'accès à l'enseignement supérieur. À peine arrivé, il remettait en cause la réforme du collège qui venait d'être décidée, ainsi que les rythmes scolaires. Il y a ensuite eu la réforme du bac. La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance ne nécessite un examen au Parlement que parce qu'elle a baissé l'âge de la scolarisation obligatoire à trois ans. Toutes les autres réformes très importantes, notamment celles du bac et du lycée, se sont passées hors du champ législatif. Cela peut poser un problème d'appropriation : lorsqu'il n'y a pas de débat parlementaire, il est encore plus difficile d'engager un débat dans la société.

En perspective, j'évoquerai le rythme infernal du quinquennat. Dans un domaine comme l'éducation, comment peut-on faire rentrer une réforme dans un quinquennat ? C'est une difficulté que rencontre l'actuelle réforme du bac et du lycée. La présente mandature s'achèvera au printemps 2022. Le compte à rebours est implacable : le nouveau bac devait être prêt pour 2021, donc à la rentrée 2020 pour la terminale, à la rentrée 2019 pour les premières et à la rentrée 2018 pour les secondes, avec une élection présidentielle qui a eu lieu en 2017. La mise en place précipitée de cette réforme a privé les secondes des dispositions particulières que la loi prévoit pour ce niveau, faisant des élèves de cette classe une génération sacrifiée. Dans le corps enseignant, ces réformes incessantes créent une perte de sens.

Le second axe porte sur la façon dont la direction, les professeurs et les parents s'approprient le règlement des établissements. Le décret du 28 juillet 2006 qui établit le statut des parents d'élèves est rarement appliqué. Ce décret prévoit notamment que l'horaire des réunions doit être compatible avec les activités professionnelles des parents. On piétine allègrement cette obligation.

J'ai siégé pendant 6 ans à la commission académique d'appel disciplinaire, où les textes sont très précis. Pas un seul dossier n'est intégralement conforme aux textes qui régissent les conseils de discipline. Dans le collège de mes enfants, sur la feuille d'émargement, il y avait le nom de Mme Kosciusko-Morizet, parce qu'elle était représentante du département dans le conseil d'administration. Mais les élus des collectivités territoriales ne siègent pas aux conseils de discipline.

Dans les établissements scolaires, on a tendance à oublier que les règles de droit générales s'appliquent. Personne ne connaît la convention des droits de l'enfant. Il y a également des droits fondamentaux comme l'absence de double peine. Finalement, la commission d'appel disciplinaire a décidé de ne pas traiter les vices de forme. Si elle le faisait, tous les dossiers seraient recalés. Elle considère, comme la décision que prend le recteur à la suite de son avis, que tous ces vices sont apurés. Une famille qui anticipe l'annulation d'une sanction contestée du fait de tels vices de forme ne peut qu'en tirer un grand sentiment d'injustice. Il en résulte que le système scolaire est un endroit où l'on doit avoir une grande connaissance de toutes les procédures. Ceux qui réussissent le mieux sont encore les enfants d'enseignants, parce qu'ils connaissent le système. Il y a en réalité une école à deux vitesses : ceux qui peuvent s'approprier les lois et ceux qui n'ont pas les moyens d'aller dans le « maquis » de cette Éducation nationale.

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La mission s'intéresse en particulier à la manière dont les parlementaires peuvent intervenir dans la chaîne ascendante et descendante, c'est-à-dire à la fois dans la bonne application des lois qui sont votées ici et, ensuite, dans la remontée des difficultés éventuelles afin de pouvoir les prévenir. Vous avez parlé tout à l'heure de l'accès des consommateurs et des citoyens aux sites internet. Y a-t-il également une approche de vos associations vis-à-vis du Parlement, outre le plaidoyer que vous pouvez faire par exemple au sujet de la loi « Chatel » ou de lois relatives à l'éducation ? Dans vos travaux, incitez-vous ou facilitez-vous la mise en relation avec les parlementaires ?

Assez naturellement, parce que j'avais un intérêt pour le sujet, j'ai rencontré les représentants de l'UFC d'une ville de ma circonscription. Nous avons parfois des interlocuteurs qui sont les mêmes : il arrive que l'on vienne dans nos permanences parlementaires comme on vient dans les permanences de l'UFC-Que choisir, pour faire remonter des difficultés individuelles ou un peu plus générales. Y a-t-il une habitude de vos réseaux locaux de solliciter les parlementaires pour faire remonter les informations ? Ou la remontée d'informations se fait-elle exclusivement par des canaux nationaux à l'Assemblée nationale et pas sur le terrain ? Quelles améliorations pourraient être apportées pour plus d'efficacité dans la remontée d'information ?

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Il peut arriver que nous menions des démarches à l'initiative de notre mouvement national, par exemple pour envoyer une lettre à tous les parlementaires, localement et sur une question particulière. Cela peut marcher, en fonction de la disponibilité de chacun. Les parlementaires, comme nous associatifs, sont extrêmement sollicités. Leur disponibilité sur le terrain ne va pas de soi. Il est clair que lorsqu'il y a un sujet d'intérêt général que nous souhaitons signaler à nos députés ou à nos sénateurs, nous le faisons. Nous sommes plus souvent entendus et arrivons à intéresser davantage lorsque nous avons rencontré le parlementaire dans un autre lieu, une autre structure ou une autre instance.

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Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir

Nous accueillons généralement les consommateurs pour résoudre leur difficulté particulière. Ils attendent donc une réponse spécifique à leur litige et nous n'interrogeons les élus locaux ou les parlementaires que lorsqu'est en jeu un déséquilibre plus global ou une anomalie dans la réglementation. Nous invitons aussi nos structures locales à ne pas nécessairement faire remonter les problèmes vers la structure fédérale, car des solutions peuvent émerger à leur niveau. Sans doute devons-nous nous poser la question de l'opportunité de le faire davantage. Ma crainte est qu'en l'absence de réponse des parlementaires qui soit satisfaisante pour les consommateurs, cela ne soit contre-productif pour la relation entre ceux-ci, qui sont aussi citoyens et électeurs, et les pouvoirs publics.

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Si le citoyen n'est pas content, il saura trouver le parlementaire. Dans ce cas, j'aime autant le recevoir. Nous avons tout intérêt, dès lors qu'il y a un dispositif qui marche mal, à en avoir connaissance. Cela fait partie de nos prérogatives et de nos exigences que d'entendre les difficultés qui émergent sur le terrain.

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Les associations de consommateurs, que ce soit au niveau territorial ou national, ont une fonction très importante d'alerte, que vous exercez de différentes façons. Vous intervenez en amont dans la préparation des textes et avant leur discussion en proposant des amendements, parfois aussi sur des points d'application de la loi dans le cadre de questions écrites aux parlementaires. Ce sont des fonctions extrêmement importantes. Comment pourrions-nous mieux vous associer aux autres phases cruciales de l'élaboration de la loi comme les études d'impact ? Il convient que celles-ci soient réactualisées au fur et à mesure de la discussion et des modifications par amendements des textes de loi. Mais dans la phase initiale des études d'impact, êtes-vous sollicités par les services ministériels concernés pour donner votre appréciation sur les conséquences de la mesure sur les consommateurs ? Souhaiteriez-vous être plus systématiquement sollicités en amont ?

Dans la phase aval, c'est-à-dire dans la concrétisation et l'application de la loi, une fois qu'elle s'applique sur le terrain, lorsque les cas concrets vous sont transmis, ne devrions-nous pas mettre en place, ici même à l'Assemblée nationale, une boîte aux lettres, un service après-vente où vous pourriez nous adresser des cas concrets très directement ? Il faudrait que nous puissions organiser ce travail de coopération.

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Effectivement, nous irions plus facilement à des considérations concrètes si nous pouvions intervenir au niveau de l'étude d'impact pour faire part des risques que nous anticipons pour les consommateurs ou pour les citoyens.

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Nous avons bien compris qu'il était important que vous soyez associés à l'étude d'impact. Mais êtes-vous déjà sollicités à ce stade ?

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Non.

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Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir

Non plus.

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L'idée développée par Régis Juanico d'une boîte aux lettres, ou peut-être plutôt d'une plateforme de revendications au niveau de l'Assemblée nationale vous paraît-elle être une initiative intéressante ?

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Oui. Un bon exemple est la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui nous consulte et nous auditionne au sujet de ses projets de délibération, avant qu'ils ne soient présentés, par exemple au Conseil supérieur de l'énergie. Dans ce cadre, nous pouvons faire part de notre sentiment sur ces questions qui sont extrêmement techniques. En aval, il ne serait pas inutile d'avoir une boîte aux lettres et une table ronde pour pointer du doigt ce qui ne fonctionne pas ou ce qui mériterait un retour d'expérience assez rapide pour que l'on puisse corriger les défauts d'un texte.

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Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir

En effet, identifier un moyen de faire remonter les difficultés serait intéressant pour nous, association de défense des consommateurs. Nous évoquions précédemment la possibilité pour le citoyen de s'adresser au parlementaire, qui peut être utile même si la traduction dans les textes de cette remontée d'information est longue.

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Vous avez eu des propos qui peuvent paraître antagonistes. M. Bartlome, vous avez dit qu'il vous semblait que les lois étaient parfois difficiles à comprendre et à traduire parce qu'elles n'étaient pas assez complètes et détaillées. Mme Thiebault nous a dit que certaines lois avaient « bénéficié » de beaucoup d'amendements, que cela devenait foisonnant, et donc plus compliqué à comprendre.

Soit nous allons dans le détail et le résultat est compliqué, soit nous votons un esprit qui doit être ensuite traduit par des décrets. Pourriez-vous vous exprimer sur ce sujet ? Quelle est la meilleure situation pour vous ?

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Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir

Du point de vue de la concrétisation, l'important est le caractère opératoire, c'est-à-dire la rapidité du délai entre le vote définitif au Parlement et la mise en application. Plus le texte est complet, moins il y a de latitude laissée au pouvoir réglementaire, que ce soit dans les délais ou dans l'interprétation, et moins la mise en œuvre de la loi est soumise à la bonne volonté d'une administration. Certains textes sont extrêmement techniques parce qu'ils modifient d'autres textes. À la fin, on perd, même dans le texte retouché, la cohérence globale. Au contraire, la loi « Hamon » et les lois « Chatel » étaient des textes très ambitieux, longs, et techniques, mais ils étaient cohérents.

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

La loi rentre parfois trop dans le détail. Nous en avons eu un exemple avec l'expérimentation du chèque énergie, pour laquelle la loi prévoyait qu'il fallait quatre départements. Or, nous n'arrivions pas dans les faits à trouver le quatrième. Il faut plutôt être capable de faire respecter l'esprit des lois. Il y a parfois des jugements qui contreviennent à l'exposé des motifs d'une loi en faisant application de ses articles, ce qui est assez dramatique.

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Cela, il faut que nous en ayons connaissance. L'« ascenseur » des revendications que nous esquissions le permettrait peut‑être. Nous avons des facilités pour informer le ministre compétent d'un souci particulier sur un texte. Il ne faut pas que ces questions restent chez vous ou dans la sphère judiciaire.

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Dans le processus législatif, on commence par le législateur qui au travers des débats, des votes, des amendements, produit un texte de loi avec une intention, un sens et un esprit. Le législateur perd ensuite la main au profit d'une administration qui traduit ce texte en décrets d'application ou en arrêtés qui concernent les consommateurs. Ceux-ci peuvent consommer tant des objets manufacturés que des services publics ; j'imagine que vous êtes également concernés dans ce second cas. Dans le paysage, une autre partie prenante peut être mobilisée : le Défenseur des droits. Quelles sont vos interactions avec lui ? Estimez-vous qu'il peut être un rouage important dans la concrétisation des lois ? Comment tout cela peut-il s'articuler, du point de vue plus particulier de l'usager d'un service public ?

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Le Défenseur des droits devrait être informé de ce qui a été proposé par rapport aux études d'impact et des conséquences attendues de la loi pour pouvoir en juger. Il est vraiment le réceptacle des plaintes des consommateurs sur le terrain, mais il n'est pas seul à tenir ce rôle. Il y a aussi des autorités indépendantes, comme la CRE ou le médiateur national de l'énergie. Ce sont des acteurs qui ont une vision indépendante, en retrait ; c'est leur raison d'être. Nous devrions les écouter davantage.

Quand le nouveau président de la CRE, M. Carenco, a pris ses fonctions, il nous a reçus en tant qu'organisation très impliquée dans le secteur de l'énergie. Je lui ai parlé des sujets qui me tenaient à cœur : les tarifs réglementés, le chèque énergie, le fameux commissionnement et les C2E. Sur le commissionnement, il a indiqué que le sujet ne le concernait pas. Les distributeurs d'énergie, qui paient au nom du contrat unique de fourniture d'énergie une somme aux fournisseurs qui font un travail pour eux, étaient confrontés à des montants absolument effrayants à la suite des procédures engagées par certains fournisseurs alternatifs. M. Carenco a finalement décidé de se lancer dans la bataille et nous avons réussi à trouver une solution qui était un bon compromis pour tout le monde. Les autorités indépendantes jouent vraiment un rôle très intéressant qui peut permettre de rectifier quelques points qui avaient suscité des ratés.

Une réorganisation du système judiciaire est en cours, et va avoir un impact pour les consommateurs et pour nous, qui sommes moins bien outillées que l'UFC. Nous sommes une association départementale et avons l'habitude de faire de la médiation et de régler à l'amiable les litiges de consommation. Mais quand cela ne marche pas, nous souhaitons qu'une saisine simplifiée de la justice soit possible. Or, la réorganisation du système judiciaire a supprimé cette possibilité. Nous ne savons pas encore très bien si nous serons soumis à l'obligation du ministère d'avocat, onéreuse, dont nous pouvions nous passer au tribunal d'instance. Nous constatons aujourd'hui une réduction du nombre de recours.

Nous voulons mettre en place de la médiation, et c'est très bien. Elle a l'avantage de rendre des avis en équité. Mais il y a aujourd'hui des médiateurs qui démissionnent parce que leur indépendance est contestée. Il faut que nous fassions très attention quand une loi, un décret, un arrêté se retourne contre le consommateur, à lui laisser un accès à des recours judiciaires simples, peu coûteux, et pour lesquels nous, associations, pouvons facilement les aider.

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Pourriez-vous développer ce point par écrit ? La question m'intéresse beaucoup.

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Françoise Thiebault, secrétaire générale du CDAFAL 75

Si vous le souhaitez.

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Un projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) est en préparation et vise à fluidifier le processus de fabrication de la loi. Beaucoup d'organismes – opérateurs de l'État, organismes divers d'administration centrale – doivent déjà être consultés dans un certain nombre de procédures, mais les délais sont un frein. Il y a en effet une volonté de faire aboutir suffisamment rapidement les lois.

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Raphaël Bartlome, responsable du service juridique de l'UFC-Que choisir

Pour revenir au Défenseur des droits, il est un acteur extrêmement utile, notamment dans les quatre hypothèses de sa saisine. Il a une solennité et bénéficie d'une écoute de la part des parlementaires. Les rapports des différents médiateurs sont aussi des sources d'identification des difficultés qui conduisent à des litiges récurrents. Par ailleurs, lorsque la Cour des comptes rend un rapport, celui-ci entraîne souvent une modification de la loi ou des textes réglementaires. Cette richesse, avec l'indépendance de chacun des acteurs, est utile et contribue aussi à nourrir votre connaissance de ce que deviennent vos textes.

La séance est levée à 20 heures

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, M. Philippe Bolo, M. Régis Juanico, M. Michel Lauzzana, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Cécile Untermaier

Excusé. - M. Claude Goasguen