Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mardi 11 février 2020 à 17h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

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Monsieur le président, mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Francis Lamy, président du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM). Cette audition ouverte à la presse s'inscrit dans notre double volonté de mieux connaître mais aussi de mieux faire connaître la condition militaire, ses devoirs et ses droits. Elle répond ainsi à l'actualité particulière de l'inclusion du régime des pensions militaires dans le futur régime universel de retraite. La mission du Haut Comité que vous présidez, Monsieur Lamy, est – je cite ce qui est inscrit dans la loi – « d'éclairer le Président de la République et le Parlement sur la situation et l'évolution de la condition militaire. Dans son rapport annuel, il formule des avis et peut émettre des recommandations. »

Le Haut Comité se compose de neuf personnalités indépendantes et bénévoles, nommées pour quatre ans par décret du Président de la République. Il est assisté d'un secrétariat permanent, dirigé par un membre du Contrôle général des armées, aujourd'hui M. Olivier Maigne qui vous accompagne M. Lamy dans cette audition.

Depuis 2013, le rapport annuel du Haut Comité est scindé en deux parties : un rapport thématique est rendu public à l'été et un rapport statistique, incluant le suivi des recommandations, appelé « Revue annuelle de la condition militaire », est diffusé à l'automne.

Le Haut Comité, dans ses analyses comme dans ces constats, se tient strictement à sa mission d'instance indépendante, et j'insiste sur cet adjectif, qui lui a été confiée par la loi. Il émet les recommandations qui lui paraissent découler des constats effectués, sans s'interdire de formuler les appréciations que lui inspirent les situations observées.

Il y a juste un an, le 29 janvier 2019 précisément, vous étiez venu présenter le douzième rapport du Haut Comité sur la vie des militaires et de leurs familles selon leur lieu d'affectation. L'objet de l'audition de ce jour sera l'occasion de présenter votre dernier rapport thématique, le treizième, intitulé « La mort, la blessure, la maladie », un sujet au cœur de la condition militaire sur lequel a également travaillé récemment notre commission avec l'excellent rapport d'information consacré au suivi dans la durée des militaires blessés de nos collègues Anissa Khedher et Laurence Trastour-Isnart.

Mais je souhaite également que cette audition soit l'occasion d'approfondir notre réflexion sur l'origine des pensions militaires, réflexion que nous avons déjà bien entamée avec les auditions respectives du directeur des ressources humaines du ministère de la Défense et d'une délégation du Conseil supérieur de la fonction militaire. Votre Haut Comité a déjà consacré en 2010 un rapport à la thématique des pensions militaires mais j'ai cru comprendre qu'il avait décidé de s'y intéresser à nouveau. Nous sommes donc très impatients – et je pense que c'est le cas de l'ensemble de mes collègues – de partager avec vous votre vision sur cette thématique. Votre expertise est double, non seulement en raison de votre qualité de président du HCECM, mais aussi de celle de président adjoint de la section de l'intérieur du Conseil d'État et donc, à ce titre, membre de l'assemblée générale qui a rendu l'avis, aujourd'hui public, sur le projet de loi instituant un système universel de retraite.

Votre rapport de 2010 offrait notamment un éclairage intéressant sur le régime des pensions militaires dans les trois armées les plus proches de nous, à savoir la britannique, l'allemande et l'américaine. Il soulignait que, dans ces trois cas, le régime de pension des militaires est intégralement financé par l'impôt et sans retenue sur la rémunération des intéressés, ce qui fait du régime des pensions militaires dans ces trois pays une exception par rapport au régime des retraites de droit commun.

Nos précédentes auditions ont bien mis en valeur le caractère singulier des pensions militaires, qui ne doivent pas être perçues comme un simple avantage vieillesse, mais avant tout comme un instrument de gestion des ressources humaines, un outil de structuration de notre modèle d'armée, permettant une gestion optimale des flux d'entrée et de sortie, en vue notamment de préserver la jeunesse et le pyramidage adéquat des effectifs, l'attractivité, la fidélisation et servant au besoin d'aide à la reconversion. C'est aussi, et l'histoire des pensions militaires depuis Louis XIV en témoigne, une forme de rémunération différée, la pierre angulaire de la reconnaissance de la Nation, visant à compenser les obligations et les sujétions exorbitantes de l'état militaire, liées à une exigence de totale disponibilité et pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême. Nombre de référentiels habituels en matière de retraite, notamment le critère de pénibilité, n'ont aucune pertinence pour l'état militaire.

Ce contexte étant acté, je vous remercie, Monsieur le Président, d'avoir bien voulu accepter cette invitation. Je vous laisse sans plus attendre la parole.

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Francis Lamy

C'est avec beaucoup de plaisir que je viens devant la commission de la défense faire le point, comme l'année dernière, sur les travaux du Haut Comité, ainsi que sur notre treizième rapport thématique consacré à La mort, la blessure, la maladie et ainsi que la version 2019 de notre « Revue annuelle de la condition militaire ».

Cette année, le thème du rapport du Haut Comité sera les pensions militaires. Le Haut Comité lui-même n'a pas encore pris position puisque ce rapport est en cours de préparation. Mais il y a déjà eu un rapport en 2010 et, à travers d'autres rapports, le Haut Comité a eu l'occasion de réfléchir, de poursuivre sa réflexion sur ce qu'il considère comme étant les fondamentaux du système de pension militaire de retraite. C'est sur ces fondamentaux, qui sont en quelque sorte la doctrine du Haut Comité, que je pourrai m'appuyer pour répondre à vos éventuelles questions.

L'année dernière, nous avions choisi comme rapport thématique « La mort, la blessure, la maladie ». C'est la première fois que ce sujet était traité par le Haut Comité. C'est un sujet qui est au cœur de la condition militaire. L'article L4111-1, que l'on cite souvent, mentionne ce sujet. Nous avons pris le parti de le traiter de façon très large, c'est-à-dire non seulement dans sa dimension « médecine de l'avant » mais aussi dans sa dimension « protection sociale » et « reconnaissance matérielle et symbolique ».

Comme nous le faisons habituellement, c'est à la suite de rencontres avec des militaires que nous avons procédé à un certain nombre d'observations et de recommandations. L'année dernière, nous avons rencontré en tout près de 400 militaires. Certains d'entre nous se sont déplacés, dans la bande sahélo-saharienne par exemple, mais aussi en outre-mer, en Nouvelle‑Calédonie où j'avais profité du fait que je présidais la commission de contrôle du référendum pour prendre le temps d'aller rencontrer les militaires des forces armées en Nouvelle-Calédonie.

Voyons quelques constats et observations de ce rapport.

Le premier point, sur lequel nous avons insisté puisque nous l'avons mis comme première recommandation, et que c'est ce que nous avons dit au Président de la République lorsqu'il nous a reçus pour la présentation de ce rapport, c'est que la sauvegarde des moyens du service de santé des armées est, pour le Haut Comité, est une priorité.

C'est sa première recommandation. Le Haut Comité considère que la médecine de l'avant, que l'on voit à l'œuvre dans la bande sahélo-saharienne notamment, participe directement à l'efficacité opérationnelle des forces armées. Les militaires du service de santé des armées sont aux côtés de leurs camarades. Ils sont armés, ils les suivent, ils participent à des patrouilles. Ils sont exposés au feu comme leurs camarades. Non seulement ils ont des armes mais ils ont aussi leur matériel médical. Ils sont donc dans une situation particulière. Mais, pour les autres militaires, c'est évidemment quelque chose d'essentiel que de savoir pouvoir compter sur une première prise en charge sanitaire au bout de deux ou trois minutes, par un médecin au bout de sept minutes. Et les chiffres se sont améliorés depuis l'Afghanistan. On arrive à une évacuation vers un centre chirurgical en moins de deux heures, une évacuation dans un hôpital des armées en vingt-quatre ou trente-six heures ; cela dépend des circonstances mais le plus rapidement possible. Les taux de létalité se sont améliorés, même s'ils sont évidemment toujours trop élevés.

De plus, depuis une dizaine d'années, la prise en charge du syndrome post-traumatique, qui autrefois n'était pas pris en charge de façon optimale, s'est améliorée. Comme vous le savez, sur place, lorsqu'il se passe un événement particulier, il y a une prise en charge préventive. Ensuite, des périodes de « sas » sont organisées au moment du retour de l'opération. Enfin, le suivi est systématisé trois mois après l'opération.

La médecine de l'avant est assurée dans des conditions d'efficacité opérationnelle que nous pouvons qualifier d'optimales. Les autorités politiques et le commandement militaire y attachent la plus grande importance et c'est un dispositif qui fonctionne particulièrement bien.

Mais, en observant la situation du service de santé des armées, le Haut Comité a noté des dégradations dans les domaines suivants. Le premier domaine, qui est essentiel, qui est au cœur de l'action du service de santé des armées, est la vérification des aptitudes. C'est absolument impératif et obligatoire de s'assurer de l'aptitude des militaires. Vous savez qu'il y a quelques années, la périodicité des visites d'aptitude était annuelle. Elle est maintenant bisannuelle. Mais le Haut Comité a relevé qu'il y avait des retards qui concernent 10 à 15 % des militaires qui n'effectuent pas leur visite d'aptitude dans ce délai de deux ans, alors qu'avant c'était tous les ans. Naturellement, ceux qui partent en opération ont les visites d'aptitude en temps et en heure, cela va de soi. Mais c'est quand même un indice de la difficulté à laquelle est confrontée le service de santé des armées pour assurer cette mission essentielle.

Deuxième élément, nous notons aussi que la présence du service de santé des armées n'est pas assurée de façon permanente et générale, en particulier lors des opérations de sécurité intérieure. Par exemple, à Notre-Dame-des-Landes, il y avait un dispositif de gendarmerie extrêmement important. Le poste médical était assuré par le service départemental d'incendie et de secours (SDIS). Cela n'empêche pas que les choses se font dans de bonnes conditions, mais le service de santé n'est pas là. Il était là, en revanche, lorsqu'il y a eu le cyclone à Saint-Martin.

Un autre domaine dans lequel, de façon plus visible et plus forte encore, nous assistons à un recul de la présence du service de santé des armées concerne la médecine des forces, la médecine de tous les jours dans les unités. Pendant les périodes de week-end ou en dehors des heures de service, on fait généralement appel au SDIS ou à des médecins de ville.

Le Haut Comité a également constaté en se déplaçant dans des unités que, dans trois cas, soit 50 % des postes de médecins, le médecin n'était pas physiquement présent. Pourquoi ? Notamment parce que les opérations extérieures, ou d'autres circonstances, les amenaient à ne pas être là. La médecine de tous les jours, celle des centres médicaux des armées, n'est pas assurée comme elle l'était par le passé. Elle n'est plus assurée en métropole pour les familles, alors qu'elle pouvait l'être autrefois comme le code de la défense le prévoit, et qu'elle l'est encore – et c'est heureux – outre-mer. Or, on le sait, les militaires sont astreints à une mobilité importante. Ils sont affectés parfois dans des déserts médicaux et il y a des difficultés à pouvoir intégrer des patientèles. Ces difficultés sont d'autant plus grandes qu'ils ne restent pas durablement dans le territoire. Le fait que le service de santé des armées ne puisse pas intervenir dans ce cadre est regrettable.

Le service de santé des armées est maintenant intégré dans des territoires de santé. Le Haut Comité considère qu'il faut justement se saisir de cette opportunité pour que, par exemple, il y ait des contacts, des rapprochements entre le service de santé des armées, les agences régionales de santé (ARS) et les médecins de ville pour faire en sorte que ceux-ci soient plus sensibles à la situation particulière dans laquelle se trouvent les militaires et leurs proches lorsqu'ils arrivent dans un territoire et qui mérite d'être prise en compte.

Ce que nous avons pu observer pour l'aptitude, pour les opérations intérieures, pour la médecine de tous les jours est lié une situation que vous connaissez, qui est celle de la très forte tension en termes d'effectifs du service de santé des armées. Le service de santé des armées est dans une situation de post-restructuration. Il a perdu un peu plus de 8 % de ses effectifs et un hôpital militaire a fermé. Il y a des tensions dans un certain nombre de spécialités, comme la chirurgie orthopédique et la chirurgie viscérale. Il y a des enjeux de fidélisation qui sont très forts. Dans ces conditions, il faut insister sur le fait que la présence des personnels médicaux du service de santé des armées dans la médecine des forces, dans les hôpitaux militaires est quelque chose d'absolument essentielle pour pouvoir disposer ensuite d'une capacité de projection sur les théâtres d'opérations. En 2018, à peu près 1 800 personnels du service de santé des armées avaient été projetés. Ils ne peuvent l'être en nombre suffisant que si, du côté des hôpitaux militaires, du côté des centres militaires des armées, il y a des effectifs suffisants en qualification et en nombre.

Pour le Haut Comité, la sauvegarde et le renforcement du service de santé des armées est nécessaire. C'est un élément de la capacité opérationnelle des forces armées qui est en jeu tout autant que de condition militaire.

Ensuite, dans son rapport, le Haut Comité a tenu à rappeler le sens de la mort et de la blessure des militaires. Non pas bien sûr au Président de la République, chef des armées, qui est mieux placé que nous pour connaître ce sens, ni même aux parlementaires de la commission de la défense qui le connaissent bien. Néanmoins, nous observons que dans l'opinion, dans les médias, il y a parfois des confusions sur le sens véritable de la blessure ou de la mort d'un militaire, notamment en opération. Le Haut Comité a tenu à le rappeler avec force : un militaire qui meurt en opération n'est pas une victime, c'est un héros. Le fait de le confondre avec une victime, c'est méconnaître le sens de son engagement.

Le sens de son engagement est double. Il y a d'abord la mission à laquelle il participe, assurée par la force des armes : la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la Nation. C'est l'article L4111-1 du code de la défense, la mission de l'armée de la République. Le deuxième élément qui donne son sens à la mort ou à la blessure du militaire, c'est l'état militaire. L'état militaire exige en toutes circonstances l'esprit de sacrifice, esprit de sacrifice pouvant aller – vous l'avez rappelé tout à l'heure, Madame la Présidente – jusqu'au sacrifice suprême.

Or il arrive que ce sens soit perdu de vue, y compris et le Haut Comité a estimé devoir le relever, au détour d'une disposition législative, qui n'avait été préparée ou vue par la commission de la défense puisque cela concernait le code des assurances. Dans le code des assurances, à l'article L126-1, le législateur a très justement décidé de faire bénéficier les militaires qui sont blessés ou tués dans le cadre d'un attentat terroriste du dispositif particulier de soutien. Mais la rédaction du texte assimile le militaire aux victimes. Le Haut Comité considère qu'un simple changement de rédaction de la loi permettrait de dissiper cette confusion. C'est dans cette logique que le Haut Comité préconise aussi de proscrire l'attribution de la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme à des militaires blessés ou tués dans l'accomplissement de leur mission.

Le sens de la blessure des militaires en opération et en service structure ensuite tous les dispositifs de reconnaissance, qu'ils soient matériels ou qu'ils soient immatériels. Il y a des distinctions qui sont faites : mort en opération, blessé en opération, mort ou blessé en service, mort ou blessé hors service. Bien évidemment, il n'y a pas de hiérarchie entre les morts mais il y a des distinctions quant aux circonstances particulières lors desquelles la mort ou la blessure survient. Ces distinctions emportent des conséquences importantes en termes de droits, de reconnaissance matérielle, de pension d'invalidité, de congés particuliers comme le congé du blessé. Le Haut Comité considère que la cohérence de ces distinctions doit être préservée. Il considère qu'elle doit être préservée parce qu'il lui est arrivé, y compris de la part des militaires, d'entendre des propos qui tendaient à relativiser l'importance de ces distinctions, voire parfois à les contester.

Pour le Haut Comité, il faut préserver cette cohérence parce qu'elle est très forte de sens. Cela étant, le Haut Comité considère aussi que les conséquences que l'on en tire, dans un certain nombre de cas, doivent pouvoir évoluer et être, le cas échéant, adaptées. Un bon exemple est le congé du blessé, ce congé supplémentaire de dix-huit mois accordé lorsqu'il y a des chances sérieuses que le blessé puisse retrouver ensuite une activité militaire. Au départ, ce congé du blessé était réservé aux militaires blessés lors d'opérations extérieures (OPEX). Il a été étendu aux blessés lors d'une opération intérieure répondant à certaines caractéristiques de dangerosité.

De même qu'en ce qui concerne la reconnaissance de blessure ou de mort, le Haut Comité a fait une recommandation concernant le périmètre des OPEX. Vous savez qu'il y a une délimitation géographique d'une OPEX et, suivant que la blessure ou la mort interviennent en dehors du périmètre ou à l'intérieur du périmètre, les conséquences sont différentes. Or il existe des cas, et nous pensons particulièrement aux marins et aux aviateurs, dans lesquels le marin ou l'aviateur participe très directement à une action qui est liée à l'opération extérieure – quand un avion décolle pour survoler une zone de combat ou quand un missile est tiré par un bâtiment en mer, il participe directement à l'OPEX – et le Haut Comité suggère que, lorsqu'il y a un accident dans ce cadre, s'il y a un militaire blessé ou tué, il faut pouvoir sortir du périmètre géographique de l'OPEX dès lors que son action participe directement à l'OPEX.

Une autre proposition faite par le Haut Comité concerne la délégation de solde. C'est un dispositif tout à fait particulier qui permet, en cas de mort du militaire, de faire bénéficier le conjoint survivant de la poursuite du paiement de sa solde, en attendant la jonction avec la pension militaire. Le Haut Comité a considéré que, sur ce point, il était opportun d'étendre le bénéfice de la délégation de solde aux militaires morts en service, et non pas seulement en opération, tout simplement parce qu'il y a la mort qui s'ensuit. C'est une mort survenue dans le service. Je pense que pour la famille c'est opportun.

Le troisième point du rapport du Haut Comité concerne l'accompagnement des malades et des blessés. L'accompagnement des malades et des blessés est une nécessité. Le blessé, le malade, la famille du militaire qui est mort, se trouvent dans une situation tout à fait particulière. Il est d'une opportunité évidente que de prévoir un accompagnement adapté pour permettre au militaire ou à sa famille de surmonter la situation dans laquelle ils se trouvent. C'est la compensation, la contrepartie du prix payé par le militaire.

Cet accompagnement s'est beaucoup amélioré depuis une quinzaine d'années, depuis le bombardement de Bouaké en 2004. Aujourd'hui, nous avons un dispositif qui est optimal, en ce qui concerne les opérations extérieures, en ce qui concerne la prise en charge du blessé ou de la famille du militaire mort. Cette prise en charge est optimale également lorsque l'on pense à des institutions aussi emblématiques que l'Institution nationale des Invalides. Elle est également optimale, comme je le disais tout à l'heure, en ce qui concerne la prise en charge des syndromes post-traumatiques. Il y a toute une série d'acteurs auxquels le Haut Comité a souhaité rendre hommage dans son rapport, qui sont des acteurs associatifs comme Terre Fraternité par exemple, mais il y en a bien d'autres. De nouveaux modes d'organisation ont également été mis en place, avec les cellules d'aide aux blessés dans chaque force armée, y compris dans la gendarmerie. Il y a aussi des dispositifs très particuliers, très adaptés à chaque force armée. Par exemple, dans la gendarmerie a été mis en place récemment le dispositif du camarade référent : lorsqu'un militaire de la gendarmerie est blessé, il y a un camarade référent qui suit ce militaire. On pourrait parler aussi de la reconstruction par le sport avec l'action du centre national des sports de la défense (CNSD) qui a accueilli près de 250 militaires en 2018.

Voici donc ce qui marche très bien. Passons à ce qui doit être amélioré. Ce qui doit être amélioré, c'est l'accompagnement dans la durée. Le Haut Comité a constaté qu'à partir d'un certain temps, au fur et à mesure qu'on s'éloigne de l'événement, de la blessure, de la mort, le lien se distend et l'accompagnement s'étiole. Le militaire pourra être placé, s'il a été blessé, en congé de longue durée. Lorsqu'il est placé en congé de longue durée, il n'est plus géré par son unité administrativement, mais par un organisme de soutien. Le lien se distend avec l'institution, il se dépersonnalise. Il y a un risque d'isolement. Le commandement en est parfaitement conscient, c'est un sujet dont nous avons longuement parlé. C'est là un point qui doit être sérieusement amélioré. Il y a des actions qui sont en cours et il y a vraiment une prise de conscience de la part du commandement.

D'autres points pourraient être améliorés. L'agence de reconversion de la défense (ARD) prend en charge un nombre de militaires relativement important. En 2018, 747 militaires précisément ont été suivis. Il y a des dispositifs qui ont été mis en place mais ils n'ont pas encore donné leur pleine mesure. Nous avons notamment relevé que le taux de reconversion dans le secteur public et le secteur privé des militaires passés par l'ARD était inférieur à 15 %. C'est un point qui pourrait être amélioré. Nous avons relevé aussi un point sur lequel il y a des signaux très positifs, le passage en entreprise. Un certain nombre d'entreprises, que je ne vais pas citer, portent une attention particulière aux militaires blessés. Elles offrent des opportunités à des militaires blessés pour venir dans l'entreprise, soit de façon durable, soit pendant une période de reconstruction. Le Haut Comité a constaté qu'il y avait des obstacles administratifs, par exemple le fait que les médecins du service de santé des armées ne peuvent pas prescrire pour ce qui est extérieur au périmètre des armées. Ce sont des questions d'ordre administratif qui doivent pouvoir se résoudre.

Le Haut Comité considère que le retour vers l'activité doit être encouragé. Lorsque nous discutons avec les chefs d'état-major des trois armées et de la gendarmerie, c'est également une perspective qui est envisagée très favorablement. Mais le Haut Comité considère pour autant qu'il y a des limites, en quelque sorte, qu'il ne faudrait pas franchir et, notamment, il ne faut pas mettre en cause le principe de l'impossibilité du mi-temps thérapeutique. Le Haut Comité considère que la reconnaissance d'un mi-temps thérapeutique serait incompatible avec le principe de l'entière disponibilité des forces armées, même s'il y a des possibilités d'aménagement, non pas sous la forme d'un mi-temps thérapeutique mais, par exemple, dans le cadre de la réserve.

Je terminerai par la protection sociale qui est le dernier point que nous avons examiné. Les militaires ne sont pas, en ce qui concerne la protection sociale, dans une situation particulière par rapport aux assurés sociaux sauf sur deux points. D'une part, ils ont une Caisse nationale militaire de Sécurité sociale et je dois vous dire que, dans le cadre de ce rapport, le Haut Comité s'est interrogé pour savoir si l'existence de cette Caisse nationale militaire de Sécurité sociale était toujours justifiée. Il a conclu que c'était, non pas quelque chose d'indispensable, d'absolument nécessaire, mais que cela participait à la bonne condition militaire, essentiellement parce que la Caisse nationale militaire de Sécurité sociale permet qu'il y ait un interlocuteur unique pour le militaire pendant toute sa carrière, où qu'il soit, y compris à l'étranger, et alors qu'il est soumis à une très forte mobilité géographique. C'est quelque chose de très important. De plus, la Caisse nationale militaire de Sécurité sociale connaît les militaires. Enfin, les militaires ne pouvant être représentés par des syndicats, le mode de gouvernance est adapté dans la Caisse nationale militaire de Sécurité sociale.

La deuxième particularité est l'existence d'un régime légal d'assurance-décès avec l'établissement public des fonds de prévoyance militaire et aéronautique (EPFP). L'établissement prévoit une assurance-décès qui est un régime légal.

Enfin, le Haut Comité a émis des recommandations. Il a constaté que les militaires souscrivaient significativement moins que les fonctionnaires à une complémentaire santé. 18 % des militaires ne sont pas couverts ; c'est 15 points d'écart par rapport aux fonctionnaires. Or la bonne santé des militaires, à laquelle participe la complémentaire santé, est évidemment quelque chose d'essentiel. Cela a conduit le Haut Comité à faire la recommandation qu'un dispositif puisse être mis en place, analogue à celui dont bénéficient les salariés du secteur privé, puisque les employeurs du secteur privé, aujourd'hui, contribuent à la complémentaire santé.

Voilà quelles sont, mesdames et Messieurs les députés, Madame la présidente, les principales observations du Haut Comité sur la mort, la blessure et la maladie de son treizième rapport.

Je souhaite ajouter un point sur la revue annuelle 2019 de la condition militaire. Nous avons relevé dans notre rapport, parmi les faits marquants de l'année 2018, la loi de programmation militaire, parce que cette loi comportait un certain nombre de dispositions importantes pour la condition militaire et que cela méritait d'être relevé. Le Haut Comité a par ailleurs fait des observations qu'il fait de manière récurrente concernant la fidélisation. À la fin de ses observations, le Haut Comité a annoncé qu'il avait fait des pensions militaires de retraite le thème de son prochain rapport qu'il remettra courant avril.

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Ces derniers mois, j'ai eu l'honneur de co-rapporter la mission d'information parlementaire relative au suivi des blessés. Je sais que nous partageons de nombreux constats et certaines préconisations pour améliorer la prise en charge de nos militaires blessés. Dans votre rapport, vous soulignez, comme nous, l'excellence de la médecine des forces françaises. Vous mettez en avant la grande capacité de nos services de santé des armées à prendre en charge les blessures en opération et la nécessité de continuer à soutenir le service de santé des armées (SSA).

Le SSA fait face aux mêmes enjeux que la médecine civile. Le nombre de médecins est en diminution. Certaines spécialités manquent de personnel. Les formations sont nécessairement longues. Compte tenu de ce contexte et des évolutions que vous évoquez, avec notamment le rapprochement essentiel avec la médecine civile, quel regard portez-vous sur les conditions actuelles d'exercice des personnels du SSA ?

Nous partageons le constat qu'il existe un mur administratif qui pèse sur nos militaires blessés et leurs familles. La numérisation des procédures est une avancée majeure pour solliciter les démarches et vous le soulignez. Pour vous, quels sont les autres leviers que nous devrions activer pour faciliter les démarches administratives des militaires blessés ?

Enfin, la sortie de l'institution des militaires blessés et leur reconversion est un enjeu sur lequel il y a une prise de conscience effective ces dernières années. Quel regard portez‑vous sur les mécanismes de reconversion et de réadaptation actuels ?

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J'ai une remarque et une question.

Ma remarque concerne la place des familles vis-à-vis du service de santé des armées. Je crois que nous sommes tous conscients que le métier militaire – s'il s'agit d'un métier – implique la famille énormément plus tous les autres. Le gouvernement en est conscient, avec le plan famille sur lequel nous avons fait un point d'étape il y a quinze jours ou trois semaines.

J'ai remarqué à cet égard ce que vous avez dit concernant le fait que les familles n'ont plus accès au service de santé des armées sauf en outre-mer. C'est une conséquence de la baisse des effectifs et du fait que le service de santé des armées s'est recentré sur son cœur de métier, c'est-à-dire les soins aux militaires en opération lorsqu'ils sont blessés ou les soins dans les garnisons. C'est plus une remarque qu'autre chose mais, si vous pouviez développer cet aspect, ce serait intéressant.

Passons à ma question proprement dite. Vous nous avez laissés sur notre faim en disant que le prochain rapport thématique serait consacré au régime de retraite des militaires. Nous avons bien compris que le rapport n'est pas rédigé, n'a pas été délibéré. Avez-vous quand même quelques pistes de réflexion, quelques idées sur le sujet ?

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Au service de la Nation, les militaires sont des citoyens qui remplissent une mission exceptionnelle, dans des conditions difficiles qui peuvent notamment les conduire au sacrifice suprême. Vous en avez parlé, vous avez parlé de l'accompagnement en cas de blessure. Mais si les circonstances pèsent sur nos soldats, elles pèsent également sur leurs familles. Ce sont elles les premières qui connaissent les difficultés et partagent les contingences de la vie militaire. Aussi, Monsieur le président, je souhaiterais connaître l'analyse du Haut Comité sur cet aspect de la condition militaire. Quel avis avez-vous sur accompagnement des familles pour faire face à ces épreuves ? Le plan famille offre-t-il une réponse satisfaisante ?

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Comme chaque année, je tiens à saluer la qualité de la Revue annuelle de la condition militaire produite par votre Haut Comité. Il s'agit effectivement d'une mine précieuse d'informations qualitatives et quantitatives sur l'état de nos armées et sur ceux qui la composent.

Mes collègues ont posé des questions sur la santé. Personnellement, dans votre rapport, j'ai été attentif au fait que beaucoup de militaires, de plus en plus de militaires, arrêtent leur contrat. Vous indiquez également que les besoins de recrutement sont accentués par l'ampleur des dénonciations. Quand on regarde, effectivement, le pourcentage est passé de 23,5 % en 2013 à 30 % en 2018. Pouvez-vous nous l'expliquer ? Avez-vous des raisons objectives qui expliquent que ce taux de dénonciation passe de 23 à 30 % ? La question de la fidélisation se pose une nouvelle fois. À plusieurs reprises, les chefs de corps posent cette question, rappellent que c'est important de fidéliser les militaires et on a un taux relativement important de dénonciations, notamment dans l'armée de Terre.

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Le rapport de 2010 portait sur le régime des retraites militaires. Il faisait notamment apparaître le fait que ce régime de retraite était, de fait, un instrument de gestion des ressources humaines et en particulier des flux de personnel. C'est facile à comprendre. Si les carrières sont trop longues, à la suite d'une réforme hypothétique, cela va provoquer un accroissement des effectifs des classes les plus âgées. Il y aura donc une diminution des effectifs de classes plus jeunes, qui sont essentielles à la capacité opérationnelle des forces. C'est toute la question du pyramidage des fonctions et des grades qui oblige à avoir une sélection tout au long de la carrière, puisqu'il y a la nécessité d'un flux important et régulier de départs aux différents stades de carrière. Ce point a d'ailleurs été souligné lors des auditions précédentes que nous avons eues avec des militaires qui exprimaient leur inquiétude sur les conséquences que pourrait avoir la réforme, qui est aujourd'hui en discussion, sur le bon fonctionnement de nos armées. Cela pourrait provoquer un vieillissement pour arriver à avoir les points nécessaires pour avoir une retraite correcte ou alors, l'effet contraire, un départ anticipé pour faire carrière ailleurs.

Le deuxième point, très important également, qui apparaissait dans le rapport de 2010, était que le régime des pensions militaires devait continuer à s'appliquer à l'ensemble de la communauté militaire pour l'unité de la communauté militaire. Il faut une cohésion. Pensez‑vous, si vous avez avancé un peu dans l'étude en perspective de votre rapport, que le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui peut avoir des effets négatifs ?

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Je voulais d'abord vous remercier pour toutes ces explications parce que, effectivement, ce n'est jamais facile de parler de la mort d'un soldat. Je viens finir l'ouvrage Le Soldat et la mort. Je trouve que beaucoup de personnes devraient le lire, parce que cela permet aussi d'avoir une réflexion sur cette mort que nous ne connaissons plus dans les familles. Aujourd'hui, nous ne conserverons plus nos morts à domicile et c'est d'autant plus difficile lorsque nous sommes confrontés à la mort que nous n'avons pas veillé nos anciens dans nos maisons. C'est vraiment une réflexion à apporter.

Je voulais vous poser une question sur les retraites. L'inscription des retraites militaires dans le code de la Défense plutôt que dans les lois instituant un régime universel de retraite ne risque-t-elle pas de priver les militaires des droits auxquels ils peuvent prétendre parallèlement à leurs droits strictement militaires, à l'image de la retraite additionnelle de la fonction publique dont bénéficient des milliers d'anciens soldats ?

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Votre treizième rapport du Haut Comité souligne l'efficacité du service de santé des armées, mais a aussi évoqué des points à améliorer. Vous avez évoqué le fait que le SSA ne parvient plus à répondre aux demandes des familles de militaires, en métropole notamment, alors que le code de la Défense leur reconnaît l'accès aux services de santé.

Le service de santé doit par ailleurs assurer une préparation militaire opérationnelle pour ses médecins et ses infirmiers militaires, qui risquent bien sûr leur vie en opération comme les soldats, notamment au Mali. Or, on m'a rapporté que les militaires du service de santé estiment que leur préparation militaire opérationnelle serait insuffisante, notamment face à un tir par projection par exemple.

Mes questions sont simples. D'abord, quelles pistes proposez‑vous afin de développer l'accès des familles au service de santé ? Deuxièmement, comment renforcer la préparation militaire opérationnelle du personnel militaire ?

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Ces dernières années, l'accompagnement des blessés a été considérablement amélioré. En mars dernier, Sophie Cluzel, la secrétaire d'État aux personnes handicapées, le chef d'état-major des armées et le MEDEF ont lancé un plan visant à inciter de nouvelles entreprises civiles à recruter des militaires blessés en service. En les embauchant, les entreprises participent à leur réinsertion socio-professionnelle et se joignent à l'effort de défense nationale. C'est en effet une responsabilité collective et citoyenne que de donner à ces militaires blessés une reconversion professionnelle.

Vous recommandez une adaptation de la réglementation pour que les militaires blessés qui veulent intégrer des entreprises privées ou des administrations publiques puissent bénéficier de prescription médicale de non-contre-indication à une activité réalisée hors du ministère des armées. Vous l'avez évoqué dans vos propos avec quelques difficultés. Pouvez‑vous nous en dire plus sur les enjeux d'une telle évolution ?

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Monsieur Lamy, lors de votre exposé, vous avez fait part des différents accompagnements qui existent lors du décès d'un militaire. 2019 a été particulièrement terrible pour nos troupes et je souhaiterais aborder un point plus spécifique. Lorsque nous accueillons un militaire, comme chacun le sait, nous accueillons une famille, avec des conjoints et des enfants qui vivent au rythme des affectations et des interventions du militaire, qui génèrent souvent des déménagements, des changements d'emploi, des trous dans la carrière. Ma question porte sur le conjoint en cas de décès du militaire. Quel constat portez‑vous sur l'accompagnement financier sur le long terme pour les familles touchées alors que la solde était parfois le seul revenu de cette famille ?

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Monsieur le président, nous avons déjà eu l'occasion de nous rencontrer lorsque, avec ma collègue Anissa Khedher, nous avons réalisé le rapport sur les blessés. Lorsque nous nous sommes rendues sur l'opération Barkhane avec ma collègue, nous avons pu constater que d'autres pays, dont l'Allemagne, avaient des infrastructures médicales qui étaient, disons, sous-utilisées et avec lesquelles nous pourrions coopérer pour accueillir nos blessés, si jamais il y avait eu de nombreux blessés lors d'une opération. Avez-vous également fait ce constat lorsque vous avez réalisé votre rapport et pensez-vous que cela serait possible ?

Ma seconde question porte sur les entreprises. Dans les marchés publics, au niveau des collectivités territoriales, il est aujourd'hui possible de mettre des clauses sociales pour embaucher des jeunes en difficulté. Ne pourrait-on pas mettre dans les marchés publics de la défense des clauses sociales afin d'accueillir des blessés pour leur réinsertion dans la vie civile ?

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Monsieur le président, j'ai échangé il y a quelques jours avec des officiers supérieurs qui ont attiré mon attention sur une forme de non-recours des militaires aux dispositifs dont ils pourraient bénéficier, comme on peut le constater dans le civil, que ces dispositifs soient issus du plan famille, par exemple la carte famille et le fait que le conjoint et les enfants puissent maintenant voyager même sans la présence du militaire, mais aussi pour des dispositifs plus anciens de type mot incompris. Cette notion de non-recours est-elle quelque chose que vous avez pu regarder, étudier ? Comment pouvons-nous lutter contre cela ?

Deuxième question : pourriez-vous revenir sur la question que vous avez abordée des différents statuts suite au décès, mort pour la France, mort en service, etc. ainsi que sur la question de la préparation opérationnelle ? Nous sommes en effet régulièrement sollicités, y compris par des familles de militaires qui ont été tués en opération. Vous évoquiez aussi l'extension de la notion de périmètre de l'opération extérieure. Allez-vous jusque-là et sinon, pourquoi ?

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Monsieur le président, vous avez souvent à traiter la problématique de la condition militaire, pour les militaires actuels et les militaires en place. Avez-vous mené une réflexion sur ceux qui ne sont pas là ? Je vais aller plus loin. Nous avons un problème de vacances sur certains métiers militaires, des ouvertures ont été faites lors de la dernière loi de programmation militaire, notamment au niveau de contractuels. Nous savons bien que, sur certains métiers liés au cyber, la condition militaire peut être non attractive. Avez‑vous mené une réflexion pour que la condition militaire puisse se conjuguer aussi avec des profils de plus en plus recherchés pour que notre armée ait toute la palette nécessaire afin de répondre sur les différents théâtres ?

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Francis Lamy

Je vous remercie pour toutes ces questions qui sont particulièrement riches, nombreuses et diverses. J'y répondrai en distinguant ce qui a trait au treizième rapport et ce que je suis en mesure de dire concernant les pensions militaires de retraite.

Madame la députée Khedher, nous nous étions rencontrés dans le cadre de la préparation de votre rapport. S'agissant de la reconversion, de la réadaptation et des autres questions qui ont été posées sur ce thème, c'est effectivement un sujet sur lequel nous avons constaté, dans notre rapport, qu'il y avait un certain nombre d'améliorations possibles et souhaitables et qu'il faut aller dans cette direction. Autant ce qui se passe juste après la blessure est tout à fait satisfaisant, autant la suite, qu'il s'agisse de longues durées ou que l'on soit dans cette période pendant laquelle on se prépare au retour à l'activité, doit pouvoir s'améliorer.

Je donnais l'exemple de l'agence de reconversion de la défense. Celle-ci a mis en place de nouveaux dispositifs. Il faut peut-être lui laisser encore un peu de temps. Nous devrions pouvoir avoir des chiffres et des résultats meilleurs que ceux qui ont été observés en 2018 et qui, objectivement, paraissaient relativement modestes.

En ce qui concerne le « mur administratif », M. le contrôleur général a pu le constater lui-même puisqu'il a dû feuilleter dix-neuf codes pour procéder à une analyse et une observation de la complexité de l'ensemble des dispositifs applicables. L'ensemble de ces droits, de ces mécanismes de reconnaissance et d'indemnisation sont éparpillés dans dix-neuf codes ! Il y a de très bonnes raisons à cela mais, évidemment, c'est un obstacle pour le militaire. Un point est essentiel, le temps de la procédure, c'est-à-dire de la reconnaissance des invalidités. Comme vous le savez, un gros effort a été fait par le ministère des Armées et nous avons observé une réduction des délais. C'est un point essentiel. Nous ne sommes pas encore arrivés au terme de la réduction des délais mais des progrès significatifs ont pu être observés.

En ce qui concerne les personnels du service de santé des armées, ceux-ci sont effectivement soumis à des situations qui, parfois, en termes d'effectifs se traduisent par une forte tension d'effectifs, à des situations qui sont difficiles. Il y a aussi la tentation de partir à partir d'un certain moment de la carrière. C'est un point que l'on observe, parce que la concurrence avec le secteur privé ou le secteur public est extrêmement vive et c'est un point d'attention très important, qu'il faut avoir à l'esprit.

M. le député Charles de la Verpillière et certains de ses collègues ont parlé du plan famille. Le plan famille a effectivement été décliné sur ce sujet-là. Vous savez que c'est un concept que le Haut Comité lui-même avait imaginé il y a quelques années d'avoir une action concentrée sur les familles des militaires. Les familles des militaires, comme certains d'entre vous l'ont souligné, sont dans une situation tout à fait particulière, non seulement parce que l'un des parents est militaire avec tout ce que cela comporte pour celui-ci comme risques, comme engagement, comme possibilité d'être atteint dans sa chair voire de mourir. Il y a aussi la vie quotidienne qui est tout à fait particulière, notamment du fait de la mobilité. Nous pourrons vous donner des chiffres. Le taux de mobilité des militaires, des officiers particulièrement, mais aussi des sous-officiers et des gendarmes, notamment des gendarmes officiers, est beaucoup plus important que dans la fonction publique. Il faut prendre en compte ces contraintes particulières à travers des dispositifs qui sont déclinés par le plan famille.

Pour répondre à la question de M. le député Kervran sur l'information concernant le plan famille, le Haut Comité se déplace, il va au contact des militaires et nous procédons par tables rondes. Nous avons observé que, lorsque le plan famille a été lancé, il y avait un réel besoin d'information. L'accent a été mis ensuite sur la responsabilité de l'encadrement pour participer à la diffusion du plan famille. Nous avons pu observer, dès l'année dernière, une amélioration significative de l'information et de la connaissance du plan famille, pas forcément la connaissance de tous les mécanismes, mais de la connaissance du plan.

Monsieur le député Pueyo, vous avez posé une question sur le nombre important de militaires qui rompent leur contrat avant son terme. C'est effectivement un point que nous avons constaté, particulièrement dans l'armée de Terre en période probatoire. Dans tous les cas, il faut aborder ce problème dans l'ensemble plus vaste qui traite de l'attractivité et de la fidélisation. Il y a des militaires que les armées souhaiteraient pouvoir conserver dans leurs effectifs qui partent, pour des raisons diverses, pendant leur période probatoire ou, bien après, lorsqu'on leur propose un nouveau contrat. De ce fait, il faut recruter de façon importante. Lorsque l'on recrute de façon importante, il y a un risque que ceux qui ont été recrutés, du fait de taux de sélectivité qui n'étaient pas particulièrement optimaux, n'aillent pas au terme de leur contrat.

Concernant toujours la blessure et la maladie, Monsieur le député Marilossian, vous avez parlé de la préparation des personnels militaires du service de santé des armées aux opérations. Nous l'avons constaté nous-mêmes. Des médecins et des personnels soignants s'en sont ouverts à nous, lorsque nous sommes allés, M. le contrôleur général et moi-même, dans la bande sahélo-saharienne. Ils ont exprimé le souhait d'être davantage entraînés au tir lorsqu'ils sont en unités en métropole. Ils ont aussi attiré notre attention sur le fait qu'il fallait veiller à ce qu'ils aient des armes qui soient en aussi bon état que celles de leurs camarades. C'est un point d'attention qu'il faut avoir, le commandement en est tout à fait conscient.

Plusieurs d'entre vous ont parlé du rôle important des entreprises. C'est un constat qu'a fait aussi le Haut Comité. Beaucoup d'entreprises expriment leur disponibilité pour accueillir des militaires. Nous avons évoqué tout à l'heure des obstacles administratifs qui pourraient être levés. C'est clairement dans cette direction qu'il faut aller, c'est-à-dire lever les obstacles et faire en sorte que les entreprises qui le souhaitent puissent accueillir des militaires qui sont dans des périodes de retour à l'activité.

Madame Trastour-Isnart, vous avez évoqué la question des clauses de marché. Il y a effectivement des clauses sociales depuis longtemps en matière de marché public et il y a des expérimentations qui sont en cours, je crois, concernant les marchés publics pour favoriser les entreprises qui ont recours à des militaires blessés.

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Olivier Maigne, contrôleur général des armées

Nous pourrions aussi le prévoir pour les conjoints survivants.

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Francis Lamy

C'est effectivement une idée qui est intéressante.

Je peux maintenant parler des pensions militaires de retraite puisque c'est un sujet qui est attendu. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le président Chassaigne, je ne suis pas en mesure d'exprimer le point de vue du Haut Comité lui-même puisqu'il n'a pas encore pris parti sur un projet de rapport.

Néanmoins, le Haut Comité a déjà eu l'occasion de s'exprimer sur le sujet. Comme je le disais tout à l'heure, il y a une « doctrine » du HCECM en matière de pensions militaires de retraite. Elle est exprimée dans son rapport de 2010, dans lequel il soulignait déjà que les pensions militaires de retraite, en France, étaient utilisées aussi comme instrument de gestion des ressources humaines des armées, pour servir des objectifs de défense et pour pouvoir déterminer, en fonction de ces objectifs de défense, un certain format d'armée. Ce format d'armée doit notamment répondre à l'impératif de jeunesse des forces armées. D'ailleurs, cela remonte loin dans l'histoire de France puisque, quand on s'intéresse à l'histoire des pensions militaires de retraite – et M. le contrôleur général s'y est intéressé de très près – on voit que, depuis la fin du Premier Empire, les pensions ont systématiquement servi à ce type d'objectif.

On pourrait imaginer d'autres dispositifs qui viendraient déterminer des formats d'armée, qui viendraient garantir l'impératif de jeunesse des forces armées, d'autres instruments mais ils ne sont pas dans la culture française. Je pense à des dispositifs qui consisteraient par exemple à très bien payer les militaires pendant leur période d'activité et à leur donner ensuite un pécule important pour les faire partir quand on voudrait les faire partir, éventuellement sans pension viagère. Ce sont des systèmes qui sont tout à fait concevables en théorie, mais qui ne sont pas dans notre tradition.

Quand on regarde l'histoire des pensions militaires de retraite, notre tradition est de maintenir un lien entre l'institution militaire et l'ancien militaire à travers le système de pension, de veiller à ce qu'ensuite il puisse avoir une deuxième carrière professionnelle. Ceci est presque à mettre en parallèle avec l'interdiction du mercenariat, mercenariat qui est étranger à la culture des militaires français. Pour pouvoir assurer l'effectivité de cette interdiction du mercenariat, mieux vaut offrir au militaire lorsqu'il quitte son activité, la possibilité et les moyens de recommencer une deuxième carrière.

Je voudrais souligner puisque, Madame la présidente, vous avez rappelé mon appartenance au Conseil d'État, le point suivant : le Conseil d'État dans son avis, qui est maintenant public, a dit un certain nombre de choses en examinant l'article 37 du projet de loi qui comporte des dispositions particulières applicables aux militaires. Je dois vous dire que le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire peut se retrouver entièrement dans ce qui a été dit dans cet avis du Conseil d'État. Je vais en rappeler la substance parce que c'est important.

Dans son avis, le Conseil d'État a dit qu'il examinait les règles particulières applicables aux militaires au regard des impératifs de la politique de défense. Il a dit qu'il les examinait au regard du principe constitutionnel de nécessaire libre disposition de la force armée. C'est la décision du Conseil constitutionnel de 2014 (2014-432 QPC). Il a souligné également dans son avis, comme le Haut Comité l'avait dit dans son rapport de 2010, que les règles dérogatoires qui existent actuellement dans le code des pensions militaires de retraite obéissent à des finalités de gestion des ressources humaines des armées. Il a évoqué l'impératif de jeunesse des forces armées, la nécessité d'aptitudes physiques particulières. Il a évoqué la nécessité de carrières brèves et la nécessité ensuite, pour le militaire, lorsqu'il quitte l'armée de pouvoir entamer une deuxième carrière.

Ces points sont absolument essentiels. Ils sont absolument essentiels parce qu'ils disent précisément toute la singularité des pensions militaires de retraite. Le Haut Comité a toujours, lorsqu'il est intervenu sur le sujet, mis en avant le fait que les pensions militaires de retraite obéissent à ces finalités particulières, qu'elles obéissent également à une finalité de reconnaissance de la condition militaire et que l'on ne peut pas évoquer les pensions militaires de retraite en les regardant comme un avantage vieillesse, comme une simple assurance vieillesse. Il y a certes une dimension d'assurance vieillesse. À partir d'un certain âge, il faut pouvoir disposer de ressources. De ce point de vue là, c'est aussi le cas des militaires. Mais il y a une autre dimension : une dimension de gestion des ressources humaines des armées pour déterminer un certain format d'armée et il y a aussi un élément de reconnaissance et un élément de la condition militaire.

Il y a un point qui me paraît très important dans le projet de loi qu'a déposé le gouvernement. C'est ce que le Conseil d'État a estimé comme devant être rajouté. Le Conseil d'État a estimé qu'il était nécessaire, j'insiste sur ce mot, d'ajouter un article dans le code de la Défense, tout en haut du statut. Il a proposé au gouvernement un article L4111-1-1 qui dit la chose suivante : « Les dispositions du chapitre quatre – c'est-à-dire celles qui sont relatives aux militaires et qui figurent dans le code de la Sécurité sociale – concourent aux objectifs de la défense et permettent d'adapter à ces objectifs la structure des forces armées. Elles constituent une composante de la condition militaire. » C'est très important parce que c'est en quelque sorte l'article chapeau des règles particulières applicables aux militaires. Ces règles particulières figurent dans le code de la Sécurité sociale. Cet article chapeau, qui figure quant à lui dans le code de la Défense, donne le sens de ces dispositions particulières et précise que c'est un élément de la condition militaire. Cela me paraît très important, parce que c'est la définition du sens profond de ce que sont ces règles qui, dans le projet de loi, bien que figurant dans le code de la Sécurité sociale, ont ce sens particulier.

Cela me paraît également important sous un autre angle. Le Conseil d'État a suggéré, en termes de gouvernance, que des compétences soient reconnues, par exemple au Conseil supérieur de la fonction militaire, pour donner des avis sur ce sujet. C'est vrai que, quand on met en place un dispositif nouveau, puisque ce système universel de retraite par points est un dispositif entièrement nouveau, la question que l'on se pose, s'agissant des militaires, puisqu'il y a des règles particulières, est de savoir comment ces règles particulières vont vivre. Comment ces règles particulières vont-elles évoluer, être le cas échéant adaptées ? Puisqu'il va y avoir des décrets qui seront pris, qu'il va y avoir une ordonnance, comment les mesures d'application seront-elles pilotées en termes de gouvernance ?

J'exprime là un point de vue personnel, mais il me semble que, quand on lit le projet d'article L4111-1-1 et qu'on lit que ces règles particulières concourent aux objectifs de la défense et permettent d'adapter à ces objectifs la structure des forces armées, qu'elles constituent un élément de la condition militaire, je lis personnellement cette disposition comme signifiant que, pour leur suivi, pour leur évolution éventuelle, pour les mesures d'application, le ou la ministre en charge des armées devra être associé à la préparation de ces mesures. C'est le premier point.

Le deuxième aspect dont je voulais parler est qu'un certain nombre de points seront précisés par décret et seront importants car ils auront une forte incidence sur les pensions militaires : âge d'équilibre, modalités de bonification…. Quand on regarde le projet de loi et ses fondamentaux, un certain nombre de fondamentaux des pensions militaires de retraite sont là, à savoir la retraite à jouissance immédiate, la possibilité d'avoir une deuxième carrière… Le cœur des pensions militaires de retraite est là mais l'article L4111-1-1, article chapeau qui donne le sens, devra aussi guider la façon dont les points organisés par décret devront être conçus.

Comme vous le savez, un très grand nombre de militaires, ceux qui ont des carrières très courtes, ne bénéficient pas actuellement et ne vont pas bénéficier de ces dispositifs particuliers, parce qu'ils partiront au bout de cinq ou dix ans. Concernant ces militaires, le système universel de retraite, à travers la prise en compte des bonifications, devrait pouvoir apporter, dans son principe, une réponse tout à fait satisfaisante à leur situation.

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Vous utilisez le mot « pension militaire de retraite ». Cela me chagrine un peu parce que dans l'article 37, on parle déjà de retraite. Pour moi, un militaire touche une pension mais pas une retraite. Cette pension a été faite, comme vous l'avez dit, pour gérer les effectifs, pour éviter d'avoir une armée trop âgée. C'est donc structurel, par rapport aux contraintes et aux sujétions du militaire. Vous avez aussi dit que c'est pour éviter d'aller dans le mercenariat. Je pense que cela a dépassé peut-être votre pensée, parce que le militaire français est un guerrier valeureux, c'est-à-dire quelqu'un qui est prêt à faire la guerre, mais avec un champ de valeurs qui dépasse le mercenariat.

Mais, dans votre propos, vous le dites et c'est ce qui me chagrine un peu, vous parlez de « pension militaire de retraite ». Il faut scinder le mot « pension » et le mot « retraite ». Le soldat qui fait une carrière a des sujétions et des servitudes exorbitantes qui peuvent aller jusqu'au sacrifice suprême d'un côté et de l'autre côté, la nation tout entière concède une pension parce qu'il fait cela pendant un certain temps. Lorsqu'il quitte le service, il ne va pas à la retraite. En fait, il est pensionné. Peut-être avez-vous la réponse et vous m'excuserez d'être un peu pointu ou incisif sur ce sujet, mais je pense que c'est important de bien nommer les choses.

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Dans nos propos liminaires, les choses ont été précisées, mais c'est un point important que je vous laisse reprendre.

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Une précision, le mercenariat n'est pas dans la culture française. D'ailleurs, le futur système de pension lui-même, dans cette logique de mutuelle, cherche à garder le lien sur des valeurs. Tout cela est parfaitement cohérent. Le système de pensions permet de maintenir le lien.

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Francis Lamy

La terminologie a son importance. Il y a le droit positif actuel, en vigueur, qui parle de « pension militaire de retraite », termes que je reprends et il y a ce qui est le projet de loi. Les terminologies sont différentes. Le Président de la République lui-même s'est exprimé. Le terme de « pension » me va tout à fait. Ensuite, c'est au législateur de prendre ses responsabilités.

Il y avait une question tout à l'heure sur le code de la Défense. Le Conseil d'État a dit, dans son avis, que les dispositions qui figurent actuellement dans l'article 37 auraient tout à fait leur place dans le code de la Défense, bien sûr. Il n'a pas été en mesure de tout recodifier. Ce sur quoi je voudrais insister, c'est qu'il est essentiel qu'un article chapeau définisse ce que c'est fondamentalement dans le code de la Défense, avec cet article L.4111-1-1. Ensuite, le législateur a sa marge d'appréciation et c'est une question de choix. Il n'y a pas, en soi, d'obstacle constitutionnel à ce que ce soit dans le code de la Sécurité sociale.

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Olivier Maigne, contrôleur général des armées

Je vais compléter avec quelques éléments plus terre à terre, en lien avec à la fois le treizième rapport thématique et la Revue annuelle qui l'accompagnait à la fin de l'automne. Sur la question de l'ampleur des départs dans la période probatoire, c'est-à-dire pendant les six premiers mois des jeunes militaires, essentiellement chez les jeunes militaires du rang, le Haut Comité rend compte de l'importance de ces taux qui sont en progression depuis 2015. Ils peuvent atteindre dans certaines forces armées près de 30 %. Je pense que la première explication est qu'entrer dans la vie militaire, c'est un choc ! La vie quotidienne dans une unité opérationnelle des forces armées est un choc par rapport au confort relatif d'un lycéen ou d'un tout jeune étudiant. Il y a une sorte de rugosité à rentrer dans la vie militaire et cela peut, au tout début d'une carrière militaire, conduire à des départs un peu précipités.

Ensuite, si on regarde sur le long terme, on se rend compte que ces départs précoces ont toujours existé. Le Haut Comité s'était beaucoup intéressé à un certain nombre de comptes rendus inquiétant des unités parachutistes des années 70, dans lesquels les chefs de corps se plaignaient du taux extrêmement important de dénonciation de contrat dans les six premiers mois, qui étaient de 33 à 37 %. Il y a donc aussi une continuité.

Le Haut Comité a également observé que, en fonction des pratiques mises en œuvre dans telle ou telle unité, des éléments permettent parfois de contenir ce taux. En adaptant ses pratiques et en créant une phase de découverte de la vie en caserne avant l'incorporation, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris a, par exemple, réussi en quelques années à diminuer le taux de rupture dans la période probatoire d'un taux qui était supérieur à 22 % à un taux un petit peu supérieur à 15 %. Tout dépend de la façon dont vit chaque unité, dont chaque militaire intégrant les armées est accompagné. C'est un travail de tous les jours, qui va dépendre beaucoup du positionnement de chacun des militaires impliqués dans le système de formation.

Sur la partie fidélisation que plusieurs d'entre vous ont abordée, le Haut Comité fait depuis plusieurs années le constat que la fidélisation se fragilise lorsque le militaire a entre 30 et 40 ans, lorsqu'il accède à une vie de famille. La plupart du temps, le militaire a vécu des années qui l'ont intéressé en tout début de carrière. Il n'est pas rare de rencontrer des militaires du rang qui, après cinq ans, quittent ravis les forces armées en disant : « Pendant cinq ans, j'ai vu des opérations intérieures, des opérations extérieures. J'ai vécu l'aventure que je souhaitais vivre en rejoignant les forces armées. Je l'ai vécue et maintenant je passe à autre chose, je suis content. » Pourquoi ? Parce que les modalités de vie quotidienne d'un militaire s'accompagnent de beaucoup de sujétions, de beaucoup de contraintes qui pèsent sur le militaire lui-même, mais aussi sur sa famille.

C'est la raison pour laquelle le Haut Comité a toujours beaucoup accompagné cette affirmation d'une politique déterminée en direction des familles pour précisément aider les familles à ne pas subir les contraintes de l'état militaire. Ces contraintes sont réelles sur les conjoints. Aujourd'hui, le taux de conjoints actifs est celui de la société civile, mais le taux de contrat à durée déterminée est supérieur de 8 points à la moyenne nationale dans les tranches d'âge concernées. Le taux de travail à temps partiel est de 9 points supérieur à la moyenne, le chômage est légèrement supérieur alors que le profil socio-économique des conjoints est similaire à celui des personnes de la même tranche d'âge. Tout cela a des répercussions financières : le revenu individuel moyen des conjoints de militaire est inférieur de 30 % à ceux que l'on peut observer parmi les conjoints de fonctionnaires de catégorie A ou B. Ce sont les réalités de l'état militaire. L'ampleur des absences, l'ampleur des mobilités géographiques perturbent les parcours professionnels de ces conjoints. Un jeune couple qui a entre 30 et 40 ans, qui commence à s'installer, qui commence à avoir des enfants, peut vivre difficilement cette situation. Le Haut Comité a toujours insisté sur cette difficulté pour inviter à accompagner ces situations de façon à ne pas fragiliser la fidélisation de cette tranche des 30 - 40 ans qui forment l'ossature du commandement intermédiaire, de l'expertise technique dans un certain nombre d'unités ou de centres d'expertise.

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Francis Lamy

Vous avez posé tout à l'heure une question concernant les familles de militaires décédés. Le système actuel de délégation de solde pour les militaires qui meurent en opération fonctionne de façon tout à fait satisfaisante et la réforme actuelle du système universel de retraite ne change absolument rien à ce dispositif. C'est un système qui fonctionne très bien.

Ensuite, il y a d'autres formes d'accompagnement qui peuvent se rajouter. Nous avons pu observer que, au fur et à mesure que le temps passe, le lien a tendance forcément à se distendre entre la famille et l'unité d'origine du militaire décédé. Il faut bien voir qu'il y a des situations dans lesquelles le lien se distend mais cela ne se fait pas sur fond de désaccord ou d'une situation qui ne devrait pas exister. Cela provient parfois de la famille elle-même. En tout cas, d'un point de vue matériel, la situation est satisfaisante.

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Monsieur le président, pourriez-vous répondre à la question sur ces militaires qui ne meurent pas de l'acte d'un tiers, mais qui meurent au feu pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, pour nos trois militaires qui sont morts dans un puits sur l'opération Harpie du fait d'une émanation de gaz toxique, ou ces militaires qui meurent dans le cadre de leur préparation à la projection en OPEX ? Quelle est votre position sur le statut « mort pour la France », « en service », etc. et les conséquences que cela entraîne, notamment pour les enfants ?

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Francis Lamy

C'est la question des morts au service de la Nation. Il existe des dispositions qui sont tout à fait claires. Vous savez dans quel contexte cette nouvelle catégorie a été créée. Il y a les morts pour la France, les victimes du terrorisme et les morts au service de la Nation. Cette dernière catégorie a été créée à la suite des attentats de Toulouse. Cela ne s'applique d'ailleurs pas seulement aux militaires mais cela peut s'appliquer également à des policiers, à des enseignants. Dès lors que quelqu'un a été tué à raison de la fonction qu'il exerce, c'est un cas d'ouverture de cette nouvelle forme de reconnaissance. Cela concerne aussi des morts en opération dans des circonstances exceptionnelles.

De ce point de vue là, il y a une cohérence à laquelle il faut s'attacher. Un entraînement ne me paraît pas relever de ce qu'a voulu le législateur qui avait créé cette reconnaissance. Cela ne correspond pas à ce qui est prévu. En revanche, quelqu'un qui, même en dehors d'une opération extérieure, est amené à décéder – vous donniez l'exemple de l'opération Harpie en Guyane – cela doit pouvoir s'y rattacher dès lors que cela présente un caractère suffisamment exceptionnel d'intensité et de danger.

Pour apporter quelques précisions sur la connaissance qu'ont les militaires de leur pension, nous avons observé en parlant avec des militaires qu'ils ne sont pas dans une situation tellement différente de leurs concitoyens. Ils ne connaissent pas tous forcément leur situation. Nous avons pu observer que, malgré les rappels très clairs faits par la ministre concernant l'application du nouveau dispositif et y compris concernant le dispositif actuel, un certain nombre d'entre eux ne connaissent pas leur situation. En réalité, la question de la retraite, des pensions qu'elles soient militaires ou pas, a toujours une dimension anxiogène et ce qui est anxiogène a tendance à émerger soit dans des périodes de changement, soit lorsque l'on se rapproche de l'échéance. On se rend alors compte que l'on ne connaît pas les règles en vigueur.

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Olivier Maigne, contrôleur général des armées

Sur la connaissance des autres prestations, nous sommes dans la droite ligne de ce que vient de dire le président Lamy. Un militaire jeune -un militaire dans une unité opérationnelle est très jeune- est focalisé sur ce qu'il est venu chercher au sein des forces armées. Il n'est pas du tout focalisé sur des réalités, qui lui paraissent très éloignées, de soutien social ou de processus de solde ou de pensions de retraite.

Ce sont les structures de soutien de proximité qui peuvent lui expliquer ce à quoi il a droit, comment il peut accéder à telle ou telle prestation, d'où l'importance de toutes les structures de soutien, d'administration générale et de soutien commun à proximité des unités opérationnelles, qui sont à même de délivrer au plus près une explication claire et pédagogique pour expliquer aux uns et aux autres ce à quoi ils ont droit.

Le Haut Comité s'est beaucoup intéressé à la transformation de l'administration militaire depuis 2010, en notant la perturbation de la culture administrative. L'accès des militaires à leurs droits a été beaucoup perturbé. Actuellement, le Haut Comité suit avec beaucoup d'attention les évolutions des groupements de soutien des bases de défense, l'apparition des espaces « accès en tout temps tout lieu au soutien » ( ATLAS) qui vont permettre justement de faciliter l'accès de chaque militaire à une information de proximité adaptée à son niveau de compréhension et à ses besoins. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir et c'est un besoin très important pour l'ensemble de la communauté militaire.

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Francis Lamy

En complément de ce que disait M. le contrôleur général concernant l'information, je voulais préciser que, dans certains moments particuliers comme c'est le cas actuellement, avec des informations importantes telles que celles qui concernent le fait de savoir à partir de quand un militaire va rentrer dans le nouveau dispositif, il y a eu des explications très claires qui ont été apportées par la ministre. Je dirais que le commandement a aussi une responsabilité particulière ; c'est sa responsabilité dans ces moments-là de contribuer à la diffusion de l'information et ceux que nous avons rencontrés en sont parfaitement conscients et s'investissent dans leur rôle.

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Un grand merci, Monsieur le président, Monsieur le contrôleur général, pour ces précisions très utiles et très importantes.

La séance est levée à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Stéphane Baudu, M. Thibault Bazin, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Séverine Gipson, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, Mme Anissa Khedher, M. Fabien Lainé, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Sylvain Brial, M. Alexis Corbière, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Laurent Furst, M. Thomas Gassilloud, M. Stanislas Guerini, M. Christian Jacob, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Jean Lassalle, M. Didier Le Gac, M. Gilles Le Gendre, M. Franck Marlin, M. Jean-François Parigi, M. Gwendal Rouillard, M. Joachim Son-Forget, Mme Sabine Thillaye, M. Patrice Verchère