Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • RIDL
  • antivectorielle
  • génétique
  • moustique
  • oxitec
  • technologie
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COMMISSION D'ENQUÊTE CHARGÉE D'ÉVALUER LES RECHERCHES, LA PRÉVENTION ET LES POLITIQUES PUBLIQUES À MENER CONTRE LA PROPAGATION DES MOUSTIQUES AEDES ET DES MALADIES VECTORIELLES

13 février 2020

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

(Présidence de Mme Valérie Thomas, secrétaire du bureau de la commission d'enquête)

La commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles procède à l'audition du Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du Haut Conseil des biotechnologies (HCB), président du comité scientifique du HCB, M. Emmanuel Roques, secrétaire général, M. Pascal Boireau, vice-président du comité scientifique, Mme Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle, et Mme Lucie Guimier, responsable scientifique en charge des questions de science et de société.

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Mesdames et messieurs, chers collègues, je vous souhaite la bienvenue. Nous continuons nos auditions en vous écoutant aujourd'hui en audition conjointe. Vous êtes plusieurs représentants du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) qui, à la demande du gouvernement, a rendu en juin 2017 un avis relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés (GM) dans le cadre de la lutte antivectorielle.

Monsieur Jean-Christophe Pagès, vous êtes le président par intérim du HCB et le président du comité scientifique. Monsieur Emmanuel Roques, vous êtes secrétaire général. Monsieur Pascal Boireau, vous êtes vice-président du comité scientifique. Madame Catherine Golstein, vous êtes responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques GM dans le cadre de la lutte antivectorielle. Enfin, madame Lucie Guimier, vous êtes responsable scientifique en charge des questions de science et de société.

Je vous rappelle que les auditions de la commission d'enquête sont publiques, et que par conséquent elles sont diffusées en direct et en différé sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Avant de vous passer la parole, je vous remercie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C'est pourquoi je vous invite à lever la main droite les uns après les autres et à dire : « Je le jure ».

MM. Pagès, Roques, Boireau et Mmes Golstein et Guimier prêtent successivement serment.

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

Je n'ai, pour ma part, aucun intérêt dans les questions de lutte antivectorielle. Par ailleurs, nous publions une déclaration publique d'intérêts sur le site du HCB si vous aviez besoin d'avoir des éléments complémentaires.

Le cadre de notre avis avait été défini par une saisine qui nous avait été transmise le 12 octobre 2015 par Ségolène Royal, alors ministre de l'environnement, et qui nous demandait d'établir un état des lieux de la recherche en matière de commercialisation de moustiques GM, de techniques de production et de l'intégration de ces moustiques dans le cadre de la lutte antivectorielle. Le deuxième point concernait les systèmes d'évaluation pour ces moustiques GM, tant sur le plan international, européen, que national. Le troisième point portait sur l'utilisation de ces moustiques dans des phases expérimentales. À l'époque, une société unique pour les moustiques GM s'était positionnée. Enfin, comme il est de tradition pour les avis du Haut Conseil, nous pouvons être interrogés sur les aspects de bénéfice et de risque de l'utilisation de ces moustiques en France métropolitaine et sur l'ensemble des départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer (DROM-COM).

Pour répondre à cette saisine, qui était particulièrement complexe et d'un genre relativement nouveau pour le Haut Conseil où nous avons l'habitude de traiter des saisines plutôt réglementaires plantes et thérapies géniques, nous avons constitué un groupe de travail en collaboration étroite avec un organisme qui n'existe plus aujourd'hui, mais dont les prérogatives ont été reprises en grande partie par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), et le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV). Ce groupe de travail était relativement large. Nous avions sollicité des membres supplémentaires pour des questions particulières, notamment pour les maladies, les impacts sur la transfusion sanguine, les impacts en anthropologie, de façon à couvrir à la fois les aspects scientifiques, mais également les aspects socioéconomiques qui se liaient à cette lutte antivectorielle.

Comme vous le savez, le territoire français est bien au-delà de la métropole. Cela couvre une diversité biologique qui est particulière en matière de lutte antivectorielle. Les moustiques et autres insectes qui peuvent être des vecteurs de maladies virales ou parasitaires sont extraordinairement divers et selon les territoires, ont une répartition parfois isolée pour le genre Aedes et parfois groupée pour d'autres genres.

La situation était particulièrement compliquée. Nous avons dû aborder un très grand nombre d'aspects de la biologie de ces maladies vectorielles, qui va concerner à la fois les moustiques vecteurs, leur rapport au territoire français, l'hétérogénéité en matière de compétence vectorielle, la distribution, les considérations bioécologiques, ainsi que les considérations d'écologie fonctionnelle de ces vecteurs.

Pour essayer de simplifier cette diversité, nous avons sélectionné des techniques, puisqu'il nous était demandé une analyse comparative. Il n'était pas uniquement question de se pencher sur les moustiques transgéniques. Nous avons regroupé onze techniques différentes et trente paramètres qui étaient regroupés dans quatre grandes catégories :

– les objectifs visés, qui sont particulièrement importants selon que l'on cherche à réduire ou éliminer une population de vecteurs ou à la remplacer ;

– les objectifs en matière d'efficacité et de durabilité, à la fois sur le plan entomologique, dans le temps et l'espace ;

– les contraintes techniques qui étaient liées à ces différentes techniques de lutte antivectorielle ;

– les risques pour l'environnement et la santé.

Les moustiques transgéniques s'inscrivent dans l'ensemble de l'arsenal thérapeutique et de moyens de prévention pour les maladies vectorielles. Pour un grand nombre de ces maladies, malheureusement, il n'y a pas de ressources thérapeutiques étiologiques, et donc nous sommes obligés de faire appel à des moyens de prévention. Les traitements préventifs sont d'usage relativement limité selon les maladies. Les vaccins n'existent pas pour l'ensemble des viroses concernées. Nous faisons donc appel à des moyens de lutte antivectorielle. Nous n'allons pas travailler sur le pathogène, mais sur son vecteur. Il existe des méthodes que vous connaissez parfaitement – chimique, biologique, physique et environnementale – et des techniques dites émergentes, qui faisaient appel aux moustiques transgéniques.

Les moustiques transgéniques qui nous ont intéressés étaient ceux qui utilisaient la technique « Release of Insects carrying a Dominant Lethal » (RIDL) de réduction de population développée par la société Oxitec. Nous avons malgré tout étudié les questions de forçage génétique, quand bien même à l'époque il n'y avait pas de modèle qui soit utilisable en dehors des laboratoires. Nous avons comparé cela à des techniques relativement proches, comme celle de l'insecte stérile par irradiation ou celle qui repose sur la bactérie endogène Wolbachia. Relativement complexe, cette bactérie peut avoir deux types d'actions : une action de réduction de population par incompatibilité cytoplasmique, donc de reproduction, et une action de diminution des capacités vectorielles des moustiques.

Pour synthétiser et replacer les techniques que nous avons étudiées, je vous présente ici un cycle de vie des moustiques avec l'état adulte, l'état larvaire, la reproduction.

(image non chargée)

Sont surlignés les systèmes d'insecte stérile RIDL et d'incompatibilité qui ne touchent que les moustiques adultes, bien que pour la technique RIDL, l'impact soit sur le développement larvaire. Les autres moyens de lutte, eux, peuvent toucher les différents stades du développement du moustique.

Nous avons fait une typologie de chacune des techniques relativement précise en reprenant les éléments saillants qui sont communs à ces différentes techniques – la technique de l'insecte stérile (TIS), la technique de l'insecte incompatible (TII) et la technique RIDL – et qui reposent toutes sur le lâcher de mâles stériles ou stérilisants qui vont bloquer la chaîne de reproduction des moustiques dans un endroit donné.

(image non chargée)

Ce qui va être important dans chacune de ces techniques, c'est par exemple la vigueur des mâles irradiés, de sorte qu'ils aient des capacités reproductives et que cela puisse contribuer à diminuer les populations, et les éléments de résistance comportementale, puisque dans les mâles irradiés, on peut suspecter un manque de vigueur du fait de l'irradiation. Pour les techniques comme le TII et RIDL, les moustiques sont théoriquement en bonne santé. En revanche, il pourrait y avoir des biais de reproduction et c'est ce qui est regroupé dans les techniques de résistance comportementale qui peuvent altérer l'efficacité de ces relargages.

Notre rapport était relativement complet. Je vous invite à nous poser des questions et à vous y reporter.

Il est important de comprendre que toutes ces techniques s'inscrivent dans des objectifs partagés, soit de réduction de population que l'on va retrouver pour la technique de l'insecte stérile RIDL ou une des techniques Wolbachia et une partie des techniques de forçage génétique, soit de modification de population que l'on va retrouver essentiellement pour Wolbachia et pour le forçage génétique. Ce qui peut permettre également de regrouper de grandes catégories est de savoir si ces techniques vont se déployer dans l'environnement comme les techniques dites autoentretenues qui concernent le forçage génétique et les techniques Wolbachia, ousi elles vont être plutôt limitées dans un espace, comme les techniques TIS, RIDL et une partie de Wolbachia. Des luttes conventionnelles, comme la lutte biocide ou la lutte biologique ont aussi ce type de répartition, donc sont essentiellement limitées. On va pouvoir développer les luttes environnementales à l'échelle temporaire. C'est ce que font les personnes en vidant par exemple les petits gobelets d'eau dans leur jardin ou en utilisant des moustiquaires. Elles vont être plus permanentes s'il s'agit d'épandage d'insecticides à grande échelle.

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Il n'y a pas de réel clivage d'objectifs entre les techniques qui mettent en œuvre des moustiques GM ou non GM, ni même entre les techniques qui sont dites classiques et les techniques innovantes. En matière de caractéristiques, elles ont aussi des points communs qui reposent donc sur les lâchers de moustiques et des objectifs de réduction ou de modification également. Nous mettons en exergue une complémentarité de ces techniques, notamment pour les techniques d'insectes stériles et de moustiques GM. Il faut les mettre en œuvre à des temps particuliers et éventuellement préparer le terrain pour les rendre efficaces.

Un autre point qui est très important à comprendre, c'est la spécificité d'action. Toutes ces techniques qui vont mettre en jeu une espèce particulière de moustique seront spécifiques de cette espèce. Cela a un avantage en matière environnementale qui est de préserver le reste de la biodiversité. Cela peut avoir un inconvénient de libérer une niche qui pourrait être occupée par d'autres espèces qui seraient elles-mêmes vecteurs. Là aussi, il va falloir bien étudier les territoires. En fonction des territoires, il y avait ou non coexistence d'Aedes albopictus et d' Aedes aegypti. Dans ces situations-là, il va falloir bien prendre garde à élargir ou utiliser quelque chose de très ciblé.

Les délais d'efficacité de ces techniques sont relativement longs. Nous ne pouvons pas les utiliser en période d'urgence sauf si nous avions la capacité d'avoir des lâchers extraordinairement massifs de moustiques. Même dans ces conditions-là, ce serait un petit peu difficile puisqu'il faut attendre au moins un cycle. De toute façon, les contraintes techniques sont pour l'instant trop importantes pour l'envisager.

Pour atteindre ces faibles densités, il va falloir soit préparer le terrain dans des périodes où les moustiques ne sont pas encore présents ou réduire la densité par des luttes plus conventionnelles.

Enfin, il y a des contraintes logistiques d'élevage et de sexage puisque l'on cherche à libérer des mâles stériles. Le sexage n'est pas une chose triviale pour les moustiques. Des techniques ont été développées et sont en constante amélioration. Ce n'est pas, notamment pour les moustiques transgéniques, un réel problème de libérer des femelles si ce n'est que cela augmente le risque de piqûre et les femelles ne seraient pas plus vecteurs que celles déjà présentes dans l'environnement. Néanmoins, il est important de libérer essentiellement des mâles.

Quand nous avons étudié le forçage génétique, il était vraiment à des stades de développement très en amont. Ce sont des techniques qui sont utilisées essentiellement en recherche. À l'époque, il n'y avait pas de réel gène cible qui puisse être utilisé dans des conditions ouvertes. Depuis, les choses ont un peu évolué. Catherine Golstein était récemment en Italie sur un site dans lequel il y a une expérience en grande cage qui est menée avec une souche de moustique de forçage génétique.

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Lucie Guimier, responsable scientifique en charge des questions de science et de société (HCB)

Je déclare n'avoir aucun conflit d'intérêts.

Sur le travail qu'a fait le comité économique, éthique et social (CEES) du HCB sur les moustiques, on lit en filigrane sa détermination à mesurer les avantages et les inconvénients des moustiques modifiés par les biotechnologies en fonction des critères suivants : quels bénéfices pour la santé publique ? Quelles implications socioéconomiques ? Quels impacts environnementaux ? Enfin, quelles exigences démocratiques et éthiques ?

L'appréciation et la prise en considération de ces différents critères ont conduit le CEES à préconiser un certain nombre de mesures conjuguées sur les plans administratif et politique. L'encadrement technique et juridique des moustiques GM n'est pas encore stabilisé. Certaines techniques donnent clairement lieu à l'obtention de moustiques « organismes génétiquement modifiés » (OGM) rentrant dans le cadre de la réglementation OGM, mais le statut juridique de certains moustiques fait parallèlement l'objet d'incertitudes.

En matière juridique, les approches diffèrent selon les États. Par exemple, en Australie, les moustiques transinfectés par Wolbachia relèvent de la réglementation vétérinaire, tandis qu'aux États-Unis ou au Brésil, cela relève de la réglementation biocide. Dans ce cadre, le CEES recommande de préciser le cadre juridique applicable, en prenant en considération la pluralité des qualifications juridiques de ces moustiques et donc des réglementations applicables (biocide, vétérinaire, OGM) et en retenant, en cas de doute sur la qualification juridique, la réglementation la plus contraignante.

Dans sa recommandation, le CEES préconise ensuite de clarifier le processus administratif de recours aux moustiques GM et d'imposer un suivi rigoureux des utilisations de ces moustiques, en mobilisant notamment les réseaux de santé publique existants, tels que les agences régionales de santé (ARS) et les instances en charge de l'évaluation des risques liés aux biotechnologies qui sont actuellement le HCB et l'ANSES.

Le CEES rappelle l'importance de considérer l'utilisation de moustiques modifiés par les biotechnologies comme un outil complémentaire dans la panoplie des stratégies de lutte antivectorielle, et non comme une stratégie de remplacement des autres méthodes. Les choix de ces technologies doivent être replacés dans une vision d'ensemble prenant en compte la notion de dynamique évolutive du vivant. Le CEES recommande d'intensifier les connaissances, notamment universitaires, sur les complexes vecteurs pathogènes hommes, et de poursuivre les recherches sur l'influence des choix technologiques sur les politiques de santé et les innovations.

Le CEES recommande évidemment la transparence sur les argumentaires sous-tendant la décision publique et les procédures assurant leur prise en compte. Il souligne également l'importance de la mise en débat des alternatives aux moustiques GM.

Pour finir – c'est le point le plus saillant du rapport – le CEES souligne l'importance d'associer la société civile au processus de décision et de suivi des stratégies reposant sur l'utilisation de moustiques GM. Il rappelle que l'utilisation de moustiques modifiés par les biotechnologies suscite des polémiques liées d'une part aux controverses qui ont marqué les OGM alimentaires, et il est à prévoir que l'usage d'insectes modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle ravive ces controverses.

Néanmoins, l'objectif de santé publique visé par l'utilisation de moustiques GM, et le fait que ces moustiques ciblés par la stratégie de réduction de populations soient porteurs d'une pathologie peut influencer plus positivement la population que dans le cas d'OGM à visée alimentaire. D'autre part, ces dernières années, plusieurs expériences de lutte antivectorielle se basant sur le recours à des moustiques GM ont montré une absence de débat avec les populations concernées, ce qui a pu exacerber les positions et engendrer des conflits.

Pour pallier ces situations, le CEES préconise de mettre en œuvre des moyens permettant aux citoyens de s'approprier les enjeux liés à ces technologies et d'en débattre, via notamment des campagnes d'information, des sites internet dédiés, l'organisation de débats publics, et de mettre en œuvre les formes appropriées de consultation et de concertation de la population. Le CEES propose aussi de moduler l'échelle de ces débats en fonction des caractéristiques et des stratégies nationales déployées au niveau local. Enfin, le CEES précise rester conscient que les projets co-construits n'offrent pas de garantie contre les éventuelles dissensions.

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Vous indiquez dans votre rapport, page 44, que « l'efficacité de la technique [RIDL] sur la transmission de maladies vectorisées par les moustiques […] n'est pas encore avérée sur le terrain ». Quelle est, selon vous, la principale raison de ce manque d'efficacité ?

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

Il me semble que cette citation de la page 44 était au sujet de l'efficacité épidémiologique. En effet, nous distinguons l'efficacité entomologique de l'efficacité épidémiologique. L'efficacité entomologique concerne l'impact sur les populations d'insectes ciblés de la technique. L'efficacité épidémiologique relève de l'impact sur la transmission des agents pathogènes par ces moustiques et donc la traduction en maladie dans la population.

Quand nous avons analysé les différentes expérimentations qui ont été faites avec ces moustiques RIDL, nous avons constaté une efficacité entomologique sur les populations d'insectes de manière locale et ponctuelle, le temps de l'expérience et sur la zone ciblée, qui était toujours assez réduite, mais l'efficacité entomologique est avérée dans le temps de l'expérimentation.

En revanche, nous n'avons pas de données à plus grande échelle, tout simplement parce que des expérimentations à plus grande échelle n'ont pas été menées. Par ailleurs, il n'y a pas de données d'efficacité épidémiologiques, à nouveau en raison de l'échelle. Ce n'est pas une spécificité des moustiques GM, puisque toutes les techniques basées sur des lâchers de moustiques n'ont pas fait l'objet d'études d'efficacité épidémiologique. On peut citer, parmi les méthodes conventionnelles qui ont fait l'objet d'efficacité épidémiologique, les moustiquaires et l'utilisation d'insecticides au sein du domicile. Dans le cadre de la malaria, nous avons des données prouvant l'efficacité épidémiologique, mais c'est un point important et difficile à documenter.

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

C'est une question de maturité, c'est-à-dire que nous n'avons pas le recul. Il faut un déploiement sur le long terme, puisqu'au moment où il y a des lâchers dans une zone, il n'y a pas nécessairement une épidémie de dengue ou de Zika qui se déploie. L'efficacité épidémiologique viendra nécessairement secondairement.

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Pascal Boireau, vice-président du comité scientifique (HCB)

Je n'ai pas de liens d'intérêt.

C'est un problème global à l'ensemble des méthodes de lutte antivectorielle qui n'ont pas de preuve indéniable, mis à part l'exemple qu'a cité Catherine Goldstein. En dehors de ces exemples limités et de méthodes portant de lourdes conséquences pour l'environnement, il n'y a pas de preuve patente d'efficacité en matière de transmission de maladies, même si l'on utilise un répulsif ou une méthode chimique classique, avec tous les avantages et les inconvénients que cela pose.

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Depuis la parution de votre rapport en 2017, avez-vous eu connaissance de nouvelles techniques ? Dans certains domaines, les choses avancent très, très vite. Y a-t-il de nouvelles techniques prometteuses ? Avez-vous pu en mesurer les intérêts et les désintérêts ?

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

Nous avons, par notre veille scientifique, identifié une technique de deuxième génération mise en place par Oxitec. Il n'y a pas eu de publication scientifique, mais sur son site, Oxitec a déclaré qu'il passait à une autre génération de techniques. Cette nouvelle technique a déjà fait l'objet d'expérimentations au Brésil, pour lesquelles nous n'avons pas de résultats. Elle fait également l'objet d'une demande d'autorisation d'expérimentation en Floride. J'imagine qu'Oxitec essaie d'améliorer ces moustiques GM et leur efficacité. Quand nous aurons une publication, nous analyserons la technique et ce qu'il en est.

Côté forçage génétique, il y a eu des publications qui montrent les progrès de la recherche. Les limites que nous avions identifiées dans les premières expérimentations concernaient notamment le développement d'une résistance au sein des populations. Celle-ci empêche le déploiement du forçage génétique et bloque sa progression au sein de la population, ce qui fait qu'un forçage génétique visant une élimination de population ne l'atteindra pas, du fait soit de polymorphisme préexistant dans la population, soit de mutations qui auraient été générées par le système de forçage génétique et auraient permis le rebond de la population. C'est la même chose pour les forçages génétiques à des fins de modification de population.

Un article de Kyros Kyrou et dautres chercheursa été publié en 2018, qui montre pour la première fois un forçage génétique en cage qui atteint l'élimination complète d'une population. Cette avancée a été faite par l'identification de zones extrêmement conservées dans le génome et la conception du forçage génétique basé sur ces zones. Si mutation il y avait, ces moustiques ne seraient pas viables, donc ne permettraient pas à la population de rebondir.

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Pascal Boireau, vice-président du comité scientifique (HCB)

Ce n'est pas tout à fait les moustiques GM, mais dans la lutte antivectorielle, il y a la lutte biologique, il y a des prédateurs, il y a des bactéries, il y a des parasites qui sont naturellement agressifs vis-à-vis du moustique. Effectivement, il y a une recherche, mais qui n'est même pas au stade de la phase en cage. À ce stade, on arme tel parasite, telle bactérie pouvant avoir un effet toxique sur le moustique. Il est à signaler que la technologie Oxitec n'a pas de toxiques sécrétés pour tuer le moustique. C'est un dérèglement génétique. Nous sommes face à des technologies diamétralement opposées, puisque là, il y a l'apport d'un toxique, comme la lutte chimique antivectorielle, quelque part.

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Une étude publiée dans la revue Nature en septembre 2019 est récemment revenue sur les lâchers de moustiques GM auxquels a procédé l'entreprise Oxitec au Brésil entre 2013 et 2015, près de la ville de Jacobina. Cette étude fait état de conséquences à long terme des lâchers de moustiques sur le patrimoine génétique d'une population brésilienne d' Aedes aegypti avec une hybridation entre moustiques GM relâchés et moustiques autochtones. Elle suggère également que les moustiques ainsi obtenus seraient possiblement plus résistants aux virus et aux insecticides, suscitant à ce sujet de vives protestations de la part d'autres chercheurs qui reprochent à cette conclusion son caractère spéculatif. Quel regard portez-vous sur ces deux questions ?

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

Nous avons vu cet article publié dans Nature Scientific Reports en septembre 2019. Cette étude a confirmé ce que nous attendions, puisqu'en 2007, l'article publié par Phuc et autres d'Oxitec faisait déjà état de ce que l'on appelle la pénétrance incomplète du caractère transgénique, à savoir que les individus transgéniques qui sont censés ne pas survivre sur le terrain ne suivaient pas à 100 % cette destinée. En laboratoire, 2 % d'individus transgéniques survivants avaient déjà été caractérisés. Nous attendions tout à fait sur le terrain la présence de ces survivants. D'ailleurs, nous avons analysé les risques associés dans notre avis. Ce qu'a fait cette publication, c'est confirmer ce que nous attendions et l'observer, ce qui est très intéressant en soi, mais qui n'est pas une nouveauté.

Vous avez parlé d'hybridation. La présence de fractions d'ADN provenant des moustiques relâchés est relativement faible. Ce sont des fragments d'ADN aléatoires. Nous ne parlons pas du transgène. Ce sont des moustiques d'élevage qui se retrouvent en effet dans la population. C'est pour cela que nous recommandons de caractériser les moustiques relâchés en termes de compétences vectorielles et en termes de vigueur, de sorte que ces fractions d'ADN n'apportent pas un nouvel avantage sélectif à la population. Mais surtout, nous recommandons d'utiliser une souche génétique la plus proche possible de la population cible, donc d'introgresser, c'est-à-dire introduire la modification génétique dans une souche proche de la souche des moustiques cibles.

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

La deuxième génération mise au point par Oxitec risque d'être encore plus polémique puisque les mâles survivent pendant au moins un cycle. Ce sont les femelles qui vont ne plus survivre. Cela va augmenter l'effet d'attrition en maintenant des moustiques transgéniques qui vont augmenter la transmission. Cela vise les femelles qui sont à la fois piqueuses et qui vecteurs, mais nous verrons cet effet de persistance pendant un temps court, au-delà du lâcher des moustiques transgéniques.

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

Sur la seconde question, l'article n'apporte pas de données du tout concernant le fait que le moustique ainsi obtenu serait possiblement plus résistant aux virus et aux insecticides. Ce sont des hypothèses. Il revient à ces chercheurs de poursuivre cette surveillance et éventuellement de valider ou infirmer ces hypothèses.

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Vous disiez tout à l'heure qu'une combinaison des différentes techniques est probablement la solution la plus adaptée pour lutter contre les maladies vectorielles, en tout cas contre les moustiques. Néanmoins, quelles sont selon vous les méthodes les plus dangereuses et celles qui présentent le plus de risques ? Quelles sont les méthodes plus douces ?

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Pascal Boireau, vice-président du comité scientifique (HCB)

Dans sa globalité, la lutte antivectorielle est associative de différentes sous-composantes, y compris présentement avec les outils que nous avons. Nous allons sécher, nous allons utiliser des produits chimiques en cas de menace avérée vis-à-vis d'une population humaine et de l'apparition d'un agent pathogène véhiculé par ces moustiques.

En matière de dangerosité, il faut voir où nous mettons le curseur. Est-elle dans la rémanence d'une espèce de moustiques ou dans l'extinction de la biodiversité ? Entre ces deux points, vous avez des notions très différentes.

On utilise aujourd'hui des méthodes de lutte antivectorielle chimique qui ont un impact sur la biodiversité. Si l'on met le critère biodiversité comme critère principal, une technique RIDL qui va cibler de façon exquise une espèce de moustique, puisqu'il y a une relation sexuée, est hautement sélective par rapport à des méthodes globales.

L'assèchement est radical pour toute la biodiversité aussi. Même des méthodes en apparence douce, comme l'assèchement, sont une contrainte pour la biodiversité, puisque vous allez éliminer aussi d'autres espèces qui ont besoin de cette coupelle d'eau.

C'est là où l'on a besoin de faire varier les curseurs, et en même temps, de voir dans quel état ce type de technologie est le plus efficace. Comme l'a bien souligné tout à l'heure Jean-Christophe Pagès, ces technologies de nouvelle génération, notamment la technique RIDL, ne peuvent pas être utilisées en période de crise, sauf à avoir les moyens de lâcher énormément. Par contre, en phase invasive, s'il y a une espèce de moustiques qui envahit un territoire, ce type de technologie peut se révéler hautement sélective compte tenu du caractère exquis de la sélection de la cible par rapport à d'autres méthodes qui elles vont arroser, malheureusement, plusieurs arthropodes qui vont être pris dans le même panier et détruits. Et là, effectivement, vous voyez qu'il y a un impact différencié.

On peut avoir peut-être plus de chance de bloquer l'invasion au stade primaire localement avec ce type de technologie. Là aussi, c'est un risque. Quelle va être la capacité de notre nouvelle technologie à bloquer une invasion ? Si je prends l'exemple de l'île de La Réunion, c'est l'Homme qui a apporté tous les moustiques. C'est nous qui avons favorisé l'entrée. Là aussi, la notion de véhicule passif est très importante. Comment mettons-nous en place, pour le contrôle des véhicules passifs, les méthodes de lutte à bon niveau pour limiter les nouvelles invasions ?

Le curseur et le paramètre que l'on va mettre dans le caractère dangereux permettront de dire si telle méthode est plus dangereuse qu'une autre. En théorie, dans le cadre du forçage génétique, on met dans la nature quelques couples et ils se reproduisent en entraînant le forçage du caractère à l'infini. Ceci est en théorie, mais nous sommes très loin des relâchés aujourd'hui puisqu'il n'y a pas d'essai terrain. Je rappelle qu'il y a quatre phases avant d'aboutir à un relargage à grande échelle. Là, on n'est même pas à la phase deux, donc au stade laboratoire recherche dans un système de confinement.

Nous ne pouvons pas calculer le risque aujourd'hui puisque nous n'avons pas assez de données en la matière. Une des recommandations de l'expertise qui avait été faite est d'avoir beaucoup plus de recherche dans ce domaine pour faciliter cette utilisation de technologies, de même qu'il va falloir certainement plus de moyens. C'est ce que fait l'Organisation mondiale de la santé (OMS) aujourd'hui en essayant de développer des aides à des essais de phase deux-trois pour la technologie de l'insecte stérilisé et le relargage de moustiques stérilisés dans différentes parties du monde.

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Vous parliez tout à l'heure d'appropriation indispensable par la société civile des différentes techniques. Avez-vous des expériences de présentations ? Ce sont des mécanismes extrêmement complexes. Comment fait-on pour présenter ces différentes méthodes aux populations qui risquent d'être impactées, qui sont plus proches du terrain ? C'est toute la difficulté, parce qu'effectivement, il faut de l'éducation, de la formation, mais j'ai du mal à concevoir les moyens à mettre en œuvre pour apporter ce type d'information.

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Lucie Guimier, responsable scientifique en charge des questions de science et de société (HCB)

C'est un sujet émergent. Nous n'avons pas encore de réponse appropriée. Il faudrait se baser sur d'autres problématiques de santé publique qui sont aussi controversées. Je pense par exemple aux vaccinations. Il y a une concertation nationale sur le sujet alors que la vaccination est une méthode éprouvée. Là, on parle d'une méthode tellement récente que l'on manque beaucoup de données, d'enquêtes de terrain. C'est un sujet à construire.

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

En Floride, lorsqu'Oxitec a fait sa première demande pour un essai, il y avait eu toute une série de réactions qui avaient été produites sur des forums et qu'il serait intéressant d'analyser. Beaucoup de questions paraissent très naïves, mais sont celles de nos concitoyens, donc nous devons y répondre. Par exemple : « Y a-t-il transfert de l'information génétique d'un moustique transgénique à des êtres humains ? ».

Il faut essayer de mettre en place un réseau de confiance, et le terme est vraiment très important. Dans la controverse, il y a aussi la polémique. Rétablir cette confiance pour que des réponses claires à des questions simples, mais essentielles, puissent être données est un travail qui nous appartient à tous, à nous scientifiques, en ayant une iconographie qui soit suffisamment explicative, mais également aux acteurs de terrain, à vous, de façon à ce que les intervenants ne soient pas disqualifiés au prétexte de leur qualité de scientifique en lien avec je ne sais qui. C'est essentiel.

En réaction à la question que vous posiez sur l'article d'Evans, c'était un peu tout cela. C'est un article qui pose toutes les questions, qui confirme des éléments qui avaient été anticipés, mais qui a eu une lecture un petit peu partisane, alors même qu'il n'y avait pas matière. C'étaient des éléments factuels, des hypothèses. Il fallait simplement les prendre comme tels.

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Pascal Boireau, vice-président du comité scientifique (HCB)

Le HCB a participé à un avis sur la technologie du moustique irradié au Haut Conseil de la santé publique (HCSP). À travers cet avis, la formation et l'éducation ont été soulignées. Force est de constater que souvent, après une crise, il y a beaucoup d'efforts sur l'éducation et la formation, mais qu'après cinq ans, les très belles mallettes qui ont été distribuées disparaissent des cours et sont rangées dans les armoires. C'est quelque chose de permanent. Nous sommes face à un problème émergent dans certains pays du monde, y compris en France métropolitaine avec certaines invasions d'espèces exotiques ou étrangères. C'est quelque chose qui doit rentrer dans l'éducation primaire. Cela avait bien été souligné dans le rapport que nous avions fait au niveau du HCSP.

Si l'on prend l'outil de base de connaissance de ce caractère invasif, c'est la surveillance entomologique, mais il y a l'association des citoyens et la science participative. Par analogie, je fais le lien avec l'application CiTIQUE, pour les morsures de tiques, qui est développée au sein du laboratoire dont je m'occupe en lien avec l'ANSES et l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Il y a un impact et nous avons une cartographie tout à fait intéressante, qui peut certainement, dans certains cas, être particulièrement efficace en matière de complément à la surveillance entomologique. Elle est très coûteuse, mais ne va pas résoudre le problème en tant que tel, puisqu'elle va nous donner les indicateurs. Cela peut être parfaitement associé à cette valence de sciences citoyennes qui donne des résultats intéressants en matière de morsure de tique à l'heure actuelle.

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À votre connaissance, la technique RIDL serait-elle la seule solution commerciale utilisant des moustiques GM disponible sur le marché ?

Vous avez parlé tout à l'heure d'une nouvelle génération de moustiques utilisée dans Oxitec. Parliez-vous de RIDL ou d'encore autre chose ?

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

À notre connaissance, Oxitec est la seule entreprise qui commercialise des moustiques GM. La souche RIDL OX513A est la seule souche qui a atteint le stade de commercialisation. Mais Oxitec est passé à une autre souche qui n'a pas encore atteint ce stade.

Cela dit, il ne faut pas généraliser moustiques GM, Oxitec, et techniques utilisées par Oxitec, parce qu'une grande diversité de moustiques GM pourrait être produite et avoir une évaluation des risques différente.

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

La technique RIDL a un tout petit peu évolué, puisque là, ils vont relâcher des mâles transgéniques stérilisants pour les femelles. Les femelles ne vont pas se développer, contrairement aux mâles qui ensuite vont diminuer puisqu'ils n'auront plus de reproduction femelle. C'est la deuxième génération qui est en cours d'évaluation.

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

Ils nous ont déjà dit de ne plus utiliser l'expression RIDL, car ils ne veulent plus utiliser ce terme qui n'est pas très « sexy ». Ils souhaitent dénommer cette technologie « friendly mosquitoes », « moustiques aimables ou sympatiques », expression qu'ils vont continuer à utiliser pour la deuxième génération.

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Vous indiquez que : « Dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer exposés de manière récurrente aux maladies […], l'appréciation par les populations sera nécessairement différente de celle des territoires métropolitains où les conditions géographiques, le mode de vie et l'exposition ne sont pas identiques. » Pensez-vous que l'acceptabilité sociale des coûts-avantages de cette méthode de lutte est suffisante en outre-mer et par voie de conséquence, en France hexagonale aussi ?

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Lucie Guimier, responsable scientifique en charge des questions de science et de société (HCB)

En l'état des données étudiées par le groupe de travail et le CEES, les dispositifs logistiques nécessaires pour effectuer des lâchers de moustiques GM et la nécessité de répétition des mesures ne permettent pas de conclure à un avantage économique évident en comparaison des mesures biocides classiques, par exemple. Il faut avoir à l'esprit que les prix proposés par les acteurs économiques intégreront également la rémunération des phases de recherche et de développement. Il y a beaucoup d'inconnues à ce jour concernant ce domaine. Il n'y a pas de véritable référentiel actuellement qui permet de simuler les coûts, et encore moins les prix dans une perspective réellement transposable, voire de les comparer entre les différentes stratégies. Tout dépend des données épidémiologiques et de robustesse statistique des résultats. Nous n'avons pas de recul pour élaborer des modèles prédictifs et pour comparer les modèles de lutte antivectorielle avec d'autres stratégies.

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

En matière d'acceptabilité, il faut des enquêtes de terrain.

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Lucie Guimier, responsable scientifique en charge des questions de science et de société (HCB)

En matière d'acceptabilité, on peut penser qu'en temps d'épidémie, on accepte plus aisément ces moustiques, mais ce n'est pas forcément vérifié sur le terrain. Je pense au programme Target Malaria actuellement au Burkina Faso, où nous avons eu en 2017 plus de 27 000 décès dus à la malaria. Le programme Target Malaria est un consortium de recherche organisé par l' Imperial College de Londres et financé en grande partie par la fondation Bill et Melinda Gates. Ce programme suscite beaucoup de dissensions dans la population, malgré le fait que la malaria reste une problématique d'envergure nationale dans le pays.

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Et il a été présenté et amené. C'est toute la problématique. Ce programme-là a été expliqué aux populations. Quand nous parlions d'appropriation, nous voyons que c'est extrêmement compliqué.

J'ai le sentiment en vous écoutant que sur toutes les problématiques, nous manquons de recul puisque les choses sont nouvelles, que ce soit sur les différentes techniques ou sur les analyses que l'on peut en faire. Qu'est-ce qui pourrait améliorer les choses ? Y a-t-il une accélération possible ?

Nos législations, qu'elles soient françaises ou européennes, sont-elles adaptées à la mise en place de toutes ces techniques pour que nous allions plus vite plus loin ?

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Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB

Il faut des expériences de terrain, puisque finalement, une grande partie des questions que se posent nos concitoyens est : « y a-t-il de réels bénéfices ? » La seule façon de le savoir est de les mettre en œuvre. Malgré tout, des expériences ont été menées, notamment avec Wolbachia, sur des petits territoires, qui ont montré une efficacité tout à fait objective et qui sont en train d'être étendues. Il y a une part de responsabilité des acteurs politiques locaux que de mettre en œuvre, probablement avec un bon encadrement, ces techniques nouvelles pour pouvoir les évaluer dans la réalité du terrain. Si nous ne le faisons pas, nous resterons sur des questions théoriques et des absences de réponses, notamment en matière d'efficacité épidémiologique.

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Catherine Golstein, responsable scientifique et rédactrice de l'avis du comité scientifique relatif à l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle (HCB)

Nous pouvons d'ores et déjà d'ores et déjà dire que les territoires dans le cadre de l'Union européenne (métropole, DROM et Saint-Martin) ont une réglementation tout à fait adaptée à l'expérimentation de moustiques GM. L'ensemble des territoires français, appartenant ou non à l'Union européenne, doivent respecter le protocole de Carthagène. Ce protocole est également adapté à ces expérimentations de moustiques GM.

Concernant le forçage génétique, les discussions sont en cours au niveau international, pour savoir si les méthodologies d'évaluation des risques sont appropriées et s'il faudrait éventuellement les compléter par d'autres éléments ou voir quel type d'informations supplémentaires devraient être amenées en supplément au sein de ce cadre de méthodologie.

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Il nous reste à vous remercier pour la qualité de vos réponses. Nous n'hésiterons pas à vous solliciter, par écrit cette fois, si nous avons des questions dans l'avancée de nos débats.

La réunion s'achève à dix-huit heures quinze.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 17 heures 15

Présents. – Mme Ramlati Ali, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Valérie Thomas, Mme Élisabeth Toutut-Picard

Excusés. – Mme Ericka Bareigts, M. Alain David, Mme Françoise Dumas, M. Benoit Simian, M. Jean-Louis Touraine