La réunion

Source

Lundi 14 octobre 2019

La séance est ouverte à quinze heures vingt.

Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête

————

La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons entendre Mme la ministre.

S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment.

Mme la ministre Agnès Buzyn prête serment.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Avant toute chose, je voulais vous remercier d'avoir attiré l'attention sur ce sujet extrêmement sensible et complexe, et je connais – pour les avoir entendues sur place – toutes les inquiétudes et les craintes profondes, les souffrances réelles que la contamination au chlordécone a pu occasionner ces dernières décennies, en Guadeloupe comme en Martinique. J'ai également entendu les interrogations légitimes que cela suscite pour l'avenir.

Ce sujet est très douloureux et difficile. Il est vraiment important pour moi d'être juste et d'être attentive aux blessures ressenties. Vous le savez, je suis avant tout une professionnelle de santé. Je suis médecin. Je suis donc très à l'écoute de la souffrance et des inquiétudes de la population, des douleurs parfois les plus intimes. Je suis également scientifique. À ce titre, je m'engage au quotidien à ce que l'expertise scientifique et la rigueur guident chaque décision politique que je prends. Vous connaissez aussi mon engagement dans la lutte contre le cancer. Je suis cancérologue de profession, j'ai dirigé l'Institut national du cancer (INCa). J'ai été vice-présidente du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). C'est notamment dans le cadre de ces différentes fonctions que j'ai été amenée à être alertée sur la question du chlordécone, que je n'avais pas abordée dans mes études médicales. C'est en effet une substance qui non seulement agit comme un perturbateur endocrinien, mais qui est également classée comme cancérigène de niveau 2B par l'OMS.

Le ministère de la santé dont j'ai la charge est depuis désormais deux décennies fortement impliqué dans la lutte contre les conséquences sanitaires du chlordécone. Dès la fin des années quatre-vingt-dix, le ministère de la santé s'est mobilisé via ses services locaux. Il s'agissait à l'époque des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), qui sont devenues depuis les agences régionales de santé (ARS). Ce sont ces services des DDASS qui ont lancé l'alerte en 1999 dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux, et qui ont pointé les autres sources potentielles de contamination alimentaire par le chlordécone. L'action de l'État s'est donc déployée à partir de ces alertes.

Aussi, permettez-moi de saluer la mobilisation au quotidien des agents de la Direction générale de la santé (DGS) et des ARS de Guadeloupe et de Martinique, qui sont en première ligne sur ces sujets.

Sur le sujet du chlordécone, j'avais déjà eu l'occasion d'échanger avec une partie d'entre vous, lorsque j'avais été auditionnée par la délégation aux outre-mer, le 21 février 2018. Depuis cette date et conformément aux engagements que j'avais pris devant vous, nous avons d'abord organisé un colloque scientifique et d'information à la population de portée internationale sur le sujet du chlordécone, qui s'est tenu fin 2018. Étaient notamment présents pour répondre à la population : le directeur général de la santé qui est à mes côtés, le Professeur Salomon, le préfet, les responsables des différentes agences d'expertise sanitaire de l'État, comme Santé publique France, l'INCa, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et également l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Loin de débats souvent passionnels, je crois que ce colloque a été très riche et passionnant, et que les professionnels de santé, les scientifiques, les associations, les élus qui étaient présents ont vraiment pu aller au fond de l'expertise sur ce domaine. La population est venue également nombreuse pour entendre et être mieux informée. Cela a été l'occasion de tout mettre sur la table, de redonner un souffle nouveau à une mobilisation collective contre cette pollution, qui contraint à des changements d'habitudes et de mode de vie.

La pollution au chlordécone est un scandale environnemental et l'État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution. Ces mots forts et sans équivoque sont ceux du Président de la République lors de son déplacement aux Antilles en septembre 2018. Pour la première fois, un chef d'État pose les mots sur une vérité ressentie par la population depuis longtemps aux Antilles. Cette vérité a été évidemment relayée par les associations et par les élus. L'État doit prendre sa part de responsabilité. Je le dis devant vous aujourd'hui, devant les Guadeloupéens et les Martiniquais qui nous écoutent. Vous n'êtes pas seuls. Vous ne vous battez pas seuls. C'est un fléau et c'est bien l'ensemble de l'État qui est mobilisé à vos côtés, et je pense pouvoir le dire sincèrement, mobilisé comme jamais.

Cette reconnaissance d'une responsabilité collective, qui est le fruit d'un aveuglement collectif, date d'une époque où la conscience environnementale n'était évidemment pas celle que nous avons aujourd'hui. C'était une époque où la santé publique pesait moins dans les décisions, où les enjeux d'évaluation et de ce qu'on appelle l'analyse du bénéfice et du risque de la balance bénéfice-risque étaient peu connus. Cette responsabilité partagée nous oblige à l'action : une action collective coordonnée entre l'État et les collectivités locales, notamment. Prendre sa part de responsabilité, c'est également accepter de rendre compte, et nous devons rendre compte à l'ensemble de la population de la Guadeloupe et de la Martinique de tout ce que nous faisons au quotidien pour lutter contre le chlordécone.

Les annonces du Président de la République et les conclusions du colloque scientifique et d'information qui s'est tenu fin 2018, nous ont amenés à renforcer les mesures du plan chlordécone III, qui se poursuit jusqu'à fin 2020, avec notamment la mise en oeuvre d'une feuille de route 2019-2020, que nous vous avons présentée le 13 juin dernier au ministère des outre-mer. Cette feuille de route met l'accent sur trois enjeux prioritaires. Le premier est l'enjeu environnemental. Ces enjeux environnementaux doivent être au coeur de la lutte contre le chlordécone, avec une meilleure compréhension et connaissance de la contamination des sols et de l'eau. Le deuxième objectif – pour moi, en tant que professionnelle de santé – est de tendre vers le zéro chlordécone dans l'alimentation. Pour réduire la principale source d'exposition de la population, c'est mon collègue Didier Guillaume qui entrera certainement plus dans le détail de cette ambition, puisqu'il est en charge de l'alimentation. Le troisième enjeu est celui de l'accompagnement des populations, avec des actions de prévention qui doivent être adaptées aux situations locales et renforcées. Elles doivent être mieux connues de la population. Je dois également m'engager à la poursuite des études sur les effets sanitaires du chlordécone.

Les travaux de cette commission permettront, j'en suis sûre, de mettre en lumière l'action que nous avons tous à conduire pour lutter contre le chlordécone. Il est fort probable que la très grande majorité de nos concitoyens des Antilles ne sachent pas dire aujourd'hui ce que fait l'État pour lutter contre cette pollution. Au fil des différents plans chlordécone, il n'y a certainement pas eu suffisamment de communication des actions mises en place. Je pense également que les populations locales n'ont pas été suffisamment associées aux actions mises en place. À l'instar de la dynamique collective que nous avons mise en place dès 2018, il faudra que la construction du prochain plan chlordécone au cours de l'année 2020, associe pleinement les Martiniquais et les Guadeloupéens, les associations, les élus et l'ensemble des parties prenantes. Cet engagement collectif est pour moi le seul gage de réussite du futur plan chlordécone.

Il reste beaucoup à faire pour améliorer encore nos connaissances et pour préserver encore mieux les populations antillaises des effets sanitaires de cette pollution. Ensemble, nous allons nous y atteler. Vous pouvez compter sur mon engagement le plus sincère et ma détermination la plus totale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai entendu de votre part des paroles très fortes. Avant de rentrer dans les questions, je dirai que je ne m'attendais pas à autre chose de votre part. Vous l'avez dit, l'État doit prendre toutes ses responsabilités et les territoires d'outre-mer ne doivent pas se sentir seuls, mais bien accompagnés par vous-même. Vous venez de dire quelque chose de très important concernant les territoires de Guadeloupe et de Martinique : les populations ne savent sûrement pas ce que fait l'État dans le cadre du plan chlordécone, car elles n'ont pas été associées. Ce point est d'une importance capitale. Certes, les populations sont inquiètes. Elles ont exprimé leur exaspération et leur colère dans le cadre des auditions, mais le fait de le dire montre que vous avez pris toute la mesure de l'ampleur de ce scandale environnemental et sanitaire dans notre territoire. Je vous remercie de votre sincérité. Cela me laisse bouche bée, parce que j'allais vous demander si les différents plans chlordécone étaient à la hauteur des enjeux, mais vous avez déjà répondu à la question. Vous pouvez donc passer tout de suite à la question sanitaire, par rapport au lien de causalité sur les cancers de la prostate, avec les différentes études et cohortes. J'aurais aimé vous entendre là-dessus.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Comme vous le savez, pour connaître les effets sanitaires d'un tel produit, il faut des études menées sur le long terme, et des études de suivi de la population qui tiennent compte de son degré d'imprégnation au cours de sa vie. On sait qu'aujourd'hui, c'est essentiellement lié à l'alimentation. Un certain nombre d'études ont été menées depuis des années. Je commencerai par les effets sanitaires sur les enfants. L'étude de la cohorte mère-enfant – cohorte Ti-Moun – qui a été menée en Guadeloupe depuis 2004 a eu pour objectif d'évaluer l'impact de l'exposition prénatale et périnatale au chlordécone sur le développement des enfants jusqu'à l'âge de sept ans. Cette étude avait été financée par le premier plan chlordécone, par la DGS. Nous avons décidé de la poursuivre pour réaliser un suivi des enfants jusqu'à l'âge de la puberté. Cette étude devait s'arrêter à l'âge de sept ans, mais nous prolongeons jusqu'à l'âge 15 ans. L'étude Ti-Moun a permis de suivre 150 enfants jusqu'à l'âge de sept ans, afin d'évaluer l'impact de l'exposition au chlordécone sur leur développement. Avant 18 mois, un effet a été observé sur les niveaux d'hormones thyroïdiennes dans le sang, sur un indicateur de la mémoire visuelle à court terme et sur la motricité fine, c'est-à-dire la capacité à manipuler de petits objets. Après 18 mois, seul le développement psychomoteur fin des garçons était impacté. Deux objectifs sont poursuivis : l'exploitation des données acquises au sein de la cohorte Ti-Moun, notamment avec une analyse biologique des prélèvements réalisés chez les enfants nés et suivis jusqu'à l'âge de sept ans, et une analyse statistique des données acquises chez ces mêmes enfants. Ces données ont pour l'instant démontré qu'aucune association n'a été observée entre les concentrations plasmatiques maternelles en chlordécone et le risque de survenue de malformations congénitales ou de testicules non descendus.

D'autres analyses ont débuté et se poursuivent actuellement, notamment celles portant sur les relations entre les expositions pré et post-natales et les fonctions sensorielles, le développement cognitif, le développement sexuel, l'adiposité et le statut hormonal des enfants à l'âge de sept ans. Nous mettons ensuite en place le suivi des enfants de la cohorte jusqu'à l'âge péripubertaire – c'est-à-dire 15 ans – sur le développement sexuel, endocrinien, anthropométrique, métabolique et neurocognitif. Malheureusement, il y a un petit bémol, l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre à fin 2017 a impacté le service de gynécologie obstétrique qui assure la coordination de la cohorte Ti-Moun. Cela induit un retard dans la mise en place de cette deuxième partie de l'étude pour les enfants de 7 à 15 ans. Le début effectif du suivi des enfants recommencera à partir de janvier 2020.

Ensuite, sur les issues de grossesse, l'étude Ti-Moun a montré un lien entre l'exposition des femmes enceintes au chlordécone et la durée de la grossesse. Plus la teneur en chlordécone dans le sang est élevée, plus la durée de la grossesse diminue, avec un risque d'accouchement prématuré inférieur à 37 semaines.

Sur la fertilité masculine, aux doses d'exposition rencontrées en Guadeloupe et en Martinique, aucun effet du chlordécone n'a été observé, y compris dans les populations les plus exposées, c'est-à-dire les travailleurs de la banane.

Concernant le cancer de la prostate, les études Karuprostate en Guadeloupe et Madiprostate en Martinique ont été menées avec comme objectif principal d'identifier et de caractériser les facteurs de risques environnementaux ou génétiques de survenue de cancers de la prostate, et d'étudier le lien éventuel entre l'exposition au chlordécone et le risque de survenue d'un cancer de la prostate. L'étude Karuprostate a été menée en Guadeloupe au cours de la période 2004–2007. Elle a comparé 709 cas de cancers de la prostate à 723 témoins. Elle était destinée à identifier des facteurs de risques environnementaux et génétiques de survenue de cancers de la prostate, et elle visait également à étudier le lien entre l'exposition au chlordécone et le risque éventuel de survenue de ce cancer. Elle a montré que chez les hommes dont la concentration de chlordécone dans le sang est la plus forte, un risque plus élevé de survenue du cancer de la prostate a été observé. Le cancer de la prostate est lié à l'âge, au patrimoine génétique, aux habitudes alimentaires et aux habitudes de vie des hommes exposés.

L'étude Madiprostate devait être la même étude réalisée en Martinique, mais elle n'a pas pu se faire pour des raisons méthodologiques. Pour être plus claire, l'étude Karuprostate avait montré ses limites en termes de méthode. Il avait donc été souhaité que l'étude Madiprostate pose les mêmes questions, mais en travaillant sur les biais éventuels de l'étude Karuprostate, c'est-à-dire avec une rigueur méthodologique légèrement supérieure. Elle n'a pas pu avoir lieu parce qu'elle n'a pas pu se mettre en place en Martinique.

Les travaux de l'INSERM sur le cancer de la prostate se poursuivent avec la mise en place de l'étude KP-Caraïbes, qui signifie cancer de la prostate caribéen. Il s'agit d'une étude de cohorte constituée de cas incidents, et suivie prospectivement en Guadeloupe puis en Martinique. 250 à 300 cas seront inclus annuellement pendant six ans consécutifs, avec un effectif final prévu de 1 500 à 1 800 cas. En effet, plus on augmente le nombre de cas étudiés, plus on a de chances que la valeur statistique de ce qui est découvert soit importante. Cela permet justement de limiter les biais d'interprétation des études quand elles comprennent trop peu de cas. L'idée est vraiment d'augmenter le nombre de cas, pour avoir une meilleure validation de ce qui est découvert. Cette étude va s'intéresser à l'influence du chlordécone et d'autres facteurs génétiques cliniques environnementaux sur l'évolution de la maladie, sur la survie sans récidive biologique, sans progression de la maladie, la survie globale. Les premiers résultats montrent que l'exposition au chlordécone serait associée à un risque augmenté de récidive biochimique, c'est-à-dire de marqueurs.

Le projet PK ChlorAntilles permettra de développer un modèle prédictif afin d'associer les doses d'exposition externes aux doses internes et les relier à certaines pathologies. Ce modèle devrait aussi nous permettre d'estimer la valeur toxicologique de référence que nous n'avons pas aujourd'hui. Nous ne savons pas à partir de quel seuil nous pouvons vraiment considérer que dans le sang, il y a une toxicité avérée du chlordécone. Cette valeur toxicologique de référence humaine qui n'existe pas pourrait être dérivée de cette étude et définie grâce à elle, à partir de données dans la population générale. C'est une étude de pharmacocinétiques et de pharmacodynamiques.

Des travaux de l'ANSES en lien avec Santé publique France sont par ailleurs en cours afin de réviser les valeurs toxicologiques de référence, et définir une valeur critique d'imprégnation. Les résultats sont attendus en mars-avril 2020 pour la valeur critique d'imprégnation, et en décembre 2020 pour les valeurs toxicologiques de référence.

Concernant le cancer de la prostate plus spécifiquement, pourquoi est-ce compliqué ? Santé publique France a conduit une analyse sur l'incidence du cancer de la prostate aux Antilles, qui a été présentée lors du colloque scientifique d'octobre 2018. Sur la période 2010-2014, le taux d'incidence – c'est-à-dire le taux de nouveaux cas de cancers découverts par an, standardisés sur la population mondiale (c'est la façon dont on calcule les cas de cancers, parce que c'est en fonction de l'âge) – observé à partir des données de registres des cancers, était de 163,6 cas pour 100 000 hommes en Guadeloupe et 161,1 cas pour 100 000 hommes en Martinique, soit environ 500 cas par territoire et par an, versus 98 cas pour 100 000 hommes en métropole en 2012. Toutefois, et cela nous a étonnés, ces taux sont en train de diminuer. Ils sont moindres dans la période d'étude 2010-2014 que ceux observés sur la période 2005-2009, où l'on dénombrait 182,5 cas pour 500 000 hommes en Martinique. Ce chiffre n'existait pas en Guadeloupe parce qu'il n'y avait pas de registre actif à ce moment-là. Les taux d'incidence observés en Guadeloupe et en Martinique se situent parmi les plus élevés au monde, mais ils sont en diminution par rapport aux périodes antérieures. Ces taux élevés sont également observés dans certains territoires qui avoisinent des territoires de Caraïbes. Ce sont également les taux retrouvés dans les populations afro-américaines ou britanniques d'origine africaine.

Santé publique France a réalisé une analyse spatiale de la distribution des cas de cancers de la prostate en Martinique, qui ne montre pas d'excès de cas dans les zones contaminées par le chlordécone. Nous avons ces données qu'il faut interpréter.

Ensuite, nous avons travaillé spécifiquement sur les personnes les plus exposées, c'est-à-dire les travailleurs de la banane. Quand nous essayons de trouver un lien entre l'exposition à un toxique et une maladie, nous commençons par regarder les personnes qui sont les plus exposées aux toxiques, parce que c'est là que cela va apparaître le plus vite.

Nous savons aujourd'hui que la mortalité des travailleurs des bananeraies est globalement proche de la mortalité de la population générale antillaise. Ceci a été admis grâce à l'analyse des données de mortalité de la cohorte des travailleurs, qui comprend 13 417 exploitants et salariés agricoles en activité dans une exploitation bananière, dans la période 1973-1993 en Guadeloupe et en Martinique, où il y a eu le plus d'utilisation du chlordécone. Cette cohorte de travailleurs nous sert de base pour essayer de déterminer si le chlordécone a un effet de toxicité particulier. Nous avons dénombré dans cette cohorte 5 692 décès entre 1973 et 2013. Ces données préliminaires vont être affinées avec des données ultérieures qui portent sur la période 2000-2015, où on n'utilisait plus de chlordécone. L'analyse de la cohorte des travailleurs exposés se poursuit pour étudier l'exposition exacte des travailleurs, par croisement des données de mortalité avec les données d'exposition issues de Matphyto DOM, afin de définir des scores d'exposition, c'est-à-dire une mortalité en fonction du degré d'exposition. Ce travail est actuellement réalisé par l'INSERM et devrait être terminé en juin 2020.

Une étude de morbidité – il s'agit de la survenue de maladies – doit débuter en 2020 grâce à l'utilisation des informations des registres des cancers et le croisement avec les données des bases de données médico-administratives, pour identifier des excès de risque de certaines pathologies chroniques. Je pense notamment aux pathologies neurodégénératives et aux cancers.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lors de son audition par cette commission, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la DGS, nous a fait part de son appréhension des décisions prises pour mettre fin à ce scandale environnemental, en disant que rien ne se fera de façon efficace sans associer à nos travaux, tant les professionnels concernés que la population antillaise elle-même, pour qu'elle y adhère et puisse faire des propositions, participer et s'approprier les recommandations.

Je suis particulièrement sensible à ce dernier point car la population touchée par une pollution environnementale doit être parfaitement intégrée en amont des politiques, afin de pouvoir d'abord donner son avis, puis valider les décisions, et enfin pouvoir appliquer les recommandations. En effet, c'est dans le quotidien des personnes concernées que nous devons nous positionner, et elles seules sont capables d'exprimer leurs réels besoins. Je cite aussi Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS qui, en parlant d'une crise de la démocratie antillaise, s'exprimait ainsi devant notre commission : « il faut agir au niveau de la participation de la cité aux décisions relatives à l'utilisation des terres et aux écosystèmes. » Actuellement, la convention citoyenne pour le climat est le symbole d'une nouvelle méthode souhaitée par le gouvernement, placée sous le signe de la concertation pour entendre les citoyens.

Je me permets de faire le lien avec ce processus, car la population touchée par le chlordécone est l'illustration même de ce que dénoncent nos jeunes aujourd'hui lorsqu'ils vont dans la rue, pour que nous agissions pour le climat pour leur avenir. L'objectif est de savoir concrètement ce que les citoyens veulent voir changer dans leur quotidien et ainsi quelles mesures ils envisagent pour eux-mêmes. C'est par ce type de concertation que les politiques publiques peuvent être appliquées de façon efficace. Aussi, Madame la Ministre, comment pouvez-vous envisager que les instances nationales de protection sanitaire auront à l'avenir à coeur de consulter les populations concernées par une pollution environnementale, dans l'élaboration de leurs recommandations ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je pense qu'il n'y a rien de pire quand on est un citoyen que de savoir qu'on est potentiellement exposé à quelque chose qui a peut-être des conséquences sur sa santé et de ne pas savoir à quelle dose on est exposé, si ce qu'on mange est sain et si on a les moyens de se protéger et de protéger ses enfants. Je pense que ce que vit aujourd'hui la population antillaise est insupportable. Je me mets à leur place. Je pense que je serais terriblement angoissée et inquiète. Qu'est-ce que je donne à mes enfants ? C'est une question horrible.

Ma bataille aujourd'hui est de pouvoir rassurer la population sur le fait qu'il y a des précautions à prendre, et que nous pouvons aujourd'hui nous protéger du chlordécone. Cela passe par une alimentation dépourvue de chlordécone. C'est indispensable, nous y reviendrons. Cela passe par un suivi de recommandations que les agences régionales de santé essayent de faire connaître à la population. Il est aujourd'hui indispensable que chacun de nos concitoyens aux Antilles connaisse les bonnes mesures et les précautions à prendre pour soi-même et pour sa famille. Nous devons construire un plan encore plus ambitieux pour l'avenir. Ce plan chlordécone III, nous voulons le coconstruire avec les habitants. Il n'y a rien de pire qu'un plan venu de Paris. Ce n'est pas à Paris que nous allons trouver les bonnes mesures, parce que nous ne savons pas comment les gens vivent. Il faut s'adapter à la réalité. Nous pouvons toujours recommander de ne pas manger tel produit, mais si c'est le produit majoritaire dans les jardins, ce sera une mauvaise recommandation. Nous devons impérativement faire en sorte que les recommandations que l'on écrit parlent aux gens dans leur vécu et dans leur quotidien. Cette co-construction du plan chlordécone III est pour moi un impératif pour que les gens s'emparent du sujet et puissent enfin vivre en tranquillité. Nous allons l'organiser par des réunions en mairie. Évidemment, nous viendrons avec des propositions, mais c'est aux citoyens de nous dire si cela colle avec leur quotidien, s'ils peuvent les utiliser sur place. Il y aura des réunions de concertation en mairie. Il y aura des réunions organisées par les agences régionales de santé. Il y aura évidemment la mobilisation de toutes les associations des élus locaux, parce qu'ils savent parler aux gens, ils les représentent. Ils sont élus pour cela. Notre idée est vraiment que le prochain plan chlordécone parle au quotidien des gens, pour qu'une bonne fois pour toutes, la population antillaise sache que si elle applique telle ou telle recommandation, si on l'accompagne sur son jardin familial, elle peut manger ce qu'elle a envie de manger, elle peut être rassurée, elle peut nourrir ses enfants sans cette inquiétude permanente avec laquelle elle vit depuis des décennies. Il est impératif que tout le monde comprenne ce qu'il faut faire pour se protéger, et que ces recommandations soient issues du vécu et du terrain de chaque Antillais.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout d'abord, je voudrais me joindre à Justine Benin, parce que j'avais déjà été frappé par la sincérité de votre engagement quand vous étiez venue dans la réunion de la délégation d'outre-mer. Je retrouve cette même sincérité de votre engagement, cette volonté de lever tous les tabous et d'aller au bout de cette discussion. Vous avez rappelé les propos du Président de la République lors de son déplacement de l'an dernier. Il parlait de « scandale environnemental ». Aujourd'hui, nos concitoyens antillais continuent d'en subir les conséquences, et surtout les travailleurs agricoles qui ont été massivement exposés à l'utilisation nocive du chlordécone de 1972 à 1993. Dans ce contexte, je ne peux que me réjouir que la représentation nationale et le Gouvernement se soient saisis collectivement de ce sujet pour répondre aux inquiétudes légitimes des populations antillaises, qui ont été durablement exposées – et le seront encore – à la pollution au chlordécone.

Depuis les annonces du Président de la République, une nouvelle feuille de route et en cours d'élaboration, signe que l'État prend sa part de responsabilité et qu'il doit continuer à avancer dans le chemin de la réparation. À ce sujet, je voudrais revenir sur l'article 46 du projet de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) pour l'année 2020, présenté par le Gouvernement, qui prévoit la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Je voudrais savoir si vous pouvez me confirmer que ce fonds a vocation à couvrir aussi les personnes dont la maladie est liée à une exposition professionnelle au chlordécone, et en préciser le champ. Sous quelles conditions les victimes pourront-elles obtenir une reconnaissance de leur statut, le cas échéant ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Effectivement, l'article 46 du PLFSS 2020 acte la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, qui permettra d'améliorer la procédure de reconnaissance, en la simplifiant pour les maladies professionnelles liées à ces produits et pour mieux prendre en charge les victimes aujourd'hui non couvertes. Cet article reprend ce travail commun, c'est une demande expresse du Parlement. C'est d'une part un texte qui trouve son origine dans une proposition de loi, auparavant présentée au Sénat par le groupe socialiste et Mme Nicole Bonnefoy, et que nous avons ensuite travaillé en lien étroit avec les députés dans le cadre de la discussion d'une autre proposition de loi qui devrait être discutée fin janvier pour trouver une solution de compromis. C'est le fruit de ce travail qui est proposé dans le cadre du PLFSS.

Concernant le chlordécone, le Président de la République s'est engagé lors de son déplacement aux Antilles à avancer dans le chemin de la réparation. Il s'agit d'aller vers une meilleure reconnaissance et réparation individuelle des maladies professionnelles liées à l'exposition au chlordécone. Cela rentre aujourd'hui parfaitement dans le périmètre du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Le fonds couvrira tous les pesticides tels que définis par le droit européen, c'est-à-dire à la fois les produits phytopharmaceutiques utilisés dans l'agriculture et les produits biocides à usage non agricole. Seront concernés tous les pesticides qui font ou ont fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché. Le chlordécone, qui était autorisé dans les exploitations agricoles antillaises jusqu'en 1993, fait partie des pesticides et donc de l'indemnisation de ce fonds pouvant donner lieu à une indemnisation.

Aujourd'hui, ce sont les professionnels de la banane qui sont a priori les personnes qui ont été les plus exposées directement au chlordécone. L'indemnisation nécessite l'identification des personnes exposées. Ce travail a été réalisé grâce aux travaux de la reconstitution de la cohorte des travailleurs, menés par l'Institut national de veille sanitaire, qui est depuis devenu Santé publique France, en lien avec l'INSERM et avec la contribution des caisses de sécurité sociale. Chez ces personnes, il convient maintenant d'identifier les pathologies, les maladies qui sont en lien avec l'exposition au chlordécone. Des travaux sont en cours, effectués par l'ANSES, qui est désormais chargée de l'expertise scientifique préalable à l'élaboration ou à la modification des tableaux de maladies professionnelles.

Cette nouvelle procédure qui fait intervenir une agence d'expertise sanitaire – l'ANSES – vise à mieux garantir l'indépendance scientifique de l'expertise. En effet, cette expertise de l'agence est indispensable pour établir un tableau de maladies professionnelles. C'est aussi cette expertise qui nous donnera des éléments sur les durées d'exposition, ou encore sur le délai de prise en charge des maladies identifiées comme étant en lien avec les pesticides.

En amont de tout cela, les ministères ont saisi l'INSERM le 24 avril 2018 pour une actualisation de leur expertise collective de 2013. Cette expertise collective sur les pesticides a été priorisée sur la question du chlordécone, à ma demande, en date du 28 septembre 2018. Nous devrions avoir les résultats assez rapidement. L'INSERM est donc chargé de se prononcer sur la qualification de l'association entre exposition professionnelle et pathologie, au vu des études épidémiologiques, complétées par des éléments issus d'une analyse sur l'état des connaissances en matière de toxicologie et de mécanismes d'action. L'ANSES a également été saisie le 26 novembre 2018 sur l'exposition aux pesticides, en priorisant le rendu de ses travaux sur la question spécifique du chlordécone. L'agence doit rendre un avis sur la création de tableaux et sur l'adoption éventuelle de recommandations pour des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles. Le rendu prévisible de cette expertise sur le chlordécone est annoncé pour juin ou juillet 2020. Notre idée est que sur les bases de ces deux analyses INSERM et ANSES, nous puissions aboutir à une révision des tableaux de maladies professionnelles, sur des arguments scientifiques robustes qui font un lien entre pathologie et chlordécone.

Aujourd'hui, il faut savoir que cette reconnaissance est possible, mais comme il n'y a pas un tableau qui reconnaît le lien, cela nécessite des actions très longues, au cas par cas, et complique donc la vie des travailleurs exposés. Si nous arrivons à inscrire dans le tableau des maladies professionnelles des maladies reconnues comme étant en lien avec des pesticides – en l'occurrence le chlordécone – cela facilitera énormément la vie des travailleurs exposés.

Nous voulons aussi améliorer l'information des professionnels de santé et de la population sur les modalités de demande de reconnaissance de maladie professionnelle. La direction de la sécurité sociale prévoit prochainement une communication spécifique avec des courriers vis-à-vis des médecins traitants aux Antilles, pour les sensibiliser au repérage des patients potentiellement éligibles, avec une campagne d'information par les caisses de sécurité sociale sur les procédures à suivre.

Enfin, il y a en préambule de la révision des tableaux de maladies professionnelles, un travail avec les partenaires sociaux, puisqu'aujourd'hui ce sont eux qui doivent acter d'une maladie professionnelle dans un tableau. Ils se sont réunis au sein de la commission spécialisée n° 4 du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) pour acter de cette évolution des tableaux. Pour les régimes agricoles, c'est la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP) qui est en charge de la révision des tableaux de maladies professionnelles.

Je crois que nous sommes très proactifs sur le champ pour apporter de vraies réponses opérationnelles aux travailleurs exposés dès 2020.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'associe à mes collègues pour vous remercier de la clarté de vos propos. Sur le plan scientifique, je peux dire que je suis un peu rassurée d'entendre qu'il y a des études qui se font, et d'apprendre la modification du tableau de maladies professionnelles. Je suis partie aux Antilles avec mes collègues, et j'ai senti la peur de toutes ces personnes qui sont exposées, sans savoir à quoi elles sont exposées et à quoi elles peuvent s'attendre.

Ma question va être très simple. Je connais le travail de la DDASS de l'époque et de l'ARS actuellement, concernant les études dans les eaux en général. Ici, nous sommes en train de parler de la terre. Nous connaissons des endroits qui ont été fortement imprégnés, et même là où nous n'imaginerions pas trouver du chlordécone. C'est ce que nous avons entendu aux Antilles. Seriez-vous favorable à ce que nous fassions une étude de l'ensemble des territoires, que ce soit en Guadeloupe comme en Guyane ? Nous connaissons les jardins familiaux, comme dans l'expérimentation qui a été faite, mais nous savons aussi que dans la façon de vivre des Antillais, chacun a son lopin de jardin dans sa maison. Il le nourrit donc, ainsi que sa famille. Nous pouvons aussi retrouver ces mêmes cultures qui seront vendues sur le bord de la route. C'est un aspect que nous ne maîtrisons pas.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

C'est une question très importante. Il faut savoir prendre les bonnes décisions. Il faut savoir quelles sont les terres impactées. Vous avez raison, j'ai cru comprendre de tout ce que j'ai vu et entendu que les ruissellements des eaux de pluie font que là où nous ne nous attendions pas à avoir du chlordécone, nous en avons parfois. Pour moi, il y a trois façons d'agir. D'abord, il faut une vraie cartographie des sols contaminés. Ce n'est pas mon ministère qui en est chargé, mais le ministère de l'agriculture. Je vous laisserai donc peut-être lui poser la question pour savoir où en est cette cartographie sur laquelle nous nous étions engagés. J'ai par contre la responsabilité des eaux. Cela fait partie du suivi des agences d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES). J'ai envoyé en mission un chef de bureau de mon ministère et de l'ANSES en responsable des eaux. Il s'est rendu en Guadeloupe fin septembre pour vérifier qu'il n'y a pas d'anomalie, mais les eaux sont très surveillées. Les eaux font l'objet d'une surveillance très attentive.

Ensuite, quand les parcelles de terrains agricoles sont contaminées, il y a maintenant de plus en plus d'études qui montrent que certaines plantes n'aspirent pas le chlordécone. Il faut changer le type de semences pour utiliser des plantes qui vont pousser sans aspirer le chlordécone. Je l'ai vu quand j'étais en Guadeloupe et en Martinique, c'est très impressionnant. Nous sommes quand même capables de pouvoir utiliser ces sols contaminés grâce au changement de plantes cultivées. C'est une première piste, mais le ministre de l'agriculture en parlera évidemment mieux que moi.

Ensuite, je veux garantir à la population qu'elle peut cultiver son propre jardin en toute confiance. J'ai demandé à toutes les ARS, à la demande de chaque citoyen antillais, que leurs jardins puissent être testés pour la contamination au chlordécone, de façon à pouvoir être rassurés. Quand le jardin est négatif pour le chlordécone, on peut cultiver les tomates, les fruits, il n'y a aucun danger. Il me semble que nous avons lancé cette initiative des jardins familiaux il y a un peu plus d'un an. Nous l'avons renforcée. L'argent est là. C'est un bon à tirer – si je puis dire – pour la population. Il ne faut pas hésiter, je le dis encore, si nos concitoyens nous écoutent. Il faut se tourner vers l'agence régionale de santé et demander que les jardins soient testés. Cette initiative jardins familiaux a été multipliée par deux l'année dernière, ce qui prouve que plus on informe, plus les gens se font tester et peuvent recourir à des cultures pour leur propre consommation.

C'est un programme de diagnostic sur l'état de contamination des sols, un programme d'accompagnement qui délivre des conseils agronomiques et alimentaires pour réduire les expositions, et réalise des actions d'information et de communication vis-à-vis de la population pour qu'elle s'empare d'une meilleure connaissance de ces sujets.

Enfin, vous m'avez dit être rassurée de voir qu'il y a des études. Oui, il y a des études, qui ont d'ailleurs été commencées par d'autres gouvernements. Je ne suis pas la seule en charge de cela. Les plans chlordécone antérieurs ont déjà permis la réalisation des études.

Je veux accompagner les chercheurs des universités dans ces démarches pour mieux identifier les pathologies, le risque sanitaire. J'ai demandé à l'INCa de financer un programme de recherche dédié spécifique de haut niveau, dès 2020, avec un fonds qui va être sanctuarisé pour les chercheurs qui décideront de s'engager dans cette recherche, car malheureusement, nous disposons de peu d'études internationales. Comme c'est un produit qui a été peu ou moins utilisé dans d'autres pays, nous disposons d'assez peu de littérature scientifique. C'est bien la difficulté. Un des enjeux est notamment de bien connaître la part attribuable au chlordécone dans les cancers de la prostate aux Antilles, puisque nous savons qu'il y a un facteur génétique, mais potentiellement aussi un facteur environnemental. C'est l'objectif de ces études.

Je veux quand même dire à la population guadeloupéenne et antillaise – c'est très important, nous sommes toujours très anxieux quand il s'agit de cancer – que globalement, l'incidence des cancers en Guadeloupe et aux Antilles est bien inférieure à celle de l'Hexagone. Souvent, les Antillais que je rencontre me disent qu'ils ont l'impression qu'il y a plein de cancers, mais c'est vrai aussi en métropole, parce que les gens en parlent plus facilement. C'est une thématique qui n'est plus honteuse. Nous entendons parler des cancers, mais quand nous regardons les registres des cancers – il y a un très bon registre aux Antilles – l'incidence, c'est-à-dire le nombre de cas de cancers pour 100 000 habitants en Guadeloupe et en Martinique, est quand même plus faible que pour la population métropolitaine. Est-ce le mode de vie ? Est-ce l'alimentation ? Est-ce la pollution ? Je n'en sais rien, mais je veux quand même rassurer un peu les Guadeloupéens qui ont cette inquiétude. Je l'entends.

Enfin, j'ai un message très important vis-à-vis des femmes enceintes et des enfants. Il faut éviter à tout prix les légumes racines. Ce sont ceux qui absorbent le plus de chlordécone. Il faut donc faire vérifier son jardin familial pour pouvoir en profiter. Il faut viser le zéro chlordécone dans l'alimentation en achetant de l'alimentation contrôlée, pas celle qui est sur le côté de la route. Il faut vraiment faire attention aux circuits informels, en particulier pour les femmes enceintes et les enfants qui sont les plus vulnérables. Nous avons un programme dédié aux femmes enceintes, notamment sur l'information, pour éviter toute contamination via l'alimentaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme les autres collègues, j'apprécie votre détermination et votre sincérité pour ce dossier très complexe. Si vous aviez à comparer les conséquences du nucléaire par rapport au drame du chlordécone, quel serait le pire, selon vous ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

C'est toujours difficile de comparer des risques. J'ai présidé l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et je suis donc capable d'identifier ces risques. Je me suis notamment beaucoup occupée de la contamination en Polynésie.

D'abord, tout le monde sait depuis toujours qu'il y a un danger avec le nucléaire. Il y a une sensibilité au risque qui est bien antérieure à celle du chlordécone. Aussi, les pathologies liées au nucléaire sont bien connues. Nous savons exactement ce que donne tel type de rayonnement : cancer de la thyroïde, leucémie. En réalité, les maladies liées aux risques nucléaires, radioélément par radioélément qui sont dégagés lors d'une explosion, sont connues depuis Nagasaki. Il n'y a pas cette forme de méconnaissance du risque. Nous sommes en train de défricher sur une population qui est largement contaminée. Lorsque l'on fait des dosages, 95 % de la population antillaise a du chlordécone, plus ou moins selon son alimentation. Sur un territoire largement contaminé par le chlordécone, nous sommes en train d'essayer de définir les maladies qui sont associées à ce produit. C'est compliqué, parce que d'abord, nous ne les connaissons pas. Il n'y a pas énormément de publications dans d'autres pays. Nous avançons grâce aux études. Autre complexité : comme c'est assez uniforme sur les deux îles, nous ne pouvons pas comparer à un groupe équivalent non contaminé. C'est très compliqué. Or, comme dans beaucoup de maladies, il y a aussi des incidences qui sont différentes selon l'endroit où l'on vit, selon les caractéristiques génétiques d'une population, etc. En fait, la complexité scientifique est que nous n'avons pas l'équivalent de la population antillaise vivant dans des îles ressemblant aux Antilles, sans contamination.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le drame du chlordécone serait donc pire que celui du nucléaire.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je ne sais pas. Je le trouve plus complexe parce que nous ne connaissons pas les conséquences médicales et sanitaires. Nous essayons par le biais des études d'approcher vraiment les conséquences. Nous avançons doucement avec volontarisme. Franchement, nous mettons des moyens. Le problème est que ce n'est pas une question de moyens, mais plutôt de trouver les bonnes méthodes d'évaluation.

Ensuite, c'est un produit de longue durée dans le sol, dont la contamination va persister. C'est la ministre de la santé qui parle : nous pouvons totalement protéger la population antillaise du chlordécone si nous le voulons. Il faut prendre les bonnes décisions sur l'alimentation et sur les cultures, nous avons les moyens. Si toute la population tient compte des recommandations, nous avons les moyens d'aller vers le zéro chlordécone dans l'alimentation. Les gens n'auront donc pas d'imprégnation. Nous avons quand même un moyen d'agir qui est très fort.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

D'accord, mais pensez-vous que les moyens mis en oeuvre sont suffisants ? Nous savons que simplement 15 % des terrains chlordéconés sont connus, analysés et identifiés. Il faut accélérer.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

C'est pour cela que je pense qu'il faut que nous allions plus loin.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons les moyens, mais nous ne les avons pas mis en oeuvre, c'est cela ? Honnêtement.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je ne peux pas parler pour les années deux mille. Je ne peux pas m'engager. Ce que je peux dire, c'est que nous essayons vraiment d'avoir la cartographie précise des sols – le ministre en parlera – et de protéger la population de l'alimentation. Il y a des progrès qui sont faits en termes d'agriculture. J'ai été extrêmement surprise de voir que nous sommes capables, en changeant simplement de production agricole, d'avoir des plantes qui sont sans chlordécone. Il y a peut-être aussi des changements d'habitudes alimentaires à avoir. Je pense que le travail est encore devant nous. Le chemin est encore long. C'est le problème. C'est pour cela que je veux que le plan chlordécone IV s'appuie vraiment sur les besoins de la population, pour qu'il soit le plus pertinent possible.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout à l'heure, vous avez employé des mots très forts et vous avez clairement indiqué que l'État doit prendre sa part de responsabilité. Ce sont des paroles d'Emmanuel Macron. Vous n'êtes pas seuls et vous ne vous battez pas seuls. Vous êtes consciente que nous luttons en Martinique et en Guadeloupe. Selon ce que vous dites, nous aurions pu lutter plus collectivement. Vous dites qu'il y a une reconnaissance d'une responsabilité collective. En quoi les Martiniquais et les Guadeloupéens qui n'ont pas utilisé de chlordécone – cela fera environ 98 % de la population – seraient-ils dans une responsabilité collective ? Pour quelle raison ne pas simplement parler d'une responsabilité d'État, une responsabilité de ceux qui l'ont apporté, et une responsabilité de ceux qui l'ont utilisé massivement ? Je ne dis pas qu'il ne faut pas assumer la responsabilité de la mutation, notamment en matière alimentaire, mais la responsabilité primaire revient quand même à l'État. C'est lui qui a donné des autorisations. Nous avons l'impression qu'il y a une tentative de fuite, en parlant de collectif.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

C'est toujours difficile quand on reprend l'historique d'un événement. Ce sont des décisions qui datent des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. C'est compliqué. Ce n'est certainement pas la responsabilité collective à l'échelon de la population antillaise, qui n'a rien demandé. Elle subit. Ce n'est pas la population entière, mais je pense qu'il y a eu sur place, à un moment donné, des responsabilités partagées. C'est ce que j'ai compris du dossier. Quand l'État a voulu prendre la décision d'interdire le chlordécone ou supprimer l'autorisation, il y a eu des demandes sur place de poursuivre des dérogations pour l'utilisation. Après, je suis ministre de la santé, je ne vais pas refaire l'histoire à la place des historiens, mais c'est en cela que nous voyons qu'il y a eu des responsabilités locales qui ont fait pression sur l'État pour essayer de poursuivre l'utilisation du chlordécone pour améliorer le résultat des cultures de banane. Ne nous méprenons pas, ce ne sont pas nos concitoyens antillais qui sont responsables. Par contre, je veux insister sur le fait qu'il faut vraiment que nous mettions tout en oeuvre aujourd'hui pour protéger les Antillais de la consommation de chlordécone. Nous en avons les moyens. Je pense que c'est là que nous avons un rôle collectif à jouer. Je ne vais pas parler de responsabilité, mais nous avons collectivement le rôle d'informer et de rendre ces recommandations bien connues de la population.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous ai posé des questions pour que vous puissiez expliquer un peu mieux, pour que l'opinion publique ne pense pas que vous attribuez une responsabilité à ceux qui ne sont que des victimes, en quelque sorte. Je vous ai permis de le faire pour que ce soit transparent. L'étude Madiprostate est terminée et est remplacée par KP-Caraïbes, est-ce bien cela ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Oui. Malheureusement, Madiprostate n'a pas réussi à apporter des réponses scientifiques aux experts qui avaient évalué cette étude. C'est la raison pour laquelle elle n'a pas été financée. J'étais aux responsabilités à l'INCa au moment où il y a eu le refus de financement de cette étude. J'ai été très embêtée, parce qu'en tant que présidente de l'INCa, il faut savoir que je ne fais que signer les financements en responsabilité, mais que toutes les études financées par l'INCa sont choisies et évaluées par des experts scientifiques, qui jugent du caractère robuste ou pas de la méthode employée. Les experts ont évalué Madiprostate en me disant qu'il ne fallait pas le financer. J'étais tellement ennuyée. J'avais déjà senti que c'était un sujet très grave. À la suite d'une demande de M. Multigner – qui à l'époque était porteur du projet – j'ai accepté de financer un an de plus cette étude, contre l'avis de mes experts, en faisant aider les porteurs de projets d'un comité d'experts scientifiques, pour leur permettre de mieux construire leurs études. À l'issue d'un an, les experts m'ont de nouveau dit que cette étude n'était pas bonne et qu'il ne fallait pas la financer. On me demandera pourquoi je n'ai pas insisté, pourquoi je n'ai pas pris la décision de financer cette étude malgré tout. Il faut savoir que quand on préside l'INCa – ce n'est pas le cas de toutes les agences sanitaires, mais c'est celui de l'INCa –, quand on finance une étude contre l'avis d'un comité d'experts scientifiques, si la Cour des comptes analyse les comptes de l'INCa et qu'elle dit qu'il ne fallait pas financer cette étude parce que nos experts étaient contre, nous risquons la Cour de justice budgétaire de l'État et nous payons sur nos propres fonds personnels. Déjà, j'ai pris sur moi de financer une étude pendant un an, alors qu'on m'avait recommandé de ne pas le faire, et je risquais de perdre environ un million d'euros sur mes deniers personnels. Je n'aurais pas pu les payer, mais j'ai pris un risque personnel sur cette étude, parce que je pensais que c'était important. Je suis heureuse de pouvoir annoncer ce fonds spécifique à l'INCa pour financer des études scientifiques complémentaires, et le fait que nous ayons pu, grâce à un comité d'experts qui a beaucoup travaillé, construire une étude robuste qui est KP-Caraïbes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si je peux conclure ainsi, en tant que ministre de la santé, vous reconnaissez la part importante de la responsabilité de l'État, n'est-ce pas ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je ne sais pas quoi vous répondre, monsieur Letchimy. La responsabilité sur l'autorisation initiale, même le Président de la République l'a reconnue. Bien sûr, il y a une responsabilité de l'État, c'est la raison pour laquelle nous devons avancer sur ce dossier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le Président de la République a parlé de responsabilité collective. L'État doit prendre sa part de responsabilité. Je pense que dans une part, il y a d'autres parts. Nous verrons.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je pense que le Président de la République voulait pointer qu'à un moment donné, l'État a voulu interdire le chlordécone et il y a eu des pressions très fortes localement pour ne pas le faire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous pouvons discuter de beaucoup de choses, notamment de l'avis de la commission de toxicité en 1969 qui disait très clairement que le produit était dangereux, toxique et durable dans le sol, qu'il allait polluer l'environnement et les individus. Je salue le Président de la République qui est le premier à avoir déclaré la responsabilité, mais je veux asseoir cette responsabilité. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il y a une responsabilité de l'État, reconnue par l'État. Vous êtes le ministre depuis deux ou trois ans, mais je parle de la République. Oui ou non ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Il y a évidemment une part de responsabilité de l'État. Aujourd'hui, nous devons dire aux Antillais que l'État est au rendez-vous pour les protéger. J'entends ce que vous voulez dire par rapport à la responsabilité antérieure. Sincèrement, c'est moins la ministre de la santé que le ministre de l'agriculture ou de l'environnement qui doit vous répondre sur cette question de la part de la responsabilité. La part de responsabilité de l'État est évidente, mais quand je me pose en ministre de la santé, ma responsabilité aujourd'hui est de tout mettre en oeuvre pour connaître les risques sanitaires liés aux produits, faire des études et les financer, et protéger la population de la voie alimentaire, qui est aujourd'hui la seule voie de contamination. C'est un engagement plein et entier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je salue cet engagement. Je note avec satisfaction que vous reconnaissez la responsabilité de l'État.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre, comme vous l'avez dit, le prochain plan chlordécone doit parler au quotidien des gens. Ma question est la suivante : faudrait-il, à votre avis, un référent disposant de l'autorité nécessaire pour piloter le plan chlordécone à l'échelle locale ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

C'est une très bonne question. Les précédents plans chlordécone étaient pilotés par le directeur général de la santé. En réalité, nous avons besoin d'un plan interministériel. C'est clair. Nous avons besoin du ministère de l'agriculture pour faire la cartographie des sols, pour changer les semences, éviter qu'il y ait des plantes contaminées. Nous avons besoin du ministère de la santé pour l'évaluation de l'eau, pour les jardins familiaux. Nous avons évidemment besoin de tous les services de l'État. La personne qui me paraît la mieux positionnée pour de l'interministériel est le préfet, avec un lien très fort avec l'ARS. Le pilotage national doit être interministériel. D'ailleurs, nous l'avons parfaitement assumé avec Mme Annick Girardin pour les outre-mer, M. Didier Guillaume pour l'agriculture et Mme Frédérique Vidal pour la recherche. Nous nous sentons tous concernés. Personne ne repasse le bébé à son voisin – si je puis dire. En tant qu'élus des Antilles, dès le début, nous avons pris le sujet à bras-le-corps, et nous ne fuyons aucune responsabilité. Il faut un pilotage interministériel et nous l'assumons. Ce n'est pas faire injure au préfet que de considérer avec bienveillance la possibilité qu'il désigne localement un coordonnateur local à plein temps dans chacune des deux îles. Aujourd'hui, la responsabilité d'une politique interministérielle incombe aux préfets. S'ils estiment qu'ils n'ont pas les moyens ou le temps de l'assumer pleinement et qu'il faut un coordonnateur local, je pense qu'ils peuvent le faire avec les ARS qui sont très au fait du sujet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la Ministre, vous avez anticipé une préoccupation. Nous l'avons entendu en Martinique et au cours des auditions en Guadeloupe, il y a insuffisance des pilotages, pas seulement du préfet. Le préfet de la Guadeloupe a délégué à une femme remarquable – Mme Virginie Klees – qui a innové, mais honnêtement, en confiant cela à une personne qui a 50 millions de choses à faire en plus de piloter le chlordécone, personne ne peut comprendre que vous cherchiez de l'efficacité. Nous cherchons plutôt la confusion. Quant à la Martinique, il y a un préfet qui s'occupe de tout, de la République, et il coordonne le plan chlordécone. Je comprends pourquoi son prédécesseur est resté quatre ans sans réunion de plan chlordécone.

Il y a quand même un pilotage local sous l'autorité du préfet, et pas par le préfet lui-même. De plus, il n'y a pas de quoi mettre en place un délégué interministériel, comme vous l'avez fait pour le glyphosate pour coordonner l'ensemble des actions des ministères. Vous savez pertinemment qu'une réunion interministérielle peut durer de dix minutes à deux heures. Pour le plan chlordécone, cela a duré dix minutes.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je vais vous rassurer, monsieur Letchimy, parce que je suis très attentive au sujet. En Martinique, j'ai choisi le nouveau directeur général de l'ARS que je viens de nommer, en particulier parce qu'il avait suivi avec moi les questions du chlordécone à l'INCa. Il connaît parfaitement le sujet. C'est un médecin de santé publique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Seriez-vous favorable aux tests gratuits pour toute la population, ou pour les personnes sensibles ? Ce sont deux hypothèses dont nous avons discuté avec le directeur général.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je comprends le besoin d'une coordination locale au niveau national. Il faut une coordination interministérielle, mais la nomination d'un délégué interministériel dépend d'un premier ministre. Prendre l'engagement et dire qu'il faut un délégué interministériel revient à me substituer au rôle du Premier ministre.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Cela peut être quelqu'un du ministère, tout à fait. Je pense que cela peut être utile. Après, vous m'interrogez sur les tests. Je sais que c'est une forte demande de la population. En réalité, je pense que c'est potentiellement anxiogène et qu'il faut le faire dans le cadre d'études de recherche. Je vais vous expliquer pourquoi. Vous le savez, le chlordécone disparaît dans le sang au bout de six mois. Le dosage de chlordécone est dépendant de ce que vous avez mangé dans les six mois précédents. Selon que vous avez mangé des choses contrôlées ou non contrôlées, vous pouvez avoir beaucoup de chlordécone ou pas du tout. Pour connaître l'imprégnation individuelle, il faudrait donc quasiment faire des dosages tous les trois mois, cela n'a pas de sens. Il vaut mieux se protéger en mangeant proprement des choses contrôlées, et là, nous sommes sûrs d'avoir un taux de chlordécone à zéro.

Par contre, dans le cadre d'études pour vérifier si la quantité de chlordécone présente dans le sang est en lien avec des pathologies, je pense que c'est important, et nous pouvons tout à fait imaginer faire des dosages sanguins, notamment dans les cohortes que nous mettons en place chez les femmes enceintes, par exemple, ou chez des travailleurs exposés. C'est ce que nous avons fait. Il est clair que les mesures de chlordéconemie n'ont pas d'intérêt à l'échelon individuel, parce qu'elles vont changer tous les mois. Nous n'allons pas demander aux gens de se faire une prise de sang tous les mois. Il vaut mieux qu'ils se protègent en mangeant proprement. Cela a un intérêt à l'échelon collectif pour voir l'imprégnation d'une population et s'il y a une relation entre le niveau de chlordécone dans le sang et des pathologies. Santé publique France dit aujourd'hui sur les différentes études qui ont eu lieu dans la population générale, que les taux moyens de chlordécone dans le sang sont en diminution depuis dix ans. Nous voyons bien que la population a changé ses habitudes alimentaires, elle est en train de se protéger. Les gens sont moins imprégnés de chlordécone qu'ils ne l'étaient auparavant. Nos mesures fonctionnent. Si nous arrivons à cette alimentation zéro chlordécone, en réalité, les gens n'auront pas besoin de se poser la question.

Les taux les plus élevés sont retrouvés chez les gens qui mangent énormément de produits de la pêche. Là, cela ne diminue pas, parce qu'il semblerait qu'avec l'eau de pluie qui amène le chlordécone sur le littoral, poissons, coquillages et crustacés sont très contaminés. Cela concerne aussi tous ceux qui mangent beaucoup de tubercules et de racines, et ceux qui mangent beaucoup dans les circuits informels du bord des routes. Il faut éviter. C'est vraiment cela notre objectif principal, aujourd'hui.

Comme c'était une demande récurrente, la DGS a saisi la Haute Autorité de santé (HAS), pour savoir si le test avait un intérêt. Je vous donne mon avis, mais nous avons évidemment saisi une autorité indépendante scientifique pour savoir s'il y aurait un intérêt à doser le chlordécone dans le sang dans le cadre d'un dépistage. À partir du moment où les taux sont variables d'un jour à l'autre en fonction de ce qu'on mange, tous les six mois, cela me paraît peu probable. Cependant, nous les laissons faire leur travail. Ils ne rendront leurs conclusions qu'en 2020, pour savoir si ce dosage a un intérêt en population générale.

Pour ceux qui le souhaitent, il y a un dosage possible à l'Institut Pasteur de Guadeloupe, à partir de la fin 2019. La HAS donnera son avis sur l'intérêt, et c'est seulement la HAS dit qu'un test a un intérêt qu'il est remboursé par la sécurité sociale. Le remboursement de ce test par la sécurité sociale dépendra donc de l'avis de la HAS, comme tout test de diagnostic ou de dépistage dans notre pays.

Je soutiendrai toutes les études, notamment celles de recherche clinique sur les femmes enceintes. S'il y a des chercheurs qui souhaitent monter des cohortes, nous les soutiendrons.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite vous poser deux questions s'agissant du fonds d'indemnisation des victimes. Ce fonds prend-il en compte les anciens et actuels travailleurs de bananes affiliés à la Caisse générale de sécurité sociale, les ouvriers et anciens ouvriers payés à la tâche ? Ensuite, faut-il prévoir une indemnisation de toutes les victimes potentielles, et sous quelle forme ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Comme toujours dans une démarche pour identifier les conséquences d'un toxique sur le plan de la santé, nous commençons par regarder chez les personnes qui ont été les plus exposées, à savoir les travailleurs de la banane. Ce sont eux qui vont nous dire quelles pathologies sont développées quand on est extrêmement imprégné de chlordécone.

Ce fonds d'indemnisation des victimes des phytosanitaires s'adresse aujourd'hui aux personnes qui ont été en contact direct par leur travail, ou par exemple les conjoints ou les enfants nés de personnes enceintes, qui auraient été exposés dans le cadre du travail. Le champ de ce fonds est un peu plus large que celui les travailleurs, il touche aussi les conjoints ou les enfants des couples qui travaillent dans l'exploitation. C'est une couverture qui identifie des personnes « à haut risque », c'est-à-dire celles qui auront été les plus touchées.

Si nous mettons en évidence des pathologies liées au chlordécone, ce fonds pourra éventuellement être amené à évoluer, mais la première étape est celle-ci. Cela va être voté dans le PLFSS 2020. J'en suis très fière parce que c'était une demande de longue date. C'est vraiment affirmer que devant un risque sanitaire avéré, nous nous donnons les moyens de compenser pour les personnes qui ont subi les conséquences.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avez-vous mesuré l'impact ? Vous savez pertinemment que selon le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), sur les 100 000 personnes potentiellement touchées par les accidents de travail, maladies professionnelles, il n'y en a que 10 000 dont les dossiers ont réussi à avancer, et vous n'en avez indemnisé qu'environ 3 000. Le taux est extrêmement faible, parce que c'est le malade qui doit prouver qu'il y a un lien entre sa maladie et le chlordécone. Vous rentrez dans un processus où la plupart des experts martiniquais et guadeloupéens qui ont travaillé sur le dossier, disent que vous n'allez pas indemniser plus de 1 % de la population agricole réelle. Ne serait-ce pas une manière de contourner une difficulté qui consiste à dire que 92 % et 95 %, cela fait environ 750 000 à 800 000 personnes, et pas 12 000 ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

C'est tout le contraire, Monsieur Letchimy. Ce fonds d'indemnisation vise justement à arrêter ce processus au cas par cas, dont nous savons qu'il ne touche pas la majorité des victimes potentielles de cette imprégnation. C'est justement pour changer la méthode. Le premier changement est de créer un fonds systématique pour toute personne qui aura été exposée dans le cadre de sa vie professionnelle, ou enfant dans le ventre de sa maman exposée, ce n'est pas rien. C'est la première fois que nous créons un fonds comme cela. Cela n'existe pas, aujourd'hui. Nous simplifions le processus d'indemnisation en inscrivant certaines maladies dans le tableau des maladies professionnelles. Pourquoi est-ce si long ? Aujourd'hui, quand vous regardez les tableaux des maladies professionnelles, il n'y a rien en face du chlordécone. Ce n'est pas reconnu.

Permalien
Une intervenante

Et le lymphome ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Les lymphomes, ce sont tous les pesticides. En dehors des lymphomes, il n'y a rien. Que faisons-nous ? Nous disons aux agences, à l'ANSES et à l'INSERM, de nous dire quelles maladies sont liées au chlordécone pour les inscrire dans le tableau des maladies professionnelles. C'est justement pour arrêter cette forme de course à l'indemnisation, qui est un parcours du combattant pour les personnes, que nous créons ce fonds et que nous travaillons sur le tableau des maladies professionnelles. C'est justement pour inverser la donne et ne pas rester dans ce schéma.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

D'accord, mais que faites-vous des 730 000 qui restent ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Les 730 000 ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

750 000 personnes moins 13 à 15 000, cela fait 735 000 personnes. Pour ceux dont le sang est imprégné du chlordécone, y a-t-il un fonds d'indemnisation global pour répondre clairement aux besoins des pêcheurs ? Ils doivent aller pêcher plus loin, sans moyens supplémentaires de soutien. Il leur faut des bateaux plus longs, plus grands, et des matelots plus nombreux, avec une aide de l'ordre de 5 000-6 000 euros. Il y a les agriculteurs qui doivent assumer les mutations. C'est bien de dire qu'il faut consommer propre, mais ce n'est possible que si la production est propre. Pour faire cet effort de mutation agricole, il faut investir et dépenser. Pour pouvoir faire le test agricole dans JAFA, cela marche, mais hors JAFA, il n'y a pas d'aide. La dépollution du terrain va coûter de l'argent. Le fonds d'indemnisation global pourrait être affecté à des secteurs économiques. Qu'en faites-vous ? Cela fait 730 000 personnes.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je comprends. Le fonds d'indemnisation est vraiment pour les gens qui ont développé une maladie. Ce n'est pas un fonds d'indemnisation d'aide à la reconversion. Cela n'est pas dans mon champ d'expertise. C'est pour cela que je ne sais pas quoi vous répondre. Il faudra demander à M. Didier Guillaume. J'apprends par exemple qu'il faudrait des bateaux plus longs, ce n'est pas mon champ.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous voyez bien que face à un problème, je suis baladé entre M. Didier Guillaume, vous-même, Mme Annick Girardin.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Non, vous n'êtes pas baladé. Nous prenons chacun notre responsabilité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

D'accord, mais sur le terrain, ce n'est pas segmentable. Pour vous, vu d'ici, c'est segmentable, mais pour nous, là-bas, cela ne l'est pas. Nous sommes à la fois hommes, pêcheurs, agriculteurs, enfants, femmes enceintes. Nous sommes tout en même temps, nous ne disséquons pas. Nous ne savons pas qu'une partie vient de Mme Agnès Buzyn, une autre de M. Didier Guillaume. C'est pour cela que nous parlons de fonds. Je ne suis pas favorable à une indemnisation individuelle de tout le monde, du fait que l'État soit favorable. Je suis favorable à un fonds d'indemnisation pour réparer – ce n'est pas moi qui ai employé ces termes-là, c'est le Président de la République – globalement et collectivement. C'est pour cela que la question de Mme Benin était importante.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Pour le fonds d'indemnisation, nous parlons de deux objets qui sont dans le champ du ministère de la santé et de la loi de financement de la sécurité sociale, un fonds d'indemnisation sanitaire sur les maladies. Vous me parlez d'un fonds d'indemnisation qui serait plutôt sur le budget de l'État, de l'agriculture ou de l'environnement, pour dépolluer les sols, changer les cultures, acheter des bateaux, etc. Évidemment, je n'ai pas travaillé ce sujet.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je pense évidemment qu'il faut aider les gens à se reconvertir, mais je ne sais pas si c'est sous la forme d'un fonds. Le plan chlordécone doit être multisectoriel. Il doit être une forme de réparation collective des dommages, mais je ne sais pas le faire dans mon champ ministériel.

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je suis toujours favorable pour aider les populations à se protéger, notamment sur le plan alimentaire. C'est évident. Je crois que l'enjeu pour l'avenir est vraiment de protéger l'alimentation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mme la Ministre a bien fait, elle a répondu à son engagement dans le cadre du PLFSS, c'est ce qu'elle avait promis. Je suis satisfaite.

Pensez-vous que le suivi de l'état de santé des populations de Guadeloupe et de Martinique soit suffisant ? Par ailleurs, les infrastructures sanitaires de la Guadeloupe et de la Martinique sont-elles suffisantes pour faire face à l'accompagnement des populations face à cette pollution ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je vais peut-être parler de l'offre sanitaire. Aujourd'hui, nous savons à quel point nous avons des investissements à faire en Guadeloupe et en Martinique. Ne doutez pas de mon engagement pour remettre à niveau l'offre de soins de la Martinique et de la Guadeloupe. Je l'ai déjà montré dans les investissements que nous faisons dans mes déplacements sur place. J'ai toujours été choquée par les inégalités de santé. C'est insupportable pour moi en tant que médecin. Dans mes postes antérieurs, j'avais déjà voulu mieux aider la Guadeloupe et la Martinique sur le dépistage des cancers. Je suis vraiment formellement engagée et à l'écoute des besoins. Or on ne répare pas un sous-investissement ou un sous-engagement en deux ans. J'ai mis des moyens. Le CHU de la Guadeloupe est en train de se construire, j'aide le CHU de la Martinique. J'essaie de favoriser les professionnels libéraux qui s'installent, y compris des spécialistes, pas que des médecins généralistes. Je lève les barrières pour vraiment renforcer l'offre de soins locale. C'est un engagement que j'ai pris de longue date et sur lequel je serai à côté de vous dans la durée.

Ensuite, la population est très suivie. Il y a un registre des cancers qui couvre toute la population. Cela n'est pas vrai partout en métropole, où simplement 20 % de la population est couverte par les registres des maladies. Il y a des études spécifiques qui sont financées. Je viens de vous annoncer un fonds au sein du budget de l'Institut national du cancer, dédié à toutes les études que voudront faire les professionnels ou les chercheurs dans ce champ-là. Après, pour dire que la population ne serait pas suffisamment suivie, il faudrait savoir ce que nous cherchons. Or, la première étape est vraiment de définir ce que l'on doit rechercher et ce que l'on doit prévenir. Je le répète, je pense que l'urgence est vraiment le zéro chlordécone dans l'alimentation. Si nous arrivons à faire cela, il n'y aura plus d'inquiétude pour la population pour l'avenir.

Un registre des cancers a été mis en place grâce à l'ancien plan chlordécone, mais nous avons aussi un registre des malformations congénitales aux Antilles (REMALAN) créé aussi grâce au plan chlordécone en 2014. Nous avons un dispositif de toxicovigilance spécifique aux Antilles, créé en 2014, pour vérifier la dépollution des sols et les conséquences sanitaires. En fait, nous sommes en train d'équiper la Guadeloupe et la Martinique progressivement, pour justement prendre en compte ce besoin spécifique de suivi des populations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez détaillé un certain nombre de mesures pour être à la hauteur des enjeux de ce drame humain et environnemental, dont nous parlons maintenant depuis longtemps. Je vous remercie pour les mesures que vous avez détaillées. Toutefois, je suis assez catastrophée de voir que malheureusement, le scandale d'État du chlordécone risque de ne pas être le seul, et de voir à quel point les effets sur les humains, sur les générations à venir, sur l'environnement, risquent d'être reproduits si nous ne tirons pas les leçons de cette prime de l'économie sur la santé des citoyens et citoyennes. Malheureusement, nous ne savons pas si le glyphosate n'est pas un nouveau chlordécone. Tout à l'heure, il était intéressant que M. le Président parle du nucléaire, puisqu'effectivement, un chercheur avait comparé ce qui se passait aux Antilles à une catastrophe nucléaire. C'est vrai que sur le nucléaire, les risques sont peut-être plus connus, quoique moins dits. Nous pouvons aussi parler de l'amiante, et malheureusement, il y aura encore d'autres produits si un principe de précaution n'est pas réellement appliqué et si nous ne trouvons pas une solution pour que l'intérêt des populations soit enfin pris en compte, et que cela ne soit pas toujours un modèle économique qui prime. Quelles sont vos recommandations pour que nous ne soyons plus jamais dans un modèle qui fasse primer l'économie sur la santé des populations ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je ne suis pas ministre de l'économie ou de l'agriculture. Je suis ministre de la santé. Je suis évidemment extrêmement attentive à tous les enjeux de santé publique. Je veux quand même rappeler que les produits que nous utilisons aujourd'hui dans l'alimentation sont des produits qui vont chercher le rendement, et ont un impact économique sur les rendements des agriculteurs, mais ce sont aussi des produits qui, pour certains, ont permis d'éviter un certain nombre de maladies liées à l'alimentation, dont on mourrait. Il faut que nous fassions attention dans les changements de modèles agricoles, à ne pas voir réapparaître des maladies anciennes, comme le botulisme. C'est très important que nous soyons attentifs à l'impact de toutes les reconversions agricoles sur la santé.

Comme tout le monde, je suis convaincue que nous devons changer notre modèle agricole. Le Gouvernement est pleinement engagé. Il a un objectif de réduction de 50 % des pesticides à l'horizon 2025. C'est le plan Ecophyto sur lequel nous sommes engagés. Nous sommes le seul pays à avoir pris l'engagement de sortir du glyphosate en trois ans. Nous avons bien évidemment des engagements puissants de la France. Faisons attention aussi à ne pas exposer nos populations à des aliments venant d'ailleurs, c'est-à-dire en mettant une pression extrêmement forte sur nos agriculteurs, et se retrouver avec des produits agricoles importés qui seraient de moins bonne qualité. Je regarde tous ces enjeux de façon très attentive.

Je regarde aussi les enjeux de recherche et de connaissance, parce qu'en réalité, nous mettons dans le même panier tout un tas de produits dont nous ne connaissons pas la toxicité individuelle, et encore moins la toxicité cumulée. Je pense que nous avons un énorme travail à faire, de recherche sur les toxicités environnementales. Nous disposons d'une base extraordinaire. Pour la première fois, Santé publique France a publié une étude T0, c'est-à-dire qui va nous permettre de regarder ce qui se passe à l'avenir, un T0 de toute l'imprégnation de la population française en termes de pesticides et de produits phytopharmaceutiques. Cette étude a été rendue publique il y a un mois, et cela va nous permettre de voir si à l'avenir, toutes les politiques que nous menons permettent réellement une réduction de l'imprégnation de la population. C'est très important. Mon travail est de réduire au maximum les imprégnations, vérifier que les politiques que nous menons ne font pas émerger de nouveaux risques, pour que nous ne nous mettions pas à utiliser de nouveaux produits qui seraient a priori moins toxiques, et qui risqueraient en fait d'avoir d'autres toxicités de long terme que nous ne connaissons pas. À chaque fois que nous touchons à ces politiques, je regarde l'impact immédiat et l'impact à long terme. Mon travail est de vérifier que la population française est le moins imprégnée possible en produits chimiques, quels qu'ils soient. Je pense que si nous pouvons éviter les produits chimiques, il faut le faire. Mon devoir est aussi de vérifier que les décisions que nous prenons n'exposent pas à des risques à long terme différents de ceux que nous envisageons aujourd'hui. En réalité, de quoi souffrons-nous dans les scandales que vous évoquez ? Il s'agit de décisions prises il y a 30 ans ou 40 ans, dont nous n'avons pas perçu l'impact sanitaire 40 ans après. Je ne voudrais pas être une ministre qui participe à prendre des décisions qui vont avoir un impact sanitaire de 30 à 40 ans que nous n'aurons pas vu. Soyons très attentifs à ce que nous faisons.

Enfin, nous mettons en place un quatrième plan national santé environnement, qui va être révélé très prochainement, pour les années 2020. Cela va s'appeler « Ma santé, mon environnement », et va veiller à renforcer tous les travaux de recherche sur la santé environnementale – notre niveau de connaissance étant insuffisant – et favoriser la réduction des risques, l'information des populations vulnérables, femmes enceintes, enfants en bas âge, etc. Ce plan est un engagement très fort, notamment pour la santé des enfants, avec un site internet que nous venons d'ouvrir, qui s'appelle « J'agis pour bébé ». C'est un site pour toutes les femmes enceintes et tous les parents d'enfants en bas âge, qui permet de mieux connaître les produits chimiques auxquels ils sont exposés, et pas seulement alimentaires ; c'est aussi dans la maison. Le principe de précaution doit prévaloir. Dès que nous pouvons réduire un risque, nous le réduisons. Nous avons aussi dans les agences sanitaires, mais maintenant au niveau européen, une voie française apportée sur la réduction des conflits d'intérêts et les liens d'intérêt des experts. En France, les choses ont été assez bien réglées depuis la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, mais je pense qu'au niveau européen, il y a encore beaucoup d'actions à mener.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quel est votre sentiment sur le fait de faire du chlordécone une priorité stratégique en matière de recherche ?

Permalien
Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Je l'ai fait pour plusieurs raisons. D'abord, parce que cette histoire dure depuis trop longtemps. Je trouve que mettre autant de décennies pour être capable de proposer une alimentation zéro chlordécone… Je pense qu'il faut en faire une priorité stratégique. C'est ce que j'ai demandé à l'ANSES et à l'INSERM : prioriser sur le chlordécone par rapport aux autres pesticides dans leur évaluation collective.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens vraiment à vous remercier. Je pense que l'ensemble des collègues notent votre détermination. Ce n'est pas dans nos habitudes de donner des félicitations à la fin, mais nous ne pouvons pas nous en empêcher. Nous comptons sur vous pour peser plus lourdement auprès du Président de la République et auprès du Premier ministre pour que nous allions vers les enjeux de responsabilité et de priorité, pour un sujet qui n'aurait pas dû durer 50 ans, comme vous l'avez indiqué.

Merci beaucoup.

La réunion s'achève à seize heures cinquante-cinq.

————

Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 14 octobre 2019 à 15 heures 20

Présents. – Mme Ramlati Ali, Mme Justine Benin, M. Raphaël Gérard, M. Serge Letchimy, Mme Mathilde Panot, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Guillaume Vuilletet

Excusé. – Mme Véronique Louwagie