La réunion

Source

Vendredi 5 juillet 2019

La séance est ouverte à onze heures vingt.

Présidence de M. Serge Letchimy, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête sur l'impact économique, sanitaire et environnemental de l'utilisation du chlordécone et du paraquat, procède à l'audition de Mme Pascale Barroso, responsable du département santé, de M. Gérard Bernadac, médecin du travail, de Mme Élisabeth Marcotullio, médecin du travail et conseillère technique nationale, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA

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Notre réunion est consacrée à l'audition des représentants de la Caisse centrale sociale agricole (CCMSA) : Mme Pascale Barroso, responsable du département santé, M. Gérard Bernadac, médecin du travail et Mme Élisabeth Marcotullio, médecin du travail et conseillère technique nationale.

Enregistrée, cette audition est retransmise en direct sur le portail vidéo du site de l'Assemblée nationale et peut être consultée en différé sur ce site. Vous êtes écoutés et entendus !

S'agissant d'une commission d'enquête, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et de dire « je le jure ».

Mme Pascale Barroso, M. Gérard Bernadac et Mme Élisabeth Marcotullio prêtent serment.

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Je vous laisse la parole pour une courte présentation, Mme la rapporteure posera ensuite ses questions, suivie par nos collègues parlementaires.

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Pascale Barroso, responsable du département santé de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

La Mutualité sociale agricole gère l'ensemble de la protection sociale de base des salariés et non-salariés agricoles pour les risques de maladie, maternité, invalidité, retraite, accidents du travail, maladies professionnelles, prestations familiales et minimas sociaux. Elle gère également la retraite complémentaire des exploitants agricoles.

Cinq millions six cent mille personnes sont affiliées à la MSA, dont un peu plus de 3,2 millions de personnes au titre de la protection maladie.

La branche relative aux accidents du travail et maladies professionnelles des salariés a été créée en 1973 ; celle des non-salariés agricoles a vu le jour plus récemment, en 2002.

Dans les départements d'Outre-mer (DOM), les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) assurent l'ensemble des prestations maladie et accidents du travail des salariés relevant du régime général et des salariés relevant normalement du régime agricole, ces derniers étant intégrés au même régime.

Le législateur a confié la branche « couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles » des non-salariés agricoles des Outre-mer aux caisses générales de sécurité sociale, les missions étant localement dévolues aux caisses départementales.

Le législateur a, en outre, confié des missions à la caisse centrale qui lui sont propres. Liées à la consolidation des comptes, elles portent sur l'encaissement des cotisations et la gestion des prestations.

La caisse centrale a également une fonction de gestion d'un fonds de réserve des rentes et d'un fonds de prévention des risques professionnels. À ce titre, elle coordonne les actions de prévention des risques professionnels dans les départements d'Outre-mer.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Dans le cadre de ces missions réglementaires, je reviens sur la prévention des risques professionnels. En raison de l'éloignement des départements d'Outre-mer, il a fallu trouver une formule qui assure la présence des missions du service de santé au travail (SST) dans les mêmes proportions que sur le territoire hexagonal et avec les mêmes unités de travail. Cela s'est fait par délégations techniques et financières avec les CGSS. Dans les départements de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, trois équivalents temps plein de techniciens en prévention de la CGSS sont rémunérés par la caisse centrale.

Par ailleurs, pour quelques actions du médecin du travail auprès des exploitants agricoles, on compte 0,5 médecin du travail équivalent temps plein, les CGSS ayant en charge l'organisation du recrutement. Il est toujours difficile de trouver un 0,1 médecin dans un département. Aussi a-t-on laissé libres les CGSS de juger la manière de passer convention avec les services inter-entreprises. Ces conventions représentent à ce jour une charge de 450 000 euros versés par la caisse centrale aux CGSS. Elles représentent également un fonds de fonctionnement de 100 000 euros, auxquels s'ajoutent, de même qu'en métropole, des actions financières de prévention dans les exploitations à hauteur de 60 000 euros.

Au prorata des populations, les mêmes critères sont appliqués en Hexagone. Ce dernier compte un conseiller en prévention pour 4 000 à 5 000 salariés et l'exploitant ; dans les DOM, l'équivalent d'un conseiller pour les seuls exploitants.

En l'absence, de suivi médico-professionnel régulier des salariés, au sens de la loi relative au travail dite Loi El Khomri, on compte environ un médecin du travail pour 20 000 personnes dans les DOM, soit 0,5 équivalent temps plein.

Peut-être évoquerons-nous la continuité du territoire en termes d'action au fil des questions car des thèmes majeurs se profilent, notamment au titre du plan Santé au travail que nous réalisons tous les quatre ans et dont les informations et objectifs sont transmis aux CGSS. Une coordination s'opère afin que les départements d'Outre-mer fonctionnent de la même manière qu'en Hexagone, même si l'éloignement rend les choses plus difficiles.

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élisabeth Marcotullio

médecin du travail et conseillère technique nationale de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. L'Institut national de médecine agricole, l'organisme de formation professionnelle des professionnels de santé de la MSA, est chargé, depuis 2008, de la formation des formateurs Certiphyto (certificat individuel pour les produits phytopharmaceutiques). Nous organisons tous les quatre ans, en alternance entre le Pacifique et les Antilles, des formations pour les formateurs Certiphyto.

Le docteur Gérard Bernadac et un conseiller en prévention se sont rendus dans les départements d'Outre-mer il y a deux ans et ont visité des exploitations pour tenter une adaptation aux cultures locales et aux conditions de travail des salariés agricoles.

Par ailleurs, l'Institut national de médecine agricole a été mandaté par le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l'agriculture et de l'alimentation pour élaborer des recommandations du suivi médical des professionnels des bananeraies exposées aux produits phytopharmaceutiques, en particulier au chlordécone, répondant ainsi à l'action 11 du plan chlordécone III. Cette action a été lancée après le colloque qui s'est déroulé aux Antilles au mois d'octobre. Un groupe de travail s'est réuni et nous pensons pouvoir faire des recommandations types, sur le modèle de la Haute Autorité de santé (HAS) en 2020.

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Participez-vous à l'étude Matphyto DOM réalisée par Santé publique France et financée en partie par le plan Ecophyto portant sur l'exposition des travailleurs agricoles à la chlordécone et aux pesticides ?

En Guadeloupe et en Martinique, effectuez-vous un suivi spécifique des travailleurs agricoles, des travailleurs de la banane et des anciens travailleurs ? Faut-il organiser des tests du taux d'imprégnation de l'ensemble de la population ? Cette donnée présente-t-elle un intérêt médical pour l'individu etou un intérêt épidémiologique ?

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élisabeth Marcotullio

Pour l'heure, nous n'utilisons pas les données de Matphyto dans la mesure où nous sommes en train d'obtenir les autorisations pour y accéder. Nous les utiliserons, bien entendu, pour établir nos recommandations de suivi, mais de manière plus générale car nous ne pouvons opérer un suivi molécule par molécule puisque chaque spécialité de produits phytopharmaceutiques présente une spécificité propre et nécessiterait un suivi particulier.

Dans le cadre de nos futures recommandations, nous présenterons des propositions de suivi des travailleurs en général qui ont été exposés au chlordécone dans le passé. En raison de terres contaminées, nous allons évaluer si les travailleurs sont soumis à une exposition supérieure à la pollution environnementale et s'il convient de faire des recommandations spécifiques du suivi des travailleurs. Ces travaux sont en cours d'élaboration ; je ne puis donc vous en dire davantage tant que le groupe de travail n'aura pas rendu ses conclusions.

Selon les données de la littérature, les taux de chlordécone retrouvés chez les travailleurs agricoles en 1993 ou les dix années qui ont suivi rejoignent les taux présents dans la population générale. Il existe bien d'autres biais de contamination, tels que l'alimentation tirée des produits du jardin ou de la pêche. Par ailleurs, des terres ayant été reconverties à d'autres cultures que la banane, il est possible que les salariés soient exposés au chlordécone. C'est ce que nous allons tenter d'identifier par la voie de questionnaires.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Nous avons connu deux périodes. Dans un premier temps, critique, les travailleurs agricoles ont été exposés. La Mutualité sociale agricole n'avait en charge ni les exploitants agricoles, qui n'étaient pas couverts par l'assurance accidents du travail des exploitants agricoles (ATEXA), ni les salariés agricoles aux Antilles. L'étude sur ce premier temps d'exposition est en cours. À l'époque, nous n'avons pu faire quoi que ce soit. Aussi nous nous repositionnons à une étape ultérieure, l'étape actuelle, en reconstituant à la fois les expositions et les méthodes d'application. Nous ne disposons ni de photos, ni de vidéos, ni de documents de travail pour déterminer l'utilisation du chlordécone par un travailleur en Guadeloupe ou en Martinique. Si des études ont été faites sur le sujet, que nous avons consultées, nous ne disposons pas d'éléments majeurs pour traduire en termes scientifiques le niveau d'exposition ou les situations qui prêtaient les travailleurs à une forte exposition. Ainsi que vous le savez, l'exposition à un pesticide est très difficile à évaluer, y compris de nos jours. Sans éléments probants des situations passées, nous sommes confrontés à des difficultés.

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Disposez-vous de statistiques sur le nombre de cas de maladies professionnelles reconnues, liées à l'exposition des pesticides en Guadeloupe et en Martinique ? Quelles substances sont impliquées ?

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Pascale Barroso, responsable du département santé de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

Nous disposons uniquement de remontées de la Guadeloupe. Nous pourrons entreprendre des démarches pour obtenir des données chiffrées auprès des autres CGSS.

En Guadeloupe, nous avons connaissance de trois cas de maladies professionnelles, dont un récent qui a été instruit en 2018. Malheureusement, les trois cas de maladies reconnus ne répondant pas aux remontées codifiées, nous ne sommes pas en capacité d'affirmer si ils ont un lien avec les pesticides.

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J'ai eu l'occasion de vous auditionner dans le cadre de la proposition de loi que j'ai portée relative à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes du chlordécone. Suite à cette discussion, Mme la ministre Agnès Buzyn a décidé de créer un fonds d'indemnisation spécifique pour les professionnels concernés par les pesticides en général et d'y inclure l'utilisation du chlordécone. Je pense qu'il faudrait ouvrir la liste des maladies professionnelles. Êtes-vous associés à cette démarche ? J'entends bien la difficulté actuelle puisque le chlordécone n'est plus utilisé et que le modèle d'utilisation des produits pesticides a changé.

Quelles seront les difficultés de faire d'inscrire le cancer de la prostate dont les causes sont multiples ? Les études ont prouvé un lien de cause à effet. Pour autant comment sera-t-il possible de faire valoir que le chlordécone qui a été utilisé et qui a pollué les terres sur lesquelles travaillent aujourd'hui des ouvriers est en cause dans le cancer de la prostate ?

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élisabeth Marcotullio

Mme Hélène Vainqueur-Christophe et moi-même siégeons à la Commission des maladies professionnelles dans l'agriculture qui est actuellement en pleine révision des tableaux relatifs aux pesticides pour déterminer si ces produits modifient les délais de prise en charge, les activités de travail ou les pathologies. Il est prévu de travailler sur un tableau du cancer de la prostate causée par la chlordécone. Nous ne savons pas encore s'ils verront le jour. Nous en sommes plutôt au stade des études épidémiologiques et essayons de déterminer les arguments positifs pour établir une relation avérée entre chlordécone et cancer de la prostate.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

La création de ce tableau pourrait éventuellement permettre de revenir sur des situations assez anciennes. Nécessairement, il faudra un délai de prise en charge très long puisque nous sommes à vingt-sept ans de la fin des expositions professionnelles.

Un autre aspect permettrait de mettre à jour des situations. Il conviendrait de démontrer que l'exercice professionnel dans des zones antérieurement contaminées par l'utilisation du chlordécone est susceptible d'engendrer des maladies par contact indirect. Dans leurs spécifications, les tableaux 58 et 59 font référence à l'application et à des contacts indirects, c'est-à-dire en dehors de toute période d'application du produit. Sous réserve de la création de ce nouveau tableau, intégrer les travailleurs supposerait un délai de prise en charge de trente ans. Ce délai existe déjà s'agissant des contaminations à l'arsénite de soude ou au benzène – au tableau 19. Par ailleurs, il faudrait intégrer les contaminations potentielles de type contacts indirects en démontrant que, dans certaines situations, les sols ou tout autre élément en lien avec l'activité professionnelle peuvent être pris en compte.

Sur un plan de santé publique, le fonds d'indemnisation n'intégrerait pas uniquement les populations de travailleurs. Il conviendrait de définir la notion de riverains au sens professionnel. Nous savons que le chlordécone n'était pas appliqué de façon mécanisée, il était appliqué manuellement sous forme de poudre, dans la proportion de trente gammes par pied, et ne « débordait » pas dans le sens actuel de maîtrise des nuages de pulvérisation. À cette époque, l'application de poudre ne débordait pas la zone de culture.

La notion de riverain stricto sensu au sens professionnel sera, me semble-t-il, ardue à définir. Il conviendra d'imaginer un cadre qui relèverait de la santé publique. Il appartiendra au législateur de définir la méthode pour y parvenir, afin d'établir les conséquences ultérieures et tardives d'une application du produit, certes limitées au départ, mais qui, au fil des années, se disséminent dans la terre et de l'eau. Des difficultés s'attachent à la création du tableau, même une fois que la relation de cause à effet aura été démontrée.

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élisabeth Marcotullio

Si jamais un tableau était créé, il concernera uniquement les exploitants agricoles dans les DOM.

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élisabeth Marcotullio

La Commission supérieure des maladies professionnelles agricoles (COSMAP) s'attache aux ressortissants du régime agricole.

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Qu'entendez-vous par « travailleurs agricoles » ?

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Pascale Barroso, responsable du département santé de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

Dans les DOM, les salariés agricoles sont intégrés au régime général. La MSA n'a pas la gestion des salariés agricoles dans les départements d'Outre-mer.

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Les salariés sont employés par un patron. Ne sont-ce pas ces personnes qui sont concernées ?

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Nous sommes au coeur de la législation. Dans les départements d'Outre-mer, les exploitants agricoles relèvent des tableaux des maladies professionnelles agricoles. Pour l'heure, les salariés agricoles dans les DOM ne relèvent que des tableaux des maladies professionnelles du régime général qui ne comportent pas les tableaux 58 et 59 ni a priori le tableau 60. En revanche, selon le propos de Mme Vainqueur-Christophe sur les fonds d'indemnisation, vous avez mené à terme les réflexions pour transposer les tableaux qui seraient créés – 58, 59 et peut-être 60 – aux CGSS et donc au régime général afin que les salariés agricoles des DOM puissent en bénéficier. Considérer qu'un travailleur agricole ayant utilisé des pesticides mais dépendant d'un régime ne bénéficie pas des mêmes « avantages » qu'en Hexagone, si tant est que l'on peut considérer qu'il s'agisse d'avantages, est une anomalie. Nous nous situons entre deux situations : pour l'heure, un salarié agricole à la Martinique ne peut déclarer une pathologie liée aux tableaux 58 ou 59. Le fonds d'indemnisation, sous les modalités que vous allez certainement définir, pourra intervenir par édiction d'une loi.

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Le Président de la République s'est engagé sur la prise en charge de l'indemnisation des travailleurs agricoles. Vous êtes en train de me dire que, sur le plan juridique, il faudra faire une analyse précise car si les exploitants agricoles relèvent directement de la procédure des tableaux 58 et 59, ce n'est pas le cas des salariés agricoles des DOM qui relèvent du régime général et que l'encadrement de la prise en charge n'est pas attaché aux tableaux 58 et 59. Il convient donc, d'une part, de budgéter les crédits ; d'autre part, de créer une réglementation nouvelle pour la fin de l'année.

De nombreux ouvriers agricoles travaillaient à la tâche sans contrat de travail, et donc sans assurance. Quelle appréciation pourrait-on porter sur ceux qui n'ont aucun élément à présenter au cours de la période allant de 1972 à 1993, voire au-delà ? Des solutions permettraient-elles de les prendre en compte ?

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Selon la définition du travail à la tâche en Hexagone, on peut travailler à la tâche et être cotisant à la sécurité sociale. Il suffit de transformer la valeur réalisée en heures de travail.

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Malheureusement, le travail à la tâche est issu de notre histoire colonisatrice, une vieille, mauvaise et sale histoire qu'est l'esclavage. Le travail à la tâche est aussi une manière d'accrocher « le nègre » libéré à la plantation et à l'habitation, une méthode qui a perduré des dizaines, voire des centaines d'années.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

J'ai bien compris votre réflexion, mais j'ai voulu d'abord rappeler la définition du travail à la tâche. Il s'agit d'une personne qui n'a pas de statut, qui ne peut produire aucun document, aucun bulletin de salaire et qui passe inaperçu aux yeux de la loi.

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Ne convient-il pas de prévoir dans la réglementation un dispositif spécifique ciblant les ouvriers agricoles afin de prendre en compte tous ceux qui bénéficient de témoignages attestant que ces personnes ont travaillé dans la culture de la banane ?

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Nous ne pouvons qu'acquiescer à votre propos sur le plan humain. Il est anormal de discriminer des personnes. Mais comment procéder ?

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Nous sommes là pour dire clairement que nous suivons les propositions présentées au Président de la République et au Premier ministre. La réforme ne touche que 50 % des personnes concernées, encore vivantes aujourd'hui.

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J'ai bien retenu qu'il n'y avait pas de remontées de la CGSS de la Martinique.

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Pascale Barroso, responsable du département santé de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

Nous n'avons pas de données pour la Martinique, la Guyane et la Réunion qui utilisent le système d'information du régime général, contrairement à la Guadeloupe qui utilise celui de la MSA. À ce jour, nous disposons uniquement des remontées comptables des non-salariés agricoles de quatre départements, des montants de cotisations appelés, recouvrés et du versement des prestations. Nous sommes également informés du nombre de non-salariés affiliés à la branche des exploitants agricoles dans ces quatre départements.

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Nous pointons du doigt tant d'incohérences alors que nous sommes dans la même République !

En matière de pesticides, le régime agricole se distingue par la création de deux tableaux spécifiques : créé en 2012, le tableau 58 pour la maladie de Parkinson provoquée par les pesticides ; le tableau 59 pour le lymphome malin non hodgkinien, intitulé « hémopathies malignes provoquées par les pesticides », créé en 2015.

Dans ces deux tableaux, les pesticides y sont définis de manière très large. Ils se rapportent aux produits à usage agricole et aux produits destinés à l'entretien des espaces verts, produits phytosanitaires, produits phytopharmaceutiques ainsi qu'aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu'ils soient autorisés ou non au moment de la demande. C'est ainsi qu'aucune substance n'est précisément mise en cause. Toutefois, le tableau 59 fait référence à des substances suspectées dans la liste des travaux. Selon les études scientifiques, ces travaux exposent habituellement aux composés organochlorés, aux composés organophosphorés, au carbaryl, au toxaphène ou à l'atrazine.

S'agissant du délai de prise en charge et de la durée d'exposition, ils sont d'un an, sous réserve d'une durée d'exposition de dix ans pour la maladie de Parkinson et de dix ans pour le lymphome malin non hodgkinien. Combien de travailleurs ont-ils vu leurs pathologies prises en charge en application de ces tableaux en Guadeloupe et en Martinique ? Comment sont calculées les indemnisations ? Quel est leur niveau moyen ? Comment prendre en compte les personnes qui ne sont pas couvertes par ce régime de retraite : retraités, riverains, enfants ?

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élisabeth Marcotullio

Je répondrai en premier lieu à votre question portant sur les tableaux.

Le tableau 59 portant sur les hémopathies malignes a été récemment modifié. Il est paru au Journal officiel au mois d'avril 2019. Outre le lymphome malin non hodgkinien, le myélome et la leucémie lymphoïde chronique complètent le tableau.

Une restriction touchait plusieurs pesticides en voie de disparition du marché. Le tableau a été modifié en avril 2019 pour prendre en charge « tout pesticide ». Actuellement, une égalité s'instaure entre les expositions du tableau 58 et du tableau 59.

Le tableau 58 est en cours de révision. Cinq ans après sa création, il est prévu de dresser un bilan du nombre des personnes indemnisées. Nous réfléchissons actuellement à une modification éventuelle du délai de prise en charge.

Quant aux maladies professionnelles liées aux pesticides aux Antilles, faute de tableaux applicables, nous n'avons pas de remontées. Peut-être la solution consisterait-elle à passer par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Si l'assuré ne remplit pas positivement les critères du tableau des maladies professionnelles et s'il souffre d'une incapacité permanente de travail de plus de 25 %, il est en droit de passer devant cette commission pour faire reconnaître le caractère professionnel de sa pathologie. Ce serait une manière pour la CGSS de reconnaître des maladies professionnelles des salariés agricoles exposés aux pesticides et être une voie de recours.

Je vais procéder à un ratio théorique entre les déclarations qui sont reconnues dans l'Hexagone au prorata de la population et ce qui pourrait être attendu dans les DOM. Pour l'heure, les tableaux 58 et 59 produisent assez peu de reconnaissances de maladies professionnelles dans l'Hexagone. Les résultats du tableau 58, comprenant les salariés et les non-salariés agricoles, font apparaître 90 cas de reconnaissances de maladies professionnelles. Le nombre est lié à la création du tableau qui a suscité une accroche. En 2013, on a comptabilisé 59 reconnaissances de maladies professionnelles ; en 2014, 40 ; en 2015, 49 ; en 2016, 55 ; en 2017, 40. Compte tenu des délais de prise en charge très courts pour la maladie de Parkinson qui n'est que d'un an, ces tableaux ne suscitent pas énormément de dossiers. On pourrait dire que les exploitants agricoles des DOM représentent 1 % des exploitants agricoles français.

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Pascale Barroso, responsable du département santé de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

On enregistre un peu plus de 21 000 affiliés à la MSA dans les DOM en tant qu'exploitants ou membres de la famille participant aux travaux agricoles.

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Quel est le pourcentage de personnes ayant bénéficié du tableau ?

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Pour le tableau 58, on en compte 40 % et 30 % pour les non-salariés agricoles en France. Dans la mesure où 1 % des exploitants agricoles français travaillent dans les DOM, le ratio n'atteint pas 1 % en retenant les mêmes qualificatifs et les mêmes règles du tableau. Il ne s'agit pas là d'un calcul scientifique, mais ce ratio théorique donne un aperçu de la faiblesse de la rédaction des tableaux qui ne permet pas aux personnes concernées de bénéficier de la reconnaissance de maladie professionnelle. À cinq dossiers près, les chiffres du tableau 59 sont les mêmes.

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Le rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur fonds d'indemnisation fait apparaître que, sur 100 000 personnes, 10 000 dossiers sont instruits et qu'environ 3 000 ou 4 000 dossiers bénéficient d'une inscription ou d'une prise en charge.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Nous avons lu ce rapport qui faisait état de 10 000 personnes sur dix ans, soit 1 000 personnes annuellement.

L'appréciation des dossiers est difficile, tout simplement parce qu'un tableau de maladie professionnelle fait appel à la reconnaissance médico-légale. On se fonde sur les données médicales pour acter une différence significative de cause à effet et, dans un second temps, pour éviter de passer à côté de cas de personnes intoxiquées – le tableau permet d'en indemniser quatre ou cinq.

Le tableau des maladies professionnelles retient davantage de dossiers de victimes que les statistiques officielles pourraient nous le démontrer. Le rapport de l'IGAS s'est appuyé sur l'idée de revoir les tableaux pour relever les niveaux d'indemnisation. Si l'on revoit le tableau 58 avec un recul de dix ans de prise en charge, ce qui peut-être se produira – on ne peut préjuger ce que dira le ministre –, le nombre des personnes indemnisées progressera. Le tableau du lymphome malin concerne l'ensemble des pesticides. Au départ, on n'a détecté que quelques cas de maladie mais ces pesticides étaient déjà interdits depuis des années. Avec le cancer de la prostate, on pourrait approcher le chiffre que vous évoquez.

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Vous nous expliquez que pour répondre aux enjeux liés aux maladies professionnelles qui seraient plus ou moins liées à l'usage du chlordécone, le fait de prendre en compte le chlordécone pour les exploitants agricoles, voire pour les salariés agricoles, si nous trouvons la solution juridique pour ce faire, ne permettrait pas de toucher beaucoup de personnes.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Les chiffres sont têtus. Les tableaux ne permettent pas d'aller très loin dans le nombre de reconnaissances.

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Je souhaite que cet élément essentiel soit indiqué dans notre rapport. Nous ne sommes pas dans un débat politique pour un débat politique. Nous avons appelé l'attention du Gouvernement sur la solution « maladies professionnelles » que l'on évalue à environ 12 000 exploitants ou travailleurs agricoles : 6 000 en Guadeloupe, 6 000 en Martinique. Selon vos explications, très peu de personnes bénéficieraient d'une prise en charge liée aux maladies professionnelles par ces tableaux, y compris modifiés.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Oui, sachant que l'on ne peut se projeter dans l'avenir ni fournir des chiffres précis.

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Je le comprends bien.

S'agissant des personnes qui ne sont ni exploitants ni ouvriers agricoles et qui sont victimes du chlordécone par l'alimentation, ce problème d'une autre envergure toucherait environ 750 000 personnes.

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élisabeth Marcotullio

Je reviens aux tableaux de maladies professionnelles. Lorsqu'un individu répond positivement aux trois colonnes renseignant la maladie, le délai de prise de charge et les travaux, il est automatiquement reconnu. Lorsqu'un individu répond aux trois critères, il n'a pas besoin de faire la preuve de la cause de sa maladie, le dossier est automatiquement acté. C'est dire qu'il est prouvé que travailler avec tel produit dans telles circonstances multiplie les probabilités d'être malade.

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Faut-il prouver par une analyse médicale que l'on a été exposé à des pesticides ou que l'on est malade ?

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élisabeth Marcotullio

Lorsqu'une personne répond aux critères d'un tableau de maladie professionnelle, aucune preuve n'est à produire ; la présomption d'imputabilité implique que la maladie résulte du travail.

Si le patient ne remplit pas l'un de ces trois critères, il est obligé de faire la preuve qu'il a été exposé, de présenter les résultats de ses dosages, des certifications, divers éléments prouvant que sa maladie est en lien direct et essentiel avec le travail.

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Les trois critères évoqués sont-ils de nature bloquante ?

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élisabeth Marcotullio

Oui. Imaginons qu'une maladie ne figure pas dans un tableau mais que la personne ait été exposée à des pesticides. Par exemple, une personne a été exposée à des pesticides et souffre d'un cancer du bras gauche – une maladie que j'invente. Le tableau n'existe pas et elle ne peut bénéficier d'un tableau de reconnaissance de maladie professionnelle. Si une personne réalise un travail qui n'expose pas aux pesticides et est atteinte d'un lymphome malin non hodgkinien, elle ne pourra pas être reconnue au titre d'une maladie professionnelle, d'autant que tous les lymphomes malins non hodgkiniens ne sont pas reconnus en tant que tels. En revanche, si elle a été exposée aux pesticides, ne serait-ce qu'un temps très court, elle sera reconnue au titre d'une maladie professionnelle si elle est ressortissante du régime agricole et si elle a déclaré la maladie dans les dix ans qui suivent la fin de son activité.

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La déclaration doit être faite dans le délai de dix ans.

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élisabeth Marcotullio

Oui, ce que l'on appelle le délai de prise en charge, le temps qui s'écoule entre la fin de l'exposition au produit et le temps de survenue de la maladie. Par exemple, si une personne prend sa retraite à soixante ans et déclare un lymphome malin non hodgkinien après avoir été exposée aux pesticides, son cancer sera reconnu maladie professionnelle entre soixante et soixante-dix ans.

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Et si elle le déclare à soixante et onze ans ?

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élisabeth Marcotullio

À soixante et onze ans, cette personne passera devant le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et devra argumenter en arguant d'une forte exposition aux produits, en soumettant ses cahiers de traitement et en prouvant qu'elle ne fume ni ne boit.

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élisabeth Marcotullio

Des bornes sont posées.

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Imaginons qu'une personne ait travaillé dans une bananeraie en 1972 ; elle ne se situe pas dans les limites bornées fixées par une autorisation provisoire qui aurait été accordée en 1974, en 1975 et en 1990.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Il existe une voie de recours. Les tableaux sont bloquants, mais si une des limites est dépassée, toute personne a un droit de recours auprès du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Son dossier sera étudié sous un angle différent de celui du tableau, sur la base d'éléments de preuves à fournir.

Pourquoi le législateur a-t-il créé des tableaux pour un certain nombre de pathologies ? Nous ne disposons d'aucun moyen biologique, radiographique, technique ni d'aucune application médicale pour établir la relation de cause à effet. Le médecin du travail ne peut, par des examens, valider le lien entre un cancer du poumon et l'utilisation des pesticides. Par exemple, pour éviter la multiplication des procédures juridiques et pour ne pas mettre en porte-à-faux les personnes qui déposent la demande, nous avons défini des critères minimums qui permettent au moins à une bonne partie des gens d'entrer dans le créneau sans faire appel à la justice. Tel est le fondement d'un tableau de maladie professionnelle.

Bien évidemment, des bornes ont été posées. À 80 ans, la prévalence du cancer de la prostate est de 10 % chez les hommes ; la maladie n'est pas toujours liée à des pesticides.

C'est une côte mal taillée, entre le législateur qui a défini des normes et une procédure d'appel par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qui existe dans chaque DOM.

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Nous nous acheminons sur une voie longue et difficile. L'intérêt des tableaux de maladies professionnelles permettra de créer le lien entre le cancer de la prostate et l'utilisation de chlordécone. Mais nous savons d'ores et déjà que très peu de personnes seront concernées par cette indemnisation.

S'ajoute le contexte sociologique des populations masculines des Antilles, de Guadeloupe et de la Martinique. Autant on peut déclarer aisément que l'on a un cancer, une maladie de Parkinson, mais le cancer de la prostate touchant à la virilité, très peu d'hommes déclarent être atteints d'un cancer de la prostate. Pour avoir auditionné les ouvriers agricoles en particulier, on constate la difficulté qu'ils ont à le formuler, diminuant encore le nombre de personnes susceptibles de se déclarer victimes d'un cancer de la prostate.

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Je précise à nos invités que c'est une scientifique qui s'exprime !

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Nous comprenons le facteur sociologique qui existe en toute chose. Sur le plan réglementaire, on ne peut forcer un exploitant ou un salarié à déclarer sa pathologie en maladie professionnelle. S'il veut la déclarer en maladie simple et bénéficier de l'invalidité au lieu d'une rente « accident du travail », c'est son droit.

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L'importance de votre propos est telle que nous souhaiterions que vous le formalisiez sous la forme d'une note synthétique. Vous avez été si directs et sincères publiquement qu'il n'y a aucune raison que vous ne posiez pas sur le papier les éléments susceptibles de nous aider à expliquer au Gouvernement ce qu'il faudrait faire, ne serait-ce que pour améliorer le tableau, éventuellement pour aller plus loin et passer du stade de la prise en charge « santé » par le biais de la maladie professionnelle à une procédure d'indemnisation qui dépasse le seul cadre de la maladie professionnelle.

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La CGSS de Guadeloupe utilise le même logiciel que celui de la Mutualité sociale agricole alors qu'il n'est pas utilisé en Martinique et que vous ne disposez pas de remontées de données. Il est important de le notifier clairement.

Par ailleurs, je relève que nous sommes contraints par la durée de dix ans. Or, les faits se sont déroulés il y a plus de dix ans.

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Nous sommes d'accord.

Nombre d'ouvriers agricoles de Guadeloupe et de Martinique devraient peut-être saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Des hommes et des femmes sont malades, leurs terres sont polluées et ils doivent eux-mêmes formuler la demande auprès du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Au-delà d'être victimes, c'est une douleur supplémentaire pour ces familles.

Où en est-on de la procédure de mise en place des tableaux des maladies professionnelles, notamment s'agissant du cancer de la prostate ? Quelle pathologie pourrait être reconnue et sur quelle durée ? Quelle exposition pourrait être prise en compte, autre que celle des travailleurs de la banane ?

Je terminerai par la création d'un fonds d'indemnisation, même si vous avez fourni quelques éléments de réponse à la question de Mme Vainqueur-Christophe. Pensez-vous nécessaire de créer un fonds pour indemniser les victimes du chlordécone et du paraquat ? En effet, la proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques adoptée par le Sénat prévoit, sous certaines conditions, la réparation intégrale des préjudices résultant de l'exposition à des pesticides, en allant au-delà de la simple réparation forfaitaire que la législation sociale limite aujourd'hui aux victimes professionnelles. À cette fin, elle crée un fonds d'indemnisation dont la gestion est confiée à la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Que pensez-vous du dispositif adopté et qui devrait assumer le financement de ce fonds ?

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Pascale Barroso, responsable du département santé de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

Sur les remontées des données de maladies professionnelles, la caisse centrale a lancé une démarche auprès des CGSS concernées pour obtenir des données fiables.

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élisabeth Marcotullio

La commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (COSMAP) a lancé une réflexion sur la création ou non d'un tableau. Nous sommes au début du recensement des données épidémiologiques. Nous nous sommes référés aux études de Luc Multigner sur les taux de chlordécone à risque de cancer de la prostate. Nous dressons actuellement la bibliographie et le recueil des données, y compris économiques, pour créer un tableau, pour déterminer si nous le créons et de quelle manière. Le tableau portera-t-il sur le cancer de la prostate ou sur la chlordécone et ses effets sur la santé ? Pour l'heure, nous ne pouvons vous répondre. Nous sommes là en tant que représentants de la Mutualité sociale agricole et de l'Institut national de médecine agricole à la COSMAP. Les partenaires sociaux présenteront des propositions et le Gouvernement décidera. Nous n'en sommes qu'au préambule.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Le président de la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture nous a expliqué que deux options se présentent lorsque l'on veut créer un tableau. Soit l'on décide de le créer parce que le risque relatif de telle population est supérieur à la population de référence. Soit le ministre décide de fixer des directives plus strictes aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles afin que ces pathologies soient étudiées avec une plus grande attention. Ce sont les attendus de notre première réflexion qui comprend deux niveaux et qui reviennent à peu près à la même chose, le premier étant plus systématique que le second.

Santé publique ou risque professionnel ? Soit on parle en termes d'affect et nous n'allons pas vous dire non. Malheureusement, notre mission a un objectif d'intérêt public et de service public et il nous est difficile de nous positionner puisque ce sont les élus qui décident du principe et nous qui assurerons sa mise en oeuvre de la même façon que l'on nous a demandé de gérer le fonds d'indemnisation.

S'agissant du financement, le fonds d'indemnisation pesticides et le fonds chlordécone seront sans doute fusionnés – ce n'est pas encore certain. Nous ne pouvons nous positionner sur le financement mais nous pouvons ouvrir des voies de réflexion.

Les pesticides doivent être homologués selon toutes les règles inhérentes aux homologations, en vue de protéger les populations qui les utilisent. Une homologation intègre à la fois le danger et la méthode d'application au travers du modèle d'exposition. Le risque est réputé très largement acceptable, selon le terme employé par l'Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES). Si le financement du fonds repose sur le régime des accidents du travail-maladies professionnelles (AT–MP) – les cotisations assises sur le salaire, payées par l'employeur, voire sur la taxe sur les pollutions –, on peut présupposer que c'est une faute pratique de la victime, la victime ayant mal utilisé la procédure et on lui demandera de financer son propre risque. Au-delà des modèles d'exposition, les modalités pratiques appliquées par les opérateurs n'ont pas l'efficience que l'on pourrait supposer. Par exemple, dans les DOM, l'atomiseur à dos devrait disparaître en raison de sa dangerosité. L'opérateur a des difficultés à maîtriser la totalité des risques, surtout s'il utilise uniquement des équipements de protection individuelle.

Si l'on considère que la société – encore que je ne sais pas définir qui est la société – a fait prendre des risques inutiles à un opérateur, peut-être faut-il qu'une partie de la solidarité nationale abonde le fonds afin que les victimes ne s'auto-rémunèrent pas, ne s'auto-payent ni ne s'auto-indemnisent. Faire assumer par l'intermédiaire de la cotisation « accidents du travail » le fonds d'indemnisation revient à faire supporter l'indemnisation aux victimes. Sur ce point encore, nous ne prenons pas position.

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Votre propos est essentiel. Je résume pour que l'on soit bien d'accord : si la procédure d'homologation est sans faille juridique, la responsabilité du risque peut être assumée par l'individu qui se prête à l'usage ou qui utilise le produit. Ce risque peut être intégré dans une responsabilité ainsi que le prévoient les tableaux de maladies professionnelles et la législation – cela dans le cadre d'homologations régulières, respectant les règles, je le répète. Si, par contre, les homologations sont suspicieuses, ne sont pas légales ou ont été données dans des conditions qui mettent en danger la vie des autres, le régime classique de droits appliqués devrait jouer par un fonds d'indemnisation permettant d'apporter les moyens d'assistance aux personnes victimes d'une décision préalablement prise qui n'a absolument aucune cohérence.

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Gérard Bernadac, médecin du travail, de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole

Je n'ai pas usé des termes « suspicieux » ou « illégal ». Ce sont des faits.

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Mon expression est plus libre que la vôtre. Je suis libre d'esprit et libre de dire ce que je pense. Notre démocratie heureusement autorise la liberté d'expression. C'est exactement l'esprit de la proposition de loi et ce que nous ressentons au vu des conditions de délivrance des autorisations en 1972 et en 1976 du chlordécone, du retrait des autorisations en 1990, puis de la double autorisation après les deux années d'ordre légal d'usage de ces produits, que je conteste, car on ne peut affirmer qu'un produit est dangereux en 1990 et continuer d'autoriser son utilisation. Il n'y a aucun sens à poser une interdiction et à autoriser pendant deux ans à empoisonner les gens ! C'est totalement incohérent ! On devrait modifier la législation sur ce sujet. Si le produit est dangereux, on l'interdit définitivement. On parle même de cas d'enfouissement du produit.

En 1992, deux prolongations ont été autorisées et on retrouve le chlordécone au cours des années 2000. C'est donc plutôt le second cas de responsabilité qui pourrait s'appliquer – mais les élus concluront. Je souhaite que ce soit par la voie d'un vote. Mme la rapporteure aura une responsabilité extrêmement lourde et importante. J'ai confiance en elle. Je sais qu'elle s'exprimera avec courage et détermination face à ce drame.

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Je voudrais dire à Mme Pascale Barroso, à Mme Élisabeth Marcotullio et à M. Gérard Bernadac que je les remercie infiniment de leur franchise et de leur grande subtilité.

Monsieur Bernadac, je partage avec vous votre propos sur le dernier sujet. Je retiens que la solidarité nationale doit jouer sa partition tant il est vrai que les agriculteurs ne peuvent pas payer pour l'ensemble de la pollution liée au chlordécone, à la Guadeloupe et à la Martinique. C'est ce que vous avez formulé de manière très subtile en présentant les deux options. Nous sommes d'accord.

En qualité de rapporteure, je vais peser de tout mon poids pour signifier au Gouvernement qu'il s'agit, ainsi que le Président de la République l'a dit, d'un fléau sanitaire et environnemental, conséquence d'un aveuglément collectif. On ne peut faire en sorte que les victimes s'auto-indemnisent. C'est ce que j'ai compris de votre propos. Aussi convient-il que la solidarité joue sa part et s'inscrive dans le prolongement du propos du Président de la République et de l'ensemble des actions mises en place, notamment de cette commission d'enquête parlementaire.

À nouveau, merci pour votre franchise !

La réunion s'achève à douze heures vingt-cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du vendredi 5 juillet 2019 à 11 h 20

Présents. – Mme Justine Benin, M. Raphaël Gérard, M. Serge Letchimy, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Assistait également à la réunion. – Mme Josette Manin