Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 3 mars 2020 à 18h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE RELATIVE A LA LUTTE CONTRE LES FRAUDES AUX PRESTATIONS SOCIALES

Mardi 3 mars 2020

La séance est ouverte à dix-huit heures trente.

Présidence de M. Patrick Hetzel. Président

La commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales procède à l'audition de M. Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris, ancien magistrat au sein de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Charles Prats, magistrat au tribunal de grande instance de Paris, à qui je souhaite la bienvenue.

Vous avez exercé des fonctions au sein de la Délégation nationale de lutte contre la fraude (DNLF) entre 2008 et 2012, fonction que vous pourrez d'ailleurs nous présenter. Vous intervenez régulièrement sur le sujet de la fraude aux prestations sociales. Vous aviez notamment estimé la fraude liée aux faux numéros de sécurité sociale attribués à des personnes nées à l'étranger à 14 milliards d'euros, chiffre contesté par le récent rapport du sénateur Vanlerenberghe, que nous avons auditionné la semaine dernière. Nous souhaiterions avoir votre éclairage sur cette question de la fraude sociale, sur vos méthodes d'évaluation, ainsi que sur vos propositions pour améliorer la politique de lutte contre la fraude, puisque l'objectif que nous poursuivons est de travailler sur un diagnostic, mais aussi d'aller plus loin que ce qui se pratique aujourd'hui.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure ».

(M. Prats prête serment.)

Permalien
Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Effectivement, je suis magistrat et non pas à la retraite, comme semble le croire le sénateur Vanlerenberghe dans son rapport. J'ai commencé comme inspecteur des douanes, j'étais enquêteur spécialisé sur les trafics de métaux précieux, les fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les jeux clandestins. Je travaillais à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), notamment. Ensuite, je suis devenu magistrat, après avoir passé le concours de l'École nationale de magistrature. J'ai été juge d'instruction.

En 2008, à la création de la DNLF à l'initiative de Nicolas Sarkozy et François Fillon – qui avaient demandé à Éric Woerth de créer cette délégation – Bercy m'a rappelé. C'est un ministère que je connaissais assez bien, puisque j'étais à la tête du syndicat des cadres de tout le ministère avant de basculer dans la magistrature. Je suis revenu à Bercy pour coordonner la lutte contre la fraude, et notamment pour piloter la création puis l'action des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF). J'ai quitté la délégation en 2012, où j'ai été remplacé par Éric Belfayol, que vous avez entendu, qui a à peu près le même profil que moi. C'est un ancien inspecteur des douanes devenu magistrat, ayant quitté la magistrature dernièrement, à qui j'ai donné mon poste.

Je suis redevenu magistrat en cour d'appel. J'ai exercé toutes les fonctions du pénal, en particulier à l'instruction. Depuis maintenant trois ou quatre ans, je suis juge des libertés et de la détention, avec encore un certain nombre de compétences en matière de droit pénal fiscal, un peu moins en matière de fraude sociale puisque nous voyons passer moins de dossiers. J'ai, par contre, eu l'occasion de revoir passer – je crois que vous êtes intéressés par tout ce qui relève de la fraude organisée – les fraudes aux prestations sociales. Nous pourrons en reparler, le sujet est intéressant.

Toute cette histoire sur le service administratif national d'identification des assurés (SANDIA), sur les numéros de sécurité sociale attribués sur la base de faux documents à des personnes nées à l'étranger, pour nous, au niveau de Bercy, a commencé en 2010. Vous connaissez le système : si vous êtes né en France, votre numéro de sécurité sociale vous est attribué par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) qui a un registre des communes : « 1 » si vous êtes un homme, « 2 » si vous êtes une femme, votre année de naissance, mois de naissance, département de naissance, numéro de la commune, numéro d'ordre d'état civil, donc le mois de naissance dans cette commune. Cela se fait de manière « automatique ». Si vous êtes né à l'étranger, que vous soyez français ou étranger, c'est la même chose, mais comme l'INSEE n'a pas de registre de toutes les communes de la planète, votre numéro de sécurité sociale doit vous être attribué « manuellement » avec un code pays. L'INSEE a délégué cette immatriculation à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), dans un service basé à Tours, qui s'appelle le SANDIA.

En 2000, Lionel Jospin, Premier ministre, avait publié un décret de simplification administrative qui admettait notamment des photocopies de documents de manière assez généralisée pour un certain nombre de démarches administratives – cela étant maintenant réglementé dans le code des relations entre le public et l'administration, à l'article R. 113-5.

En 2010, une information arrive à Bercy et à la DNLF, que reçoit mon collègue de bureau, le commissaire divisionnaire Fougeray. On lui dit qu'il devrait regarder ce qui se passe au SANDIA, à Tours. Nous apprenons alors l'existence de SANDIA, alors que nous avions beaucoup d'autres dossiers en cours. On nous dit qu'il existe un énorme « trou dans la raquette », un problème de fraude documentaire massive. Forcément, cela intéresse un ancien douanier, un ancien policier, etc. Nous regardons ce qu'il se passe. Le commissaire divisionnaire s'y rend, avec le groupe interministériel d'expertise de la lutte contre la fraude à l'identité (GIELFI). Tout ce que je vous dis est sourcé. Le GIELFI se déplace au SANDIA avec des spécialistes de la police de l'air et des frontières (PAF). Le rapport qui sera fait après indique que « selon la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF), cette immatriculation s'effectue dans des conditions très favorables à la fraude, puisque le SANDIA immatricule à la vue d'un simple extrait d'acte de naissance. » Cela figure dans le rapport officiel annuel sur la lutte contre la fraude de la DNLF de 2010, publié en mai 2011. « Les quelques exemples de documents montrés lors du déplacement du GIELFI au SANDIA étaient tous des faux, permettant à des personnes d'être immatriculées sous des identités fictives. À la suite de ce déplacement, 26 agents du SANDIA ont été formés en octobre 2010. » Quand nous y allons en 2010, nous découvrons la catastrophe. Les spécialistes de la fraude documentaire qui vont à Tours regardent tous les dossiers qui leur sont présentés et ne voient que des faux. C'est la panique, nous nous disons qu'il y a un vrai problème.

Ce problème, à l'époque, entre même dans vos murs à l'Assemblée nationale, puisque nous étions en 2010-2011 et la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) travaillait sur la fraude sociale. La MECSS, qui était co-présidée par Jean Mallot et Pierre Morange, auditionne un certain nombre de personnes. Nous sommes le 27 janvier 2011 : tout cela est également sourcé, c'est sur les procès-verbaux de l'Assemblée nationale.

Le 27 janvier 2011 donc, la MECCS auditionne M. Michel Bergue, qui était à l'époque sous-préfet à la direction de la modernisation de l'administration territoriale (DMAT) du ministère de l'Intérieur, et le préfet Raphaël Bartolt, le directeur de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Le rapporteur pose des questions sur le SANDIA et demande donc à ces fonctionnaires s'ils pourraient accompagner la mission à Tours avec des magistrats de la Cour des comptes pour visiter le service, parce qu' a priori, il y aurait des problématiques de sécurité. Le préfet Bartolt répond : « Nous nous sommes déjà rendus voici quelques mois dans les locaux du service national d'identification des assurés avec des représentants de tous les organes engagés dans la lutte contre la fraude, y compris le groupe interministériel d'expertise de la lutte contre la fraude à l'identité et la DNLF. Cette dernière a relayé nos observations, sous forme de propositions au Gouvernement. » Le rapporteur de la MECSS, qui avait eu des informations – parce que cela commençait à se savoir –, pose la question : « Il y avait là-bas de réelles difficultés, n'est-ce pas ? » Le préfet Bartolt répond, ce qui est quand même hallucinant, alors qu'il se trouve devant une commission parlementaire : « Oui, mais ces observations sont internes à l'administration » et il refuse d'expliquer aux parlementaires de la MECSS ce qu'il se passe exactement. Il ne va pas leur dire, sur procès-verbal, qu'il n'y avait que des faux.

Ensuite, forcément, tout se sait. Nous arrivons à la présentation de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), comme tous les automnes, en octobre 2011. Nous nous étions, nous-mêmes, rendu compte de ce problème et avions donc commencé à travailler. Vous savez comment se passe le travail gouvernemental, l'administration prépare des mesures, et j'avais rédigé la mesure législative pour essayer de traiter le problème, qui consistait à « fermer le robinet », en introduisant dans le code de la sécurité sociale le fait que l'obtention indue, sur la base de faux documents, d'un numéro d'inscription au répertoire national d'identification (NIR) entraînait la fin du paiement des prestations. On est venu vous dire que le NIR ne suffisait pas pour avoir des prestations, mais juridiquement parlant, la simple constatation de l'obtention frauduleuse d'un NIR entraîne le fait que tout paiement est frauduleux, donc qu'il doit être interrompu. C'est encore le droit positif aujourd'hui. Je dis cela en réaction à un certain nombre de choses que l'on entend un peu partout et de gens qui ont quelques problèmes d'analyse avec les éléments constitutifs des infractions.

Quoi qu'il en soit, nous avons proposé cette modification législative, dont la direction de la sécurité sociale (DSS) ne voulait pas. Je ne vous cache pas que c'est habituel. Vous savez comment cela se passe : vous étayez une proposition au niveau du ministère, interdirectionnelle, puis elle est soumise aux positions et aux arbitrages interministériels. Soit vous gagnez les arbitrages, soit vous ne les gagnez pas. Très clairement, à l'époque, nous n'avions pas gagné. La DSS ne voulait pas de cette mesure, mais elle était quand même là, il fallait quand même la prendre. Je vous rappelle que nous étions dans un contexte préélectoral, juste avant les élections de 2012 – cela a son importance relativement à ce qu'a pu écrire le sénateur Vanlerenberghe de manière assez scandaleuse dans son rapport. Cela représentait un enjeu politique énorme pour le Gouvernement. Ce type d'information était susceptible de barrer la route du deuxième tour à Nicolas Sarkozy, qui était le Président de la République en titre et qui se représentait. Apprendre que vous aviez des centaines de milliers de numéros de sécurité sociale et des milliards d'euros de fraude sociale qui partent dans la nature posait un problème.

Politiquement, il fallait absolument faire passer cette mesure, qui en plus était d'intérêt général. Mais pour une raison que j'ignore – il faudrait demander aux responsables de la sécurité sociale de l'époque –, la DSS n'en voulait pas. Cette mesure se retrouve donc non pas dans le projet de loi – ce n'est pas une disposition du Gouvernement –, mais, comme cela se fait souvent, sous forme d'amendement parlementaire. Des parlementaires très inspirés déposent des amendements très techniques. Cet amendement est présenté par M. Bur, qui était le rapporteur de la commission des affaires sociales - et cela devient un amendement de la commission -, ainsi que par MM. Tian, Door, Morange, président de la MECSS – c'était une mesure que celle-ci avait proposée –, M. Aboud et Mme Boyer, qui était déjà là et qui était cosignataire de cet amendement SANDIA. Celui-ci, d'ailleurs, expliquait tout : que le GIELFI s'était présenté, que tous les dossiers qui avaient été découverts, présentés au hasard, reposaient sur de faux documents et qu'il fallait traiter le problème, que s'il y avait 1 % de fraude, cela faisait 200 000 cas de fraude, etc.

Nous étions au mois d'octobre et le rapport de 2012 dont je vous ai parlé tout à l'heure avait été publié au mois de mai. Après le rapport sur la fraude de la MECSS, les parlementaires s'étaient rendu compte qu'il y avait un problème. Cet amendement est voté, avec un certain nombre de vicissitudes, mais il est quand même voté.

Derrière cet amendement – nous sommes au mois d'octobre –, l'évaluation était en cours, nous savions qu'il y avait un problème, et nous avions réussi à imposer l'idée de mener un travail d'évaluation statistique du nombre de faux documents dans ce fichier SANDIA, donc du nombre de NIR attribués sur la base de faux. C'est un travail qui a été fait de manière très sérieuse, à la fois par la PAF, la CNAV et la DNLF. J'ai lu dans le rapport de M. Vanlerenberghe que tout cela n'était pas sourcé et qu'il n'y avait pas d'étude sérieuse. Je vous laisserai les vingt et une pages de conclusions de l'étude. Celle-ci a conclu de manière très claire à un taux de fraude documentaire de 10,4 %, sur un stock de 17,6 millions de dossiers. Pour les faux sûrs, on devait être à 6,3 %. Sur les indéterminés, un système de reprise statistique avait été fait par l'INSEE sur l'analyse globale, et on était arrivé à 10,4 %, l'intervalle de confiance étant situé entre 9,1 et 11,7. C'étaient des conclusions très claires, sur en-tête de la CNAV, d'ailleurs, et non de la DNLF. Quand on vient vous dire que cela provient de Charles Prats, non, c'est une étude très officielle qui a été analysée, et qui a fait l'objet d'une réunion au niveau du cabinet du ministre et des directions le 12 décembre 2011. Je vous laisserai aussi le relevé de conclusions. Les noms y figurent, c'est très intéressant.

Participaient à cette réunion M. Bergue, qui était donc au ministère de l'Intérieur (DMAT), M. Chemla, le chef de cabinet du ministre du Budget, M. Emmanuel Dellacherie, le responsable antifraude à la DSS, le colonel Daniel Hestault, de la direction de l'immigration du ministère de l'Intérieur, la commissaire Emmanuelle Joubert, la chef du service de la fraude documentaire à la PAF, M. Philippe Louviau, de la DNLF, un ingénieur, Benoît Parlos, délégué national à la lutte contre la fraude, M. Regnault de la Mothe, qui était au cabinet du ministre de l'Intérieur, qui est au cabinet du Premier ministre encore aujourd'hui, et M. Rubler, un douanier qui était le conseiller fraude au cabinet du ministre du Budget.

Cette réunion du 12 décembre prend acte : « Une évaluation du taux de fraude documentaire à l'immatriculation SANDIA des personnes nées à l'étranger a été réalisée conjointement par la CNAV et par la DCPAF pendant la semaine du 10 au 14 octobre 2011.  Le taux global de fraude documentaire – on ne parle pas d'erreur, de photocopie, de cachets de travers – est estimé à 10,4 %. Tous les participants s'accordent sur la sensibilité élevée du sujet ». On m'a reproché ce 1,8 million de NIR, mais ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est dans le document du cabinet « Mesures à prendre relatives aux stocks des personnes immatriculées : sur la base du taux de fraude constaté en octobre 2011, on pourrait estimer que 1 800 000 NIR ont été attribués sur la base de faux documents. » « Faux documents » : ce ne sont pas des photocopies, ce n'est pas un système de contrôle de gestion des risques, comme j'ai entendu Mme Buzyn le dire il y a un peu plus d'un an à l'Assemblée nationale.

C'est moi qui ai récupéré les archives sur ces dossiers-là, quand il y a eu le changement de Gouvernement. Vous savez comment cela se passe. Les archives partent et repartent. C'étaient mes archives personnelles. En amont de cette réunion, il y avait des mails de préparation. Par exemple, le mail du patron de l'antifraude à la DSS nous explique ses éléments d'analyse et de langage sur ce sujet : « Cette étude d'évaluation a été demandée par la DSS à la CNAV en avril 2011 suite à des constats effectués en 2010 par des experts du GIELFI. Par ailleurs, des parlementaires de la MECSS se sont rendus au SANDIA au printemps dernier, d'où les offensives du rapporteur sur l'obtention frauduleuse du NIR que nous avons eu beaucoup de mal à canaliser lors de la discussion du PLFSS. » Vous, parlementaires, dans une mission de contrôle, avez découvert qu'il y avait un problème, et les hauts fonctionnaires vous disent : « Nous avons eu du mal à canaliser les offensives des parlementaires sur le sujet ». D'un point de vue citoyen, cela laisse un peu songeur.

Après, il explique les enjeux du SANDIA, etc. « L'étude d'évaluation a porté sur un échantillon représentatif. Le pourcentage de faux documents avérés détectés est de 6,3 %. En soi, ce chiffre est sensiblement élevé, mais ne permet pas de savoir à quel type de fraude on est confronté (fraude documentaire simple, identité fictive, usurpation de l'identité) ni quels sont les enjeux pour les prestations servies. En outre, on est sur un échantillon NIR attribué depuis 1988 », etc. Puis il parle des indéterminés et conclut en disant : « C'est pourquoi, au plan statistique, il convient d'appliquer le même taux de fraude sur ces cas. Dès lors, le taux de faux documents sur l'ensemble de l'échantillon peut être évalué à 10 % ». Il s'agit donc du mail de présentation pour préparer cette fameuse réunion dont je vous parle.

Quelque temps après, le 17 janvier, la CNAV nous a redonné une analyse des cas de fraudes détectées par rapport à l'échantillon avec trois observations. Première observation, il y avait 133 cas de faux avérés dans l'échantillon des deux mille et quelques documents. Ces documents sont des faux détectés comme tels par la DCPAF et le SANDIA, le résidu étant de l'indéterminé. Sur ces faux documents, vous aviez 50 % d'actes étrangers, 11 % d'actes établis par le Service central de l'état civil de Nantes, 10 % étaient des actes de naissance français dont plus de la moitié provenaient de Mayotte, à l'époque, 5 % étaient des titres de séjour. Sur les faux actes étrangers (sur les 50 %), 47 % étaient des actes prétendument algériens, 27 % prétendument marocains, 6 % du Congo, 3 % du Mali. J'insiste sur le « prétendument » : ce n'est pas parce que le document est d'une nationalité prétendue qu'il vient vraiment de ce pays-là ou que le fraudeur est de ce pays-là. Nous en avons eu l'exemple il y a un an ou deux à Strasbourg, où un Algérien en situation irrégulière s'était fait une fausse identité irakienne. C'était manifestement plus facile de faire des faux irakiens, parce que cela passait mieux. Beaucoup de faux documents proviennent de pays où l'état civil n'est pas très rigoureux, évidemment, voire de pays où il n'y a pas d'état civil. C'est quelque chose que vous avez déjà relevé.

Deuxième observation qui est intéressante : sur les 124 consultations sur le Registre national commun de la protection sociale (RNCPS), 30 % n'ont pas pu aboutir parce qu'elles n'étaient pas consultables et surtout, 17 % des cas n'avaient aucun rattachement. À l'époque, vous aviez 83 % des dossiers qui touchaient, qui étaient connus au RNCPS et 17 % qui n'étaient pas connus. 40 % ne pouvaient pas faire l'objet de signalements parce que le RNCPS ne marchait pas encore très bien. J'y reviendrai, je vous ai ressorti des documents qui vont vous montrer à quel point, là aussi, la volonté du Parlement est parfois battue en brèche, dans ce cas sur le RNCPS.

En 2012, suite à tout cela, la loi est votée, et nous continuons à travailler. S'agissant d'un problème de sécurisation, nous avions travaillé sur un guide pour que les agents puissent certifier ou pas les identités. Surtout, comme il y avait ce problème des photocopies, nous avions préparé un décret en Conseil d'État modificatif, qui prévoyait qu'une personne qui était de nationalité étrangère, pour s'immatriculer, devait présenter un document d'identité original, et pas simplement des photocopies.

Vous savez comment cela se passe quand on élabore un décret en Conseil d'État : vous préparez un texte, vous le négociez en interministériel et après, vous l'envoyez au Conseil d'État ; mais avant, vous devez rédiger un rapport pour le Premier ministre. C'est pour M. Vanlerenberghe, je le lui dédicace, puisqu'il paraît qu'il n'y avait rien du tout dans cette affaire-là. Dans ce rapport, on indique que : « Une évaluation du taux de fraude documentaire sur le stock du SANDIA a été réalisée conjointement par la CNAV et par la DCPAF en octobre 2011. Portant sur un échantillon de 1 100 dossiers, elle fait ressortir un taux de fraude documentaire estimé à 10,4 % ». Ce n'est pas Charles Prats qui l'a inventé. À l'époque, nous avions quand même fait un rapport au Premier ministre sur ce sujet, pour justifier d'un décret qui est passé en Conseil d'État à la section sociale le 9 mai 2012.

Après, l'alternance est intervenue et le décret n'est jamais paru, mais tout cela a quand même passé été examiné. Je vous invite, si vous voulez avoir plus d'éléments, à faire ressortir les archives des réunions interministérielles (RIM) de l'époque, parce que cela a dû être bleui, et à demander au Conseil d'État qu'il ressorte les archives de la séance du 9 mai 2012 de la section sociale, pour savoir un peu de quoi on parlait. Cela peut être intéressant et je suis sûr que cela participerait à l'édification de votre collègue sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe. Il pouvait le faire lui-même, mais je crois qu'il ne les a jamais demandés. Je ne sais pas pourquoi.

En 2013, à la DNLF, le travail a continué après mon départ. Un nouvel exercice d'évaluation est réalisé avec la DCPAF ; cela figure dans le rapport de la DNLF de 2013. J'ouvre une parenthèse : si vous allez sur le site internet du ministère des finances, les rapports où figure ce chiffre de « 10,4 % » n'y sont plus. Le ministère les a retirés depuis un an, depuis qu'il y a eu toute cette polémique fin 2018. Vous avez tous les rapports d'après, mais les rapports où l'on parle de la fraude SANDIA n'y sont plus. C'est intéressant, cela aussi : nous pourrions demander à Bercy pourquoi ils n'y sont plus. Ce n'est pas grave, il y a des archives internet, c'est très bien pour cela.

En 2013, les taux sont identiques, supérieurs à 10 %, se décomposant pour l'évaluation en un taux de faux documents de 5,44 % et un taux de documents défavorables de 5,01 %, c'est-à-dire les documents qui sont évalués statistiquement pour compléter. C'est comme cela que l'on passait de 6,3 % en 2011 à 10,4 %. Là, on passe de 5,44 à 10,45 %. C'est intéressant, parce que toute la communication de la sécurité sociale depuis ces quelques années, c'est justement de minimiser, de ne pas partir sur ce taux de 10 %, mais sur le 6 ou le 5 % en disant : « Mais non, il n'y a pas de fraude ». C'est le #YaPasDeFraude. Quoi qu'il en soit, nous étions exactement sur les mêmes taux de fraudes en 2013.

En 2011, nous avions fait cette demande d'évaluation financière ; vous l'avez dans le rapport, c'est marqué noir sur blanc. Cela n'avait pas pu être fait, parce que le RNCPS ne fonctionnait pas bien. Le montant des prestations n'y figurait pas. C'est un sujet récurrent. Je crois avoir entendu dans les auditions précédentes que vous y êtes déjà revenus.

Le 9 octobre 2012, Pierre Morange, qui est en fait l'initiateur du RNCPS, s'en étonnait. Il a interrogé le ministre du budget en expliquant que la MECSS avait fait 50 propositions, et que l'une d'entre elles insistait sur la finalisation rapide du RNCPS, et notamment sur le fait d'avoir les montants des prestations. Le ministère lui répond assez rapidement : la réponse date du 25 mars 2014, soit un an et demi pour répondre à une question écrite. Il répond que le RNCPS visait à renforcer, etc., vous connaissez les réponses aux questions écrites, qui rappellent un peu l'historique. «  Concernant le dispositif de gestion des échanges associé au répertoire, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 a confirmé que les échanges de données sur cette plate-forme peuvent notamment porter sur les montants des prestations en espèces. Le dispositif est aujourd'hui opérationnel et permet ces échanges autant que de besoin. »

Monsieur Zumkeller, vous avez posé cette question à la directrice de la sécurité sociale. Sur le RNCPS, la question des montants des prestations date quasiment de sa création. Cela avait été rappelé par le Parlement dans la LFSS de fin 2011. En mars 2014, les parlementaires reposent la question, et le ministère du budget dit : « C'est bon, cela marche, c'est opérationnel et permet ces échanges autant que de besoin ».

Le 10 octobre 2014, M. Morange fait adopter un amendement, et c'est là qu'est introduite dans le code de la sécurité sociale cette fameuse date : « Au 1er janvier 2016, il contient également le montant des prestations en espèces servies par les organismes mentionnés au premier alinéa. » Le député Morange – et le Parlement – tirent des conclusions dans la loi de la réponse ministérielle. J'ai cru comprendre en réécoutant les vidéos des quelques semaines précédentes que l'on vous a annoncé que ce n'était toujours pas vraiment en application et que cela le serait bientôt. Or, le ministère avait dit en 2014 que le dispositif était entré en application.

Il se trouve que j'ai quelques fonctions universitaires. J'écris chez Dalloz, notamment. Je ne ferai l'injure à personne de dire que c'est Yann Galut et moi-même qui sommes à l'origine de la loi sur la grande fraude fiscale suite aux problématiques de l'affaire Cahuzac, intervenue en 2012-2013. J'ai beaucoup travaillé sur la fraude à la TVA avec certains de vos anciens collègues depuis 2013 parce que c'est la principale fraude fiscale. Des milliards d'argent public sont perdus.

Derrière, existait toujours ce problème de la fraude aux prestations sociales, qui est totalement sous-évaluée et qui est un véritable tabou dans notre pays. Quand on vous parle de fraude, on pense à la fraude fiscale, et on vous sort des milliards d'euros alors qu'en réalité, quand vous regardez les indicateurs de la direction générale des finances publiques (DGFiP), ce qui est considéré comme frauduleux globalement représente un petit quart du montant des redressements. On vous parle de la fraude « des patrons », aux cotisations sociales, en oubliant allègrement qu'un tiers des cotisations sociales sont des cotisations salariées. Les chiffres sont assez divergents : jusqu'à 25 milliards sur certaines évaluations de la Cour des comptes, 7 à 9 milliards pour d'autres évaluations. Des prestations sociales, on ne parle jamais. On vous dit qu'il n'y a pas de fraude, que ce n'est rien, que c'est la fraude des pauvres. Gérard Filoche à la télévision évoque: « La météorite, la fraude fiscale », et « la noisette de la fraude aux prestations sociales ».

En réalité, au regard des chiffres de fraude détectée, aujourd'hui, on détecte plus de fraudes aux prestations sociales que de travail au noir, avec beaucoup moins de contrôleurs. Il y a beaucoup plus de contrôleurs à l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) que dans les caisses de sécurité sociale. En toute logique, si vous en détectez plus dans un sous-ensemble, si un sous-ensemble est plus grand, cela veut dire que son ensemble est lui-même plus grand que le sous-ensemble et que l'ensemble comparatif. On est sur des ordres de grandeur de milliards, voire de dizaines de milliards en fraude aux prestations sociales, si on est sur des ordres de grandeur de dizaines de milliards en fraude aux cotisations.

Quoi qu'il en soit, depuis toutes ces années, j'expliquais le problème du SANDIA et des NIR, simplement parce que tout cela était public. Il suffisait aux journalistes de savoir chercher sur Google, d'aller voir les rapports de Bercy et n'importe quel internaute pouvait trouver les informations. Il suffisait de savoir où aller chercher et de savoir lire ou de vouloir le faire.

Il ne vous a pas échappé que la fin de l'année 2018 a été marquée dans notre pays par la crise des « gilets jaunes », posant une problématique de financement des dépenses proposées par le Gouvernement et de manière générale, une problématique budgétaire et de financement des dépenses publiques. À ce moment-là, j'ai expliqué : « Si vous voulez trouver de l'argent, la lutte contre la fraude est un moyen de le faire, et l'immatriculation sociale pose un gros problème. » Cette fois, il y a eu un véritable matraquage médiatique, alors que, jusqu'alors, personne ne s'y intéressait. Votre collègue Nathalie Goulet, que j'avais informée de cette problématique-là puisque nous avions beaucoup travaillé sur les commissions d'enquête de fraude fiscale, avait posé la question au gouvernement en 2016. La ministre Mme Ségolène Neuville lui avait répondu au Sénat : « Oui, c'est vrai, il y a de la fraude, mais nous avons traité 500 cas » sur 18 millions dans le stock. Vous voyez Mme Goulet sur la vidéo du Sénat, les bras lui en tombent. 500 sur 18 millions : ce n'est pas possible. Mais le ministère n'avait pas nié le problème

En 2018, le sujet ressort suite à une interview que j'avais donnée chez Europe 1, où j'expliquais la situation et effectivement, j'évoque le chiffre de 14 milliards d'euros. Pourquoi 14 milliards d'euros ? Parce qu'initialement, nous devions disposer d'une évaluation financière, sauf qu'elle n'avait pas pu être faite à cause du RNCPS qui ne fonctionnait pas. Le seul moyen d'avoir une évaluation non pas du montant de la fraude, mais de l'enjeu de fraude, était de faire une dépense moyenne de sécurité sociale par individu. En plus, j'avais essayé d'être relativement raisonnable, parce que j'avais pris les dépenses de sécurité sociale, alors qu'il faudrait prendre les dépenses de protection sociale notamment, puisque l'attribution frauduleuse du NIR entraîne la suspension du paiement des dépenses de protection sociale, y compris Pôle emploi, etc. Ces dépenses de protection sociale représentent 787 milliards d'euros par an, y compris les frais de gestion en France, pour l'année dernière. Cela représente 11 800 euros par personne à peu près. J'étais pour ma part resté sur 7 700 euros, ce qui est très raisonnable. Cela faisait donc une évaluation de 14 milliards d'euros. Les années précédentes, j'évoquais le chiffre de 12 milliards, parce que les dépenses étaient un peu moins importantes., mais les dépenses de sécurité sociale augmentent chaque année.

Fin 2018, Nathalie Goulet, sénatrice, qui est rapporteure spéciale de la commission des finances, décide d'utiliser ses pouvoirs de rapporteure spéciale – qui sont les mêmes pouvoirs que ceux d''une commission d'enquête en permanence, chaque année – pour m'interroger et pour que je lui donne mes documents de service que je n'avais jamais diffusés. Le rapport sur le SANDIA, le rapport de la CNAV, le rapport des réunions de cabinets ministériels, etc., je ne les ai jamais diffusés. Ce sont des documents couverts par la discrétion professionnelle, donc je n'en parlais pas. Elle m'auditionne et là, vous le savez, dans ce cas, vous êtes délié du secret professionnel et devez donner les documents. C'est ce que je fais. Elle communique en disant : « Voilà, il y a un vrai problème », puisque cela répondait aux articles de presse. À ce moment-là, Mme Buzyn, qui était ministre de la Santé, la traite de tous les noms dans l'hémicycle, de suppôt du Front national, et lui dit qu'elle répand des « fake news  ». Certaines vidéos sont hallucinantes, surtout quand on connaît la suite. Là-dessus, Nathalie Goulet se vexe et diffuse sur Twitter un certain nombre de documents en enlevant les noms. C'est ainsi que les documents commencent à circuler à partir de fin décembre 2018.

Elle auditionne le patron de la CNAV, qui, plus ou moins, ne répond pas. À un moment donné, ses investigations vont être bloquées. C'est M. Vanlerenberghe, rapporteur général du budget de la sécurité sociale au Sénat, qui dit : « Je reprends à mon compte les investigations ». Mme Goulet me présente M. Vanlerenberghe, que je rencontre en dehors de sa mission. À la buvette du Sénat, nous sommes tous les trois, et je lui donne tous les rapports (de la CNAV, de la DNLF, etc.). Ils les regardent avec moi. Et là, je le vois blêmir : « Ah oui quand même, mince, ce n'est pas des conneries. C'est l'INSEE, c'est la CNAV, c'est sérieux ». Je dis : « Oui, bien sûr, cela vient du cabinet de Bercy ». Il voit les choses. Et après, il mène sa mission et me convoque au mois de mars. Je lui explique comment j'ai estimé le coût moyen et ce qu'il devrait faire s'il veut aller jusqu'au bout de l'évaluation financière. On reprend les 133 ou 124 cas de fraude de 2011. Dans les archives, on doit pouvoir retrouver les NIR, puis consulter le RNCPS. On identifie le montant des prestations de ces personnes-là, et ensuite, on calcule un montant moyen de prestations par personne qui étaient considérées comme frauduleuses, on multiplie par 1,8 million et on a une évaluation beaucoup plus fine que les 14 milliards d'euros. D'ailleurs, nous serions peut-être à plus de 14 milliards d'euros. Il me répond par l'affirmative, mais je ne vois rien venir.

Puis je vois des communications dans la presse du sénateur Vanlerenberghe, assez peu amènes à mon endroit. Pour être clair, il me traite de menteur. Moi aussi, je suis un suppôt du fascisme, etc. Au mois de juin, son rapport sort en deux temps. Il est daté du 5 juin, mais en réalité, deux versions sortiront : un rapport provisoire qui était sur Internet, et un rapport définitif. Il est toujours intéressant de comparer les deux et de se demander pourquoi il y a eu des modifications.

Dans le rapport provisoire, il était indiqué qu'il y a eu des contrôles. Ils ont refait un échantillon sur le SANDIA, sur les numéros de sécurité attribués à l'étranger. Une petite note de bas de page, qui a dû être rédigée par M. Bonnet, dit : « Soit 56,4 % du stock, ce qui est en soi une donnée intéressante. » Nous étions sur un stock de 21,1 millions de dossiers. Immédiatement, je fais deux ou trois tweets en disant : « Mais c'est formidable, nous avons enfin cette fameuse information ». Mme Goulet et deux parlementaires avaient posé à six ou sept reprises des questions écrites au Gouvernement pour savoir combien il y avait de NIR actifs, c'est-à-dire combien de personnes qui touchent des prestations sociales dans le pays, pour faire un contrôle de cohérence assez classique entre le nombre de gens qui existent et le nombre de gens qui perçoivent des prestations. N'importe quel auditeur fait cela. J'ose espérer que la Cour des comptes le fait.

Le soir même du 5 juin, je donne une interview au Figaro. J'explique que 56,4 % des 21 017 718 NIR du stock auraient perçu des prestations sociales. Faisons le calcul : cela fait 11,85 millions de NIR. À l'époque, je me dis : « Cela fait du monde ». Donc je vais voir l'INSEE. Selon eux, il y avait 7,9 millions de personnes nées à l'étranger qui vivaient en France. C'est un peu gênant, parce que même si vous rajoutez les retraités repartis par exemple vivre dans leur pays d'origine et les personnes qui relevaient à l'époque du SANDIA, c'est-à-dire de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, cela nous laissait quand même un petit trou de 2,35 millions de personnes qui touchaient des prestations alors qu'elles n'existaient pas. Nous avons un vrai sujet, qui est même au-delà du chiffre de 1,8 million.

Sur Internet, j'ai vu que le rapport a été modifié dans la foulée. Quand M. Vanlerenberghe vous a dit l'autre jour avec son conseiller du Sénat : « Nous étions en fin de processus. J'ai fait une note de bas de page, mais en fait, ce n'était pas vraiment cela. Ce n'était pas utile. C'était une initiative malheureuse. » L'initiative était malheureuse, parce qu'un article de presse tirait les conclusions et les conséquences de ce qu'il avait publié et montrait qu'il avait juste mis la lumière sur pratiquement 2,5 millions de numéros frauduleux. Ce sont des gens qui n'existent pas et qui touchent des prestations. Cela s'est transformé en 56,4 % des stocks, ce qui est en soi une donnée intéressante, l'échantillonnage ayant été réalisé à partir d'une requête se limitant aux assurés nés à l'étranger non enregistrés comme décédés. Là arrive ce chiffre de 17,2 millions, que l'on ne voyait nulle part ailleurs. Puis «  une extrapolation de ce pourcentage à l'ensemble du stock du SANDIA laisse supposer un nombre de dossiers aux prestations de l'ordre de 9,7 millions. À titre de comparaison, selon les dernières données encore provisoires d'Eurostat, environ 8 177 millions de personnes nées à l'étranger vivaient en France au 1er janvier 2018. »

Ils se rendent compte que ce qu'ils ont écrit les met en difficulté et démontre que le rapport est « bidon ». Parce qu'il l'est – j'enfonce une porte ouverte. Ils se demandent alors comment faire et décident de multiplier 17,2 par 56,2 – on fait une cote mal taillée –, ce qui fait 9,7 millions. C'est toujours pareil. Quand j'étais juge d'instruction, les gens font toujours cela quand vous les avez pris la main dans le sac. Ils vont continuer à parler et il suffit de les laisser venir. Ils s'enferrent tout seuls. Là, ils écrivent 9,7, et de l'autre côté, 8,2 millions et eux-mêmes ne se rendent pas compte qu'ils ont un gap de 1,5 million et ne l'expliquent pas.

L'autre jour, j'ai regardé l'audition avec gourmandise. J'ai vu que vous aviez posé la question au sénateur qui a courageusement fait porter le chapeau à M. Bonnet : « Ce n'est pas moi qui ai fait les notes de bas de page ». Et l'autre rit nerveusement et est incapable d'expliquer. Il est incapable de se demander comment il va l'expliquer, alors que vos administrateurs avaient fait ce calcul, quand ils m'ont envoyé la question. En fait, cela ne ferait un gap que de 200 000 si l'on compte les retraités à l'étranger, les gens de Polynésie, etc. Vous l'avez vu, le conseiller qui a soi-disant rédigé la note de bas de page ne l'a tellement pas rédigée qu'il n'a pas ce réflexe. Il n'est même pas capable d'expliquer le travail qu'il n'a pas fait.

Le sénateur dit : « Oui, mais ce n'est pas nous. On nous a donné des taux. » Et derrière, il vient reprendre la parole en disant : « Oui, mais en fait, nous sommes partis sur 21 millions et quelques, sur l'ensemble du stock ». Mais, 56 % de 21 millions, cela fait 11,85. La scène est surréaliste, puisque vous voyez que le sénateur Vanlerenberghe lui-même se remet dedans, parce qu'il est incapable d'expliquer son propre rapport. Il est incapable de le défendre, à tel point que, comme il me mettait en cause nommément dans ce rapport à plusieurs reprises, je lui ai proposé des débats publics. Une radio avait proposé de l'organiser, il a toujours refusé. Il s'est « dégonflé ». Il n'a jamais voulu discuter de manière contradictoire de son rapport. On comprend pourquoi.

Vous me demandiez ce que je pensais de ce rapport. J'en pense un peu la même chose que votre collègue sénateur M. Savary, qui est président du Conseil général ou qui l'a été. Dans la discussion sur le rapport de M. Vanlerenberghe, il demande quelle est la part du revenu de solidarité active (RSA) et quelle est la part de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). M. Vanlerenberghe lui dit, sur l'évaluation financière : « Le RSA représentait 2 447 euros sur les montants frauduleux et l'AAH, 4 956. » Il ne se rend même pas compte qu'il donne un montant très inférieur au montant plancher du RSA sur une évaluation annuelle. M. Savary dit que cela paraît impossible parce que lui sait à combien s'élèvent une AAH et un RSA. Et tout était à l'avenant.

M. Vanlerenberghe invite également à éviter toute interprétation abusive du rapport et dit : « J'insisterai sur le fait que des tribunes de presse ou des journalistes, par exemple M. Charles Prats, pourtant ancien magistrat, ont diffusé des chiffres faux, établis sur une base insuffisamment documentée, et ce sans aucune vérification : de tels procédés sont inacceptables ». Moi je veux bien, mais quatre rapports de Bercy, un rapport au Premier ministre, les réunions interministérielles, le passage au Conseil d'État, tout le travail qui a été fait par tous les fonctionnaires pendant toutes ces années, je n'appelle pas cela « une base insuffisamment documentée, et ce sans aucune vérification ».

En revanche, que le rapport de M. Vanlerenberghe soit insuffisamment documenté et qu'il n'ait procédé à aucune vérification, oui. Je vous en donne un seul exemple, parce que je lui ai donné le document « Réunion de conclusions au cabinet » à l'époque au ministère du Budget. De nombreuses personnes étaient là ; je les ai citées. Regardez la liste des personnes entendues dans le rapport Vanlerenberghe. Jean-Marie Vanlerenberghe s'est bien gardé d'entendre un seul des fonctionnaires qui ont travaillé sur le dossier à l'époque. Aucun des fonctionnaires qui étaient là, qui ont participé à ces réunions, aucune des personnes qui ont fait l'étude n'a été entendue par Jean-Marie Vanlerenberghe. Il a fait un rapport pour conclure à l'absence de fraude, en se gardant d'entendre toutes les personnes qui avaient travaillé sur le sujet.

Aucun journaliste ne l'a relevé. Nous nous sommes retrouvés avec une presse qui n'a pas fait son travail, qui a pris pour argent comptant ce que lui racontait le rapporteur, parce que cela intéressait aussi la DSS de s'appuyer sur ce qu'il avait fait, peut-être parce qu'il travaillait indirectement avec leurs services. Finalement, il se contentait de mettre sa signature sur un travail qui avait été fait pour son compte.

En même temps, une mission gouvernementale avait été confiée à Carole Grandjean et à Nathalie Goulet par le Premier ministre, dans le cadre de laquelle elles faisaient partie de l'exécutif, elles avaient « rang de ministre », et à qui on a mis des bâtons dans les roues de façon incroyable. Parlez-en en aparté avec elles. En septembre, elles ont fait une conférence de presse pour présenter les données que l'INSEE leur avait fournies – elles ne les avaient pas inventées –, les histoires des centenaires, des 84 millions de personnes réputées vivantes, etc. Il se trouve que je connaissais ces données, parce qu'elles les ont reçues le jour où elles m'ont auditionné. Je m'étais dit que cela allait faire un peu de bruit. C'est la première fois – nous sommes quand même en France – que des administrations centrales et des organismes produisent un communiqué de presse pour critiquer de manière véhémente des parlementaires en mission, c'est-à-dire, en gros, des ministres. Je sais bien que nous sommes dans le monde d'après. Enfin, dans le monde d'avant, au Conseil des ministres de la semaine suivante, tout le monde aurait sauté.

La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) a expliqué que 59,4 millions de cartes vitales étaient actives. Il suffisait de faire le petit calcul initié par l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAF), selon la méthode 2013 du rapport de Boris Ravignon, que je vous invite à entendre. C'est une méthode intéressante qui consiste à comparer le majorant théorique des cartes Vitale avec le nombre de cartes Vitale actives en surnombre, c'est-à-dire avec des droits ouverts, contrairement à ce que l'on vient de vous dire. C'est un NIR actif. En faisant ce calcul, on obtient 5,2 millions de cartes vitales en surnombre. Il y avait du progrès, parce qu'en 2013, le chiffre atteignait 8 millions, plus 7 millions de personnes prises en charge par les assurances maladie obligatoires en plus des gens qui existaient.

Quand vous avez entendu la directrice de la sécurité sociale, elle n'a pas parlé de 5,2 millions mais de 2,6 millions. Il y a quand même du progrès : elle vous a avoué 2,6 millions de cartes vitales actives en surnombre. J'ai cru comprendre que deux jours après, un communiqué de presse disait 609 000. Cela rabote, et cela descend, c'est assez intéressant.

Quoi qu'il en soit, je vous renvoie au rapport Goulet-Grandjean. Une contribution date de l'été 2019, émanant du ministère de l'Intérieur, d'un dénommé M. Galland – je ne le connais pas – à la mission « délivrance sécurisée des titres ». Il fait référence à un rapport de l'Inspection générale d'administration (IGA) de février 2019 sur la fraude documentaire à l'identité, qu'il serait intéressant de vous procurer. Il y est dit : « Trois évaluations ont été réalisées par les organismes sociaux avec le concours de la DCPAF sur le taux de faux documents produits dans des dossiers ayant abouti à immatriculation : évaluée à environ 10 % des dossiers, cette fraude a été évaluée à 5,44 % en 2013, et à 3,5 % en 2018. Ce résultat ne tient pas compte du volume des dossiers rejetés préalablement à l'immatriculation sur la base d'une suspicion de fraude aux documents d'identité. Taux de rejet évalué en 2013 : 12,5 %. » C'est un document de 2019 du ministère de l'Intérieur. Peut-être M. Vanlerenberghe ne l'a-t-il pas eu, mais cela ne dit pas tout à fait la même chose que son rapport, qui nous explique que la fraude, c'est 0,7 % des dossiers et seulement 100 millions d'euros. J'ai cru comprendre qu'il avait répété que maintenant que nous étions au mois de février et de mars, ce serait encore moins, parce que les faux documents deviennent de moins en moins faux.

À force de poser les bonnes questions, on finit par obtenir les bonnes réponses. Mme Goulet et Mme Grandjean ne le savent même pas puisque la réponse ministérielle a été apportée avec une très grande discrétion. Sinon, Mme Goulet l'aurait dit partout. Je pense que l'on s'est bien gardé de lui donner. Mme Goulet avait posé au mois de juin une question. Elle avait attiré l'attention de la ministre des Solidarités sur la délivrance et le suivi des NIR aux personnes étrangères et aux Français nés à l'étranger. Or il n'a pas été répondu à la question orale numéro 666 qui demandait, en séance plénière, combien de NIR sont actifs, c'est-à-dire combien de personnes nées à l'étranger touchaient des prestations, compte tenu des chiffres publiés, et combien de NIR sont attribués en France au 1er juin 2019 par le service SANDIA.

Nous pourrions poser la question aux honorables parlementaires ici présents : d'après eux, combien y a-t-il de NIR actifs pour des personnes nées à l'étranger et qui touchent des prestations sociales en France Je vous donne un indice. Pour l'INSEE, cela a été un peu réévalué : le dernier chiffre d'octobre 2019 est 8,2 millions, pour 2020. 8,2 millions de personnes nées à l'étranger vivent en France et existent réellement. Combien touchent des prestations sociales ? « Au 1er juin 2019 (…), le RNCPS recense 12 392 865 personnes disposant d'un droit “ouvert” à recevoir au moins une prestation sociale. »

Une intervenante. Nées à l'étranger ?

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Oui. Aujourd'hui, on paye des prestations sociales à 12 400 000 personnes alors qu'elles sont 8,2 millions sur le territoire. Ce n'est pas Charles Prats qui l'invente, ce sont les données du gouvernement, publiées au Journal officiel de la République française (JORF), en réponse à une question écrite : « En analysant les données du RNCPS, il a pu être observé qu'en moyenne, une personne dispose d'un droit “ouvert” pour deux types de prestations : 86 % de ces personnes ont un droit “ouvert” pour des prestations maladie. » Cela fait 10,6 millions de personnes. Comme il y a une condition de résidence sur ces prestations, il faut comparer ce chiffre aux 8,2 millions. Vous avez donc 2,4 millions de fantômes qui ont des droits ouverts à l'assurance-maladie et qui sont des numéros de sécurité nés à l'étranger.

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(Hors micro) Avons-nous les montants, ou pas ?

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Non, nous ne les avons pas. Il faut bien que vous ayez du travail à faire à la commission d'enquête, madame Boyer.

Par ailleurs, « 43 % de ces personnes ont un droit “ouvert” pour des prestations familiales. » Ce qui est intéressant, c'est de faire les calculs soi-même. 43 % de 12,4 millions, cela fait 5,3 millions. Cela veut dire que 5,3 millions d'allocataires de la branche famille sont des gens nés à l'étranger. Sur les 12,7 millions d'allocataires au total sur la branche famille, 41 à 42 % des allocataires de la branche famille sont donc nés à l'étranger. Soit c'est vrai, soit c'est faux. Si c'est vrai, c'est une information intéressante pour le public de savoir que quasiment la moitié des allocataires de la branche famille sont des gens nés à l'étranger dans notre pays. On peut se dire que cela fait quand même une surreprésentation importante, donc que nous avons un petit problème, qui révèlerait un vrai souci.

Ce chiffre est très intéressant : « 33 % de personnes ont un droit “ouvert” pour des prestations de retraite. » Cela fait 4,1 millions de retraités nés à l'étranger. On peut faire un petit calcul. On enlève le 1,1 million de gens qui sont vraiment à la retraite à l'étranger, si tant est qu'ils ne soient pas morts - c'est un autre sujet. Cela nous laisse 3 millions sur le territoire, sur les 8,2 millions. Cela veut dire que sur les gens nés à l'étranger en France, nous avons 37 % de retraités. Ce n'est pas tout à fait le taux moyen des retraités en France, mais les gens nés à l'étranger sont beaucoup à la retraite. On se demande pourquoi il y a un « 49-3 » et pourquoi vous allez voter une motion de censure tout à l'heure, ou pas d'ailleurs.

Bien sûr, la sécurité sociale dit : « Ce droit ouvert ne signifie pas nécessairement qu'un paiement de prestations ait d'ores et déjà été versé à l'ensemble de ces personnes. Par exemple, une personne peut disposer de droits ouverts à la couverture maladie universelle (CMU) mais n'avoir bénéficié d'aucun remboursement de soins de santé. » D'accord, sauf que, quand on est inscrit à la branche famille et à la branche vieillesse, c'est que l'on touche tous les mois. Et quand on a un droit ouvert à la sécurité sociale, c'est qu'on a un droit ouvert à la sécurité sociale. Là, vous avez un problème d'existence.

Reprenons le petit calcul : 12,4 millions d'un côté, 8,2 millions de l'autre. Vous rajoutez vos 1,1 ou 1,2 million de retraités à l'étranger, vous rajoutez les Polynésiens et les Calédoniens, il reste 2,4 ou 2,5 millions de fantômes, de zombies. Mais ils ne sont pas des fantômes pour passer à la caisse parce que là par contre, ils touchent les prestations. Ou alors c'est que le RNCPS nous raconte n'importe quoi. Comme cela sort ce soir, j'attends avec gourmandise de savoir dans les 48 heures quelles explications nous seront données pour nous dire qu'en fait, il n'y en a pas 12,4 millions : « Vous n'avez rien compris. En fait, cela ne marche pas ainsi. » Moi, je lis : « Le RNCPS recense 12 392 865 personnes disposant d'un droit “ouvert” à recevoir au moins une prestation sociale. » Il n'y en a que 8,2 millions sur le territoire national, 1,1 million de retraités à l'étranger. Si tant est que les Polynésiens ou les Calédoniens soient encore dans le SANDIA, vous en rajoutez 500 ou 600 000 de plus. Donc cela vous laisse un gap de 2,4 millions, 2,5 millions de personnes qui touchent réellement.

Le sénateur Vanlerenberghe dit que son échantillon permet d'extrapoler que 9,7 millions de personnes touchent, mais celui-ci n'est pas bon, parce qu'en fait, elles sont 12,4 millions. S'il était représentatif, il n'y aurait pas un écart de 28 %. Cela vous démontre que l'échantillon qu'a utilisé le rapport Vanlerenberghe est totalement bidon. L'écart par rapport à la réalité est de 2,7 millions d'individus. L'échantillon n'est pas représentatif du tout. Cela veut dire qu'il a été construit pour ne pas l'être. Posez-vous la question de comment cet échantillon dont il parle dans le rapport a été construit et s'il n'a pas été construit pour ne pas être représentatif. De toute manière, on démontre qu'il ne l'est pas. Avec un tel écart, les statisticiens de l'INSEE ne peuvent pas se tromper dans de telles proportions, ce qui pose une vraie question.

Quand M. Vanlerenberghe vous dit que le taux de fraude est de 0,7 %, cela veut dire que cela représente 150 000 dossiers environ. Je lui poserais bien la question, mais aussi à la DSS, au ministre de la Santé, au Gouvernement, à beaucoup de gens : qui sont les 2,5 millions au minimum de personnes qui sont là et qui touchent des prestations sociales dans notre pays ? Si ce n'est pas de la fraude, d'où sortent-ils ?

Derrière, vous pouvez faire la même chose, pas simplement sur les NIR du SANDIA. Nous avons vu ce qu'il en était sur la carte Vitale, sur le Répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP), avec le nombre de gens réputés en vie, etc. Amusez-vous à faire les mêmes requêtes RNCPS sur l'ensemble de la population. Je suis sûr que nous allons avoir un certain nombre de problématiques et peut-être de surprises sur le nombre de gens qui touchent des prestations sociales et qui ont des droits ouverts dans ce pays, par rapport aux gens qui existent. Il n'y a pas de raison qu'il n'y en ait que sur les gens nés à l'étranger.

C'est une donnée qui fera un peu de bruit, qui intéressera nos concitoyens et la représentation nationale. Moi, j'ai l'esprit tranquille. J'ai fait mon travail, j'ai expliqué les choses. Vous savez ce que disait Chirac : « C'est à la fin de la foire que l'on compte les bouses. » Nous sommes en train de compter les bouses. Il y en a 12,4 millions versus 8,2 millions. Nous avons un vrai souci : je crois qu'il appartient à votre commission d'enquête de savoir pourquoi il existe et comment le régler.

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J'ai une question sur un sujet qui revient dès que l'on aborde ces questions. Dès lors que l'on parle de droits ouverts – d'ailleurs, vous voyez comment la réponse à la question est formulée –, on nous dit que cela ne donne pas systématiquement lieu à prestation, que tout le monde n'en perçoit pas. Savez-vous comment nous pouvons arriver à fiabiliser ces données ? Toute la question est là. Vous qui connaissez maintenant très bien le sujet, comment pouvons-nous nous assurer que lorsque nous avons des chiffres, ils sont sécurisés, par rapport aux droits versés cette fois-ci ?

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

En fait, c'est assez simple. Si vous avez un droit ouvert, potentiellement, vous pouvez tirer dessus. Un droit ouvert aux prestations familiales signifie que tous les mois, vous touchez une allocation. Pour les prestations vieillesse, ce sont des gens qui touchent tous les mois soit une retraite, soit le minimum vieillesse, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), etc. C'est sur l'assurance-maladie que la question se pose. Avec un droit ouvert à l'assurance-maladie, vous, comme moi, comme tout un chacun, tirez si vous êtes malades. Peut-être, dans les jours qui viennent, allons-nous avoir une augmentation de dépenses de l'assurance-maladie, mais globalement, c'est quand vous avez des prestations en espèces ou des prestations en nature qu'il y a une dépense d'assurance-maladie à votre bénéfice.

Cela, dans le RNCPS, est compliqué à obtenir. Ce répertoire recense 10,6 millions de personnes qui ont des droits ouverts. Cela ne veut pas dire que tous les mois, elles dépensent avec leur carte vitale. Vous-même, vous avez des droits ouverts, mais heureusement, vous n'êtes pas tout le temps chez le pharmacien ou chez le médecin. La CNAM, qui a un système d'information beaucoup plus perfectionné que ce que l'on pourrait croire, sait au jour le jour très exactement quelle est la dépense chez tel et tel professionnels de santé et donc a contrario, par assuré social. Là-dessus, il n'y a pas de sujet. Si vous allez à la CNAM avec des informaticiens un peu experts, ils vont vous sortir très exactement combien de NIR bénéficient de prestations maladie. Ils vont vous sortir les droits ouverts, mais aussi ceux qui consomment. Allez voir une caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) pour voir comment cela se passe. Là-dessus, c'est finalement assez simple. Vous ne pouvez pas fiabiliser les données en tant que telles, puisque nous ne pouvons pas savoir si M. Dupont sera malade au mois de mars et ira quatre fois chez le médecin et cinq fois chez le pharmacien. Il a des droits ouverts. Après, va-t-il dépenser plus ou moins ? C'est aussi pour cela que vous votez tous les ans un objectif national de dépenses d'assurance-maladie.

Nous avons vu des graphiques intéressants. Même si les chiffres sont repartis un peu à la hausse, il faut quand même remarquer que vous avez eu, notamment sur l'assurance-maladie, une baisse du déficit. La courbe du déficit de l'assurance-maladie était assez intéressante. Là, c'est 2013. On pourrait quasiment se dire : « Tiens, cela ne correspond-il pas au nombre de cartes vitales en surnombre qui baisse ? » En 2013, dans le rapport de l'IGF et de l'IGAS, il y en avait 8 millions et, dans le rapport Goulet-Grandjean, il n'y en avait plus que 5,2 millions, peut-être même 2,6 millions, voire plus que 600 000.

Comme je le dis toujours, il ne faut pas confondre causalité et corrélation. Je ne dis pas qu'il y a un lien de causalité entre la baisse du nombre de cartes Vitale en surnombre et la baisse du déficit de l'assurance-maladie, mais en tout cas il y a une corrélation, modulo les dernières dépenses suite aux « gilets jaunes » qui ont fait repartir à la hausse le déficit. C'est une courbe intéressante. N'y a-t-il pas un travail souterrain fait avec sérieux par l'Assurance-maladie pour essayer de fiabiliser les chiffres et réduire cette distorsion ? On passe d'une distorsion de 8 millions en 2013 à 5 millions en 2019. Un travail a quand même été fait. Ce chiffre atteignait 10 millions avant, puisque cette histoire des cartes vitales remonte à une intervention de Philippe Douste-Blazy en 2004 quand il était ministre de la Santé. C'est de là qu'est partie la légende des fausses cartes Vitale. En fait, ce sont de vraies cartes Vitale qui sont actives, en surnombre, avec des droits ouverts alors qu'elles ne devraient pas en avoir. Fiabiliser cela est un gros travail. Nous ne savons pas déterminer si cela donne lieu à des dépenses ou pas puisque les dépenses d'assurance-maladie sont très conjoncturelles.

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Vous avez expliqué l'ensemble de la méthodologie qui a été adoptée à l'époque par la DNLF et par les autres organismes qui ont commencé à étudier et à chiffrer la réalité de la fraude documentaire. On nous dit qu'elle est la base de la fraude aux cotisations et aux prestations sociales, pouvez-vous le confirmer ?

Nous voyons bien une controverse avec le rapport sénatorial et les méthodes de chiffrage qui sont utilisées. Je reviens sur la problématique d'évaluation de ce que seraient les dépenses des prestations acquises par des dossiers frauduleux. Vous faites des règles de moyenne. Dans les exemples utilisés par le sénateur Vanlerenberghe, il s'appuie sur des dossiers qui ont été identifiés comme frauduleux avec des montants précis. Il fait lui aussi une règle de trois pour dire que cela correspond à guère plus de 1 000 euros par an sur un dossier. Nous avons aussi des chiffres qui proviennent d'autres organismes de contrôle, comme la Cour des comptes. Nous voyons que sur des dossiers qui ont été extraits, poursuivis, nous pouvons avoir des moyennes beaucoup plus importantes. Effectivement, la règle de trois est compliquée à utiliser pour dire, surtout en matière d'assurance-maladie, quelle est la réalité de la fraude et son montant. Nous voyons bien que cette fraude, au vu des chiffres qui sont fournis dans la réponse ministérielle, n'a pas l'air en décroissance. Pourtant, dans nos auditions diverses et variées, on nous dit que grâce à l'amélioration de la formation des agents du SANDIA, a priori, moins de documents problématiques arrivent, qu'un certain nombre d'orientations des différentes administrations publiques visent à lutter contre la fraude aux cotisations et aux prestations et que la situation s'améliore. Pour vous, les choses s'améliorent-elles ? Au contraire, parce que nous avons une connaissance des choses plus fines, peut-on présupposer que la fraude ne diminue pas ?

Deuxième question, nous voyons bien que dans certains cas, comme la problématique des cartes Vitale ou le rapport sénatorial, on tente de minimiser une réalité. À qui profite le crime ? Pourquoi et qui a intérêt à ce que ces chiffres soient minimisés, qu'une réalité qui peut être démontrable, même si elle n'est pas chiffrable de manière très précise, soit minimisée, voire occultée ?

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Je vais devoir donner des noms. Traditionnellement, on dit que la fraude documentaire est la mère de toutes les fraudes. Quand vous faites une fraude aux ressources, vous allez produire de fausses fiches de paie, de faux documents, etc. Pour la fraude à l'existence, il y a les faux certificats de vie. J'ai remarqué en faisant mes recherches pour venir ici aujourd'hui que l'on a progressé : on recourt maintenant à la dématérialisation des certificats de vie pour simplifier le travail des gens à l'étranger ; c'est bien, cela simplifie vraiment le travail des gens à l'étranger. Il y a la fraude à la résidence, etc. À chaque fois, vous avez des faux. Cela peut être des faux documents d'identité, mais globalement, la fraude documentaire est très répandue. Cela se fait pour les faux crédits, pour un grand nombre de choses.

Sur l'évaluation et l'utilisation des règles de trois, j'avais proposé à M. Vanlerenberghe une méthode qu'il a suivie, mais sur une base très réduite. Il a réalisé des extrapolations à partir de quelques dossiers, alors qu'il fallait le faire sur les 133 dossiers de 2011. Vous pouvez vous-mêmes le faire. Cela peut être intéressant. Demandez-leur de vous ressortir les NIR et les dépenses de l'époque et depuis cette année, si tant est qu'elles existent dans les archives. Cela vous permettrait de refaire un balayage.

Vous avez vu le problème des échantillons ; avec la réponse ministérielle, cela devient criant. On vous dit que l'échantillon est représentatif, mais en fait, pas du tout. Quand vous faites l'extrapolation sur l'ensemble, on constate un écart de 28 %. C'est pour cela que depuis un certain temps, je ne parle pas d'évaluation de la fraude, mais d'enjeux de fraude et d'enjeux moyens. C'est pour cela que je travaille sur la dépense moyenne de protection sociale par rapport au nombre de cas. Si nous prenons ces documents officiels, cette réponse du Gouvernement au Journal officiel du Sénat et que l'on calcule ce minimum de gens qui touchent par rapport aux gens qui existent, ce sont 2,4 ou 2,5 millions de personnes. Si vous le rapportez à la dépense moyenne de protection sociale (11 800 euros), vous êtes à 30 milliards. Nous n'en sommes même plus à 14 milliards, comme je le disais il y a un an. Nous avons doublé la mise. Nous sommes à 30 milliards d'euros d'enjeux de fraude, rien que sur l'immatriculation des personnes nées à l'étranger, sur des dossiers frauduleux de NIR du SANDIA, auxquels il faut rajouter tout le reste : la fraude à l'assurance-maladie classique, la fraude à la branche famille, la fraude à Pôle emploi, etc. Nous sommes en face de chiffres tellement astronomiques qu'en réalité, vous ne pouvez même plus faire de l'échantillonnage et vous ne pouvez plus travailler par sondage. Vous n'aurez jamais une approche statistique fine en disant : « En fait, on travaille sur tant. » Ce n'est pas vrai. Nous ne pouvons plus faire que de l'évaluation d'enjeux parce que l'on vous parle de 2,5 millions de dossiers sur un stock de 12 millions. Le montant est tellement élevé que vous ne pouvez pas faire un échantillonnage.

C'est très bien de dire qu'il y a un problème, mais comment fait-on pour le traiter ? À l'époque, sur le SANDIA, je me disais que comme nous connaissions les pays d'origine des faux documents prétendus, nous pouvions essayer de cibler. Mais quand vous en avez manifestement au moins 2 ou 2,5 millions à aller chercher, ce n'est même plus la peine. C'est pour cela que depuis un certain temps je dis qu'il faut réenroler toute la population, en faisant une biométrisation du numéro de sécurité sociale et une recertification du NIR par la biométrie, avec des empreintes digitales. Là, on réglera le problème, parce qu'on aura sorti les gens qui n'existent pas, on évitera les doublons et les utilisations multiples d'un même NIR. Et cela ne coûte pas très cher : pour les cartes d'identité biométriques algériennes, je crois que Gemalto a vendu 36 millions de cartes pour 17 millions d'euros. Cela représente 50 centimes par carte, plus le coût d'enrôlement en vis-à-vis qu'il faut faire, mais ce n'est pas un coût très important.

Dans le système actuel, nous ne sortirons jamais de l'évaluation. Vous pourrez faire une règle de trois en disant : « On est en face de x % de dossiers frauduleux par rapport au nombre de dossiers qui existent. Cela fait à peu près tant ». Face à une dépense de 787 milliards d'euros annuels, cela fait une certaine somme, effectivement.

Après, vous me dites que la fraude semble augmenter alors qu'on nous dit que la situation s'améliore. Je ne sais pas si elle augmente ou si la situation était déjà aussi catastrophique. Le problème est qu'on ne nous donnait pas les données. Regardez les dates, la réponse est est publiée le 7 novembre, alors que le rapport Goulet-Grandjean date du 5 ou du 6 novembre. Cela veut dire que le Gouvernement avait la réponse avant et répond discrètement après la publication du rapport. Cela évite que dans le rapport, cette donnée figure, parce que sinon cela lui aurait fait de la publicité. Vous imaginez bien que ce type de publicité n'est pas bonne.

Ce qui me permet de faire le lien avec votre autre question sur les raisons de cette situation et qui a intérêt à ce que tout cela ne se voie pas. En réalité, ce ne sont pas les parlementaires, quel que soit leur bord d'ailleurs, parce que, globalement, on constate un consensus de l'extrême gauche à l'extrême droite sur le fait que nous avons un problème de finances publiques dans ce pays et qu'il vaut mieux aller chercher l'argent dans la poche des fraudeurs plutôt que dans celle des contribuables. Le sujet peut être électoral. C'était très clairement le cas de M. Vanlerenberghe. Sa mission n'était pas de faire la lumière sur la fraude. D'ailleurs, vous avez bien vu, il a dit que « c'était une initiative malheureuse » de faire la lumière sur des cas de fraude. « Ce n'était pas le sens de la mission. » Si, pourtant, sa mission portait sur les conséquences de la fraude documentaire sur la fraude sociale. C'est pour cela que je vous ai lu les débats qui avaient eu lieu au moment de l'adoption de son rapport, puis ce qu'il a pu dire : sa mission était d'éteindre l'incendie avant les élections européennes, parce que certains se sont imaginé que cette histoire-là allait faire monter Marine Le Pen. Ce n'est que cela, la réalité.

Je vous le dis d'autant plus librement que c'est le discours que l'on nous a tenu en 2011-2012. À l'époque, au ministère de l'Intérieur, rappelez-vous qui dirigeait la campagne de Nicolas Sarkozy. C'était la grande panique, il ne fallait pas que cela se sache, il ne fallait pas trop en faire là-dessus, au motif que cela ferait monter le Front national. Sauf que les gens n'ont pas compris que ce qui fait monter le Front national, c'est de ne pas traiter les problèmes, c'est de les leur cacher. Ce n'est pourtant pas très compliqué de dire qu'il existe un problème de sécurisation des documents, un trou dans la raquette, depuis le décret Jospin de 2000, que nous le savons, que nous allons le traiter, que nous le prenons à bras le corps et que nous nous donnons deux ans pour régler le sujet et pour nettoyer notre système social. Le politique qui fait cela gagne 15 % dans les sondages, s'il le fait réellement ensuite – il ne suffit pas de le dire.

Ensuite, cela pose quand même un autre point, plus juridique et pénal. Vous connaissez la jurisprudence Christine Lagarde. Deux délits existent en France : le détournement de fonds publics, mais aussi le détournement de fonds publics par négligence. Celui-là vise très explicitement les fonctionnaires ou les ministres qui ont laissé de l'argent public être dépensé alors qu'ils savaient qu'il y avait un problème, qui n'ont pas fait leur travail et qui n'ont pas pris les mesures nécessaires pour endiguer ce problème. Là, vous n'êtes pas à l'abri que des personnes dans la technostructure, à tous les échelons, craignent que l'information ne sorte. Sur le SANDIA, à la rigueur encore, cela peut passer, mais pour les cartes Vitale, c'est beaucoup plus gênant pour eux. Toutes les missions ont fait ressortir le rapport conjoint de 2013 de l'IGF et de l'IGAS, où il est écrit noir sur blanc que 8 millions de cartes Vitale sont en surnombre et que 7 millions de personnes sont prises en charge par les assurances maladie obligatoires en surnombre. On va peut-être aller poser la question à certaines personnes – vous, peut-être, allez le faire – pour savoir ce qu'ils ont fait depuis toutes ces années, alors que l'IGF et l'IGAS ont mis le doigt, dès les premières pages, sur un vrai problème. Qu'ont-ils fait depuis pour traiter cela ? Parce que derrière, des sommes importantes sont en jeu.

Vous allez peut-être demander comment cela se fait que l'on paye des prestations sociales à 12,4 millions de personnes, alors qu'elles sont censées ne pas être si nombreuses. On va peut-être vous expliquer qu'on ne verse pas des sommes à 12,4 millions. Oui, mais on l'a écrit. Devant votre commission, ce qui est dit ou ce qui est écrit dure le temps que cela dure, c'est-à-dire en général 24 ou 48 heures. Après, l'administration change de position.

Qui a intérêt à ce que cela ne sache pas ? Ce ne sont pas les fraudeurs, parce qu'ils ne sont pas dans ce débat-là. C'est davantage au niveau de la technostructure, de l'administration que se trouve le blocage. Il n'est pas au niveau politique.

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Oui, mais là, on est davantage sur un blocage presque juridique, parce que derrière, le risque pénal n'est pas neutre. Vous allez peut-être découvrir que tout cela était très connu des administrations depuis très longtemps et que votre rapport, potentiellement, peut mettre le feu aux poudres et entraîner des demandes de comptes à certains.

Je crois que dans votre programme de travail, vous entendrez la sixième chambre de la Cour des comptes. Vous pouvez aussi lui poser quelques questions. Amusez-vous à aller sur les rapports de certification de la Cour des comptes, laquelle certifie les comptes de la sécurité sociale tous les ans. Cherchez si elle parle du SANDIA et des NIR frauduleux. La question de la fraude à l'immatriculation a quand même fait l'objet de quatre rapports du ministère des Finances et quatre rapports publics de la DLNF. Cela a été repris dans des rapports de l'IGF. Même le ministère de l'Intérieur en reparle. J'ai peut-être mal cherché, mais je n'ai jamais vu une seule phrase de la Cour des comptes sur cette problématique. Elle n'en a jamais parlé. D'ailleurs, je n'ai pas entendu parler du sujet des cartes Vitale surnuméraires non plus.

Si vous avez une entreprise dans laquelle 10 % des fournisseurs ou des clients n'existent pas et que l'argent est versé, normalement, le commissaire aux comptes (CAC) ne certifie pas les comptes, pas même avec des réserves. S'il le fait et que cela part en déconfiture, je peux vous assurer que le procureur va dire : « Monsieur le commissaire aux comptes, venez voir par là. Nous allons discuter deux minutes. »

Je ne comprends pas comment la sixième chambre de la Cour des comptes a pu certifier les comptes de la Sécurité sociale alors que nous avons cette problématique de fraude documentaire, alors que vous avez 12,4 millions de personnes nées à l'étranger qui touchent des prestations chaque année alors qu'elles sont censées être 8,2 millions. Je ne comprends pas comment la Cour des comptes peut certifier les comptes de la Sécurité sociale quand l'IGF et l'IGAS disent que 7 millions de personnes à l'assurance-maladie obligatoire sont prises en charge, en plus de celles qui existent, et que vous avez 8 millions de cartes Vitale actives en surnombre. Je comprends encore moins que la Cour des comptes n'en parle même pas. C'est une question grave que je pose ; je pense qu'il va falloir la leur poser. Leur mission est de certifier les comptes, de travailler. Le public et la Constitution d'ailleurs leur donnent ce rôle-là. Qu'ils travaillent et que l'on ait confiance dans leurs rapports ! De cette problématique de la fraude documentaire et du SANDIA – un « point de niche » qui concerne quand même 2,5 millions de numéros de sécurité sociale qui touchent tous les mois des prestations avec des droits ouverts –, la Cour des comptes n'a jamais parlé. Soit elle n'a jamais posé la question – il faut leur demander – soit elle n'a jamais fait ce simple contrôle de cohérence qu'un enfant de CM1 est capable de comprendre, à savoir comparer le nombre de gens qui existent avec le nombre de gens qui touchent de l'argent. Si l'on a plus de gens qui touchent de l'argent que de gens qui existent, c'est que l'on a un problème. Manifestement, la Cour des comptes n'a jamais posé la question. Peut-être l'a-t-elle et n'a pas voulu donner la réponse, mais à mon avis, c'est une bonne question à leur poser.

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Je vous assure qu'à chaque fois que l'on pose des questions sur ce type de sujet, on se fait critiquer par la presse. J'ai posé la question sur les retraités à l'étranger et un article du Parisien m'a traitée d'idiote parce que je posais la question. On me disait que c'était faux, que je disais n'importe quoi, quasiment que j'étais « facho ». J'espère que la journaliste qui l'a écrit écoute cette audition et qu'elle aura des réponses concrètes.

Mes questions s'adressent à vous, monsieur Prats ; nous pourrons aussi les poser aux organismes de sécurité sociale. À combien évalue-t-on la fraude par branche ? Vous avez parlé de la Sécurité sociale, des branches CAF, URSSAF, maladie et vieillesse, mais on ne parle pas des collectivités locales, qui fournissent aussi beaucoup de prestations sociales, y compris avec des cartes d'identité frauduleuses.

Deuxièmement, pourquoi ne rendrions-nous pas le RNCPS obligatoire ? Il ne l'est pas aujourd'hui. J'avais déposé une proposition de loi dans le mandat précédent, justement pour que l'on puisse utiliser le RNCPS à chaque fois que l'on paye une prestation sociale et que l'on ait une déclaration universelle de revenu social sur laquelle on pourrait tout mettre, par exemple des allocations familiales, la gratuité de la cantine, le paiement du permis de conduire, le centre aéré pris en charge, etc. On ne sait pas aujourd'hui combien on verse de prestations sociales par personne.

Ensuite, vous avez mentionné brièvement comment nous pourrions éviter la fraude documentaire. C'est une plaie qui gangrène, pas simplement les prestations sociales, mais tout, y compris la fraude à l'identité. Dans le chaos migratoire que nous avons vécu et que nous pourrions peut-être vivre encore étant donné ce qu'il se passe en ce moment aux frontières de la Grèce, les problèmes de fraude documentaire sont immenses. J'ai produit un rapport pour la commission des affaires étrangères sur toutes les fraudes, notamment sur les identités. C'est quand même quelque chose de terrible.

Enfin, vous avez évoqué les NIR qui touchent et ceux qui ne touchent pas. Il serait très intéressant de demander aux organismes de sécurité sociale qu'ils fassent branche par branche une requête, parce qu'ils sont tout à fait en capacité de le faire, par exemple en se basant sur une année. Combien, sur une année ou sur six mois, avez-vous de NIR existants et de NIR existants actifs ?

Tout à l'heure, monsieur Prats, vous parliez des échantillons et des sondages qui effectivement ne peuvent pas donner de résultat. En vous écoutant, je regardais sur Internet les affaires que la presse relate sur les fraudes à la sécurité sociale, notamment les fraudes à la CAF qui sont les plus spectaculaires, mais l'on recense aussi des fraudes à l'URSSAF avec de fausses identités, des faux comptes et des fausses prestations chômage. Il y a quelques années, une filière turque avait été identifiée. Il suffit de faire quelques clics et vous tombez sur ce type d'articles. Quand vous lisez les affaires de fraudes à la CAF relatées par la presse, les sommes sont absolument monstrueuses, nous nous trouvons devant un gouffre. Ce sont des choses incroyablement importantes. Et pourtant, non seulement les condamnations sont extrêmement faibles, mais nous ne savons pas du tout comment ces sommes sont recouvrées. Moralement, c'est insupportable. À l'heure où nous sommes à 100 % d'endettement, 57 % de taux de prélèvements obligatoires, où nous diminuons les prestations pour les personnes les plus fragiles parce que nous n'avons pas d'argent et parce que c'est une volonté politique, imaginer que l'on puisse frauder à ce point l'argent de la solidarité est absolument inconcevable.

Enfin, pour les personnes qui touchent des prestations à l'étranger, quelles sont, à votre avis, les mesures à prendre ? En France, effectivement, je pense qu'il faut faire ce que vous dites concernant la biométrie, le coût est vraiment minime par rapport à la fraude sociale. Ce serait un investissement très lucratif et nous verrions dans deux ans de combien les dépenses diminueraient si nous arrivions tous à nous réidentifier avec de la biométrie. Mais pour l'étranger, comment pouvons-nous avoir des preuves de vie ? Comment pouvons-nous aussi avoir des certitudes sur l'existence des prestations que l'on touche à l'étranger ? Avez-vous des exemples d'autres pays qui arrivent à avoir ce type d'information ? Je pense que notre tâche est très grande.

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Un constat : il est quand même assez incroyable que l'on ne puisse pas savoir qui est vivant, qui est mort et qu'il y ait des écarts de plusieurs millions de personnes. La manière dont on lutte est une chose. Que l'on évalue si c'est efficace ou pas, suffisamment volontaire ou pas, ce sont des qualificatifs, mais le fait que l'on ne soit même pas sur la même ligne de départ de manière factuelle me pose question. Vous l'avez suffisamment mis en évidence pour le réitérer. Notre mission s'honorera au moins à poser des chiffres incontestables.

Vous avez mis en évidence la possibilité de développer la biométrie. C'est ce qui paraît le plus rationnel. Il y a un autre exemple, c'est ce qu'a fait la Belgique avec le carrefour unique de données, qui intègre toutes les prestations sociales. C'est une sorte de RNCPS amélioré, où on fait intervenir non pas seulement les administrations, mais également des acteurs privés et les employeurs. Un modèle comme cela est-il possible chez nous ou pas ?

En faisant quelques recherches, on voit que la Belgique a réussi – on ne compare même pas avec notre système social – à faire une économie de plus de 1,7 milliard, juste en croisant des informations des acteurs privés et des acteurs publics. Je n'ai pas l'impression que cela coûte une fortune de croiser des informations qui existent déjà, parce qu'elles existent dans des bases différentes. Quel est votre avis sur le modèle belge ?

Sur la question de la courbe qui se corrèle ou des courbes de causalité, évidemment, les mots ont du sens. J'aime bien votre règle de trois. Quelle serait la règle d'évaluation la plus basique et incontestable pour voir si oui ou non les chiffres sont fiables ?

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Ce qui me frappe dans nos auditions, c'est que nous avons reçu des administrations, des gens très importants, et que l'on sent bien qu'à chaque fois que nous posons des questions sur les chiffres, cela suscite un vrai malaise. Ils ne sont pas très sûrs d'eux, ils reviennent. Cette commission était très utile, elle a permis à la Sécurité sociale de trouver 2 millions de faux comptes en une seule nuit. Ce qui est le plus le plus gênant – c'est ce que j'ai dit d'ailleurs –, c'est le flou. Quand il y a un flou, il y a fatalement un loup quelque part. C'est cela qui nous perturbe.

C'est vraiment le sujet, comme assez souvent dans ce pays, d'une haute administration qui ne veut simplement pas reconnaître ses erreurs, ce qui est quand même dramatique. Nous parlons de milliards à un moment où les hôpitaux français en auraient bien besoin. En plus, nous ne sommes pas sur de la petite arnaque : il s'agit de fraudes souvent très organisées, et nous ne comprenons pas très bien pourquoi nous ne mobilisons pas les moyens nécessaires, parce que cela permettrait de récupérer beaucoup d'argent.

Je partage toutes les analyses. J'avais fait des rapports sur d'autres sujets. Nous avons dans ce pays un problème aussi pour croiser des fichiers. Quand on dit que l'on veut croiser des fichiers, c'est toujours impossible pour une question de liberté individuelle. Celui qui ne fait rien n'a pas de problème de liberté individuelle. J'avais rencontré M. Bartolt sur des sujets de permis de conduire, de fichiers, etc., donc je connais bien le personnage. Cela aussi me semble important.

Une fois que nous aurons fait ce calcul, que fait-on pour que cela ne se reproduise plus ? Effectivement, il y a sûrement la carte biométrique. Il y a peut-être le réencodage permanent. Que pouvons-nous faire au sortir de cette commission pour dire : « Nous allons nous mettre d'accord sur un chiffre et allons essayer de proposer quelque chose pour faire faire un petit peu d'économies à la sécurité sociale » ? Ce serait assez agréable pour tout le monde.

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La Belgique et un certain nombre de pays membres de l'OCDE sont dans une logique où ils reconnaissent que la fraude est vraisemblable et conviennent qu'il faut prendre le problème à bras le corps. En fait, ce qui est très frappant au cours de nos auditions, c'est qu'une sorte de politique de l'autruche semble dominer. On met la tête dans le sable : évidemment, le problème n'existe plus, alors qu'il semble être quand même assez conséquent. À un moment où l'on constate un certain nombre de sujets dans nos hôpitaux, etc., il faut bien dégager les moyens pour que l'on puisse allouer les moyens de manière efficace.

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Quand j'ai commencé à m'intéresser à ce sujet, je me suis dit que le document que j'avais était faux, ou que je ne comprenais pas bien, ou qu'il me manquait certains éléments. Hélas, c'est de pire en pire. Quand on commence à creuser, on se demande jusqu'où cela va aller. Je n'ai pas l'expertise d'un certain nombre de mes collègues ici. J'en suis pour l'instant à la phase de grand étonnement. Je suis donc vraiment ravie d'examiner ces questions avec vous, en espérant que cela aboutisse à quelque chose.

La Sécurité sociale, l'administration, ont-elles les moyens de lutter ? Cela fait-il partie de la culture des personnes qui y travaillent, des missions de la Sécurité sociale et de tous ces organismes ? Est-ce quelque chose qu'il faut inculquer, au-delà de tout ce que vous avez évoqué tout à l'heure, que certains ne souhaitaient pas, etc. ? En ce qui concerne le travail au noir, nous avons un certain nombre de contrôleurs, et cela fonctionne. Il y a toujours des sommes à récupérer, mais vraisemblablement, en ce qui nous concerne, nous n'avons vraiment rien du tout.

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

À combien s'élève la fraude par branche ? C'est une bonne question. Je vous renvoie aux travaux d'évaluation de la branche famille, qui sortent tous les ans et estiment la fraude à 2 ou 3 milliards d'euros. Nous n'avons pas d'estimation de la branche vieillesse et surtout, pas d'estimation de la branche maladie.

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Oui, à l'époque, c'étaient les grandes batailles, avec M. Van Roekeghem, le docteur Fender, etc : c'est un milieu où tout le monde se connaît et traite de ces sujets depuis des années. Mais sur la branche maladie, je vous renvoie aux travaux de l' European Healthcare Fraud and Corruption Network (EHFCN), qui en 2009-2010 avait chiffré la fraude à l'assurance-maladie en France à 10,5 milliards par an, alors que la CNAM avait indiqué un chiffre de 1 % à la Cour des comptes. Cela avait donné lieu à un article dans Le Télégramme, un journal de Brest qui avait fait sa Une là-dessus. La CNAM avait contesté en disant : « Ce sont des millions, pas des milliards. Ils disent des bêtises. » Le journaliste avait dit : « C'est quand même étonnant, parce que le directeur général de cet organisme est l'agent comptable de la CNAM française ». Il s'agissait d'un taux de fraude de 5,59 %, que l'EHFCN avait réévalué à 7,29 %. Il semblerait que dans le cadre du rapport Goulet-Grandjean, la Cour des comptes ait transmis des documents : c'est toujours cette étude annuelle qui est faite par les Anglais. Ils travaillent sur l'ensemble des pays et sont sur une fourchette de 3 à 10 % de taux de fraude.

La commission pourrait entendre utilement Jim Gee, professeur associé à l'Université de Portsmouth, qui fait ces exercices d'évaluation de la fraude en matière de branche maladie. Jim Gee a cette particularité d'être l'ancien patron de l'antifraude britannique. Pour la mission Goulet-Grandjean, j'avais négocié avec lui – puisque nous travaillions avec le Conseil de régulation financière et du risque systémique (CRFRS) à l'appui de la mission – qu'il fasse une étude très précise sur la fraude française. Cela coûtait 80 000 euros, parce qu'ils font travailler des chercheurs. Si vous disposez d'un budget pour faire réaliser une étude indépendante, vous pouvez aller les voir. Si vous n'avez pas les moyens nécessaires, vous pouvez au moins l'entendre. Il avait fait une étude sur la fraude aux indemnités journalières (IJ) en France, qu'il avait chiffrée à 6,6 % sur les exercices français, il me semble. La CNAM avait tout de suite dit : « Non, on arrête tout ». Il ne fallait surtout pas en parler.

A combien s'élève la fraude par branche, pour les collectivités locales ? Nous ne le savons pas. Le taux de fraude naturel, en général, c'est 6 à 7 %. Si vous appliquez un taux de six points à 787 milliards d'euros de prestations sociales, plus les coûts de gestion par an, cela vous fait 45 milliards. C'est une estimation, on peut se dire : « Tiens, on a un sujet à 45 milliards potentiellement ».

Rendre le RNCPS obligatoire, oui, pourquoi pas ? De même pour la déclaration sociale unique, parce qu'effectivement, nous avons un trou noir par rapport à ce que touchent les gens un peu partout, bien que les présidents de conseils généraux aient accès au RNCPS, étant donné qu'ils payent le RSA.

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Ils ne le savent pas, mais normalement, ils peuvent le faire.

Comment éviter la fraude documentaire, y compris la fraude à l'identité ? Comme dirait le général : « vaste programme ».

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Charles Prats, magistrat au Tribunal de grande instance de Paris

Tous les documents font l'objet de fraudes. Si vous voulez les sécuriser, un travail se fait au niveau de l'Union européenne en ce moment. Il faudrait interroger la représentation permanente de la France à Bruxelles, ce serait assez intéressant. La biométrie est le point commun de tous les travaux qui se font à l'heure actuelle. Dans de nombreux pays, on ne se pose pas cette question comme le fait la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) chez nous, avec la loi de 1978, le règlement général sur la protection des données (RGPD), etc., parce que l'on considère que la fraude aux finances publiques est un intérêt supérieur et tout à fait légitime pour utiliser par exemple la biométrie.

« Combien de NIR existants actifs et inactifs ? » C'est une bonne question à poser, mais pas simplement sur le SANDIA. Là, nous étions sur le principe des numéros attribués à des personnes nées à l'étranger parce que nous avons un problème de fraude documentaire, parce que les gens peuvent passer au travers en produisant des documents falsifiés de manière plus facile ou viennent de pays dépourvus d'état civil. Or, nous pouvons avoir un problème, même sur les autres types de NIR. Posez la question organisme par organisme, et je vais même plus loin, par tranche d'âge. Parce que si vous demandez les NIR par année de naissance, vous pouvez effectuer des comparaisons avec le recensement de l'INSEE. Par exemple, vous verrez s'il y a vraiment des cartes Vitale attribuées à tous les enfants de 12 ans à 16 ans. Il paraît que tous les enfants de ce pays ont des cartes Vitale ; c'est ce que j'ai cru comprendre la dernière fois. Ce sont des questions intéressantes, parce que vous faites du contrôle de cohérence, et cela vous permet d'avoir des bases de comparaison indépendantes et que vous mettez en contradiction ; c'est le juge d'instruction qui vous parle.

« Les prestations à l'étranger, comment faire ? » Je suis pour la biométrisation des personnes nées à l'étranger, parce qu'il n'y a pas de raison. Ils vont au consulat et s'ils n'ont pas fait leur biométrisation dans un délai d'un an, on coupe les prestations. Vous savez ce que nous avions fait à la DNLF, à Marseille, quand nous soupçonnions des fraudes à l'existence ? Nous avions interrompu les versements ; cela avait créé un scandale, nous avions été traités de tous les noms. Je suis habitué, cela fait quelques mois que je suis traité de tous les noms. Quand je communiquais beaucoup sur la fraude fiscale, vous voyiez des vidéos où M. Mélenchon m'applaudissait. Maintenant, je parle de la fraude sociale et je suis quasiment présenté comme un nazi.

Vous parliez des journalistes. Je dédicace cette audition à Géraldine Woessner qui est maintenant au Point, qui a passé des heures et des heures à expliquer que tout cela était des fake news. Je vais lui envoyer le JO du Sénat dédicacé, ainsi qu'à la Cour des comptes.

Sur la question des millions de personnes dont on ne sait pas si elles sont décédées ou pas, Carole Grandjean avait eu l'idée de poser la question des centenaires. Comme souvent quand on fait de l'audit ou du contrôle, ou une enquête, elle a eu cette curiosité. Elle reçoit une réponse : 3,1 millions de centenaires alors qu'il y en a 21 000 recensés. Honnêtement, j'ai éclaté de rire. C'est tellement hallucinant que c'en est drôle. Le directeur général de l'INSEE vous dit que 84 millions de personnes sont réputées en vie, dont 3,1 millions de centenaires : 1,6 million est né à l'étranger – donc on peut comprendre que nous n'ayons pas les certificats de décès – et 1,5 million de centenaires sont nés en France – et ils vous disent dans le même mail que les données sont mises à jour toutes les semaines !

Évidemment, il n'y a pas 1,5 million de centenaires dans le pays, ou 3 millions qui perçoivent des prestations, parce que la CNAV le verrait, et dirait que nous avons un souci, enfin, je l'espère. C'est pour cela que le RNCPS par tranches d'âge peut être assez intéressant, mais cela pose quand même une vraie question.

Ils ont traité les deux parlementaires de tous les noms et les ont ridiculisées dans la presse, etc. Il n'empêche qu'elles ont posé une vraie question. C'est du bon sens et tout le monde peut se dire : comment a-t-on un fichier avec 84 millions de personnes réputées en vie ? Comment sécurise-t-on ce fichier ? Cela ne veut pas dire qu'il y a 84 millions de personnes qui touchent, mais cela veut dire qu'il faut voir quel est le problème. Quand on voit que l'on parle de 12,4 millions de personnes alors qu'il ne devrait y en avoir que 10 millions, on peut quand même se poser des questions. C'est à vous de le faire.

S'agissant des moyens de lutte, les Belges sont très bons sur un grand nombre de sujets, tels que la biométrie, le carrefour de données et globalement les croisements de données. Ils étaient très bons sur la fraude à la TVA aussi. Yannick Hulot, l'ancien patron d'Eurofisc, m'avait présenté son dispositif en 2011 portant sur les logiciels de détection précoce des fraudes à la TVA. J'étais revenu à Bercy en disant : « Voilà un dispositif génial, ils ont éradiqué 90 % des escroqueries à la TVA ». La DGFiP n'en a jamais voulu. Aujourd'hui, je ne sais pas où nous en sommes. Ils me disent qu'ils font du data mining, etc, mais cela fait quasiment dix ans qu'un logiciel existe ; les Belges utilisent, comme beaucoup d'autres pays, mais l'administration française n'a jamais voulu l'utiliser. Cela pour des raisons évidentes : en fait, vous détectiez très vite, à moins de 15 jours, les opérations frauduleuses, ce qui voulait dire qu'il fallait basculer dans une procédure judiciaire pénale, parce que le livre des procédures fiscales n'est pas calibré pour travailler sur les escroqueries à la TVA. Le délai d'intervention, que la Cour des comptes avait calculé est de 18 mois. Dans ce cas, il faut intervenir tout de suite, cela voulait dire judiciariser la procédure. À cette époque-là, ils n'avaient pas d'enquêteurs avec une compétence judiciaire, donc il fallait transmettre le dossier à la douane judiciaire. La douane judiciaire et la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) auraient montré qu'elles faisaient plus de chiffre en fraude détectée que la DGFiP et cela ne correspondait pas à un type de stratégie administrative qui consiste à grossir, grossir, grossir et à manger tout le monde.

La DGFiP est issue de la fusion de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la Comptabilité publique (DGCP). En fait, c'est l'absorption de la DGCP par la DGI ; la prochaine victime sera la DGDDI. Cela a commencé : vous avez malheureusement voté un certain nombre de dispositions dans la loi de finances l'année dernière où vous déshabillez la perception par la douane de ces taxes. Dans les années qui viennent, vous allez constater un démembrement de la douane, par la DGFiP qui va récupérer la mission fiscale et par l'Intérieur qui va récupérer la mission sécuritaire. C'est une erreur phénoménale, fondamentale, un contresens historique, mais ce n'est pas grave, c'est ce vers quoi nous sommes en train de nous acheminer.

Quoi qu'il en soit, en matière sociale ou en matière fiscale, les Belges sont très bons. En plus, ils ont eu cette qualité que pendant très longtemps, ils n'ont pas eu de gouvernement. C'était l'administration qui faisait tourner le pays : ils se sont rendu compte qu'ils pouvaient très bien tourner sans les politiques et sans le gouvernement.

Sur les règles d'évaluation basiques, nous sommes à de tels niveaux de distorsion que ce n'est même plus la peine de jouer à faire de l'évaluation. Maintenant, nous savons qu'il y a un problème, il faut le traiter. Vouloir faire des évaluations, c'est aussi toujours la même chose : « On va regarder si les choses ne seraient pas mieux comme ci ou comme cela ». Non : à un moment donné, il faut y aller. Napoléon avait un principe stratégique fondamental : « On s'engage et on voit ».

Monsieur Zumkeller, c'est en effet un sujet de haute administration ; vous vous rendez compte que vous croisez encore aujourd'hui les mêmes décideurs qu'avant. C'est un très petit milieu.

Les croisements de fichiers, évidemment, sont un levier qui fonctionne. La DNLF, en 2008, avait d'ailleurs été créée pour cela. Le premier croisement de fichiers que nous avions fait était assez simple, il intervenait entre le revenu minimum d'insertion (RMI) et le chômage. Nous avions sorti 100 000 cas d'un coup, à l'issue du premier croisement de fichiers. La CNAF avait dit : « Nous n'allons pas dire que c'est de la fraude ». 100 000 personnes cumulaient le RMI et le chômage, mais nous n'allions pas dire que c'est de la fraude. Effectivement, sur les croisements de données et de fichiers, nous pouvons faire beaucoup mieux. Nous pouvons aller plus loin. Vous parliez de fraude organisée : là, nous sommes à la fois face à des petites fraudes, une espèce de fraude de masse, mais oui, nous sommes aussi sur une organisation, notamment sur la problématique de l'existence à l'étranger. Vous voyez bien qu'avec 4,1 millions de bénéficiaires de prestations retraite en France, nous avons un vrai problème d'existence.

Comment agir à l'égard des gens qui fraudent à l'étranger sur les retraites ? Vous allez voir qu'une fois que vous allez contrôler l'existence des gens, pour voir s'ils sont morts, on va vous dire : « il vient de mourir, mais nous voulons une pension réversion ».

Sur les fraudes organisées, on est confronté à des situations qui peuvent être impressionnantes, communautarisées. J'étais le juge d'instruction d'un dossier assez intéressant, sur lequel la préfecture et le parquet avaient communiqué. C'était une fraude globale : escroquerie des personnes privées, fraude fiscale, fraude aux prestations sociales, fraude aux cotisations sociales. C'était en fait du blanchiment de travail au noir. Je vous explique rapidement ce principe de fraude organisée, parce qu'elle se pratique toujours aujourd'hui et constitue certainement une des principales fraudes sociales organisées à laquelle nous sommes confrontés.

Les gens qui travaillent notamment dans le secteur « bâtiment et travaux publics » (BTP) au noir vont blanchir leur salaire dans des acquisitions immobilières. Les salariés, qui sont évidemment complices – ce ne sont pas du tout des victimes –, sont payés au noir. Ils mettent l'argent sur leur compte bancaire et vont gonfler leurs revenus, pour avoir des prêts immobiliers, en recourant à de la fraude documentaire, de fausses fiches de paie. Les banques vont leur octroyer des prêts, souvent avec des complicités internes pour qu'il n'y ait pas de sûreté et que cela se passe relativement facilement, et sur des biens immobiliers peu coûteux. Ces acquisitions immobilières vont être en partie financées par des prestations sociales, parce que par contre, auprès des organismes sociaux, ils vont fournir une déclaration de revenus « néant » ou très réduite, qui ne correspond pas à leurs revenus réels. Là, vous avez une prise en charge par la branche famille, par l'équivalent d'une allocation logement, d'une partie du prêt. L'argent qui vient du travail au noir est bien sûr versé sur le compte bancaire. Les clients ne sont pas défaillants, ils remboursent leurs prêts. Vous avez donc un mécanisme de blanchiment du travail au noir, du travail dissimulé par ce système-là, qui en même temps blanchit la fraude aux prestations sociales. Comme ces gens-là ne déclarent pas de revenus aux impôts, vous avez une petite fraude à l'impôt sur le revenu (IR) au passage. Cela fonctionne sur des réseaux très communautaires, et chaque communauté le fait dans son coin, mais en utilisant la même technique.

J'avais travaillé sur un dossier concernant des Kurdes. Je leur avais coûté un peu cher, puisqu'en deux semaines, j'en avais mis 58 en examen et j'avais saisi 41 biens immobiliers. Je m'étais arrêté à 58, parce que je n'avais que deux semaines, mais j'aurais pu faire cela toutes les semaines, toute l'année. Des cas comme cela, vous en avez sur tout le territoire, ce sont des systèmes organisés. Là, nous ne sommes pas sur des fraudes au NIR ou du SANDIA, mais sur de la fraude aux prestations sociales, autre. C'est de la fraude croisée. Vous pourriez passer votre vie au service enquêteurs à ne faire que ce type de dossier ; et cela ferait rentrer de l'argent d'ailleurs.

Après, que fait-on ? Déjà, on constate que les organismes de sécurité sociale n'ont pas cette culture du contrôle. Ce n'est pas leur métier de lutter contre la fraude. Leur métier est de payer des prestations. Le travail de l'antifraude est d'être un chasseur et de considérer que la personne en face de vous est un fraudeur ; après on regarde s'il n'est pas honnête. Le principe des organismes sociaux est de prendre en charge les gens, de les aider, etc.

Dès que vous parlez de la fraude aux prestations sociales, les gens évoquent le non-recours aux droits. Nous n'en avons rien à faire, ce n'est pas du tout le sujet. Le sujet du non-recours aux droits est un sujet de protection sociale pour un organisme de protection sociale dont le travail est de payer des prestations. Le sujet de l'antifraude est de détecter des bandits qui sont en train de voler l'argent public, d'où ma position depuis très longtemps, qui est de dire qu'il faut sortir la mission de lutte contre la fraude des organismes de protection sociale et la mettre dans un service de l'État.

À l'époque, nous avions appelé cela « le FBI de lutte contre la fraude sociale », cela remonte à quasiment dix ans. C'était une image un peu parlante. Globalement, l'idée était de transformer la DNLF, qui est moribonde maintenant depuis plusieurs années, alors qu'elle marchait bien jusqu'en 2012-2013. Nous avions une véritable impulsion, notamment législative et via les CODAF. Maintenant, j'ai l'impression que la DNLF est tombée dans l'oubli. D'ailleurs, il n'y a même pas eu de nomination de délégué national après la mutation de l'ancienne déléguée nationale. Vous transformez cette délégation – vous pouvez changer son nom si vous voulez – en un service opérationnel qui aurait comme compétence de traiter la problématique de la biométrisation, éventuellement, et de gérer les contrôleurs, les services d'enquête des organismes, et donc de mettre la lutte contre la fraude sous la tutelle de l'État; inutile de changer les statuts des agents.

En face, on vous dit : « Mais non, nous avons des conventions d'objectifs et de gestion (COG) » – on a déjà dû vous en parler. J'étais enquêteur sur le terrain : j'ai attrapé des fraudeurs et toute la journée, je vois des bandits, des terroristes, des voleurs, des violeurs... Cela fait 25 ans que je fais cela. Nous n'avons jamais attrapé un bandit avec une COG. Il faut des gens sur le terrain, des outils, des moyens informatiques, etc. Il faut aussi des enquêteurs. Les inspecteurs de l'URSSAF sont au maximum de ce qu'ils peuvent faire. Si vous ne mettez pas de personnel pour aller attraper les gens, vous ne les attraperez pas plus. On peut nettoyer, les fichiers faire de la biométrie, avoir de grands projets. Plus ils seront simples, mieux c'est, parce que l'on sait ce que donnent les grands projets informatiques en France. Regardez le RNCPS : cela fait bientôt 15 ans que nous y sommes. Il faut des hommes ou des femmes avec une culture, avec une volonté, c'est tout. Peut-être faut-il aussi sortir d'un certain angélisme, voulu par certains, et de la négation. Il y a de la fraude aux prestations sociales – il n'y a pas que cela : il y a de la fraude fiscale, de la fraude aux cotisations –, mais elle est évidemment massive dans notre pays. Soit l'administration, le Gouvernement, vous, les politiques, prenez le dossier à bras le corps et le traitez, soit il ne faudra pas s'étonner qu'il y ait de gros sujets.

Tout à l'heure, vous allez aller voter une motion de censure, il y a un débat sur les retraites, etc. Je profite d'être ici pour vous redire ce que j'ai dit dans la presse. Toute réforme des retraites qui aboutira à une baisse des prestations – parce que l'objectif est quand même de baisser le montant des retraites – sera scandaleusement injuste si vous ne traitez pas avant tous ces problèmes de fraude aux finances publiques, de fraude aux prestations sociales, de fraude fiscale, etc. Les gens ne peuvent pas comprendre – et ils ont raison – que vous leur demandiez plus et que vous réduisiez les prestations, alors qu'à côté, on sait pertinemment que l'argent s'en va, qu'on le laisse partir et qu'en plus, on met le couvercle sur la marmite et la poussière sous le tapis. Ce n'est pas possible. Ce soir, on découvre que l'on a des millions de gens nés à l'étranger qui touchent des prestations sociales, alors qu'ils sont censés ne pas exister. Dans une demi-heure, on va expliquer : « Non, pas de problème, on va réformer les retraites, puis on va fermer le robinet sur les retraites ». Comment voulez-vous que la population réagisse ? Vous-mêmes, vous êtes contribuables. Vous n'êtes pas que députés. Comment réagissez-vous par rapport à cela ? Ma démarche est citoyenne. Je fais mon travail de magistrat, il n'y a pas de problème. Cela étant, mon travail constitutionnel est de garantir les libertés individuelles et dans la protection des libertés individuelles, figure aussi la protection des biens communs, des personnes, de leurs propriétés. Nous contribuons par l'impôt et par les cotisations. Quand on sait tout cela, on ne peut plus se taire. Maintenant, la balle est dans votre camp, vous, la représentation nationale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup pour cette audition. Je pense que nous aurons l'occasion, avant la fin de nos travaux, d'échanger à nouveau avec vous.

La réunion se termine à vingt heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales

Réunion du mardi 3 mars 2020 à 18 heures 30

Présents. – Mme Valérie Boyer, M. Pascal Brindeau, Mme Blandine Brocard, Mme Sarah El Haïry, M. Patrick Hetzel, M. Michel Lauzzana, M. Thomas Mesnier, M. Benoit Potterie, M. Michel Zumkeller

Excusé. - Mme Josette Manin