Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend Mme Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris, accompagnée de M. Jacques Carrère, premier avocat général.

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Mes chers collègues, la commission d'enquête va entendre une nouvelle fois Mme Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris, accompagnée de M. Jacques Carrère, premier avocat général.

Madame la procureure générale, vous avez déjà été reçue le 6 février par notre commission d'enquête. Le rapporteur et moi-même – ainsi que l'ensemble des membres, d'ailleurs – avons jugé cette nouvelle audition nécessaire après les propos tenus devant nous par Mme Éliane Houlette, ancienne procureure de la République financière, le 10 juin.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct ; elle sera ensuite consultable en vidéo. Elle fera également l'objet d'un compte rendu écrit, qui sera publié.

Si vous le souhaitez, je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire.

Auparavant, comme il est d'usage, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Madame, monsieur, je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Catherine Champrenault et M. Jacques Carrère prêtent successivement serment.)

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, vous avez manifesté le souhait de m'entendre à nouveau, et je vous en remercie. L'audition, le 10 juin, de l'ancienne cheffe du parquet national financier par votre commission a donné lieu à de multiples développements médiatiques concernant notamment l'affaire dans laquelle M. François Fillon et son épouse sont mis en cause. J'observe que, le 19 juin, le Président de la République a en outre, comme vous le savez, saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d'une demande d'avis sur l'existence de pressions « dans le cadre d'un dialogue normal et habituel avec le parquet général ».

Il m'apparaît en effet indispensable, dans le contexte de bruit et de fureur – pour paraphraser William Faulkner – qui entoure en ce moment même l'action de la justice, de vous présenter, sans esprit polémique ni animosité personnelle, la réalité des faits. Je tiens cependant à dire, en tant que magistrate, combien je suis attristée par des débats hâtifs, qui sont aussi parfois des entreprises de démolition, avec pour seul effet – je n'ose penser pour seul but – de discréditer l'action de la justice française, voire de saper l'un des piliers de la démocratie et de l'autorité de l'État. Il est toujours plus facile et plus vendeur d'entretenir la théorie du complot que de s'attacher à la rigueur du raisonnement juridique.

Peut-être y a-t-il parfois des procès à faire à la justice. Faite d'hommes et de femmes, elle n'est sans doute pas infaillible, même si la conscience des magistrats et le respect de la règle de droit sont autant de garde-fous contre l'arbitraire. J'ai la conviction que mes collègues du ministère public comme du siège partagent ce souci scrupuleux de l'indépendance et du respect de la loi de la République. Sans doute y a-t-il également des voies d'amélioration à explorer et à mettre en œuvre pour renforcer l'indépendance de la magistrature – et singulièrement celle du ministère public. J'en avais envisagé certaines lors de mon audition du 6 février, vous vous en souvenez.

Ainsi que je vous l'indiquais, je suis attristée mais sereine, car je vais pouvoir vous donner plusieurs explications et vous apporter, du moins je l'espère, un certain nombre d'éclaircissements, dans les limites que vous connaissez bien – à savoir, pas d'éléments sur des affaires en cours.

Je voudrais d'ailleurs dire à la représentation nationale combien, pour un magistrat de l'ordre judiciaire, qui connaît la valeur de cet engagement, il est important de témoigner devant vous après une prestation de serment. C'est important, car dire la vérité, toute la vérité, suppose que l'on s'attache sans crainte, et bien sûr sans haine, aux faits et au droit, à l'exclusion des approximations, des impressions et des chemins de traverse faciles. Certes, cette démarche est sans doute moins séduisante, moins stimulante pour l'imagination ou les fantasmes, mais je suis certaine que nous la partageons.

Plus précisément, et en premier lieu, je maintiens bien évidemment toutes les déclarations que j'ai faites devant vous lors de ma précédente audition, le 6 février. Je vous rappelle mes propos : le lien hiérarchique qui unit le ministère public n'est pas contraire à l'indépendance, il est profitable car le double regard peut avoir sa vertu dans les affaires complexes, notamment sur le plan juridique – nous reviendrons bien évidemment plus avant sur cette thématique.

Les instructions de poursuites du procureur général à un procureur soumis à son autorité doivent naturellement intervenir avec parcimonie, même si elles sont prévues par l'article 36 du code de procédure pénale. Ainsi, elles sont rares. J'en ai cité trois devant vous : deux visant à régler un conflit négatif, au sens où aucun parquet ne voulait se saisir d'une procédure, la dernière pour un problème de qualification, le parquet général étant en faveur du maintien de la qualification criminelle dans une affaire de terrorisme. Elles sont rares car elles ne peuvent et ne doivent pas être le mode habituel de fonctionnement du ministère public, même si elles sont légales et, au demeurant, dans un souci de transparence, doivent impérativement être versées au dossier de la procédure. Elles ne doivent intervenir que pour trancher, dans le souci d'une bonne administration de la justice, des difficultés juridiques ou techniques, ou pour arbitrer les conflits négatifs – ou positifs – entre les procureurs.

La plupart du temps, les relations entre un procureur général et un procureur de la République relèvent de l'échange des points de vue. À cet égard, je souscris pleinement aux propos tenus devant vous le 5 février par François Molins, actuellement procureur général près la Cour de cassation, avec lequel j'ai travaillé quand il était procureur de la République de Paris : « Ce jeu de dialogue hiérarchique, notamment dans les affaires importantes, médiatiques ou financières, consiste à mettre son autorité hiérarchique en mesure de faire valoir son point de vue dans la conduite d'un dossier. » Le procureur général est en effet l'un des garants de l'efficacité de la justice, pour une raison essentielle : il y participe pleinement, en raison de son rôle juridictionnel près la cour d'appel. Il doit requérir sur la régularité de la procédure et sur l'intérêt des demandes d'actes devant la chambre de l'instruction. Le procureur général est donc aussi le procureur de la cour d'appel, et il nourrit son analyse de la jurisprudence de cette juridiction.

Cette efficacité de la justice, c'est aussi de pouvoir soutenir avec force l'accusation dans les dossiers qui viendront en jugement devant les cours d'assises et devant les chambres d'appel correctionnelles. Le procureur général est donc concerné, intéressé par la solidité des charges et la sécurité juridique de la procédure. Il dispose d'ailleurs, aux termes de l'article 185 du code de procédure pénale, d'un droit d'appel propre pour obtenir la qualification pénale la plus adaptée aux faits ou solliciter un acte dans une procédure d'instruction.

Si ce contrôle s'exerce, c'est bien pour sécuriser et enrichir la procédure, et non pour l'étouffer. Au risque de me répéter, comme je vous l'ai déjà indiqué le 6 février, le parquet général n'a aucune compétence pour classer sans suite une procédure pénale. Au contraire, la loi lui confère, aux termes de l'article 40-3 du code de procédure pénale, la possibilité, après un classement sans suite décidé par un parquet de première instance, d'ordonner la réouverture de l'enquête et la poursuite des investigations. Le procureur général peut également faire appel de toutes les décisions correctionnelles rendues en première instance. D'ailleurs, au parquet général de Paris, dans les contentieux spécialisés que sont l'économique et le financier, d'une part, et le terrorisme, d'autre part, ce sont les chefs de ces départements et leurs adjoints qui assurent aussi le suivi de l'action publique, alors même qu'ils requièrent en personne dans les affaires les plus graves et les plus complexes aux audiences de jugement de la cour d'appel. Le rôle juridictionnel du procureur général fait aussi la qualité de sa réflexion technique et juridique.

J'ai entendu, depuis ma nomination à la tête du parquet général de Paris, exercer pleinement ces prérogatives. Si j'avais renoncé à exercer un contrôle de l'action publique, j'aurais été en deçà de ma mission légale. Et cela est vrai quels que soient les parquets placés sous mon autorité, qu'ils aient une compétence territoriale, une compétence interrégionale ou une compétence nationale spécialisée, tels le parquet national financier (PNF) et le parquet national antiterroriste (PNAT).

Il a pu y avoir une confusion dans l'esprit de certains quant au statut du PNF, ce premier parquet national, et même apparemment dans l'esprit de sa première cheffe, puisque celle-ci a déclaré devant vous que se posait la question de « la légitimité du procureur général de Paris », dont les compétences, selon elle, ne pouvaient s'étendre qu'aux affaires financières régionales du ressort de la cour d'appel de Paris, et non aux affaires nationales.

Je regrette d'avoir à rappeler, à cet égard, les principes élémentaires de notre droit procédural et de notre organisation judiciaire. Je me bornerai à citer la circulaire du 31 janvier 2014 relative au procureur de la République financier, qui énonce que celui-ci est placé « sous l'autorité hiérarchique du procureur général près la cour d'appel de Paris », et ce sans restriction territoriale, d'autant qu'« il appartient au procureur général de Paris, en concertation avec les autres procureurs généraux, d'animer et de coordonner la conduite de la politique d'action publique pour l'application des dispositions relatives au procureur de la République financier ». La même circulaire indique qu'en cas de conflits relatifs aux saisines, les procureurs généraux intéressés informent le procureur général de Paris.

Du reste, le procureur général de Paris est désormais investi par la loi d'un pouvoir d'arbitrage en matière de conflits entre le PNF et l'Autorité des marchés financiers (AMF), aux termes de la loi du 9 décembre 2016, dite Sapin 2, de conflits entre une juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) et la juridiction nationale spécialisée chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) et de conflits entre la JUNALCO et le PNF, aux termes de la circulaire du 17 décembre 2019 relative à la JUNALCO.

Le PNF et le PNAT sont donc des parquets certes spécialisés et à compétence nationale, mais placés sous l'autorité hiérarchique du procureur général de Paris : ils ne sont pas autonomes. Par l'effet mécanique de la hiérarchie du ministère public et par le jeu de ses attributions juridictionnelles, toute attribution de compétences territoriales particulières à un parquet implique que le parquet général dont il dépend se voit attribuer une compétence identique. C'est vrai, par exemple, pour le parquet général dont dépend un procureur à compétence JIRS ; c'est vrai pour le parquet général de Paris, s'agissant notamment des matières dont le traitement a été confié à un parquet à compétence nationale soumis à son autorité.

Le dispositif du parquet européen, qui sera voté prochainement, est certes différent, puisque le délégué français du procureur européen agira en dehors de toute hiérarchie nationale, mais il devra lui aussi rendre des comptes au procureur européen, qui, lui-même, consultera pour son action le collège des procureurs européens.

Dans sa recommandation du 6 octobre 2000, le comité des ministres du Conseil de l'Europe préconisait déjà que les États membres privilégient « une organisation hiérarchique » pour « favoriser l'équité, la cohérence et l'efficacité de l'action du ministère publique ». Plus récemment, la Cour de justice de l'Union européenne, dans sa décision du 12 décembre 2019, a bien précisé que le lien hiérarchique existant au sein du ministère public français n'était pas contraire à la notion d'indépendance. C'est ce lien hiérarchique unissant les magistrats du parquet qui assure au ministère public français sa cohérence et sa force.

La loi du 25 juillet 2013, supprimant toute possibilité d'intervention de l'exécutif dans la conduite des affaires individuelles, a d'ailleurs été l'occasion de réaffirmer et de renforcer le rôle du parquet général. Aux termes de la circulaire de la garde des Sceaux en date du 31 janvier 2014, il a été expressément imparti aux procureurs généraux d'évaluer la mise en œuvre des politiques pénales et d'assurer le soutien technique et juridique nécessaire à la conduite quotidienne de l'action publique. Pour être en soutien, encore faut-il connaître l'évolution des procédures et les questions qu'elles soulèvent – et donc en être informé. Je retiens d'ailleurs, à cet égard, la formule de la demande d'avis du Président de la République au CSM, qui évoque le « dialogue normal et habituel » entretenu avec le parquet général. Le suivi de l'action publique par le procureur général, loin d'être une pression, constitue le mode de fonctionnement normal, institutionnel, légal et même déontologique pour l'ensemble des magistrats du ministère public.

Je tiens à rappeler que la remontée d'informations au parquet général concernant les affaires particulières est essentielle pour que le procureur général puisse assumer pleinement un autre aspect de sa fonction, celui qui consiste à décliner au niveau local les politiques nationales définies par le garde des Sceaux. Ce rôle a pris une importance accrue depuis la loi du 25 juillet 2013. Comment puis-je décliner la politique pénale, l'adapter aux spécificités de la criminalité de mon ressort si je ne suis pas en mesure, à partir des affaires particulières qui en sont l'illustration, de synthétiser les grandes tendances ? Comment définir utilement une action de lutte contre l'habitat insalubre si on ne m'informe pas de la situation, dans tel ou tel département, des pratiques concrètes des marchands de sommeil ? Comment combattre les violences faites aux femmes, diffuser des instructions pertinentes et utiles aux parquets de mon ressort et essayer de pallier les angles morts dans leur traitement en associant tous les procureurs de la République de mon ressort, comme je l'ai fait dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, si je ne suis pas en mesure de les détecter en prenant connaissance des procédures particulières dans lesquelles ces angles morts ont pu se révéler ? Comment, enfin, évaluer l'efficacité d'une politique de lutte contre les atteintes à la probité reprochées aux agents publics et aux responsables politiques, alors que la France est soumise au regard critique de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), si je ne suis pas informée des difficultés juridiques et techniques, voire des obstacles à l'entraide judiciaire internationale qui se posent dans le traitement de ces procédures ?

Je tiens à le dire solennellement devant la représentation nationale : je suis littéralement effarée par une analyse qui aurait immanquablement pour effet, en contestant le rôle du parquet général, d'empêcher la définition et la conduite des politiques publiques en matière pénale. Les arguments qui ont été développés devant vous à cet égard sont non seulement erronés mais dangereux. À quoi veut-on aboutir ? À faire en sorte que la vision des 164 procureurs de la République reste limitée à leur seul ressort – et vous comprenez bien que ce n'est de ma part ni défiance ni mépris à leur égard, bien au contraire, que de dire cela –, à tuer les approches nationales, régionales ou interrégionales de l'action publique ? Je pense très franchement que les procureurs méritent mieux que cela. Ils méritent d'être informés et appuyés dans leur démarche ; ils méritent d'avoir une approche éclairée de l'action publique dont ils ont la charge. C'est ainsi le devoir du procureur général que d'informer ses collègues de première instance des enseignements qu'il a tirés des éléments qui, au fil du temps, sont remontés jusqu'à lui.

À ce stade, je souhaite simplement revenir sur le terme « déontologique », que j'ai employé précédemment à propos du suivi de l'action publique. Voici ce qui est indiqué de manière constante par le Conseil supérieur de la magistrature dans le Recueil des obligations déontologiques des magistrats : « Le magistrat du parquet met sa hiérarchie en mesure d'exercer ses compétences, en l'informant loyalement sur l'existence et l'évolution des procédures », selon la formulation de l'édition 2019, et : « Le magistrat du parquet met sa hiérarchie en mesure d'exercer ses compétences, en l'informant loyalement sur l'existence et l'évolution des enquête s », selon la formulation de l'édition 2010. Dans le même recueil, il est écrit : « Le magistrat ne renonce à aucune prérogative qu'il tient de la loi. »

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, durant les cinq années où j'ai exercé comme procureure générale de Paris, je n'ai jamais renoncé aux prérogatives que je tiens de la loi. Qu'il s'agisse de mes compétences à l'égard de la discipline des officiers de police judiciaire (OPJ), des avocats ou des magistrats, qu'il s'agisse de la supervision de l'action publique, de la déclinaison au niveau régional des politiques définies par le garde des Sceaux ou du bon fonctionnement des parquets, je n'ai pas abdiqué mes responsabilités, car c'était ma mission et mon devoir. J'ai voulu les exercer avec discernement, en pratiquant au sein de mon parquet général la réflexion collective, qui est riche des compétences de mes collègues, et j'assume pleinement, vous l'avez compris, les décisions que j'ai eu à prendre. Dans un État de droit, nul ne peut, quelle que soit sa place, exercer un pouvoir sans en accepter le contrôle. Il y va de l'équilibre des droits dans notre société. Sur ce point aussi, je ne doute pas que nous nous rejoignons.

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Merci, madame la procureure générale, pour ce propos liminaire. J'ai des questions précises à vous poser, et mes collègues aussi. Je souhaite que vous y répondiez d'une manière à la fois précise, évidemment, mais aussi concise, de sorte à ce que nous ayons autant d'échanges que possible.

Nos questions auront sans doute trait à la remontée d'informations, évidemment, mais ce n'est pas là quelque chose de nouveau : ce sujet avait déjà fait l'objet de l'essentiel de nos interrogations en février dernier. Ce n'est donc pas le tumulte médiatique actuel qui fait surgir des questions qui n'auraient pas été posées dans le passé. Cela dit, elles prennent une autre dimension quand on s'appuie sur des cas concrets.

Vous avez indiqué qu'il y avait une relation hiérarchique évidente ; d'ailleurs, en février, vous avez même dit qu'il était utile pour des procureurs, notamment en début ou en milieu de carrière, de bénéficier de l'appui du parquet général sur des questions techniques, car il est souvent composé de magistrats plus expérimentés et aguerris. Toutefois, vous conviendrez sans doute que le schéma ne vaut pas forcément pour les parquets nationaux, qui rassemblent des magistrats nommés pour leurs compétences dans certaines spécialités et leur capacité à traiter d'aspects très techniques, très pointus, peut-être plus encore que le parquet général, qui a davantage une vision d'ensemble.

Mes premières questions portent sur l'affaire qui a occupé une bonne partie de la presse, à savoir celle concernant M. François Fillon. Pour cette affaire, y a-t-il eu, selon vous, une particularité dans le lien hiérarchique que vous entreteniez avec le parquet national financier ? A-t-elle fait l'objet de demandes plus fréquentes, plus précises, revêtant un caractère inhabituel ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Pour en revenir aux déclarations critiques que vous avez recueillies à l'égard de mon parquet général et de moi-même, je voudrais tout d'abord dire avec force que je n'ai reçu, dans l'affaire Fillon comme dans tous les autres dossiers relevant de mon contrôle hiérarchique, aucune instruction de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), aucune instruction du pouvoir exécutif, et qu'ainsi je n'ai jamais relayé une demande du garde des Sceaux ou du pouvoir exécutif pour influer sur le traitement des procédures.

Vous m'interrogez sur le degré de suivi et de contrôle hiérarchique que le parquet général a exercé en ce qui concerne l'affaire Fillon. Il me semble qu'on a omis, à ce propos, de vous restituer le contexte, de rappeler quelle était la situation à compter du 25 janvier 2017. Or il ne faudrait pas céder à la facilité d'une réécriture de l'histoire à la lumière bien commode de ce qu'on appelle l'intelligence rétrospective : il est nécessaire de ne pas céder à un anachronisme judiciaire qui refuserait d'analyser les faits dans leur contexte.

Quelle était donc la situation de notre pays le 25 janvier 2017 ? Ce jour-là, Le Canard enchaîné publie dans ses colonnes une première mise en cause des époux Fillon, avec l'évocation d'un emploi fictif de Pénélope Fillon, pendant plusieurs années, comme attachée parlementaire, pour une somme de 500 000 euros, et d'un autre emploi dit fictif à la Revue des deux mondes, pour 100 000 euros. Cette révélation est suivie de deux autres articles, le 1er février 2017, concernant les enfants du couple, et le 8 février 2017, s'agissant des indemnités de licenciement de Mme Pénélope Fillon. M. Fillon, ancien Premier ministre de 2007 à 2012, est alors, comme chacun sait, candidat à l'élection présidentielle, après avoir été désigné à la suite d'élections primaires organisées au sein de la droite en décembre 2016. C'est donc, bien évidemment, un séisme politique, car ces révélations sont de nature à ternir l'image d'un candidat particulièrement bien placé dans la course à l'Élysée.

Le PNF décide de se saisir de l'affaire le jour même. C'est sa décision ; je n'ai pas à prendre position. C'est l'exercice de l'action publique. J'en suis informée, j'en prends acte. C'est tout. Si vous me demandez ce que j'en pense, je vous répondrai qu'on peut toujours contester cette rapidité ou revendiquer une trêve – qui, d'ailleurs, n'est pas dans la loi – pendant la campagne électorale – qui, d'ailleurs, n'avait pas officiellement commencé. Mais, à trois mois de l'élection présidentielle, il n'était pas illogique de procéder à de premières vérifications, qui, au demeurant, si elles s'étaient avérées négatives, auraient pu avoir pour effet de lever toute suspicion à l'égard des personnes mises en cause. Cependant, ces premières vérifications ne permettaient pas d'apporter d'éléments accréditant un emploi réel de Mme Fillon, ni comme assistante parlementaire ni comme conseillère littéraire à la Revue des deux mondes. D'ailleurs, la chef du PNF l'indiquait dans un communiqué du 16 février 2017 : « les nombreux éléments déjà recueillis ne permettent pas d'envisager, en l'état, un classement sans suite de la procédure ».

Vous vous en souvenez, plusieurs voix s'étaient élevées, dès le début du mois de février 2017, pour accuser le PNF d'entraver la vie démocratique par son enquête, et les critiques, parfois virulentes, s'étaient portées non seulement sur le terrain politique, mais aussi sur le terrain juridique. En effet, certains professeurs de droit avaient contesté à la justice, au nom de la séparation des pouvoirs, le droit d'enquêter. Dans une tribune signée par huit professeurs de droit et quatre avocats, il était prétendu que le fait d'« incriminer l'emploi discrétionnaire » des dotations allouées aux parlementaires consistait à s'attaquer « au principe constitutionnel de l'indépendance des assemblées parlementaires ».

J'en viens à la remontée d'informations. Spontanément, le PNF fait remonter au parquet général dès l'ouverture de l'enquête, le 25 janvier 2017, un rapport relatant sur quels faits et au vu de quelles qualifications l'enquête préliminaire est ouverte. Les actes d'investigation sont conduits tambour battant, puisque la Revue des deux mondes est perquisitionnée le 26 janvier et l'Assemblée nationale le 31 janvier. Ensuite, s'enchaînent les auditions des époux Fillon le 30 janvier 2017, de M. Marc Joulaud, suppléant, celle des collaborateurs de M. Fillon député, de M. Ladreit de Lacharrière et du directeur de la Revue des deux mondes.

C'est dans ces premiers jours, entre le 27 et le 31 janvier 2017, que nous enregistrons, il est vrai, deux demandes de la DACG avec des souhaits de remontées rapides et l'indication d'heures. Ces demandes de la chancellerie sont classiques. En effet, l'affaire Fillon répondait clairement aux critères définis par la circulaire du 31 janvier 2014 et par son annexe : on fait remonter à la chancellerie lorsqu'une affaire pose un problème « d'ordre sociétal » – c'était le cas –, « un enjeu d'ordre public » – c'était le cas puisqu'elle concernait l'organisation des élections et la vie démocratique –, « ayant un retentissement médiatique national » – c'était le cas –, ou bien encore susceptibles « de révéler une difficulté juridique » – cela allait être le cas – ou « de mettre en cause l'institution judiciaire » – c'était déjà le cas.

Ensuite, la remontée d'informations entre le PNF et le parquet général sur les résultats des actes d'enquête se fait spontanément et sans difficulté. La chef du parquet nous avait indiqué, dès le 25 janvier 2017, qu'elle tiendrait une sorte de « chrono » des investigations. Ainsi, la remontée d'informations n'entraînait aucun surcroît de travail significatif, puisque le PNF, pour son propre compte, analysait au jour le jour les résultats des actes des enquêteurs.

L'intensité de la remontée d'informations, quant à elle, a été à la seule mesure de celle des actes diligentés, qui l'ont été sans discontinuité. Ils étaient par ailleurs annoncés ou commentés dans la presse, celle-ci menant parfois sa propre enquête ou contre-enquête.

La remontée d'informations a eu lieu naturellement entre le PNF et les chefs du département du parquet général, qui faisaient remonter les éléments au bureau spécialisé en matière financière à la DACG. Ces remontées vers la DACG visent le résultat des actes d'enquête, jamais l'annonce préalable de ceux-ci, car il existe un principe : la remontée d'informations ne doit en aucun cas être susceptible d'entraver la manifestation de la vérité. C'est donc une remontée a posteriori.

On a dit que le procureur général avait exercé des pressions. Quel a donc été mon rôle, en particulier mon rôle de supervision ? Ma première intervention personnelle dans cette affaire se situe le 7 février 2017, pour demander à la cheffe du PNF de nous communiquer la note des avocats de la défense, en date du 6 février 2017, qui contestait la compétence ratione materiae de son parquet. Cela fait écho à mes observations précédentes s'agissant du rôle du parquet général en termes de soutien du parquet de première instance, dès lors que des difficultés juridiques particulières peuvent être soulevées à l'occasion de la conduite d'une procédure.

Dès le 6 février 2017, en effet, le candidat François Fillon puis ses avocats s'étaient exprimés dans la presse pour affirmer que le PNF n'était pas compétent, car le délit de détournement de fonds publics, fondant la saisine du PNF, n'était pas applicable aux parlementaires. Nous avions bien évidemment besoin, au parquet général, d'obtenir les conclusions de la cheffe du parquet pour connaître l'argumentation de la défense et donner notre expertise juridique, conformément à la mission que j'évoquais. Or les premières recherches effectuées au sein de mon parquet général retenaient, dans une lecture littérale du code pénal, que les atteintes à la probité, le favoritisme, la prise illégale d'intérêts, la corruption et le trafic d'influence mentionnaient expressément les personnes investies d'un mandat électif public comme susceptibles d'être pénalement responsables, mais pas le délit de détournement de fonds publics, puni à l'article 432-15 du code pénal. Le droit pénal étant d'interprétation stricte, il y avait là une véritable difficulté.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Permettez-moi de terminer !

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…je vous ai posé une question extrêmement précise. Je comprends que vous ayez préparé cette audition, du fait du retentissement médiatique, et que vous vouliez nous indiquer les fondements juridiques de votre action en tant que supérieure hiérarchique. Néanmoins, notre temps est contraint et mes collègues veulent vous poser des questions. Je vous demande donc de répondre de manière plus concise…

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…à nos questions. Je vois que vous avez préparé des documents ; cela ne me gêne pas dans l'absolu, mais essayez de respecter notre mode de fonctionnement, comme en février.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Monsieur le président, comme vous ne m'aviez pas envoyé vos questions à l'avance, il était normal que je me prépare et que je situe les choses dans leur contexte.

Comme je le disais, la question de mon intervention s'est posée parce qu'il y avait un véritable problème juridique.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

L'incertitude juridique n'a été levée qu'en juin 2018 par la chambre criminelle, dans une affaire concernant des sénateurs.

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J'entends bien. Vous avez indiqué, madame la procureure générale, qu'il y avait eu des remontées spontanées du parquet national financier.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Oui.

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Si je ne dis pas de bêtises, c'est la stricte application de la circulaire de 2014, et ce n'est pas la seule affaire dans laquelle le PNF a fait des remontées spontanées.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Bien sûr.

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Est-ce la seule affaire dans laquelle un « chrono » vous a été transmis, comme vous nous l'avez indiqué ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

C'est très classique en matière de terrorisme. Plus généralement, quand les investigations sont nombreuses et s'enchaînent, j'imagine que c'est de bonne gestion, pour les parquets, que de tenir un tableau des auditions.

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Vous avez indiqué que, de lui-même, le PNF avait envoyé beaucoup d'éléments,…

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Bien sûr.

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…très circonstanciés – Mme Houlette a parlé de plusieurs dizaines de pages.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

En effet.

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Or, malgré cela, vous avez demandé des informations complémentaires. Qu'est-ce qui motive cela ? Est-ce les deux demandes de la DACG, ou bien le faites-vous de votre seule initiative ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Les demandes de la DACG sont très ponctuelles. Ensuite, les informations remontent. J'ai fait un décompte : il y a eu neuf transmissions spontanées adressées au parquet général, quatre demandes d'informations du parquet général et une proposition d'assistance. La plupart des remontées étaient donc spontanées.

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C'est entendu : il y a eu quatre demandes. J'en déduis que deux d'entre elles sont celles de la DACG, dont vous nous avez parlé, et que les deux autres ont été formulées de votre propre initiative.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Voilà.

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Quelle est la qualité de l'information qui remonte à la DACG à la suite des neuf remontées spontanées du PNF ? Transmettez-vous les documents quasi in extenso – expurgés de quelques éléments –, ou bien les reformatez-vous ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Encore une fois, les éléments sont envoyés a posteriori. Il peut arriver qu'on les synthétise ; il peut arriver qu'on les envoie tels quels. Cela dépend.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Il y a eu les deux cas de figure.

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J'en viens maintenant au débat qui a eu lieu avec Mme Houlette, lors de son témoignage, sur la question de l'ouverture d'une information judiciaire, c'est-à-dire le lancement d'une instruction. Elle a fait état de discussions techniques autour de la question de la prescription, en rapport avec une loi qui venait d'être votée. Il s'agissait de savoir si l'action publique démarrait dès l'ouverture de l'enquête préliminaire ou bien au moment de l'ouverture de l'information judiciaire. Il n'y avait pas de jurisprudence sur le sujet, puisque c'était la première fois que le cas se présentait : encore une fois, la loi venait d'être votée. Les avocats de François Fillon ont pointé du doigt le fait que ces éléments n'avaient pas été versés au dossier de la procédure. Est-ce parce que, dans le débat que vous avez eu avec le PNF, il n'y a pas eu de démarche s'apparentant à une instruction, au sens de l'article 36 du code de procédure pénale ? Si tel est le cas, comment caractériser le fait de convoquer la procureure nationale financière pour en discuter ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Parler de « convocation », avec ce que le terme suppose de contrainte, relève de la caricature. J'aurai l'occasion de montrer devant le CSM quels ont été nos échanges. Mme Houlette m'a dit que la date lui convenait parfaitement et, quand je lui ai demandé l'état des charges et la dernière note des avocats, en date du 9 février 2017, elle m'a envoyé non seulement la note en question, mais aussi un deuxième « chrono », pour me donner les éléments. Dès lors, présenter cela comme une convocation est tout à fait abusif.

De quoi s'agissait-il donc ? C'était une réunion technique, juridique. Mme Houlette, cheffe du PNF, est venue avec trois de ses collaborateurs, et j'étais moi-même avec trois de mes avocats généraux, dont Jacques Carrère, mon adjoint, ici présent. Nous avons eu une discussion technique, juridique. Pour quelles raisons ? Il est important que je vous les précise, monsieur le président.

Dans la note de la défense en date du 9 février, sous la signature de M. Antonin Lévy – je vous la fournirai –, il était dit que le PNF n'était pas compétent, au motif qu'il ne s'agissait pas d'un délit de détournement de fonds publics. De fait, il y avait là une véritable difficulté : jusque-là, les affaires d'emplois fictifs étaient traitées par le parquet de Paris sous la qualification d'abus de confiance – domaine dans lequel le PNF n'était pas compétent. D'autre part, la note de l'avocat de la défense demandait expressément au PNF, dont il était donc dit qu'il n'était pas compétent, d'ouvrir une information.

La réunion en question était donc motivée par l'incertitude juridique, qui était réelle et que la presse avait relayée. Le professeur Didier Rebut considérait que le délit de détournement de fonds publics était inapplicable aux parlementaires, alors que le professeur Dominique Rousseau disait le contraire. Des articles de presse, que nous allons vous montrer, avaient été publiés, notamment dans Le Figaro, le 7 février, puis le 9 février, sous la plume des professeurs Pierre Avril et Jean Gicquel, dont le titre était : « Collaborateurs parlementaires : respectons le droit ». Ils évoquaient un doute « de nature proprement constitutionnelle », la mise en cause d'un « principe fondamental » et s'appuyaient sur la séparation des pouvoirs.

Nous étions face à une contestation de la compétence du PNF. Or, monsieur le président, je vous le rappelle, il s'agit d'une question d'ordre public : un magistrat ne peut pas se saisir s'il n'est pas compétent. Il était, dès lors, tout à fait normal que nous organisions une discussion technique, juridique, pour en parler. La compétence du PNF était d'ailleurs doublement contestée : d'une part, parce que le délit de détournement de fonds publics n'était pas expressément applicable aux parlementaires ; d'autre part, parce que, pour un certain nombre de professeurs de droit, la séparation des pouvoirs et l'indépendance des assemblées parlementaires interdisaient à la justice de s'intéresser à l'utilisation des dotations pour les collaborateurs de députés – question quasiment d'ordre constitutionnel. Auriez-vous souhaité que je n'en discute pas avec Mme Éliane Houlette ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

J'en ai discuté avec elle et je ne le regrette pas.

Je vais maintenant vous dire ce que j'ai fait après. Nous étions huit, et la réunion n'a pas permis de dégager un consensus. Mme Houlette en est restée à l'idée selon laquelle elle continuerait sous la forme de l'enquête préliminaire. Voici la lettre que je lui ai adressée le 17 février 2017, dont je demande à M. Carrère de vous donner lecture.

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Volontiers. Avant cela, pouvez-vous nous dire si cette analyse juridique précise faisait partie des deux demandes de la DACG ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Les deux demandes de la DACG se situaient entre le 25 et le 31 janvier : cela n'a rien à voir.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Monsieur le président, je vous le dis très solennellement : cette réunion ne m'a pas du tout été suggérée par la DACG.

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C'est entendu. Je vous pose la question parce que je n'y étais pas…

(Sourires.)

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Eh bien, je vous le dis !

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Jacques Carrère, premier avocat près la cour d'appel de Paris

Monsieur le président, cette note est assez brève : sa lecture n'aura pas, je pense, un impact trop important sur l'emploi du temps de votre commission.

Il s'agit donc d'une transmission de Mme Champrenault, procureure générale, à Mme Houlette, en date du 17 février 2017. Je vous la lis en intégralité.

« Transmission. Objet : enquête préliminaire relative aux conditions d'emploi de Mme Pénélope Fillon en qualité d'assistante parlementaire et de collaboratrice à la Revue des deux mondes . »

« Pour faire suite à notre réunion de travail du 15 février 2017, je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint les observations qu'appellent de ma part les développements de la procédure visée en objet.

« Vous avez ordonné, le 25 janvier 2017, une enquête préliminaire confiée à l'OCLCIFF » – il s'agit de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, que vous connaissez bien, monsieur le président – « des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et recel, que vous avez élargis le 14 février 2017 à des faits de trafic d'influence et manquements aux obligations déclaratives à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique par un parlementaire.

« Vous avez indiqué que vous estimiez que la poursuite des investigations à la forme préliminaire s'imposait, tout au moins dans un premier temps. Sans méconnaître la capacité de votre parquet à ordonner et conduire les investigations utiles avec efficacité, il m'apparaît, au vu des éléments recueillis par les enquêteurs et dont vous m'avez fait part, que l'ouverture d'une information judiciaire devrait cependant être envisagée. En effet, tant le contexte de cette affaire que les questions de droit qu'elle a d'ores et déjà soulevées, même si ces analyses peuvent apparaître sujettes à discussion, militent à mon sens en faveur de l'adoption de la voie procédurale la mieux à même de permettre le développement d'un débat contradictoire et de préserver, le cas échéant, la sécurité juridique des actes réalisés.

« Ce cadre apparaît en outre le plus adapté pour garantir l'accomplissement de l'ensemble des actes utiles à la manifestation de la vérité, s'agissant notamment des investigations devant être conduites à l'égard des personnes concernées. Il permet également de procéder à une mise en état efficiente, préalablement à toute décision portant sur l'appréciation des charges.

« Je souhaite, en conséquence, vous faire part de ma conviction que le recours à brève échéance à la procédure d'information, loin de nuire aux démarches de recherche de la vérité et d'application de la loi qui sont les nôtres, prendrait la juste mesure d'une procédure fortement contestée par les conseils des personnes mises en cause et qui vise une pluralité d'infractions dont la portée et l'imbrication méritent d'être approfondies. » Signé : « Catherine Champrenault, procureur général ».

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Merci pour cette lecture. Pouvez-vous nous communiquer le document pour qu'il soit transcrit au compte rendu sans erreur ou inexactitude ?

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C'est un document qui ne peut être communiqué qu'au rapporteur.

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J'ai quand même l'impression que ce document ressemble à une instruction, au sens de l'article 36, sans en être tout à fait une – ce qui justifie sans doute qu'il n'ait pas été versé à la procédure, mais aussi, peut-être, que Mme Houlette ait été tout à fait fondée à ne pas la suivre. Une démarche comme celle-ci est-elle habituelle ? Est-ce l'ampleur du dossier, sa sensibilité qui vous ont poussée à agir de la sorte ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Monsieur le président, je vous redis qu'il y avait un débat juridique majeur. Une partie de la classe politique criait au complot. Certains professeurs de droit invoquaient la séparation des pouvoirs. Il y avait une véritable difficulté quant à la compétence du PNF. Il me semblait qu'il était de bonne administration de la justice de saisir un juge d'instruction. Si celui-ci considérait que la procédure était viciée, qu'il n'existait pas d'indices graves et concordants, il pouvait saisir directement la chambre de l'instruction. Par ailleurs, les parties pouvaient déposer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

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J'entends bien, madame la procureure générale ; c'est le principe de l'information judiciaire et de l'instruction. Nous avons déjà eu ce débat en février.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je sens bien qu'on voudrait me faire dire qu'une information a été ouverte pour que M. Fillon démissionne. Mais, à l'époque, non seulement la défense demandait l'ouverture d'une information, mais M. Fillon indiquait dans la presse, notamment le matin du 17 février, qu'il ne liait pas le maintien de sa candidature à sa mise en examen.

Oui, selon moi, une affaire pareille, qui était très grave pour l'image du candidat, à quelques semaines de l'élection présidentielle, justifiait que soit saisi un juge d'instruction dit indépendant – en tout cas, plus indépendant en raison de son statut. Cela permettait un débat à la fois sur la compétence et sur les charges. La procédure d'instruction était effectivement, à mon sens, la plus à même à la fois de préserver la sécurité juridique des actes et de permettre le développement d'un débat contradictoire.

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J'entends bien. Nous avions d'ailleurs eu ce débat en février : l'une de mes dernières questions portait sur l'ouverture d'informations sur les personnalités politiques. Vous n'aviez pas répondu exactement la même chose, d'ailleurs, mais ce n'est pas grave : chaque cas d'espèce est particulier.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Effectivement. Vous-même, vous vous étiez demandé s'il ne fallait pas, quand un responsable politique ou un parti étaient mis en cause, ouvrir immédiatement une information, de manière à ne pas laisser le parquet travailler seul.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Eh bien, dans cette affaire-là, mon sentiment était qu'il fallait le faire.

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J'aborde un second sujet avant de laisser la parole à mes collègues : l'intérim à la tête du parquet national financier quand Mme Houlette l'a quitté. Cela a été un autre point de débat avec elle. Elle nous a dit être en désaccord avec le fait que vous ayez désigné les personnes en charge de son intérim, à savoir des membres de votre parquet général, par conséquent sous votre autorité directe. Il m'a semblé troublant – je ne sais pas comment le dire autrement – que, pendant cette période, et même s'il n'y a sans doute aucun lien entre ces deux faits, une autre affaire tout à fait sensible ait été classée sans suite. Je ne sais pas si l'affaire en question a fait l'objet de demandes comparables de la part du parquet général au PNF, et de demandes de remontées d'informations comparables de la part de la DACG – vous pourrez d'ailleurs nous répondre à ce propos. Quoi qu'il en soit, qu'est-ce qui a motivé cette désignation directe ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Il est vrai, monsieur le président, qu'à la fin du mois de juin 2019, à quelques jours du départ de la cheffe du PNF, j'ai pris la décision de déléguer successivement deux avocats généraux pour assurer l'intérim – il y en avait deux et non pas un seul à cause des vacances.

Premièrement, cette décision est conforme aux dispositions de l'article R. 122-2 du code de l'organisation judiciaire, qui me permet de déléguer, en cas de vacance, des magistrats de mon parquet général pour renforcer voire diriger un parquet en l'absence de son chef.

Deuxièmement, elle s'inscrivait dans mes obligations légales de veiller au bon fonctionnement des parquets du ressort – car, je le répète, le PNF est bien l'un d'entre eux. Or, depuis le mois de janvier 2019, il existait, au sein du PNF, de nombreuses dissensions entre les magistrats, dont la presse s'était d'ailleurs fait l'écho. Entre janvier et juin 2019, j'ai reçu quatre d'entre eux, venus me dire qu'ils étaient malheureux et inquiets du management de leur chef. Cette démarche avait d'ailleurs suscité la réprobation de leurs collègues. Il y avait donc des dissensions au sein du PNF – des clans, en quelque sorte. En conséquence, j'ai souhaité, pour assurer l'intérim, faire appel à deux magistrats du parquet général, dans le but d'apaiser le climat, car celui-ci devenait délétère.

Ce n'est pas là quelque chose d'exceptionnel : cela s'est fait dans d'autres juridictions, pour d'autres raisons – je pense notamment au parquet de Versailles, où un avocat général est venu remplacer le procureur en attendant que son successeur soit nommé.

En l'occurrence, ce choix avait pour moi l'intérêt d'apaiser les conflits, de distancier la gouvernance, tout en permettant de laisser au futur chef du PNF le soin de l'organiser à son gré. Il ne s'agissait pour moi que d'apaiser des dissensions personnelles, sur fond de rivalités de travail nombreuses au cours du premier semestre 2019. Il ne s'agissait pas de mettre le PNF sous tutelle. J'entendais restaurer les conditions d'un travail serein, ce qui n'était plus le cas depuis janvier 2019.

Cet intérim était d'autant plus nécessaire qu'on ne savait pas, alors, à quelle date serait nommé le nouveau chef du PNF : un magistrat était pressenti, mais il l'était aussi pour devenir procureur européen. La chancellerie était donc dépendante du processus de sélection au niveau européen. Ce procureur est arrivé en octobre 2019.

Au demeurant, je n'avais pas la ressource pour désigner un magistrat au sein de l'équipe. Le procureur de la République adjoint (PRA) le plus ancien dans le grade le plus élevé – comme on dit –, qui est en général soutenu dans ce genre de situation, était en conflit ouvert avec sa cheffe. Un autre PRA était sur le départ, car il avait obtenu une mutation. Un troisième magistrat n'avait pas encore été nommé PRA ; il allait l'être dans le courant du mois de juillet.

C'est dans cette configuration très particulière que j'ai voulu apporter un peu de sérénité au PNF. J'indique, pour finir, que j'ai envoyé deux magistrats dont la compétence et la courtoisie étaient légendaires, et avec lesquels les magistrats du PNF entretenaient des relations régulières et tout à fait constructives.

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Je répète ma question, pour ainsi dire incidente, sur l'affaire Kohler, qui a été classée sans suite au cours de cette séquence : a-t-elle fait l'objet de remontées d'informations à la DACG pendant la période ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne peux pas vous parler beaucoup de cette affaire puisque, comme vous le savez, un juge d'instruction a été saisi, ce qui est le processus normal sur le plan judiciaire. Je puis simplement vous dire que ce n'est pas le parquet général qui a classé cette affaire – il n'en avait pas le pouvoir – et que ce n'est pas non plus l'avocat général exerçant l'intérim : cela a eu lieu le 21 août, au retour du magistrat qui avait suivi de bout en bout l'affaire, et ce depuis juin 2018. C'est ce magistrat, compétent, qui, au terme d'une analyse juridique extrêmement poussée, a décidé que l'infraction n'était pas caractérisée. Il nous a fait part de son analyse et nous n'avons pas fait d'observations.

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Je repose ma question : cela a-t-il fait l'objet de remontées ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je viens de vous le dire : il nous a fait part de son analyse juridique. De son point de vue, il n'y avait pas d'infraction caractérisée. Cette analyse n'a pas fait l'objet d'observations du parquet général. Voilà comment les choses se sont passées.

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J'entends bien, mais avez-vous fait remonter cette analyse à la direction des affaires criminelles et des grâces ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Non.

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Entre les déclarations préparées et spontanées que vous avez faites – les unes comme les autres sont tout à fait normales –, madame la procureure générale, et les questions du président, nous avons largement abordé les thèmes qui nous occupent. Le fait que les questions que j'avais prévues soient presque identiques est tout sauf une surprise. Aussi, je n'insisterai que sur quelques points.

Tout d'abord, Mme Houlette, procureure à la tête du parquet national financier lors de l'affaire Fillon, a fait des déclarations – en l'occurrence, totalement spontanées – devant la commission d'enquête, qui ont déclenché un brouhaha médiatique. Vous les avez entendues. J'avais prévu d'en redonner lecture, pour apporter des éléments de contexte, mais cela n'est pas nécessaire à présent car vous y avez largement fait référence.

Vous avez évoqué une « autorité » du procureur général sur les magistrats du parquet. Si le terme s'emploie pour le ministre de la justice, ce qui est un peu différent, le procureur général est toutefois bien dans une situation de contrôle et de direction des procureurs de la République, dont le cadre juridique est relativement clair.

Pourquoi Mme Houlette, qui déposait sous serment et avait clairement conscience des conséquences que pourraient entraîner ses propos, a-t-elle fait de telles déclarations ? Quels problèmes ont été constatés ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je le redis, on parle d'« autorité hiérarchique » du procureur général.

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Je faisais référence à l'ordonnance du 22 décembre 1958, qui fixe les règles en la matière.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Il y a peut-être eu, dans l'esprit de Mme Houlette, une confusion partant de la pression psychologique qu'elle a ressentie à conduire une enquête pareille, ce qui était somme toute normal, car celle-ci pouvait être lourde de conséquences. Très vite, sa compétence ratione materiae a été fortement discutée.

Je voudrais insister sur l'ambiance de cette époque. C'était un coup de tonnerre, non seulement pour la classe politique et le parti qui soutenait M. Fillon, mais aussi en vue des échéances électorales. Malgré le courage et la détermination qu'a montrés Mme Houlette, et que je salue, elle a pu éprouver une forme de pression au regard de la conduite de cette affaire. N'importe quel procureur, même le plus aguerri, aurait ressenti une certaine pression, en raison des articles de presse et des relais de contestation juridique très forts. Il ne faut toutefois pas confondre une pression psychologique et des pressions illégitimes.

Le parquet général a très rapidement fait une offre de services à Mme Houlette, pour travailler avec elle sur le plan juridique ; elle a été refusée. Compte tenu des pressions qu'entretenaient la presse et la doctrine, par la voix de certains professeurs de droit, j'ai voulu que nous cristallisions une réflexion juridique en commun : d'où la réunion du 15 février.

En aucun cas il ne s'agissait, pour moi, de pressions. Pourquoi Mme Houlette a-t-elle ensuite fait ces révélations, alors que, lorsqu'elle est partie, elle a notamment confié, dans un très bel entretien au journal Marianne, qu'elle n'avait « jamais subi aucune pression », ni de la garde des Sceaux, ni de la DACG, ni du parquet général ? Je crois d'ailleurs que, lors de son audition devant votre commission, elle a finalement reconnu qu'elle n'avait pas fait l'objet de pressions de la part du parquet général. Il est vrai que j'ai été amenée à traiter, d'abord sur le plan disciplinaire, ensuite sur le plan judiciaire, une affaire la concernant. Je ne peux pas en dire plus à ce stade.

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Je le comprends, mais cette affaire est-elle postérieure à son départ ou contemporaine de son activité professionnelle sous votre autorité – si l'on reprend ce terme ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

C'est une affaire qui se révèle en juin 2019 et qui a des développements en juillet. Le PNF est saisi d'une transmission d'un juge du chef de trafic d'influence.

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Je souhaitais vérifier les dates avec vous. Le 25 janvier 2017, jour où l'article du Canard enchaîné est publié, une enquête préliminaire est ouverte.

Le 6 février, dans la note que vous avez évoquée et que nous serions heureux de voir communiquée au rapporteur, maître Lévy demande expressément l'ouverture d'une information judiciaire, pour que le principe du contradictoire soit respecté.

Le 15 février a lieu votre rendez-vous avec Mme Houlette et vos collaborateurs respectifs.

La note que vous avez bien voulu me transmettre date du 17 février. Je me demande d'ailleurs si elle a été communiquée au dossier ou non.

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Jacques Carrère, premier avocat près la cour d'appel de Paris

Non, elle ne l'a pas été.

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Vous avez dit qu'il ne s'agissait pas d'une « convocation », mais c'est une surprise relative car je ne pense pas que le procureur général tienne aux procureurs de la République des propos comminatoires : vos mots sont élégants, mais cela reste une demande. J'analyserai ce point.

L'ouverture d'une information judiciaire date du 24 février, et la mise en examen effective de M. Fillon du 14 mars.

Ce timing vous paraît-il normal par rapport à une affaire qui, elle, ne l'est pas, ou relève-t-elle d'une action précipitée de la justice, comme on a pu le soutenir ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Pour qualifier le travail de la justice, j'ai employé l'expression « tambour battant » : des actes ont été menés sans discontinuité. Ils étaient à la mesure des informations que la presse, notamment Le Canard Enchaîné distillait. Il était normal que des vérifications soient effectuées. La remontée d'informations intense qui a eu lieu se justifie pleinement au regard de l'intensité des actes.

Encore une fois, ma démarche ne relevait pas de l'article 36 du code de procédure pénale. Je veux vous expliquer ce qui s'est passé, et mes collègues pourront le confirmer au CSM.

Le 15 février, nous étions huit. Le parquet général était plutôt favorable à l'information judiciaire ; le PNF préférait continuer l'enquête préliminaire, coûte que coûte. Assez vite, nous nous sommes trouvés dans une impasse. La cheffe du PNF, bien qu'étant dans mes locaux, a levé brutalement la séance, car nous ne parvenions pas à nous convaincre réciproquement. Aucune convergence ne semblait possible.

Ma lettre visait à clore cette réunion. J'y redis au procureur national financier que, malgré son départ précipité, en l'état actuel des contestations de ce dossier, mieux vaudrait, à bref délai, ouvrir une information. Finalement, elle l'a ouverte, huit jours après et sur un autre motif de droit, que nous avions d'ailleurs signalé à nos parquets – nous avions indiqué que la loi sur la prescription pouvait ne pas s'appliquer s'il y avait un engagement de l'action publique, soit par citation directe, soit par une information judiciaire. Ma lettre n'était donc pas une instruction. D'ailleurs, Mme Houlette ne l'a pas prise ainsi : si elle l'avait considérée comme telle, elle aurait dû la joindre au dossier lorsqu'elle a ouvert l'information, comme il lui appartenait de le faire.

S'agissant de ce qui s'est passé lors de l'instruction, permettez-moi de vous renvoyer vers le pouvoir juridictionnel du juge.

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Je prends la précaution de ne poser des questions que sur le timing et les modalités de fonctionnement, non sur le fond du dossier. Je suis persuadé que mes collègues en feront de même.

Dans l'annexe de la circulaire de 2014, les remontées d'information peuvent prendre plusieurs formes : celles d'infos flash ou de rapports plus complets. Vous avez indiqué la manière dont l'information remontait, mais il s'agit de cerner les modalités de remontée d'information, pour comprendre la perception que vous en aviez. Avez-vous fourni des infos flash très régulièrement – une ou deux fois par jour, par exemple –, comme un dispositif d'alerte ? Les informations transmises étaient-elles, dans votre rôle de procureur général, une manière de poser le débat sur les conséquences juridiques que vous avez développées, et de cranter l'évolution de cette procédure ? Comment avez-vous agi en la matière ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Il y a en effet deux sortes de remontées. Les infos flash se rapportent à des événements judiciaires pour lesquels il n'existe pratiquement pas d'éléments écrits – accident, incendie, interpellation qui se passe mal, vol à main armée spectaculaire. Ces éléments sont d'ailleurs, le plus souvent, transmis aux procureurs par téléphone. S'agissant de la remontée d'informations sur une affaire ouverte, sans me désolidariser de mes collègues, ils ont naturellement fait remonter a posteriori les éléments qu'ils avaient. Il intéressait la chancellerie de savoir si les faits à l'égard de M. Fillon tenaient ou non. Veut-on que le ministre de la justice ne soit informé que par la presse ? C'est une possibilité. Veut-on que l'on arrête de faire remonter des informations ?

La loi fondatrice du 25 juillet 2013 a « libéré » les magistrats du ministère public du soupçon. Ils en sont très reconnaissants à Mme Taubira. Dans les débats lors de l'examen du projet de loi, deux amendements de Cécile Cukierman, sénatrice de la Loire, visaient à supprimer les rapports particuliers au garde des Sceaux ou à les verser au dossier de la procédure. Mme Taubira a amené Mme Cukierman à retirer ses amendements.

En l'état du droit, il y a donc des remontées d'informations à la chancellerie. Il ne me semble pas inconcevable que le ministre de la justice veuille obtenir des informations fiables, vérifiées, sans être dépendant de telle ou telle interprétation d'une presse soit politique soit qui menant des investigations pour son propre compte. Si la loi change, je l'appliquerai, mais celle qui est en vigueur ne me semble pas, en soi, scélérate.

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C'est la distinction possible entre action publique et politique pénale.

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Jacques Carrère, premier avocat près la cour d'appel de Paris

Nous faisons remonter certaines informations, mais pas toutes. M. le président l'a rappelé : les remontées sont régies par la circulaire du 31 janvier 2014, qui énumère clairement les éléments que nous pouvons remonter, tels qu'une ordonnance de renvoi ou un réquisitoire définitif. En revanche, nous ne faisons jamais remonter une audition ni, par principe, Mme Champrenault l'a dit, aucune information susceptible de nuire à la manifestation de la vérité au cours de l'enquête.

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Vous avez un rôle de filtre important puisque ce que peut vous faire remonter le procureur de la République est plus large que ce que vous pouvez remonter à la DACG.

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J'ai eu un sentiment de malaise lorsque vous avez répondu à la première question de M. le président. Je rappelle que nous sommes une commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire, non sur la procédure à l'encontre de François Fillon. En répondant au président, vous avez développé en long, en large et en travers les faits qui avaient été relevés, ceux qui avaient été retenus et la procédure que vous avez engagée. Sur ce dossier en cours, les avocats de François Fillon seront certainement ravis de connaître ce que seront les réquisitions en cour d'appel mais, je le répète, tel n'est pas l'objet de notre commission.

Une procureure a dit qu'elle avait fait l'objet de pressions. Selon vous, psychologiquement, dans le contexte de l'époque, elle a pu avoir le sentiment de faire l'objet de pressions – nous ne sommes pas tous égaux face au stress ou à la gestion d'une crise. Nous l'entendons parfaitement.

Vous avez aussi rappelé, dans le déroulement des faits, que, dans un premier temps, Mme Houlette avait refusé la main tendue que vous lui proposiez dans la gestion de ce dossier, et ce, de manière assez virulente, en mettant terme à une réunion que vous aviez initiée. Dans un second temps, vous lui avez adressé un courrier lui rappelant votre position quant à la gestion du dossier. Cette demande écrite venant d'un supérieur, quand bien même elle n'entrait pas dans le champ de l'article 36 du code de procédure pénale, n'était-elle pas de nature à être assimilée sinon à une pression, du moins à une atteinte à son indépendance dans la gestion du dossier ?

Nous ne sommes là que pour voir si le système fonctionne normalement, et ce que nous pourrions faire pour l'améliorer. On peut légitimement avoir des inquiétudes ou se dire que le système n'est pas assez sécurisé pour permettre cette totale indépendance lorsque l'on voit, dans l'actualité récente, l'ancien délégué du bâtonnier de Paris affirmer qu'il a également fait l'objet de pressions dans la gestion des instructions et des dossiers. A-t-il mal compris ou mal entendu certains propos ?

Enfin, point clé du débat sur l'indépendance de la justice, vous avez soutenu que le garde des Sceaux devait disposer d'instructions et d'informations claires sur le contenu des dossiers, afin qu'il ne les découvre pas dans la presse. Pourquoi en aurait-il besoin, à moins de supposer qu'une fois ces éléments réunis, il ne donne des instructions aux magistrats ? C'est le ministre de l'intérieur qui garantit l'ordre public : c'est à lui qu'il revient, éventuellement, si l'ordre public est en jeu, d'avoir des informations précises sur des enquêtes en cours. Je n'en vois pas l'intérêt sur des affaires personnelles, que visait la circulaire de Mme Taubira.

Ne pensez-vous donc pas que le lien hiérarchique conduise à des interrogations légitimes sur l'indépendance du procureur de la République ?

Par ailleurs, quel est l'intérêt de la remontée d'informations au garde des Sceaux ? Le point a été longuement débattu lors du procès de M. Urvoas. On a vu que les informations qui remontaient du procureur général à la DACG puis au garde des Sceaux, étaient largement expurgées. Pour davantage d'indépendance de la justice, on peut légitimement se poser la question de l'intérêt de conserver cette information exhaustive du garde des sceaux.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Est-ce que, en exerçant mon contrôle hiérarchique, je fais pression sur le procureur national financier ? Compte tenu de la contestation procédurale massive, qui risquait de conduire à la nullité des actes, il était de mon devoir d'appeler l'attention de la procureure sur sa compétence et sur l'intérêt qu'elle avait à passer la main à un juge d'instruction. Il s'agissait d'assurer la sécurité juridique de la procédure. Si, dans cette affaire, l'enquête du PNF avait été frappée de nullité, c'étaient l'avenir et la survie de ce parquet qui auraient été en cause.

Mon rôle est non seulement de garantir la bonne marche du parquet, mais aussi de faire respecter et de protéger les institutions. J'estimais que le PNF, en poursuivant l'enquête préliminaire, en dépit des contestations massives sur sa compétence, se trouvait en terrain très glissant. Ne pouvant lever moi-même l'incertitude juridique, j'ai considéré que le moyen le plus sûr consistait à ouvrir une information et permettre à une juridiction, la chambre de l'instruction, d'apprécier la régularité des actes et la compétence du PNF. Je le maintiens : j'étais dans mon devoir. Si je ne l'avais pas fait, j'aurais été en deçà de ma mission.

S'agissant de l'utilité de la remontée d'informations, un magistrat applique la loi. L'article 35 du code de procédure pénale prévoit que le procureur général fait remonter des informations au garde des Sceaux dans des « rapports particuliers ».

À l'heure actuelle, le parquet général près la cour d'appel de Paris suit 2 700 affaires, en matière de terrorisme, de criminalité organisée, de santé publique, sur les violences reprochées aux fonctionnaires de police, en matière économique et financière. La remontée d'informations revient à tout un service de magistrats, le service central, au sein du parquet général. Nous adressons des informations a posteriori à la DACG, qui regroupe elle aussi des magistrats. Il leur appartient de savoir comment informer le garde des Sceaux. Celui-ci doit avoir une éthique de secret professionnel et ne pas renseigner quiconque dans un intérêt qui ne serait pas celui de la justice.

J'applique la loi. Si votre assemblée modifie l'article 35, je l'appliquerai, ce qui libérera des forces vives pour se rendre aux audiences.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Il n'est pas concevable que, dans une affaire pareille, il n'y ait pas de remontées d'informations. En ce qui concerne les deux demandes adressées de manière un peu comminatoire, j'imagine que la garde des Sceaux devait se rendre à l'Assemblée ou au Sénat et envisageait de répondre à des questions, écrites ou orales.

Si le Parlement décide de supprimer cette mention dans la loi, nous ne ferons plus rien remonter. Depuis quarante ans que je suis magistrat du ministère public, le Parlement n'a jamais pris cette décision. Ne me reprochez donc pas d'appliquer la loi de la République.

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Je ne vous le reproche pas : je pose la question !

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Nous verrons ce qu'il en sera si la majorité change. L'avenir le dira.

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Jacques Carrère, premier avocat près la cour d'appel de Paris

Ce dont a parlé Mme Champrenault à propos des remontées entre un parquet et un parquet général peut s'appliquer, mutatis mutandis, aux remontées du parquet général à la Chancellerie. En somme, si l'on admet qu'il existe des remontées d'informations sur des affaires non politiques, on peut également se demander si le garde des Sceaux doit être en mesure d'élaborer une politique pénale nationale à partir des informations qui lui sont adressées. Il incombe aux parlementaires d'avoir cet aspect de la question en tête, comme je suis sûr que vous l'avez.

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La Conférence nationale des procureurs de la République est d'ailleurs utilisée pour cela. La tâche fait peut-être doublon avec les remontées individuelles, mais peu importe.

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Madame Champrenault, avec tout le respect que j'ai pour votre éminente fonction, j'ai été un peu surpris par le ton avec lequel vous avez évoqué l'affaire Fillon, qui ne correspond pas tout à fait à l'image que je me fais de la sérénité de la justice.

Vous avez mentionné le « coup de tonnerre » que représentait l'article du Canard enchaîné, qui vous aurait obligé à engager des poursuites. Vous avez parlé à ce sujet de « révélations », que je qualifierai plutôt d'informations avant vérification. Les informations polémiques sur un candidat à une élection sont nombreuses. On peut par exemple citer le faux libyen de Mediapart, dans le cadre de la campagne présidentielle précédente . Le « coup de tonnerre » est plutôt la mise en mouvement de la justice, et son rythme particulier dans ce dossier.

Vous reconnaissez avoir innové sur le dossier Fillon, en engageant des poursuites relatives aux emplois fictifs présumés sous la qualification de détournement de fonds publics, alors qu'auparavant c'était le chef d'abus de confiance qui était retenu.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Oui, jusque-là, le parquet de Paris était saisi des affaires d'emplois fictifs, sous la qualification d'abus de confiance.

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Le dossier a donc eu droit à une innovation, justifiée par le champ de compétence du PNF.

Pour revenir sur votre carrière, pouvez-vous confirmer que vous avez été collaboratrice de Mme Royal en 1999, lorsqu'elle était ministre ? Le président Hayat a semble-t-il été en fonction au cabinet au même moment. Pouvez-vous nous éclairer sur la carrière des deux très grands magistrats que vous êtes ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne sais pas si j'ai une carrière de très grand magistrat, mais j'en suis fière, et elle a été passionnante.

Je suis magistrat du ministère public depuis bientôt quarante ans. J'ai effectué un seul détachement au ministère l'éducation nationale, où j'ai d'abord travaillé à la direction des affaires juridiques, sous l'autorité de Mme Denis-Linton, conseiller d'État. J'étais auparavant procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de Lille, et n'avais jamais exercé à Paris. Pendant dix-huit mois, j'ai été chargée de deux missions de prévention portant, d'une part, sur les violences sexuelles commises ou révélées dans le milieu scolaire, et, d'autre part, sur les sectes dans l'enseignement scolaire. On s'inquiétait alors de la prolifération des écoles hors contrat, lesquelles pouvaient être animées par des mouvements sectaires. Cette expérience dans la direction des affaires juridiques a été très enrichissante, car j'étais la seule juriste de droit privé parmi une centaine de juristes de droit public.

À cette époque, M. Hayat, qui est un camarade de promotion, était effectivement conseiller technique de Mme Royal. La collaboration avec le magistrat recruté après son départ n'ayant vraisemblablement pas satisfait la ministre, j'ai été sollicitée à la fin du mois d'octobre 1999 par le directeur de cabinet, M. Chantepy. Lui ayant indiqué que, n'étant ni syndiquée ni affiliée à un parti, je ne pouvais apporter que ma compétence juridique, il m'a répondu que c'était ce qu'il souhaitait. J'ai occupé ces fonctions presque six mois auprès de Mme Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à partir de la fin d'octobre ou du début de novembre 1999. Nous avons beaucoup travaillé sur la pilule du lendemain.

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Madame la procureure générale, le temps passe. La question était relativement circonstanciée.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Un remaniement est intervenu en mars 2000. En juillet 2000, j'ai quitté la ministre déléguée à la famille car les questions relatives au divorce n'entraient pas dans mes compétences.

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S'agissant du dossier Fillon, vous nous avez dit que vous vous êtes bornée à quatre demandes de remontées d'informations. Lors de son audition, Mme Houlette a affirmé sous serment avoir reçu de très nombreuses demandes, qu'elle avait recensées sur une fiche – demandes de transmission rapide, premiers éléments, demandes d'auditions, demandes de précisions sur les perquisitions en cours ou sur la réquisition supplétive. Comment expliquer cette différence ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne saurais vous le dire. Je vous ai parlé de la période allant du 25 janvier au 24 février, celle où une enquête préliminaire est menée. Je vous le dis solennellement : il y a eu bien davantage de remontées spontanées que de demandes du parquet général.

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J'en conclus que Mme Houlette aurait menti sous serment si elle fait état de davantage de demandes.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Moi aussi je suis sous serment, monsieur le député !

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Le président ou le rapporteur devront lui demander de confirmer ses propos par écrit.

Venons-en à une question concernant la célérité de la justice. S'agissant de l'affaire Fillon, l'article du Canard enchaîné sort le 25 janvier. Le jour même, une enquête préliminaire est lancée. Quelques jours après, les éléments sont transmis au juge d'instruction. La mise en examen intervient un mois et demi plus tard.

Au mois de janvier 2019, le journal Le Monde publie une pleine page consacrée à un signalement fait par un président de commission d'enquête. Cinq mois après, le parlementaire est auditionné, mais au bout d'un an et demi, il n'y a toujours rien de plus.

Dans un cas, un coup de tonnerre retentit ; dans l'autre, il ne se passe rien. Quel est le critère retenu ? Le sérieux du journal ? Est-ce à dire que Le Canard enchaîné fait des « révélations », mais que Le Monde n'est pas sérieux ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne vois pas de quelle affaire il est question.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne peux pas vous répondre. Je n'ai pas les 2 700 affaires en tête.

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Ma question n'appelait pas de réponse immédiate. Il s'agit d'un signalement, par quelqu'un qui a présidé une commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le financement de la campagne présidentielle du chef de l'État. Des signalements de la Commission nationale des comptes de campagnes sont également pendants depuis plus d'un an et demi.

Ma dernière question porte sur l'affaire des fadettes des avocats parisiens, sur laquelle vous avez remis hier un rapport à la ministre de la justice. S'agissant du cadre procédural, il est incompréhensible que l'affaire dite Bismuth ait conduit à l'ouverture d'une enquête préliminaire le 4 mars 2014, alors qu'une information judiciaire l'avait été le 26 février, dont le sujet – la violation du secret professionnel –, était identique à celui des fadettes. Comment expliquez-vous que ces affaires se télescopent ? Les avocats n'ont jamais eu connaissance de cette enquête préliminaire, malgré leurs demandes.

Les réquisitions aux opérateurs comportaient la mention « Urgent garde à vue », alors qu'aucune garde à vue n'était en cours, ce qui constitue un mensonge dans la procédure. Plusieurs dizaines d'avocats sont concernés. Comment ont-ils été choisis ? Jean Veil a estimé hier que soixante avocats de son cabinet avaient vu leurs fadettes épluchées. Cela signifie que l'on a étudié les fadettes de personnes sur lesquelles on n'avait pas le moindre indice. C'est un drôle de fonctionnement de la justice dans notre pays. Par ailleurs, l'enquête a duré cinq ans. Ayant exercé quarante ans comme magistrate, connaissez-vous d'autres enquêtes préliminaires aussi longues, alors que le code de procédure pénale a fixé le délai de l'enquête préliminaire à quatre mois ? Avez-vous été informée de cette enquête dans ce laps de temps ? Vous avez dit que vous n'aviez jamais abdiqué vos responsabilités : les assumerez-vous s'il y a eu un dysfonctionnement majeur au sein du parquet national financier, placé sous votre autorité ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je serai prudente en vous répondant, puisque votre collègue m'a dit précédemment que j'avais trop évoqué l'affaire Fillon. Comme dans la précédente affaire, je suis très à l'aise, mais pour d'autres raisons.

Lorsque l'enquête a été ouverte, le 4 mars 2014, je n'étais pas procureure générale près la cour d'appel de Paris : j'étais procureure générale à Basse-Terre. Par ailleurs, cette enquête n'a jamais fait l'objet d'un suivi par le parquet général, qui n'en était pas informé, en dehors d'une demande de jonction qui a été communiquée. Nous n'avons jamais eu d'informations sur le contenu de cette enquête ou sur les modalités d'investigation. Je ne peux donc pas vous en dire grand-chose. Il est vrai que, le 26 juin, la DACG m'a demandé de donner mon avis sur la conduite de l'enquête, ce que j'ai fait le 30 juin.

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À quel moment est intervenue la demande de jonction ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

La première demande de jonction est intervenue, me semble-t-il, à la fin de l'année 2016.

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Cela fait alors deux ans que l'enquête préliminaire est ouverte !

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Deux ans et demi.

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Et cela n'a pas alerté le parquet général ?

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J'ai assisté à l'audition d'Éliane Houlette. Pour ce qui me concerne, j'écarte la théorie du complot. Le parquet national financier fait partie d'une organisation hiérarchisée. Mme Houlette a manifesté une impatience par rapport à une autorité hiérarchique qui s'exerce de la même manière que dans d'autres circonstances et d'autres administrations.

Qu'est-ce qui justifiait, à votre sens, la volonté de Mme Houlette de conserver l'enquête préliminaire le plus longtemps possible, malgré le risque de faire échouer la procédure ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

La première cheffe du PNF avait inscrit son action sous le signe de l'efficacité par la rapidité. Elle avait une doctrine d'action consistant à privilégier l'enquête préliminaire, car elle considérait, parfois à juste titre, que, lorsque l'on ouvrait une information, le parquet n'était plus en charge, et les parties pouvaient exercer de très longs recours devant la chambre de l'instruction – nous en avons parlé le 6 février.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Les chambres de l'instruction – la cour d'appel de Paris en compte sept – sont assez chargées. Dans une procédure écrite, le parquet général doit prendre des réquisitions écrites, qui sont communiquées à la défense, laquelle doit argumenter dans des mémoires. Le calendrier procédural doit ensuite être fixé, pour que l'affaire soit évoquée, après quoi la chambre de l'instruction rédige son arrêt. Les arrêts de la chambre de l'instruction sont d'ailleurs souvent très motivés et étayés, à la fois sur les faits et sur le droit.

Ce processus prend du temps. J'ai pu, moi-même, adhérer à l'idée selon laquelle, dans les affaires simples, nous avions tout intérêt à essayer de conduire les investigations en enquête préliminaire et à saisir dans la foulée le tribunal correctionnel. Il ne faut toutefois pas être prisonnier d'une idéologie procédurale. Autant ce choix peut être justifié, notamment dans des affaires qui ne sont pas contestées, autant l'information est le cadre habituel du débat juridique et du débat sur les charges dans des affaires contestées.

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Je souhaiterais que nous puissions ne pas répéter ce qui a déjà été dit, afin d'accélérer le rythme de cette audition. Nous devions auditionner M. le ministre de l'intérieur à onze heures, et nous avons déjà débordé.

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Avec l'information judiciaire, le contradictoire est introduit ; j'y suis très sensible. La présence de l'avocat est essentielle dans une affaire de cette nature.

S'agissant du rendez-vous avec Mme Houlette et quatre collaborateurs, dans une atmosphère tendue, est-il habituel d'en arriver à une situation aussi discutée ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

De telles réunions ne sont pas fréquentes, mais pas exceptionnelles non plus.

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La commission d'enquête porte sur l'indépendance, donc aussi sur l'impartialité de la justice. Mme Houlette a fait valoir que sa position de cheffe de parquet, proche de la retraite, l'écartait de la culture de la dépendance et lui permettait de résister aux pressions hiérarchiques. Que pensez-vous de la procédure de nomination du procureur et des carrières dans le dispositif actuel ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je l'ai dit lors de mon audition, le 6 février – mais mes discours l'attestent également : je vous les fournirai –, j'affirme depuis longtemps qu'il n'y aurait que des avantages à ce que la procédure de nomination, comme la procédure disciplinaire des chefs de parquet et des chefs de parquet généraux soit entièrement alignée sur celle des présidents et premiers présidents. Je ne verrai que des avantages à préciser l'article 5 de l'ordonnance statutaire, en ajoutant que les procureurs et les procureurs généraux sont placés sous l'autorité du garde des sceaux « en ce qui concerne la politique pénale ».

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Il est regrettable que la justice semble se limiter à quelques scalps, aux affaires médiatiques.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Elle ne s'y limite pas !

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Fort heureusement, et nous le savons.

Le PNF est un bon outil, qui a montré son efficacité sur la dimension financière, difficile à appréhender par les magistrats. Quel regard portez-vous sur lui à la lumière des affaires récentes ? Celle des fadettes, en particulier, qui a fait dire à Éric Dupond-Moretti : « Enfin on nous écoute ! », pose problème. Olivier Marleix l'a indiqué : c'est une affaire grave, qui a duré cinq ans, avant d'être classée sans suite en 2019. Quelles suggestions faites-vous pour que le PNF soit beaucoup plus efficient dans son domaine ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Globalement, le PNF a mené une action remarquable pour lutter contre la corruption, la fraude fiscale, les paradis fiscaux, et faire rentrer dans les caisses du Trésor public près de 10 milliards d'euros depuis sa création. Il a en outre été perçu à l'international comme un véritable interlocuteur de lutte contre la corruption. C'est une très bonne chose. Dans une action, des zones d'ombre peuvent exister ; l'affaire des fadettes en est peut-être une – l'inspection diligentée par la garde des Sceaux le dira.

Comme je vous le disais, il ne faut pas être prisonnier d'une idéologie procédurale et vouloir, coûte que coûte, continuer sous la forme de l'enquête préliminaire. Il faut savoir passer la main et ouvrir le débat contradictoire, par l'ouverture d'une information judiciaire.

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Est-il utile que le Conseil supérieur de la magistrature puisse s'autosaisir ? Actuellement, comme pour l'inspection générale de la justice, il faut qu'il soit saisi.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je n'ai pas spécialement réfléchi à la question, mais pourquoi pas.

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Madame la procureure générale, je vous remercie pour l'ensemble de vos réponses. Nous pouvons mesurer ensemble combien la mission que vous conduisez est exigeante et complexe. Notre commission d'enquête s'interroge sur les dysfonctionnements de la justice qui sont de nature à affaiblir son indépendance. Ma conviction, après la série d'auditions que nous avons menée, est qu'une partie des carences dans l'indépendance que nous avons constatées sont intimement liées à un défaut de contrôle, notamment des actes d'enquête, que je mets en parallèle avec le pouvoir de plus en plus étendu des parquets.

Olivier Marleix a évoqué l'affaire concernant Nicolas Sarkozy. En marge de cette affaire, il a été révélé que les factures téléphoniques détaillées d'un certain nombre d'avocats ont été épluchées, que des géolocalisations auraient été ordonnées, dans le plus grand secret. Je ne vous demande évidemment pas, sur le fond, si vous auriez dû en être informée, ni s'il fallait citer ces éléments dans le dossier. Vous l'avez dit, une inspection a été lancée par la garde des Sceaux, qui donnera certaines réponses.

En revanche, vous avez parlé à l'instant de « zones d'ombre ». Ce qui m'intéresse est de savoir ce qui peut être amélioré pour l'avenir. En particulier, dans le cadre d'un renforcement des contrôles, pourrait-on envisager une meilleure information du bâtonnier ou l'intervention du juge des libertés et de la détention, comme cela se pratique en matière d'écoutes téléphoniques ?

Je crois votre réponse importante, car vous avez dit en préambule : « Le magistrat ne renonce à aucune prérogative qu'il tient de la loi. » A contrario, il ne peut faire plus que ce que prévoit la loi, au risque de se perdre. C'est une question centrale dans le cadre de notre commission. C'est pourquoi je serai intéressée par les propositions que vous auriez à faire.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Sans me substituer au législateur, qui est souverain, je veux souligner la zone d'ombre existant sur le plan législatif s'agissant des fadettes : elles ne sont pas réglementées ; elles ne sont pas expressément visées par le code de procédure pénale, alors que les écoutes sont très encadrées.

Pour ce qui concerne les professions juridiquement protégées, car dépositaires d'un secret professionnel – avocats, médecins, journalistes –, on pourrait envisager que le code de procédure pénale encadre les demandes de ces factures détaillées, comportant les numéros de téléphone des personnes appelées.

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Madame la procureure générale, avez-vous rencontré Mme Belloubet avant d'entrer en fonction comme procureure générale près la cour d'appel de Paris ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Jamais.

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Pas même lorsqu'elle était rectrice et que vous travailliez au cabinet de Mme Royal ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne l'ai jamais rencontrée.

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Vous nous avez dit que Mme Houlette faisait l'objet d'une enquête. La presse l'a révélé, notamment dans un long article de Mediapart.

Dans un second article, Mediapart a souligné le rôle d'un autre magistrat, M. Debacq, dans l'affaire judiciaire impliquant M. Platini. Il est indiqué que vous avez fait remonter un signalement à la direction des services judiciaires (DSJ).

Dans des affaires qui semblent similaires, car elles comportent des remontées d'information et un potentiel trafic d'influence, pourquoi avez-vous, dans le premier cas, ouvert une enquête, et, dans le second, fait un signalement à la DSJ ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

J'ai été saisie début juin 2019 par des magistrats du PNF de propos, sur des écoutes, pouvant mettre en cause les deux magistrats que vous citez. Je ne pouvais plus exercer le pouvoir disciplinaire à l'égard de Mme Houlette car je n'avais pas le temps, avant son départ, de mettre en place une procédure d'avertissement. Pour ce qui concerne le second magistrat, qui dépend de la Cour de cassation, je ne pouvais rien faire car il ne relevait pas de mon autorité.

Le 14 juin, comme c'est mon devoir, j'ai adressé au directeur des services judiciaires deux signalements sur des faits susceptibles de constituer des manquements déontologiques au regard du Recueil des obligations déontologiques des magistrats, que j'ai cité. Je n'ai plus entendu parler de l'affaire concernant le magistrat de la Cour de cassation. L'affaire de la cheffe du PNF ayant révélé une possible mise en cause, elle a fait l'objet d'une ouverture d'information. Les écoutes ont continué et, le 12 juillet, de nouveaux éléments susceptibles de mettre en cause l'ancienne cheffe du PNF ont été transmis, sur commission rogatoire.

Le juge d'instruction qui reçoit ces écoutes a donné un soit-transmis au PNF, qui me l'a transmis, aux fins d'enquête relative à un trafic d'influence. À ce moment, j'ai considéré que l'affaire à laquelle j'avais donné un traitement judiciaire et celle venant de l'instruction pouvaient être liées. J'ai donc envoyé au PNF la procédure originale, qui avait donné lieu à un traitement judiciaire, à charge pour lui de réunir à la fois le signalement et le soit-transmis du juge, et mon propre signalement, pour que le procureur de Paris en soit saisi.

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Je vous remercie pour ces précisions. Enfin, Le Canard enchaîné a révélé l'existence d'une enquête contre certains de mes collègues parlementaires, pour abus de confiance. Si j'ai bien compris, et pour expurger le débat juridique, rappelons que le parquet de Paris est bien compétent pour un tel chef. L'enquête a-t-elle fait l'objet d'une remontée d'informations à votre niveau ? Trouvez-vous normal que ce même parquet ouvre une enquête pour abus de confiance, alors qu'un des membres est destinataire de dommages et intérêts, sur le même sujet ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne vois absolument pas à quoi vous faites allusion.

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Le Canard enchaîné a révélé mercredi qu'une enquête préliminaire pour abus de confiance était ouverte contre le président de mon groupe parlementaire, plusieurs de mes collègues et des salariés de La France insoumise.

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La question est totalement inappropriée : il s'agit d'une affaire en cours !

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Avez-vous été destinataire de remontées d'informations, conformément à la circulaire de 2014, car des élus étaient concernés ? Parmi les parties à l'enquête figure un des procureurs qui devaient toucher des dommages et intérêts, dont l'enquête préliminaire est l'objet.

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Je me crois dans l'obligation d'intervenir. La commission d'enquête n'est en aucune façon une commission où chaque parlementaire, quel que soit son statut, vient demander des éléments sur les dossiers en cours. Madame Champrenault, vous répondrez comme vous souhaiterez le faire, mais j'appelle l'attention sur le cadre, que forment le respect de la séparation des pouvoirs et l'absence de discussion sur les enquêtes en cours, qui limite notre action, et que nous avons rappelé à de multiples reprises. À ce titre, je trouve particulièrement discourtoise la question que le président vient de poser.

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La question, sans doute discourtoise, est certainement fondée.

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Il me semble – je parle là sous le contrôle de M. Carrère – que nous avons eu une remontée d'informations hier ou avant-hier, après l'article du Canard enchaîné.

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Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les « zones d'ombre » que vous avez évoquées ? Vous ont-elles posé problème ? Nous sommes passés dessus un peu rapidement, sans savoir de quoi il s'agissait.

Le parquet national financier vous paraît-il compétent pour enquêter sur la violation du secret professionnel ? Finalement, si son intervention doit conduire à l'affaire des fadettes, on se demande si elle est justifiée. Si oui, le PNF a-t-il demandé une autorisation, et à qui ?

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Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris

Je ne peux pas en dire plus que ce que j'ai dit. On m'a demandé un rapport ; j'ai fait part de mes observations à la chancellerie ; une inspection a été décidée. Je ne peux pas entrer dans les détails car l'affaire est à présent sous le contrôle de l'inspection générale de la justice.

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Madame la procureure générale, monsieur le premier avocat général, nous vous remercions pour vos réponses.

La séance est levée à 11 heures 40.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, M. Ian Boucard, M. Olivier Marleix, Mme Naïma Moutchou, M. Didier Paris, M. Antoine Savignat, Mme Cécile Untermaier