Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mardi 7 juillet 2020 à 17h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CRA
  • détenu
  • prison
  • privation
  • radicalisation
  • recommandation
  • rétention

La réunion

Source

La réunion débute à 17 heures 35.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

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Nous accueillons Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL).

Mme Hazan, alors que vous quitterez prochainement vos fonctions, nous vous remercions pour la disponibilité dont vous avez toujours fait preuve à notre égard et pour le travail que vous avez accompli, travail essentiel à une société démocratique. Nous partageons le regard exigeant que vous portez sur ces lieux de privation de liberté que vous inspectez régulièrement et que nous visitons, nous aussi, en notre qualité de parlementaires. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion de nous y retrouver, par exemple à la maison d'arrêt pour femmes lors d'une nuit du droit.

Les rapports que vous avez effectués ont apporté une contribution majeure et je rends hommage, à titre personnel et au nom des membres de la commission des Lois, à la façon dont vous avez accompli votre mission.

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Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Effectivement, cette intervention est la dernière de mon mandat. Je me réjouis, moi aussi, de la façon dont nous avons travaillé ensemble.

Aujourd'hui, je suis parmi vous pour vous présenter le rapport annuel de 2019, le bilan de mon action durant mon mandat et évoquer la façon dont les personnes privées de liberté ont vécu le confinement. Nous avons d'ailleurs publié, il y a quelques jours, sur notre site internet, un rapport très complet sur le sujet.

Le Contrôle général des lieux de privation de liberté est une institution qui honore la démocratie. C'est la seule autorité administrative indépendante à vivre en immersion totale dans les établissements. Nous effectuons 150 visites par an. Nous passons des semaines entières dans ces lieux de privation de liberté, que nous connaissons souvent mieux que l'administration pénitentiaire elle-même. Nous disposons donc d'une photographie exacte et actualisée de la situation dans ces établissements et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Nous contribuons ainsi à rendre visibles ces personnes presque invisibles dans notre société.

Depuis la création du Contrôle général, par une loi de 2007, le contexte a changé. Les droits fondamentaux, ceux des personnes privées de liberté en particulier, étaient alors appréhendés par tous – administrations, ministres, opinion publique – comme non négociables et acquis.

Douze ans après, nous n'en sommes plus là. La loi relative à la rétention de sûreté de 2008 a constitué une cassure, selon moi. Pour la première fois dans notre droit pénal, on a en effet considéré que l'on pouvait prendre des mesures restrictives des libertés pour une personne ayant déjà effectué sa peine. C'était une sorte de deuxième jugement visant à apprécier, non pas la culpabilité d'une personne, mais sa dangerosité supposée. La situation s'est encore dégradée avec la loi sur le terrorisme, la loi sur l'état d'urgence – dont beaucoup de dispositions sont entrées dans le droit commun –, la crise migratoire de 2015, qui a conduit à la mise en œuvre d'un certain nombre de dispositifs très restrictifs, puis la loi de 2016 sur la prévention de la criminalité.

Face à cette évolution, notre rôle de vigie des droits fondamentaux s'est renforcé. Nous avons installé la question de l'équilibre nécessaire entre le respect des libertés et de la sécurité dans le débat public.

Les constats que nous avons faits en 2019 sont malheureusement assez semblables à ceux que nous avions faits en 2018.

En ce qui concerne les prisons, la surpopulation carcérale demeure dramatique, avec 71 000 détenus pour 55 000 places – et non pas 60 000 places comme on l'entend habituellement. Et comme la politique de lutte contre la surpopulation carcérale ne s'est pas suffisamment mise en place, le 30 janvier 2020, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

La situation est différente pour les hôpitaux psychiatriques et la santé mentale. Elle ne s'est pas beaucoup améliorée, mais il commence à y avoir une prise de conscience de la part du milieu médical. On considère désormais que l'hospitalisation sans consentement ne doit pas systématiquement être associée à des mesures de contrainte extrêmement sévères. La crise du Covid a permis de réfléchir à une prise en charge de la santé mentale qui enfermerait moins. Les mesures d'isolement et de contention, c'est-à-dire quand on isole et qu'on attache physiquement une personne, doivent être, comme le précise la loi que vous avez votée le 26 janvier 2016, le dernier recours et pour une durée extrêmement brève. Malheureusement, et comme ce fut le cas au cours des années passées, nous constatons que l'application de cette loi est à géométrie variable. Certains établissements se sont tout de suite mis en ordre de bataille tandis que d'autres ne la respectent pas et sont toujours dans la banalisation de ces mesures d'isolement et de contention.

À cet égard, la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 juin dernier m'a satisfaite. Le Conseil a en effet considéré que la loi de 2016, qui ne prévoyait pas l'intervention du juge pour décider de l'isolement et la contention, était illégale et a donné six mois au législateur pour se mettre en conformité. Concrètement, cela signifie qu'il faudra qu'un juge, probablement le juge des libertés et de la détention, intervienne très vite, dès qu'une personne sera placée en isolement et en contention. C'est ce que nous demandions depuis de nombreuses années car, dès lors qu'il s'agit d'une décision et non d'une prescription, un recours doit pouvoir être exercé devant le juge judiciaire.

Cette décision est d'autant plus importante que nous constatons régulièrement des situations dramatiques. Pendant la crise du Covid, avec quelques contrôleurs, nous nous sommes ainsi rendus dans un établissement psychiatrique du Val-d'Oise, à Moisselles, car nous avions été informés que les patients atteints du Covid étaient isolés dans une unité spéciale dans des chambres fermées à clef. J'ai immédiatement adressé une recommandation en urgence au ministre des Solidarités et de la Santé pour faire cesser cette pratique. Deux jours après notre arrivée, l'hôpital y avait mis un terme et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) avait envoyé des instructions en ce sens à tous les hôpitaux. Il était important de préciser qu'il ne fallait en aucun cas confondre l'isolement thérapeutique et le confinement. Ce n'est pas parce qu'il s'agissait de malades mentaux que l'on devait considérer qu'ils ne pouvaient pas respecter les gestes barrières. En 2019, nous avons visité trente-quatre établissements psychiatriques. J'en avais fait une priorité.

S'agissant des centres de rétention administrative, j'ai rencontré, pour lui remettre mon rapport, le ministre de l'Intérieur. J'ai dû lui dire, en le déplorant, que la situation, dans ce domaine, n'avait pas évolué au fil des années. Or, certaines choses sont inadmissibles dans notre démocratie. Lorsque je les dénonce, les ministres sont étonnés. Pourtant, ça continue.

Il est ainsi inadmissible, lors d'une garde à vue dans un commissariat, qu'on retire à la personne concernée – quelle que soit sa dangerosité ou son état d'agitation – tous ses objets, y compris le soutien-gorge pour les femmes – éventuellement en oubliant de leur rendre pour la comparution devant le juge.

Cette évolution de notre société me préoccupe. L'impératif de sécurité l'emporte de plus en plus sur la dignité des personnes.

Les fonctionnaires ont peur d'être mis en cause et pensent qu'ils ne seraient pas soutenus par leur hiérarchie en cas de problème. Ils ouvrent donc « le parapluie » au maximum, afin de prévenir le moindre risque. Dans ces secteurs de la sécurité, il faut parvenir, tant pour les surveillants d'administrations pénitentiaires que pour les membres de la police, à une obligation de moyens et non de résultat. Il n'existe pas de risque zéro, mais il faut que ces personnels ne puissent pas être poursuivis en cas de problème. Ce serait un renversement favorable de notre culture administrative.

Je l'ai dit, les centres de rétention administrative ne connaissent pas d'amélioration. Ce sont des lieux vétustes, dégradés, où la promiscuité est importante. C'est d'autant plus une préoccupation que la durée maximale de rétention est passée de 45 à 90 jours. En outre, la loi relative à l'asile et à l'immigration n'a malheureusement pas été mise à profit pour interdire la rétention des enfants. Je sais, madame la Présidente, que lors de votre visite du centre du Mesnil-Amelot, vous aviez été choquée d'y voir des enfants.

Certes, il y a eu des propositions. Celle qui a été déposée par le groupe majoritaire ne propose pas, toutefois, de supprimer la rétention des enfants, mais seulement de la réduire à 48 heures, avec une prolongation éventuelle. Si cette proposition de loi est adoptée, il sera toujours possible de placer des enfants en rétention pendant cinq jours. On sait pourtant combien cela est traumatisant.

Or, dans la plupart des cas, cette rétention n'est qu'une mesure de confort administratif permettant aux services de police de conserver la famille « sous la main » avant de la mettre dans l'avion. Dès qu'il y a des enfants, seule l'assignation à résidence devrait être autorisée.

Concernant les centres éducatifs fermés (CEF), c'est le même constat. Tout le monde – le Contrôle général des lieux de privation de liberté, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), les parlementaires – constate des dysfonctionnements, des projets éducatifs insuffisants, une participation des familles trop faible, mais le nombre de CEF continue d'augmenter. Il aurait été préférable de tirer les enseignements des évaluations qui ont été faites – je pense notamment aux résultats de l'inspection de 2015.

Récemment, nous avons publié 257 recommandations minimales pour les personnes privées de liberté. Depuis 2008 et la création du Contrôle général des lieux de privation de liberté, nous avons en effet produit des milliers de recommandations pour les ministres. Il nous a semblé important de les classer, non par catégorie d'établissement, mais par nature de recommandation. Un commissariat, un hôpital psychiatrique, une prison sont des lieux très différents, ils sont cependant confrontés aux mêmes problématiques et, en tout cas, les droits fondamentaux des personnes doivent y être reconnus de la même manière. Nous avons ainsi créé une norme non contraignante, une forme de droit souple dont vont pouvoir s'emparer les praticiens, les juridictions, les avocats, les parlementaires. Nous ne donnons pas d'injonctions.

Nous n'avons pas cherché à définir ce que serait un lieu privatif de liberté idéal. Nous avons voulu expliquer comment les choses doivent se passer dans tous les lieux de privation de liberté en rappelant les règles minimales de respect des droits fondamentaux de la personne. Cela concerne l'accueil, le séjour, l'accès aux soins et le maintien des liens familiaux. Cela a conduit à 257 recommandations minimales. Elles sont comparables aux règles pénitentiaires européennes (RPE), mais élargies à l'ensemble des lieux de privation de liberté. Ce document est consultable sur notre site internet.

En 2019, nous avons également produit un rapport sur la radicalisation. Le quatrième dispositif est entré en vigueur en 2018. Il est organisé à partir des situations constatées dans les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) et dans les quartiers de prévention de la radicalisation (QPR). Ce rapport est à votre disposition et consultable sur notre site internet.

Je suis inquiète. Certes, le problème de la radicalisation est extrêmement difficile à gérer et personne n'a la solution. Comme nous, les pays européens tâtonnent. Mais cette question est importante ; elle a pris beaucoup d'ampleur depuis 2015 et son traitement n'est toujours pas satisfaisant.

D'abord, la définition du détenu radicalisé n'est toujours pas établie. De ce fait, on applique indifféremment à des détenus dits radicalisés le même dispositif – évaluation en QER pendant quatre mois et, éventuellement, dix-huit mois de quartier de prévention de la radicalisation – qu'il s'agisse du jeune arrêté au bout de sa rue avant d'arriver en Syrie ou bien de la personne condamnée pour des crimes terroristes. Faute d'une individualisation de l'évaluation ou de la condamnation, les outils dont nous disposons ne permettent pas une prise en charge adaptée à la radicalisation : ils servent à gérer cette population. Cela conduit à en faire une catégorie spécifique de détenus à laquelle sont appliquées des mesures exorbitantes du droit commun axées sur la sécurité et ne présentant pas les mêmes garanties par exemple que la mise à l'isolement qui est limitée dans le temps et qui implique notamment une procédure contradictoire.

Souvent, les personnes soupçonnées de radicalisation ne sont même pas informées de leur mise sous surveillance. Parfois, elles rencontrent des psychologues et des éducateurs spécialisés, mais ignorent que leurs évaluations seront transmises à la commission de radicalisation de la prison et que ces pièces se retrouveront ensuite dans le dossier du juge. Cela pose des questions d'ordre éthique.

Les lieux privatifs de liberté ont été particulièrement touchés par la crise sanitaire car le confinement aggrave les risques de contagion et les atteintes aux droits fondamentaux des personnes.

Le CGLPL s'est évidemment confiné mais a continué ses contrôles grâce à des conversations téléphoniques avec les établissements. Au plus fort de la crise, je me suis déplacée, avec deux ou trois contrôleurs, à Moiselles et dans deux centres de rétention, à Vincennes et au Mesnil-Amelot. À Vincennes, il y avait plusieurs cas de Covid et au Mesnil-Amelot, beaucoup d'inquiétudes liées à l'impossibilité de procéder aux gestes barrières.

À la suite de cette visite, j'ai écrit au ministre de l'Intérieur pour lui demander, comme je l'avais déjà fait au début de la crise, la fermeture provisoire des centres de rétention. À ce moment-là, heureusement, seuls 10 % des centres fonctionnaient et il y avait environ 150 retenus au lieu des 1 900 habituels. Comme d'autres, j'ai considéré, qu'il n'existait plus de base légale pour retenir ces personnes puisque le trafic aérien était interrompu et qu'on ne pouvait pas les reconduire à la frontière et les expulser. Certaines étaient là depuis deux mois. Elles étaient dans un état d'angoisse absolue du fait de la menace du covid et ne comprenaient pas pourquoi on les retenait. Les atteintes aux droits fondamentaux, à la santé, aux gestes barrières et aux liens familiaux étaient très importantes.

Les lieux de privation de liberté sont tous différents mais nous avons relevé des traits communs pendant la crise.

Il faut noter tout d'abord la mise en place tardive des mesures de précaution. Dans les hôpitaux psychiatriques, les psychiatres se sont beaucoup plaints de recevoir les informations et les masques après les hôpitaux généraux. Ils ont eu le sentiment, fondé me semble-t-il, d'être de nouveau les parents pauvres de la médecine.

Ensuite, des mesures compensatoires au confinement, qui a conduit à la suppression des visites et à l'absence d'activités, n'ont pas été prises ou ont été beaucoup trop faibles.

Ainsi, les détenus n'ont pas bénéficié de la gratuité du téléphone dès la suspension des parloirs familiaux. Cela m'a choquée. La garde des Sceaux a certes instauré immédiatement la gratuité de la télévision et a accordé un crédit téléphonique de 40 euros par détenu, mais il me semble que le coût, pour l'administration pénitentiaire, de la gratuité du téléphone pendant deux mois n'aurait pas été prohibitif. C'est une question de dignité. Ces personnes étaient inquiètes et confinées dans des maisons d'arrêt surpeuplées ; elles auraient dû avoir la possibilité de téléphoner gratuitement pendant cette période.

Enfin, il a été impossible pour les détenus et pour les patients en hospitalisation sans consentement d'avoir accès au juge pendant cette période. Parfois, il y a eu des visioconférences. Parfois, des décisions ont été rendues sur dossiers. Les détenus n'ont pas eu accès à leur avocat et n'ont pas été présentés devant les juges d'application des peines. Cela a conduit à une dégradation de l'accès au juge et du respect des droits de la défense.

La visioconférence aurait dû être massivement développée. Certaines audiences, en prenant des précautions, auraient aussi pu se tenir.

Chacun doit avoir conscience que les lieux privatifs de liberté ne sont pas adaptés à ce type de crise sanitaire. Pour être positif disons que celle-ci a cependant montré que de nouvelles pratiques sont possibles. C'est vrai en matière de détention avec la baisse spectaculaire de 13 500 du nombre de détenus – soit environ 6 000 sorties. Mais cela permet d'avoir un taux d'occupation proche des 100 % – 110 %, 120 % dans les maisons d'arrêt avec des pics à 130 % ou 140 % dans certaines. C'est un progrès important.

Finalement, la régulation carcérale que je prône depuis des années a pu être faite en un mois ! Je souhaite qu'elle ne soit plus laissée à l'initiative des magistrats ou des directeurs de prison et qu'on l'inscrive dans la loi. En 2018, je l'avais déjà demandé au Président de la République. Pour que cette régulation carcérale se fasse, ce doit être une obligation pour les magistrats et l'administration pénitentiaire. Il faudrait également prévoir, lorsque c'est possible, une diminution des rétentions au profit des assignations à résidence.

Concernant la psychiatrie, les levées de placement de certains malades ont conduit au renforcement des mesures de suivi en extra-hospitalier dans les secteurs où c'était possible. La psychiatrie d'après la crise pourrait ressembler à cela : moins d'hospitalisation sans consentement et plus d'extra-hospitalier. En ce sens, je réclame depuis des années une grande loi sur la santé mentale. En tout cas, un plan de prévention par administration me semble indispensable pour se préparer à une éventuelle nouvelle crise sanitaire.

Il faut également réfléchir à un développement massif du numérique dans les lieux de privation de liberté. La crise a montré que l'absence d'accès à internet – contrôlé bien sûr – a créé des atteintes aux droits fondamentaux.

Enfin, il faut veiller à ne pas s'habituer au mode de travail dégradé observé pendant cette crise sanitaire. Le télétravail ne doit pas se faire au détriment du contact entre le juge et la personne privée de liberté, du droit de la défense et de la liberté d'aller et venir.

Cette crise doit donc être l'occasion de progresser et permettre aux personnes privées de liberté d'être traitées plus dignement. Une réflexion de fond doit être engagée.

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Alors que vos six années de mandat s'achèvent je voudrais vous interroger sur la portée des recommandations que vous adressez régulièrement aux pouvoirs publics. Quelles sont leurs réactions ? Ces recommandations servent-elles à quelque chose ? Des mesures sont-elles prises à la suite de vos alertes ? Avez-vous le sentiment d'être entendue ?

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Avec mon collègue Guillaume Gouffier-Cha, député du Val‑de‑Marne, nous avons également écrit au Gouvernement pour l'alerter sur la situation du centre de rétention administrative (CRA) de Paris-Vincennes. Nous avons obtenu plusieurs éléments de réponse intéressants.

Tout d'abord, sur l'existence ou non de base légale, le Gouvernement nous a répondu qu'entre le 17 mars et le 7 mai, près de 100 éloignements avaient été menés depuis les CRA. Les mesures d'éloignement ont donc été maintenues, à un rythme certes moins soutenu.

Cela n'enlève rien à l'importance du respect de la dignité de chacun et aux risques de propagation dans les CRA. Pour celui de Vincennes, selon vos chiffres, quatre ou cinq des quarante-huit personnes présentes ont été contaminées. Le Gouvernement nous a indiqué que les personnes testées positives avaient été transférées vers des établissements sanitaires adaptés à leur état de santé lorsque cela était nécessaire. Les autres personnes ont été isolées puisque le CRA a été séparé en deux bâtiments étanches pour séparer les retenus contaminés des autres retenus. Le strict respect des mesures barrières a été rendu possible en raison du faible taux d'occupation de ces CRA.

Disposez-vous de ces éléments d'information ?

Lorsque vous vous êtes rendue au CRA de Paris-Vincennes en avril, avez-vous pu constater la mise en œuvre de ces procédures d'étanchéité entre ces deux bâtiments ?

Indépendamment de cette crise, avez-vous pu constater des améliorations de la gestion du CRA de Paris-Vincennes pour permettre de mieux concilier respect de la dignité de chacun et respect de l'ordre public ?

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La dernière fois que nous vous avons auditionnée, vous avez précisé que la peine de prison n'était qu'une restriction de la seule liberté d'aller et de venir. Aujourd'hui, vous proposez de développer l'accès aux moyens de communication dans les prisons. Vous avez également rappelé les droits des personnes radicalisées placées en rétention de sûreté. Ne serait-il pas opportun de permettre aux juges de prononcer des peines complémentaires de privation d'autres libertés, notamment celle de communiquer ?

Pour les détenus radicalisés, le contact avec certaines personnes à l'extérieur, mais aussi en prison, permet la poursuite de certaines activités. Pour respecter le droit de l'ensemble des prisonniers, ne faudrait-il pas créer des peines complémentaires spécifiques afin d'assurer la sécurité de l'ensemble des Français ?

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Vous avez raison, la surpopulation carcérale n'est pas une fatalité. La crise du Covid a permis de réduire la population carcérale sans mettre en danger la société.

L'absence de surpopulation carcérale est bénéfique aux détenus, mais aussi aux surveillants pénitentiaires, dont on a pu mesurer la qualité du travail. Ils peuvent alors mener des actions, avoir des échanges avec les détenus, faciliter l'insertion. Ils ne souhaitent pas revenir à la situation antérieure.

Dans votre rapport, vous indiquez être défavorable au numerus clausus, mais favorable à une régulation des flux des entrants et des sortants. Comme vous, je pense que cette régulation doit être inscrite dans la loi. La régulation par les bons mots, ce n'est pas possible. Toutefois, il existe déjà une loi. Elle fait l'objet d'un moratoire. N'aurait-on pas pu profiter de cette situation pour lever ce moratoire et remettre en place les encellulements individuels pour de nombreux détenus ?

Par ailleurs, l'enseignement dans les prisons est fondamental pour lutter contre la récidive et favoriser la réinsertion des détenus. Or, les crédits de l'éducation nationale diminuent chaque année et les directeurs d'école impliqués s'inquiètent de cette baisse. Avez‑vous pu alerter le ministre de l'Éducation nationale sur ce dossier ? Les formations ne sont pas obligatoires et cela pose beaucoup de difficultés dans la gestion du quotidien.

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Madame la Contrôleure, je vous remercie de défendre la dignité et la liberté de ceux qui l'ont perdue en partie. Je dénonce ici régulièrement une dérive de plus en plus sécuritaire de notre droit. Je le trouve même parfois liberticide. On oublie trop souvent l'esprit de la loi pour n'en retenir que la lettre. L'individu est bien souvent en souffrance face à l'administration.

Avez-vous pu mesurer, avant la crise du Covid, les effets sur la surpopulation carcérale des différentes mesures qui ont été prises pour développer les mesures alternatives à la détention ?

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Depuis quelques années, la situation géopolitique se répercute sur notre système carcéral et se traduit par une augmentation de détenus incarcérés pour des faits liés au terrorisme et placés dans des quartiers spécifiques.

Vous avez récemment souligné que ces conditions de détention sont « de nature à porter atteinte, de diverses manières, à leurs droits fondamentaux ». Vous proposez que ces détenus puissent préparer leur sortie de prison, car toute absence d'aménagement de peine, comme c'est le cas avec la loi de 2016, conduirait à une radicalisation plus extrême. Illustration de cet engrenage de la récidive, les quartiers spécifiques constitueraient alors davantage un outil de gestion d'une population considérée comme difficile qu'un outil permettant une véritable prise en charge dont le but est d'éviter un passage à l'acte violent.

Récemment notre commission et notre assemblée ont adopté en première lecture une proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leurs peines. À cette occasion le Conseil d'État a fait un état des lieux de l'ensemble des dispositifs de lutte contre le terrorisme et sa récidive. Dans son avis, il mentionne « la grande complexité de ces outils liés à leur nombre, à leur inspiration parfois très différentes, au cumul de prescriptions, parfois identiques, parfois voisines, sans que les différences ne soient toujours explicables, sous la responsabilité d'autorités différentes judiciaires ou administratives ».

Le Conseil d'État tire deux conclusions de ce constat. D'une part, cette superposition de mesures susceptibles d'être appliquées aux mêmes fins, à des mêmes personnes, au-delà d'un certain seuil, expose la création de dispositifs nouveaux à un risque de fragilité. D'autre part, cette complexité peut aussi nuire à l'efficacité de l'action de l'État, prise dans ses fonctions administratives et judiciaires, lorsqu'elle appelle l'intervention d'autorités ou de services différents entre lesquels une indispensable coopération reste à construire.

À l'appui de cette analyse, le Conseil d'État juge nécessaire qu'une évaluation de l'ensemble de ces dispositifs soit opérée, dans le cadre par exemple d'un projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement.

Quelle évaluation pouvez-vous faire de ces différents outils afin qu'ils puissent consolider l'équilibre entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés reconnus par la Constitution ?

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Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Madame la Présidente, les responsables des autorités administratives indépendantes sont régulièrement interrogés sur le suivi de leurs recommandations. Au fond, tout cela, sert-il à quelque chose ?

Beaucoup de résultats ne se voient pas. Souvent, à l'issue des visites d'établissements, nous rassemblons les équipes dirigeantes et effectuons une réunion de restitution. Nous leur faisons part des dysfonctionnements que nous avons repérés et éventuellement de nos propositions pour y remédier. Finalement, entre la visite effectuée dans l'établissement et la remise du rapport au ministre, la situation peut déjà évoluer.

Ce regard extérieur permet aux établissements, qui souvent ont « la tête dans le guidon », de faire évoluer leurs pratiques et d'apporter les rectifications nécessaires. Cela ne se voit pas mais c'est la première conséquence de notre action.

Pour moi, les recommandations ne sont bien évidemment jamais suffisamment suivies. Toutefois, nous avons désormais davantage de visibilité sur le résultat de nos actions grâce à un tableau de bord que nous avons mis en place depuis trois ans. Nous l'envoyons annuellement aux ministres qui peuvent ainsi nous informer sur les actions mises en place en lien avec chacune des recommandations que nous avons formulées. En ce qui concerne les personnes privées de liberté, on s'aperçoit que certaines recommandations matérielles, extrêmement importantes pour elles, sont suivies d'effets.

Mais nous constatons aussi que rien ne bouge s'agissant de certaines des atteintes que nous dénonçons depuis douze ans. J'ai cité l'exemple de la garde à vue. De même, il est inadmissible qu'un surveillant soit présent lors de l'examen par le médecin d'un détenu extrait à l'hôpital, quel que soit son degré de dangerosité. Cette pratique n'est pas conforme à la loi. Or, lors de nos visites, nous constatons que tous les détenus se font examiner, parfois anesthésier et opérer, en présence de surveillants. Des femmes accouchent encore en présence de surveillantes – parfois même en étant menottées. Or, la loi de 2009 l'interdit.

Ces atteintes inadmissibles à la dignité des personnes sont assumées par le pouvoir politique, mais souvent les ministres les découvrent lorsque je les alerte. Or, ces situations perdurent. Il y a là quelque chose qui ne va pas. Il faudrait donner des instructions très précises, faire procéder à des enquêtes par les inspections pour que ces atteintes ne se reproduisent plus.

Je ne sais pas ce qu'il adviendra de ma proposition visant à développer davantage internet dans les lieux de privation de liberté. Je ne suis pas sûre que le pouvoir politique nous écoutera totalement. Pendant des années, mes propos sur la régulation carcérale étaient jugés intéressants mais sont restés sans effet. J'espère qu'après la crise, elle sera inscrite dans la loi. Il y a toujours des avancées, il y a surtout des discussions avec différents interlocuteurs, avec les organisations professionnelles, le pouvoir politique, la représentation nationale. Ces échanges contribuent à faire évoluer les choses.

Je m'en réjouis parce que j'en avait fait une priorité, c'est dans le secteur psychiatrique que les évolutions ont été les plus nombreuses. La loi de 2016 a ainsi repris des propositions que nous avions faites sur l'isolement et la contention.

Depuis 2016, le milieu psychiatrique s'est emparé de ce débat et de nos constats. Désormais, il ne nous perçoit plus comme « l'empêcheur de tourner en rond », ce qui est parfois encore le cas de l'administration pénitentiaire. Il a compris que le regard extérieur que nous portons leur permet de faire évoluer les pratiques.

C'est en cela que les autorités administratives indépendantes ont un rôle extrêmement important à jouer : sans pouvoir d'injonction, ce que je ne regrette pas, mais grâce à ce regard extérieur, elles peuvent faire évoluer les pratiques.

En tout cas, même si nous ne sommes pas suffisamment écoutés, notre indépendance est totalement respecée – c'est vrai aussi pour le Défenseur des droits et pour la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) – et les échanges sont de plus en plus fréquents. Je regrette cependant que la réponse des ministres suite à une recommandation en urgence, un avis transversal ou une recommandation publiée au Journal officiel, n'arrive pas à temps ou n'arrive pas. Il est inadmissible que le ministre ne trouve pas le temps de nous répondre lorsque nous estimons que la situation est tellement grave que nous nous adressons directement à lui sans faire de procédure contradictoire avec l'établissement concerné.

Madame la députée Avia, je crois qu'il y a eu moins de 100 cas d'éloignement. En tout cas, la situation me semble très inquiétante. Lorsque je me suis rendue au CRA de Vincennes en avril, le centre venait de découvrir quatre cas de Covid. Ces personnes avaient, effectivement, été mises à l'écart, dans des institutions non privatives de liberté. En revanche, les autres personnes étaient extrêmement angoissées. Les chambres des personnes retenues et les installations sanitaires étaient très détériorées. Un seul point d'eau fonctionnait : tout au long de la journée, les personnes appuyaient toutes sur le même bouton, ce qui ne pouvait que favoriser les contaminations.

De façon générale, la situation de ce centre de rétention, en matière de santé et de dégradation des locaux, est dramatique et ne s'est pas améliorée entre nos différentes visites.

Concernant les communications, c'est le juge d'instruction qui autorise, ou pas, les coups de fil et les visites pour les personnes en détention provisoire. Ensuite, lorsque la personne est condamnée, la décision revient au directeur de l'établissement, sur la base d'enquêtes qu'il peut demander. Les communications des détenus avec leurs familles peuvent être suspendues, mais cela serait peu opportun. Je vous rappelle que ces communications sont très surveillées : les conversations téléphoniques sont écoutées et le courrier est lu.

La proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine que vous avez récemment votée m'inquiète car on ne peut pas prendre des décisions de restriction de liberté au motif que la personne est perçue comme pouvant être dangereuse après avoir purgé sa peine. Pointer une ou plusieurs fois par semaine au commissariat ou porter un bracelet électronique constituent des restrictions de liberté.

Ce serait un changement de paradigme total. On ne peut pas condamner des personnes pour des délits qu'elles pourraient être amenées à commettre, sauf à modifier complètement la philosophie du droit pénal et de la procédure pénale.

La loi de 2016 ayant supprimé presque tous les aménagements de peine pour les détenus purgeant des peines de terrorisme, on s'inquiète aujourd'hui de ces sorties sèches et on souhaite prendre des mesures. Cette mesure de 2016 était inadaptée. Ces détenus, dont certains peuvent être dangereux, j'en conviens, sortiront un jour. Plus on les stigmatise, moins on prépare leurs sorties, plus on prend de risques pour eux et pour la société. C'est la raison pour laquelle je suis totalement opposée à cette proposition de loi.

Madame Untermaier, le numerus clausus et la régulation carcérale sont des cousins. Simplement, le premier a un caractère automatique qui me semble dangereux : si la prison est occupée à 100 %, on fera systématiquement sortir le détenu qui se trouve le plus près de sa date de libération pour incarcérer quelqu'un. Dans le cas de la régulation carcérale, on étudie la situation des détenus qui se trouvent par exemple à deux mois de leur fin de peine et on favorise la libération de ceux qui ont un domicile, un travail, une famille. En tout cas, l'objectif est de rester à 100 % d'occupation.

Concernant la question de l'enseignement, je n'ai pas eu l'occasion de m'entretenir avec le ministre de l'Éducation nationale, mais je partage vos inquiétudes sur l'enseignement et les difficultés des directeurs d'école impliqués qui sont en sous effectifs.

Monsieur le député Molac, la loi de programmation de la justice et ses mesures relatives aux peines, que vous avez votées en mars 2019, sont entrées en vigueur le 24 mars 2020, soit en pleine période de confinement. Il est donc trop tôt pour se prononcer et l'on pourra j'espère faire un bilan dans un an.

En ce qui concerne l'avis du Conseil d'État et plus particulièrement les mesures de radicalisation, de prévention et de prise en charge de la radicalisation en prison, je me demande comment les directeurs et les surveillants d'établissements pénitentiaires parviennent à s'y retrouver. Depuis 2015, les dispositifs se superposent, unités dédiées, QER, QPR, avec le renseignement pénitentiaire qui intègre la communauté du renseignement intérieur. Le millefeuille finit par être indigeste. C'est souvent incompréhensible pour ceux qui doivent appliquer ces mesures.

La situation des magistrats est comparable. Ils sont assommés par toutes ces lois successives. Ils n'ont pas encore eu le temps de digérer une réforme, qu'une nouvelle est annoncée.

De façon générale, il n'y a pas suffisamment d'évaluations des dispositifs mis en place. On les évalue un tout petit peu, voire pas du tout, et puis on en met un autre en place. Ça devient impossible.

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Député de Seine-Saint-Denis, je constate, dans mon département, depuis une vingtaine d'années, un effondrement de tous les dispositifs de psychiatrie en milieu ouvert. Les gens sont soit dehors soit enfermés, mais il n'existe pas d'alternative en milieu ouvert avec des dispositifs de suivi adaptés. Quel est votre sentiment ? Faites-vous le même constat ? Quelles alternatives à l'enfermement préconisez-vous ?

En tant que Contrôleure des lieux de privation de liberté, avez-vous comparé nos résultats avec ceux des différents pays européens en matière de lutte contre la récidive ? La prison est une sanction, mais ce doit être aussi le lieu où l'on doit favoriser la réinsertion de la personne dans son intérêt et dans celui de la société. Or, il semblerait que la France soit assez mal placée s'agissant du taux de récidive. Qu'en est-il exactement ?

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Madame la Contrôleure générale, je ne partage pas le constat catégorique que vous faites sur les centres éducatifs fermés. Vous dites qu'ils ne fonctionnent pas, que les projets éducatifs sont insuffisants, que les familles n'y seraient pas assez présentes… Je vous invite à prendre connaissance du rapport que nous avions rédigé avec Cécile Untermaier sur la justice pénale des mineurs. Dans le cadre de cette mission d'information, nous avions visité le CEF d'Epinay-sur-Seine, qui fonctionne parfaitement avec une équipe éducative performante et où les jeunes sont bien encadrés.

Il en est de même pour les CRA, dont vous dites qu'ils sont vétustes et détériorés. Or, dans le cadre du contrôle parlementaire, j'ai visité des CRA, notamment celui de Toulouse. L'établissement est effectivement vétuste, mais il propose un accueil convenable pour les familles. Tout n'est pas blanc ou noir : la vérité se trouve souvent au milieu.

Pourriez-vous revenir sur la situation des établissements pour mineurs ? Il y a deux ans, vous aviez souligné qu'il y avait de nombreux mineurs non accompagnés dans ces structures, avec des décisions de justice parfois disproportionnées. Quel constat faites-vous cette année ?

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Je partage votre préoccupation quant à la présence d'enfants dans les CRA : ils n'ont rien à y faire. Nous sommes plusieurs à avoir soulevé ce problème. Dès 2009, j'avais présenté un rapport sur les centres de rétention et, déjà, demandé que les enfants ne puissent pas y être envoyés. Or, la situation s'est aggravée depuis puisque la durée pendant laquelle ils peuvent être retenus s'est allongée. La commission des Lois a réagi, mais la proposition qui nous a été faite ne règle pas le fond du problème et permet de continuer à placer des enfants dans ces centres où ils n'ont rien à y faire. Il faudra bien qu'on décide un jour que les enfants ne peuvent tout simplement pas être retenus dans un CRA.

Je conçois qu'il y a un problème. Savez-vous comment les choses se passent dans les autres pays européens ? Les enfants peuvent-ils se trouver dans des centres de rétention ou existe-t-il d'autres solutions ?

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À la demande de la commission des Lois, nous avons remis, avec mon collègue Éric Diard, un rapport sur la radicalisation en prison. Nous avions constaté que la plupart des auteurs des attentats de 2015 s'étaient radicalisés en prison et nous souhaitions évaluer ce phénomène pour le prévenir et envisager peut-être des évolutions de ces dispositifs.

Je ne partage pas tout à fait votre sentiment selon lequel la radicalisation ne serait pas définie. Elle l'est, mais ses frontières sont instables et difficiles à identifier, notamment parce que la personne radicalisée ne souhaite pas être identifiée comme telle. La dissimulation est possible, en la matière. Je suis donc choqué lorsque vous dîtes qu'il faudrait informer le détenu radicalisé de son évaluation.

En revanche, nous partageons votre appréciation sur les QER. Ces dispositifs doivent être améliorés en matière d'évaluation et de détection. Lors d'un entretien avec la garde des Sceaux, nous avons d'ailleurs appris que la grille d'évaluation avait été affinée récemment. Elle prend désormais en compte chaque élément du spectre de la radicalisation et son évolution.

Beaucoup de femmes radicalisées reviennent des zones de combats. Que pensez-vous de la mise en place de QER spécifiques pour ces détenues ?

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S'agissant des détenus radicalisés, toutes les informations qui remontent des acteurs de terrain sont inquiétantes. La situation au quotidien est difficile à gérer car ils ont des comportements parfois très prosélytes en prison. L'isolement et l'étanchéité des dispositifs sont-ils des garanties suffisantes, selon vous ? Vous pointez l'insuffisance de l'accompagnement de ces détenus. Quel accompagnement pourrait permettre de rendre ces personnes moins dangereuses ?

Le nouveau garde des Sceaux s'est prononcé pour le retour des djihadistes sur le sol national. Pour notre part, nous plaidons plutôt pour la déchéance de la nationalité et l'impossibilité d'un retour pour ces personnes. La CEDH a d'ailleurs récemment validé une décision de la France rendue en faveur de la déchéance de la nationalité. Nos établissements vous semblent-ils prêts à accueillir la masse de ces détenus ? Dans quelles conditions cela serait-il possible ?

Enfin, des CRA sans enfant conduiraient à séparer des familles. Le problème ne vient-il pas plutôt des procédures d'expulsion ? Comment pourrait-on fluidifier les passages en CRA pour que les personnes qui ne peuvent bénéficier de la protection et de l'accueil de la France soient en mesure de repartir le plus rapidement possible dans leur pays ?

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Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Monsieur le député Peu, je suis d'accord avec vos propos sur l'effondrement des dispositifs en extra-hospitalier. La situation dont souffre particulièrement la Seine-Saint-Denis est globalement la même partout.

Depuis 30 ans, le nombre de lits d'hospitalisation a diminué des deux tiers sans qu'on ait mis en face l'équivalent en moyens pour développer l'extra-hospitalier. Ainsi, quelqu'un souffrant de troubles ne pourra pas obtenir de rendez-vous dans un centre médico‑psychologique (CMP) avant six mois. Or, tous les psychiatres nous le disent, de tels délais conduisent à une hospitalisation voire à une hospitalisation sous contrainte car, pendant ce laps de temps, les troubles vont s'aggraver. Il existe donc un lien de causalité important entre l'insuffisance des moyens extra-hospitaliers et la hausse du nombre d'hospitalisations sans consentement.

Ces malades passent souvent d'abord par les urgences générales d'un hôpital. À Saint-Étienne – et cela nous a amenés à faire des recommandations en urgence – certains patients ont passé huit jours aux urgences, attachés sur un brancard, sans pouvoir aller aux toilettes, ni boire ni manger. Voilà comment les choses se passent dans notre pays, dans certains lieux !

Quand nous visitons un établissement nous examinons également l'organisation en extra-hospitalier. La situation est toujours corrélée : les hospitalisations sans consentement sont moins nombreuses lorsque l'extra-hospitalier est assez développé. À cet égard, les inégalités sont criantes sur le territoire et je ne doute pas que la Seine-Saint-Denis soit particulièrement concernée. Le plan santé annoncé à l'été 2018 établissait d'ailleurs ce constat mais ne prévoyait pas de moyens suffisants pour l'extra-hospitalier.

Dans certains pays européens, notamment en Italie, l'hospitalisation forcée n'existe pas. Les structures extra-hospitalières y sont en revanche extrêmement développées. Ainsi, il n'y a plus d'hôpitaux psychiatriques à Trieste depuis quarante ans – des hospitalisations de deux ou trois jours peuvent intervenir en pleine crise. Les gens sont soignés en extra-hospitalier dans une optique d'insertion sociale. On ne soigne pas seulement le trouble mental : on soigne aussi la place de la personne dans la société, car, souvent, les choses sont liées. Je vous invite à vous reporter au rapport Psychiatrie et soins sans consentement - Les droits fondamentaux à l'épreuve des soins sans consentement.

La représentation nationale s'est saisie de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé pour y inclure un article sur l'isolement et la contention. C'est un progrès, certes insuffisant comme le Conseil constitutionnel vient de le dire, mais c'est aussi le signal qu'il n'y aura pas, avant la nuit des temps, de véritable loi sur la santé mentale et la psychiatrie. Or, un tel texte est nécessaire. Il permettrait de prioriser l'extra-hospitalier et donc de parvenir à une diminution du nombre d'hospitalisations.

Concernant la lutte contre la récidive et les mesures alternatives à l'incarcération, nous sommes très loin derrière tous les pays du nord de l'Europe, que ce soit le Danemark, la Suède ou la Norvège.

Il faudrait, et cela me tient beaucoup à cœur, faire comprendre à nos concitoyens qu'une condamnation à une peine alternative, comme le port d'un bracelet électronique, n'est pas une relaxe. Porter un bracelet électronique pendant six mois, ce n'est pas rien ! Ce n'est pas facile à vivre ; cela figurera sur le casier du condamné et l'empêchera de faire un certain nombre de choses.

Monsieur le député Terlier, vous n'êtes pas d'accord avec ma sévérité. J'ai cependant visité tous les CEF. Heureusement, certains fonctionnement mieux que d'autres, mais les dysfonctionnements sont majoritaires. Ces établissements proposent peu d'activités, pas de projets éducatifs et on y trouve des équipes en crise permanente. Parfois, elles passent autant de temps à essayer de gérer leurs crises qu'à s'occuper des jeunes. En outre, comme ces CEF ne sont pas attractifs, ce sont souvent des sortants d'école qui en prennent la tête avec l'envie de les quitter rapidement. Bref, le bilan n'est vraiment pas bon.

Sur les CRA, vous avez cité Toulouse et le bon accueil des familles qui y est fait tout en précisant que ce centre était très vétuste. D'une manière générale, les gens sont entassés, les conditions d'hébergement ne sont pas satisfaisantes. On n'a pas le droit de laisser pendant trois mois des personnes sans activité. Ce qui était tolérable pendant quelques jours ne l'est plus depuis que la période de rétention a été allongée. Elles se retrouvent à errer ou sont massées devant l'unique téléviseur du centre. Ces conditions ne sont pas dignes.

Concernant les établissements pour mineurs (EPM), le constat est toujours d'actualité : la situation est insatisfaisante. On y retrouve jusqu'à 50 % de mineurs non accompagnés dont on ne sait quoi faire. Ils vont sortir sans préparation et sans possibilité de bénéficier d'un placement de l'aide sociale à l'enfance.

Madame Pau-Langevin, concernant la rétention des enfants, je rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à ce sujet pour la première fois en 2012, puis cinq fois en 2016. En Europe, je crois que certains pays ne pratiquent pas l'enfermement des enfants.

En tout cas, l'assignation à résidence est une alternative à l'enfermement. Personne ne dit qu'il faut interdire l'expulsion et la reconduite à la frontière de familles avec enfants quand cela est nécessaire. Il ne s'agit pas de créer un appel d'air. En revanche, dès lors qu'il y a des enfants, il faut remplacer le placement en centre de rétention par une assignation à résidence.

Monsieur le député Poulliat, je prends acte de cette nouvelle grille sur la radicalisation dont vous a parlé la garde des Sceaux. J'espère qu'elle sera rapidement utilisée car ce sujet est un serpent de mer. Cela fait cinq ans qu'il en est question. En fonction des décisions politiques qui seront prises, de plus en plus de femmes seront en effet incarcées. Les mesures envisagées en matière de lutte contre la radicalisation devront donc les concerner.

Monsieur le député Di Filippo, quel que soit le motif de la condamnation, les détenus doivent être accompagnés. À cet égard, la loi de 2016 n'était pas bonne. Les détenus qu'elle visait sortiront un jour et ils ne doivent pas être exclus des politiques d'aménagement de peine. Plus on les stigmatise, avec des mesures extrêmement sévères, moins on les prépare à la sortie et plus on met la société en danger.

Concernant le retour en France des djihadistes, lorsque le Gouvernement souhaitait le favoriser, il y a deux ans, l'administration pénitentiaire avait fait savoir que les établissements étaient prêts. Depuis, la ligne gouvernementale a changé, mais je pense qu'ils le sont encore.

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La Délégation parlementaire au renseignement (DPR) partage votre diagnostic sur la nécessité de créer au moins un quartier d'évaluation de la radicalisation pour les femmes.

Sans chercher à faire la publicité de ma proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, je pense qu'un dispositif de sûreté n'est pas incompatible avec une prise en charge des personnes radicalisées au cours de la détention. Nous mettons cet outil complémentaire à la disposition des magistrats quand la dangerosité d'un individu est avérée, dans un contexte de sortie sèche et lorsque tous les dispositifs de réinsertion à l'intérieur de la détention ont échoué.

Jusqu'à présent, nous étions démunis et il fallait prévoir, à mon sens, un dispositif supplémentaire. C'est également ce qu'a estimé la majorité de notre Assemblée puisque la proposition de loi a été votée très largement en première lecture. Je sais que nous ne parviendrons pas à nous mettre d'accord sur ce point mais, et c'est bien normal, nous sommes chacune dans notre rôle.

En tout cas, je vous remercie pour ces six années au service de toutes les personnes privées de liberté.

La réunion se termine à 19 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Laetitia Avia, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Émilie Guerel, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, M. Paul Molac, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, M. Éric Poulliat, M. Bruno Questel, M. Hervé Saulignac, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Cécile Untermaier

Excusés. - Mme Huguette Bello, M. Éric Ciotti, M. Philippe Dunoyer, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Fabien Matras, Mme Emmanuelle Ménard, M. Rémy Rebeyrotte, Mme Maina Sage

Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Fabien Di Filippo