Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 11h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • antisémitisme
  • noir
  • racisme

La réunion

Source

La mission d'information procède à l'audition de M. Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'Outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'Outre-mer.

La séance est ouverte à 11 heures 05.

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La mission a été créée en décembre 2019, avant que la mort de George Floyd aux États-Unis, et les manifestations qu'elle a provoquées, ne nous interrogent encore davantage, dans ce climat très particulier.

La mission vise à analyser les nouvelles formes de racisme et leur évolution. Forts de cet état des lieux, nous souhaitons ensuite proposer des mesures, dont certaines pourraient être d'ordre législatif, afin de mieux prendre en compte cette problématique. Nous avons auditionné des universitaires et sommes heureux de vous entendre.

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M. Robin Réda, président de la mission, avait souhaité pouvoir vous entendre. Malheureusement, il est retenu en circonscription par une visite ministérielle. Mais nos auditions sont filmées et retranscrites. Il pourra donc en prendre connaissance ultérieurement.

La mission est très attachée à l'universalisme, mais cela ne nous empêche pas d'étudier plus spécifiquement les caractéristiques de certaines cibles du racisme. Votre expérience outre-mer vous permettra sans doute de nous éclairer sur les racismes qui prédominent dans les territoires ultramarins.

Votre profil nous intéresse également car, dans le cadre de vos différentes missions et fonctions, vous avez non seulement appelé de vos vœux, mais surtout mis en œuvre, les politiques publiques dédiées à cette question. Vous pourrez donc nous donner votre opinion sur la prise en charge du racisme par la puissance publique.

Quelles sont les spécificités du racisme dans les quartiers et dans les territoires ultramarins ? À quels obstacles les politiques publiques doivent-elles faire face ?

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Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer

Je vous remercie d'avoir pensé à m'auditionner sur cette question extrêmement importante : d'origine arabe, je viens des Antilles – de Guadeloupe – et je suis un militant de la cause ultramarine, de l'égalité et de la lutte contre les discriminations et contre tous les racismes. J'ai occupé différentes fonctions dans le milieu associatif : j'ai été président du CollectifDom ; j'ai fondé le Conseil représentatif des Français d'outre-mer (CREFOM) avec Victorin Lurel, alors ministre, qui est composé d'associations et de parlementaires, j'en ai pris la présidence et j'ai été réélu à l'unanimité ; je suis vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge de la jeunesse, de la vie associative et de la lutte contre les discriminations. Il s'agit d'un engagement fort de la région, qui finance certaines actions de testing ou des poursuites pénales.

Le combat contre le racisme doit rester universaliste. Il est extrêmement dangereux de séquencer les combats en fonction de la couleur de peau de la victime. J'entends dire que le racisme anti-Blanc n'existe pas. C'est extrêmement choquant. Il existe et l'origine de la victime n'a rien à voir avec la construction intellectuelle du racisme.

Certains courants de pensée diffusent des idées particulièrement dangereuses pour le vivre ensemble. Nos compatriotes métropolitains, victimes de violences parce qu'ils sont blancs, ne peuvent pas entendre qu'ils ne sont pas victimes de racisme. Certes, ils ne sont pas victimes de discrimination puisqu'ils appartiennent à la population qui tient les rênes de l'économie et encadrent les entreprises, même si le réseau est important. En outre, les discriminations ne sont pas seulement liées à la couleur de peau : vous pouvez être âgé, malade, être discriminé en raison de votre orientation sexuelle ou de votre sexe. Il faut aussi y être attentif.

Je ne confonds donc pas discrimination et racisme. Le racisme n'est pas lié à une construction. Je suis docteur en sciences politiques et je ne peux l'entendre. Ma thèse de sciences politiques était centrée sur l'islamisme politique et j'ai été chargé par la présidente de région d'écrire la charte régionale des valeurs de la République et de la laïcité. Pas un mot, ni une virgule, n'a été retouché. Elle s'applique à toutes les actions que nous menons. Nous avons développé des outils et affecté des financements extrêmement importants – plusieurs millions d'euros – afin de lutter contre tous les racismes et l'antisémitisme. Le bilan est particulièrement probant. Nous soutenons des associations peu financées par la puissance publique afin qu'elles puissent aller en justice. Il s'agit d'associations de lutte contre l'homophobie, contre le racisme anti-Asiatique, contre le racisme anti-Noir, etc.

Il faut être très attentif à ce qu'on lit dans les médias : plusieurs fois, le CollectifDom y a été classé comme association identitaire. Je l'ai présidé et c'est moi qui ai pris la décision d'attaquer en justice M. Pétré-Grenouilleau, historien. Cette action avait suscité une véritable bronca. Pourquoi l'avions-nous engagée ? Non pas, comme il le prétend, parce que nous ne voulions pas que l'on parle de l'esclavage intra-africain ou arabe. C'est une réalité et le travail de mémoire réalisé en Europe doit aussi l'être dans ces pays. Nous l'avions poursuivi car, dans le Journal du Dimanche, il avait déclaré que la reconnaissance de l'esclavage comme crime contre l'humanité par la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, dite Taubira, était responsable de la montée de l'antisémitisme. Nous ne pouvions l'accepter.

J'ai parcouru son livre et n'ai pas grand-chose à en dire sur le plan scientifique, mais ces propos n'étaient absolument pas tolérables car ils engageaient les uns les autres dans une concurrence des mémoires. Cette dernière n'est pas acceptable. Un universitaire dont l'importance des travaux est reconnue ne doit pas alimenter la confusion. Je lutte contre l'idéologie de Dieudonné depuis des années. En tant que président du CREFOM, je me suis rapproché du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et nous avons noué un partenariat – le seul du CRIF. J'ai organisé la visite du président du CRIF aux Antilles pour qu'il puisse installer le CRIF Antilles-Guyane.

Le CREFOM a également attaqué la décision d'affectation d'une universitaire nantaise, qui devait être nommée comme universitaire à la Réunion. Contrairement à d'autres associations, nous ne l'avons pas fait parce qu'elle était nantaise. Le CREFOM était parfaitement responsable. Je rappelle qu'il comprenait une trentaine de parlementaires, des présidents de collectivités, plusieurs centaines d'associations et de personnalités. Nous avons attaqué la décision pour vice de forme et rupture d'égalité. D'ailleurs, le tribunal administratif nous a donné raison et a cassé son arrêté de nomination.

Certaines associations auxquelles les médias accordent une importance démesurée soutiennent des courants de pensée extrêmement choquants. J'ai exclu beaucoup d'entre elles des financements régionaux car on ne peut partir du postulat que les Noirs, les Arabes, les musulmans sont des victimes et les Blancs des racistes qu'il faut condamner, au risque d'engager le pays dans la guerre civile. Outre-mer, le sujet est extrêmement brûlant. Kémi Seba, l'homme qui a créé la Tribu Ka, est allé à Fort-de-France et il a fait salle comble : 2 000 personnes ont écouté son discours racialiste. C'est très choquant et cela n'aurait pas été possible il y a quelques années dans nos départements, métissés. Pourquoi donner autant de poids à ces personnes qui ne sont pas représentatives de la société ? Cela suscite alors la curiosité.

Pour exister dans les médias, il faut tenir des discours caricaturaux, se prononcer contre le métissage, contre les Blancs, considérer qu'il existe des racisés. Je serai un racisé puisque je suis d'origine arabe. Plutôt que de revendiquer mes origines, je revendique ma culture guadeloupéenne. On parle de question noire, mais quelle question noire ? Une personne d'origine africaine ou venant d'Afrique n'a rien à voir avec un Guadeloupéen ou un Martiniquais ! J'ai toujours combattu les associations comme le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), à l'époque du CollectifDom comme du CREFOM. Un Blanc français ne serait pas la même chose qu'un Blanc russe ou allemand, mais la couleur pourrait rassembler tous les Noirs ? Qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut-il dire que les Noirs ne sont pas capables de développer des cultures ou des identités qui dépassent leur couleur, leur taux de mélanine ? C'est complètement incompréhensible. C'est du racisme.

Il n'y a pas de question noire, comme il n'y a pas de question blanche. La problématique centrale est celle de la citoyenneté : nous devons être des citoyens égaux et combattre de la même façon tous ceux qui discriminent, à la fois ceux qui discriminent nos concitoyens parce qu'ils sont noirs, africains, antillais, musulmans, et ceux qui considèrent que la société comporte d'un côté les racisés – les Noirs, les musulmans – et, de l'autre, les Blancs. Ces deux extrémités peuvent précipiter la France dans la confrontation.

Dans les banlieues, une idée dangereuse se répand : un Blanc est forcément coupable et un Noir ou un musulman, forcément victime. S'il ne réussit pas, ce n'est donc pas forcément de sa faute.

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Nous avons bien entendu votre appel à la vigilance contre toutes les formes de racisme. L'antisémitisme tient-il une place particulière au sein du racisme ?

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Vous avez été militant, et disposez désormais des cordons de la bourse d'une région pour financer les politiques publiques dans votre champ de compétence. L'audience des anti-universalistes vous empêche-t-elle de les déployer comme vous le voulez ? Y a-t-il d'autres obstacles, non-médiatiques, mais plutôt intrinsèques à la société ou aux institutions ?

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Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer

En Île-de-France, trois sujets sont majeurs : la place des femmes dans la société et les nouvelles formes de discriminations et de soumission qui peuvent leur être imposées ; l'homophobie ; l'antisémitisme.

Il ne faut pas non plus occulter le racisme anti-Chinois que nous avons vu naître et déferler au moment de la covid. La violence était alors absolument abominable sur les réseaux sociaux. Nous avons tenu à recevoir la communauté chinoise, et plus largement asiatique, car beaucoup ne font pas la différence.

Vous avez raison, l'antisémitisme est un sujet majeur et une nouvelle forme d'antisémitisme se développe en plus de celui de l'extrême droite. Dans les banlieues, certains courants confondent Israël et les juifs. Ils considèrent qu'un juif est un sioniste et qu'un sioniste doit être combattu. Régulièrement, des incidents interviennent dans les écoles contre les enfants, simplement parce qu'ils sont juifs : quand on prend un enfant, qu'on le met dans la poubelle de la classe et que le corps enseignant ne réagit pas, cela n'incite pas les agresseurs à ne pas recommencer… Les victimes et les témoins nous font part de pressions dans les quartiers.

Les inspecteurs généraux de l'éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), auxquels j'appartiens, ont demandé une mission d'inspection sur les dérives communautaristes et islamistes dans les associations sportives et de jeunesse. Dans le sport, il peut y avoir quelques dérives antisémites, mais cela n'a pas la violence que l'on peut connaître dans d'autres secteurs de la société.

Vous m'interrogez sur ma mission. La charte que j'évoquais s'applique à tous les secteurs auxquels la région verse des subventions. Elle permet d'éliminer les acteurs qui tiendraient des propos ou des discours non conformes. Avant de verser une subvention, nous réalisons des recherches approfondies sur l'association et ses dirigeants. Ainsi, ceux qui prônent le boycott d'Israël, comme les membres du mouvement « Boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS) ne peuvent être subventionnés puisque la Cour de cassation a indiqué que ce type d'action était illégal. Nous respectons donc le cadre légal. Il ne s'agit pas seulement de laïcité, mais aussi de défense des valeurs de la République.

Que finançons-nous ? À la fois des actions de prévention et de sensibilisation, du testing, non uniquement pour témoigner, mais comme base de procédures judiciaires, avec SOS Racisme, la Maison des potes ou des dizaines d'autres associations œuvrant dans le secteur de l'emploi, du logement, de la promotion des femmes ou contre toutes les formes de racisme.

Tous les ans, nous finançons un appel à projets contre les violences, qui recoupe nos actions en faveur des femmes, contre les discriminations, l'homophobie et l'antisémitisme. L'an passé, 800 000 euros ont été versés, auxquels s'ajoutent 2 millions d'euros au titre de la politique de la ville. Là encore, nous finançons des associations qui poursuivent en justice ceux qui s'en prennent aux populations en raison de leur origine, de leur couleur de peau, de leur religion, quelle qu'elle soit.

Pour les femmes, nous nous battons contre toutes les nouvelles formes de dérives : port forcé du voile intégral, abandon imposé de la scolarité, excision, violences intraconjugales et sur la voie publique. Nous finançons là encore des actions de prévention, de sensibilisation et de formation des professionnels, mais aussi des actions répressives car il nous semble que la sanction est pédagogique.

Je regrette que beaucoup d'associations que nous finançons aient du mal à trouver les compléments de financements pour disposer de l'intégralité de leur subvention – nous ne pouvons pas aller au-delà de 50 % de subvention. Ainsi, Stop homophobie est l'association qui engage le plus de procédures judiciaires. Quand nous lui octroyons 50 000 euros, elle a beaucoup de mal à trouver les 50 000 autres euros. La Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) finance des opérations de sensibilisation plus que des procédures judiciaires, et les villes ne financent pas ces dernières. Or il faut utiliser toute la palette d'outils.

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Chapeau, monsieur Karam ! Je tiens à vous exprimer publiquement mon admiration pour le combat acharné que vous menez depuis des années, contre tous les racismes : anti-Noirs, anti-Asiatiques, anti-juifs, mais aussi le racisme anti-Blancs, dont on parle si peu. Je ne veux pas apparaître trop flagorneur ou dithyrambique, mais il faudrait d'autres hommes comme vous et comme Patrice Quarteron, ancien champion du monde de boxe thaïlandaise qui fait, lui aussi, un travail remarquable

S'agissant d'antisémitisme, et de son vieux visage, l'antisionisme, je suis obligé de le dire publiquement, il est grave que des leaders politiques de première envergure et d'un talent incroyable, comme en particulier M. Mélenchon, parlent de l'influence du grand rabbin d'Angleterre après les élections au Royaume-Uni, ou celle d'Israël ou du CRIF. C'est très grave et c'est, pour moi, de l'antisémitisme, de la part d'un surdoué de la politique. Il y a quelques jours, il a rappelé les vieux poncifs du peuple déicide dans une interview, alors que le concile Vatican II et le pape Benoît XVI ont tourné cette page. C'est une faute grave.

Nous portons tous une part de responsabilité. J'ai été effaré d'entendre que Kémi Séba, qui est raciste et racialiste, a réuni 2 000 personnes aux Antilles. Cela souligne l'importance de nos travaux. Il n'y a pas de bons ou de mauvais racismes, nous devons lutter contre tous les racismes, d'où qu'ils viennent, parce que nous sommes tous des humanistes, ce qui n'empêche pas les désaccords.

J'étais vice-président du CRIF lorsque vous avez monté les antennes du CRIF aux Antilles et en Guyane. C'est en partageant ainsi que nous arriverons à faire tomber les barrières. Je veux terminer en évoquant le meurtre terrible de George Floyd. Nous avons tous eu envie de pleurer en voyant les images de sa mort.

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Monsieur Karam, votre travail est d'autant plus remarquable que vous le faites sur la durée.

Je partage l'avis qu'il ne faut pas séquencer les formes de racisme. Il faut combattre le racisme dans sa globalité sans appliquer deux poids, deux mesures en fonction de ses différentes formes. Malheureusement, les associations sont dispersées et il n'y a pas de vision globale. Quelle est votre vision en tant qu'élu de la région Île-de-France en charge de ces questions ?

Comment expliquez-vous qu'il existe un terme spécifique pour le racisme anti-juifs, l'antisémitisme ? Est-ce une forme de prise en compte différenciée ? Dans votre pratique quotidienne, constatez-vous des différences de traitement selon les victimes ? Quelles sont les meilleures solutions à apporter pour qu'il n'y ait pas une forme de racisme mieux appréhendée que les autres, qu'on voudrait taire ?

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Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer

Je ne cherche pas à savoir si le racisme anti-juifs est une forme particulière, je constate simplement son essor dans un certain nombre de quartiers. Le sentiment anti-musulman monte également, dans une confusion généralisée : la famille de ma femme est musulmane, très pratiquante, et ce n'est pas un obstacle pour aimer la République, souhaiter y vivre et y prospérer. Il faut se garder du raccourci assimilant musulmans pratiquants et extrémistes. Moi, je respecte les pratiquants et je combats les séparatistes et tous ceux qui essaient d'imposer leurs propres règles dans nos quartiers.

En Orient, il y avait des juifs : il n'y en a plus. Les chrétiens et les minorités sont en voie de disparition. J'ai réalisé ma thèse sur l'islamisme politique, et j'ai voyagé en Irak, en Syrie et au Liban. Je suis également président de la coordination des Chrétiens d'Orient en danger ; j'ai emmené des parlementaires de tous bords au Levant et en Égypte. Le mouvement de fond qui se développe dans un certain nombre de pays a forcément des conséquences.

Certes, il existe des facteurs sociaux, mais il ne faut pas en faire la seule explication pour trouver des excuses. Aux Antilles, le revenu par habitant est à 65 % de la moyenne nationale, or tout le monde n'y est pas délinquant. Les problèmes sociaux n'entraînent pas nécessairement des comportements antirépublicains ou anti-Blancs, bien qu'il faille surveiller certains mouvements anti-Békés aux Antilles. Lorsque j'étais délégué interministériel, à l'époque du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), la tentation de faire des Békés les boucs émissaires était déjà apparue. J'avais organisé une réunion à haut risque à Paris avec les leaders les plus durs des associations antillaises, notamment des Békés. Pendant quatre heures, en direct sur France O et tous les médias ultramarins, ils se sont expliqués et la tension est retombée. Il fallait démystifier la question, mais on sent qu'elle revient. Les Békés seront les premières cibles de violences si nous ne faisons pas preuve de fermeté. Kémi Séba n'aurait jamais dû être autorisé à mettre les pieds aux Antilles. La République doit être ferme à l'égard de certains discours, et sur les conséquences qu'ils peuvent avoir sur leurs auditeurs.

Pour combattre ces dérives, j'ai créé l'Union nationale des institutions pour la concorde républicaine. Elle n'a pas encore été dévoilée sur la place publique – nous le ferons en septembre-octobre –, mais elle regroupe déjà 240 associations rassemblant les têtes de réseau de toutes les communautés. Il nous a semblé important de nous réunir pour combattre les dérives que nous constatons et tenir un discours différent des propos caricaturaux que nous entendons. Nous négocions également une coordination entre UNIR, le CRIF et le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF). Nous souhaitons aborder la question du racisme sous l'angle universel, et surtout éviter que chacun travaille pour sa propre boutique.

Monsieur Habib, je vous remercie pour ces mots, très amicaux, mais je n'ai pas toujours été d'accord avec le CRIF. En 2005 ou 2006, certains de ses leaders avaient déclaré que les Antillais étaient antisémites parce qu'une représentation de Dieudonné en Martinique avait eu quelque succès. C'était inacceptable. Heureusement, le dialogue est aujourd'hui apaisé et constructif. Notre objectif est de désarmer tous ceux qui souhaitent faire jouer la concurrence des mémoires. Cette coordination est nécessaire, car la concurrence des mémoires sera à nouveau invoquée, et les Békés en feront les frais en outre-mer. Des associations se créent pour éviter qu'une partie de la population ne soit prise pour cible parce qu'elle est Béké. Ici, les Juifs seront en première ligne, et la question des Noirs se posera peut-être un jour.

Je suis un petit Arabe, né à Pointe-à-Pitre dans une famille pauvre. Avant que mon père ne puisse gagner suffisamment sa vie, quand j'avais onze ou douze ans, nous étions huit dans un petit deux ou trois pièces. Je sais que la question sociale est un faux débat, tout dépend de l'éducation et des valeurs qui nous sont transmises. On nous a appris à aimer la France et à chanter la Marseillaise. Mon père ne sait ni lire, ni écrire, et il ne parle pas français, seulement arabe et créole. Mais il m'a appris à aimer et respecter la France, et l'école transmettait aussi ces valeurs fondamentales.

L'éducation doit revenir au centre du projet. Le ministre tient un discours extrêmement séduisant : il doit se traduire en actes. Certaines universités sont aux mains des tenants de théories indigénistes ou racialistes, c'est extrêmement inquiétant. Vous avez reçu Frédéric Régent, c'est un homme estimable, responsable, ses ouvrages sur l'esclavage sont un modèle. D'origine juive, il ne pratique pas la concurrence des mémoires. Il faudrait que les universitaires témoignent que dans un certain nombre d'universités, une idéologie dominante conditionne les recrutements ou les promotions.

La France s'est construite sur un idéal universaliste, il serait grave de donner voix aux particularismes. Et pour l'outre-mer, cela signifierait la guerre civile.

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Il est difficile de lutter contre la discrimination sans indicateur permettant d'en mesurer les conséquences. Quelle est votre position sur l'utilité des statistiques ethniques ?

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Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer

Aujourd'hui, nous disposons déjà de certains éléments tels que l'origine des parents ou le lieu de naissance.

J'ai engagé des centaines de procès à la tête du CollectifDom et fait prononcer des condamnations à tour de bras, y compris de parlementaires.

Je considère que les statistiques ethniques posent un problème. Aux Antilles, elles rappellent un épisode odieux de l'histoire. Je fais mienne l'histoire de France, si les Gaulois n'étaient pas mes ancêtres au sens biologique, ils le sont au sens spirituel. Napoléon ayant rétabli l'esclavage pour les Noirs, il a fallu savoir qui était « noir ». Un procès s'était tenu pour savoir si un homme blanc de peau devait être considéré comme un Noir, et donc esclave. Il en avait été décidé ainsi car un de ses ancêtres de quatrième génération avait du sang noir.

La question raciale a perduré, et l'esclavage a produit du racisme au sein des sociétés antillaises. On parle de peau « chappée » pour les enfants dont les peaux sont plus claires que celles des parents. On incitait les enfants à épouser des partenaires à la peau plus claire, et à ne pas se marier avec les « Nègres », à la peau noire. C'est du racisme – j'ai connu cela enfant.

En Guadeloupe, le métissage s'est répandu beaucoup plus tard qu'en Martinique, mais nous pouvons observer la stratification de la société martiniquaise. La belle-fille d'Aimé Césaire m'a raconté l'histoire de sa famille. Sa mère avait été reniée après avoir épousé un homme plus noir qu'elle. À la naissance de sa fille, la grand-mère qui était presque aveugle a constaté que les cheveux de l'enfant étaient lisses, et donc qu'elle était mulâtre. C'est alors qu'elle a accepté de renouer le dialogue. C'est un témoignage direct, cette femme doit avoir 65 ou 70 ans aujourd'hui.

La question des statistiques ethniques est très concrète pour les Antillais, car elles ont servi de support à la ségrégation. Demain, elles pourraient servir à dénombrer les prisonniers noirs, ou arabes, ou musulmans, pour rapporter ces ratios à ceux de la population générale. Et l'on pourrait présenter les Arabes et les Noirs comme plus violents, et donc les stigmatiser. On pourrait aussi constater qu'ils sont moins représentés dans un certain nombre de métiers, et en déduire qu'ils ne sont pas adaptés pour les exercer parce qu'ils sont moins intelligents, etc.

Je ne crois donc pas que les statistiques ethniques soient la solution ; nous avons d'autres outils à disposition. En outre, l'intérêt n'est pas de quantifier, mais de combattre. Avant même d'être vice-président de la région Île-de-France, lorsque j'étais délégué interministériel sous le président Nicolas Sarkozy, j'ai lancé une politique de testing massif avec SOS racisme et la Maison des potes. J'ai d'ailleurs reçu un courrier peu aimable du directeur de cabinet de François Fillon me reprochant d'avoir demandé à la Maison des potes d'attaquer EuroDisney en justice.

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Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer

Dans les fiches d'emplois, EuroDisney indiquait les origines par pays. Parmi ceux-ci figuraient la France, mais aussi la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane ou La Réunion. Or ce ne sont pas des pays. J'avais bien compris quel était le raisonnement sous-jacent. Il fallait comparer le fichier des postulants et celui des recrutés pour vérifier qu'il n'y avait pas eu de quotas.

Nous avions rencontré beaucoup de résistance, ce qui illustre le problème de formation des policiers. Il faut mettre les pieds dans le plat : qu'il s'agisse de racisme, d'antisémitisme, d'homophobie ou de violences faites aux femmes, il n'y a pas de vraie réponse répressive. Les associations ont les plus grandes peines lorsqu'elles vont déposer plainte. J'ai saisi à plusieurs reprises le Président de la République. Lorsque j'étais délégué interministériel, j'appelais le ministre de l'intérieur ou le ministre de la justice pour faire bouger les lignes. Si un particulier va déposer une plainte, elle sera généralement classée sans suite. S'il est soutenu par une association, il aura un peu plus de chances. Si l'enquête est diligentée, elle sera traitée par-dessus la jambe ou a minima faute de temps, parce que ce n'est pas une priorité pour la police ou la justice, à moins que la presse ne s'en empare et en fasse un cas d'école.

C'est un grave problème : sans pression médiatique, les plaintes en ces matières sont toujours classées sans suite. Il faut former les officiers de police judiciaire, voire envisager la création d'un corps de policiers spécifiques, bien que la multiplication des corps spécifiques puisse poser des problèmes d'effectifs et de compétences universelles au sein de la police. Il reste que les policiers qui mènent ces enquêtes doivent être formés et les mener jusqu'au bout. Les procureurs ne doivent pas classer les plaintes sans suite, comme c'est presque systématiquement le cas. SOS Racisme, la Maison des potes, Stop homophobie et les associations de soutien aux femmes vous confirmeront que les plaignants sont presque systématiquement déboutés. Ce sont pourtant des souffrances, le refus d'un emploi ou d'un logement sont des formes de violence, et les victimes ne se sentent pas pleinement citoyens.

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Frédéric Régent a fait partie des premiers universitaires auditionnés et il était accompagné de Benjamin Stora. Il n'y a donc pas de concurrence des mémoires au sein de cette mission.

Vous avez déclaré que racisme et discrimination étaient deux choses distinctes : il faut être universel et ne pas séquencer le combat contre les discriminations ; mais contre les racismes, les collectifs se constituent autour d'une origine et vous êtes en train de les fédérer au sein d'une union.

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Patrick Karam, vice-président du conseil régional d'Île-de-France en charge des sports, des loisirs, de la jeunesse, de la citoyenneté et de la vie associative, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, fondateur et président d'honneur du Conseil représentatif des Français originaires d'outre-mer (CREFOM), président de la Coordination pour les chrétiens d'Orient (CHREDO), ancien délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer

Il s'agit de l'Union nationale pour la concorde républicaine, mais elle n'a pas encore été présentée au grand public en raison de l'épidémie de covid-19. Elle regroupe 240 associations, parmi lesquelles de nombreuses têtes de réseau. Nous prévoyons également une coordination avec le CRIF et le CCAF parce que ce combat pour la République nous est commun.

Nous devons insuffler à tous ceux qui viennent d'ailleurs la reconnaissance pour la République. Si mon père n'avait pas fait le voyage du Liban à la Guadeloupe, je serai un gardien de chèvres, illettré et analphabète. Je dois tout à la République. On conspue et on insulte la République, j'aimerais entendre de la reconnaissance. Au-delà de l'exemple de Patrice Quarteron, de nombreux Français d'origine étrangère ou ultramarine sont reconnaissants envers la France. Mais les médias n'en font pas écho. Il faudrait poser en exemple un certain nombre de personnes qui parlent de la République avec amour.

Au Liban, lorsqu'un chanteur entonne un chant patriotique, tous ceux qui sont dans la salle se lèvent. Que se passerait-il en France ? Pourquoi est-il tabou d'aimer la France ? Il faut rendre le sentiment de fierté d'être Français. Nous portons un langage universel, la France a une image particulière dans de nombreux pays du monde.

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Nous entendons votre engagement pour ce pays, qui est également le nôtre.

Je précise, sans polémique, à propos du BDS que la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France pour les mesures prises à l'encontre des personnes qui avaient manifesté pour le BDS.

Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.

La séance est levée à 12 h 10.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Réunion du jeudi 23 juillet 2020 à 11 h 05

Présents. - Mme Caroline Abadie, Mme Stéphanie Atger, M. Bertrand Bouyx, M. Meyer Habib, Mme Nathalie Sarles, M. Buon Tan, Mme Alexandra Valetta Ardisson, Mme Michèle Victory.

Excusés. - Mme Fadila Khattabi, M. Robin Reda.