Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 29 juillet 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CVAE
  • c3s
  • compétitivité
  • taxe
  • versement

La réunion

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La commission examine le rapport d'information sur l'application de mesures fiscales (M. Laurent Saint-Martin rapporteur général).

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Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du traditionnel rapport d'information sur l'application des mesures fiscales. Le rapporteur général, M. Laurent Saint-Martin, va maintenant nous présenter ce rapport d'information. Outre l'analyse précise des dispositions réglementaires d'application, ce rapport s'intéresse plus particulièrement, cette année, aux impôts de production.

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Merci monsieur le président et mes chers collègues d'abord d'être présents. Je sais que le calendrier de la présentation de ce rapport d'application des lois fiscales est plus tardif que de coutume pour des raisons évidentes liées à l'examen de plusieurs collectifs budgétaires ces dernières semaines.

Je tenais à le présenter avant la fin de cette session extraordinaire pour pouvoir poser les termes du débat sur une problématique en particulier : les impôts de production. Il me paraissait important de le faire avant la présentation du plan de relance par le Gouvernement pour que nous puissions nourrir la réflexion de chacun au cours du mois d'août.

Il est de tradition pour le Rapporteur général de présenter au mois de juillet ce rapport sur l'application des lois fiscales (RALF). Nous avons procédé à l'examen de trois projets de loi de finances rectificative en l'espace de cinq mois. L'administration fiscale, et je ne lui en fais pas grief, n'a pu répondre que partiellement et au-delà des délais prévus aux questions que je lui avais adressées sur l'exécution des mesures fiscales des années antérieures.

Comme chaque année, le rapport contient les tableaux de suivi de la mise en œuvre réglementaire et doctrinale des dispositions fiscales de 2019 que nous avons adoptées ou qui sont contenues dans des ordonnances. Le ratio des publications des dispositions d'application des mesures fiscales est assez faible à la date du 30 juin 2020. Là, encore il s'est agi d'un semestre particulier. La situation doit s'améliorer, nous aurons l'occasion d'y revenir lors des prochains rapports d'application qui seront publiés, je l'espère, dans un contexte plus normal et propice à l'information des parlementaires à partir de 2021.

Le RALF est aussi une occasion de procéder à quelques focus, et j'ai souhaité aborder la question des impôts de production au vu de l'importance du plan de relance qui sera présenté le 24 août. C'est sur ce point que je vais concentrer mon propos.

Pourquoi ce débat sur les impôts de production ? Je crois profondément que, d'un point de vue fiscal, ce sera l'une des clés de la relance pour nos entreprises, pour leur compétitivité, notamment pour notre tissu industriel. Ce propos sera un peu long et technique, mais je crois qu'il est nécessaire de bien présenter ce que sont les impôts de production, les leviers sur lesquels nous pouvons jouer pour être plus efficaces en termes de compétitivité et d'attractivité pour nos entreprises après cette crise, les impacts et les conséquences, notamment pour les collectivités territoriales, d'une modification du niveau des impôts de production.

Je ne vais pas trop m'appesantir sur les questions de définition. Il convient juste de rappeler que la fiscalité de la production est la fiscalité qui s'applique aux entreprises indépendamment du bénéfice qu'elles réalisent. On peut donc considérer que la fiscalité de la production, c'est l'ensemble de la fiscalité directe des entreprises à l'exception de l'impôt sur les sociétés, lequel taxe les bénéfices.

Il faut distinguer également la fiscalité de la production de la fiscalité sur les produits. Ces deux types de fiscalité pèsent sur la formation des prix et peuvent donc s'apparenter à une fiscalité de l'offre. Mais la fiscalité sur les produits – essentiellement la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les droits divers sur les alcools et les tabacs – a la particularité d'être payée par les consommateurs. La fiscalité sur les produits peut avoir un impact économique sur les marges – c'est le débat que nous avons régulièrement à propos de la TVA –, mais elle ne frappe pas directement l'activité productive en tant que telle. Il s'agit davantage d'une fiscalité sur la consommation.

L'institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) comptabilise les impôts de production dans l'élaboration de la comptabilité nationale et considère qu'ils englobent tous les impôts que les unités légales (les entreprises, les associations, les établissements publics) supportent du fait de leurs activités de production, indépendamment de la quantité ou de la valeur des biens et des services produits ou vendus. Ils peuvent être dus sur les terrains, les actifs fixes, la main-d'œuvre occupée ou certaines activités ou opérations.

Si on regarde dans le temps, sur la période 2000-2019, les impôts de production sont relativement stables en proportion de produit intérieur brut (PIB), aux environs de 3,1 à 3,2 %. Mais il est intéressant de relever les évolutions substantielles pour certains impôts à l'intérieur de ce ratio de 3,1 à 3,2 % de PIB.

On remarque que les impôts de production portant sur la masse salariale progressent légèrement à compter de 2009 tandis que ceux portant sur les autres facteurs de production diminuent dans une proportion presque équivalente. Cela s'explique par la création du forfait social en 2009, la suppression de la taxe professionnelle en 2010, ainsi que la baisse de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) sous la précédente législature. Si la fiscalité de la production fait souvent l'objet de réformes et d'aménagements, on réalise que son poids global n'a guère varié depuis vingt ans.

Les impôts sur les résultats varient en fonction du cycle économique. Leur rendement peut baisser ou augmenter selon les années. Tout ceci est normal. En revanche, les autres impôts directs payés par les entreprises forment un ensemble relativement stable. On voit des variations internes à ce bloc, mais dans son ensemble, il reste peu sensible aux variations de la conjoncture. C'est d'ailleurs souvent le reproche que l'on fait aux impôts de production.

Dans ces conditions, pourquoi, aujourd'hui, ouvrir de nouveau ce chantier au moment de la relance ? La raison tient en un mot : la compétitivité de nos entreprises. Notre économie souffre d'un problème récurrent de compétitivité et nous savons collectivement que les impôts de production en portent une part de responsabilité.

Le défi de la compétitivité était au cœur de notre action dès le début de cette législature et il se poursuit. Je voudrais rappeler en deux phrases ce que cette majorité a entamé depuis 2017, et qui est sans précédent en termes de réformes fiscales : la flat tax et la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et son remplacement par une baisse pérenne de cotisations sociales. Tout ce bloc de réformes fiscales a permis de faire grimper l'investissement direct dans notre pays depuis trois ans et a permis la création nette d'emplois, notamment dans l'industrie. Ces réformes nous ont aussi permis d'être mieux armés au moment de la crise, mais cela ne veut pas dire complètement armés. C'est la raison pour laquelle, je le crois, la relance doit aller bien plus loin dans ce défi de la compétitivité des entreprises, notamment de nos entreprises industrielles.

Cela est particulièrement visible si l'on opère des comparaisons avec nos voisins, en particulier, avec notre principal partenaire qu'est l'Allemagne.

L'écart de compétitivité entre nos deux pays se mesure notamment par le déficit commercial de la France à l'égard de l'Allemagne, qui est de l'ordre de 15 milliards d'euros en 2019. Nous importons environ 85 milliards d'euros en provenance d'Allemagne et nous y exportons 70 milliards d'euros.

Selon les données de la direction générale du Trésor, le nombre d'entreprises exportatrices est de 297 000 en Allemagne contre 109 000 en France. Nous connaissons ces maux, je ne vous apprends rien, mais les parts de marché dans le commerce intra-européen sont de l'ordre de 14 % pour l'Allemagne contre 4 % pour la France. Cette problématique est majeure. Nous devons rendre nos entreprises françaises plus compétitives et plus exportatrices.

L'écart de compétitivité avec l'Allemagne est préexistant à la crise que nous traversons. Le risque est aujourd'hui que des différences de dimensionnement entre les plans français et allemands conduisent à renforcer cet écart de compétitivité, en aggravant les déséquilibres macroéconomiques au sein de la zone euro. L'Union européenne contribue à éviter ce risque. Je crois que l'on peut tous se féliciter de l'accord intervenu au Conseil européen la semaine dernière.

Mais, mis à part le cas particulier de la Grèce, la France est le pays ayant, en proportion, le plus haut niveau d'impôts de production dans l'Union européenne. Certes, l'écart est moins fort avec certains pays européens mais il n'est pas négligeable. Il faut se poser la question de savoir pourquoi notre niveau de fiscalité sur la production demeure plus élevé que celui de nos principaux autres voisins, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne.

Cela constitue une raison suffisante, selon moi, pour agir sans tarder et dès la rentrée. La question est de savoir sur quel type d'impôts de production en particulier il faut agir. Il faut éviter de continuer ce qui a été fait depuis vingt ans en faisant varier certains impôts mais en gardant toujours le niveau de 3,2 % du PIB. L'enjeu est de baisser globalement ce niveau, même si cela coûtera beaucoup à la collectivité.

Parmi la multitude d'impôts de production, ils s'appliquent principalement sur trois parties du bilan et du compte de résultat des entreprises. Les deux premières catégories frappent les facteurs de production en tant que tels, c'est-à-dire pour faire simple, le capital, d'une part, et le travail, d'autre part.

Dans la première catégorie, relative aux impôts sur le facteur capital, sur les actifs, on trouve principalement les impôts fonciers : les taxes foncières et la cotisation foncière des entreprises (CFE). On peut également citer la taxe sur les surfaces commerciales ou encore la taxe sur les bureaux. Ces différents impôts ont généralement pour justification d'être la contrepartie de la valeur que les services publics locaux procurent aux entreprises. Leur produit est d'ailleurs en grande partie affecté aux collectivités territoriales ou à un projet local majeur. On pense notamment à la taxe sur les bureaux qui avait été votée pour financer le projet ferroviaire du Grand Paris ; vous vous souvenez du débat que nous avions eu lors du dernier projet de loi de finances (PLF).

Dans la deuxième catégorie, qui frappe la masse salariale, on retrouve essentiellement le forfait social, la taxe sur les salaires et le versement transport devenu le versement mobilité depuis la loi d'orientation des mobilités (LOM). Chacun de ces impôts a des justifications différentes. Mais ils interrogent et il peut paraître curieux, sur le principe, de taxer la masse salariale – ces impôts pouvant s'apparenter à une forme de sur-cotisations patronales, surtout dans la mesure où ils sont généralement affectés aux organismes de sécurité sociale.

Enfin, il existe, une troisième catégorie qui pose encore plus de difficultés : c'est celle qui frappe la production produite en tant que telle, et non ses facteurs. Il s'agit d'impôts sur le chiffre d'affaires ou sur la valeur ajoutée. Certains d'entre eux sont parfaitement justifiables. Nous en avons d'ailleurs créé un sous cette législature : la taxe sur les services numériques (également appelée taxe GAFA), qui est une variété de taxe sur le chiffre d'affaires et peut donc être assimilée à un impôt de production.

Deux d'entre eux sont, en revanche, souvent cités comme posant problème. Il s'agit de la contribution sociale de solidarité des sociétés (la C3S) et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

Le total des trois catégories d'impôts de production que j'ai citées représentait 77 milliards d'euros pour les entreprises non financières en 2018, d'après les données produites par l'Insee et citées par le Conseil d'analyse économique. Le rendement global de ces différents impôts est en réalité bien supérieur car ils ne s'appliquent pas qu'aux entreprises non financières mais également aux entreprises financières et aux associations.

Par ordre d'importance, on trouve la CVAE avec 14 milliards d'euros, la taxe foncière sur le bâti avec 12,9 milliards d'euros et le versement mobilité – versement transport au moment des statistiques – avec 7,8 milliards d'euros.

Il faut aussi garder à l'esprit que la fiscalité de la production est essentiellement une fiscalité affectée. Sur les 77 milliards d'euros payés par les entreprises, près de 50 milliards reviennent aux collectivités territoriales et près de 20 milliards à la sécurité sociale. Cela rend d'autant plus difficile la réduction ou la suppression brutale des impôts de production car la question de la compensation pour les parties prenantes se pose immanquablement.

Les impôts de production représentent d'ailleurs une fraction importante des ressources des collectivités territoriales. Sur les 140 milliards d'euros de prélèvements obligatoires perçus par les administrations publiques locales (les APUL) en 2018, la moitié, soit 70 milliards, proviennent des impôts de production, dont 50 milliards payés par les entreprises non financières. La moitié des prélèvements obligatoires perçus par les collectivités territoriales proviennent des impôts de production. On s'est quand même mis dans une situation où les impôts de production jouent un rôle majeur dans le financement des collectivités territoriales.

Les impôts de production payés par les entreprises représentent 35 % des ressources fiscales des administrations publiques locales. Créer un lien entre l'entreprise et le territoire est essentiel, mais cela rend plus difficile le traitement de la question des impôts de production au niveau national. C'est peut-être aussi pour cela qu'il n'a pas été aisé ces dernières années de diminuer la part globale des impôts de production et qu'on a préféré jouer sur les parts relatives.

Les trois-quarts des impôts de production pèsent sur les facteurs capital et travail, à peu près à parts égales : environ 30 milliards d'euros pèsent sur la masse salariale et 30 milliards d'euros sur le facteur capital, essentiellement sur le foncier dans ce dernier cas, qui représente à lui seul 25 milliards d'euros. Le dernier quart pèse sur le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée. La composante essentielle en est la CVAE avec 14 milliards d'euros.

On observe aussi que les impôts de production sont en grande partie des impôts dits de « haut de bilan ». Leur assiette se retrouve en haut des actifs (avec les immobilisations) en haut du compte de résultat (avec le chiffre d'affaires, la valeur ajoutée). C'est toute la difficulté et la problématique de ce sujet. Je crois qu'il est important, avant d'entrer dans le détail, d'avoir ce panorama en tête car cela permet d'éviter de scinder le débat et d'aborder la problématique des impôts de production comme un ensemble.

Il serait vain de baisser tous les impôts de production de façon homothétique, en conservant leur proportion dans le bilan des entreprises. Ce serait coûteux budgétairement et assez inefficace économiquement.

Au contraire, il faut oser cibler certains impôts de production et agir pour obtenir le meilleur impact en termes de compétitivité pour la relance de l'économie et pour l'export de nos entreprises, j'y tiens.

J'en viens à l'examen des impôts de production catégorie par catégorie, en signalant les principaux, pour déterminer où sont les marges de manœuvre pour opérer la relance la plus efficace.

Concernant le facteur capital, d'éventuelles marges de manœuvre porteraient essentiellement sur le foncier.

On pense en particulier à la cotisation foncière des entreprises (CFE), assise sur la valeur locative des locaux professionnels, laquelle a fait l'objet d'une réévaluation en 2017 – une réévaluation qui a pris du temps mais qui a le mérite d'avoir été faite. Les valeurs locatives font désormais l'objet d'une actualisation permanente. Si elles sont trop faibles, une cotisation forfaitaire minimale est établie : les deux tiers des redevables de la CFE s'en acquittent, c'est-à-dire 2,7 millions d'entreprises.

Au titre des réformes opérées sous cette législature en matière de CFE, je rappelle que nous avons exonéré de la cotisation minimum les redevables dont le chiffre d'affaires n'excède pas 5 000 euros.

Mais le vrai sujet est celui des valeurs locatives et concerne tant la CFE que la taxe foncière sur les propriétés bâties, qui est l'impôt direct local le plus significatif. Je rappelle que l'on peut être redevable de ces deux impôts, l'un au titre de l'utilisation du foncier, l'autre au titre de sa propriété. Il s'agit de la même règle pour les ménages avec la taxe d'habitation et la taxe foncière.

Nous avons débattu à plusieurs reprises, en commission comme en séance, du sujet de la valeur locative des locaux industriels. Il semblerait que ceux-ci fassent l'objet d'une surimposition en raison du calcul de l'assiette. Cela contrarie nos objectifs de relocalisation et d'attractivité pour les sites industriels.

Nous avons donc traité le sujet dans le cadre de la loi de finances pour 2019 en adaptant les modalités de qualification des locaux industriels et d'évaluation de leurs valeurs locatives.

D'abord, nous avons exclu de la catégorie des locaux industriels les bâtiments qui disposent d'installations techniques, matériels et outillages présents dans le local d'une valeur inférieure à 500 000 euros, appréciée sur trois années, et ce quelle que soit la nature de l'activité exercée. Le local est désormais qualifié de local professionnel, ce qui permet l'application de la méthode d'évaluation par les tarifs ou par voie d'appréciation directe. Cette méthode permet de sécuriser la qualification des immobilisations industrielles des entreprises, en particulier pour les plus petites d'entre elles. C'est pourquoi les locaux utilisés par de petites entreprises de transformation ou de prestations de service, tels que les locaux d'un menuisier, d'un artisan, d'un garagiste, ne sont plus susceptibles d'être considérés comme des locaux industriels.

Ensuite, nous avons mis en place un dispositif de lissage des variations de la valeur locative d'un local industriel ou professionnel : lorsque celle-ci évolue de plus de 30 % consécutivement à un changement d'affectation ou à un changement de méthode d'évaluation, le montant de cette variation est pris en compte progressivement, sur une période de six ans. Cette mesure permet d'accompagner les entreprises commerciales et industrielles qui poursuivent leur développement économique et leur forte croissance en lissant dans le temps les effets résultant, en matière de fiscalité directe locale, de la hausse de la valeur locative.

Faut-il aller plus loin sur ce point ?

Je partage le souhait d'aider en priorité nos établissements industriels. Il n'y a aucune raison que leur activité fasse l'objet d'une surimposition en raison de méthodes différenciées de valorisation des actifs.

Je pense cependant qu'en termes de temps, de calendrier – alors que nous devons rester très concentrés sur notre objectif de rendre nos entreprises plus agiles, plus puissantes, et prêtes à un redémarrage à la rentrée – la tâche paraît difficile à très court terme. Revoir les méthodes de valorisation pour les faire converger est un travail de longue haleine, assez peu envisageable dans le cadre d'un plan de relance. Procéder à une aide sectorielle avec un abattement sur les activités industrielles paraîtrait plus facile mais difficilement compatible avec le droit européen.

Des parlementaires de la majorité ont fait des propositions en vue d'alléger la fiscalité foncière des entreprises. Je souhaite que le Gouvernement puisse y travailler rapidement pour décider comment nous pouvons avancer sur le moyen terme.

Les autres impôts sur le facteur capital ne concernent pas la généralité des entreprises et présentent des justifications de nature différente.

Par exemple, la taxe sur les surfaces commerciales, qui avait été fortement augmentée en 2014, se justifie en partie par le fait que le secteur de la grande distribution a bénéficié à plein de la politique de baisse des cotisations sociales alors qu'il est moins concerné, par rapport à l'industrie, par la concurrence internationale. Nos réflexions actuelles vont plutôt dans le sens d'une prise en compte dans la taxation commerciale foncière, si cela est possible, de surfaces commerciales d'un nouveau genre liées aux modes contemporains de consommation passant notamment par la commande en ligne de biens stockés et livrés à domicile. Je vous renvoie au débat que nous avons eu lors de la discussion du troisième projet de loi de finances rectificative pour 2020. M. Potterie travaille, avec certains de nos collègues, sur cette question dans le cadre d'un groupe de travail créé par notre commission. C'est un chantier qu'il ne faut surtout pas lâcher car il y a là un vrai enjeu de justice fiscale.

Au demeurant, le rendement de la taxe est faible puisqu'il se limite à environ un milliard d'euros, dont près de 800 millions pour les collectivités territoriales et 200 millions pour l'État.

Ce n'est donc pas sur ce type de fiscalité que l'on peut vraiment changer la donne et faire reposer intégralement un plan de relance.

On pourrait penser qu'il serait plus pertinent de se tourner vers la fiscalité sur la masse salariale, en raison de sa composition un peu baroque. Mais plusieurs raisons militent sans doute pour écarter cette piste.

D'abord, je le rappelle, le forfait social et la taxe sur les salaires ont des justifications. Ces deux impôts ont pour point commun, en quelque sorte, de remplacer d'autres prélèvements obligatoires. Le forfait social se substitue en partie aux cotisations sociales qui sont exonérées, notamment lors des abondements des dispositifs d'épargne salariale, tandis que la taxe sur les salaires vient frapper les entreprises dont l'activité ne relève pas ou relève partiellement de la TVA.

J'ajoute que nous avons déjà procédé à des ajustements, voire à des réformes complètes, des impôts de production sur la masse salariale au cours de cette législature.

Concernant le forfait social, dont le rendement global est de l'ordre de 5,4 milliards d'euros, nous avons concentré nos efforts d'allègement sur les plus petites entreprises. Depuis le 1er janvier 2019, le forfait social est supprimé pour l'ensemble des dispositifs d'épargne salariale dans les entreprises qui ne sont pas tenues de mettre en place un accord de participation, c'est-à-dire les entreprises de moins de 50 salariés. Il a aussi été supprimé pour les entreprises de moins de 250 salariés pour les sommes versées au titre de l'intéressement.

Dans le cadre de la loi Pacte, nous avons prévu qu'une entreprise qui franchit à la hausse un seuil de salariés continue de bénéficier du régime fiscal favorable durant cinq années. Il faut rappeler tout ce qui a été fait dans le cadre de cette loi.

On le voit, concernant le forfait social, nous avons concentré l'effort sur les plus petites entreprises au bénéfice des salariés car c'est souvent sur ce segment d'entreprises que l'épargne salariale est la moins développée.

Agir sur le forfait social pour renforcer la compétitivité des entreprises n'est peut-être pas ce qu'il y a de plus pertinent car le forfait social s'applique essentiellement quand l'entreprise a réalisé des bénéfices qui permettent une participation ou un intéressement.

Si le débat doit rester ouvert, ce n'est peut-être pas sur cet impôt qu'il faut poursuivre les efforts.

Il en va de même, à mon sens, de la taxe sur les salaires car celle-ci ne concerne pas la généralité des entreprises, même si son produit, affecté à la sécurité sociale, est assez substantiel avec 13 milliards d'euros. S'agissant des entreprises, elle s'applique essentiellement aux secteurs de la banque et des assurances puisque leurs opérations ne relèvent pas, pour la plupart, de la TVA ; c'est la raison de sa mise en place. Ces secteurs contribuent à hauteur d'environ 30 % au produit total de cet impôt.

Néanmoins, je tiens à rappeler que nous avons également agi sur la taxe sur les salaires. Dès le début du quinquennat, nous avons supprimé le taux supérieur de 20 % qui frappait la fraction de rémunération individuelle annuelle excédant 152 279 euros. C'est une mesure qui doit favoriser l'attractivité de la place de Paris. Elle avait été adoptée dans un contexte de préparation du Brexit.

La taxe sur les salaires pose néanmoins encore des difficultés en raison de son barème progressif. La Cour des comptes, dans un référé du 25 juillet 2018, a souligné différents écueils, dont une ancienneté et une complexité des règles de calcul et de recouvrement jugées désincitatives à l'emploi de longue durée. En effet, le fait pour l'employeur de recourir, sur le même poste, à des contrats courts successifs ou à des salariés à temps partiel conduit à limiter l'application des taux majorés.

Un autre impôt sur la masse salariale qui suscite beaucoup de débats, notamment lors de l'examen du dernier projet de loi de finances rectificative, est le versement transport.

Les redevables sont les employeurs de onze salariés ou plus et les taux sont fixés dans des fourchettes légales par les communes et intercommunalités.

Là encore, nous avons procédé à une réforme très importante de cet impôt dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités, la loi LOM. Nous l'avons remplacé par le versement mobilité. Désormais, cet impôt doit être la véritable contrepartie d'un service public rendu. Dans une certaine mesure, économiquement, ce n'est plus un impôt mais le prix d'un service. Il faut sans doute le concevoir un tant soit peu comme cela. Il ne pourra être levé qu'à la condition que soient organisés des services réguliers de transport public de personnes. Par ailleurs, la loi LOM permet de moduler le taux de ce versement au sein d'un même syndicat mixte pour tenir compte de la densité démographique et de la capacité contributive des établissements publics de coopération intercommunale qui le composent.

Nous avons bien vu, avec le cas d'Île-de-France Mobilités, la sensibilité de la dynamique du versement mobilité, et donc la difficulté à évaluer la perte potentielle du versement mobilité lors du confinement.

Le versement mobilité représente un enjeu financier important tant pour les affectataires que pour les payeurs. Son rendement est relativement dynamique depuis dix ans au niveau national, et très dynamique en Île-de-France.

Enfin, en termes de prélèvements sur la masse salariale, je rappelle que la transformation du CICE en allégements pérennes de cotisations sociales patronales a constitué un facteur important de compétitivité des entreprises, non seulement en raison de « l'année double » en 2019, mais aussi, pour les prochaines années, avec une visibilité et une simplicité que les entreprises demandaient.

C'est finalement sur les impôts sur la production en tant que telle – les impôts sur le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée – que les marges de manœuvre en vue d'un plan de relance apparaissent les plus fortes.

C'est aussi là que la France se singularise, au mauvais sens du terme, par rapport aux autres pays. L'Italie est le seul pays européen avec le nôtre à avoir mis en place un impôt sur la valeur ajoutée avec la taxe locale sur les activités productives, proche de notre CVAE. Par ailleurs, on ne trouve dans aucun autre pays européen un équivalent à une taxe sur le chiffre d'affaires comme la C3S française.

On peut donc se poser la question – et c'est ce qu'a fait le Conseil d'analyse économique (CAE) en juin 2019 –, de s'attaquer d'abord à la C3S. Sa suppression avait d'ailleurs été annoncée et programmée dans le cadre du pacte de responsabilité et de croissance lors de la précédente législature, mais elle n'avait pas été menée à son terme.

Désormais, le taux global de cet impôt est fixé nationalement à 0,16 % du chiffre d'affaires après application d'un abattement de 19 millions d'euros. Le produit de la C3S s'est établi à 3,9 milliards d'euros en 2019, les principaux secteurs contributeurs étant l'industrie manufacturière, le commerce et la finance.

En 2019, un peu moins de 22 000 entreprises étaient redevables de la C3S, contre plus de 310 000 en 2014 avant le relèvement de l'abattement, ce dernier conduisant à ce que seules les plus importantes PME, les ETI et les grandes entreprises acquittent la C3S.

Le CAE a pointé des effets de cascade qui se transmettent et s'amplifient sur toute la chaîne de production, parce qu'à chaque étape de la production la taxe elle-même est taxée. Il estime qu'elle réduit la productivité, agit comme un impôt sur les exportations et une subvention aux importations de biens intermédiaires. Bref, la C3S aggraverait le déficit de notre balance commerciale, pour dire les choses très clairement. Selon le CAE, « la nocivité de la C3S n'a pas d'égal dans notre système fiscal ».

Je partage cette opinion. Néanmoins, l'inconvénient de concentrer nos efforts sur la C3S aujourd'hui est que cela ne bénéficiera pas directement à toutes les entreprises, et en particulier pas aux TPE et à la plupart des PME, qui doivent être placées au cœur de notre stratégie de relance, notamment à l'export.

C'est la raison pour laquelle la piste d'une baisse de la CVAE est celle que je privilégie aujourd'hui, à l'instar du Gouvernement.

La CVAE a été créée en 2010 dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle. En sont redevables les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros. Son taux théorique est de 1,5 %, et la somme de la CVAE et de la CFE est plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée.

Le taux de CVAE effectivement supporté par les entreprises dépend du chiffre d'affaires et varie de 0 % à 1,5 %. Le différentiel entre le produit recouvré, payé par les entreprises, et le produit réparti aux collectivités territoriales, à partir du taux théorique de 1,5 %, est pris en charge par l'État (c'est ce que l'on appelle le dégrèvement barémique) ; ce différentiel représente environ un quart du produit total réparti.

La CVAE a fait l'objet dès le début de cette législature de modifications techniques, notamment avec sa mise en conformité au droit de l'Union européenne s'agissant des groupes. Il n'y a cependant pas encore eu de réforme d'ampleur. Je crois qu'il est temps de mener cette réforme d'ampleur dès le mois de septembre.

Dans sa dernière note, le CAE a mis en évidence que la CVAE était moins neutre économiquement qu'il n'y paraissait. Elle avait pourtant été créée dans ce but pour remplacer la taxe professionnelle.

Son taux est progressif, ce qui entraîne des distorsions. Pour une même valeur ajoutée, le taux réel d'imposition peut aller du simple au double. Par ailleurs, la CVAE affecte directement les capacités d'investissement des entreprises puisque les amortissements ne sont pas déductibles de l'assiette. C'est un point important : cela pénalise les activités capitalistiques, notamment industrielles, très gourmandes en fonds propres.

L'allègement ou la suppression de la CVAE poserait bien entendu la question de la compensation aux collectivités territoriales. Je veux être très clair : il est hors de question de faire une réforme ambitieuse de baisse de la CVAE sans une compensation claire, précise et acceptée par les représentants des collectivités territoriales qui seraient touchées. Mais cet allègement, cette baisse, serait d'une certaine manière plus facile à résoudre que celle d'autres impôts locaux car les taux de la CVAE ne sont pas fixés par les collectivités territoriales, à la différence des autres types d'impôts de production affectés aux collectivités locales. La compensation poserait donc moins de questions que celle relative à la taxe d'habitation, pour laquelle les collectivités qui avaient mené une politique de modération des taux s'estimaient lésées.

Il pourrait être envisagé de supprimer totalement ou partiellement la part de CVAE affectée aux régions, qui est de l'ordre de 9 milliards d'euros, et de remplacer cette ressource par une compensation intégrale et dynamique, en clair par une affectation d'une fraction de TVA. Cela pourrait être une équation assez efficace et assez simple à mettre en place.

Toutefois, la suppression ou la réduction de la CVAE fait apparaître d'autres enjeux, notamment en matière de territorialisation de la fiscalité économique, c'est-à-dire de maintien d'un lien entre les entreprises et les services publics locaux dont elles bénéficient en retour – à travers, par exemple, l'amélioration des infrastructures, l'accès aux différents réseaux et services ou l'investissement dans le niveau de qualification du bassin d'emploi – bref, le lien qui existe entre collectivités territoriales et entreprises.

Un allègement de la CVAE se ferait en majeure partie au bénéfice des grandes entreprises et ETI. Mais cela est logique puisque l'assiette repose sur la valeur ajoutée. Toutefois, contrairement à un allégement de la C3S, on voit que les PME bénéficieraient de plus d'un tiers du gain que représenterait une baisse de 0,5 point de la CVAE.

La répartition du gain de cette baisse est sensiblement différente si, au lieu de procéder à une baisse du taux de la CVAE, on agit sur le montant du plafonnement de la CET. Dans ce cas de figure, la part en faveur des grandes entreprises s'accroît au détriment des PME.

On le voit, la manière avec laquelle on agit sur les taux n'a pas le même impact et cela doit nourrir le débat. Vous avez compris que je suis plutôt favorable à un allègement marqué en faveur des PME.

En conclusion, je soutiens l'idée d'une réduction de la CVAE en 2021 et 2022 en priorité. Cette piste me semble la plus efficace dans le cadre d'un plan de relance.

Mais je considère également que le travail sur la fiscalité de la production est un travail de long terme et que le plan de relance n'en est qu'une première étape. Et c'est le sens de ce travail dans le RALF. Cela peut nous permettre d'avoir une base de travail commune dans les prochains textes.

L'analyse économique enseigne que les impôts sur la production sont les plus nocifs en raison des distorsions qu'ils engendrent tout au long de la chaîne de production. D'autres pistes, à plus long terme, sont à explorer en ce qui concerne la C3S ou la taxe sur les salaires pour rationaliser notre fiscalité en la matière.

Pour tout vous dire, j'ai moi-même un peu changé d'avis avec la crise. J'étais plutôt un partisan de la baisse de la C3S, par beau temps. Je crois aujourd'hui, vu la situation économique et sociale à l'issue de l'été, que la priorité sera d'arroser plus large et de faire bénéficier davantage nos petites et moyennes entreprises. L'effort pourrait donc porter d'abord sur la CVAE, sans oublier le chantier de la C3S qui pourra être mené dans un second temps.

À fiscalité constante, il pourrait être opportun de modifier la contribution des différentes assiettes : bénéfices, production, produit. Pour paraphraser le Président de la République, la crise constitue une opportunité pour redéfinir la structure des prélèvements obligatoires et le poids de la fiscalité sur la production.

Dans ce rapport d'application des lois fiscales, je propose donc deux pistes.

D'abord, dans le cadre du plan de relance, il convient de privilégier la baisse de la CVAE, en assurant aux collectivités une compensation intégrale et dynamique, et d'explorer une baisse ciblée des impôts de production pesant sur l'industrie, qui subit une distorsion s'agissant de la charge fiscale foncière.

En second lieu, à plus long terme, je propose de mener une réflexion d'ensemble sur l'allègement de la part relative des impôts de production dans la fiscalité des entreprises et de prévoir la suppression de la C3S, le cas échéant à niveau de fiscalité constant.

Si la compétitivité et la relance n'ont pas de prix, ces mesures ont un coût pour la collectivité. À mon sens, cette somme, que le Gouvernement annonce comme s'élevant à 10 milliards d'euros par an, doit être regardée comme un investissement pour les entreprises, qui pourront survivre, réinvestir, réembaucher, exporter et s'insérer davantage dans le jeu de la compétition internationale.

Je suis convaincu que le retour sur investissement n'a pas de prix (tout en ayant un coût) ; il y va de l'emploi et du tissu industriel de notre pays.

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Je vous félicite pour la clarté de cet exposé qui nous présente les ordres de grandeur des impôts de production et nous permet de comprendre leur articulation.

Je remarque que la C3S se situe plus haut que la CVAE dans le compte de résultat, ce qui en fait un impôt plus injuste et très inefficace.

Aujourd'hui, sur 21 800 entreprises redevables de la C3S, 13 000 sont des PME et 8 000 sont des ETI. La suppression de cet impôt donnerait donc de l'oxygène aux PME et aux ETI. Comme vous l'avez signalé, les entreprises frappées par la C3S la répercutent sur leurs prix. Or, le plus souvent, ce sont les entreprises de plus grande taille qui ont la capacité de répercuter la C3S, tandis que les plus petites portent en définitive le poids de la taxe. Si je partage votre constat sur la CVAE, je souhaite pour ma part aller un peu plus loin sur la C3S.

Par ailleurs, la compensation d'un allègement par une recette dynamique paraît intéressante. On peut cependant s'interroger sur la perte de recettes de TVA qui en résulterait pour l'État. Même si l'heure n'est pas à la hausse des impôts, nous pouvons imaginer que l'impôt sur les sociétés soit consolidé, non pas en jouant sur les taux, mais en l'établissant sur une base plus universelle, en contrepartie d'une baisse nette d'autres impôts plus hauts dans le compte de résultat.

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Je félicite le rapporteur général pour sa présentation. Pour ma part, je pense d'abord aux collectivités territoriales. Si nous partageons tous l'objectif d'abaisser la pression fiscale sur les entreprises pour qu'elles soient plus compétitives, je rappelle que le législateur a déjà supprimé des impôts locaux, comme la taxe professionnelle, ce qui s'est traduit par une baisse substantielle des ressources des collectivités territoriales, avec l'instauration de mécanismes de compensation que les élus ne comprennent plus, comme le fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR).

La CVAE apparaît comme un bon choix : le nombre de régions étant assez limité, cette option éviterait la nécessite d'un dialogue avec l'intégralité des collectivités territoriales en France. Néanmoins, l'économie est une compétence des régions ; il y a donc un sens à ce qu'elles perçoivent une ressource assise sur l'activité économique.

Une compensation intégrale me paraît en outre très importante – et une compensation dynamique, également. Mais je voudrais ajouter une troisième exigence : la nécessité de prévoir une garantie dans le temps. La crise sanitaire provoque aujourd'hui une baisse de 17 % ou 18 % du produit de la TVA. Heureusement, les régions bénéficient d'une garantie sur la fraction de TVA perçue depuis 2018. Je n'ai pas d'avis sur la forme que doit prendre cette garantie s'agissant de la CVAE, mais il m'apparaît indispensable de prévoir un tel système.

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Je tiens également à féliciter notre rapporteur général pour la qualité de son travail et la clarté de son exposé, même si je ne partage pas l'intégralité de ses conclusions. Le groupe Les Républicains est attentif à l'idée de réduire les impôts de production. Nous pouvons estimer que la baisse envisagée porte sur 10 milliards d'euros, sur les 70 milliards de fiscalité sur la production totale. Ces impôts nuisent à la compétitivité de nos entreprises soumises à la concurrence internationale.

Néanmoins, aucune entreprise ne m'a jamais parlé de la C3S. Sa suppression favoriserait plutôt les banques et les assurances. L'impôt dont on me parle est le versement transport, devenu versement mobilité. Ce prélèvement est né en région parisienne ; il s'agissait pour les employeurs de concourir au financement des dépenses de transport de leurs salariés. Il a été étendu aux métropoles puis à l'intégralité de notre territoire. Il constitue la contrepartie d'un service de transport, qui est pourtant la plupart du temps très faible et défaillant. Les salariés se déplacent le plus souvent avec leur véhicule.

J'évoquerai un exemple concret : celui d'une entreprise du secteur agroalimentaire comptant 200 salariés qui travaillent en rotation « 2 x 8 ». Aucun arrêt de transport collectif n'est prévu à proximité du site. Aucun des 200 salariés ne s'y rend avec un moyen de transport public. Ils viennent au travail en transport individuel et en covoiturage. Pourtant, l'entreprise paie le versement mobilité, sans contrepartie immédiate.

L'assiette du versement mobilité est la pire possible : la masse salariale. Nous allons rentrer dans une période très difficile en termes d'emploi. Le montant de 7 milliards d'euros de versement mobilité pourrait être supprimé et compensé. Je défendrai cette proposition dans des amendements aux projets de lois de finances à venir. À défaut, je suggère une idée assez simple : extraire de l'assiette du versement mobilité une part de la masse salariale correspondant à l'activité en télétravail.

Je souligne ensuite qu'en l'absence de CVAE, la région deviendrait une collectivité sans impôt, ce qui pourrait soulever une difficulté constitutionnelle. En tout état de cause, cela contrevient à la logique selon laquelle la collectivité régionale agit en matière économique et dispose en contrepartie d'une recette liée à l'économie.

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Je félicite également le rapporteur pour la qualité de ce rapport.

Quand une entreprise s'installe, elle réalise un investissement important. Elle bâtit son projet en fonction des taxes existantes sur le territoire où elle s'implante. Nous avons un problème avec les impôts de production. Ils résultent du remplacement de la taxe professionnelle. La CFE reste toutefois le moyen pour les communes d'exercer un pouvoir de taux.

Il faut aussi être prudent avec la CVAE. Vous évoquez la possibilité de la remplacer par une fraction de TVA dans les budgets locaux. Je pense que nous manquons d'imagination. Ne serait‑il pas plus opportun de taxer les flux, notamment les plus‑values immobilières ? Il faut chercher où se font les profits et si ces profits sont palpables. La taxation des stocks me semble plus problématique, d'autant plus lorsqu'elle évolue dans le temps.

Je voudrais aussi dire que ces impôts financent des actifs dont bénéficient les entreprises et qui favorisent l'attractivité des territoires : la sécurité, les écoles, les crèches, etc.

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Quand disposerons‑nous de l'ensemble des éléments relatifs à l'application des lois fiscales, monsieur le rapporteur général ? Nous avions notamment commencé des travaux sur le crédit d'impôt recherche…

Votre focus est notamment fondé sur le rapport d'Yves Dubief et Jacques Le Pape sur la fiscalité de production d'avril 2018. Il a le mérite de montrer effectivement la stabilité des impôts de production sur vingt ans et de démentir l'expression souvent entendue de « croissance galopante des impôts de production ».

Avez-vous pris connaissance d'une note technique d'octobre 2019 de l'association des communautés de France (AdCF), qui soulève notamment des problèmes de méthode dans les travaux du Conseil national de l'industrie ? L'AdCF préconise le retraitement de certaines données pour ne retenir que la fiscalité pesant sur les entreprises du secteur marchand, c'est-à-dire exposées à la concurrence. S'agissant plus précisément des taxes foncières, il conviendrait par ailleurs de ne prendre en compte que celles qui pèsent sur les locaux professionnels, et exclure celles pesant sur les locaux administratifs et associatifs, utilisés par exemple par les entreprises sociales de l'habitat. Certains biais doivent donc être neutralisés.

La commission des finances pourrait-elle disposer d'un comparatif entre, d'une part, les impôts et cotisations des ménages et, d'autre part, ceux des entreprises, ainsi que d'une présentation de l'évolution de ces deux masses sur les dix ou quinze dernières années ?

Certains bénéfices ne sont pas chiffrés pour les entreprises, comme on l'a vu pendant la crise avec la prise en charge par l'assurance maladie des indemnités journalières pour les salariés gardant leurs enfants à domicile ou le financement du dispositif d'activité partielle.

Enfin, la répartition territoriale des produits de CVAE fait débat et ne reflète pas la production des territoires. La compensation d'une baisse de CVAE risque donc de s'opérer sur une base contestable et de sanctuariser des inégalités.

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Le travail du rapporteur général est intéressant, même s'il n'est pas tout à fait nouveau – le thème a récemment fait l'objet d'une publication du Conseil d'analyse économique.

La comparaison avec nos concurrents européens montre qu'à l'exception de la Grèce, où les activités productives se sont effondrées, la France a la fiscalité de production la plus élevée. Par rapport à l'Allemagne, il convient de regarder le poids des impôts de production dans la valeur ajoutée des sociétés non-financières. Un tableau sur l'évolution des écarts dans le temps serait utile, en plus d'une comparaison par rapport au produit intérieur brut (PIB).

Sur quels impôts faut-il cibler les baisses ? Vous parlez de l'industrie, mais je dirais plutôt que la priorité concerne les activités exportatrices, dont font aussi partie certains services, par exemple dans l'ingénierie et le tourisme. Cela fait longtemps que l'on explore ces pistes : est-ce possible de le faire ?

S'il y a quelque chose à écarter, comme le Gouvernement l'envisageait initialement, c'est la C3S. La C3S est un impôt débile, mais ce sont surtout les banques et les assurances, principaux contributeurs du MEDEF (Mouvement des entreprises de France), qui en bénéficieraient. Son président me l'a avoué, comme l'avaient d'ailleurs fait MM. Dominique Strauss-Kahn et Michel Sapin : nous serions à la remorque des demandes du patronat et de ses équilibres internes si nous le supprimions. En tout état de cause, telle ne semble pas la priorité au regard des objectifs actuellement affichés par le Gouvernement.

Une piste concernant la CVAE n'a été qu'effleurée par le rapporteur général. Il faudrait étudier une accentuation du dégrèvement barémique, au lieu d'abaisser le taux : l'intérêt serait notamment d'éviter un débat avec les collectivités territoriales. Et ne serait-il pas possible, dans ce cas, d'essayer de privilégier les entreprises plus exportatrices ? On a déjà bricolé – et la Commission européenne n'a rien dit, ou rien vu – la taxe professionnelle pour majorer les coefficients concernant l'industrie, allant jusqu'à 2 ou 3. À l'inverse, une variation du taux concernerait tout le monde. Certes, je n'ai pas fait de simulations.

Savez-vous quelle fraction des coûts de production des transports publics d'Île-de-France est financée par le versement mobilité ? Elle n'a fait que croître indéfiniment et nos collègues franciliens, toutes tendances confondues, ne demandent toujours que le relèvement de son barème : ne faudrait-il pas inverser ce mouvement ? Est-il normal que l'usager des transports collectifs ne paie que 30 % de son coût et que les entreprises paient autant alors qu'il existe d'autres motifs de déplacement que le fait de se rendre au travail ? Les élus locaux doivent avoir le courage de faire payer tout le monde.

Je réagis enfin à une remarque de M. Le Fur en lui indiquant que les zones de la Marne dans lesquelles aucun versement transport n'est acquitté représentent entre un tiers et 40 % de la population du département.

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Je remercie le rapporteur général mais souhaiterais moi aussi savoir quand l'intégralité des éléments du rapport relatifs à l'application des mesures fiscales sera disponible ; il est source d'informations essentielles.

Les impôts de production n'ont pas baissé en vingt ans, ni même d'ailleurs entre 2007 et 2012, hormis l'effet du remboursement de certains contentieux concernant la taxation des viandes ou des chiffres d'affaires publicitaires – la France avait été condamnée.

La création de la CVAE en remplacement de la taxe professionnelle n'avait alors pas entièrement réglé les problèmes que l'on souhaitait résoudre.

Le constat que ces prélèvements interviendraient trop haut dans le compte de résultat n'est pas nouveau : il suffit de lire les productions que le MEDEF et CroissancePlus émettent depuis vingt ans ; ce sont de vieilles revendications et l'on en a ici la retranscription avec des tableaux chiffrés.

Aujourd'hui, la discussion sur la méthode comptable d'évaluation des établissements industriels porte surtout sur le fait que les entrepôts logistiques aient été traités sans distinction. Le modèle est donc plutôt remis en cause par la grande distribution.

Il n'en demeure pas moins que ces impôts sont liés à l'ampleur de l'activité sur un territoire : pour certaines entreprises qui s'affranchissent complètement des règles d'imposition des bénéfices à force de montages à des fins d'optimisation fiscale, il s'agit de leurs seules contributions à nos recettes publiques ; cela ne doit pas être oublié !

Au-delà de leur valeur absolue, les impôts de production financent des services publics relevant de l'État, des collectivités territoriales, de l'assurance vieillesse ou d'établissements publics spécifiques. De tels impôts existent aussi dans les autres pays européens : je pense notamment à la Gewerbesteuer en Allemagne, qui ressemble un peu à notre CVAE et est affectée aux communes. Il en va de même aux États-Unis. Il est bien normal de taxer l'activité économique d'un territoire, car ce territoire offre non seulement des infrastructures, mais aussi du personnel qu'il a contribué à former.

Comment compenser la baisse de ces impôts ? La taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui repose sur la consommation, est une ressource essentielle du budget de l'État. Il est inenvisageable d'augmenter la TVA, qui pèse sur la consommation des ménages.

Je suis d'accord avec le rapporteur général : une taxe assise sur le chiffre d'affaires est moins vertueuse qu'une taxe assise sur les bénéfices. Comment avancer encore plus dans la lutte contre l'optimisation fiscale et faire en sorte que toutes les entreprises paient un impôt sur les bénéfices, en France comme en Europe ? Cela ne concerne pas uniquement les GAFA. Voulez-vous, oui ou non, avancer sur l'imposition des dividendes ?

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Je remercie le rapporteur général et comprends sa réflexion quant à la suppression de la CVAE. La question de fond est de baisser la fiscalité des entreprises afin de les rendre plus compétitives. Peut-être un effacement de 14 milliards d'euros de CVAE est-il envisageable, mais ne pourrait-on pas, en amont, réfléchir à diminuer les charges qui frappent les ressources humaines, c'est-à-dire les salaires, hors impôts de production ?

La limite de l'étude que vous nous présentez, c'est que l'on ne sait pas, dans le calcul d'un prix de revient, quel pourcentage correspond aux impôts de production.

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Je me joins aux félicitations adressées au rapporteur général pour son travail exhaustif, son propos clair et les remèdes ciblés qu'il propose. Repartons de leur définition : les impôts de production ne sont pas tous les impôts payés par les entreprises. L'exemple allemand qu'évoquait Mme Cariou est en réalité une part additionnelle à l'imposition sur les bénéfices.

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Cet impôt est comparable à la CVAE française !

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Non, c'est de l'impôt français sur les sociétés qu'il se rapproche. Seule l'Italie possède un impôt similaire à la CVAE.

Les impôts de production sont dus quel que soient le résultat, la prospérité, les aléas. Ils constituent donc un problème crucial pour les entreprises qui se posent la question de leur survie : certaines sont en difficulté depuis plusieurs décennies, d'autres affronteront le tsunami dans quelques mois.

Ces impôts ne sont pas nés aujourd'hui, ni même il y a vingt ans. Les impôts de production avaient été créés à la Révolution française. En France, on ne supprime jamais d'impôts : ils ont donc été affectés aux collectivités territoriales.

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Ce sont les principaux fictifs communaux et les centimes additionnels.

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Cela témoigne du mal français : l'on ne touche jamais à l'architecture fiscale d'un iota, de peur d'embêter les collectivités territoriales ou telle autre personne. En fin de compte, la facture est toujours payée par les mêmes : les entreprises. Quand la fiscalité est indolore, elles acceptent, bonnes filles, de s'en acquitter, mais cela ne tient plus si leur situation se complique. Lorsque j'étais entrepreneur, la CVAE ne posait pas tant problème que le versement transport, qui atteignait 80 000 euros par an alors qu'un seul salarié de l'entreprise utilisait les transports en commun.

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Le soutien à la santé au travail relève du politiquement correct, mais mon entreprise était redevable de 48 000 euros pour une visite par salarié tous les deux ans, et parfois tous les quatre ans seulement. Faisons preuve de lucidité.

Je vois donc trois catégories d'impôts de production. La première concerne les prélèvements liés à un service public, comme la santé au travail : posons-nous la question de la réalité des contreparties, sinon les entrepreneurs le feront violemment. La deuxième tient à la dissuasion de comportements jugés défavorables, à l'image de la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE). Nous sommes tous d'accord pour lutter contre la pollution visuelle, mais mon entreprise du secteur aéronautique y était assujettie alors qu'elle n'avait qu'un seul panneau. Les entrepreneurs ne sont pas dupes et savent qu'ils sont les oies que l'on plume. Il faut donc chiffrer les effets de telles taxes. La troisième est plus classique, avec la CET – composée de la CFE et de la CVAE – ou la taxe foncière. Elles sont un poids, mais les entrepreneurs peuvent les anticiper.

S'agissant de la CVAE, mon appréciation est moins négative. L'on revient de très loin : certains disent aujourd'hui que la suppression de la taxe professionnelle, en 2010, n'était pas une si bonne solution, mais souvenez-vous qu'elle pesait lourdement sur les investissements et la masse salariale.

Deuxième élément important : on ne pourra pas réformer ces impôts de production si on ne parle pas de l'architecture globale. On ne se pose pas aujourd'hui la question de la cotisation à un service de santé au travail, du versement mobilité, de ces éléments qui polluent la vie des entrepreneurs. Nous devons remettre les choses à plat, cela n'a jamais été fait depuis 1917.

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Je voudrais nuancer les propos de M. Romain Grau. Vous dites, mon cher collègue, que les entrepreneurs ont conscience d'être les oies que l'on plume. Eh bien je vais vous faire part d'une expérience. Il y a quelques mois, un grand groupe s'est implanté en Anjou et j'ai pu discuter avec son responsable international. Il m'a indiqué qu'il n'y avait qu'en France qu'on était capable, en moins d'un an, d'avoir les autorisations de construire un bâtiment basse consommation extraordinaire,…

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…d'avoir le personnel formé présent le jour J et que tout fonctionne, avec naturellement les services publics qui permettent ce type de service aux entrepreneurs. Je crois qu'il faut relativiser un peu les a priori des uns et des autres.

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Vous êtes dans l'abstraction ! Ce n'est pas comme cela que ça marche. Chez moi, cela prend six ou sept ans !

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J'en reviens à votre proposition, monsieur le rapporteur général, qui vise à baisser les impôts de production. Vous évoquez une enveloppe de dix milliards d'euros. Je ne reviendrai pas sur l'impact sur les collectivités, non seulement les régions mais aussi le bloc communal et les intercommunalités, qui sont également très concernés par la CVAE. Il faudra être vigilant si cette baisse des impôts de production se confirme.

Mais proposez-vous une baisse des impôts de production ou une baisse des impôts ? Ce n'est pas tout à fait la même chose. S'il s'agit de diminuer les recettes de l'État à hauteur de dix milliards d'euros, sans imaginer bien entendu de contribution additionnelle ou de réforme basée sur l'imposition des bénéfices des entreprises, le schéma et différent. Nous savons tous que nous avons besoin de financements pour les hôpitaux, la justice, l'école, la sécurité. Il faut nous projeter sur la période de crise, certes, en considérant la manière dont nous répondons aux difficultés rencontrées, mais également au-delà. Si la perspective était de baisser les impôts de dix milliards d'euros, cela annoncerait un séisme pour l'après. Je souhaite qu'on se projette au-delà de 2021 et 2022 pour évaluer les conséquences d'une telle décision, si elle advenait.

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Beaucoup d'interventions livrent une opinion directe sur la bonne solution à apporter et je crois que c'est bien l'objet de ce débat.

La difficulté de la question des impôts de production tient aux nombreuses variables à prendre en compte : la compétitivité des entreprises, le service public rendu par les collectivités, voire, au-delà du service rendu, le lien entre collectivités et entreprises, et la question du financement. Ces trois variables font que, plus que jamais, gouverner c'est choisir. Ce qui guide mon choix s'agissant de la proposition de baisse de la CVAE, c'est le calendrier et l'efficacité de la relance. Je n'ai pas la prétention, avec cette proposition, de remettre à plat l'architecture globale des impôts de production. Il faudra le faire, plus tard. Toutefois, ce qui s'annonce à partir du mois de septembre dans notre pays est très violent. Nous devons préparer nos entreprises à être plus compétitives, à savoir exporter vite et à se relever plus rapidement que lors de la dernière crise. Pour cela, les outils doivent être les plus efficaces possible. Je crois qu'il faut accepter une certaine hiérarchie des priorités dans ce débat. J'assume clairement la priorité suivante : que nos entreprises sauvent un maximum d'emplois, reprennent une activité la plus dynamique possible, redeviennent rentables le plus rapidement possible pour investir et, demain, recréer de l'emploi, gagner des marchés à l'international, etc.

Si cela doit primer sur la relation entre les collectivités territoriales et les entreprises, c'est un choix que je suis prêt à assumer. Si cela doit primer sur l'équilibre du budget de l'État en 2021, je suis prêt à l'assumer également, en tant que rapporteur général du budget. La priorité numéro un est, pour moi, l'emploi. Si l'on met tout sur le même plan, on risque un certain immobilisme, une certaine timidité dans l'action, et on se retrouvera avec toujours ce fameux 3,1 % d'impôts de production sans avoir changé la donne s'agissant de la capacité de nos entreprises à être plus légères et surtout à être taxées le plus justement possible – c'est-à-dire au plus bas possible du compte de résultat.

La fiscalité des entreprises est une réponse à la crise. Bien sûr, ce n'est pas la seule : le plan de relance est bien plus large que cela. La demande est également un sujet, de même que les grands investissements de demain. Mais la fiscalité de nos entreprises est une problématique du plan de relance.

Plus que le versement mobilité, la CVAE est, je crois, l'outil le plus efficace. Cela n'évacue pas le sujet des entreprises qui payent un versement mobilité alors qu'elles n'ont pas un seul salarié qui utilise les transports en commun. Il y a une difficulté et il faudra avoir ce débat. Oui, monsieur Grau, il faut envisager de remettre à plat l'architecture globale de la fiscalité de l'offre et le lien avec les collectivités territoriales. Vous avez raison de dire que l'exemple allemand n'est pas comparable à la CVAE. C'est une assiette sur le bénéfice. Même si l'Italie a une taxe assez proche, la CVAE est une spécificité française. Il en va de même pour la C3S, « impôt débile », pour reprendre les termes de Charles de Courson, mais dont la suppression n'est plus, je crois, la priorité pour répondre à la sortie de crise.

La question du financement de cette enveloppe de dix milliards d'euros est importante. Vous ne m'entendrez jamais dire qu'elle ne l'est pas. Je vous confirme ma volonté, en tant que rapporteur, qu'elle ne soit pas compensée par une hausse de TVA ou de fiscalité quelle qu'elle soit. Ce sera une baisse assumée de recettes pour le budget de l'État. Le plan de relance va ainsi comporter plusieurs investissements, plusieurs dépenses budgétaires et un manque à gagner fiscal.

La manière de financer ce plan de relance n'est pas l'objet de notre discussion ce matin. C'était plutôt l'objet de notre discussion précédente sur la dette publique. Oui, nous nous endettons pour répondre à la crise. Ces dix milliards d'euros font partie du plan de relance. Ils sont à mon sens un investissement et non un cadeau aux entreprises ou une perte. Ils permettront de retrouver des entreprises plus compétitives, qui auront à l'avenir une meilleure croissance, et cela générera des rentrées fiscales. On ne peut pas savoir, sur les dix milliards de manque à gagner en 2021, combien de rentrées fiscales cela générera pour les caisses de l'État et à quel rythme, mais il faut garder cette dynamique à l'esprit afin de rendre nos entreprises beaucoup plus agiles et surtout leur permettre de se tourner vers l'export – car ce sont des impôts qui grèvent la capacité à peser à l'international. Les efforts en la matière, déployés par la Team France Export et tous les outils publics existant en la matière, doivent être colossaux. La transition écologique et l'export doivent être nos deux obsessions permanentes.

Monsieur Cazeneuve, je souscris à vos propos sur la compensation intégrale, dynamique et garantie dans le temps. Il y a probablement des garanties et des réassurances à donner aux collectivités, aux régions en particulier, sur la compensation par une fraction de TVA. Cela ne me pose aucun problème de principe.

M. Jean-Paul Mattei a abordé à juste titre la question des services et investissements locaux. Il ne faut pas tuer la volonté d'investissement de nos collectivités parce qu'il y aurait une modification de la fiscalité locale. Quand vous bénéficiez d'une fraction de TVA, vous bénéficiez aussi de la dynamique économique et vous avez aussi intérêt à investir sur votre territoire pour que les entreprises puissent se développer. Je ne crois pas que ce nouveau schéma mettrait les exécutifs locaux dans une position où ils se diraient qu'il y a moins besoin d'investir pour le développement économique de leurs régions ; car je crois que la responsabilité pour la reprise de notre économie est collective. La modification de la fiscalité affectée ne casserait pas, selon moi, la dynamique locale favorable à l'activité économique.

Je le répète, c'est ici que la CVAE se vote. C'est l'aspect pratique de cette solution. La question se pose de la mise en place de taux différenciés en fonction, par exemple, du caractère exportateur de tel ou tel secteur, mais cela me semble compliqué. J'aimerais que l'on y parvienne mais cela pose des questions d'égalité devant l'impôt.

Madame Pires Beaune, je ne manquerai pas de lire la note de l'association des communautés de France de 2019. Le RALF sera normalement publié demain – d'ici la fin de semaine en tout état de cause. J'attire votre attention sur le fait que l'administration fiscale n'a pas pu répondre à toutes mes questions en temps et en heure. Les réponses pourront être complétées au fur et à mesure et j'en informerai la commission des finances. S'agissant du crédit d'impôt recherche, le RALF ne porte que sur l'application des lois votées en n-1, en l'occurrence en 2019. Je ne suis pas sûr que nous ayons les données et le recul s'agissant du CIR cette année. Si vous voulez que nous travaillions ensemble sur ce sujet à mesure que les données seront disponibles, notamment sur les clauses anti-abus et les dispositions qui ont été votées, je suis à votre disposition.

Monsieur Jolivet, vous évoquez les charges salariales : il s'agit d'un sujet complémentaire sur lequel nous sommes allés et continuons d'aller assez loin, par exemple en matière d'emploi des jeunes. S'agira-t-il en l'espèce d'un mécanisme de prime ou de diminution de cotisation ? Cela dépend des intérêts et inconvénients respectifs de chacune des solutions. Nous avons abaissé les charges sociales des entreprises à un niveau standard de compétitivité. Désormais, il faut supprimer certaines spécificités françaises qui empêchent nos entreprises d'être agiles.

Madame Dupont, j'assume le fait qu'il s'agit d'une baisse d'impôts pour les entreprises.

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Laurent Saint Martin, rapporteur général

Oui, pérenne ; en tout cas, c'est ce que je souhaite. Je n'ai pas beaucoup de certitudes en matière de finances publiques, mais je suis convaincu qu'en matière de fiscalité des entreprises ou des ménages il faut de la stabilité et de la lisibilité. Si nous baissons la CVAE tout en indiquant qu'elle risque d'augmenter à nouveau, mais sans savoir ni à quel moment, ni à quelle hauteur, ni pour qui, nous ne pourrions pas faire pire erreur alors que nous voulons enclencher une dynamique de confiance et de climat d'investissement. Si nous décidons de baisser la CVAE, nous baissons la CVAE, point. Je suis pour les coups de gouvernail francs en matière de fiscalité. Rien de pire que le louvoiement pour l'investissement et l'emploi.

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Je ne suis pas certain que, pour les entreprises, la priorité soit la baisse du versement mobilité plutôt que la baisse de la CVAE. Les collectivités, notamment les autorités organisatrices de la mobilité, tiennent au versement mobilité.

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Laurent Saint Martin, rapporteur général

Elles tiennent au lien direct qui existe avec l'investissement lié aux transports en commun.

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Les régions tiennent à la CVAE. C'est leur seul impôt !

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Laurent Saint Martin, rapporteur général

À mon avis, la compensation par une fraction de TVA a plus de sens. La facilité d'exécution, beaucoup plus évidente avec la CVAE qu'avec le versement mobilité, compte aussi dans le choix que nous devons faire, dans les prochaines semaines, pour la relance.

Pour reprendre les termes de Romain Grau, l'architecture globale doit être revue ; ayons du courage là-dessus. À la sortie de cette crise, la fiscalité des entreprises sera-t-elle satisfaisante ? Il ne faut pas hésiter à la repenser ; il s'agit d'un chantier encore long, avec d'autres impôts de production qu'il restera à explorer dans un contexte plus serein qu'aujourd'hui.

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Pourriez-vous approfondir une des idées présentées en conclusion ? Est-on capable, dans le calcul de la CVAE, de tenir compte de la part exportée, soit pour déterminer le plafonnement, soit pour fixer le taux ?

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Laurent Saint Martin, rapporteur général

Sauf erreur de ma part, le chiffre d'affaires à l'export est déclaré dans les liasses fiscales ; c'est donc traçable. Mais ce n'est que le chiffre d'affaires à l'export et pas la valeur ajoutée. Nous pouvons examiner s'il est possible d'opérer une différenciation pour les entreprises exportatrices, mais je ne suis pas certain que cela le soit techniquement.

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En outre, les sous-traitants des entreprises exportatrices n'en bénéficieraient pas, car ils vendent en France.

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Laurent Saint Martin, rapporteur général

Absolument. En tout cas, il faut aider nos entreprises à exporter plus. Sur ce point, nous pouvons tous nous retrouver.

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La baisse de la CVAE aura un effet direct de hausse de l'impôt sur les sociétés : lorsque nous baissons les charges, nous augmentons le résultat imposable. Il faudra par ailleurs trouver une clé de répartition sur le territoire : aujourd'hui, la CVAE est répartie en fonction de règles propres, héritées de celles de la taxe professionnelle. J'insiste sur l'importance du lien entre une activité économique sur un territoire et les recettes publiques qui lui sont affectées.

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Nous avons un instrument avec le plafonnement de la contribution économique territoriale (CET), qui englobe la contribution foncière des entreprises (CFE). J'insiste sur la simplicité du mécanisme de l'article 1647 B sexies, qui présente l'avantage d'une compensation assez aisée à la collectivité territoriale. Le plafonnement s'applique, vous le précisez, jusqu'à 2 %.

Le paradoxe qui, à mon sens, exige que nous revoyions l'architecture globale tient au fait qu'aujourd'hui, le premier contribuable local, c'est l'État ! Ceci à cause de toute cette lâcheté accumulée depuis 1917 : nous avons créé de nombreux dégrèvements que nous n'avons jamais voulu regarder en face.

Depuis 1917, nous confondons autonomie fiscale et autonomie financière des collectivités locales. L'Allemagne nous en montre l'exemple : personne, ici, n'oserait dire que l'Allemagne n'est pas un pays décentralisé – c'est même un État fédéral. Pourtant, l'autonomie fiscale des collectivités et leur pouvoir de déterminer les taux n'est pas aussi importante qu'en France.

La commission autorise la publication du rapport d'information sur l'application des mesures fiscales.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 29 juillet à 9 heures 30

Présents. - M. Jean-Noël Barrot, Mme Émilie Cariou, M. Jean-René Cazeneuve, M. Charles de Courson, Mme Stella Dupont, M. Romain Grau, M. François Jolivet, M. Michel Lauzzana, M. Marc Le Fur, M. Jean-Paul Mattei, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, M. Benoit Potterie, M. Laurent Saint‑Martin

Excusés. - M. Damien Abad, M. Fabrice Brun, Mme Marie-Christine Dalloz, M. David Habib, M. Christophe Jerretie, Mme Valérie Rabault, M. Xavier Roseren, M. Olivier Serva, M. Benoit Simian, M. Éric Woerth

Assistait également à la réunion. - M. Pierre Cordier