Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

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  • CNED
  • confinement
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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 23 septembre 2020

La séance est ouverte à neuf heures trente

(Présidence de M. Bruno Studer, président)

Dans le cadre des Rendez–vous du numérique éducatif (première partie), la commission procède à deux tables rondes.

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Il m'a paru essentiel, dans le prolongement des travaux de la mission d'information sur « L'école dans la société du numérique », dont le rapport a déjà presque deux ans, d'organiser des rendez-vous du numérique éducatif pour réunir lors de quatre tables rondes différents acteurs du secteur, publics et privés, nationaux et territoriaux.

L'un des enjeux révélés par la crise sanitaire concerne la protection des données de l'éducation et des élèves. C'est pourquoi j'ai demandé à Nathalie Sonnac de bien vouloir ouvrir cette première matinée et l'ensemble des tables rondes, en venant nous présenter le rapport Enjeux d'éthique des usages des données numériques d'éducation dans le contexte de la pandémie que vous avez remis, madame la présidente, le 27 août dernier au ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, monsieur Jean-Michel Blanquer.

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Nathalie Sonnac, présidente du comité d'éthique pour les données d'éducation, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Le comité d'éthique des données d'éducation s'est autosaisi au début de la crise sanitaire. Il a été alerté par l'un de ses membres, Ignacio Atal, qui est le corapporteur avec Christine Froidevaux de ce comité.

Cette alerte durant la crise du COVID-19 est liée au fait que la crise sanitaire a nécessité la mise en place d'un enseignement à distance pour assurer une continuité pédagogique hors de l'école, hors des établissements scolaires, et à l'utilisation massive et accélérée d'outils numériques, dont des logiciels de provenances plus ou moins sûres. Cela a augmenté les risques déjà existants et a fait émerger de nouveaux risques.

L'avis, que nous avons rendu fin août à M. le ministre, traduit la volonté d'analyser les enjeux d'éthique liés à la collecte, à l'échange, au traitement des données d'éducation, initiée de façon réactive dans l'urgence de la situation.

Notre analyse porte sur les données d'éducation numérique. Elle prend en compte les impératifs de continuité pédagogique, le respect des valeurs au cœur de la mission pédagogique, la protection indispensable des élèves et de la communauté éducative dans son ensemble, pour une confiance partagée ainsi que les opportunités d'évolution du système éducatif.

Notre avis relève trois enjeux d'éthique majeurs de l'usage du numérique dans le domaine éducatif : protéger les données personnelles, garantir la souveraineté numérique nationale et assurer l'égalité d'accès aux ressources et aux compétences numériques.

Le premier enjeu concerne la protection des données personnelles numériques d'éducation des élèves. Nous avons constaté durant le confinement que des données des élèves, de leurs familles, des enseignants ont été produites, traitées, stockées de façon massive par les plateformes numériques. Ces données sont de plusieurs ordres : administratif, institutionnel et personnel.

Nous avons aussi assisté à une augmentation considérable du recours aux mails, aux systèmes de messagerie instantanée, aux réseaux sociaux ainsi qu'aux outils de visioconférence pour communiquer, échanger des informations, faire un cours ou travailler de façon collaborative.

Toutes ces interactions ont produit massivement des données stockées par des fournisseurs de services, potentiellement stockées par toute personne ayant accès à ces espaces d'interactions. Nous avons constaté que, au-delà du domaine scolaire, le nombre de données d'interactions qui ont été produites et stockées a explosé, notamment avec l'utilisation massive des réseaux sociaux par les élèves, mais aussi par les enseignants et bien entendu par leurs parents.

Ces données d'éducation sont spécifiques, car elles concernent des mineurs, mais aussi parce que leur usage se doit de respecter les principes de l'intérêt public du service de l'éducation. Nous considérons donc que ces usages sont hautement sensibles.

Nous avons mis en évidence dans notre avis qu'une donnée d'éducation peut ne plus se rapporter à une personne identifiable si elle a été soumise à un processus d'anonymisation ou si elle a été agrégée aux données d'autres personnes. De telles données ne sont alors plus des données personnelles et ne relèvent plus du règlement général sur la protection des données (RGPD), à l'inverse des données pseudonymisées.

Les données d'éducation sont traitées par de nombreux acteurs à de nombreuses fins, avec des outils très divers. Nous avons observé, durant le confinement, une augmentation spectaculaire de l'usage des outils numériques pour communiquer et partager des données d'éducation. La proportion de recours à des outils non institutionnels est évidemment difficile à évaluer, mais nous savons qu'elle n'a pas été négligeable. Même si le ministère et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ont ensuite déployé des outils, fourni des choix d'outils numériques conformes aux règles de protection des données, nous avons pourtant relevé dans notre avis plusieurs risques pour les données d'éducation, relatifs notamment aux libertés fondamentales.

Nous avons noté d'abord un risque d'atteinte à la vie privée : perte de confidentialité des données personnelles des individus ou des groupes d'individus, risque de manipulation, risque de harcèlement, risque d'enfermement, risque de discrimination et enfin, risque de perte d'autonomie.

Nous avons identifié deux tensions : d'une part entre le respect de la vie privée de l'élève et le besoin d'assurer un suivi pédagogique individualisé avec les données personnelles, d'autre part entre une protection juridique exigeante de l'ensemble des données d'éducation et la lourdeur des traitements qui en résulterait.

Dans notre avis, en conclusion de ce premier point sur le respect des libertés fondamentales des acteurs de l'éducation, nous avons formulé neuf recommandations que vous trouverez sur le site de l'Éducation nationale. J'insiste sur deux d'entre elles qui apparaissent comme prioritaires dans cette période de pandémie, malheureusement pas encore terminée.

La première est d'offrir des garanties de sécurité des outils, que l'État recommande ou que l'État met à la disposition des acteurs de l'éducation, et d'évaluer le risque que fait courir leur perte éventuelle de confidentialité. La seconde est de mettre en place des accords avec les acteurs privés dont les élèves et les enseignants utiliseraient les outils, pour garantir « une minimisation » de l'usage de la donnée à une liste définie, par exemple par le ministère, ainsi qu'un effacement régulier de ces données.

Le deuxième enjeu d'éthique est de garantir la souveraineté numérique nationale. La souveraineté numérique signifie, pour résumer, rester maître de nos choix et de nos valeurs. Au-delà des enjeux politiques et économiques, la souveraineté numérique est aussi porteuse de nombreux enjeux d'éthique. Elle implique notamment la question de la formation des acteurs de la communauté éducative, qui doit être, selon nous, prioritaire.

Pendant la période du confinement, le recours à l'offre du privé du EdTech, concernant les moyens numériques pour échanger des documents et converser à distance, a augmenté de façon considérable. Dans le top 20 figurent WhatsApp, Google Suite, Zoom ou Discord. Or il est difficile pour les utilisateurs de s'assurer de la conformité au RGPD de ces outils.

L'offre publique n'a pas pu, dans un premier temps, assurer les flux de demandes ni proposer des outils disposant de toutes les fonctionnalités nécessaires à la continuité pédagogique dans le respect du RGPD.

Or, comme nous le montrons dans notre avis, les données d'éducation constituent une richesse stratégique nationale, une mine d'or pour la recherche et l'innovation. Elles permettent par exemple d'extraire les statistiques sur l'Éducation nationale par villes, par régions, voire à l'échelle d'un pays. Les données agrégées permettent d'évaluer la situation d'un pays en matière d'éducation nationale et d'étudier son évolution dans le temps. La connaissance de ces données par des pays étrangers peut donc constituer une vulnérabilité pour notre pays, si celles-ci étaient utilisées à mauvais escient. Le pays doit pouvoir rester maître de la diffusion de ces informations.

Deux risques relatifs à la souveraineté numérique sont donc identifiés pour les données d'éducation : un risque évident d'ingérence dans nos choix de société qui conduirait à une possible perte d'autonomie et un risque de perte de confidentialité.

Dans cette deuxième catégorie de garantie de la souveraineté, nous avons formulé dans notre avis six recommandations, dont deux nous semblent prioritaires pour garantir la souveraineté numérique en matière d'éducation. La première est d'assurer une offre gratuite, à l'échelle nationale ou européenne, d'outils de téléenseignement de bonne qualité. Ces outils doivent avoir un minimum de fonctionnalités – par exemple des actions de partage collaboratif –, suffisamment de convivialité – rapidité d'exécution, facilité de prise en main – et de la robustesse – les outils doivent être adaptés à un grand nombre de participants –, le tout dans le respect des valeurs d'éthique européennes qui sont portées par le RGPD.

Notre seconde recommandation est d'effectuer une veille et une analyse des principaux outils de communication, de partage, de collaboration qui peuvent être utiles dans le cadre de l'enseignement scolaire, qu'ils soient développés par des acteurs publics ou privés, français ou européens, dès lors qu'ils sont respectueux de nos libertés fondamentales.

Le troisième, et dernier, enjeu d'éthique est d'assurer l'égalité d'accès au numérique. Les données d'éducation sont de plus en plus produites et échangées à travers des outils numériques. Il convient de veiller à ce que cette production et ces échanges puissent être effectués de façon égale pour tous, mais aussi par tous.

Nous avons étudié l'état d'équipement et de connexion numérique. Nous avons vu des inégalités de répartition et d'accès à ces ressources, mais aussi des inégalités d'utilisation de ces moyens numériques liées à un manque de culture numérique. J'insiste vraiment, monsieur le président, sur ce dernier point. Ce manque de culture numérique rend ces moyens difficilement, voire pas du tout, utilisables.

Les compétences numériques de base doivent être maîtrisées par tous les acteurs de la communauté éducative, en particulier les élèves, leurs familles, les enseignants, mais aussi plus généralement par tous les citoyens, pour des usages responsables du numérique. Les questions de la formation au numérique et de la citoyenneté numérique nous semblent fondamentales. Cela se traduit aussi par des besoins de formation au numérique des enseignants, et ils avaient d'ailleurs déjà exprimé ce besoin avant la crise.

Nous indiquons donc un certain nombre d'enjeux d'éthique pour les données d'éducation qui sont relatifs aux accès au numérique, aux compétences numériques et à la citoyenneté numérique. Je vous cite notamment l'accentuation pendant la pandémie des inégalités territoriales, sociales et familiales pour l'accès au numérique et son utilisation, le renforcement des inégalités scolaires par des inégalités d'accès au numérique et par les manques de compétences numériques, la vulnérabilité des élèves et des familles par le manque de compétences numériques pour appréhender les enjeux de modèles économiques des marchands de données numériques. Ce dernier point est extrêmement important. J'ajoute la vulnérabilité des élèves face aux fausses informations, le risque d'exclusion de ceux qui ne pourraient pas devenir des citoyens numériques.

En conclusion, nous formulons concernant ce point six recommandations pour assurer l'égalité d'accès au numérique. L'une d'entre elles nous semble prioritaire : éduquer aux médias et éduquer par les médias. Enfants, familles et enseignants doivent être sensibilisés aux services en ligne, à la vérification des faits et à l'analyse critique des informations disponibles, par exemple à la lutte contre les fausses informations ou les manipulations de l'information.

J'ai rapidement résumé les principaux points de ce rapport, qui est téléchargeable en ligne gratuitement et légalement sur le site de l'Éducation nationale.

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Votre propos reprend un certain nombre de constats et d'interrogations que j'avais prévu d'aborder. Nous sommes donc plongés dans le vif du sujet.

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Nos travaux sont préalables aux États Généraux du numérique pour l'Éducation annoncés par M. le ministre pour les 4 et 5 novembre à Poitiers. Notre première table ronde porte sur le service public du numérique éducatif. Les suivantes, plus spécifiques, porteront sur les ressources privées du numérique éducatif, la formation des enseignants et les infrastructures et équipements numériques.

Pour cette première table ronde, je souhaite la bienvenue :

- à M. Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED),

- à M. Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Direction du numérique pour l'éducation au ministère de l'Éducation nationale,

- à Mme Margarida Romero, directrice du Laboratoire d'innovation et numérique pour l'éducation (LINE) et membre de l'Unité de recherche de l'École supérieure du professorat et de l'éducation de l'Académie de Nice et de l'Université Nice Sophia Antipolis.

J'ai quelques questions pour nos intervenants. Quel bilan tirez-vous de la période concernant la manière dont le service public éducatif a répondu à la crise ? Quelles solutions pouvons-nous envisager pour que le numérique éducatif français soit moins dépendant d'outils de communication proposés par des entreprises internationales ? Nous avons bien compris, à travers les propos de Mme Sonnac, qu'elle souhaiterait avoir un Zoom national gratuit et respectueux du RGPD.

Enfin, la multitude de ressources et de services pédagogiques existantes a pu être un obstacle à leur utilisation par les enseignants. Dans quelle mesure pourrions-nous imaginer une plateforme rassemblant l'ensemble des solutions pédagogiques publiques et privées ?

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Margarida Romero, directrice du Laboratoire d'innovation et numérique pour l'éducation (LINE), Unité de recherche de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de l'Académie de Nice et de l'Université Nice Sophia Antipolis

Comme vous pouvez l'entendre, mon accent n'est ni alsacien ni parisien. J'ai appris le français dans un collège à la fois catalan, espagnol et européen où, grâce au programme Eurodyssée, j'ai eu la chance de commencer ma carrière professionnelle dans le secteur du numérique éducatif en France chez Onlineformapro en Franche-Comté. Après Onlineformapro, j'ai sillonné la France dans le secteur EdTech, toujours avec mon accent, mais surtout avec une langue universelle qui m'a ouvert beaucoup de portes : l'informatique.

Comme les mathématiques, la programmation informatique n'a pas d'accent. Elle ouvre les horizons aux jeunes de toutes origines sur la planète entière. Les compétences et la culture numériques de nos filles et de nos garçons sont un enjeu de société de premier ordre. Dans un monde devenu un village global de l'Internet, la capacité de notre société à être acteur, créateur et innovateur dans les secteurs EdTech, mais aussi dans ceux de la culture numérique est un enjeu géopolitique et socioéconomique de premier plan.

Comme Mme Nathalie Sonnac l'a signalé, l'enjeu des données éducatives est également important, tant du point de vue de la privacité que de l'exploitation des données dans un but de recherche et de politique éducative. Ainsi, nous pouvons être programmés, nous laisser porter par le confort des solutions des géants du Web tels que Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) ou nous pouvons nous prendre en main comme créateurs de nos ressources, de nos outils et de notre société dans le monde numérique d'aujourd'hui et de demain.

Nous venons de vivre une période très difficile de confinement. Dans ce contexte, nous devons saluer nos superhéros éducatifs, les enseignantes et les enseignants qui ont réussi à mettre en place, parfois en bricolant avec des outils qui n'étaient pas toujours les meilleurs, des solutions pour maintenir le lien avec leurs élèves et leurs familles. Lorsque les environnements numériques de travail (ENT) n'ont pas été suffisants, ce sont même les élèves et leurs familles qui ont été porteurs de solutions. Certes, cela montre les limites actuelles des solutions institutionnelles, mais aussi la résilience et la créativité des communautés éducatives en période de crise.

L'enquête que nous avons réalisée à la fin du confinement montre à quel point les enseignantes et les enseignants ont su être flexibles sur la progression des apprentissages. Ils se sont centrés sur le maintien des liens éducatifs et ont compensé comme ils ont pu les inégalités numériques et les inégalités de l'environnement socio-éducatif des élèves défavorisés.

Nos recherches sur l'aspect socio-éducatif, développées de manière indépendante avec des enseignants, ont mis en lumière l'importance de la coopération et de l'entraide au sein des équipes des écoles. Nous avons observé que les équipes qui avaient développé avant le confinement des pratiques d'entraide, de coopération et cultivé le sentiment d'appartenance à l'école ont été plus résilientes que les enseignants et les élèves isolés. Rien d'étonnant, me direz-vous ! Nous sommes des mammifères avec un grand besoin de socialisation et de coopération. Même à l'heure du numérique, il nous faut tout un village pour élever un enfant, comme le dit un proverbe africain.

À défaut d'une organisation sociale et urbaine centrée sur les besoins de l'enfance et de la jeunesse, nous avons la chance d'avoir des enseignantes et des enseignants d'une grande qualité. Nous nous devons de leur apporter un bon contexte de travail, des équipements numériques personnels, des opportunités de développement professionnel et des collaborations avec les éditeurs de contenus, mais aussi avec les équipes de recherche en sciences de l'éducation et de la formation. Le métier d'enseignant, l'un des plus beaux et un des plus importants pour le devenir de notre société, doit pouvoir attirer les meilleurs élèves et devenir une filière d'excellence. Ainsi, l'excellence, la créativité, la coopération et les compétences numériques doivent pouvoir compléter la devise Liberté-Égalité-Fraternité dans l'école de la confiance et la formation des enseignants.

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Le CNED a été très visible ces derniers temps et, si la situation sanitaire a été inédite même pour le CNED, la situation de travail n'a pas été aussi inédite que cela. Au CNED, en temps normal, plus de la moitié des personnels sont en télétravail et la totalité de nos apprenants, élèves, étudiants ou adultes en formation, est à distance et travaille souvent sans professeur. Nous sommes là lorsque les enseignants ne sont pas là.

Pendant la crise, 1,9 million de familles se sont connectées sur la plateforme « Ma classe à la maison » que nous avions développée. Plus de 500 000 enseignants ont utilisé cette plateforme. Environ 11,5 millions de classes virtuelles se sont déroulées pendant la période de confinement. La plateforme « Ma classe à la maison » dispose en effet de deux services : un service de parcours de formation de la petite section de maternelle jusqu'à la terminale et un service de classe virtuelle qui permettait aux enseignants d'être en relation avec les élèves.

Le CNED a d'abord et toujours été perçu comme l'établissement au service de l'empêchement scolaire. Je crois que, pendant la crise, le CNED s'est trouvé là où il n'était pas attendu. Cet établissement, qui était perçu comme un établissement à côté de l'école, s'est trouvé d'un seul coup aux côtés de l'école. Je crois que cette idée du CNED aux côtés de l'école permet de penser la politique numérique du ministère un peu différemment, avec un opérateur qui peut prendre une plus grande place qu'aujourd'hui dans la politique numérique, en appui aux établissements en présence.

Le fonctionnement du CNED et la mise à disposition de services durant cette période nous ont aussi permis de faire un certain nombre d'observations, peut-être de conforter un certain nombre d'intuitions, voire de repérer un certain nombre de fragilités. Nous avons le sentiment que trente années de numérique éducatif, avec des politiques parfois ambitieuses, souvent très affirmées, n'ont pas réussi totalement à construire ou à ancrer une solide culture du numérique à l'école. Cela peut paraître caricatural et n'a pas du tout la prétention de recouvrir tout ce qu'il s'est passé sur le territoire national, mais nous avons tout de même eu de nombreux retours des parents d'élèves, des élèves et des enseignants.

Finalement, comme je l'écrivais dans un rapport de l'Inspection générale il y a quelques années, je crois que nous n'avons pas réussi à passer de l'entre-soi à « l'entre-tous ». Certes, le cercle de l'entre-soi s'est élargi mais je ne suis pas sûr qu'il recouvre aujourd'hui le cercle de l'entre-tous ; c'est le défi qui nous attend.

Cette situation a révélé quelques fragilités, notamment une fragilité sur les usages avec une maîtrise approximative d'un certain nombre d'outils, même très simples, par les communautés enseignantes, avec un peu moins de difficultés pour les élèves et leurs familles.

Nous avons aussi noté une fragilité sur l'éthique, avec à la fois une inquiétude très forte des communautés enseignantes les plus aguerries sur les données et une utilisation des données par un certain nombre d'enseignants sans qu'ils en mesurent le risque. J'ajoute à cette question des données la question du droit d'auteur. Nous avons vu des échanges importants de documents sur les réseaux sans que la question du droit d'auteur soit réinterrogée. Cela renvoie évidemment à la question de l'éducation aux médias et à l'information.

Nous avons constaté une fragilité sur l'innovation. J'ai le sentiment que, sauf exception, nous avons eu des difficultés à passer à un autre modèle que le modèle dominant « un maître – une discipline – une classe », alors que les outils que nous proposions permettaient de penser des modèles alternatifs.

Je serai un peu critique, mais je crois que ce qui a eu lieu n'est pas une accélération du numérique éducatif. C'est une accélération de l'utilisation des outils de communication, pour essayer de reproduire ce que nous faisions en présence dans l'enseignement à distance. Je ne mets pas en cause les enseignants ; ils ont accompli un travail extrêmement important pour essayer de s'adapter à la situation. Je ne crois pas non plus que ce soit un développement effréné de l'enseignement à distance qui, lui, répond à des règles de pédagogie et de didactique tout à fait particulières. J'ai le sentiment que nous n'avons pas fait autre chose autrement, mais que nous avons fait la même chose autrement. Il me semble que nous n'avons pas dispensé de l'enseignement à distance, mais que nous avons essayé de mettre à distance de l'enseignement en présence, sans en mesurer ni les effets ni les impacts ni les incidences, en renvoyant l'enseignant à des solutions personnelles et à sa responsabilité personnelle alors qu'il aurait sans doute fallu « jouer collectif ».

Le travail a été très complexe pour les équipes de direction des établissements scolaires ou des écoles qui ont eu beaucoup de mal à penser des établissements sans murs, avec une organisation temporelle sans murs, des emplois du temps qui devaient changer, une relation aux familles qui devait évoluer. Toute cette période nous interroge finalement sur la forme scolaire et sur sa capacité à évoluer.

Lorsque l'on parle d'évolution de formes scolaires, il faut évidemment s'interroger à la fois sur les apprentissages, les enseignements et le pilotage des établissements. Durant cette période, le numérique a été vu comme une solution utilitaire : nous avons basculé d'un numérique cosmétique vers un numérique utile. La question est de savoir aujourd'hui en quoi le numérique peut être utile véritablement dans son intérêt pour les apprentissages des élèves. Qu'est-ce qui apporte une plus-value à l'apprentissage ?

Je pense à trois pistes et, d'abord, à la question de l'interactivité, qui est la possibilité supplémentaire que nous donne le numérique par rapport à des supports plus traditionnels. Une autre piste est la simulation, et je pense notamment aux jumeaux numériques dans l'enseignement professionnel. Un autre aspect a trait à la différenciation – si le numérique ne nous aide pas à différencier, il n'aura pas atteint son objectif – et à la personnalisation avec le recours au parcours adaptatif et à l'intelligence artificielle. Tant que nous n'utilisons pas ces pistes, nous ne sommes pas sur du numérique au sens où je l'entends aujourd'hui.

J'évoquais précédemment la place du CNED au service des établissements en présence. Comme le CNED est un établissement de l'empêchement, il n'a jamais été totalement intégré aux politiques numériques de l'État, même s'il a lui-même fait sa révolution numérique en interne.

Plusieurs pistes peuvent permettre d'avancer sur cette politique numérique. Le CNED peut aujourd'hui, en réponse à l'équité territoriale, ouvrir les cartes des formations des établissements, en apportant des enseignements qui n'existent pas en présence dans les établissements et dont les élèves pourraient bénéficier à distance. Je pense aux langues à faible diffusion et aux spécialités qui n'existent pas dans tel ou tel établissement. Cela permettrait « un établissement augmenté » avec un établissement public comme le CNED.

Un deuxième aspect est l'appui à la scolarisation en présence. Je pense aux « enseignements augmentés », avec la possibilité de mettre à disposition des établissements en présence des systèmes numériques que nous développons aujourd'hui avec des sociétés privées autour du training en langues vivantes ou des pratiques à l'oral qui sont compliquées à mettre en œuvre en présence avec 25 ou 30 élèves dans la classe.

Un troisième aspect concerne les dispositifs de continuité pédagogique. Nous avons vu le rôle du CNED dans cette période, mais nous sommes en train de déployer une plateforme de remplacement de courte durée pour permettre des remplacements d'enseignants pour des durées de moins de quinze jours. Cela permettrait à un élève de poursuivre ses apprentissages avec un retour vers l'enseignant sur ce que l'élève a fait durant ces quinze jours.

Un quatrième dispositif peut être la lutte contre les difficultés scolaires. Nous avons développé un avatar qui répond à toutes les questions des élèves en mathématiques, français, sciences de la vie et de la terre, physique-chimie, pour tous les niveaux du collège. Il permet de recentrer l'enseignant sur sa véritable plus-value au service des apprentissages, sans qu'il ait à répondre à des questions de base que l'élève devrait maîtriser. Nous sommes ainsi sur l'idée d'un élève « augmenté » avec des outils numériques.

Un dernier point concerne les « territoires augmentés ». La formation à distance peut permettre d'offrir une formation au plus près des territoires, notamment au service des populations en reconversion qui pourraient ainsi éviter de se déplacer. L'enjeu est également écologique, en leur offrant des formations au plus près de leur lieu d'habitation.

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Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Direction du numérique pour l'éducation (DNE) au ministère de l'Éducation nationale

La période que nous avons vécue au moment du confinement a été extraordinaire en matière de numérique et il faut évidemment essayer d'en mesurer tous les impacts. C'est la raison pour laquelle le ministre a décidé l'organisation des États Généraux du numérique pour l'Éducation. Il l'a annoncé très tôt, début avril, pour nous permettre d'effectuer un retour d'expérience sur toutes les initiatives qui avaient été portées et sur les difficultés rencontrées.

Je vous présenterai la synthèse de la concertation que nous avons déjà été amenés à porter et que nous poursuivons actuellement avec l'organisation d'États Généraux territoriaux, de façon à associer tous les acteurs de proximité qui se sont mobilisés durant le confinement. Nous avons identifié cinq axes qui correspondent à un état des lieux de la situation.

Le premier axe, dont nous pouvions penser qu'il était derrière nous, est celui de la fracture numérique. La fracture numérique a été bien présente et a été importante pour un certain nombre d'élèves. Elle concernait les questions d'équipement et l'accès à la connexion. Nous estimons que plus de 500 000 élèves n'ont pas eu la possibilité de suivre la continuité pédagogique. La question de la fracture numérique est donc un enjeu crucial dans le cadre de la mise en place de politiques publiques.

Au-delà de la question de la fracture numérique, s'est posée celle de l'inclusion, puisque les élèves en situation de handicap se sont retrouvés particulièrement en difficulté durant cette période. En effet, ils n'avaient pas d'accompagnant des élèves en situation de handicap (AVS) à côté d'eux et les outils numériques n'étaient pas toujours adaptés. Nous savons la question de l'inclusion importante et elle doit prendre une autre dimension dans le développement d'un certain nombre d'outils et de services.

Après cette première thématique autour de la fracture numérique et de l'inclusion, la le deuxième axe concerne la collaboration et la coopération. Nous avons observé que les établissements qui avaient mis en place des pratiques professionnelles basées sur la coopération ont beaucoup mieux répondu aux enjeux du confinement. Tous les retours d'expérience académiques vont dans ce sens.

La question de la coopération n'est pas une dimension nouvelle. Des études récentes de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montraient bien que l'efficience d'un système éducatif repose sur les enjeux de coopération entre enseignants. Lors du confinement, nous avons vu que les chefs d'établissement qui avaient su mettre en place d'autres pratiques de collaboration au sein de leur établissement avaient mieux répondu à ces enjeux de confinement. La question est donc : comment offrir des outils de coopération, de collaboration à l'ensemble de la communauté éducative pour permettre de travailler différemment ? Il s'agit de construire des communs numériques pour l'ensemble de la communauté éducative et de faire en sorte que, à travers ces outils, nous puissions mieux travailler ensemble et travailler autrement.

Le troisième axe est bien évidemment la façon d'enseigner et d'apprendre avec le numérique. Nous ne sommes pas dans un domaine nouveau. Les politiques publiques, depuis trente ans, ont beaucoup insisté sur cet enjeu. L'expérience du confinement met tout de même certains éléments en avant, notamment le fait que nous avons essentiellement utilisé des outils numériques destinés à la mise à disposition de contenus, permettant de déposer ou d'accéder à des documents.

Nous avons été ainsi amenés à proposer des environnements numériques de travail, qui ont permis de répondre à un certain nombre d'enjeux, mais nous n'avons pas utilisé massivement des outils permettant l'acquisition de nouvelles connaissances et compétences. Les outils utilisés ont servi à la consolidation des compétences et des acquis. Toutefois, lorsque la période de confinement a duré, les outils permettant un processus pédagogique d'acquisition de savoir et de connaissances n'ont pas été utilisés alors qu'ils existent. Il nous faut donc aller au-delà du numérique tel qu'il a été pratiqué pour qu'il s'ancre durablement dans l'ensemble des pratiques pédagogiques.

L'enjeu est le développement des compétences numériques des élèves : comment les renforcer ? Nous avons mis en place des outils et des dispositifs dont certains sont généralisés cette année à travers la certification des compétences numériques des élèves, avec l'outil de certification Pix, en fin de troisième et en fin du cycle terminal. Cela nous permettra de renforcer la certification des compétences numériques des élèves. Il nous faut, de plus, intégrer ces compétences de manière massive dans le cadre des enseignements comme lors de la réforme du lycée avec l'introduction des sciences numériques et technologiques et la mise en place de l'enseignements de spécialité « Numérique et Sciences informatiques ». Cette transformation a eu lieu ces derniers mois et ces dernières années, mais, il nous faut, bien entendu, aller plus loin.

Enseigner et apprendre avec le numérique touche aussi les compétences numériques des enseignants. Nous devons également être en capacité de certifier les compétences numériques des enseignants, donc rentrer dans un processus de démultiplication des compétences numériques des enseignants. C'est la raison pour laquelle nous mettons actuellement en place un Pix-Enseignant, qui permettra de certifier les compétences numériques des enseignants et de les intégrer dans un développement professionnel des enseignants. Cette dimension est également très importante. D'autres dimensions sont à intégrer dans cet axe, mais j'insiste particulièrement sur ces points.

Le quatrième axe concerne la donnée. La question de la souveraineté a été rappelée plusieurs fois ce matin. Nous devons être capables de mettre de place tous les dispositifs qui nous garantiront la protection et la valorisation de la donnée. Dans son discours de l'Université d'été du numérique pour l'éducation Ludovia en août 2018, le ministre a bien insisté sur ces deux dimensions et c'est la feuille de route sur laquelle nous nous sommes appuyés. Cela prend à l'aune du confinement une dimension bien particulière.

Le ministre a insisté sur deux piliers : protection et valorisation. Il faut que nous puissions protéger l'ensemble des données personnelles et cela nécessite la mise en place d'un certain nombre de dispositifs, dont le comité d'éthique fait partie. Nous travaillons pour créer un code de conduite avec l'ensemble des acteurs du numérique éducatif privé, que vous rencontrerez dans la deuxième table ronde. Le code de conduite est l'un des outils du RGPD qui permet, pour un secteur d'activité déterminé, de définir des règles spécifiques. Nous avons besoin de ces règles spécifiques, entre autres, parce que la donnée d'éducation n'est pas considérée comme une donnée sensible, au sens réglementaire du terme. Il nous faut donc déterminer des règles spécifiques. C'est le travail que nous effectuons depuis plusieurs mois avec les acteurs de la filière pour qu'ils portent un code de conduite nous garantissant un renforcement de la protection des données numériques des élèves.

La question de la valorisation des données est également essentielle. Il faut pouvoir les utiliser pour offrir de nouveaux services et mettre à disposition de nouveaux outils. Nous avons parlé, par exemple, d'intelligence artificielle pour permettre la différenciation dans les apprentissages. Ces dispositifs sont particulièrement utiles dans le cadre d'acquisition de connaissances, de savoirs et de compétences, mais ils ne sont possibles qu'à travers une utilisation de la donnée. Nous réfléchissons donc autour de la donnée pour construire une stratégie. Avec le confinement, il faut accélérer la mise en place de ces dispositifs.

Le dernier axe porte sur la gouvernance et l'anticipation. Le numérique éducatif est actuellement en gouvernance partagée avec l'ensemble des collectivités territoriales. Nous avons observé une formidable mobilisation des collectivités territoriales pendant la période de confinement. En quelques jours, elles ont été amenées à stabiliser, avec l'ensemble des éditeurs privés, les ENT et elles ont réussi à faire un travail très conséquent. Elles ont pris leurs responsabilités. Elles ont des politiques très ambitieuses sur le numérique. Il faut que nous soyons dans cette gouvernance partagée et que nous revoyions nos modes de gouvernance avec l'ensemble des collectivités territoriales.

L'enjeu, absolument essentiel, sur le primaire est sous-jacent à l'ensemble de ces thématiques. Il faut construire ce numérique éducatif pour le primaire avec les collectivités territoriales, les communes en particulier. Nous avons observé beaucoup de faiblesses sur ce point.

Enfin, je terminerai par un mot sur notre capacité d'anticipation. Nous vivons une crise majeure et nous risquons d'en vivre encore quelques-unes au cours du XXIe siècle. Nous voyons que l'école est le pilier dans le cadre de ce type de crise. Nous devons absolument utiliser le numérique pour nous permettre d'anticiper les crises futures, notamment par la mise en place de nouveaux outils renforçant notre capacité d'anticipation.

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Nous pourrions nous interroger sur la nécessité d'avoir un espace numérique national de travail (E2NT). Il pourrait accompagner l'élève de la maternelle jusqu'à la fin du secondaire à l'échelle de la Nation tout entière.

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Pourriez-vous nous indiquer le bilan des projets pédagogiques avec le dispositif « Apportez votre équipement personnel de communication » (AVEC) ? Combien de collectivités s'en sont emparées ? Pour quelles raisons certaines ont-elles préféré équiper l'ensemble des élèves, et pas seulement ceux qui répondaient à des critères sociaux ou des critères de taux d'équipement ?

Par ailleurs, les parents ont été très impliqués pendant le confinement, mais certains ne pouvaient accompagner leurs enfants parce qu'ils ne maîtrisaient pas les outils et n'avaient pas les compétences requises. Je pense particulièrement aux 7 % de la population en situation d'illettrisme et à tous ceux qui sont en situation d'illectronisme. Pour aider ces parents, ne pourrions-nous pas élargir et généraliser le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants », qui n'existe aujourd'hui que pour les familles allophones ?

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Au-delà de la question essentielle de la rupture d'égalité dans l'accès aux apprentissages numériques, qu'elle soit sociale ou territoriale, je souhaite attirer votre attention sur la question de la formation des professeurs au numérique. En effet, un professeur ne pourra pas prendre ce virage et assurer un enseignement de qualité sans avoir été préalablement formé à un environnement professionnel largement modifié et à des usages bouleversés. Se pose donc la question de l'avenir du réseau Canopé qui a vu ses ressources baisser et est en cours de restructuration. Pourtant, il semble prouver son efficacité et son utilité, notamment dans le contexte que nous traversons et qui met le service public d'éducation à rude épreuve.

Comment renforcerez-vous la formation des enseignants ? Comment le réseau Canopé y concourra-t-il ?

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Madame Romero, je souhaite vous interroger sur votre article Poursuivre le programme ou assurer l'engagement ? Vous y livrez une approche originale et pertinente dans laquelle je note les transformations des usages numériques des enseignants et, au-delà, leur comportement exceptionnel lors de la période de fermeture de leurs établissements. C'est l'occasion pour moi de les remercier de nouveau pour le travail fourni durant cette période particulière.

Vous évoquez leur capacité d'adaptation, leur bienveillance et leur souci d'équité. Je suis personnellement députée d'un milieu rural et des interrogations me sont venues en lisant votre analyse. Les solutions pédagogiques trouvées par les enseignants, comme la mise en ligne de vidéos ou la création de jeux à travers le numérique, varient-elles vraiment d'un territoire à l'autre ? Vous évoquez également les regrets qu'ont ressentis certains enseignants de manière parfois répétitive et forte quant au manque de matériel, de connexion et même de directives. Ces remarques sont-elles uniformes entre les territoires ?

En somme, dans le type d'analyse que vous menez, le critère territorial a-t-il une quelconque pertinence ? Y a-t-il une voie propre des enseignants issus de la ruralité ?

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La relation de l'élève à ses enseignants est un lien tout à fait particulier entre personnes humaines, parfois mystérieux, et je pense que cela fait toute la richesse de l'enseignement. Nous avons évoqué différents problèmes matériels et nous sommes d'accord que le numérique ne peut être qu'un outil supplémentaire. Comme d'autres collègues ici, j'ai vu le numérique pénétrer la salle de classe et le quotidien sans qu'un accompagnement ad hoc ait vraiment été pensé. Nous avons procédé par tâtonnements, en restant sur de l'entre-soi.

Quelle est la place de la formation des enseignants ? Cette formation n'a pas encore trouvé un schéma satisfaisant et, surtout, n'a pas suscité l'adhésion de toute la communauté éducative. Comment mieux associer nos collègues enseignants à ce bouleversement profond qu'est le numérique ? Comment faire pour que cet outil ne soit pas vu comme une sorte de contrainte, comme un poids, mais comme un outil pour mieux enseigner au quotidien ?

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La crise sanitaire que nous traversons a montré, notamment au moment du confinement, la fracture existante entre les enfants qui avaient le moins de capital social et de capital culturel et les autres. Cela a aggravé les inégalités.

Je soutiens donc évidemment le ministère de l'Éducation nationale qui a mis en place ce protocole de continuité pédagogique et développé avec le CNED le programme « Ma classe à la maison ». Je voudrais connaître les premiers retours d'expérience sur l'application de ce dispositif. Pouvons-nous imaginer pérenniser un tel dispositif afin de développer un réel service public éducatif à distance ?

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En entendant M. Reverchon-Billot sur l'éducation avec le numérique ou par le numérique et ses propositions sur « l'enseignement augmenté », « la classe augmentée », je pensais à quel point le risque était grand que nous assistions encore un peu plus aux « inégalités augmentées ». Je trouve que c'est un risque extrêmement important. Des pratiques de ce type se développent déjà. Ce sont évidemment les enfants des classes supérieures qui profitent de ces systèmes et les inégalités se creusent pendant que les autres bénéficient de salles de classe parfois extrêmement surchargées.

L'éducation au numérique est, à mon avis, une question plus centrale que l'éducation par le numérique. Je vous ai peu entendus et je souhaiterais vous entendre sur la place des géants du numérique. Pour moi, l'éducation au numérique est avant tout l'éducation à la liberté. Quelle place le service public peut-il donner aux logiciels libres, à l'étude des programmations ?

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Je précise, même si certaines questions peuvent trouver leur réponse ici, que la première table ronde de la semaine prochaine portera sur la formation initiale et continue du corps enseignant à l'école numérique.

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Cette question des inégalités doit être première dans toutes les réflexions que nous avons autour du numérique. Le CNED s'intéresse particulièrement aux inégalités puisque nos publics empêchés sont, pour une bonne part, des publics en très grande difficulté, qui ont parfois des parcours de vie très complexes. La question de l'égalité de traitement et de l'égalité d'accès est donc importante.

Je me focalise sur le CNED qui peut être inspirant pour d'autres. Nous avons au CNED une forme de numérique qui n'est pas idéologique. Comme nous nous adressons à de jeunes enfants, à des familles démunies par rapport au numérique, nous devons dans nos dispositifs d'hybridation aborder des questions par le numérique et par des moyens beaucoup plus traditionnels qui permettent l'accès à des familles en difficulté. Je pense notamment aux supports papier imprimables.

Cette question de l'inégalité d'accès doit être au cœur de nos réflexions. Dans l'approche du numérique, tout un travail est à faire autour de la parentalité et de l'appui aux parents pour l'utilisation des systèmes numériques. Je pense que cette période de confinement nous interroge sur l'évolution des formes scolaires. Je me pose toujours la question, à ce sujet, de la possibilité de créer des tiers lieux où nous pourrions recréer du commun autour de la connaissance et des apprentissages avec des enfants et des adultes, notamment en jouant sur l'intergénérationnel qui est à mon avis une ressource extrêmement importante. Elle peut être un facteur de réduction des inégalités, d'accès raisonné et raisonnable au numérique et aux apprentissages.

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Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Direction du numérique pour l'éducation (DNE) au ministère de l'Éducation nationale

S'agissant du projet AVEC, l'expérimentation est plutôt négative. Elle n'a en tout cas pas donné le résultat escompté. Je pense que c'est lié entre autres au fait que nous sortions du plan numérique et donc que cette opération n'a peut-être pas été vraiment portée par les collectivités. Je pense aussi que l'identification des élèves en fracture numérique doit passer par l'école, par les chefs d'établissement, par les inspecteurs académiques. Nous n'avions peut-être pas suffisamment fourni un travail pour nous permettre de bien identifier les élèves en situation de fracture numérique, qu'il faut sûrement cibler beaucoup plus. C'est ce que nous faisons actuellement dans les territoires éducatifs numériques que nous avons lancés dans le Val-d'Oise et dans l'Aisne. Ce sont des dispositifs expérimentaux dans lesquels nous identifions des élèves en situation de fracture numérique, puis nous leur offrons le matériel et de bonnes conditions pour effectuer cette continuité pédagogique.

J'insiste aussi sur les enjeux liés à l'illectronisme des parents. Dans le cadre des territoires numériques éducatifs, nous avons été amenés à mettre en place des dispositifs de formation pour les parents. Ce sont des dispositifs spécifiques pour aider les parents dans leur rôle et, au-delà de ce qui a été constaté pendant le confinement, les aider aussi dans l'appropriation de l'ensemble des outils. Cette question de la parentalité est au cœur de l'expérience. Les démonstrateurs que nous avons lancés lundi avec le ministre et certains députés présents dans la salle ciblent également certains leviers.

La question de la formation des professeurs est essentielle. En tant qu'ancien directeur général du réseau Canopé, je tiens à préciser que la question de la formation était au cœur même des enjeux lorsque nous avons repensé Canopé. Actuellement, Canopé se renforce sur tous les enjeux de formation. Je ne vous cache pas que le réseau Canopé aura des moyens pour porter un certain nombre de politiques publiques, en particulier les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation numériques (e-Inspé). Nous avons donc repositionné l'opérateur dans son rôle autour de la formation et dans une démarche totalement complémentaire avec le CNED. Il existe ainsi une cohérence entre l'ensemble des opérateurs et je pense que cela s'inscrit dans une politique consistant à bien repositionner les opérateurs dans des dynamiques communes.

Nous savons bien que la relation élève-enseignant a pâti du confinement, mais, dans tous les retours d'expérience que nous avons, la préoccupation première des enseignants a été de garder le lien avec les élèves, plus que de voir si les élèves avaient fait leurs devoirs. Il faut le souligner. Cette dimension est très importante et nous devons donner les outils pour faire en sorte que cette relation à l'élève soit présente. Les ENT ont joué un vrai rôle. L'utilisation des ENT a augmenté de 345 % en quelques jours. Au mois de mars, en agrégeant l'ensemble des ENT, cela a constitué le cinquième plus important site Internet en France.

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C'est l'origine de ma question sur l'opportunité d'avoir un E2NT.

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Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Direction du numérique pour l'éducation (DNE) au ministère de l'Éducation nationale

La question peut se poser ainsi, mais ce n'est pas le schéma qui a été développé en 2004. Il avait été décidé à l'époque que cette dimension soit portée par les collectivités et revenir sur ce schéma tel qu'il avait été mis en place peut poser d'autres problèmes. Il faut sûrement accompagner différemment. Une restructuration de l'ensemble des éditeurs des ENT est en cours. Il en existait une dizaine il y a quinze ans, ce n'est plus le cas. Il faut travailler à des synergies plus fortes avec l'ensemble de ces acteurs et c'est ce que nous essayons de faire.

Une question a été posée sur la place des géants du numérique. Les GAFAM ont été fortement utilisés durant cette période même s'il est difficile de savoir exactement comment ils ont été utilisés. Je pense, en effet, que la question du discernement, du fait de développer l'esprit critique, de faire cette éducation au numérique est centrale. Depuis 2015, tout ce qui a été mis en place dans les différents programmes va dans le sens d'un renforcement de l'éducation au numérique. Il faut le souligner, car c'est important. Il nous faut toujours aller plus loin, mais les bases sont présentes pour nous permettre de construire une éducation au numérique renforcée.

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Margarida Romero, directrice du Laboratoire d'innovation et numérique pour l'éducation (LINE), Unité de recherche de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de l'Académie de Nice et de l'Université Nice Sophia Antipolis

. S'agissant de votre question sur l'ENT, monsieur Studer, du point de vue de l'utilisateur final, c'est-à-dire de l'élève et sa famille, il faudrait que nous soyons courageux et que nous nous dotions d'une vraie solution.

Nous avons jusqu'à présent observé ce qu'il s'est passé dans chaque territoire et les résultats sont plus ou moins heureux, avec des ENT qui fonctionnent plus ou moins. Je pense qu'il faut le courage, à un moment donné, de se doter d'outils de haute qualité au niveau national. Ces outils doivent assurer la politique de qualité des données. Puisque ces données sont une mine d'or comme Mme Sonnac le soulignait, qu'elles peuvent nous donner un retour sur les politiques éducatives, sur les différences entre les territoires, il faut qu'elles soient centralisées. Cela demande du courage et un partenariat avec les secteurs EdTech. De mon point de vue, nous avons été jusqu'à présent un peu trop « distribués » et nous devons constater que cela n'a pas fonctionné partout, qu'il a fallu aller chercher des solutions complémentaires. Comme je viens du monde de l'enseignement et de la recherche et que je ne suis plus liée à des entreprises, je peux faire ce constat.

Les inégalités territoriales sont très fréquentes et c'est un des éléments sur lesquels je m'interroge beaucoup. Je travaille depuis trois ans à l'Université Côte d'Azur à Nice. Quand nous allons dans les écoles, nous trouvons des univers totalement différents à seulement 700 mètres de distance. Certaines écoles sont des petits lieux privilégiés dans lesquels l'équipe-école fonctionne à merveille, où les parents sont impliqués et où tout se passe bien. À 700 mètres de là, c'est une catastrophe, le niveau des élèves est beaucoup plus bas, bien que les équipes des écoles dans ces milieux soient extraordinaires. Nous constatons, au sein même d'une commune, des fractures et des inégalités extraordinaires.

Anne Chiardola, qui prépare une très belle thèse sur l'école rurale et a été recrutée à la DNE comme experte du premier degré, analyse la ruralité et le numérique. Dans le contexte rural en France, lorsque l'équipe-école et la commune fonctionnent en bonne synergie, l'école fonctionne de façon extraordinaire parce que les décisions sont prises à une échelle humaine. L'école rurale est une chance et, très souvent, ces écoles sont mieux équipées que les écoles des quartiers défavorisés de certaines villes.

Dans les Alpes-Maritimes, les communes qui ont des plans éducatifs de grande qualité et ambitieux sont de petites communes. Ce sont des communes qui se sont emparées du numérique éducatif. Elles ont trouvé les talents et les compétences – qui sont rares – pour mettre en place des politiques éducatives numériques ambitieuses. Elles arrivent à très bien faire, à bien réunir les différents acteurs : antennes du réseau Canopé, enseignants référents pour les usages du numérique (ERUN), formateurs des Inspé. Les difficultés se trouvent plutôt dans les villes et dans certains quartiers qui sont en extrême difficulté. Même si ce ne sont pas forcément des ruralités « standard ».

La formation des enseignants est un dossier qui me touche particulièrement. Je suis enseignante du premier degré et j'ai commencé ma carrière à Barcelone, à la faculté des Sciences de l'éducation. J'ai ensuite travaillé à l'Université de Laval à Québec et je suis maintenant à l'Inspé de Nice où je forme les enseignants au numérique.

Il faut absolument plus de stabilité dans les maquettes de programme pour travailler correctement sur le long terme. Les pays nordiques se donnent parfois sept ans pour gérer les changements tandis que nous sommes en permanence en train de changer. C'est très fatigant pour les équipes qui travaillent à la formation des enseignants. Il faut aller au-delà des calendriers politiques et se donner une visée qui permette aux acteurs éducatifs de travailler dans la durée.

Il faut par ailleurs équiper les Inspé. Lorsque les enseignants viennent en formation continue chez nous, certains nous disent : « Cela n'a pas changé depuis trente ans ! » Certains Inspé sont parvenus à mettre en place quelques innovations, quelques expérimentations, mais, globalement, il faut soutenir les Inspé. Les enquêtes internationales le disent : le seul élément clé en formation est constitué des facteurs enseignants. Tout euro investi dans la formation des enseignants se répercute dans le système éducatif. Nous avons moins besoin de cadres éducatifs et d'inspecteurs lorsque les enseignants sont des professionnels hautement autonomes et responsables.

J'insiste sur ce que j'ai dit en propos liminaire : l'enseignement doit devenir une filière d'excellence et nous devons parvenir à recruter comme enseignants les meilleurs étudiants. Ce n'est pas tout à fait le cas actuellement et il faut que nous arrivions à faire rêver de devenir enseignant.

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Vous avez raison, monsieur Merriaux, la première préoccupation des enseignants a été de garder le lien avec les élèves.

Je voulais revenir sur la fracture sociale qui me paraît être la limite la plus compliquée à surmonter. Les collectivités territoriales sont-elles une piste pour résoudre le problème ?

Durant le confinement, le groupe de travail sur l'enseignement scolaire a abordé le cas des enfants malades et le lien qui pourrait s'établir avec les hôpitaux. Nous pourrions utiliser ce que nous avons vécu au profit de la continuité pédagogique pour les enfants malades.

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Vous avez évoqué votre volonté de développer le numérique utile et la culture numérique accessible à tous. Comment pouvons-nous mieux accompagner les enfants en situation de handicap pour une plus grande égalité d'accès aux ressources et aux compétences numériques en fonction de leur handicap ? Comment leur fournir des outils informatiques adaptés à leurs besoins ?

Vous avez parlé, M. Merriaux, d'un processus d'inclusion qu'il fallait accélérer et mener à bien. Quels seraient les outils à mettre en place ?

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J'écoute avec attention vos propos, mais je pense sincèrement que la difficulté proviendra du corps enseignant qui n'est absolument pas prêt pour cette éducation numérique à distance. La preuve en est que j'ai déposé une proposition de loi dans laquelle je mets ce mode d'enseignement en complémentarité avec le corps enseignant et j'ai reçu des dizaines de mails très agressifs d'enseignants qui n'en veulent pas.

Ils n'en veulent pas pour des raisons parfois très légitimes ; ils disent que l'éducation n'est pas une simple transmission, qu'il faut faire passer des émotions, qu'il faut un contact. Ils ont bien sûr raison, mais ils rejettent entièrement ce mode d'éducation.

Dans mon département, en Corrèze, nous avons été les premiers à mettre des tablettes dans les collèges. Certaines collectivités sont prêtes à investir, mais nous nous heurtons à un corps enseignant qui n'en veut pas. Tant que ce problème ne sera pas résolu, je pense que toute notre bonne volonté ne suffira pas.

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Le numérique est un levier de transformation puissant pour accompagner les politiques publiques éducatives dans toutes leurs dimensions, de la transformation pédagogique au service des apprentissages et de leur évaluation jusqu'aux enjeux de formation. La question de l'évaluation est importante pour mesurer l'efficacité du numérique comme outil au service des élèves. Aide-t-il l'élève dans ses apprentissages ?

Il faut aussi l'évaluer comme un outil au service de la communauté éducative : améliore-t-il les conditions de travail des personnels ?

À ce sujet, je tiens à saluer l'expérimentation menée actuellement dans le Val-d'Oise et dans l'Aisne et présentée lundi par Jean-Michel Blanquer et M. Merriaux, ici présent, dans ma circonscription à Herblay-sur-Seine.

Monsieur Reverchon-Billot, les propos que vous avez tenus sur la difficulté à penser l'école hors les murs m'inspirent la question suivante : comment pouvons-nous améliorer le pilotage des établissements scolaires primaires et secondaires pour lutter contre le décrochage scolaire ? Comment faire du numérique éducatif un outil de persévérance scolaire ?

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Les apprentissages via le numérique sont fondamentaux et j'apprécie vraiment le dispositif « Ma classe à la maison ». Cependant, l'accès aux ressources numériques n'est pas toujours possible en fonction du territoire où résident les élèves, notamment dans les territoires ruraux. Cela pose une vraie question d'accès au numérique.

Dans mon département de l'Aube par exemple, le déploiement du haut débit est prévu en 2023. Ce n'est pas une réponse que nous pouvons donner aux familles et aux enseignants. Lorsqu'ils font un cours, le débit chute, le cours est coupé, c'est compliqué. De plus, toutes les familles n'ont pas suffisamment de ressources pour payer des abonnements Internet. Le ministère devrait prendre cela en main. Si nous voulons une école à la maison en complément de l'école physique, nous devons faire en sorte que ces familles aient accès aux abonnements ad hoc.

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Les outils numériques peuvent être des aides pédagogiques majeures, mais aussi des freins. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, l'équipement informatique se limite dans 90 % des familles à un smartphone, souvent partagé par la famille. Très souvent, le forfait qui y est associé est très limité ainsi que la connexion Internet. Cela a été un frein majeur à la continuité pédagogique pendant le confinement.

Je donne un exemple, un peu atypique, mais qui m'a paru très symbolique. Les jeunes mineurs non accompagnés qui étaient déjà confinés seuls dans des habitats précaires durant le confinement se sont acharnés à poursuivre leur cursus de formation, vital pour eux, mais ont terriblement pâti de cette privation de connexion Internet. A contrario, les enfants malades, hospitalisés, se sont finalement retrouvés dans une vraie classe par Internet.

Ne pourrait-on pas envisager de développer certains outils Internet centralisés dans des tiers lieux qui permettraient aux élèves de bénéficier d'un environnement calme et connecté pour faire leurs devoirs ?

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Monsieur Merriaux, vous avez rappelé que l'école est le pilier dans ce cadre de crise et qu'il faut anticiper. Je voudrais vous parler du coût du numérique éducatif. Nous savons bien que l'équipement en moyens numériques de l'ensemble de l'institution scolaire représente un coût particulièrement important, d'autant plus dans un contexte de contrainte budgétaire.

L'Éducation nationale dispose-t-elle véritablement des moyens d'une numérisation à grande échelle de la scolarité ?

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Le confinement des ménages français du 17 mars au 11 mai a contraint les établissements scolaires à proposer de nouvelles formes d'apprentissage afin de maintenir le lien entre professeurs et élèves. Cependant, comment peut-on financer le développement de services publics plus intégrés ?

Aujourd'hui, les Français ne sont plus confinés, mais le risque épidémique est toujours présent. Il reste donc nécessaire d'imaginer des solutions éducatives alternatives pour accompagner nos enfants en classe et à la maison. Des services publics pour le numérique éducatif ont déjà été mis en place, par exemple Éduthèque qui s'adresse aux étudiants du premier et du second degré. Ce service entièrement gratuit donne accès à un large contenu pédagogique pour proposer aux enseignants du contenu en ligne. Dès lors, peut-on considérer l'éducation en ligne comme un remplacement ou un complément des cours dispensés en présentiel ?

Le confinement et l'école à la maison ont mis en exergue les inégalités dans l'accès au numérique et le manque d'assiduité de certains élèves. Aussi souhaiterais-je savoir s'il existe des solutions – ou si vous réfléchissez à des solutions – pour prévenir le décrochage de l'éducation en ligne chez les élèves.

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Je souhaite saluer doublement votre présence, madame Romero, d'une part parce que vous nous prouvez que le numérique s'écrit au féminin et d'autre part parce que vous êtes directrice du laboratoire du numérique pour l'innovation, laboratoire situé à Nice dans ma circonscription. À travers vous, je salue l'ensemble des acteurs du cluster EducAzur, premier cluster français dédié aux EdTech et à l'éducation, avec qui j'ai toujours beaucoup de plaisir à échanger sur les sujets du numérique éducatif.

De nombreux initiatives ont émergé lors de cette crise sanitaire. Nous avons le devoir collectif de capitaliser sur la formidable dynamique et le foisonnement d'outils numériques publics et privés. Les États Généraux du numérique seront notamment un excellent outil de diagnostic. Ces outils sont aujourd'hui opérationnels pour préserver le droit à l'éducation et la formation de nos élèves.

Comment pouvons-nous, à l'avenir, structurer l'offre en matière de numérique éducatif ? Est-il envisageable de créer, par exemple sous l'impulsion du CNED, une plateforme, un bouquet numérique des EdTech ? Cela permettrait non seulement de rendre plus accessible l'offre existante, de faciliter la collecte et l'exploitation des données, mais pourrait aussi contribuer au développement des start-ups françaises des EdTech qui ont besoin d'un cadre et d'une réelle stratégie pour grandir.

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Nous avons pu découvrir et apprécier, durant cette crise sanitaire, les différents supports et outils numériques développés et mis à disposition par l'Éducation nationale ou ses partenaires pour soutenir les professeurs dans leurs pratiques d'enseignement. Nous avons aussi pu constater des écarts entre les enseignants en matière de maîtrise du numérique ainsi qu'une véritable méconnaissance par ces enseignants des outils et programmes numériques développés par l'Éducation nationale.

Quelles seraient, selon vous, les améliorations à apporter afin de mieux promouvoir auprès des enseignants les ressources numériques développées par l'Éducation nationale et ses partenaires ?

Les outils numériques sont encore considérés comme de simples moyens alternatifs ou supplétifs d'enseignement et de continuité pédagogique. Ne pensez-vous pas que le temps est venu d'intégrer le numérique comme un outil constitutif du processus d'enseignement et d'apprentissage dans les programmes de l'Éducation nationale ?

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Vous avez parlé de l'évolution des formes scolaires et de l'éventuelle école hors les murs plus en lien avec son environnement. Les problèmes de santé mentale sont déjà la première cause de morbidité dans certains pays. À l'horizon 2030, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la principale dépense de santé sera celle consacrée à la santé mentale. Comment le numérique, en particulier dans l'éducation, peut-il aider à la déconnexion, à l'ouverture au monde réel, palpable, sensoriel, en un mot au monde émotionnel ?

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Margarida Romero, directrice du Laboratoire d'innovation et numérique pour l'éducation (LINE), Unité de recherche de l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de l'Académie de Nice et de l'Université Nice Sophia Antipolis

Le risque de penser que le numérique va tout résoudre existe. Le numérique, pour nous chercheurs en sciences de l'éducation, n'est pas une question de numérique, mais une question d'enseignement et d'apprentissage. L'apprentissage est même beaucoup plus important que l'aspect enseignement. Quels sont les conditions, lieux, contextes, outils, ressources, personnes et autres éléments que nous mettons en place pour faciliter les apprentissages, le développement de compétences des élèves ?

Le numérique est un vecteur clé et nous retrouvons en quelque sorte le problème de l'œuf et de la poule. Que faire d'abord ? Il faut quand même avoir une culture numérique importante pour savoir quand nous pouvons l'utiliser et quand il apporte une plus-value. Il est donc très important d'augmenter la culture numérique de l'ensemble des acteurs, des élus aussi bien que du corps enseignant et des familles. C'est cette culture numérique qui nous permettra de prendre les bonnes décisions pour l'apprentissage, pour assurer l'inclusion sociale de l'ensemble des élèves et l'accessibilité, pour éviter les décrochages et assurer la réussite pour tous. La question doit donc se poser avant tout sous l'angle de l'apprentissage : que devons-nous mettre en place pour assurer ces apprentissages ? Le numérique n'est pas toujours la solution.

Un des piliers est le fait de créer des écosystèmes éducatifs. Pour revenir au proverbe africain, il faut un village pour élever un enfant. Il nous faut reconstituer ce village, avec des tiers lieux dans lesquels se trouvent les ressources, numériques ou pas, telles que prêt de matériel, accès à des petits robots, accès à tous ces éléments que les familles et les écoles défavorisées n'ont pas. Quels sont donc ces lieux de vie collective que nous pouvons mettre en place pour constituer un village éducatif dans lequel l'ensemble des citoyens peut avoir accès à ces ressources ?

Il faut également travailler sur les liens entre les différents acteurs, la façon dont nous pouvons travailler ensemble. Les maisons universitaires de l'éducation ainsi que d'autres initiatives qui regroupent ces acteurs sont d'excellentes initiatives pour collaborer. Il ne s'agit pas de savoir si c'est Canopé ou le CNED ou l'université ou tel acteur. Nous sommes face à des enjeux éducatifs énormes d'inégalités, d'accessibilité et de réussite scolaire pour tous. Il faut que l'ensemble des acteurs puisse collaborer. La notion de tiers lieu et d'ouverture est essentielle.

Par exemple, actuellement, les Inspé ferment très tôt alors qu'ils devraient être la maison de tous les enseignants et pouvoir accueillir au-delà des horaires habituels des réunions ou d'autres activités. Il faut ouvrir les lieux éducatifs pour que tout enseignant ou toute famille qui veut s'impliquer davantage dans la création de ressources numériques ou dans la mise en place de projets puisse le faire. Les acteurs sont présents.

Dans les communes où cela est possible, celles qui ont développé cette vision, cela fonctionne. Ainsi, de très belles initiatives sont développées autour de Nice et de Sophia Antipolis parce qu'il existe un écosystème. Cet écosystème est constitué d'EducAzur, porté par Gérard Giraudon, de chercheurs, d'entreprises du numérique, du réseau Canopé, de la cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation (CARDIE) avec Frédérique Cauchi-Bianchi ainsi que la délégation académique au numérique pour l'éducation (Dane). L'ensemble des acteurs collabore et parvient à trouver des solutions.

Enfin, le rejet du tout à distance est tout à fait normal. Nous avons tous souffert du fait d'être en permanence à distance, en visioconférence. Cela a été horrible, nous pouvons le dire. Nous sommes des mammifères et nous avons besoin de socialisation, de se voir, de se rencontrer. Il est tout à fait normal que des élèves, des enseignants, des familles aient trouvé cette expérience d'apprentissage vraiment horrible. Il faut bien faire la différence. Une classe numérique n'est pas forcément un écran ni une visioconférence.

Comme l'ont signalé mes collègues, derrière la classe numérique se trouve un métier méconnu : celui de l'ingénierie pédagogique pour la formation médiatisée par le numérique, à distance ou non. Il faut comprendre que c'est un métier qui s'apprend. Enseigner s'apprend et enseigner avec le numérique s'apprend également. Ce que nous avons vécu durant cette période n'a pas du tout été une belle expérience de formation avec le numérique. Cela n'a été qu'une diffusion, un peu comme au moment de l'invention de la télévision où l'on faisait du théâtre filmé. Nous avons vu des enseignants qui essayaient de tenir leur classe par visioconférence et cela n'a pas de sens. Cette expérience n'est pas celle que nous souhaitons développer. Il faut avancer avec les acteurs et les experts du domaine pour trouver comment construire ce village éducatif avec les outils, numériques ou non, qui permettront à tous de réussir.

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Michel Reverchon-Billot, directeur général du Centre national d'enseignement à distance (CNED)

Un enfant malade à l'hôpital peut bénéficier de l'enseignement à distance du CNED puisque c'est une situation d'empêchement. On peut être empêché parce que l'on est malade, mais aussi à cause d'un handicap, d'un parcours de vie compliqué, parce que l'on est en itinérance. Je rappelle que le CNED scolarise presque la totalité des enfants du voyage.

Je vois quatre grands enjeux dans le service public de l'enseignement à distance. Le premier est la réponse à l'empêchement scolaire, notre mission première, qui est un rôle très important au service des populations puisque nous scolarisons à peu près 79 000 élèves. Ce n'est pas rien et le CNED ne propose pas des ressources, mais bien des parcours complets. L'intérêt du parcours est qu'il intègre du diagnostic, de l'évaluation, du pas-à-pas, du guidage, de la scénarisation. Tout cela peut être suivi par un élève quasiment en autonomie. C'est aussi très apprécié des parents puisque nous sommes présents en absence d'enseignant.

Le deuxième enjeu est la continuité comme nous l'avons vu avec « Ma classe à la maison ». Nous avons proposé au ministre que le CNED crée une plateforme dormante activable à la demande lors d'un problème – que nous n'espérons évidemment pas – d'épidémie ou un problème environnemental, d'inondation ou autre. Nous pourrions, en 24 heures, activer une plateforme permettant à tous les élèves d'avoir accès à des contenus organisés sous forme de parcours, y compris lorsque les enseignants ne sont pas disponibles. Les acteurs locaux peuvent ainsi, pendant quatre semaines, s'organiser pour prendre le relais.

Le troisième aspect est l'hybridation : apporter des éléments de formation à distance aux élèves qui ne trouveraient pas, dans leur académie ou dans leur établissement, la formation qu'ils souhaitent. Il s'agit donc de répondre à des rêves à l'aide du numérique, à distance. J'évoquais les langues à faible diffusion pour lesquelles nous avons une véritable demande. Un élève peut habiter à Guéret, faire du japonais au CNED et le présenter au baccalauréat. C'est très important.

Le dernier aspect est écologique. Compte tenu des enjeux, je me pose tout de même la question de savoir si nous devons continuer à faire circuler en bus scolaire des enfants cinq jours par semaine dans toutes les conditions. Ne pourrions-nous pas imaginer une école qui travaille en présence quatre jours et qui, le cinquième jour, travaille dans des tiers lieux, au plus près des habitations des élèves, dans des écoles qui ont été fermées ou des maisons de services ? Nous pourrions y faire de l'intergénérationnel, recréer du lien autour des apprentissages et de la connaissance. Cela me semble extrêmement stimulant. Ces lieux pourraient être équipés et nous résoudrions ainsi une partie de cette fracture numérique pour des élèves dans des situations sociales compliquées. J'y crois personnellement beaucoup.

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Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Direction du numérique pour l'éducation (DNE) au ministère de l'Éducation nationale

La question des enfants malades est importante. Le ministre annoncera dans quelques semaines une politique importante en matière de mise à disposition d'outils dans les établissements pour les enfants malades. Je lui laisse la primeur de ces annonces.

Nous faisons actuellement dans les territoires éducatifs numériques des expériences d'hybridation en mettant à disposition des caméras, de dispositifs pour que l'enseignant puisse se filmer puis mettre son cours à disposition de l'ensemble des élèves. Cette réflexion en cours est une déclinaison de ce que nous avons été amenés à vivre dans le cadre du confinement pour nous permettre, au-delà du confinement, de trouver des leviers pour accompagner ces dispositifs.

La question de l'inclusion a également été soulignée. Aujourd'hui, l'enjeu pour nous est de faire respecter les règles existantes en matière d'accessibilité. Le rôle régalien de l'État est très important sur ce point, avec l'ensemble des acteurs publics et privés, entre autres pour le respect des normes existantes, dont celles du référentiel général pour l'accessibilité des administrations (RGAA), qui ne sont pas toujours mises en place. L'État doit faire respecter ces règles pour garantir qu'aucun service numérique ne puisse être développé sans respecter ces règles. Ces enjeux sont très importants pour nous et nous nous organisons pour faire respecter l'ensemble des normes existantes.

La question de l'évaluation est centrale, c'est une des difficultés auxquelles nous avons été confrontés. Nous n'avons pas toujours trouvé des solutions pour évaluer et bien évaluer les élèves durant la période de confinement. Nous devons y réfléchir et, surtout, identifier le décrochage scolaire. Nous avons mené un certain nombre d'actions pour mieux identifier les élèves en situation de décrochage scolaire, mais, à l'aune de ce que nous avons vécu, il faut sûrement trouver d'autres indicateurs pour mieux prévoir et anticiper le décrochage. Comment mettre en place des outils pour prévenir le décrochage scolaire plutôt que d'accompagner ceux qui ont décroché ? Le numérique peut apporter des outils pour anticiper et mettre en place des politiques d'accompagnement de ces élèves très tôt.

En ce qui concerne le paiement des abonnements haut débit, une expérimentation a eu lieu dans les départements et régions d'outre-mer. Je ne vous cache pas que les relations avec les acteurs des télécommunications y sont sûrement plus simples. Nous avons identifié un certain nombre de sites qui n'ont pas été déduits dans les abonnements data des offres d'abonnement télécom. Je pense que de telles opérations seraient à mettre en place sur le territoire national. Il est techniquement possible d'identifier des sites Internet, institutionnels ou autres, et de ne pas déduire des abonnements data l'accès à ces sites. Il existe des problématiques juridiques, des enjeux de neutralité du Net, mais cette piste mérite d'être étudiée.

Le problème des jeunes mineurs non accompagnés est à mon avis la question de l'école ouverte. Il faut identifier des lieux d'accueil et la dynamique mise en place avec les cités éducatives répond à ces enjeux. La question des cités éducatives deviendra donc majeure dans la capacité à s'ancrer dans ces dispositifs et à pouvoir offrir des lieux et des espaces à ces publics.

La question de la plateforme unique intéresse beaucoup de personnes et vous devrez aussi interroger les intervenants des prochaines tables rondes. Les acteurs de la EdTech nous disent que leur principale problématique est d'avoir une relation directe avec l'usager final, c'est-à-dire de faire en sorte que chaque enseignant puisse acheter une solution numérique, de faciliter ce parcours d'achat.

Les acteurs de la EdTech française proposent des offres de qualité, peuvent accompagner les enjeux de souveraineté et cette dimension est à prendre en compte. Nous y réfléchissons avec la Banque des territoires que vous rencontrerez lors d'une prochaine table ronde. Nous envisageons de créer des comptes ressources, des chèques ressources, de construire des dispositifs simplifiés d'achat de ressources. Une fois que nous aurons résolu ce problème, une plateforme d'identification de l'ensemble des ressources aura un sens.

Toutefois, il faut d'abord soulever les autres problématiques. Elles sont en lien avec la commande publique, avec des enjeux liés au droit public et à la finance publique. Nous disposons d'un certain nombre de leviers et nous y réfléchissons.

Je rappelle que, dans le rôle régalien de l'État, nous avons déjà développé des services qui ne sont visibles pour personne, entre autres la gestion de l'accès aux ressources (GAR) qui nous permet d'anonymiser l'ensemble des données pour accéder à des ressources. De nombreuses ressources numériques passent actuellement par le GAR pour effectuer cette anonymisation, et c'est une dimension très importante. Elle est peu connue, car invisible, mais essentielle. Nous faisons évoluer actuellement le GAR sur cette question des traces d'apprentissage pour pouvoir, demain, les anonymiser également, mieux les exploiter et mieux les valoriser.

Sur la question de la santé mentale et de la déconnexion, nous devons en effet construire également un monde de déconnexion et l'école doit constituer un rempart sur la question de la déconnexion. Il ne faut pas que nous soyons dans un univers entièrement numérique. Je ne suis personnellement pas pour ce type d'approche. Nous sommes, comme le dit le ministre, dans un « discernement nécessaire ». Nous devons construire un numérique responsable qui intègre ces enjeux de déconnexion et l'école doit rester un espace privilégié d'échange et de partage.

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Nous reprenons tout de suite pour la table ronde avec les acteurs privés du numérique éducatif et nous pourrons rebondir sur la relation des entreprises au GAR.

Table ronde n°2 : L'éducation en ligne, quels services et ressources pédagogiques ? Quelle place pour le secteur privé ?

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Nous abordons la question de la place occupée par les acteurs privés du numérique éducatif. Je suis heureux d'accueillir :

- M. Pascal Bringer, président de l'AFINEF, qui est une association regroupant les industriels du numérique dans l'éducation et la formation,

- M. Rémy Challe, directeur général d'EdTech France, qui est une association fédérant les entrepreneurs français de la filière EdTech,

- M. Pierre Schmitt, directeur technique et d'innovation de librairie scolaire LDE qui est spécialisée dans les ressources numériques,

- et M. Nicolas Turcat, responsable du service éducation, inclusion et service au public de la Banque des territoires, Groupe Caisse des Dépôts.

La France dispose d'un service public du numérique éducatif complet, mais laisse également une place importante à l'initiative privée. Depuis 1999, de nombreux établissements scolaires sont dotés du logiciel de gestion de vie scolaire PRONOTE qui est proposé par la société INDEX-ÉDUCATION. Le projet espace numérique de travail (ENT) initié par le ministère de l'Éducation nationale en 2003 s'appuie sur des services fournis par un certain nombre d'entreprises spécialisées. D'autres acteurs proposent des applications pédagogiques, des logiciels de gestion de vie scolaire, des ressources en ligne et nombre de services outre ceux qui sont fournis par le service public.

En 2018, un rapport de la Banque des territoires présentait l'EdTech française comme une forêt de bonzaïs, partant du constat de la présence d'acteurs économiques relativement nombreux dégageant des chiffres d'affaires encore modestes. Qu'en est-il aujourd'hui de la structuration de l'offre de ressources et de services pédagogiques privés, notamment après une période scolaire particulièrement marquée par le confinement ? Quelle est votre position sur la complémentarité entre les outils produits par les services publics du numérique éducatif et ceux qui le sont par les acteurs privés français ? Quels sont les freins et les leviers que vous identifiez pour l'émergence et le déploiement des acteurs privés du numérique éducatif en France, notamment les leviers réglementaires ou législatifs sur lesquels les députés pourraient particulièrement être actifs ?

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Rémy Challe, directeur général d'EdTech France

Je suis le directeur général de l'association EdTech France qui a été créée en 2018 et qui fédère plus de 300 entreprises de la filière dite EdTech, laquelle regroupe les entreprises qui mettent une expérience technologique au service d'une expérience d'apprentissage à l'école, à l'université ou dans un contexte de formation professionnelle. Ces 300 entreprises représentent la diversité de la filière en termes de taille et de maturité avec de jeunes pousses, des entreprises ayant une vingtaine d'années, puisque le numérique éducatif a émergé au début des années 2000, et des entreprises comme OpenClassrooms qui ont déjà réalisé des levées de fonds importantes, bien que ces dernières soient rares.

Le marché se décompose en trois segments, à savoir l'enseignement scolaire, l'enseignement supérieur et la formation professionnelle et continue. L'étude réalisée avec le cabinet de stratégie EY Parthenon a estimé le poids de la filière française à 650 millions d'euros, avec 120 millions d'euros consacrés à l'enseignement scolaire, dont moins d'un tiers est dédié à l'enseignement scolaire public. En effet, ce montant intègre le BtoC, à savoir les entreprises qui travaillent directement avec le consommateur, en l'occurrence les jeunes et leurs parents, notamment dans le cadre du soutien scolaire ou d'offres périscolaires et ludo-éducatives. Nous proposons également une grande diversité d'outils, de solutions et d'applications.

J'ai pris mes fonctions en novembre 2018 après avoir enseigné durant de nombreuses années dans l'enseignement supérieur et j'ai dirigé une grande école de management. Je suis arrivée au sein de la filière EdTech sans connaître les freins et les enjeux du secteur du numérique éducatif. Pour les découvrir, j'ai visionné une audition de Benjamin Viaud, président d'EdTech France et j'ai constaté que ses propos demeurent actuels. En effet, deux ans plus tard, nous en sommes à peu près au même point alors que depuis la filière s'est structurée et qu'une pandémie a contraint les enfants à rester à domicile. La plupart des freins persistent et les bonzaïs n'ont pas beaucoup grandi. Face à l'absence de marché, une partie de l'offre s'est tarie et le segment de l'enseignement scolaire offre peu d'innovations faute de débouchés pour les entrepreneurs.

Parmi les freins, j'identifie d'abord un aspect structurel. Les procédures d'achat sont complexes. L'utilisateur, à savoir l'enseignant et l'établissement, n'est pas le payeur puisque ce rôle revient à la collectivité, laquelle diffère s'agissant d'une école élémentaire, d'un collège ou d'un lycée, ce qui engendre des inégalités territoriales. Les freins sont également culturels avec une méfiance à l'égard du numérique. Le confinement a accéléré les usages et le regard porté sur le numérique au service de l'éducation a évolué. Mais cette méfiance persiste parfois, méfiance qui existe également vis-à-vis du secteur privé. Ma famille proche travaille dans l'enseignement au sein de l'Éducation nationale. Lorsque j'ai commencé à travailler dans le privé, j'ai craint que ma mère ne le supporte pas. J'ai grandi dans cet esprit. Enfant, j'ai le souvenir d'être allé manifester contre le projet de loi Devaquet.

En travaillant au sein d'écoles de commerce privées, j'ai pris conscience que ce que nous faisions était utile et avait un sens, et j'étais assez fier du travail que nous effectuions avec les jeunes. Je comprends néanmoins cette méfiance et l'argument selon lequel l'éducation n'est pas un marché, ce qui revient à oublier un peu vite que les manuels scolaires, les tables et les calculatrices ne sont pas fabriqués par des ONG. Le procès qui est fait aux entreprises EdTech me semble d'autant plus injuste que la plupart des entrepreneurs de cette filière que je côtoie quotidiennement sont d'anciens enseignants ou des enfants d'enseignants. L'immense majorité d'entre eux partagent les valeurs et ne se sont pas orientés vers la FinTech. Ils pensent que le numérique peut améliorer l'expérience d'apprentissage et que notre pays mériterait un système éducatif plus performant auquel le numérique peut contribuer.

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Pascal Bringer, président de l'AFINEF

Je suis fondateur de la société MASKOTT qui développe une plateforme d'apprentissage numérique avec des contenus. J'ai été enseignant pendant vingt ans. Ces relations de paternité et une forte sensibilité au domaine de l'éducation sont souvent présentes dans les entreprises du secteur. Je suis devant vous en tant que président de l'AFINEF. Il s'agit d'une association créée voici une dizaine d'années qui regroupe des industriels sur la partie numérique éducatif et sur la formation professionnelle, allant de la filiale Éducation d'Orange à des start-ups et des filières variées comme des fabricants d'ENT et de petit matériel pédagogique tel que la robotique utilisée pour l'apprentissage du code. Nous comptons aussi des cabinets de conseil, des libraires et des plateformes e-learning.

Les solutions pédagogiques numériques englobent un panel d'éléments, notamment les ressources numériques éducatives allant du manuel numérique à l'application et aux contenus granulaires présents sur des plateformes, ainsi que des outils plateforme environnement numérique de travail permettant la collaboration entre enseignants et élèves, et avec les écosystèmes administratifs et les parents. Nous proposons également des outils didactiques et technologiques permettant de travailler les fondamentaux en primaire au sein de la classe. Il peut s'agir de petits tapis de jeu pour le travail sur les syllabes ou de petite robotique permettant l'apprentissage du code. Les solutions pédagogiques numériques incluent l'ensemble de ces éléments.

Dans le cadre de la crise sanitaire et du confinement, auxquels nul n'était préparé, nous avons pu mesurer l'apport des technologies mises au service de l'éducation pour dispenser un enseignement durant cette période. Ces solutions numériques pour l'éducation ont plutôt bien fonctionné.

Nous avons constaté un certain nombre de fragilités, notamment sur les infrastructures et l'hétérogénéité des taux d'équipement des enseignants. Certains d'entre eux ne disposaient pas de matériel, travaillaient avec un équipement vétuste ou devaient le partager avec les familles. Nous avons rencontré des difficultés de connexion et des zones blanches dans certains territoires, ainsi que des problématiques d'acculturation des enseignants au numérique. Certains enseignants bien formés ont plutôt correctement vécu cette période de confinement. D'autres n'étaient pas rentrés dans une démarche de formation et d'acculturation. L'insertion de numérique dans la classe n'est pas une évidence. Se pose la question de son utilité, de son intégration et de sa complémentarité avec les outils habituellement utilisés, ce qui implique une acculturation et une formation forte du corps enseignant. Or une hétérogénéité a été observée dans ce domaine. Nous avons constaté que des solutions existantes répondaient de manière adaptée et avons observé un développement des usages.

Un certain nombre de blocages peut être mis en évidence au travers de cette crise. Notre système éducatif a réagi différemment suivant que l'on s'adresse au primaire, aux collèges et aux lycées. Pour ces derniers, les collectivités locales sont bien structurées et connaissent le secteur. Certaines régions avaient ainsi doté leurs élèves d'équipements numériques et avaient fait le choix de déployer massivement des ressources numériques sur leur territoire. Au niveau des collèges, les gros départements disposent de services adaptés. Les plus petits sont plus proches de la mairie ou de la petite commune, dont les services se trouvent parfois un peu désarmés pour équiper les écoles. Le fait que certains enseignants se trouvent seuls ou à deux dans une école complexifie la démarche de formation, ce qui pose question au niveau du primaire.

Les écoles n'ont pas d'entité juridique, ce qui les contraint à s'adresser à la mairie pour passer commande. Ce fonctionnement dissuade parfois lorsque le montant d'une commande est faible. Certains enseignants financent ce type d'achat sur leurs propres deniers. Il convient de trouver une solution à ce frein pour permettre le choix de la ressource et les moyens de l'acheter au plus près des établissements scolaires. Le chef d'établissement pourrait piloter les commandes en tant que tiers de confiance grâce, par exemple, à une cagnotte avec des jetons.

Le concept de plateforme unique est séduisant et a été tenté avec MYRIAE, mais n'a pas fonctionné en dépit du montant d'argent public investi. En raison de la liberté pédagogique, il n'est pas vraiment dans la culture des enseignants de s'adresser à la structure de l'État. Dans les faits, il s'agit surtout de donner des moyens à l'établissement en concertation autour du chef d'établissement ; l'idée n'étant pas de confier une carte bleue à l'enseignant afin qu'il commande chez Amazon des ressources marketées, exotiques et inadaptées à l'école. Il convient d'être vigilant sur cet aspect, mais il faut faire confiance aux enseignants qui sont des professionnels recrutés à BAC+5 et qui ont la capacité d'évaluer les ressources de qualité. Il s'agit d'un réel enjeu.

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Nicolas Turcat, Banque des territoires

Je suis en charge des sujets relatifs à l'éducation et à l'inclusion numérique à la Banque des territoires. Dans le domaine de l'éducation, nous accompagnons les partenaires territoriaux, finançons un certain nombre de sociétés en investissement, ainsi que des dispositifs public-privé, et opérons pour le compte de l'État, notamment les programmes d'investissement d'avenir n° 2 comprenant les projets de recherche e-FRAN, et les territoires d'innovation pédagogique.

Le constat est triple. Premièrement, le socle numérique de base demeure insuffisamment déployé dans les territoires. Seuls 30 % des écoles, collèges et lycées sont dotés de la fibre optique, avec un déséquilibre dans les écoles primaires puisqu'un grand nombre de régions ont prioritairement déployé vers les lycées. D'autre part, les usages sont souvent problématiques. Pour une très grande majorité d'enseignants, l'équipement reste un frein à l'usage du numérique en raison de son absence ou de son obsolescence.

Deuxièmement, les disparités territoriales sont très fortes. L'indice de vulnérabilité numérique établi par la MedNum, qui est une coopérative au sein de laquelle l'État est présent, montre que 22 départements se situent très largement en dessous de la moyenne nationale, ce qui doit conduire à y porter les efforts à l'avenir. Il s'agit d'un vrai sujet, y compris pour l'Éducation nationale et l'écosystème en général.

Troisièmement, le recours aux usages numériques s'est accru pendant le confinement. Des études initiées par EdTech France avec le cabinet de conseil précité ont montré que 34 % des usagers sont montés à bord de solutions numériques éducatives durant cette période. Nous constatons également une hausse des usages sur les ENT et d'autres outils.

Nous distinguons quatre lignes de crête principales. La première concerne le rôle important des collectivités territoriales comme les régions et les communes. L'exemple de l'élu cherchant à acheter de la ressource ou du service est aussi à l'échelle de la commune. Il convient de trouver et d'impulser le rôle des collectivités territoriales.

La seconde concerne la partie pilotage et gouvernance partagée. Tel est le sens de travaux que nous avons mis en œuvre. Je pense à e-Carto qui, en tant qu'outil en open data développé avec la direction du numérique pour l'éducation, expose de manière explicite les ingrédients du numérique éducatif, à savoir l'infrastructure, l'équipement, les usages et les services, et permet ce pilotage. Toute politique publique se doit d'être pilotée et ces outils permettent une gouvernance partagée.

Troisièmement, l'inclusion numérique consiste à faire monter d'autres acteurs à bord. Il s'agit évidemment de l'hybridation avec l'ingénierie territoriale à mettre en œuvre, ce que nous avons constaté sur les stratégies nationales pour un numérique inclusif. L'ingénierie territoriale doit probablement être renforcée. Il nous faut nous interroger sur notre capacité à agréger des financements.

Enfin, la question de l'opérationnalisation donne lieu à de nombreuses idées et propositions dans le cadre des États Généraux, mais il convient de décliner et d'entrer dans la réalité. Le rôle prééminent de prescripteur de l'enseignant doit probablement être souligné car il est maître à bord au sein de sa classe dans le cadre de la liberté pédagogique.

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Pierre Schmitt, directeur technique et innovation de Librairie et édition en ligne de manuels scolaires

LDE est le premier libraire scolaire avec 3 300 établissements auxquels nous fournissons des manuels imprimés et 1 300 établissements que nous approvisionnons en manuels et ressources numériques. Nous sommes également éditeurs de la plateforme innovante POPLAB qui permet aux enseignants de préparer, d'organiser et de partager leurs cours en les rendant appétents pour leurs élèves.

Nous intervenons parfois au travers de marchés publics comme dans les régions pionnières que sont le Grand Est, l'Île-de-France, l'Occitanie, la Nouvelle Aquitaine et le Centre-Val de Loire auxquelles nous fournissons parfois des manuels papier et, dans tous les cas, des ressources et des manuels numériques à destination de l'ensemble de leurs lycées.

Notre position à la fois sur le papier et le numérique nous permet d'être confrontés à pratiquement toutes les situations et pratiques existantes, et de nous éloigner de tout dogme, auquel nous avons développé une allergie tant il est de nature à se fourvoyer et à ralentir les projets.

Sur le numérique, notre analyse et la connaissance des écosystèmes, en particulier celui des manuels scolaires qui représentent entre 80 et 90 % des ressources numériques actuellement utilisées en établissement, se sont forgées depuis 2013. À ce jour, nous avons déployé près de 6,5 millions de licences, dont 2,5 millions dans les 1 300 établissements pour cette seule rentrée.

Contrairement aux deux collègues qui m'entourent, nous ne représentons personne, notamment pas les éditeurs de manuels scolaires avec lesquels nous travaillons néanmoins très étroitement au quotidien et partageons un certain nombre de positions, mais avec lesquels nous avons parfois des divergences de vues, ce qui est bien normal.

La raison d'être de LDE consiste à être aux côtés des acteurs de l'éducation pour faire avancer l'école en rendant les choses aussi simples que possible. Nous proposons l'exhaustivité des manuels scolaires et plus de trente autres éditeurs. De manière plus discrète, nous sommes engagés aux côtés d'associations d'étudiants dans le cadre de projets d'aide au développement à travers notre collaboration avec l'Unicef et la Banque mondiale ou dans des actions citoyennes comme la fourniture gratuite d'ordinateurs à des élèves non équipés en période de confinement.

À titre personnel, bien que n'étant pas enseignant, l'éducation est toute ma vie et mon travail au quotidien. Elle l'est également au sein de mon foyer puisque ma compagne était professeur des écoles et est désormais chercheuse en sciences de l'éducation. Il s'agit aussi d'une vraie passion. Je pense que les personnes n'ayant pas de lien avec l'éducation à titre privé sont très rares dans la filière.

S'agissant des contraintes, je ne reviendrai pas sur la question matérielle. Rien n'est possible si les élèves ne sont pas équipés. L'aspect budgétaire est le nerf de la guerre. Je citerai également la difficulté pour les industriels à accéder directement aux enseignants sans passer par des filtres ou des systèmes de catalogue, lesquels ne peuvent être que des usines à gaz constituant un frein dans la plupart des cas en masquant les actions réellement efficaces.

J'insisterai sur deux points. Tout d'abord, le manque de personnel dans les délégations académiques au numérique (DAN) est criant. Alors qu'il est constaté une volonté de co-gouvernance avec les collectivités, même lorsque celles-ci mettent des sommes considérables sur la table et équipent les élèves en numérique, les équipes des DAN sont nettement insuffisantes pour accompagner et former les enseignants même lorsque les questions budgétaires, d'infrastructures et de connexion Internet sont levées. Je constate quotidiennement que les personnels des DAN effectuent un nombre hallucinant d'heures non payées, ce qui fut particulièrement le cas durant la période de confinement, sans disposer des moyens d'effectuer réellement leur travail. Comment peut-on travailler à trois ou quatre à l'échelle d'une région sur le numérique éducatif ?

Deuxièmement, alors que le ministère et la DNE ont apporté beaucoup ces dernières années en matière de favorisation du bon usage du numérique dans l'éducation, je crois que certains partis pris freinent le développement du numérique et de la filière. Il est constaté une tentation pour les académies ou Canopé, qui sont tous deux exclusivement constitués d'enseignants, de produire des outils ou des ressources. Si je voulais transposer au milieu de l'artisanat, je dirais que l'on ne demande pas à un menuisier de construire son rabot, mais de savoir l'utiliser correctement. L'industriel sait bien mieux construire un rabot qu'un menuisier. En outre, travailler avec un rabot dont la planéité n'a pas été industriellement rectifiée est très pénible au quotidien. Il faut faire confiance aux industriels pour créer de bonnes ressources et de bons outils, et concentrer les efforts au niveau du ministère pour former les enseignants à les utiliser et leur ouvrir les pratiques innovantes, notamment numériques.

S'agissant du GAR, qui présente une forte valeur ajoutée dans la protection des données et fonctionne bien techniquement, l'orientation prise consiste à transformer le principe de précaution en un principe de restriction. Aujourd'hui, il est interdit à un industriel et, théoriquement, à un enseignant, d'intégrer à un outil des liens externes vers des sites qui présenteraient la possibilité d'ouvrir un compte ou de se connecter aux réseaux sociaux. En conséquence, il est impossible de fournir un lien vers les sites du journal Le Monde et de la BNF. Comment éduquer aux médias sans pouvoir y accéder ?

De plus, la collaboration entre enseignants n'est pas possible dans le cadre du GAR. Conformément au code de l'éducation, un enseignant ne peut collaborer avec des collègues d'autres établissements sans obtenir l'aval formel du chef d'établissement.

L'enseignant peut mettre en œuvre les deux pratiques précitées pourvu qu'il ne s'inscrive pas dans l'écosystème officiel, ce qui donne la faveur aux GAFAM et à tout autre système susceptible de ne pas être totalement compatible avec le RGPD, ce qui est regrettable.

Imposer trop de contraintes aux industriels français est la meilleure manière de les désavantager par rapport à leurs concurrents étrangers et d'hypothéquer une réelle souveraineté numérique nationale à terme. Nombre d'élèves estiment qu'en entrant dans l'école, ils entrent dans le XXème siècle, c'est-à-dire l'ère des dinosaures, et quittent l'ère numérique dans laquelle ils évoluent au quotidien, ce qui est de nature à désagréger la relation à l'école. Ce problème tend cependant à se régler. Il convient donc de ne pas transformer cette tendance et de ne pas produire le même effet sur les enseignants en les empêchant de mettre en œuvre à l'école toutes les bonnes pratiques qu'ils appliquent en dehors.

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L'alliance d'acteurs divers comme les pouvoirs publics, des associations, des entreprises et des citoyens au service de l'intérêt général constitue un moteur de solutions innovantes. Elle va dans le sens de l'objectif de développement durable 17 que nous projetons d'atteindre d'ici dix ans. L'AFINEF met d'ailleurs en avant l'association de tous les acteurs pour une inclusion scolaire par le numérique efficiente. La Banque des territoires le permet aussi dans le cadre de nombreux projets financés.

Le gouvernement a lancé les Cités éducatives, qui constituent une alliance d'acteurs publics et associatifs autour de la réussite des jeunes. Le projet éducatif territorial permet également cette collaboration d'acteurs d'horizons différents autour de l'école. En somme, les alliances éducatives sont donc nombreuses.

Quelles sont les pistes de développement du numérique éducatif par les alliances avec les pouvoirs publics et les associations ? La catalyse de ces alliances opère souvent au niveau local. Sur de nombreux territoires, elle concerne le numérique, notamment via la création ou l'animation de tiers lieux dédiés. Comment envisagez-vous la dimension territoriale des collaborations dans le numérique éducatif ?

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Au-delà du déséquilibre dans l'accès au réseau, il convient de constater celui de la mise en pratique des outils au sein de la classe. Alors qu'il est question de l'acculturation nécessaire des élèves, je crois que celle des professeurs n'est pas totalement faite. Le meilleur exemple est, sans doute, celui des manuels scolaires numériques et du nombre de photocopies qui restent utilisées dans les classes.

N'y aura-t-il pas une école à deux vitesses au fur et à mesure de la numérisation qui se mettra en place ? Quid pour les collectivités qui financent des manuels qui ne sont pas utilisés et des licences très coûteuses ? Existe-t-il un problème de formation au niveau des enseignants ou avec ces manuels à cause de vous, les libraires ?

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Aujourd'hui, c'est la Journée du refus de l'échec scolaire. Lors de la table ronde précédente, je posais une question sur l'importance du numérique éducatif pour favoriser la persévérance scolaire.

Je souhaite évoquer la Trousse à projets qui fait partie de l'expérimentation Territoires numériques éducatifs dont le Val-d'Oise est pilote. Il s'agit d'une plateforme numérique de financement participatif au service de projets éducatifs et pédagogiques bénéficiant aux élèves de la maternelle au lycée. Elle offre à tous, particuliers et entreprises, la possibilité de contribuer à la réalisation de projets construits par les enseignants et leurs élèves, et validés par l'Éducation nationale. Connaissez-vous ce dispositif ? Comment le secteur privé que vous représentez peut-il participer à ces projets ?

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Je m'interroge sur la responsabilité partagée entre les différents acteurs. Vous identifiez un certain nombre de freins qui sont réels. Concrètement, dans le rôle que vous tenez, ou ne tenez pas complètement, d'accompagner la formation des enseignants, je m'interroge sur le décalage que nous connaissons dans l'Éducation nationale entre le temps dévolu à la formation et celui du développement des technologies du numérique.

Trop souvent, des enseignants n'ont pas le temps de se familiariser avec les pratiques du numérique : ils sont tenus de travailler sur un nouvel outil alors qu'ils ne maîtrisent pas le précédent. J'évoque une expérience vécue, mais je pense que le timing n'est pas le bon et que nous avons constamment la sensation d'être en retard et de courir après des techniques et des pratiques que nous ne maîtrisons pas, ce qui est extrêmement frustrant pour les collègues enseignants. Je souhaitais avoir votre avis sur cette problématique.

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Je remercie mes collègues d'avoir abordé la question des objectifs de développement durable (ODD). Je ne le ferai donc pas, même si nous sommes toujours dans la semaine qui célèbre le cinquième anniversaire et que le quatrième ODD aborde tous les aspects éducatifs.

Je ferai référence à la Convention internationale des droits de l'enfant qui garantit à tous les enfants un accès équivalent à l'éducation et aux savoirs. Pour les enfants en situation de handicap, l'effectivité de ce droit est perfectible. Je suis convaincue que l'usage de ressources pédagogiques numériques peut constituer un levier important en faveur de l'école inclusive.

Le rapport réalisé, en février dernier, par le Conseil national du numérique en lien avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées souligne que les outils développés en France ne sont pas toujours adaptés. Ce rapport recommande notamment aux éditeurs privés de contenus numériques d'améliorer l'accessibilité des portails d'accès aux ressources numériques et aux établissements primaires, secondaires et universitaires et de préciser les conditions d'accès au numérique dans leur cahier des charges lors des passations de marchés publics.

Comment envisagez-vous l'articulation des partenariats public-privé tout en incluant les enfants dans vos travaux de recherche pour développer des solutions inclusives pour le présent et l'avenir ?

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M. Bringer et M. Challe, vous rappelez dans votre manifeste signé par les acteurs de la filière Edtech l'importance de disposer, à l'échelle des territoires, de plateformes sécurisées appuyées sur des infrastructures garantissant la continuité de l'offre de services numériques et la souveraineté du modèle éducatif français. J'aimerais que vous précisiez ce que vous entendez par la notion de plateformes sécurisées et d'infrastructures à l'échelle des territoires, ainsi que l'articulation que vous préconisez avec le ministère de l'Éducation nationale et les collectivités territoriales.

Plus largement, je m'interroge sur l'écosystème dans lequel évolue le secteur privé de l'éducation en ligne. Quelles sont les règles en termes de sécurité des données et sur l'interopérabilité entre les plateformes ?

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L'Éducation nationale propose, avec d'autres partenaires publics, des outils pédagogiques numériques comme Canopé, Pix, Éducscol et Lumni à destination des enseignants et des élèves. Je m'interroge sur la qualité de vos relations avec l'institution Éducation nationale en tant que fournisseur privé de services et de ressources pédagogiques numériques.

Par ailleurs, durant la période de confinement, nous avons constaté que de nombreux enseignants et établissements avaient naturellement adopté des solutions et outils numériques américains comme Google Classroom, Blackboard, Zoom et Microsoft Teams. Serons-nous un jour capables de construire et de proposer des écosystèmes alternatifs au niveau français, voire européen, afin de ne plus subir l'hégémonie américaine et celle des GAFAM ?

Les outils numériques sont encore considérés comme de simples moyens alternatifs ou supplétifs d'enseignement et de continuité pédagogique. Ne pensez-vous pas que le temps est venu d'intégrer le numérique comme outil constitutif du processus d'enseignement et d'apprentissage dans les programmes de l'Éducation nationale ?

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La grande affaire du confinement et du COVID a résidé dans la continuité pédagogique pour tous et tous les milieux, y compris les plus précaires où il n'y a qu'un smartphone par famille, où le forfait est limité, où il n'y a pas de connexion ou de culture Internet, où il existe une problématique de maîtrise de la langue française et de l'analphabétisme chez les parents.

Ces difficultés n'empêchent pas ces jeunes publics d'être morts de faim en matière d'enseignement scolaire ni d'avoir des capacités comme n'importe quel enfant, mais de tomber très rapidement dans le décrochage. Comment le prévenir ? Pouvons-nous réfléchir ensemble à un accès différencié de l'enseignement numérique, un parcours numérique adapté, un village numérique et un design d'apprentissage autour de ces enfants ?

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J'ai constaté un foisonnement d'innovations chez de nombreux acteurs privés de l'éducation en ligne et, plus largement, de la pédagogique via le numérique. Malheureusement, le terrain d'expérimentation est très limité.

L'influence des règles de commande publique constitue une véritable entrave pour les innovations dans le privé. Comment changer ces règles ? Comment le poids des commandes publiques, notamment des manuels scolaires, influe-t-il toujours sur la moindre ouverture au numérique ?

Je souhaite également connaître votre avis sur l'utilisation des stages proposés par le CERFEP, qui est une entité de l'Éducation nationale permettant aux professeurs de se rendre en entreprise, en association et au sein d'organisations pour découvrir la vie d'une entreprise, notamment numérique. Comment ces stages pourraient-ils se transformer en véritables espaces de co-construction des solutions numériques de demain ?

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Où en sommes-nous de la réalité virtuelle ou de la réalité augmentée pour rendre des cours de géologie, de physique ou de sciences plus immersifs ? Celle-ci est parfois considérée comme un gadget, mais nous pourrions conduire des expériences pédagogiques innovantes avec une plongée dans la matière du cours elle-même, laquelle a davantage de chances d'être comprise et retenue qu'un cours classique.

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Ma question s'adresse à M. Schmitt. Comment pouvez-vous garantir l'adaptabilité des supports numériques aux besoins des élèves en situation de handicap ? Souvent, il suffit de modifier la taille des lettres et d'ajouter quelques couleurs. Comment faire en sorte que les enseignants ou les accompagnants puissent apporter une touche de personnalisation ?

Je souhaite interroger M. Turcat sur les équipements des classes en sortie de confinement. Certains professeurs avaient bricolé l'installation afin d'assurer du présentiel et du distanciel, ce qui permettait de maintenir le lien avec tous les élèves simultanément, ne serait-ce que quelques heures par jour. Pouvons-nous imaginer orienter vers les collectivités des financements dédiés à moderniser largement les équipements numériques ? Il me semble que les équiper de caméras ne serait pas très onéreux. Est-ce envisageable ? Cette opération peut-elle faire partie du plan de relance ?

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L'enjeu majeur de cette crise a consisté à assurer la continuité pédagogique pour chaque apprenant. L'EdTech France a pris part à cet exercice en répondant présent dès le premier jour pour apporter son soutien aux enseignants, aux familles et aux apprenants au sens large. Des collectifs se sont structurés pour proposer leur aide spécifiquement aux enseignants dans leur pratique numérique, ce que je salue.

Cette phase a mis en lumière des disparités dans les équipements et l'accès au numérique éducatif, mais également dans les usages et la gestion de ces usages du numérique au service de l'éducation.

Aujourd'hui, il paraît essentiel de structurer sur chaque territoire l'implication de l'ensemble des acteurs du numérique éducatif dans un mouvement qui se veut collégial. Pour y parvenir, les États Généraux du numérique constituent une étape pour l'éducation. Il s'agit d'une belle opportunité dont nous devons collectivement et localement nous emparer.

Comment faire de cet écosystème un nouvel opérateur qui constitue un véritable levier pour développer des plans du numérique par académie ou par région en y impliquant les collectivités locales ? En conséquence, l'investissement en matière de numérique éducatif ne doit-il pas être repensé à une autre échelle ?

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Pierre Schmitt, directeur technique et innovation de Librairie et édition en ligne de manuels scolaires

Les questions étant très nombreuses, je ne répondrai qu'à celles pour lesquelles je pense être potentiellement pertinent. Je vous invite à me contacter par la suite. Je débattrai très volontiers avec vous en dehors de cette commission formelle.

Sur la question des manuels, je suis libraire. Je ne vends pas uniquement des manuels, lesquels ne constituent pas l'alpha et l'oméga de l'éducation. Cependant, il s'agit d'une pratique très ancienne, ancrée, connue et maîtrisée par les enseignants. Le manuel numérique, qui est une version homothétique du papier, est une excellente porte d'entrée et constitue une manière rassurante et exhaustive sur le plan du programme d'embarquer l'enseignant dans le numérique éducatif. Dans des régions qui ont débuté depuis un certain temps, il est constaté qu'une fois le numérique maîtrisé au niveau du manuel, l'enseignant, qui se trouve alors dans une sphère connue, s'autorise à quitter l'utilisation du manuel pour s'orienter vers d'autres types de ressources et d'outils gratuits ou payants. Il ne s'agit donc pas d'un frein, mais d'une favorisation.

Nous savons aussi que tous les manuels papier ne sont pas toujours utilisés à la hauteur de ce qui est imaginé. Certains restent sur l'étagère, ce qui est également le cas, sans doute dans une moindre mesure, des manuels numériques. La question des commissions de discipline qui imposent à un enseignant de mathématiques de disposer du même manuel que ses trois autres collègues se pose beaucoup moins avec le numérique puisque l'enseignant est libre de son choix. Par conséquent, son appropriation est forcément plus élevée. En réalité, le numérique devrait permettre une utilisation rationnelle des manuels. Ainsi, certaines classes décident de ne pas utiliser de manuel pour les mathématiques et de recourir à d'autres ressources. Ils affectent donc leur budget différemment ou le rendent disponible pour d'autres collègues, ce qui n'était pas du tout le cas avec les manuels papier. Le manuel numérique agit donc plutôt comme un facilitateur.

L'explosion des photocopies dans les lycées en projet numérique est une évidence. Il faut dire aussi que nous en sommes qu'au début et que des problématiques d'infrastructure, de débit, de Wi-Fi et de formation des enseignants persistent dans certains établissements. Il n'est pas question de deux vitesses, mais de vingt-cinq. Les enseignants, qui se donnent de petits sobriquets entre eux sur les réseaux sociaux, appellent les « Consternants » ceux qui considèrent que l'école doit protéger le monde du numérique. À l'autre extrémité, se trouvent ceux que les premiers appellent les « Péda-gogos » qui ne jurent que par le numérique. Il s'agit d'une erreur tout aussi importante que la première, car ce qui compte n'est pas l'outil, mais la méthode et le choix des outils pour assurer le processus pédagogique. Le gradient est donc important.

Il faut que les programmes de formation des enseignants mettent le pied à l'étrier de ceux d'entre eux qui sont le plus loin du numérique, favorisent ces champions du numérique et ne laissent pas au bord de la route ceux qui ont besoin de progresser. Je propose de laisser les industriels former aux outils et de concentrer les forces de formation sur l'acculturation au numérique en général et à son bon usage dans un projet et une activité pédagogique. L'outil doit venir ensuite. Des webinaires et des vidéos sont à disposition pour s'auto-former sur les outils. L'institution ne devrait pas se concentrer sur la formation aux outils, ni même sur leur choix dans la mesure où les enseignants sont tout à fait capables de s'en charger.

Je n'ai pas connaissance de la Trousse à projets. J'en apprendrais davantage avec grand plaisir.

Sur la question de l'interopérabilité, l'industrie a des progrès nets à réaliser. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas à obtenir tous les manuels au sein d'une seule et même bibliothèque applicative pour les enseignants et les élèves. Néanmoins, le GAR étant anonyme, nul ne peut savoir qu'un même élève souhaite obtenir les différents manuels. Un travail reste donc à effectuer sur ce point.

S'agissant de l'adaptation des élèves en situation de handicap, la plupart des manuels permettent des conversions de caractères compatibles avec la dyslexie ou la malvoyance. Toutefois, des progrès restent à effectuer sur la question du handicap, tout comme sur la plupart des plateformes publiques. En réalité, il est question de développement et d'investissement, lequel s'opère lorsque le marché existe et que sont offertes des possibilités de chiffre d'affaires. Tant qu'ils ne seront pas face à de réels marchés avec des budgets pérennes, les industriels n'investiront pas massivement dans un projet ayant peu de chances de générer du chiffre d'affaires. Il s'agit d'une logique implacable de marché où la demande ne suffit pas. Elle doit recevoir le soutien budgétaire afférent pour que les industriels y répondent.

En ce qui concerne l'École pour tous, Mathis Flavin, qui est lycéen, a adressé une proposition à sa députée affirmant que le confinement lui a été très bénéfique en lui permettant de travailler tranquillement sans pagaille dans la classe, temps de discipline ni perturbations. Certes, tous les élèves ne disposaient sans doute pas d'un calme identique chez eux, mais il s'agit d'une vraie question. Nombre d'enseignants se sont probablement insuffisamment saisis d'innovations pédagogiques comme la classe inversée, qui n'est pas une panacée, mais qui consiste à travailler seul la théorie et à être aux côtés de l'enseignant pour aborder les exercices en mode projet et en travail de groupe. Des associations d'enseignants extraordinaires qui effectuent un travail gigantesque sur ce sujet manquent de moyens. Les tiers lieux permettent de pallier le manque de moyens et de calme pouvant exister chez un élève. Globalement, Mathis Flavin sollicite davantage de temps de travail seul en faveur d'une meilleure efficacité.

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Nicolas Turcat, Banque des territoires

Concernant la question des usages numériques, je vous invite à vous rapprocher de vos rectorats, lesquels ont quasiment tous mis en œuvre des baromètres du numérique éducatif. Les résultats, qui ne sont pas forcément publics, sont très utiles sur des cohortes extrêmement importantes.

Le premier frein est lié à l'équipement. Le deuxième obstacle très concret réside dans la taille du groupe d'élèves, ce qui interroge sur la forme scolaire, à savoir la façon de faire classe en distanciel, en présentiel ou de manière hybride. Le format de la classe, qui a étrangement assez peu évolué depuis 1830, doit être retravaillé. Le tiers lieu consiste à ouvrir partiellement vers l'extérieur dans le respect des règles de sécurité et dans le cadre d'un enchaînement d'éléments conduisant à des questionnements, ce qui mène vers un projet beaucoup plus large d'établissement du futur ou de lycée 4.0. L'impact financier est plus marqué, mais des solutions de financement existent. La Caisse des Dépôts propose des lignes de prêt dédiées à l'éducation et aux établissements scolaires, ainsi que de l'ingénierie.

La question exposée par M. Roussel porte sur le montage d'un projet avec les acteurs de terrain, l'académie et les collectivités, voire les acteurs privés au travers de l'hybridation des financements. L'année dernière, dans une région française, 32 millions d'euros ont été dédiés à la dotation à l'investissement des collectivités locales (DSIL), dont 80 000 euros étaient consacrés au numérique éducatif sur deux établissements de la région. La DSIL n'a donc financé que 15 000 euros sur le numérique éducatif. Or il s'agit d'une ligne prioritaire qui est à la main des préfectures. Dans le cadre d'un lycée ou d'une école rurale numérique, le projet consiste à raccorder à la fibre et à desservir dans le respect des normes. Il convient de sortir de son environnement classique pour trouver ces financements qui existent.

L'hybridation des financements et la capacité d'ingénierie à monter des projets sont importantes. Elles sont partiellement assurées par des syndicats mixtes qui facilitent grandement, notamment sur la question du primaire. Elles pourraient prendre un autre format, notamment au sein d'établissements publics culturels communaux qui sont capables d'agréger des financements de l'État, des collectivités et de l'académie.

Le dernier point concerne l'usage. La Caisse accompagne la Trousse à projets dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA) des territoires numériques éducatifs et est en charge de son évaluation à mi-parcours et tout au long du projet. La mission d'évaluation a débuté la semaine dernière et se déclinera dans le cadre de la généralisation, ou non, du dispositif. La Trousse à projets doit typiquement s'hybrider avec le dispositif EDUCATE mis en place par votre département, qui est un accélérateur de solutions numériques, afin de mesurer l'impact des solutions que nous mettons en œuvre sur le territoire. La question majeure consiste à entrer dans l'école et la pratique pédagogique. La Banque des territoires est partenaire d'EDUCATE. Il s'agit d'une bonne pratique qui doit probablement être élargie aux sujets d'ingénierie et de montage de projets.

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Rémy Challe, directeur général d'EdTech France

Je souhaite revenir sur la période de confinement que nous venons de vivre et que nous risquons de vivre de nouveau puisque les écoles et les universités ferment les unes après les autres, ce qui laisse à penser que la question de l'école à la maison reviendra d'ici quelques semaines.

En réalité, l'école à la maison n'existe pas. Il ne faut pas confondre le numérique éducatif et l'enseignement à distance. Il s'agit de l'une des modalités pédagogiques, mais une expérience d'apprentissage est d'abord collective et sociale, et doit avoir lieu dans les salles de classe. Faute de pouvoir assurer le présentiel, il convient de recourir à des supplétifs. Or nous avons constaté que le numérique a permis de garder un lien et d'assurer une forme de continuité pédagogique durant la période de confinement. Nul ne peut toutefois affirmer que le dispositif était parfait puisqu'il a mis en exergue un certain nombre d'inégalités d'accès au réseau et aux équipements, ainsi qu'en matière de formation des enseignants.

L'écosystème s'est mobilisé pendant cette période avec le lancement de la plateforme Solidarité EdTech France sur laquelle plus de 300 éditeurs de ressources et fournisseurs d'applications proposaient gratuitement tout ou partie de leurs services. Il s'agissait d'un engagement solidaire véritable dès lors que passer gratuitement de 50 000 à 500 000 utilisateurs n'est pas rémunérateur et nécessite même un renforcement des structures. Cet engagement a mis en péril un certain nombre d'entreprises EdTech fragiles, car jeunes et petites, et disposant parfois d'une trésorerie faible.

Les grands gagnants de ce confinement sont les GAFAM. Il est naturel que les enseignants aient eu recours aux outils qu'ils connaissaient comme Zoom, WhatsApp, voire Discord, qui est destiné aux gamers, avec toutes les failles liées à la protection des données. Vous aurez observé que l'augmentation considérable du nombre d'utilisateurs s'est opérée dans la plus grande discrétion de la part des GAFAM.

Le CNED n'est pas non plus exempt de tout reproche en proposant « Ma classe à la maison » qui est une solution américaine via Blackboard hébergée sur les serveurs d'Amazon web service (AWS). Le CNED a été crédité d'avoir sauvé la continuité pédagogique, ce qui n'est pas tout à fait le cas. En outre, il s'agit d'une solution 100 % américaine. Actuellement, les solutions françaises existantes se trouvent dans l'incapacité de remplir les missions que nous pourrions confier à Google ou autre faute d'être capables de passer à l'échelle. Nous utilisons donc des solutions que nous rejetons, considérant que le modèle économique repose sur la monétisation et l'utilisation des données, alors que des solutions françaises existent auxquelles nous ne faisons pas confiance bien que le modèle économique des entreprises françaises n'intègre pas l'utilisation des données personnelles. Le RGPD génère de nombreux fantasmes. Les entreprises françaises ne demandent qu'à en respecter les règles car leur modèle économique ne consiste pas à utiliser les données des enfants et des enseignants.

Pour garantir la souveraineté éducative, il convient de faire confiance aux entreprises françaises en fixant un cadre. La qualité des relations avec l'Éducation nationale n'est ni bonne ni mauvaise. Nous nous réunissons de manière extrêmement régulière et fréquente, notamment avec la DNE, mais nous ressentons une certaine frustration en constatant une forme d'inertie et la persistance de blocages, ce qui engendre parfois quelques frictions.

Nous avons évoqué les démonstrateurs numériques, notamment dans le Val-d'Oise et l'Aisne. Nous sommes attentifs à ces deux départements. Il est vrai que le Val-d'Oise est une terre d'innovation en matière éducative conformément à la volonté du Conseil départemental. L'AFINEF et EdTech France accompagnent le programme EDUCATE. Toutefois, ces démonstrateurs numériques, qui représentent environ 27 millions d'euros, se traduisent par l'achat de matériel, ce qui est important, mais l'expérience a montré que celui-ci ne suffit pas. La formation des enseignants a été confiée à Canopé, qui est un opérateur du ministère de l'Éducation, ce que nous appelons de nos vœux. Il est nécessaire de se doter de matériel, d'infrastructures et d'enseignants formés au numérique.

La troisième brique est l'acquisition de ressources pédagogiques et d'outils. Il existe pléthore de solutions françaises à destination des enfants dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques et atteints de déficience visuelle, mais elles sont peu utilisées. Elles ont été développées par des fabricants français qui travaillent en collaboration étroite avec des chercheurs, des médecins et des laboratoires universitaires. Il ne s'agit pas de gadgets : une solution EdTech efficace améliore l'apprentissage. Les entreprises EdTech doivent démontrer la preuve de cette efficacité et de l'impact de la solution. Lorsqu'il s'agit de pénétrer la salle de classe, la plupart d'entre elles travaillent avec des laboratoires, des centres de recherche et des universitaires.

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Quelle est la date du prochain salon où seront proposées les solutions existantes ?

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Rémy Challe, directeur général d'EdTech France

La tenue des salons est malheureusement très incertaine. Nous espérons le maintien, fin novembre, du Salon EDUCATEC où un certain nombre d'entreprises EdTech sont exposantes de leurs solutions. L'événement In-FINE organisé à Poitiers par le ministère de l'Éducation nationale qui devait se tenir en juin 2020 est reporté à juin 2021.

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Pascal Bringer, président de l'AFINEF

Je débuterai mon propos par la question de la souveraineté de nos ressources éducatives. Il est important de préserver le système éducatif français qui est porteur des valeurs de notre société. S'agissant de la souveraineté, il convient de différencier les outils grand public de ceux des entreprises. Il est question de solutions mondiales de visioconférence, de cloud et de réseaux sociaux sur lesquelles nous ne nous battrons pas. En revanche, nous disposons de vraies solutions dédiées à l'éducation et à la formation. En France, de nombreux programmes de recherche ont permis à nos start-ups et aux industriels de développer des solutions innovantes, ce que le confinement a montré.

Toutefois, les entreprises ne peuvent se développer en l'absence de marché. En Angleterre, la filière EdTech, qui est très bien structurée, chasse en meute à l'international et pousse ses solutions. Il en est de même concernant les États-Unis et la Chine. En l'absence de marché interne, il est exclu de s'orienter vers l'international. En France, les ressources numériques représentent 3 à 5 euros par élève et par an, contre 50 euros dans nombre de pays européens. Entre 500 et 600 millions d'euros seraient nécessaires pour les 12 millions d'élèves français. Certes, il s'agit d'un investissement, mais qui n'est qu'une goutte d'eau vis‑à-vis du coût dans la durée de l'échec scolaire. Dans le cadre du plan de relance, nous avons communiqué ce coût auprès de Bercy. Il est important de consacrer un peu de budget à nos ressources éducatives.

Au travers des programmes d'investissements d'avenir nous avons la chance de bénéficier de programmes de recherche de deux types. L'objet des e-FRAN, qui sont opérés par la Caisse, est d'évaluer la pertinence de nos solutions pédagogiques. Des papiers qui seront prochainement publiés dans des revues internationales montrent que l'apprentissage est meilleur avec le numérique et que la fracture sociale peut se réduire grâce à ces outils. Nous disposons désormais de ressources granulaires modifiables par l'enseignant afin d'adapter individuellement le parcours de l'élève. Or face à 30 ou 40 élèves, ce dernier s'adresse au public, et non pas à chaque élève. Les études PISA montrent que les enseignants français savent traiter le cœur de classe, mais les très bons élèves et ceux qui rencontrent des difficultés sont laissés de côté. L'outil numérique permet d'équiper l'enseignant afin de favoriser cette individualisation.

La recherche est fondamentale car elle permet d'innover et d'améliorer ces solutions. Au travers des PIA portés par la DNE et le ministère, nous avons financé des programmes où nous amenons de l'intelligence artificielle allant dans le sens de cette individualisation, ce qui nécessite de travailler les modèles de données, lesquelles doivent être interopérables. Les données anonymisées doivent permettre d'améliorer nos outils pour favoriser cette individualisation.

La commande publique peut parfois constituer un frein en raison d'une certaine lourdeur. Nous avons besoin d'appels d'offres nationaux portés par le ministère pour fournir un socle numérique de base à tous les établissements scolaires. En période de confinement, les banques de ressources numériques et celles du CNED ont été les plus utilisées. Il s'agit de ressources gratuites construites par les industriels avec des équipes d'auteurs qui sont des professeurs. Le public et le privé ne s'opposent pas : nous travaillons conjointement. Les PIA constituent un socle numérique de base. Il convient de développer des solutions prenant en compte le RGAA car créer des ressources adaptées et favoriser l'inclusion est onéreux. Nous sommes invités à respecter le RGAA dans les marchés publics, mais l'entreprise qui fait vraiment l'effort de s'orienter vers l'inclusion ne pourrait-elle pas disposer d'un budget supplémentaire pour travailler avec les enseignants sur les fonctionnalités nécessaires en lieu et place d'un cahier des charges très normé qui constitue souvent une contrainte et ne répond pas toujours au sujet ? La commande publique peut favoriser l'innovation et amener ce socle numérique de base.

Il convient néanmoins de respecter la liberté pédagogique des enseignants et des directeurs d'école en leur laissant la capacité de choisir leurs ressources. Nous avons besoin de diversité et de solutions adaptées aux territoires, ce qui se décide au plus près de l'écosystème.

L'objectif est de se tourner vers l'international afin de porter le modèle éducatif français et nos valeurs dans les pays francophones. Il est important d'investir dans l'éducation de ces pays. Face aux problématiques migratoires que nous rencontrons, nous n'agissons pas correctement si nous n'aidons pas à former ces personnes avec notre système éducatif afin qu'elles trouvent un emploi chez elles. Agir au travers de l'éducation dans ces pays en développant une filière EdTech en France destinée à porter nos valeurs à l'international est particulièrement important.

Il nous faut opérer dans un cadre de confiance. Le RGPD permet une adaptation à la filière au travers du code de conduite, lequel est porté par l'AFINEF et les autres acteurs du numérique. L'objectif est de simplifier et de créer un cadre de confiance. Le RGPD appliqué à l'école est interprété de manière différente sur le territoire. Il nous est souvent opposé que nos solutions ne sont pas conformes au RGPD, ce qui n'est généralement pas le cas, mais le principe est mal expliqué. Le but est de garantir le respect des données dans la mesure où aucun acteur EdTech France ne commercialise les données des élèves. Nous avons besoin d'éléments sur les apprentissages des enfants, ce qui nécessite de créer un cadre de confiance au travers d'un code de conduite permettant aux acteurs de recourir à nos outils sans craindre une mauvaise utilisation des données.

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Pierre Schmitt, directeur technique et innovation de Librairie et édition en ligne de manuels scolaires

Le code de conduite est l'antithèse du principe de restriction que j'évoquais. L'idée n'est pas que le ministère décrète des restrictions couvrant 100 % des risques potentiels dont une bonne partie n'a aucune chance de se produire puisque le modèle économique EdTech français ne consiste pas à faire du commerce de données ou à les exploiter à des fins commerciales. L'objectif serait plutôt d'interpréter le RGPD de manière stricte, mais a minima en termes de contraintes et d'intervenir uniquement si des dévoiements sont constatés a posteriori, sans appliquer a priori toutes les restrictions que l'on imagine utiles à de potentiels risques.

Cette approche n'est pas celle que nous constatons aujourd'hui. Il semblerait que la CNIL ait une vision du RGPD largement plus restrictive que la plupart de ses partenaires européens. Au sein de l'Europe, où s'applique le même RGPD, nulle part ailleurs qu'en France les mêmes niveaux de restrictions et de contraintes ne s'appliquent aux entreprises de l'EdTech.

Sur la question des élèves les plus en difficulté ou qui ont le moins d'appétence pour l'école, le numérique n'est pas mesurable, mais est bien réel. Chacun sait qu'en disposant d'un bon outil que l'on sait bien utiliser, on se met plus facilement au travail, ce qui vaut également pour les élèves. Lorsqu'est présenté un cours appétent avec des outils faciles à utiliser, l'élève est beaucoup plus facilement embarqué dans sa classe et son travail scolaire. Il est tout à fait possible de construire des cours avec des logiciels libres comme Moodle, mais cet outil ne permet pas de créer des cours appétents. Le raisonnement est fonctionnel et non basé sur le design et l'UX. Est-il plus important d'utiliser des logiciels libres ou des outils qui embarquent véritablement les élèves ? Il suffit de regarder les cours que la plupart des enseignants construisent sur Moodle après des dizaines d'heures de formation ou d'auto-formation pour constater le résultat. Ces cours sont complets et fonctionnels, mais ne donnent pas envie. Or si nous voulons embarquer les élèves les plus en difficulté, il faut leur donner envie.

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Je vous remercie d'avoir pris le temps de partager vos réflexions avec nous. Nous préparons les États Généraux du numérique éducatif qui auront lieu à Poitiers début novembre. Pouvez-vous nous indiquer de quelle façon vous y êtes associés ?

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Nicolas Turcat, Banque des territoires

La Banque des territoires est associée aux côtés du réseau Canopé et du ministère de l'Éducation nationale dans le cadre des États Généraux territoriaux. Des concertations sont actuellement conduites dans un certain nombre d'académies. Des restitutions seront effectuées au niveau des régions académiques entre le 1er et le 15 octobre. La Caisse organise les débats et apporte une assistance méthodologique sur la restitution des remontées. Nous procéderons également à la synthèse de l'ensemble des éléments, laquelle sera présentée devant le ministre les 3, 4 et 5 novembre prochains à Poitiers ou en numérique.

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Rémy Challe, directeur général d'EdTech France

Nous sommes associés aux États Généraux du numérique éducatif avec l'AFINEF et tous les représentants des associations EdTech territoriales au sein d'un comité filière qui se réunit une fois par mois. Nous échangeons avec la DNE sur la place que les entreprises peuvent trouver dans ce numérique éducatif qui reste à construire. Une consultation est disponible en ligne avec une rubrique relative à l'EdTech, laquelle est classée dans la thématique « Souveraineté et données ». J'aurais préféré qu'elle le soit dans la rubrique « Enseigner avec le numérique ».

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Pascal Bringer, président de l'AFINEF

La filière est associée au ministère dans cette construction. Je me suis permis de transmettre, via le secrétariat de votre commission, la position de la filière bâtie avec EdTech France et les éditeurs de l'éducation. En outre, nous avons constitué des groupes de travail en préparation de ces États Généraux sur la base de cinq thématiques constats-propositions que nous fournirons au ministère lors de ces États Généraux et que nous vous avons également transmises.

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Merci à tous pour vos contributions à ce débat que nous poursuivrons la semaine prochaine.

La séance est levée à douze heures trente.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 23 septembre 2020 à 9 h 30

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Philippe Berta, M. Pierre-Yves Bournazel, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, M. Stéphane Claireaux, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Elsa Faucillon, M. Alexandre Freschi, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Raphaël Gérard, Mme Danièle Hérin, Mme Sandrine Josso, M. Régis Juanico, M. Yannick Kerlogot, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme Sandrine Mörch, Mme Béatrice Piron, Mme Florence Provendier, Mme Cathy Racon-Bouzon, M. Frédéric Reiss, Mme Cécile Rilhac, M. Cédric Roussel, M. Bruno Studer, Mme Sylvie Tolmont, Mme Michèle Victory, M. Patrick Vignal

Excusés. – M. Bertrand Bouyx, M. Bernard Brochand, Mme Anne Brugnera, Mme Annie Genevard, M. Bertrand Sorre

Assistait également à la réunion. – M. Fabien Di Filippo