Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 22 septembre 2020 à 21h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • betterave
  • betterave sucrière
  • dérogation
  • néonicotinoïde

La réunion

Source

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a poursuivi l'examen, pour avis, du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire (n° 3298) ( Mme Claire O'Petit, rapporteure pour avis ).

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Nous reprenons nos travaux en poursuivant l'examen des amendements à l'article unique.

La commission examine l'amendement CD14 de M. Loïc Prud'homme.,

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Cet amendement vise à supprimer l'alinéa 1. Le projet de loi est en effet à rebours de l'urgence écologique : 68 % des vertébrés sauvages ont disparu en cinquante ans et 80 % des insectes européens en trente ans, en grande partie à cause des pesticides.

Le rapport 2020 du World Wildlife Fund (WWF) établit un lien entre érosion de la biodiversité et insécurité alimentaire : le modèle agro-industriel est à l'origine de 70 % de l'appauvrissement de la biodiversité terrestre et de 52 % de la dégradation des sols. Sur les 6 000 espèces végétales cultivées dans le monde, neuf fournissent les deux tiers de la production alimentaire mondiale.

En clair, l'agro-industrie crée elle-même les conditions propices à sa destruction : l'appauvrissement du vivant par la culture monospécifique et par l'utilisation massive de pesticides ainsi que les bouleversements climatiques créent en effet un terreau favorable aux maladies et aux ravageurs.

L'agro-industrie tue le vivant et broie les agriculteurs, dont plus de 20 % vivent sous le seuil de pauvreté. Nombre d'entre eux sont d'ailleurs malades des pesticides, et les suicides se multiplient.

Pansement sur une jambe de bois, le projet de loi réautorise les néonicotinoïdes. Or une telle décision nuit au vivant et aux agriculteurs eux-mêmes. Certes, certains risquent évidemment d'être cette année plus touchés que d'autres par la jaunisse, mais, le cas échéant, ils doivent bénéficier d'une aide financière exceptionnelle et non de l'autorisation par anticipation des néonicotinoïdes.

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Sur le fond, j'ai déjà, cher collègue, répondu à vos arguments : il ne s'agit ici que d'une dérogation restreinte et temporaire permettant aux agriculteurs ainsi qu'à toute la filière sucrière de faire face à des conditions extrêmes puisque dans certaines exploitations, les pertes peuvent atteindre 30 à 40 %. Mais le principe demeure celui de l'interdiction.

Sur le plan juridique, l'adoption de votre amendement aurait pour conséquence de ne pas codifier ladite dérogation. Or pour une meilleure clarté de la loi, il est préférable de l'inscrire dans le code rural et de la pêche maritime, au même endroit que l'interdiction actuelle : c'est pourquoi j'y suis défavorable.

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Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Vous remettez en cause, monsieur le député, le fondement de la dérogation, à savoir la nouvelle rédaction du II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime qui figure à l'alinéa 1 du projet de loi et qui permet de recourir à l'article 53 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

Nous sommes en désaccord sur l'approche de cette question : la nôtre ne repose pas sur une opposition entre son volet économique et son volet écologique, mais sur la notion de souveraineté. Si l'on veut que la filière betteravière mène à bien sa transition, il faut d'abord qu'elle survive : nous ne lui adressons par conséquent pas d'injonction contradictoire, pour reprendre l'expression de M. Cédric Villani.

La vision que nous en avons ne doit pas se limiter au projet de loi, ni à certaines de nos décisions qui ne relevaient pas de la loi, mais embrasser l'ensemble qui forme la stratégie du Gouvernement : sortir la filière de l'impasse pour, demain, lui permettre de mener à bien ladite transition.

Avis défavorable, donc.

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Madame la rapporteure pour avis, comment pouvez-vous estimer à 30 % voire 40 % les pertes de la filière dans la mesure où il s'agit, pour une grande part, d'une culture non encore récoltée ? Il me semble que cela revient à crier avant d'avoir mal : disposeriez-vous d'une boule de cristal ou liriez-vous dans le marc de café ?

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Outre que je vous ai déjà répondu, je peux vous renvoyer cette question : savez-vous vous-même ce qui va advenir ?

La commission rejette l'amendement.

Elle est saisie de l'amendement CD15 de Mme Mathilde Panot.

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Cet amendement vise à supprimer l'alinéa 2.

Le Gouvernement, qui s'enferme dans une impasse, avance comme argument majeur pour défendre cette dérogation que les abeilles et la biodiversité ne seront pas touchées puisque la betterave est récoltée avant floraison, qu'elle n'attirerait dès lors pas les pollinisateurs et que l'usage des néonicotinoïdes en enrobage de semence sur cette culture ne serait donc pas dangereux pour les abeilles.

Au cours d'une interview, M. le ministre s'est même permis d'affirmer que les seules abeilles à voler dans des champs de betteraves seraient un peu stupides et dépourvues de tout sens de l'orientation.

Or seulement 20 % de la substance active contenue par la semence est absorbée par la plante, le reste étant disséminé dans les sols, les cours d'eau et les nappes phréatiques, avec une rémanence pouvant s'étaler sur plus de vingt ans : de quoi contaminer toutes les cultures environnantes et nuire durablement tant aux abeilles qu'au reste de la faune sauvage.

Le Gouvernement avance par ailleurs que la dérogation dépendra des conditions météorologiques et qu'elle ne sera octroyée que si l'hiver est particulièrement doux. Le ministre a-t-il lui aussi une boule de cristal ? Comment les agriculteurs qui s'approvisionneront en semences de betterave pourront-ils choisir entre celles qui seront enrobées et celles qui ne le seront pas ? Comment en outre définir un hiver doux ? L'argument ne tient pas une seconde face aux réalités du terrain.

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La suppression de l'alinéa 2 aurait pour conséquence la suppression du principe même de l'interdiction des néonicotinoïdes, qui figure déjà dans notre droit.

Il ne resterait plus alors dans la loi que la dérogation, sans principe général d'interdiction. Or il est essentiel de le maintenir dans le code rural. Avis défavorable, donc.

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Julien Denormandie, ministre

Même avis. En fait, le projet de loi autorise le recours à l'article 53 du règlement européen auquel la France, contrairement aux autres pays européens, s'est interdit de recourir, avec la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Le premier alinéa de ce même article du règlement prévoit qu'« un État membre peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques […] lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables ». Il s'agit du danger sanitaire couru par la plante.

Une telle décision doit donc être prise en fonction d'un faisceau d'indices agronomiques que les États membres concernés doivent collégialement déclarer, l'un d'entre eux étant évidemment les températures : très basses, elles tuent en effet les larves des pucerons. En cas d'hiver doux, ceux-ci, qui migrent du sud vers le nord, sans que l'on sache à quel moment ils se chargent du virus, peuvent se développer.

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Monsieur le ministre, puisque vous abordez la dérogation sur laquelle l'alinéa 2 ne porte pas, nous ne sommes pas du tout dans les clous des règles établies par l'article 53 du règlement européen, que l'on ne peut utiliser qu'après avoir tout essayé.

Or nous ne connaissons pas les conditions climatiques de l'année prochaine : l'enrobage des semences et l'usage des néonicotinoïdes vont donc être autorisés sur 100 % des surfaces cultivées en betteraves alors que la filière indique elle-même que seules 30 % d'entre elles sont concernées cette année, sans que l'on sache si elles le resteront.

Tant le rapport de la Cour des comptes européenne datant du mois de juillet 2020 que les rappels faits par la Commission européenne auprès des États membres en 2019 en matière de recours abusifs aux dérogations devraient logiquement pousser la France à soutenir cette dernière afin de mettre fin aux contournements de l'interdiction des néonicotinoïdes.

Qu'avez-vous prévu si la Commission met un coup d'arrêt aux dérogations ?

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Vous n'avez pas, monsieur le ministre, répondu à ma question précise et factuelle : les cultivateurs de betteraves vont-ils s'approvisionner en deux types de semences, enrobées ou non, et choisir entre les deux en fonction de l'usage de la dérogation ? Cela revient à autoriser 100 % des surfaces à utiliser des néonicotinoïdes.

Vous parlez de danger sanitaire : or un article de Mmes Andria M. Cimino, Abee L. Boyles, Kristina A. Thayer et Melissa J. Perry intitulé Effects of Neonicotinoid Pesticide Exposure on Human Health : A Systematic Review et publié en 2016 dans la revue Environmental Health Perspectives a conclu à « des conséquences développementales ou neurologiques défavorables sur l'être humain : développement de l'autisme, malformations cardiaques ».

Un tel danger existe donc, pour les agriculteurs et pour l'homme en général.

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Madame la rapporteure pour avis, sommes-nous bien d'accord sur le fait que puisque 80 %, voire plus, des substances néonicotinoïdes se retrouvent dans le sol et dans l'eau, seuls 20 % étant absorbés par les plantes, l'argument tenant à la récolte avant floraison des betteraves et donc à leur innocuité pour la biodiversité ne tient pas ?

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Julien Denormandie, ministre

Madame Delphine Batho, l'Europe a effectivement mené une enquête dans deux États membres, la Roumanie et la Lituanie : figurez-vous qu'elle l'a fait principalement à l'initiative de la France et de mon ministère puisqu'on les soupçonnait de ne plus recourir à l'article 53 en raison d'un risque sanitaire avéré, mais de façon systématique. Nous avons donc agi de manière proactive en la matière.

Si la réglementation européenne évolue, tout le monde devra évidemment s'y plier.

Je reviens, monsieur Loïc Prud'homme, sur le calendrier : si le projet de loi est adopté, des arrêtés conjoints des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement autoriseront la mise sur le marché en janvier 2021 temporairement, c'est-à-dire, comme le prévoit l'article 53 du règlement, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, ce qui déclenchera l'enrobage des graines par les semenciers. S'ils ne sont pas pris, ces derniers ne pourront donc pas vendre la substance concernée.

Par conséquent les agriculteurs n'achèteront pas simultanément deux types de semences, les unes enrobées, les autres non.

J'en viens à la dimension locale de la question qui pourrait conduire à exclure des régions non infestées par les pucerons : l'immense difficulté à laquelle nous sommes confrontés est que leur comportement en 2019 a été totalement différent de celui de cette année, puisque leur gradient est passé d'est en ouest, et qu'il reste très compliqué de prévoir leurs mouvements.

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Nous sommes d'accord sur votre constat, monsieur Matthieu Orphelin, mais cela n'enlève rien au problème.

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Julien Denormandie, ministre

La durée de la rémanence dans le sol dépend de son pH, de son microbiote et de sa nature : s'il est argileux, la substance y restera. Si celle-ci se propage dans l'eau, elle ne restera pas dans le sol.

Cela renvoie au débat que nous avons eu tout à l'heure sur cette question à la fois particulièrement intéressante et compliquée : certaines demi-vies sont en effet, non en raison du produit mais de la nature du sol, beaucoup plus courtes que d'autres.

Je ne dis cependant pas, monsieur Matthieu Orphelin, que ce que vous avez dit est faux.

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Je vous remercie, madame la rapporteure pour avis, pour cette réponse très claire : elle montre que l'argument selon lequel les betteraves sont récoltées avant floraison ne doit absolument pas être mis en avant comme le Gouvernement et un certain nombre de parlementaires le font.

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Julien Denormandie, ministre

Ce n'est pas vrai : je n'ai jamais mis cet argument en avant.

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Cette conclusion est en outre conforme à ce que nous disent les scientifiques.

La commission rejette l'amendement.

La commission examine ensuite, en discussion commune, l'amendement CD3 de Mme Delphine Batho ainsi que les amendements identiques CD11 de Mme Yolaine de Courson, CD24 de M. Matthieu Orphelin, CD29 de Mme Delphine Bagarry et CD60 de Mme Frédérique Tuffnell.

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L'amendement CD3 concerne la réécriture de la loi de 2016 : il a la même visée que l'un de nos amendements précédents, à savoir faire de l'interdiction de tous les néonicotinoïdes un principe intangible auquel quelque gouvernement que ce soit ne pourra déroger.

En effet, la disposition telle qu'elle est réécrite permet au Gouvernement actuel, ou demain à l'un de ses successeurs, d'autoriser à nouveau des substances néonicotinoïdes, dans toute la France et pour tous les usages : c'est ce que mon amendement propose d'empêcher en supprimant la référence au décret.

Je rappelle que l'actuel article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime ne prévoit pas de décret concernant l'interdiction de ces substances : il en prévoit un, qui est nécessaire parce qu'il faut les définir, s'agissant des produits ayant le même mode d'action. Nous l'avions modifié dans ce sens dans la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi « ÉGALIM ».

Le projet de loi fait, lui, autre chose : il détricote la loi de 201.

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L'amendement CD11 vise, à l'alinéa 2, à supprimer les mots : « précisées par décret, ».

Dans vos propos liminaires vous avez, monsieur le ministre, évoqué la transition et, Madame la rapporteure pour avis, de façon extrêmement vague, les contreparties : or on ne sait pas en quoi elles consistent.

Le fait que notre amendement de suppression de l'article n'ait pas été adopté ne doit pas nous empêcher de nous poser la question de fortes contreparties qui pousseraient toute la profession agricole à changer en contractualisant, notamment avec des apiculteurs, et en se formant.

J'ai visité ce matin une pépinière qui a effectué en cinq ans un virage à 180 degrés : alors qu'elle vendait auparavant des sapins de Noël bourrés de pesticides, elle s'est spécialisée dans l'agroforesterie.

On pourrait également prévoir, comme nous l'avons fait dans la loi « ÉGALIM », que les usines privilégient dans leurs achats les agriculteurs engagés dans la transition. La valeur doit en effet revenir à ceux qui ont fait un tel effort : or on n'en parle pas.

Comme l'a indiqué Mme Delphine Batho, le plan proposé par les betteraviers ne comporte que des contreparties indigentes. Que cette loi soit de circonstance, soit, mais au moins définissons ces contreparties !

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Inscrire dans la loi la possibilité pour le Gouvernement de déterminer les substances concernées sans prévoir de contreparties ne permettra pas d'accompagner complètement les changements de modes de production.

À l'avenir, il sera en outre peut-être encore plus facile d'obtenir des dérogations.

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Il me semble que nous sommes tous responsables de ce qui se passe ce soir puisque nous n'avons rien fait pour régler le problème des néonicotinoïdes, qui ne l'a pas été depuis 2016. Rapporteure, avec ma collègue Mme Nathalie Bassire, sur l'évaluation de la loi du 8 août 2016, nous avons mesuré les difficultés rencontrées dans cette transition.

L'article unique ne peut être accepté en l'état : c'est pourquoi je demande, à l'alinéa 2, la suppression des mots : « précisées par décret, ».

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Madame Yolaine de Courson, les contreparties que j'ai évoquées dans mon propos liminaire, à savoir les pratiques agro-écologiques, la protection des abeilles et l'interdiction de planter certaines cultures, feront l'objet d'amendements que je présenterai tout à l'heure.

Les amendements qui viennent d'être présentés tendent, à l'alinéa 2, à supprimer les mots : « précisées par décret, ». Or la suppression du décret aurait pour conséquence de ne plus définir les substances considérées comme assimilées aux néonicotinoïdes, ce qui est nécessaire pour pouvoir appliquer pleinement l'interdiction.

Par ailleurs, comme je l'ai expliqué précédemment, cette rédaction permet de lever une difficulté juridique liée à la conformité du droit français au droit européen, ainsi que le précise le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi.

C'est pourquoi je suis défavorable à cette série d'amendements.

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Julien Denormandie, ministre

Même avis : je vous renvoie aux arguments juridiques que j'ai détaillés à la toute fin de la réunion de cet après-midi.

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Je m'adresse du fond du cœur à tous mes collègues : on vous demande de voter à travers ce texte, que même à l'Assemblée nationale on appelle le projet de loi « betteraves », le détricotage complet de la loi de 2016.

Cela se fait de façon beaucoup plus subtile et beaucoup moins brutale qu'à travers l'avant-projet de loi de 2017 – que M. Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique et solidaire, avait à l'époque bloqué – qui prévoyait de supprimer purement et simplement l'interdiction des néonicotinoïdes.

Cela revient à vous faire voter « à l'insu de votre plein gré », car ce n'est pas comme cela que les choses vous sont présentées, la réautorisation de certaines substances néonicotinoïdes actuellement interdites en France bien qu'autorisées en Europe.

Vous voterez ainsi en connaissance de cause : l'alinéa 2 va en effet bien au-delà d'un débat sur la filière de la betterave à sucre.

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Julien Denormandie, ministre

Si je salue la qualité de nos débats, je trouve indécent, madame Delphine Batho, que vous laissiez planer une suspicion sur le ministre que je suis ainsi que sur les équipes qui m'entourent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

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Julien Denormandie, ministre

Nous pouvons refaire l'historique du dossier : si nous avons été obligés de prendre le décret qui encore une fois a été attaqué par l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), que par vos propos – ouvrez les yeux – vous défendez, c'est parce que la loi de 2016 n'a pas été notifiée au niveau européen.

L'article 71 du règlement européen de 2009 qui institue une clause de sauvegarde, nous oblige à opérer cette modification portant sur les décrets, ce qui figure en toutes lettres dans l'avis du Conseil d'État aujourd'hui public

Je vous le dis clairement : la suspicion, pas avec moi ! Je vous mets d'ailleurs au défi de trouver une incohérence dans tous mes propos depuis que je me suis engagé en politique.

Il faudra encore une fois, si l'on refait l'exégèse légistique de tout ce qui s'est passé depuis 2016, que chacun balaye devant sa porte, s'agissant de ce qui s'est passé juste après la promulgation de la loi de 2016 et qui nous contraint à faire aujourd'hui ce que nous sommes en train de faire.

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Ici, monsieur le ministre, nous votons la loi, et seul compte ce qui est écrit dans le texte, c'est-à-dire la possibilité offerte au pouvoir exécutif de ne pas interdire tous les néonicotinoïdes. Il ne s'agit pas de suspicion mais bien de droit : c'est écrit dans l'avis du Conseil d'État.

Vous pouvez me mettre en cause personnellement, j'en ai l'habitude. Mes amendements ont par ailleurs été espionnés par l'UIPP. Je connais l'attitude qui consiste, lorsque l'on pose un problème sur le fond, à essayer d'en faire une question personnelle.

Le sujet, monsieur le ministre, est ce qui figure à l'alinéa 2 de l'article unique de votre projet de loi : il donne au pouvoir réglementaire la possibilité d'autoriser en France des substances néonicotinoïdes qui jusqu'à présent y étaient interdites par la loi de 2016.

La commission rejette l'amendement CD3 puis les amendements identiques.

Elle examine les amendements identiques CD4 de Mme Delphine Batho, CD12 de Mme Yolaine de Courson, CD16 de M. Loïc Prud'homme, CD25 de M. Matthieu Orphelin, CD30 de Mme Delphine Bagarry, CD46 de M. Guillaume Garot et CD57 de Mme Frédérique Tuffnell.

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Notre débat porte à présent sur les dérogations : elles consistent à autoriser l'utilisation en France de trois produits aujourd'hui interdits à l'échelle européenne tant leur nocivité a été établie de façon accablante, notamment par l' European Food Safety Authority (EFSA) qui a considéré qu'ils présentaient un risque inacceptable pour les abeilles et les pollinisateurs.

Ces trois produits, dont M. le ministre a, au cours des auditions menées par le rapporteur de la commission des affaires économiques, confirmé l'utilisation en France au travers de ces mêmes dérogations, sont l'imidaclopride, le thiaméthoxame et la clothianidine, soit les trois pires néonicotinoïdes.

Le groupe Écologie, Démocratie, Solidarité (EDS) s'oppose donc totalement à ces dérogations. Les dispositions proposées n'en définissent par ailleurs absolument pas les limites en termes ni de types de cultures, ni de surfaces, ni de territoires concernés.

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L'amendement vise à supprimer l'alinéa 3.

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Celles et ceux qui demandaient un moratoire sur la 5G se sont récemment vus qualifiés par le Président de la République d'Amish ou de partisans de la lampe à huile.

Il n'y a pas de posture plus obscurantiste que celle consistant à nier la science. Or l'on dispose, s'agissant des néonicotinoïdes, de 1 220 études scientifiques menées depuis vingt ans : elles montrent et démontrent leurs effets hautement toxiques sur les insectes pollinisateurs, la biodiversité, la qualité des sols et des eaux ainsi que sur la santé humaine.

Hier, près de soixante chercheurs internationaux de vingt-quatre pays et de quatre continents différents ont, dans Libération, qualifié le projet de loi de grave erreur tout en rappelant qu'ils avaient été, il y a deux ans, invités à l'Assemblée nationale pour saluer l'application de la loi de 2016.

Depuis l'autorisation des néonicotinoïdes dans les années 1990, la production de miel a été, en France, divisée par trois. En 2017, une étude a révélé qu'en Europe, 80 % de la biomasse des insectes avait disparu en moins de trente ans, ses auteurs estimant que les pratiques agro-industrielles étaient la première cause de ce déclin.

En quelques années, au sein de l'Union européenne, les colonies d'abeilles ont été décimées, à hauteur de 37 %. Pire, et autre déni scientifique, de nombreuses études ont démontré qu'une résistance aux néonicotinoïdes était apparue et que leur utilisation représentait une impasse technique.

Des recherches menées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) mettent en lumière l'apparition de telles résistances. On estimait en 2008 que plus 550 espèces d'insectes étaient devenues résistantes à un ou plusieurs insecticides.

Or des alternatives existent. Puisque nous connaissons les dégâts occasionnés par les néonicotinoïdes, nous ne pouvons accepter une dérogation qui constituerait une régression alors que la France avait en la matière pris une décision exemplaire saluée comme telle dans le monde entier.

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J'invite mes collègues à garder le même niveau d'exigence que cet après-midi. Nous ne sommes pas là pour applaudir les arguments des uns et des autres ou se lancer des invectives hors micro. J'ai été assez choqué par l'accueil réservé aux arguments très concrets de Mme Delphine Batho. Ces comportements n'ont pas leur place ici. J'aimerais qu'on soit tous aussi bons connaisseurs du sujet qu'elle l'est, ce qui n'implique pas qu'on soit tous d'accord. Il me paraît essentiel qu'on s'écoute. Le débat démocratique ne plaît pas nécessairement à tout le monde, mais il exige que chacun puisse exprimer ses arguments avant de voter en conscience.

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Le moment est grave. On parle de molécules qui ont un très large spectre et qui tueront beaucoup plus d'espèces que le puceron. Elles ont par ailleurs une forte rémanence et s'étendent sur une grande zone géographique. Elles affecteront de manière grave et irréversible le vivant.

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Le fait d'autoriser à nouveau le recours à plusieurs produits phytopharmaceutiques entraînera un recul de la transition écologique et ira à l'encontre du projet agroécologique que la France doit porter. On a évoqué les effets de ces produits sur les abeilles, la biodiversité ainsi que sur la qualité des sols et de l'eau, mais on a moins souligné leurs conséquences sur la santé humaine, qu'elles soient directes ou à plus long terme – je pense aux troubles neurologiques, au développement de cancers, à la suspicion de troubles autistiques et du développement. Par ailleurs, il est très regrettable, à nos yeux, que le ministère de la santé ne soit pas associé à la réflexion. Enfin, on aurait pu attendre la présentation du rapport de l'ANSES, au début de l'année prochaine, pour examiner le projet de loi.

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Je pense ce soir à Mme Rachel Carson, auteure du Printemps silencieux : je crains que ce dernier ne soit éternel. L'amendement CD60 vise à supprimer le dispositif dérogatoire, car il fait courir un risque inacceptable aux abeilles et aux pollinisateurs.

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Ces amendements visent à supprimer l'alinéa 3, qui prévoit la possibilité de déroger à l'interdiction des néonicotinoïdes. Si cette interdiction doit demeurer le principe, la situation exceptionnelle de la filière de la betterave sucrière justifie l'octroi d'une dérogation restreinte. Par mon amendement CD71 rectifié, je proposerai ultérieurement de réduire le champ des cultures concernées par la dérogation. C'est pourquoi je suis défavorable à la suppression de cet alinéa.

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Julien Denormandie, ministre

Je souscris aux propos de M. Matthieu Orphelin sur la qualité de nos débats : nous avons eu, cet après-midi, des échanges de fond, parfois techniques. Malheureusement, ce n'est plus le cas ce soir. Madame Mathilde Panot, je me suis déjà exprimé sur les sujets que vous évoquez, mais vous vous trouviez alors dans l'hémicycle. Vous affirmez en particulier que d'autres solutions existent : je vous réponds que ce n'est pas le cas.

On entend une petite musique depuis le début de la réunion, selon laquelle certains auraient la protection de l'environnement chevillée au corps, tandis que d'autres feraient passer l'économie avant l'écologie. Cela m'est insupportable. Qui fait preuve de courage, ce soir ? Certains députés ont les valeurs environnementales chevillées au corps, se battent depuis des années pour elles, mais dressent le constat lucide, humble, que l'on se trouve dans une impasse. Si la filière ne passe pas l'hiver, si, demain, il n'y a plus de sucreries, on se trouvera bien seul pour mener la transition. Où est le courage, lorsqu'on présente des amendements en mettant ces problèmes de côté ? J'ai lu beaucoup des scientifiques que vous évoquez, madame Mathilde Panot – certains d'entre eux ont été mes professeurs. Parmi eux, un professeur émérite se demandait, dans une tribune publiée cet été, s'il ne valait pas mieux arrêter de cultiver pour le sucre en France. Le courage consiste-t-il à se dire que ce n'est pas grave, qu'on va laisser cultiver en Pologne, en Belgique ? Pouvez-vous me dire, en me regardant dans les yeux, que, dans deux ans, vous et vos proches arrêterez de manger du sucre ?

Nous menons la transition agroécologique tout en ayant l'humilité de reconnaître que si 92 % des néonicotinoïdes sont interdits en France grâce à la loi de 2016, nous sommes dans l'impasse pour 8 % d'entre eux. Nous affrontons cette difficulté avec responsabilité et courage, avec la volonté de sauver 46 000 emplois. Qu'on le veuille ou non, la transition exige du temps, paramètre dont ni vous ni moi n'avons la maîtrise. Notre rôle est de mettre la pression pour essayer d'accélérer les choses, mais la nature est diablement compliquée : on ne sait pas, par exemple, où les insectes contractent le virus. Faire de la recherche agronomique, ce n'est pas mettre une drosophile dans une boîte de Petri mais semer des plantes dans des champs et attendre les résultats. Nous sommes les meilleurs au monde dans ce domaine, mais cela prend du temps. Le courage en politique, c'est d'affronter le temps.

(Applaudissements.)

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Il y a une semaine, lors de l'examen du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), alors que nous évoquions le service public forestier, vous avez employé exactement le même procédé rhétorique. Vous contestiez le fait que nous étions du côté des forestiers et que vous poursuiviez d'autres objectifs. Vous êtes bel et bien en train d'autoriser des dérogations à l'interdiction des néonicotinoïdes, dont on connaît scientifiquement les effets néfastes sur la biodiversité, les sols, les eaux, la santé humaine. Par cette rhétorique, vous tuez le débat politique, car vous n'assumez pas vos actes. C'est faire preuve de courage que d'exprimer son opposition, en confrontant ses arguments : c'est cela, le débat parlementaire.

Toutes les organisations non gouvernementales (ONG) environnementales, les apiculteurs, la Confédération paysanne, la Fédération nationale d'agriculture biologique des régions de France (FNAB) sont opposés au projet de loi. Nous ne contestons pas les difficultés économiques de la filière, mais celles-ci ne sont pas liées à l'interdiction des néonicotinoïdes. Le courage consiste à s'interroger sur ses choix, à se demander si on continue à promouvoir un modèle destructeur ou si on change de politique. En 2017, M. le Président de la République Emmanuel Macron écrivait dans un tweet que d'ici à trois ans, on n'utiliserait plus le glyphosate : on sait ce qu'il en est aujourd'hui. Vous nous dites, à nouveau, qu'on a besoin de temps, mais c'est dès maintenant qu'il faut accompagner les agriculteurs, leur octroyer des fonds, les former et faire en sorte qu'ils retrouvent leur dignité sans dépendre des pesticides et des insecticides. Il faut arrêter de développer un modèle qui se traduit par le suicide d'un paysan par jour. Mais peut-être contestez-vous ce chiffre, monsieur le ministre ?

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Julien Denormandie, ministre

Je préfère ne pas répondre.

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Certains arguments ne me semblent pas recevables. La France ne court pas le risque de faire face à une pénurie de sucre. Au lieu de se référer à la moyenne des cinq dernières années, on peut comparer les pertes subies par les producteurs cette année à celles accusées en 2019 – également une année sèche – où elles ont atteint 8,5 %. On est donc très loin des chiffres spectaculaires annoncés. La récolte est estimée à ce jour à des niveaux comparables à ceux de 2015, alors même que l'on compte quatre sucreries en moins.

On n'a pas entendu le même concert d'inquiétudes – au demeurant, justifiées – au sujet de l'avenir des salariés des sucreries, des ouvriers et des agriculteurs lorsqu'ils ont subi de plein fouet les conséquences de la crise de surproduction consécutive à la suppression des quotas européens. Mettons à plat la situation de la filière, qui est dans une impasse car on lui demande de s'aligner sur le modèle dérégulé – insoutenable – de la concurrence internationale. Travaillons-y sérieusement. Étudions l'outil de la transformation industrielle. Demandons-nous pourquoi, face à l'augmentation de la demande des consommateurs en sucre bio, on en importe d'Allemagne, ce qui est un comble. Mettons tout cela à plat, mais pas sur le dos du vivant, des abeilles, des vers de terre, etc.

L'amendement en discussion vise à revenir sur l'octroi de dérogations qui autoriseraient l'utilisation en France de produits interdits en Europe – car même l'Europe a reconnu leur dangerosité pour le vivant ! Cela nous paraît totalement inacceptable.

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Personne, ici, n'a le monopole de l'environnement et de l'écologie. J'ai fondé l'Union des démocrates et indépendants (UDI) avec M. Jean-Louis Borloo qui, sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy, a été le premier ministre de l'environnement à organiser un Grenelle de l'environnement, à poser des bases en la matière, à développer une vision de l'écologie. Je suis favorable à une écologie humaniste, qui n'oppose pas les territoires à l'enjeu environnemental.

La filière sucrière emploie directement 46 000 salariés et indirectement près de 100 000 personnes. Imaginons que nous prenions des décisions qui entraînent des suppressions d'emplois : vous seriez la première, madame Mathilde Panot, à soutenir les revendications de salariés manifestant devant une entreprise sucrière. Vous dénonceriez le fait que le Gouvernement n'ait rien fait pour soutenir l'emploi. Vous procédez toujours de la même façon, il y en a assez ! Vous n'avez pas le monopole de l'écologie. Je suis quelqu'un de responsable, je ne suis pas fière de ce que l'on est obligés d'accomplir aujourd'hui, mais un intérêt essentiel le commande. Regardons ensemble comment aller plus loin pour trouver d'autres solutions, mais cessez de vociférer et d'opposer les bons aux méchants.

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Je ne supporte pas qu'on laisse croire que certains d'entre nous voudraient sauver le vivant tandis que d'autres désireraient le tuer, qu'on laisse à penser que nos agriculteurs sont des assassins qui n'aiment pas la nature. C'est bien ce que vous sous-entendez, c'est la petite musique que vous faites entendre. Madame Delphine Batho, vous prétendez que nous ouvrons la porte à tout.

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Absolument pas ! L'alinéa 3 dispose clairement que des dérogations peuvent être appliquées jusqu'au 1er juillet 2023, dans les conditions prévues à l'article 53 du règlement européen. Nous agissons de la même manière que nos voisins. Quant à nos importations en provenance d'Allemagne, on sait que le bio ne recouvre pas tout à fait la même réalité en France et dans les autres pays européens. Il faudrait définir clairement la notion d'agriculture biologique.

Madame Mathilde Panot, vous êtes revenue sur le débat que nous avons eu la semaine dernière au sujet de l'Office national des forêts (ONF). Quand on veut mener une politique écologique responsable, il faut la conduire avec l'ensemble des parties prenantes. Vous avez essayé de nous faire croire, la semaine dernière, qu'on ne connaissait rien au sujet, et vous nous avez fait la morale. Je rappelle qu'il existe, au sein de notre assemblée, un groupe d'études dédié à la forêt, au bois, aux nouveaux usages et à l'industrie du bois, qui rassemble des députés de tous les groupes, mais auquel vous ne participez pas. Vous pourriez pourtant y rencontrer l'ensemble des acteurs de la filière et non pas seulement ceux qui vont dans votre sens.

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Au sein du groupe LR, nous voterons évidemment contre l'amendement. Nous souhaitons renforcer la protection de l'environnement, ce qui ne peut se faire qu'à un rythme acceptable par la société. Certains voudraient aller plus vite. On souhaite toujours que les autres professions avancent plus rapidement que soi. En l'occurrence, il est un peu facile de le demander aux agriculteurs, qui n'ont cessé d'accomplir des efforts depuis 1945. Toutes les études convergent pour reconnaître que notre alimentation est bien meilleure, en termes de qualité gustative et sanitaire et de traçabilité, qu'elle ne l'était il y a dix, vingt ou trente ans, et qu'elle est meilleure en France que dans beaucoup d'autres pays du monde – certains estiment qu'elle occupe le premier rang. Les agriculteurs ont fait un travail formidable. Il faut les aider à avancer.

J'ai combattu l'interdiction des insecticides néonicotinoïdes posée par la loi de 2016, mais je reconnais qu'elle a permis une certaine prise de conscience. Il faut toutefois éviter que des professionnels se retrouvent la tête sur l'échafaud, faute de solutions techniques. Parce que nous sommes tous favorables à l'environnement, il faut accepter que nous avancions tous au même rythme. Si nous ne trouvons pas de nouvelles solutions, 26 000 agriculteurs s'orienteront peut-être, demain, dans une autre voie : nous n'aurions plus, alors, de filière betteravière, donc plus de filière sucrière. Peut-être les 20 000 personnels des sucreries trouveraient-ils un autre emploi mais, en tout état de cause, nous serions contraints d'importer auprès de nos amis et partenaires européens la totalité du sucre que nous consommons. J'ai toujours considéré que l'écologie avançait si elle était solidaire. Nous devons manifester cette solidarité avec les Polonais, les Allemands, les Belges. Nous devons avancer au même rythme, en tirant parti des mêmes atouts.

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On part d'un constat terrible : la filière, dites-vous, monsieur le ministre, ne passerait pas l'hiver. À partir de là, au vu des données économiques que vous avancez et de l'enjeu écologique, un tel débat, mené dans l'urgence, ne peut satisfaire la représentation nationale. Par ailleurs, M. Charles de Courson nous a dit que nous prenions une lourde responsabilité car, selon lui, nous faisons courir un risque de faillite à 26 000 exploitants agricoles, ce qui pourrait mettre au chômage 46 000 personnes, dont 20 000 salariés. Nos agriculteurs peuvent assurer, pendant un certain temps, une reconversion culturale pour surmonter les difficultés conjoncturelles que vous vous efforcez de combattre par la recherche et des mesures annexes. Plusieurs des vingt et une sucreries françaises éprouvaient, avant la crise, des difficultés, mais votre gouvernement refuse d'écouter les propositions de mutation et de diversification industrielle. À titre d'exemple, la sucrerie du Puy-de-Dôme, à laquelle a fait référence tout à l'heure Mme Christine Pires Beaune, avait la capacité d'engager une telle mutation. Il y a là un gisement d'intelligence qui permettrait, dans le cadre d'un plan d'accompagnement, de surmonter cette période difficile sans avoir recours à la disposition qui nous est proposée. Contrairement à ce qu'a dit M. Vincent Thiébaut, nous n'affirmons pas que les agriculteurs sont de terribles individus qui attirent toutes les misères du monde. Mais, demain, l'opinion publique mettra les betteraviers au pilori, ce qui est terrible pour la profession.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle examine l'amendement CD17 de Mme Mathilde Panot.

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Des collègues m'ont reproché de vociférer et de ne rien connaître au débat.

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Discréditer une personne plutôt que de répondre à ses arguments n'est pas le signe d'une grande qualité de débat. J'aimerais qu'on me réponde au sujet du grand nombre d'études scientifiques qui ont été publiées sur cette question, ainsi que de l'impasse technique induite par la résistance croissante des pucerons aux néonicotinoïdes. Je souhaiterais également qu'on évite de caricaturer mes propos et qu'on ne me fasse pas dire que les agriculteurs seraient des « assassins » : jamais personne n'a dit ça, et je ne le dirai jamais. Les agriculteurs ont dû se conformer à un modèle qu'ils n'ont pas choisi. Il faut les accompagner dans la voie de l'agriculture paysanne et écologique et créer de nouveaux emplois.

J'ai eu l'occasion de soutenir les sous-traitants nucléaires – bien qu'étant antinucléaire – et de leur expliquer que nous pouvons porter des projets écologiques qui prennent en considération l'humain. Je pense que nous pouvons tous nous retrouver sur la dimension humaniste.

L'amendement CD17 a pour objet de supprimer la première phrase de l'alinéa 3. Il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore. Si on accordait cette dérogation, cela conduirait d'autres filières, notamment celle du maïs, à introduire une demande similaire. Il faudrait alors m'expliquer, monsieur le ministre, chers collègues, comment vous justifieriez une fin de non-recevoir.

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Cet amendement vise à supprimer la première phrase de l'alinéa 3, qui autorise l'octroi de dérogations. Comme je l'ai déjà expliqué, la situation exceptionnelle de la filière de la betterave sucrière justifie l'octroi d'une dérogation restreinte. L'un de mes amendements aura pour objet de réduire le champ de la dérogation. C'est pourquoi je suis défavorable à l'amendement CD17.

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Julien Denormandie, ministre

Avis défavorable. Madame Mathilde Panot, nous partageons la même passion pour le débat de fond. Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, la betterave présente deux spécificités qui la distinguent du maïs : elle n'est pas mellifère et ne dépend pas d'un outil industriel. Je ne reformulerai pas toutes les explications que j'ai apportées pendant que vous étiez dans l'hémicycle – si vous le souhaitez, je pourrai vous les apporter par la suite.

Monsieur Hubert Wulfranc, avec l'expression « ne pas passer l'hiver », couramment employée dans mon territoire, je ne pensais pas particulièrement à l'hiver prochain mais, de façon plus générale, j'évoquais l'hypothèse dans laquelle la filière ne pourrait continuer son activité bien longtemps.

La commission rejette l'amendement.

Elle en vient à l'amendement CD44 de Mme Nathalie Sarles.

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Je voudrais revenir sur les propos qu'a récemment tenus la ministre de la transition écologique sur le projet de loi. Mme Barbara Pompili considère – à juste titre, me semble-t-il – que nous partageons la responsabilité de la situation actuelle, qui nous oblige à adopter ce texte. La filière ne s'est pas assez organisée pour assurer la transition dans laquelle elle devait s'engager depuis 2018. Le Gouvernement, quant à lui, n'a pas donné à la science le moyen d'accompagner la filière. Enfin, les parlementaires n'ont pas assuré leur mission de contrôle.

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Julien Denormandie, ministre

C'est exact !

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Peut-être n'avons-nous pas les moyens suffisants ? Toujours est-il que – je le dis à contrecœur – nous allons devoir à nouveau autoriser l'utilisation de certains néonicotinoïdes, alors que nous les jugeons néfastes pour l'environnement et que nous nous étions réjouis des avancées précédemment obtenues. Par l'amendement CD44, je souhaite réduire d'un an la durée de la dérogation, en ramenant son terme à 2022. Nous pourrions ainsi assumer cette mesure jusqu'à la fin de notre mandat, à charge pour la prochaine Assemblée de se pencher à nouveau sur la question. Deux campagnes, cela paraît court, à l'échelle du temps agricole, mais ce sujet est à l'ordre du jour depuis longtemps déjà.

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Cet amendement vise à raccourcir la durée des dérogations, en ramenant leur terme de 2023 à 2022. Je comprends votre objectif, mais cette solution n'est pas exempte d'inconvénients. Je ne suis pas sûre que, d'ici à 2022, l'on ait trouvé des solutions alternatives. L'échéance de 2023 me semble plus raisonnable au vu des programmes de recherche en cours. Si d'autres voies étaient trouvées avant 2023, le Gouvernement a indiqué qu'il n'autoriserait plus de dérogations. Il me semble donc préférable de conserver la rédaction actuelle, tout en prévoyant d'autres garanties, telles que les restrictions apportées aux dérogations, l'adoption de plans de prévention ou la plantation de haies. Je vous demande donc de retirer l'amendement.

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Julien Denormandie, ministre

Je salue vos propos, madame Nathalie Sarles : il me paraît essentiel que chacun assume sa part de responsabilité. Quant au fond, je ne suis pas favorable à la réduction de la durée de la dérogation, pour deux raisons. Premièrement, la recherche agronomique nécessite la conduite d'expérimentations in vivo, qui ne pourraient être menées si, au cours d'un prochain hiver, les conditions climatiques souhaitées n'étaient pas réunies. Trois voies de recherche sont actuellement privilégiées. La première est la description des phénotypes de l'ensemble des semences qui seront ensuite plantées et testées. La deuxième est le bio-contrôle, qui implique notamment les coccinelles et nécessite la réalisation de tests par l'ajout de haies, ce qui nécessite du temps. La troisième est la mise en œuvre de pratiques agronomiques, telle la réduction de la taille des parcelles. Un expert de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) montre qu'en limitant les parcelles à quatre hectares, on fait perdre le sens de l'orientation au puceron. Il est possible que les trois années prévues soient nécessaires pour mener à bien ces recherches.

Deuxièmement, si l'on trouvait la solution avant, ce que je souhaite profondément, je n'aurais plus le droit d'utiliser l'article 53 du règlement européen. Selon cette disposition, en effet, l'application d'une dérogation n'est possible qu'en raison d'un danger qui « ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables ».

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Aucun de nous n'a le monopole de la conscience environnementale : l'écologie est un bien commun. Nous devons pouvoir nous exprimer sur ce sujet sans recevoir d'invectives. Ce n'est pas de gaieté de cœur que nous examinons ce texte qui est justifié par la force majeure. Je me réjouis que nous ayons un ministre de l'agriculture qui connaît ses dossiers, sait faire de la politique et est en mesure d'éclairer des décisions courageuses par des explications scientifiques – alors que certains utilisent la science pour justifier ce qu'ils veulent.

Je soutiens l'amendement de Mme Nathalie Sarles, comme une grande partie des membres du groupe La République en Marche qui l'ont cosigné. Nous pensons en effet qu'il correspond au temps politique du mandat parlementaire. Il permettrait de couvrir deux campagnes de semences. Je rappelle qu'on ne pourrait appliquer de dérogation à l'interdiction des néonicotinoïdes qu'à des conditions climatiques particulières – des températures hivernales très douces favorables au développement des pucerons. Si plusieurs hivers rigoureux se succédaient, cela nous mettrait tous d'accord. Quoi qu'il en soit, il me paraît essentiel d'affirmer, par cet amendement, le principe de la responsabilité politique.

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Pour prolonger les propos de M. Jean-Luc Fugit, nous ne considérons pas que ce débat appartient à un camp. Il est au contraire transpartisan, par essence, puisqu'il traite de la survie du vivant.

L'entomofaune, qui a peut-être mauvaise réputation car elle regroupe de petits animaux qui piquent, grattent ou dont les bruits nous gênent, est indispensable au fonctionnement des écosystèmes. Or elle s'est effondrée de 85 %.

Nous appelons tout le monde à rejoindre le combat pour le maintien de la biodiversité, un cas de force majeure, s'il en est. L'Assemblée nationale ne peut pas à la fois applaudir M. Nicolas Hulot lorsqu'il dit avoir honte devant les études scientifiques révélant la disparition de 85 % des insectes et d'un tiers des oiseaux, et réautoriser les néonicotinoïdes en France. Cela n'est pas compatible.

L'amendement part d'une bonne intention, celle de limiter les dégâts. Nous allons plus loin en disant que les dégâts ne sont plus acceptables. Les néonicotinoïdes sont des substances incontrôlables dans le temps et dans l'espace. Il s'agit non pas d'en appliquer un an de moins, sur une surface plus réduite ou dans une filière en moins, mais de ne plus en mettre du tout, car nous savons qu'ils sont un poison mortifère. Quand on sait qu'un médicament tue, on l'arrête. C'est le cas pour les néonicotinoïdes.

Si nous saluons l'intention de l'amendement, nous ne pensons pas qu'un moindre mal serait acceptable.

La commission adopte l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement CD56 de Mme Natalia Pouzyreff.

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Il n'y a pas de donneur de leçon d'un côté ou de l'autre. Nous sommes tous responsables, d'autant que, pour ce qui me concerne, j'ai voté la loi de 2016 car je connais la dangerosité de tels produits.

Suivant les scientifiques, nous ne remettons pas en cause la nocivité des néonicotinoïdes – cela ne serait ni responsable ni digne, puisque la loi de 2016 a permis des avancées, notamment en interdisant 90 % d'entre eux.

Nous sommes en 2020. Pour tirer les conséquences de ce qui s'est passé, je suis un homme non pas instrumentalisé mais libre et responsable. Si nous ne votons pas cette dérogation – j'ai bien entendu les débats concernant les indemnisations –, nous contribuerons à stigmatiser les agriculteurs dans nos territoires, où ils sont déjà montrés du doigt.

J'habite l'Aisne, premier département de France en matière de betteraves. Les agriculteurs qui veulent continuer à y cultiver la terre ont fait d'énormes progrès, mais il faudra plusieurs années pour que la rotation soit complète ou que les haies poussent. Nous devons donc les soutenir dans leur démarche. Dans l'Aisne, nombre d'entre eux considèrent qu'il est nécessaire d'abandonner le plus vite possible les néonicotinoïdes.

Par ailleurs, nous ne devons pas oublier les sucriers car sans betteraves, il n'y a plus de sucrerie. Je n'entrerai pas dans le débat opposant les défenseurs de l'environnement à ceux de l'emploi et de la souveraineté. Certains voteront contre cette loi, alors qu'ils sont également pour la souveraineté alimentaire.

Nous devons garder notre souveraineté dans la production de sucre car il est inimaginable d'importer la totalité de la consommation française. Au lendemain de la crise sanitaire, nous avons beaucoup entendu dire qu'il fallait relocaliser pour accroître notre indépendance industrielle. La betterave, cela a été dit, fournit non seulement le sucre, mais aussi une part de bioéthanol, le gel hydroalcoolique, que nous vendons dans le monde entier, ainsi que certains médicaments. Nous ne sommes pas prêts à laisser partir un pan entier d'une industrie indispensable. La sucrerie de Bucy-le-Long, par exemple, emploie 170 salariés, avec 15 emplois indirects pour un sur le site.

C'est pourquoi il faut tout mettre en œuvre pour créer rapidement d'autres produits. Cinq millions d'euros sont prévus pour cela mais nous devons aller vite.

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S'agissant du blé, par exemple, l'époxiconazole, mis sur le marché en 2013, a été interdit en 2019. Pourtant, grâce à la science, tous les céréaliers ont réussi à trouver d'autres solutions. Cela prend toutefois du temps.

Nous devons donc soutenir l'amendement et voter le projet de loi, afin d'obtenir cette dérogation pour nos agriculteurs : elle est l'un des éléments de la souveraineté française.

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L'amendement vise à raccourcir la durée de la dérogation, un objectif que je partage, ainsi que le Gouvernement. Les dérogations ne seront pas systématiques : elles ne seront pas consenties si une autre solution existe.

Cependant, la mention, dans votre amendement, d'« alternatives permettant de lutter de façon suffisamment efficace » est floue, ce qui pose un problème de clarté de la loi. Aussi, je vous invite à retirer l'amendement pour le retravailler en vue de la séance publique.

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Julien Denormandie, ministre

Le règlement européen dispose déjà que si une autre solution remédie au risque sanitaire, l'article 53 ne peut être utilisé. Je vous propose donc de retirer l'amendement, qui est satisfait, afin que je puisse vous apporter tous les éléments d'éclairage en amont du débat dans l'hémicycle.

L'amendement CD56 est retiré.

La commission examine l'amendement CD41 de M. Vincent Thiébaut.

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Cet amendement de précision rédactionnelle superfétatoire inscrit dans la loi les éléments déjà explicités à l'article 53 du règlement européen, mais qui avaient pu échapper à certains.

(Sourires.)

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Je partage l'objectif de votre amendement qui restreint les dérogations aux situations d'urgence. Il est satisfait car le projet de loi renvoie à l'article 53 du règlement européen concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, qui limite les dérogations à « un usage limité et contrôlé lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables ». En conséquence, je vous propose de le retirer.

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Julien Denormandie, ministre

J'en demande également le retrait, car l'amendement est satisfait : je n'ai pas de meilleur argument que celui de M. le député lui‑même.

L'amendement CD41 est retiré.

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Je vous informe qu'au rythme actuel, l'examen des 29 amendements restants sera achevé à une heure et demie !

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements CD71 rectifié de la rapporteure pour avis et CD31 de M. Jimmy Pahun.

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Cet amendement vise à restreindre le champ des dérogations prévues par la loi afin de limiter leur impact environnemental. Si nous ne pouvons pas inscrire dans la loi le mot « betterave » sans risquer une censure du Conseil constitutionnel, il est en revanche possible de limiter les dérogations pour des motifs d'intérêt général, en lien avec l'objet du projet de loi.

L'amendement prévoit donc de restreindre les dérogations « pour la culture de végétaux dont la récolte intervient avant le début de leur période de floraison et dont la consommation humaine n'est possible qu'après leur transformation industrielle », ce qui entraîne la dépendance économique de toute une filière.

Le cumul des deux critères restreint la dérogation aux betteraves. Cette rédaction permettra de respecter le principe d'égalité car les dérogations seront justifiées par deux motifs d'intérêt général : la réduction de l'impact environnemental, pour le critère de floraison, et la conciliation de l'enjeu environnemental avec la préservation d'une industrie, pour celui visant la transformation industrielle.

L'amendement CD31 est retiré.

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Julien Denormandie, ministre

Nous avons déjà évoqué en discussion liminaire le sujet essentiel dont traite l'amendement de la rapporteure pour avis et qu'aborderont d'autres amendements, comme celui de M. Jean-Luc Fugit, par la suite. Il s'agit de limiter l'application du projet de loi.

Je l'ai dit et redit – ces propos sont inscrits au Journal officiel –, le projet de loi utilise la possibilité de dérogation prévue à l'article 53 du règlement européen, ce qui nécessite un arrêté cosigné avec la ministre de la transition écologique. Nous réitérons notre engagement de ne signer ces arrêtés que pour la betterave sucrière. La confiance n'excluant pas le contrôle, je comprends aisément que la représentation nationale souhaite inscrire « en dur » cet engagement dans le projet de loi.

Nous nous sommes naturellement posé cette question dès le début de la rédaction mais la rapporteure pour avis l'a dit, nous avons été confrontés au principe d'égalité devant la loi. Si j'y suis très attaché pour l'ensemble de nos concitoyens ; j'ignorais qu'il existât aussi entre le navet, la salade et la betterave. C'est pourtant le cas, ce qui, d'après nos analyses juridiques, fait courir le risque que le Conseil constitutionnel ne disjoigne le texte pour ce motif.

Deux possibilités existent. La première consiste, sans écrire le mot « betterave », à le paraphraser, comme la rapporteure pour avis l'a fait dans son amendement qui évoque une plante récoltée avant floraison et dépendante d'un mécanisme industriel sous-jacent. Nos études ont montré que seuls la betterave et l'épinard répondent à ces deux critères, qui écartent la salade qui n'est pas dépendante d'un outil industriel bien que certains considèrent la mise en sachet comme tel, et le navet.

L'autre possibilité est d'inscrire le mot « betterave ».

Dans tous les cas, j'émettrai un avis de sagesse puisque conformément aux engagements que j'ai pris, les arrêtés ne seront signés par les ministres que pour la betterave sucrière. Je comprends néanmoins le souhait du législateur de l'inscrire « en dur » et, tout en appelant son attention sur le risque d'inconstitutionnalité qu'il peut courir eu égard au principe d'égalité, je continuerai de travailler en amont de la séance avec ceux qui le souhaitent pour préciser ce cadre juridique et les difficultés qui peuvent se présenter.

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M. le ministre a évoqué les amendements que j'ai déposés au nom du groupe LaREM – le collectif a beaucoup d'importance, y compris en politique –, ce qui me conduit à demander un éclaircissement pour la suite de nos débats. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, ces amendements contribuent à traduire nos exigences, dont la première a été satisfaite par l'adoption de l'amendement CD44. Nous exigeons d'inscrire à deux reprises la mention « betterave sucrière » dans le projet de loi, non seulement dans le titre, comme le prévoit l'amendement CD42, mais aussi, avec l'amendement CD43, dans un article additionnel après l'article unique.

Nous souhaiterions donc savoir si l'adoption de l'amendement CD71 rectifié de la rapporteure pour avis fera tomber l'amendement CD43. Cette information m'est nécessaire pour donner la position de mon groupe.

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Je vous confirme que l'amendement CD71 rectifié satisfait l'amendement CD43, qu'il ferait donc tomber.

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En conséquence, notre groupe ne votera pas l'amendement CD71 rectifié, auquel il préférera l'amendement CD43 qui apporte davantage de précisions en inscrivant : « Les dérogations mentionnées au deuxième alinéa du II de l'article L. 253-8 ne peuvent être accordées que pour l'emploi de semences de betteraves sucrières ».

L'amendement CD43 va donc plus loin que les propos de M. le ministre, en qui nous avons confiance même si nous souhaitons jouer notre rôle de législateur jusqu'au bout en proposant une telle inscription dans le texte.

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Discutons-nous de l'amendement CD43 à présent ?

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Nous l'avons dit, circonscrire les dérogations à la betterave sucrière reste une catastrophe écologique puisque cela revient à utiliser des néonicotinoïdes sur plus de 400 000 hectares. Il est question de plus de 80 tonnes de produits, ce qui est loin d'être anecdotique.

Rappelons quelques faits. En 2013, l'Europe a décidé des restrictions d'usage sur les néonicotinoïdes pour toutes les cultures à floraison. En 2018, après la loi française de 2016, elle a étendu l'interdiction à l'ensemble des substances et à toutes les cultures car une parcelle de colza, de maïs ou de tournesol qui a reçu des néonicotinoïdes voit ses fleurs contaminées pour des années.

L'intention de l'amendement, que je comprends, est démentie par de très nombreuses études scientifiques. Nous ne pouvons contrôler les néonicotinoïdes ni dans le temps, ni dans l'espace. Ce n'est pas en restreignant leur utilisation à des cultures récoltées avant leur floraison que l'on limite les incidences pour les écosystèmes.

M. Matthieu Orphelin a interrogé sur ce point la rapporteure pour avis qui a convenu que l'utilisation en enrobage de semences des néonicotinoïdes, même pour la betterave sucrière, cause certains dégâts aux écosystèmes.

Or l'amendement procède d'un autre mode de raisonnement, qui n'est pas aligné avec les conclusions d'un grand nombre d'études scientifiques.

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Je retire l'amendement CD71 rectifié afin de retravailler l'amendement CD43 avec M. le ministre.

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Julien Denormandie, ministre

Pour répondre à Mme Delphine Batho qui revient sur la discussion entre plante mellifère ou non, je ne suis jamais entré dans un tel débat depuis le début de l'examen du texte. L'amendement de la rapporteure pour avis n'évoquait les deux volets de la floraison et de la transformation industrielle que dans le cadre d'une paraphrase pour qualifier la betterave. Je souhaite lever toute incompréhension sur ce point : il ne s'agit pas d'élargir la dérogation à d'autres plantes.

L'amendement CD71 rectifié est retiré.

La commission examine l'amendement CD18 de M. Loïc Prud'homme.

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L'amendement vise à supprimer la seconde phrase de l'alinéa 3. Sans revenir sur la restriction de ces produits à la betterave, je souscris aux arguments selon lesquels quelle que soit la culture et aussi restreinte soit-elle, les néonicotinoïdes, une fois lâchés dans la nature, créent des dégâts durant des dizaines d'années.

Le ministre a indiqué qu'il n'aurait recours à l'article 53 que si aucune autre solution n'existe. Or j'ai l'impression, forte et documentée, que de telles possibilités existent – des professionnels de la Confédération paysanne les ont d'ailleurs précisées. Il s'agit non pas d'un remplacement à modèle constant, une molécule en remplaçant une autre, mais de solutions nécessitant notamment de repenser les modes de production, changer les rotations, sortir de la culture monospécifique, planter des haies. Elles sont documentées non seulement par des professionnels et des ONG mais aussi par l'ANSES dont le bilan, en 2018, a conclu que des solutions alternatives existent.

Monsieur le ministre, ces solutions existant, vous allez au-devant de recours sur l'utilisation de l'article 53. Les observateurs attentifs et les acteurs de ce dossier ne manqueront pas de les introduire afin que les solutions existantes soient utilisées.

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L'amendement vise à supprimer la seconde phrase de l'alinéa 3 qui précise le cadre applicable aux éventuelles dérogations. Cette précision permet de restreindre les dérogations en définissant une procédure d'adoption plus stricte, conformément au droit européen.

Souhaitant limiter l'ampleur des dérogations, je suis défavorable à la suppression de cette phrase.

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Julien Denormandie, ministre

Avis défavorable. Je comprends votre interrogation sur le modèle agrocultural, les parcelles plus petites et le bio-contrôle, monsieur Loïc Prud'homme.

Comme je l'expliquais précédemment, il existe trois axes de recherche et de mouvement possibles, dont un axe agrocultural et de bio-contrôle. Je suis d'ailleurs convaincu que la solution viendra davantage de l'agrocultural que de la sélection des semences.

Pourtant, si nous avions la solution qui permette aux planteurs de planter cet été, je ne serais pas dans cette salle, malgré la joie que j'ai à vous retrouver. L'enjeu consiste à se mettre à la place du planteur. Il ne s'agit pas de lui dire qu'il suffit qu'il plante une haie, introduise des coccinelles, organise une zone humide, réduise sa parcelle de 17 à 4 hectares. Cela ne se fait pas en un été.

Par ailleurs, en 2018, l'ANSES a évoqué des solutions alternatives chimiques, notamment le Teppeki et le Movento. Les bilans environnementaux de ces deux substances qui, en raison de leur faible efficacité, ont été utilisées au-delà des doses prévues par l'autorisation de mise sur le marché (AMM), sont élevés. Il faut toujours comparer par rapport au référentiel.

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S'agissant des alternatives, ce n'est jamais le bon moment ni le bon tempo pour accompagner les producteurs vers un changement de pratiques. Nous avons entendu le même couplet au sujet du glyphosate. En 2017, la promesse avait été faite de sortir du glyphosate en 2020. Il a été dit que nous n'avions pas d'autres solutions, que les questions étaient trop complexes et que la recherche était en retard.

Suivant mon appétit pour les questions agronomiques – vous le connaissez monsieur le ministre –, j'ai participé à la mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, mission à laquelle je participe toujours. J'ai proposé à mes collègues d'auditionner des scientifiques de l'INRAE qui, entre 2013 et 2017, ont produit des études sur des solutions alternatives au glyphosate. Ces papiers, que j'ai fournis à mes collègues, montrent qu'il était possible de sortir du glyphosate en accompagnant les producteurs.

À l'heure où nous parlons, la question est toujours sous le tapis de la mission d'information commune. Les scientifiques n'ont pas été auditionnés. Quant au calendrier de sortie du glyphosate, il reste un horizon à atteindre qui recule au fur et à mesure que nous avançons.

Pour les néonicotinoïdes, j'ai l'impression que vous nous servez les mêmes arguments, pour aller vers le même résultat. Aujourd'hui, nous n'avons plus le temps de voir la ligne d'horizon reculer.

La commission rejette l'amendement.

Elle examine ensuite l'amendement CD68 de Mme Stéphanie Kerbarh.

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Cet amendement a pour objet de soumettre chaque arrêté autorisant l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes à l'avis du Conseil national de la transition écologique (CNTE), organe compétent en matière de biodiversité.

Compte tenu des effets de ces produits sur la biodiversité, la qualité de l'eau et des sols, le CNTE est compétent pour donner un avis préalablement à la publication des arrêtés.

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Je partage l'objectif de l'amendement qui conduirait le CNTE à donner son avis sur les dérogations. Il peut cependant déjà s'autosaisir de toute question. En outre, cet avis ne devra pas être redondant avec celui du comité de suivi qui sera instauré. En conséquence, j'émets un avis de sagesse.

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Julien Denormandie, ministre

Pour ce qui me concerne, je vous suggère de retirer l'amendement, madame la députée. Je suis pourtant très favorable à une consultation du CNTE : bien que le Conseil d'État ait indiqué que celle-ci n'était pas obligatoire, j'ai décidé, avec Mme Barbara Pompili, de lui demander de rendre un avis. En revanche, le CNTE est consulté en amont de la loi, non des textes réglementaires qui lui sont liés.

Par ailleurs, le comité de suivi que visent les amendements suivants sera composé des membres habituels du CNTE dédiés aux questions betteravières – professionnels, représentants d'associations environnementales. Il traitera donc pour partie ces questions.

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Tout le monde semble d'accord pour consulter le CNTE. Dès le début de la discussion, nous avons indiqué que nous voterons le projet de loi, si certaines dispositions et garanties étaient introduites. Alors que la législature s'achève dans deux ans à peine, nous ne pouvons pas accepter des propos tenus les yeux dans les yeux : rien ne dit qu'ils seront valables dans trois ans. C'est pourquoi je maintiens l'amendement.

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Je suis très étonnée de l'avis du Conseil d'État car le CNTE doit être consulté sur tout projet de loi qui a une incidence sur l'environnement. Le présent projet, qui défait la loi sur la biodiversité de 2016, a un impact écologique et environnemental incontestable. Les dispositions du code rural et de la pêche maritime dépendent certes de la commission des affaires économiques, mais celles relatives à la loi de 2016 auraient pu donner lieu à un débat au sein de l'Assemblée nationale. Le raisonnement du Conseil d'État selon lequel le CNTE n'aurait pas à être consulté est donc incompréhensible.

La commission rejette l'amendement.

Puis, elle examine l'amendement CD34 de M. Jimmy Pahun.

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L'amendement garantit le suivi de l'effectivité du plan présenté par la filière et son caractère contraignant, ce qui évitera de se retrouver dans une situation identique dans deux ans ou davantage.

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Je partage l'idée de restreindre les dérogations. Les bénéficiaires de ces dérogations ne sont toutefois pas les seuls responsables du développement de solutions alternatives. Il est préférable de leur demander des engagements en termes de pratiques agro-écologiques ou de protection des abeilles. C'est l'objet de mon amendement CD73, qui prévoit la création d'un plan de prévention.

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Julien Denormandie, ministre

Même avis, pour les mêmes raisons. Monsieur Jimmy Pahun, je comprends bien votre intention, qui sera satisfaite, comme la rapporteure pour avis l'a dit, par les engagements que la filière a pris, ainsi que par l'adoption d'un amendement visant à créer un comité de suivi. Je vous propose donc également de retirer votre amendement.

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Je le retire, tout en regrettant que la filière ne montre pas davantage les efforts qu'elle réalise pour instaurer des haies ou des plantes florales. Leur plantation il y a quelques années aurait peut-être pu éviter cette jaunisse. Les avancées nous permettront certes de trouver des solutions dans quelque temps mais, pour cela, les producteurs doivent être contraints à faire quelques efforts, notamment planter des haies, tester des dispositifs ou créer de plus petites parcelles.

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Julien Denormandie, ministre

Trois niveaux peuvent être distingués. Dans le premier, il faut faire en sorte que la filière prenne des engagements. Nous l'avons obtenu : les engagements ont été rendus publics ce matin. Ils comprennent quatre axes principaux s'agissant notamment de maintenir la production et soutenir les pratiques culturales pour accélérer la transition. Mme Delphine Batho a évoqué 500 à 1 000 hectares de cultures non enrobées qui, en réalité, seront dédiés à la recherche agronomique pour trouver un substitut aux substances enrobées.

Dans la même logique, l'INRAE et l'Institut technique de la betterave (ITB), institut de recherche privé, ont publié ce matin un plan de recherche. Doté de 7 millions d'euros sur trois ans, il sera abondé par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation à hauteur de 5 millions, afin que l'État bénéficie d'un droit de regard sur le volet public comme privé et puisse s'immiscer pleinement dans sa gouvernance.

Deuxième niveau : les arrêtés, équivalents d'une autorisation temporaire d'utilisation, seront pris, avec Mme Barbara Pompili, d'ici à la fin de l'année. Des conditions leur sont annexées, portant en particulier sur les cultures concernées et la durée autorisée.

Troisième strate : il faut mettre de la « pression dans le tube », ce qui est plus efficace collégialement. L'ensemble des responsables doit agir – pouvoir exécutif, instituts de recherche, pouvoir législatif, professionnels, associations. C'est l'idée sous-jacente que nombre d'entre vous semblent proposer dans l'amendement relatif au comité de suivi, auquel une mission de suivi d'engagement et de contrôle sera de plus confiée.

Ces trois strates sont à même de mettre une telle pression pour que le délai de trois ans, que vous avez ramené à deux, permette de trouver des alternatives et la façon de les appliquer.

L'amendement CD34 est retiré.

La réunion, suspendue à 23 heures 35, est reprise à 23 heures 40.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CD72 de la rapporteure pour avis et CD32 de M. Jimmy Pahun.

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L'amendement vise à interdire les cultures attractives de pollinisateurs pour une certaine durée après usage de substances néonicotinoïdes, ce qui permettra de réduire leur exposition aux résidus de produits. Une telle restriction est essentielle pour limiter les conséquences des dérogations prévues par le présent projet de loi. Les modalités de cette interdiction devront être précisées par voie réglementaire.

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L'amendement CD32 vise le même objectif, mais dans le cadre du plan d'action que j'évoquais tout à l'heure. Monsieur le ministre, j'aimerais vraiment obtenir de votre part des garanties offrant la certitude qu'aucune culture mellifère ne sera réalisée là où des néonicotinoïdes ont été utilisés.

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Monsieur Jimmy Pahun, je souscris pleinement à l'objectif de votre amendement qui prévoit une durée d'interdiction de cinq ans. Toutefois, cette durée devra varier selon les substances actives concernées ; toutes n'ont pas la même rémanence dans les sols. Elle devra donc être fixée par voie réglementaire. Je vous invite donc à retirer votre amendement au profit du mien.

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Julien Denormandie, ministre

Au cours des prochaines semaines, l'ANSES nous remettra un rapport. Mme Mathilde Panot évoquait tout à l'heure celui publié en 2018 ; nous avons demandé à l'ANSES de nous en remettre un sur ce que peuvent être, du point de vue de la sécurité sanitaire et de la pérennité culturale, les conditions d'utilisation des molécules dont le présent projet de loi prévoit l'utilisation par dérogation.

Nous recevrons ce rapport vers le 20 novembre prochain, avant la publication des arrêtés que j'évoquais tout à l'heure. Ces derniers constitueront des actes d'autorisation de mise sur le marché et seront comme tels assujettis à certaines conditions, telles que les délais à respecter entre l'usage de divers produits et la culture de plantes mellifères. Ces conditions devront être précisées dans les arrêtés.

Monsieur Jimmy Pahun, telle est la logique du texte. Elle permet de s'assurer qu'il s'agit d'un travail réalisé non en chambre, mais de façon ouverte. Plusieurs amendements restant à examiner visent à instituer un comité de suivi des dérogations, qui nous semble le bon instrument pour assurer un suivi au fil du temps afin que tout cela soit transparent, avec une « pression dans le tube » suffisante, comme je l'ai dit. Ce premier ensemble d'observations m'amène à suggérer le retrait de votre amendement.

S'agissant de celui de la rapporteure pour avis, je souscris pleinement à l'idée dont il procède. Toutefois, sa rédaction me semble poser problème. L'interdiction proposée serait applicable « dans des conditions définies par voie réglementaire » : il s'agit précisément des conditions définies par les arrêtés mentionnés à l'alinéa 2, ceux-là mêmes que j'évoquais à l'instant en réponse à M. Jimmy Pahun et qui sont relatifs à la mise sur le marché des produits.

Madame la rapporteure pour avis, je vous propose de rectifier l'amendement dès à présent, en remplaçant les mots « voie réglementaire » par les mots « les arrêtés mentionnés au deuxième alinéa du présent II ». J'émettrais un avis favorable à l'amendement ainsi rectifié et, à défaut, suggérerais son retrait pour finaliser sa rédaction d'ici l'examen du texte dans l'hémicycle.

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J'interviens pour la première fois dans ce débat et je tiens à dire, monsieur le ministre, que vos propos m'inspirent confiance en matière de garanties. Toutefois, il me semble nécessaire d'adopter l'amendement de la rapporteure pour avis, pour une raison politique.

En effet, ce débat opposant ceux qui sont pour le projet de loi et ceux qui sont contre, il importe que l'opinion publique comprenne bien que même ceux qui sont pour demandent des garanties. Introduire cette exigence par voie d'amendement permet de lui donner une visibilité. C'est pourquoi j'estime qu'il faut maintenir et adopter l'amendement.

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Si je puis me permettre, bienvenue en Absurdie ! Par le biais de cet amendement, nous ouvrons la voie à la constitution de déserts biologiques. La démarche consiste à interdire toute culture attractive pour les abeilles après usage de semences enrobées de néonicotinoïdes. C'est oublier que les abeilles et les pollinisateurs sauvages peuvent être contaminés par les néonicotinoïdes autrement, notamment par les plantes sauvages !

Nous sommes bel et bien en Absurdie, comme le confirme le plan stratégique de la filière de la betterave sucrière, dont j'estime – je me permets d'insister, monsieur le ministre – qu'il doit être rejeté. D'un côté, on prévoit de désherber massivement pour éviter le moindre bleuet, le moindre coquelicot, le moindre pissenlit qui pourrait tuer des pollinisateurs ; de l'autre, on annonce la plantation de bandes enherbées attractives pour les abeilles. En réalité, vous privez les pollinisateurs de nourriture.

Je comprends le raisonnement consistant à identifier une parcelle donnée comme voie de contamination et à se demander comment faire pour l'éviter. La bonne solution consiste à ne pas utiliser de néonicotinoïdes et non à élaborer des dispositions complexes qui ne tiennent pas debout. En tout état de cause, les durées de rémanence s'étendent sur plusieurs années et quelques microgrammes – voire nanogrammes – de substance suffisent pour que vers de terre et pollinisateurs soient affectés. Pris ainsi, le problème est insoluble !

Monsieur le ministre, vous constatez vous-même qu'avec ce mode de raisonnement, que je comprends, on ne s'en sort pas. Nous ne pourrons pas éviter le coquelicot, le pissenlit planté par un agriculteur qui, à la lecture de la loi, se demandera : « Comment faire, dans ma rotation de cultures sur cinq ans, pour ne jamais planter, après des betteraves ayant nécessité l'utilisation de néonicotinoïdes, des plantes sujettes à la guttation ou offrant du pollen aux abeilles ? » C'est du Kafka !

La commission adopte l'amendement CD72 rectifié. En conséquence, l'amendement CD32 tombe.

Elle examine ensuite l'amendement CD73 de la rapporteure pour avis, qui fait l'objet du sous-amendement CD74 de M. Jimmy Pahun.

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Cet amendement prévoit la mise en place de plans de prévention définissant des engagements en matière de développement de pratiques agro-écologiques et de protection des abeilles. Il est essentiel de prévoir des contreparties aux dérogations. Ces plans permettront de s'assurer que les filières font évoluer leurs pratiques culturales, afin de parvenir à interdire complètement les néonicotinoïdes.

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Le sous-amendement pose la question de la durée de validité des dérogations.

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Monsieur Jimmy Pahun, votre sous-amendement est intéressant. Il vise à renouveler les dérogations uniquement si le plan de prévention est respecté. Toutefois, il pose un problème pratique : le plan de prévention ne produira ses effets qu'au bout de plusieurs années, au plus tôt en 2022 ; les dérogations seront accordées annuellement au cours des trois prochaines années. Il est donc impossible de faire dépendre leur renouvellement du respect du plan de prévention, qui ne pourra être constaté. Demande de retrait.

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Julien Denormandie, ministre

Je suggère le retrait de l'amendement, pour les raisons que j'ai avancées. Les trois niveaux de contrôle que j'ai indiqués constituent à mes yeux le mécanisme le plus pertinent. Le plan de prévention a été demandé ; il est complété par un plan de recherche ; en outre, les arrêtés définiront des conditions d'utilisation. Enfin, le véritable contrôle, me semble-t-il, c'est celui qu'on exerce de visu, dans la durée, de façon très fine. Tel est le sens de l'installation d'un comité de suivi. Je considère que l'amendement est satisfait.

L'amendement CD73 est retiré. En conséquence, le sous-amendement CD74 devient sans objet.

La commission examine l'amendement CD55 de M. Lionel Causse.

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L'amendement vise à faire en sorte que lors de l'élaboration des arrêtés, les ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement recueillent les avis et les propositions du CNTE afin de s'assurer de la soutenabilité des dérogations accordées et de contrôler toute éventuelle généralisation.

Cet organisme dont les membres, pour la plupart, sont issus de la société civile, a été créé pour favoriser le dialogue en matière sociale et environnementale. Le CNTE est l'institution susceptible de satisfaire l'impératif de débat et de contrôle des effets néfastes susmentionnés. Cela suppose qu'il fournisse des contributions qui devront être rendues publiques.

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Je comprends l'objectif de votre amendement, cher collègue. Il vise à assurer un suivi des dérogations prévues. Toutefois, le CNTE peut d'ores et déjà s'autosaisir. En outre, il ne faudrait pas que son avis soit redondant avec celui du comité de suivi qui sera créé. Demande de retrait.

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Julien Denormandie, ministre

Nous avons eu ce débat. Je comprends la volonté de M. Lionel Causse en la matière. Je rappelle toutefois que rien ne nous obligeait à saisir le CNTE ; le Conseil d'État ne l'a pas demandé. Pourtant, nous l'avons fait. Toutefois, il statue sur la loi, non sur les textes qui en sont issus.

Par ailleurs, il me semble que le comité de suivi, dans la composition duquel il faudra absolument faire entrer des représentants des associations environnementales, répondra de façon pertinente à la demande que vous exprimez par le biais de cet amendement. J'en suggère donc le retrait.

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Deux remarques. Tout d'abord, mon amendement est similaire à l'amendement CD68 présenté tout à l'heure par notre collègue Mme Stéphanie Kerbarh. Je ne comprends pas pourquoi la position de la rapporteure pour avis a changé.

Ensuite, je veux bien qu'on s'en remette au comité de suivi, mais quelles garanties avons-nous qu'il rendra des avis régulièrement et de façon publique ? Qui nous dit qu'il sera au rendez-vous de ses obligations ?

Chacun connaît les échéances à venir – j'en ai discuté tout à l'heure avec certains de nos collègues –, notamment les élections législatives, ou d'autres consultations d'ordre politique. Faut-il s'en remettre à des gens susceptibles d'être remplacés ? Quelle garantie avons-nous que le comité de suivi rendra régulièrement un avis sur la situation et sur l'état d'avancement des solutions alternatives ?

Pour ma part, j'aurais aimé en savoir plus sur le comité de suivi. J'accepte néanmoins de retirer l'amendement, sans exclure de le présenter à nouveau en séance publique si celui-ci ne me semble pas satisfaisant.

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Afin d'éclairer nos débats, j'aimerais évoquer une nouvelle fois le travail réalisé en commission des affaires économiques, dont vous pouvez d'ores et déjà consulter les amendements, chers collègues. L'un d'entre eux, élaboré avec plusieurs de nos collègues et déclaré recevable, comporte une proposition très forte sur le comité de suivi et de contrôle, s'agissant de sa définition – notamment son périmètre et ses membres – et de son rôle.

L'amendement dont nous débattons prévoit de s'en remettre au CNTE. Il se trouve que j'en suis membre, comme nos collègues M. Loïc Prud'homme et Mme Florence Lasserre, ainsi que Mme Bérangère Abba avant sa nomination au Gouvernement. Les travaux qu'il mène sont très intéressants et je m'efforce d'y siéger aussi souvent que possible. Toutefois, il faut bien admettre qu'il s'en tient à une approche très généraliste. Le comité de suivi, lui, sera dédié au sujet spécifique du présent projet de loi.

Par ailleurs, notre collègue M. Lionel Causse appelle notre attention sur la présence, au sein de ce comité, de parlementaires susceptibles d'être remplacés lors des élections, mais tel est aussi le cas du CNTE, à l'identique. Il ne s'agit donc pas d'un bon argument, je le dis sincèrement.

En revanche, si l'on se penche sur les exigences que j'évoquais tout à l'heure et qui seront formellement exprimées en commission des affaires économiques – je le dis en toute transparence, car l'amendement a été publié –, on constate que si les parlementaires ne sont pas oubliés, le monde agricole, les ONG et les scientifiques – par exemple l'ANSES, l'INRAE, le CNRS ou encore l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – ne le sont pas davantage.

Disposer d'un comité de suivi et de contrôle dédié me semble une bonne chose. En outre, l'amendement, que nous avons travaillé à plusieurs, précise que le comité de suivi et de contrôle – je tiens beaucoup à ce dernier mot – rendra compte tous les trois mois des progrès réalisés. Il exercera donc un suivi assez rigoureux. Je rappelle que le CNTE se réunit en moyenne tous les deux mois, avec un ordre du jour pléthorique.

Je préfère un comité de suivi dédié se réunissant tous les trois mois qu'un recours au CNTE dont l'approche est généraliste et l'ordre du jour très chargé. Certes, on peut me renvoyer l'argument. Quoi qu'il en soit, il me semble nécessaire, à un moment donné, de disposer d'une structure simple et efficace. À mes yeux, l'efficacité doit primer.

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L'amendement de notre collègue M. Lionel Causse s'inscrit dans la même dynamique que celui que j'ai défendu tout à l'heure. On se plaint régulièrement que les députés ne disposent pas des moyens de contrôler l'application de la loi. Le CNTE existe, et existera toujours après nous, normalement – sauf si nous nous rangeons à la proposition suivante, certes un peu audacieuse : si les travaux menés par le CNTE sont trop superficiels, si l'ordre du jour y est pléthorique, supprimons-le ! J'invite notre collègue à maintenir son amendement.

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Je suis venu prendre le pouls du débat avant l'examen du texte en commission des affaires économiques prévu demain. Pour l'heure, j'évoquerai les questions de comitologie et de gouvernance.

Je suis assez stupéfait qu'on envisage de créer un comité de suivi, censé se réunir chaque trimestre, pour 400 000 hectares et une molécule. Peut-être faut-il rappeler que la betterave est une plante annuelle et qu'il n'est pas souhaitable de verser dans la comitologie !

Je rappelle qu'un préfet a été nommé coordonnateur interministériel du plan de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires et du plan de sortie du glyphosate. Je ne voudrais pas que nous nous ridiculisions complètement au cours de cette législature. La France compte 28 millions d'hectares de terres cultivées, lesquelles posent une centaine de problèmes distincts, qui certes ne sont pas tous aussi graves que celui des néonicotinoïdes, mais tout de même !

Outre le CNTE et un éventuel comité de suivi de l'utilisation de néonicotinoïdes sur les betteraves, il existe un plan élaboré en 2008, Ecophyto 2018, qui a prospéré un temps avant d'être quasiment abandonné en cours de route. Il prévoyait un comité d'orientation stratégique et de suivi incluant des parlementaires. Or la loi dite « ÉGALIM » que vous avez votée, chers collègues de la majorité, les en exclut.

Je l'ai présidé pendant cinq ans, conjointement avec le ministre concerné. Je vous assure qu'il a fait son travail de contrôle et de prospective, avant d'être laissé en rade. Et on envisage à présent de créer des comités de surveillance thématiques par molécule ? Cette voie est sans issue ! Il faut réactiver le plan Ecophyto – monsieur le ministre, je formulerai des propositions en ce sens. Il faut le réarmer ; il faut certainement rendre au Parlement son pouvoir de contrôle en la matière.

Dès lors que les solutions sont systémiques – vous l'avez très bien dit, car vous en êtes convaincu – et agriculturales, on ne peut pas en débattre molécule par molécule, sauf à précipiter la société et l'agriculture dans des combats frontaux sans issue.

Il faut reprendre la voie d'une réforme systémique, dans le cadre du plan Ecophyto 2018 élaboré lors du Grenelle de l'environnement. S'il n'a pas joué pleinement son rôle – malheureusement –, c'est en raison de la pression des lobbies et, parfois, de l'incurie publique. Nous nous opposerons à la constitution de comités Théodule.

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Je confirme le retrait de l'amendement, dans l'attente du débat que nous aurons demain en commission des affaires économiques. En fonction de son issue, je le déposerai à nouveau, ou non, en vue de l'examen du texte en séance publique.

L'amendement est retiré.

La commission examine l'amendement CD19 de Mme Mathilde Panot.

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Cet amendement offre l'occasion de revenir sur les arguments régulièrement avancés par la rapporteure pour avis ou le ministre à propos de la filière de la betterave sucrière en France.

Son problème ne se réduit pas à l'utilisation des néonicotinoïdes. Il découle de causes structurelles que le présent texte ne traite pas, notamment la dérégulation du marché mondial avec l'abandon, en 2017, du système des quotas et du prix minimum garanti, et la surproduction à l'échelle mondiale qui a provoqué un effondrement des cours et déstabilisé la filière. Le texte ignore ces questions ; nous sommes prêts, nous, à les poser. Les agriculteurs concernés ont dû se livrer à une course effrénée à la surproduction qui ne leur permet pas de vivre dignement.

J'en viens à la question – maintes fois évoquée – de la souveraineté alimentaire. Elle n'est nullement menacée par la jaunisse de la betterave, quelques chiffres suffisent à le prouver. La France est le premier producteur européen de sucre et le deuxième producteur mondial de betteraves à sucre ; près de la moitié de la production de sucre est exportée, et nous consommons le reste. Par conséquent, la souveraineté alimentaire n'est pas en jeu.

Par ailleurs, j'aimerais aborder un point brièvement évoqué tout à l'heure. Un chiffre circule dans les médias : les pertes de rendement induites par le virus de la jaunisse de la betterave pourraient s'élever à 50 % des revenus de l'agriculteur. Ce chiffre est faux. Par rapport à la moyenne observée en 2015, les pertes de rendement constatées en 2019 augmentent d'environ 12,5 %.

Quant à la question des emplois que vous avez soulevée à plusieurs reprises, monsieur le ministre, et dont je ne nie pas qu'elle est importante, les 46 000 emplois de la filière ne sont pas tous menacés, car les zones assurant 40 % de la production – correspondant aux anciennes régions Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne, Alsace et Lorraine, ainsi qu'à la région Pays de la Loire – sont très peu affectées par la maladie. Les prévisions de rendement y sont quasi stables : celui-ci devrait diminuer de 1,6 % dans le Nord-Pas-de-Calais, de 1,3 % en Champagne-Ardenne, de 1 % dans les Pays de la Loire et de 3,9 % en Alsace ; il devrait augmenter de 2,6 % en Lorraine. Cet argument n'est donc pas recevable.

S'il s'agit de s'attaquer aux causes structurelles des problèmes de la filière, nous sommes d'accord. Réintroduire les néonicotinoïdes par dérogation ne les réglera pas. J'aimerais obtenir des réponses directes à ces arguments.

Enfin, j'espère que le Gouvernement, dans l'attention qu'il porte aux emplois, est tout aussi attentif à ceux de la sucrerie de Toury qui, après 145 années d'existence, risque la fermeture au mois d'octobre. Son cas est emblématique de la situation des sucreries françaises. De surcroît, elle a été très active pendant la période de confinement, en fabriquant notamment du gel hydro-alcoolique en grande quantité.

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Je vous ai déjà indiqué ma position. Il est nécessaire de faire évoluer notre modèle agricole. Tel est le sens des contreparties demandées à la filière de la betterave sucrière, telles que l'interdiction de planter des cultures mellifères après usage de néonicotinoïdes et l'incitation à évoluer vers l'agro‑écologie, notamment en plantant des haies. Sur le fond, votre amendement, qui vise à supprimer la date d'entrée en vigueur du projet de loi, fait l'objet d'un avis défavorable.

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Julien Denormandie, ministre

L'avis du Gouvernement est défavorable. Madame Mathilde Panot, je vais répondre à vos questions dans l'ordre inverse de celui dans lequel vous les avez posées.

Vous affirmez que certaines régions ne sont pas affectées par la jaunisse de la betterave en vous fondant sur les chiffres de l'année en cours, si j'ai bien compris. Ces chiffres ne sont pas consolidés, comme vous l'avez dit, dès lors que, dans certaines régions, les récoltes commencent à peine.

Il s'avère que l'épidémie de jaunisse ayant sévi cette année présente un gradient très prononcé allant du sud au nord. Celle de l'année précédente, au cours de laquelle aucun néonicotinoïde n'a été utilisé, présentait un gradient d'est en ouest. Autrement dit, nous ne savons pas, à l'heure actuelle, comment évolue cette maladie.

La difficulté est que nous ne savons pas prédire les mouvements des pucerons. En outre, nous ne savons toujours pas, dans l'état actuel de la science, où ils se chargent du virus. Là réside notre point de faiblesse. Vous pouvez asséner des chiffres : la réalité, c'est que nous ne savons pas prédire où la jaunisse sévira.

S'agissant de la perte de rendement subie par les agriculteurs, j'indique une nouvelle fois – en m'excusant auprès de vos collègues qui m'ont entendu le dire à plusieurs reprises – qu'il ne s'agit pas de raisonner en fonction du rendement de sortie des sucreries, mais de se mettre à la place de l'agriculteur qui est souverain dans son choix de planter de la betterave, des céréales ou ce qu'il souhaite.

Lorsque vous êtes agriculteur, votre métier consiste d'abord à planter des variétés qui poussent bien ou à élever un animal qui grandit bien. Lorsque vous êtes agriculteur et que vous êtes confronté à une maladie dont on ignore le remède, tel l'agriculteur au milieu de son champ de betteraves frappées par la jaunisse, je vous assure que cela vous prend aux tripes.

Par ailleurs, l'agriculteur est souverain dans son choix. Lorsqu'il constate que certaines cultures subissent les lourdes conséquences d'une maladie dont on ne peut prédire où elle va frapper, lorsqu'il sait qu'il risque de perdre de l'argent et d'affronter la difficulté posée par un champ de plantes malades, il plante autre chose, et vous feriez certainement le même choix si vous étiez à sa place, madame Mathilde Panot.

Enfin – ma précédente réponse, adressée à votre collègue M. Loïc Prud'homme, démontre qu'il existe une cohérence de vues au sein de la France insoumise à ce sujet, ce dont je me félicite –, il faudra vraiment, un jour, que vous m'expliquiez – car je ne parviens pas à le comprendre – le modèle économique que vous appelez de vos vœux.

J'ai évoqué le secteur automobile en réponse à M. Loïc Prud'homme ; je pourrais évoquer celui du médicament, bien représenté dans votre circonscription. Prendre prétexte du fait qu'une filière exporte pour affirmer que ne plus le faire suffirait à résoudre ses problèmes relève d'un modèle économique qui, franchement, me dépasse.

Allez dire aux salariés de Renault, de Peugeot – ou de Sanofi, implanté dans votre circonscription – que la meilleure des solutions économiques est de ne plus exporter : je ne suis pas certain qu'ils comprennent votre choix.

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Il me semble que vous caricaturez nos propos et faites semblant de ne pas les comprendre. Nous ne disons pas qu'il faut cesser d'exporter, mais que le problème de la filière de la betterave sucrière n'est pas un problème de souveraineté alimentaire et que si nous produisions moins de sucre, nos exportations diminueraient, mais notre souveraineté alimentaire nationale ne serait pas menacée.

Quant à l'analyse économique, nous avançons des chiffres et vous répondez qu'aucune prédiction n'est possible. En somme, ce projet de loi repose sur du vent. Nous ne disposons d'aucune prédiction, mais vous présentez un texte pour le cas où les choses se passeraient mal.

Or des chiffres, il en faut, pour éviter de caricaturer les propos. On nous assène – mot que vous avez vous-même employé – celui de 46 000 emplois. On dénombre – ce chiffre est incontestable – 26 000 agriculteurs plantant de la betterave. Notre collègue Mme Mathilde Panot a indiqué qu'ils sont plus ou moins concernés selon les régions. En l'espèce, pour une fois, la liberté du marché n'est plus votre credo ! J'en prends note et m'en félicite.

D'après les prévisions élaborées par les professionnels, seules quelques centaines des 26 000 agriculteurs seront concernées. Nous souhaitons qu'ils bénéficient d'un accompagnement, ce qui est tout à fait réaliste compte tenu des volumes concernés et des modalités envisageables. En avançant le chiffre de 20 000 emplois prétendument concernés, vous reprenez à votre compte celui du géant sucrier Tereos qui repose sur des extrapolations absolument fantasques : d'après l'évaluation dont nous disposons, entre 5 000 et 6 000 emplois sont concernés.

Ainsi, débattons de données cadrées, correctes, argumentées et documentées, pour déterminer comment aider concrètement les quelques centaines d'agriculteurs qui seront confrontés au problème au mois de mars prochain. Ils devront arbitrer – cela fait partie de leur métier d'agriculteur – entre plusieurs cultures pour leurs champs. Nous les accompagnerons si nécessaire, conformément au rôle que doit, à nos yeux, endosser la puissance publique : réorienter notre modèle agricole vers un modèle d'autonomie alimentaire et de relocalisation des productions.

Monsieur le ministre, si vous ne comprenez pas le modèle agricole que nous défendons depuis trois ans, c'est que nous n'avons pas été clairs ou que vous n'écoutez pas bien. Je suis tout à fait disposé à vous expliquer comment nous parviendrons à mener la transition que nous appelons de nos vœux, documentée par de nombreux agroéconomistes, par des économistes et par des agriculteurs. Cette affaire-là est tout à fait raisonnable, concrète et désirable, notamment pour les agriculteurs qu'il faut laisser exercer leur métier de façon intelligente afin qu'ils en tirent un revenu décent, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle.

La commission rejette l'amendement.

Puis elle adopte l'amendement rédactionnel CD69 de la rapporteure pour avis.

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Nous avons achevé l'examen des amendements à l'article unique. Avant de procéder au vote, je donne la parole à Mme Delphine Batho.

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J'aimerais que notre rapporteure pour avis précise le statut des dispositions en vigueur interdisant les néonicotinoïdes lorsque la loi dont nous débattons sera promulguée et que le décret d'application ne sera pas publié. Sauf erreur de ma part, il est assez inhabituel que l'entrée en vigueur d'une loi dépende de la publication d'un décret, compte tenu de la hiérarchie des normes.

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La loi actuellement en vigueur s'appliquera jusqu'à l'entrée en vigueur de celle dont nous débattons.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de l'article unique, ainsi modifié.

Article additionnel après l'article unique (article L. 253-8-3 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Restriction du champ des dérogations à l'interdiction d'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes

La commission examine l'amendement CD43 de M. Jean-Luc Fugit.

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Avant de présenter l'amendement, j'aimerais formuler quelques remarques en réponse à certains propos tenus tout à l'heure, que je ne peux pas laisser passer sans réagir.

Nous avons évoqué le CNTE et je n'ai pas pu reprendre la parole à la fin du débat. Il me semble que M. Dominique Potier exagère lorsqu'il évoque des comités Théodule consacrés chacun à une molécule. Nous travaillons par familles de molécules, en l'espèce les néonicotinoïdes. La question est donc un peu plus complexe que la présentation qu'il en fait, en suggérant qu'une réunion trimestrielle n'est pas un format adéquat.

L'idée dont procède l'amendement que nous examinerons demain est la suivante : dès lors qu'il s'agit d'un sujet très technique, mieux vaut recourir à un comité dédié qu'au CNTE. Pourquoi se réunir tous les trois mois ? Parce que – ayant fait de la recherche pendant quinze ans, j'ai une certaine expérience en la matière – suivre sérieusement des travaux de recherche et d'innovation suppose de faire le point régulièrement. Nous estimons tous, M. le ministre au premier chef, qu'une certaine pression est nécessaire pour que les choses évoluent. Se réunir tous les trois mois pour ce faire ne me semble pas excessif. Je ne peux pas laisser dire que le comité de suivi ne servira à rien.

À propos du glyphosate, cher collègue M. Loïc Prud'homme, vous avez dit avoir proposé des auditions qui n'ont jamais été menées, notamment de responsables de l'INRAE, et vous avez évoqué des travaux de recherche menés de 2013 à 2017. En tant que rapporteur de la mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate, entendre des propos aussi durs sur nos travaux me contrarie un peu. J'estime que nous travaillons bien. Il ne faut pas donner l'impression que nous ne faisons rien.

De 2013 à 2017, de nombreux travaux ont été menés. Ils ont été rassemblés dans le rapport, que vous avez évoqué, publié par l'INRA – selon sa dénomination d'alors – au mois de novembre 2017. Depuis, et plus encore depuis l'installation de la mission d'information parlementaire dont vous êtes membre, cher collègue, nous avons régulièrement mené des auditions de chercheurs de l'INRAE. La plus récente date du 13 février dernier : nous avons auditionné le directeur scientifique agriculture de l'INRAE, M. Christian Huyghe, dont vous avez dit ce soir à plusieurs reprises qu'il soutenait certaines de vos mesures.

Vous ne pouvez donc pas affirmer que nous passons sous silence les études de l'INRAE, d'autant moins que ses trois dernières études ont été envoyées à tous les membres de la mission d'information. Elles portent notamment sur les aspects économiques des problèmes soulevés par le glyphosate et les solutions alternatives au glyphosate, pour la viticulture comme pour l'arboriculture ou les grandes cultures.

Je souhaite dissiper l'impression que cette mission d'information ne travaille pas, que pourraient avoir celles et ceux qui suivent notre débat. Tel n'est pas le cas. Monsieur Loïc Prud'homme, vous pouvez être en désaccord avec ses conclusions, mais vous ne pouvez pas donner à penser que nous avons jamais auditionné des responsables de l'INRAE, ce qui est faux. Je sais qu'il est tard, mais je tenais à procéder à ces rappels. À un moment donné, il faut cesser de nous prendre pour des imbéciles.

J'en viens à l'amendement. Il prévoit la création d'un article additionnel après l'article unique, disposant que les dérogations prévues à l'article précédent seront accordées uniquement pour l'emploi de semences de betteraves sucrières. J'ai présenté cet amendement en détail tout à l'heure, je n'insiste pas – on voudra bien m'excuser d'avoir été trop long.

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Julien Denormandie, ministre

Le Gouvernement émet un avis de sagesse, pour les raisons que j'évoquais. L'amendement court un risque d'inconstitutionnalité au regard du principe d'égalité. Je propose que nous poursuivions nos travaux sur ce sujet d'ici l'examen du texte dans l'hémicycle, tout en réitérant les engagements que j'ai pris tout à l'heure et en indiquant que je comprends parfaitement la demande du groupe majoritaire, exprimée par M. Jean-Luc Fugit.

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En vous écoutant, mes chers collègues, le doute m'habite, comme dirait Pierre Desproges – soit dit pour réveiller un peu l'assistance !

Nous débattons d'un drôle de projet de loi. Il porte sur les betteraves, mais il ne faut pas le dire ; nous débattons donc de la question de savoir si les fleurs sont concernées ou non.

En outre, l'étude d'impact est indigente. Par exemple, elle ne présente pas même une pluralité de scénarios pour l'industrie sucrière, et ne dit rien du coût des semences enrobées de néonicotinoïdes rapporté à celui des autres, ni des conséquences du texte pour les agriculteurs. Nous aurions aimé savoir quelles peuvent être les conséquences, de A à Z, des dérogations prévues. Nous ne le savons pas.

Quant aux divers comités que nous évoquons, je comprends bien que nos collègues souhaitent conserver le contrôle de la situation afin d'éviter qu'elle ne dégénère, mais j'ai le sentiment que nous tentons de faire entrer un édredon dans une valise de toutes nos forces, par différents procédés.

Pour ma part, je m'interroge : si tout cela n'a pas fonctionné d'ici trois ans, que fait-on ? Que prévoit l'étude d'impact en pareil cas ? J'ai bien compris que nous allons tout faire pour que cela fonctionne, que les dérogations prévues seront élaborées à cette fin et que nous aurons alors trouvé la solution à tous nos problèmes. Mais si cela ne fonctionne pas, que se passera-t-il ?

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Sur le fond, ni l'article unique du projet de loi ni l'article additionnel proposé ne comportent la moindre précision de circonstances ou de temps. Autrement dit, il s'agit d'une autorisation généralisée d'emploi de semences enrobées de néonicotinoïdes pour la filière de la betterave sucrière.

Par ailleurs, j'aimerais signaler la manœuvre légistique consistant à inscrire la limitation à la filière de la betterave sucrière des dérogations par le biais d'un article additionnel qui sera censuré par le Conseil constitutionnel. La version finale du projet de loi sera donc réduite à l'article unique.

Toute l'habileté consiste à faire en sorte que le groupe majoritaire, au cours du débat parlementaire, semble obtenir l'inscription dans le texte, noir sur blanc, d'une limitation des dérogations à la filière de la betterave sucrière, qui est toutefois totalement fictive, dès lors que l'article qui la prévoit sera censuré par le Conseil constitutionnel.

Chers collègues de la majorité, si vous n'aviez pas la certitude que l'article additionnel sera censuré par le Conseil constitutionnel, vous inscririez la filière de la betterave sucrière à l'article unique. Vous l'inscrivez à l'article additionnel car – la ministre de la transition écologique l'a très bien dit – il sera probablement censuré. Je tenais à le dire, pour que ce point soit clair pour tout le monde.

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Chère collègue, le Conseil constitutionnel peut tout à fait censurer un mot au sein d'une phrase. Il ne censure pas nécessairement les articles d'un projet de loi dans leur intégralité.

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Je ne voudrais surtout pas donner l'impression d'une mauvaise polémique avec notre collègue M. Jean-Luc Fugit. Franchement, je ne suis pas venu pour allumer de mauvaises controverses.

J'estime simplement que l'invention de comités molécule par molécule ou famille de molécules par famille de molécules est d'un archaïsme complet, en plus d'être totalement démagogique et inefficace. Il ne se trouvera pas un scientifique pour lui accorder le moindre crédit.

Il s'agit d'un outil politique, qui permet de calmer le jeu. Lorsqu'un problème se pose, on crée un comité – en cas d'accident, on crée un comité d'accidentologie, et ainsi de suite. Ce n'est pas une bonne façon de faire. Les politiques publiques doivent être menées de façon globale, dans le temps et au bon niveau d'action. Ni le CNTE ni des comités par familles de molécules ne constituent une solution. La solution, de toute évidence, consiste à réactiver un mode de pilotage inventé en 2008 et qui est en panne.

Je pose la question de l'efficacité de la gouvernance et de l'usage des moyens publics. Aucun agriculteur dont la ferme se consacre à la polyculture-élevage ne conçoit de dépendre de cinq comités pour mener à bien son exploitation. C'est bien à l'échelle de la globalité d'exploitation, et plus généralement de la globalité de la ferme France au sein du dessein européen qu'il faut penser, au moyen du plan Ecophyto 2018, dont la panne est à l'origine des crises que nous connaissons et qui nous enferment dans des impasses.

Par-delà le débat de ce soir, je plaide en faveur de la réactivation d'une politique publique démocratique, transparente, claire, forte et puissamment armée, inscrite dans une visée européenne. C'est la seule issue ; à défaut, nous nous trouverons dans une impasse tous les deux ans.

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Julien Denormandie, ministre

Il est tard et il me semble que nous avons eu tous les débats souhaitables, mais je ne peux pas vous laisser tenir ces propos, madame Delphine Batho.

Évoquer une petite manœuvre organisée en insinuant que la majorité présidentielle – que vous attaquez directement à ce sujet – y prête la main, jamais je ne l'accepterai ! Vous pourrez lire le compte rendu de nos débats : j'ai indiqué tout à l'heure, en donnant l'avis du Gouvernement sur l'amendement, qu'il courait un risque constitutionnel. La manœuvre est si belle que je l'ai décrite du début à la fin !

La question de légistique que vous soulevez a été posée par le Conseil d'État lorsqu'il a examiné le projet de loi. Nous mettons en avant le risque juridique ; j'ai même démontré par A plus B que telle était précisément la raison pour laquelle le texte n'inclut pas le mot « betterave », alors même que l'engagement pris à ce sujet par le ministre que je suis et par ma collègue Mme Barbara Pompili consiste à ne prendre des arrêtés que s'ils sont prévus par une loi.

J'ai même ajouté, tant la manœuvre est grosse, madame Delphine Batho, que la confiance n'excluant pas le contrôle, je comprends que le pouvoir législatif, que vous exercez avec d'autres, souhaite que la loi comporte ce mot. Vous sous-entendez à nouveau qu'il s'agit d'une manœuvre organisée de la majorité présidentielle ; jamais je ne laisserai tenir de tels propos sans réagir. Je soutiens pleinement cette majorité, qui ne mérite pas d'être traitée ainsi.

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Je m'abstiendrai de commenter les discours consistant à nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas. C'est fatigant, mais c'est ainsi ; cela fait partie du jeu politique, paraît-il. Moi qui espérais tellement que tout cela évolue un peu ! Mes chers collègues, j'espère que nous serons nombreux à voter l'amendement, même si nous avons des nuances d'appréciation et des points de désaccord avec le ministre.

Je vous proposerai tout à l'heure d'adopter l'amendement CD42, qui sera le dernier que nous examinerons et donnera le signal de la libération pour ce soir. Il permettra de faire figurer le mot « betteraves » dans le titre du projet de loi. Nous verrons bien ce qu'il en sera ; ce soir, nous prenons date en indiquant notre souhait que les mots « betteraves sucrières » figurent dans le titre du texte, afin que son application soit restreinte à cette culture.

Nous présentons ces amendements aujourd'hui avant de les présenter demain en commission des affaires économiques. Nous faisons – modestement mais sincèrement – notre travail d'élaboration de la loi, comme chacun ici. Il est dur de s'entendre dire que nous nous livrons à des magouilles. Madame Delphine Batho, j'ose espérer que mes fils n'entendront pas vos propos.

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Je tiens à ce que je vais dire figure au compte rendu de ce débat.

Il ne me semble pas que nous ayons attaqué personnellement quiconque parmi vous, chers collègues de la majorité. Jamais nous n'avons dit…

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Vous attaquez notre façon de faire de la politique !

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Nous avons le droit de critiquer votre politique ! Cela s'appelle une opposition !

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Madame Nadia Essayan, je vous remercie de garder votre calme et d'intervenir uniquement au micro. Madame Mathilde Panot, vous avez la parole pour une brève intervention.

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Il faut accepter qu'il existe une opposition parlementaire, donc un débat d'idées. Nous ne sommes pas d'accord, ce qui n'est pas un problème : il suffit de prendre acte de nos différences d'opinions.

Il faut en finir avec les phrases telles que « J'espère que mes fils n'entendront pas vos propos », qui tuent le débat. Nous ne vous insultons pas. Je regrette : je suis députée, élue de la nation ; j'ai le droit de parler de ce dont bon me semble, de la forêt comme de tout. Personne n'est fondé à dire que je ne suis pas légitime pour aborder tel ou tel sujet.

La commission adopte l'amendement.

Après l'article unique

La commission examine les amendements CD61, CD62 et CD63 de Mme Nathalie Sarles.

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Ces amendements tendent à soumettre à un engagement des agriculteurs concernés l'usage des néonicotinoïdes visés par l'article unique. L'amendement CD61 prévoit un engagement à recourir à des méthodes culturales alternatives et à planter des haies bocagères. Les deux suivants s'en tiennent respectivement à la plantation de haies bocagères et au recours aux méthodes culturales alternatives.

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Je souscris totalement à l'objectif visé par vos amendements, chère collègue. Il est nécessaire que la filière s'engage dès à présent dans une démarche agro-écologique. Toutefois, les chambres d'agriculture ne me semblent pas le bon interlocuteur pour ce faire. Les plans de prévention élaborés avec les filières sont un outil plus opérationnel. Je vous invite donc à retirer vos amendements.

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Julien Denormandie, ministre

Nous avons eu le débat tout à l'heure : je demande donc également le retrait de cette série d'amendements.

S'agissant des trois étages de contrôle que nous évoquions, vos amendements proposent de passer par les chambres d'agriculture qui jouent en effet un rôle fondamental et dont vous avez, l'hiver dernier, défendu le budget avec conviction : j'ai d'ailleurs pris cette année l'engagement de ne pas le réduire. Or ces chambres ne peuvent s'engager pour les agriculteurs.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l'amendement CD67 de Mme Stéphanie Kerbarh.

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Cet amendement vise à demander un rapport au Gouvernement tous les six mois sur la quantité utilisée de produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes.

Il est en effet parfois difficile d'obtenir des données auprès de l'administration : un tel rapport permettrait au Parlement d'exercer pleinement ses missions de contrôle de l'action du Gouvernement et de constater l'évolution de la quantité de produits utilisée.

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Le comité de suivi s'intéressera aux quantités de néonicotinoïdes utilisées. Votre amendement sera donc en pratique satisfait, chère collègue : je vous demande par conséquent de le retirer. Nul besoin, en effet, de rapport supplémentaire.

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Julien Denormandie, ministre

Je demande également le retrait de l'amendement, pour deux raisons : d'abord parce que je ne suis pas fan des rapports, ensuite parce que, s'il est très important que le Parlement puisse exercer son pouvoir de contrôle, je ne suis pas sûr qu'il passe par ceux-ci.

Le comité de suivi lui permettra effectivement de l'exercer plus aisément.

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Si je rejoins votre argumentaire, monsieur le ministre, il s'agit d'un amendement de repli, faute de pouvoir s'appuyer sur des instances existantes ou sur des dispositifs ayant existé, comme le CNTE ou le plan Écophyto.

Je suis cependant d'accord pour le retirer.

L'amendement CD67 est retiré.

La commission examine l'amendement CD54 de Mme Valérie Rabault.

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Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à demander un rapport au Gouvernement présentant de manière détaillée les crédits budgétaires alloués depuis 2016 à la recherche sur d'éventuelles alternatives aux néonicotinoïdes.

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L'amendement étant satisfait par le comité de suivi, j'en demande le retrait.

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Julien Denormandie, ministre

Je le demande également, et serai à défaut défavorable dans la mesure où l'on produit déjà beaucoup de rapports et où nous disposons d'ores et déjà des chiffres relatifs aux crédits alloués à la recherche depuis 2016, que je peux vous transmettre dans l'instant.

Votre amendement est donc satisfait.

L'amendement CD54 est retiré.

La commission est saisie de l'amendement CD52 de M. Guillaume Garot.

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L'amendement prévoit qu'un rapport gouvernemental dresse un état des lieux complet, fondé sur les travaux de l'ANSES et de l'INRAE, des alternatives à l'usage des néonicotinoïdes dans la culture de la betterave.

Nous sommes particulièrement intéressés par les alternatives agro-écologiques dans la mesure où elles répondent à une attente sociétale très forte en matière de qualité tant alimentaire que paysagère.

Il faut rappeler que ces alternatives sont déjà connues et sans doute, même si elles sont déjà employées par quelques-uns, sous-exploitées. Il manque réellement, sur le terrain, l'incitation et l'accompagnement des betteraviers, qui doivent être renforcés.

Nous considérons que la réintroduction des néonicotinoïdes est un mauvais signal alors qu'il faudrait montrer le cap de l'agro-écologie.

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Cette demande de rapport me semble satisfaite dans le cadre du comité de suivi au sein duquel siégeront des parlementaires : je demande donc le retrait de l'amendement.

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Julien Denormandie, ministre

Je le demande également pour les raisons que j'ai évoquées tout à l'heure.

La commission rejette l'amendement

TITRE

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Nous en venons aux amendements sur le titre du projet de loi.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CD21 de Mme Mathilde Panot, CD20 de M. Loïc Prud'homme et CD42 de M. Jean-Luc Fugit.

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Je défends en même temps les amendements CD21 et CD20 : je comprends que vous soyez sous tension, chers collègues, notamment en raison de la très forte mobilisation citoyenne, associative et professionnelle sur ce texte.

Notre débat parlementaire est argumenté : il nous a permis d'expliquer pourquoi à notre avis il était inutile et pire, dangereux, d'instaurer une dérogation pour les néonicotinoïdes sur lesquels la France avait, et c'était tout à son honneur, pris une décision exemplaire en 2016.

La tonalité agressive de notre débat de ce soir cache un problème d'assomption de vos positions politiques : oui, si vous votez ce texte, il vous faudra les assumer sans vous draper dans je ne sais quel honneur bafoué.

Oui, Mme Delphine Batho a parfaitement le droit de dénoncer ce qu'elle considère comme une manœuvre. Souffrez, chers collègues, qu'il y ait une opposition à votre politique.

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L'amendement CD42 est cohérent avec les propos que les membres de notre groupe ont tenus ce soir eux-mêmes. Il vise en effet à compléter le titre du projet de loi par les mots : « pour les betteraves sucrières ».

Un tel titre enverrait le signal que nous souhaitons clairement que l'application de ce projet de loi soit restreinte à l'utilisation éventuelle de néonicotinoïdes dans la culture de betteraves à sucre. Si le ministre a, certes, affirmé à plusieurs reprises que telle était bien son intention et si nous le croyons, nous avons envie d'aller un peu plus loin, conformément aux fameuses exigences dont nous avons parlé : j'espère donc que nous allons voter cet amendement à cette heure tardive.

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Je suis défavorable aux amendements CD21 et CD20 et favorable à l'amendement CD42.

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Julien Denormandie, ministre

Je suis favorable à l'amendement CD42 et défavorable aux amendements CD21 et CD20.

Madame Mathilde Panot, j'ai trouvé que nos débats avaient été de bonne qualité, particulièrement lors de la réunion de l'après-midi où nous avons échangé des arguments de fond. Il y a beaucoup d'intelligence dans votre groupe parlementaire mais je veux vous dire que le courage, c'est tout sauf verser dans la facilité. On ne peut pas dire qu'il existe, à l'heure actuelle, des solutions, qu'il suffirait que les entreprises n'exportent plus. Pour tout ce qui touche à la nature, les choses sont beaucoup plus complexes, et le courage consiste à reconnaître cette complexité. Il serait nettement plus simple pour moi, politiquement, de ne pas avoir à vous présenter ce projet de loi, car cela a un coût politique et suscite parfois l'incompréhension. Nous vous présentons ce texte car nous croyons à la souveraineté de la filière, aux 46 000 personnes qui y travaillent et à qui je veux pouvoir dire demain, les yeux dans les yeux : je veux manger votre sucre et pas celui d'autres pays. Il est tellement plus simple de faire croire aux gens qu'on peut tout résoudre d'un claquement de doigts, par une injonction. Pour aborder les problèmes compliqués, le général de Gaulle préconisait l'emploi d'idées simples. En l'occurrence, l'idée est très simple – mais en aucun cas simpliste : il s'agit de passer le gué, de sauver la filière et d'accélérer la transition agro-écologique.

(Applaudissements.)

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Nous assumons ce que nous faisons. Comme vous, je sais que les néonicotinoïdes sont un poison abominable. J'ai été un des premiers à signer l'appel « Nous voulons des coquelicots ». J'ai lu aussi The Silent Spring, auquel Mme Frédérique Tuffnell a fait référence tout à l'heure. Je suis né dans l'Aisne, ce département en forme de betterave. Je n'y habite plus depuis plusieurs années, mais mon frère y est encore betteravier. On peut nourrir de fortes convictions écologiques et accueillir les arguments en faveur de cette « loi d'exception », pour reprendre un terme qui a été employé. Notre rôle de représentants du peuple est de sauver les filières betteravière et sucrière. Nous avons pour responsabilité d'agir, de faire preuve de courage politique, comme l'a justement rappelé le ministre M. Julien Denormandie.

Avec mon regard de député novice – j'ai rejoint l'Assemblée nationale il y a un mois –, je m'étonne de la suspicion que nourrissent certains. Ce n'est pas parce qu'on est aujourd'hui excédentaires en sucre et qu'on en exporte que l'on conservera notre souveraineté à l'avenir. Les agriculteurs ne sont pas idiots : si leur champ est ravagé par la jaunisse, s'il n'y a plus de sucreries, ils arrêteront de planter des betteraves. On peut tout perdre en l'espace d'une année. Il faut faire confiance au génie paysan, même si nos agriculteurs ne sont sans doute pas servis par leurs syndicats majoritaires, qui n'ont pas joué le jeu de la recherche de solutions alternatives – mais c'est un autre débat. Je suis d'accord avec vous, madame Delphine Batho, quand vous dites qu'il n'y a pas d'alternative aux néonicotinoïdes : il est évident qu'on ne trouvera pas d'équivalent. Il faut mettre au point des façons de cultiver différemment les betteraves pour les rendre aptes à supporter les attaques de la jaunisse.

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On peut comprendre qu'en changeant le titre du projet de loi, vous entendiez limiter les dégâts, mais ça n'aura aucune incidence sur le contenu du texte qui permet d'accorder des dérogations à tous types de cultures, sur l'ensemble du territoire national. J'insiste sur ce point.

Par ce texte, vous montrez que le Parlement peut revenir assez rapidement sur une loi qui comportait une avancée environnementale. En principe, les lois sont faites pour durer. On peine à croire, aujourd'hui, les propos des membres du Gouvernement, car on se souvient des tweets, des déclarations du Président de la République et des ministres lors de l'entrée en vigueur de la loi d'interdiction des néonicotinoïdes, le 1er septembre 2018. Le chef de l'État l'avait saluée comme une avancée majeure et l'avait même revendiquée alors qu'il n'y était pour rien, ce qui était assez drôle. Beaucoup d'entre nous, qui avions participé à ce combat parlementaire en 2015 et en 2016, trouvions formidable que le Président de la République salue la loi, car nous pensions qu'elle ne pourrait pas être remise en cause. Malheureusement, c'est ce que vous êtes en train de faire.

Non seulement les conséquences seront graves sur la biodiversité mais cela créera un précédent. Désormais, au moindre aléa, à la moindre difficulté économique liée à un effort environnemental demandé à la nation, on reculera, on renoncera, en donnant la priorité à l'économie sur les abeilles, les papillons, les chauves-souris, les vers de terre, etc. Je rappelle que nous portons tous un masque en raison d'une zoonose liée à la destruction des écosystèmes. Or, des études scientifiques ont montré l'existence de liens entre les néonicotinoïdes et les épizooties qui touchent un certain nombre d'animaux d'élevage. Votre décision est donc totalement irresponsable.

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La crise que nous traversons nous a fait comprendre que nous devions prendre nos responsabilités, ce qui a conduit à l'élaboration de ce projet de loi. Si le Gouvernement n'avait pas agi, on le lui aurait reproché. La loi est là pour aider nos concitoyens lorsqu'ils affrontent une situation grave. La question est de savoir si on doit sacrifier les hommes, les familles qui perdront leur travail, ou encadrer les normes environnementales pendant trois ans.

La commission rejette successivement les amendements CD21 et CD20.

Elle adopte l'amendement CD42.

Puis elle émet un avis favorable à l'adoption de l'ensemble du projet de loi modifié.

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Mes chers collègues, je vous remercie pour la qualité de nos discussions. Merci également, monsieur le ministre, d'avoir enrichi nos travaux par votre présence. Le débat se poursuivra demain en commission des affaires économiques.

Membres présents ou excusés

Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mardi 22 septembre 2020 à 21 h 30

Présents. - M. Christophe Arend, Mme Sophie Auconie, Mme Delphine Bagarry, Mme Valérie Beauvais, Mme Sylvie Bouchet Bellecourt, Mme Danielle Brulebois, M. Stéphane Buchou, M. Lionel Causse, Mme Bérangère Couillard, Mme Yolaine de Courson, M. Michel Delpon, Mme Nadia Essayan, M. Jean-Luc Fugit, M. Yannick Haury, Mme Chantal Jourdan, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Jacques Krabal, M. François-Michel Lambert, Mme Florence Lasserre, Mme Sandrine Le Feur, Mme Laurence Maillart‑Méhaignerie, Mme Claire O'Petit, M. Matthieu Orphelin, M. Jimmy Pahun, Mme Mathilde Panot, M. Patrice Perrot, M. Loïc Prud'homme, Mme Véronique Riotton, M. Martial Saddier, Mme Nathalie Sarles, M. Jean-Marie Sermier, Mme Marie Silin, M. Sylvain Templier, M. Vincent Thiébaut, Mme Frédérique Tuffnell, M. Pierre Vatin, M. Hubert Wulfranc, Mme Souad Zitouni, M. Jean-Marc Zulesi

Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Castaner, M. David Lorion, M. Philippe Naillet, M. Jean-Luc Poudroux, Mme Laurianne Rossi, M. Gabriel Serville

Assistaient également à la réunion. - Mme Delphine Batho, Mme Émilie Bonnivard, M. Pierre Cordier, M. Fabien Di Filippo, Mme Danièle Obono, M. Dominique Potier