Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 21 juillet 2021 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CIR
  • lourds
  • poids
  • routier
  • tarif

La réunion

Source

La commission examine le rapport d'information sur l'application des mesures fiscales (M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général).

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du traditionnel rapport d'information sur l'application des mesures fiscales, que nous présentera notre rapporteur général M. Laurent Saint-Martin.

Cette année, une attention particulière est accordée au dispositif dit IR-PME, à la taxe sur la valeur ajoutée sur le commerce en ligne, ou e-commerce, et à la taxation des poids lourds. Le rapport présente également le résultat des travaux sur le crédit d'impôt recherche – un groupe de travail associant le rapporteur général, le rapporteur spécial des crédits de la recherche, M. Francis Chouat, et la rapporteure spéciale de la mission Remboursements et dégrèvements, Mme Pires Beaune, avait été constitué.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis heureux de vous présenter aujourd'hui quelques éléments de mon rapport d'information sur l'application des mesures fiscales, communément appelé rapport sur l'application de la loi fiscale (RALF), et d'en soumettre la publication à l'approbation de notre commission.

Bien entendu, et comme d'habitude, vous y trouverez tous les tableaux relatifs aux mesures décrétales et doctrinales que le Gouvernement a prises pour mettre en œuvre la loi fiscale, mais aussi un état des rapports remis par le Gouvernement au Parlement en application de dispositions des lois financières ; je vous invite à vérifier ce qu'il en a été des rapports que vous avez fait demander en lois de finances par amendement.

J'ai été désagréablement surpris de constater que seules 25 % des dispositions législatives de la loi de finances initiale pour 2021 applicables au 1er juillet 2021 et nécessitant une mesure d'application avaient fait l'objet d'une telle mesure à cette date. C'est faible, c'est même trop faible si l'on compare cette proportion à ce qu'elle était les années précédentes.

Certes, l'entrée en vigueur d'une très grande majorité des dispositions législatives fiscales de la loi de finances initiale ne nécessitait pas de texte d'application, et la proportion des mesures publiées mais aussi en cours de publication ou de préparation atteint, elle, 50 %, tandis que la mobilisation exceptionnelle des personnels de la direction générale des finances publiques sur des tâches liées à la crise sanitaire peut expliquer le retard pris. Je n'en ai pas moins demandé des explications au cabinet du ministre de l'économie, des finances et de la relance. Ayant reçu les réponses initiales sur ce point lundi 19 juillet, je n'ai pu l'interroger qu'hier soir, après une première analyse. Par voie de courrier électronique, je vous tiendrai, chers collègues, informés des explications qui m'auront été fournies.

Figure également dans le RALF la présentation que je vous ai faite le 19 mai dernier sur la contribution des politiques publiques à l'évolution du revenu des ménages depuis 2017.

Pour la présentation d'aujourd'hui, j'ai souhaité mettre l'accent sur trois sujets d'actualité.

Le premier est la bonification du taux de la réduction d'impôt sur le revenu au titre de la souscription en numéraire au capital initial ou aux augmentations de capital de petites et moyennes entreprises non cotées. Ce dispositif que je crois efficace m'est cher, vous le savez. À mon initiative, nous avons adopté, dans le cadre de l'examen du premier projet de loi de finances rectificative pour 2021, la prorogation du dispositif en 2022. J'y reviens ce matin car il me semble important de montrer que la complexité fiscale que subissent les contribuables peut avoir pour origine un jeu institutionnel entre Parlement, Gouvernement et autorités communautaires. En tant que législateur, il convient que nous l'ayons à l'esprit et que nous prenions parfois les devants, comme nous venons donc de le faire.

Le deuxième sujet est celui, majeur, des règles d'assujettissement à la TVA des ventes à distance mises en place depuis le 1er juillet 2021 dans l'Union européenne. Il nous montre qu'en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales l'Union européenne peut parfois avancer, même lorsque l'unanimité des États membres est requise. Il n'est pas inutile de revenir sur les mesures d'application de ce que nous avons progressivement voté en la matière dans les lois de finances pour 2019, 2020 et 2021 ; pour ma part, je retiens que les dispositions figurant dans les textes déposés n'avaient pas fait l'objet d'amendements, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat.

Le troisième sujet, qui sera l'objet d'une étude plus détaillée, est celui du transport routier et de sa taxation, enjeu de long terme. Comme nous le savons tous, au cours des dix prochaines années, nous allons emprunter une ligne de crête, entre impératifs environnementaux et accompagnement d'un secteur d'activité soumis à une concurrence internationale très rude, qui n'est pas non plus épargné par la crise. Sur ce sujet comme sur d'autres, il faudra faire preuve de volontarisme politique par l'investissement et par une action déterminée au niveau de l'Union européenne.

La réduction d'impôt IR-PME concerne l'investissement dans les PME les plus jeunes, soit en souscription directe, soit en investissement intermédié via les fonds communs de placement pour l'innovation (FCPI) et les fonds d'investissement de proximité (FIP).

Son taux de droit commun est de 18 %, sous condition de conservation des titres pendant cinq ans et dans le respect du plafonnement à 10 000 euros des avantages fiscaux à l'impôt sur le revenu.

Transformant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), la loi de finances initiale pour 2018 avait supprimé les réductions applicables à l'ISF, notamment celle à laquelle l'investissement dans les PME donnait droit.

Sous la houlette de mon prédécesseur Joël Giraud, notre commission avait donc pris l'initiative d'une augmentation transitoire, pour une durée d'un an, du taux de l'IR-PME porté de 18 % à 25 %.

Comme la Commission européenne ne s'était jamais prononcée directement sur la compatibilité de l'IR-PME avec la réglementation relative aux aides d'État, l'entrée en vigueur du taux bonifié de 25 % avait été soumise à la condition d'une décision de conformité au droit de l'Union. En l'absence de décision, le taux majoré n'a été appliqué ni en 2018 ni en 2019, malgré les prorogations inscrites dans les lois de finances successives. Il n'a été appliqué qu'à partir de l'été dernier, du 10 août au 31 décembre 2020. Une prorogation a été décidée, tout d'abord jusqu'à la fin de l'année 2021 et tout récemment jusqu'à la fin de l'année 2022 – j'ai proposé cette prorogation dès la loi de finances rectificative que nous venons d'adopter pour tenter d'éviter toute césure en cours d'année.

La dépense fiscale totale de l'IR-PME s'élève à 123 millions d'euros en 2020, dont 50 millions d'euros pour souscription directe, 31 millions d'euros pour les FCPI, 16 millions d'euros pour les FIP et – ce n'est pas insignifiant et démontre plutôt que les outils fiscaux atteignent leur cible – 30 millions d'euros pour les fonds spécifiques aux entreprises en Corse ou outre-mer. Le coût de la seule bonification du taux à 25 % peut, au regard du niveau actuel des investissements et souscriptions, être estimé à une vingtaine de millions d'euros par an.

Nous disposons de données actualisées sur l'activité des fonds éligibles à l'IR-PME. Elles montrent une progression de la part des FCPI dans la collecte totale ; cela signifie que les Français s'en saisissent et que les investisseurs s'orientent donc plus résolument vers le financement de l'innovation, et acceptent de prendre plus de risques dans le cadre de ces véhicules de financement. Ces véhicules sont éligibles au label « Relance », créé en octobre 2020, dont la charte inclut des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance et qui prévoit un reporting semestriel valorisant la contribution de l'épargne financière au dynamisme de l'économie et de nos territoires.

La France s'est engagée à réaliser, avant 2025, un plan d'évaluation de l'avantage fiscal, la Commission devant réexaminer la conformité d'ensemble de l'IR-PME à cette échéance.

Il faudra donc conduire une analyse qualitative afin de comparer les performances de PME ayant bénéficié de ce dispositif avec celles d'entreprises des mêmes secteurs qui n'en ont pas bénéficié. Nous devrons comparer les situations où les épargnants investissent directement et les situations d'investissement intermédié via des fonds d'investissement.

J'en viens maintenant au sujet de la TVA en matière de ventes à distance.

La directive européenne du 5 décembre 2017 relative au commerce électronique a effectivement refondu les règles de TVA applicables aux ventes à distance. Cette réforme était justifiée par l'explosion du commerce en ligne, secteur qui a atteint, en France, 112 milliards d'euros en valeur en 2020, soit une hausse de 8,5 % par rapport à l'année précédente – et nul doute que la dynamique sera également très forte en 2021. La réforme se justifiait aussi par le souci de lutter contre la concurrence déloyale que peuvent subir les entreprises implantées dans l'Union européenne, et contre la fraude.

Ces nouvelles règles ont été transposées en droit français par la loi de finances pour 2020, et devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2021. En raison de la crise sanitaire, il a été décidé, au niveau européen, de reporter cette échéance au 1er juillet 2021, ce que nous avons voté dans la dernière loi de finances.

Toutes ces dispositions n'ont fait l'objet d'aucun amendement, ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat. Un tel consensus est logique s'agissant de dispositions transposant une directive européenne, dans un domaine technique, mais il a laissé dans l'ombre les mesures d'importance que comporte cette réforme, ce pour quoi je souhaite y revenir brièvement.

Tout d'abord, cette réforme crée de nouvelles règles pour les ventes à distance au sein de l'Union européenne.

Elle abaisse le seuil d'imposition à la TVA dans le pays de destination, en le faisant passer de 35 000 euros au minimum à 10 000 euros au minimum. Ainsi, elle permet d'assurer une affectation des recettes de TVA au plus près du lieu de consommation réel. Cela aurait pu entraîner une complexification des procédures pour les petites entreprises, mais cet écueil doit être évité grâce à la création d'un portail unique permettant aux entreprises de déclarer les livraisons de biens effectuées dans les différents États membres.

Je voudrais saluer le caractère équilibré de cette réforme, qui renforce la cohérence du système européen de TVA en étendant l'application du principe de taxation selon l'État de destination. Elle contribue aussi à la préservation des recettes des États dans un contexte de concurrence fiscale, tout en simplifiant les procédures pour les entreprises exportatrices.

Ensuite, la directive a modifié le dispositif applicable aux biens importés de pays tiers. Dans ce cas, la règle est que le lieu d'importation est le lieu d'entrée des biens sur le territoire de l'Union européenne et que la TVA est payée au moment du dédouanement.

Un régime dérogatoire existait cependant pour les « envois à valeur négligeable ». Dans ce cadre, étaient exonérées de la TVA les importations de biens dont la valeur globale n'excédait pas 10 euros, montant pouvant être porté par chaque État à 22 euros – la France a précisément fait ce choix.

Cependant, l'essor de l'économie numérique ayant significativement augmenté le nombre de colis livrés et ainsi limité les possibilités de contrôle par les douanes, il a également renforcé la distorsion de concurrence induite par ce dispositif.

Pour y remédier, la directive du 5 décembre 2017 a supprimé cette franchise de 22 euros et créé un système de guichet unique pour les biens importés de pays tiers dont la valeur n'excède pas 150 euros. Ce système permet de collecter la TVA auprès du vendeur au moment de la réalisation de la vente, après quoi les biens bénéficient d'une exonération de TVA à l'importation, d'où un dédouanement finalement accéléré. Cela contribue ainsi à simplifier les importations et la vie des entreprises, et permettra d'augmenter les recettes fiscales des États membres.

Cette directive a en outre fait des plateformes en ligne de nouveaux redevables, notamment pour certaines opérations qu'elles facilitent. Elle les a également soumises à des obligations de consignation de leurs opérations pendant dix ans, afin de faciliter les contrôles. Je me réjouis de cette démarche de responsabilisation des plateformes, qui permet de rétablir plus de justice dans les pratiques commerciales. Ces dispositions ont fait l'objet des mesures réglementaires requises, sous la forme d'un décret et d'un arrêté publiés le 31 mai 2021.

J'en viens à l'étude que j'ai menée sur le transport routier et sa taxation. Le choix de ce thème m'est apparu évident : la Convention citoyenne pour le climat, puis le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit climat et résilience, les travaux qui entourent la mise à jour de la directive européenne du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures, dite Eurovignette, et la dernière campagne électorale ont tous abordé ce sujet.

L'urgence climatique commande en effet que l'on s'y penche. Sans stigmatiser quiconque, mais avec lucidité, nous devons constater le fait que le rôle du transport routier de marchandises (TRM) est avéré : les transports de voyageurs et de marchandises sont à l'origine de 31 % des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES), dont 42 % sont le fait du seul TRM. C'est aussi de notre fait en tant que consommateurs : la période récente l'a démontré, avec une forte hausse des livraisons à domicile en raison de la fermeture de nombreux lieux de consommation.

J'ai donc souhaité dresser un panorama de la fiscalité du TRM et plus largement étudier son environnement social et technique.

Pourquoi taxer ?

Le Haut Conseil pour le climat souligne que « le secteur des transports est le seul secteur en France dont les émissions de GES ont augmenté depuis les années 1990 ». Selon le ministère de la transition écologique, alors que l'ensemble des émissions de GES a baissé de 5 % depuis 2015 et que celles du transport – en général – ont baissé de 2 %, les émissions liées au TRM ont augmenté de 6 %. Les 33 millions de voitures particulières contribuent pour moitié aux émissions françaises de GES, les 530 000 poids lourds de transport de marchandises pour environ 21 % et les 6,2 millions de camionnettes pour 21 % aussi.

Les autres externalités du TRM sont d'abord les émissions de polluants atmosphériques. D'après France nature environnement, le transport routier est responsable de 56 % des émissions de dioxyde d'azote en France. Les valeurs limites de concentration de certains polluants sont dépassées de manière chronique dans un certain nombre de territoires, ce qui conduit à des condamnations de l'État. Outre les effets considérables qu'ils peuvent avoir sur la santé humaine, ces polluants sont responsables de la pollution de certains sols. Le TRM cause ensuite des nuisances sonores, de la congestion routière, une dégradation préoccupante de la voirie, l'artificialisation de certains sols, de l'insécurité routière et des accidents de la route.

S'il est assez simple, me semble-t-il, de répondre à la question pourquoi taxer, se pose alors la question de savoir comment taxer ?

La taxation des véhicules et la tarification routière sont des compétences des États membres de l'Union européenne : la directive Eurovignette ne les oblige pas à établir des taxes sur les poids lourds. En revanche, elle pose des règles à respecter lorsqu'ils décident d'introduire, pour faire payer l'usage des routes par les poids lourds, des dispositifs qui entrent dans son champ d'application.

Ainsi, l'utilisation des infrastructures routières par les poids lourds peut donner lieu à deux types de prélèvement, qui ne peuvent pas se cumuler : le droit d'usage, dont le paiement donne à l'utilisateur le droit d'emprunter la route concernée pour une période de temps donnée, quelle que soit la distance parcourue pendant cette période, et le péage, qui dépend de la distance parcourue et du type de véhicule.

Les véhicules visés par la directive sont ceux dont le poids total autorisé en charge est supérieur à 3,5 tonnes. Ni les voitures particulières, ni les camionnettes, ni les minibus, autobus ou autocars ne sont actuellement concernés par ce texte en cours de réforme.

Le dispositif de l'écotaxe sur les poids lourds peut contribuer, de plusieurs manières, à réduire l'incidence climatique du transport routier.

En premier lieu, une telle écotaxe a mécaniquement pour effet direct d'augmenter le coût du transport routier et donc de favoriser la compétitivité des modes ferroviaire et fluvial, ce qui incite au report modal.

Par ailleurs, sa mise en place peut inciter les poids lourds effectuant de longues distances à emprunter l'autoroute plutôt que les routes nationales et départementales à des fins d'optimisation de coûts. Chacun connaît le sujet dans son territoire.

Enfin, le droit européen impose aux États membres de moduler toute redevance kilométrique en fonction de la classification « euro » du véhicule, qui est associée à son empreinte environnementale. Les montants de l'écotaxe pourraient donc inciter à un renouvellement plus rapide des flottes de véhicules lourds et à leur décarbonation.

Aussi une contribution des véhicules de transport de marchandises pourrait-elle permettre de leur faire payer « le juste prix de la route » – pour reprendre les termes qu'employait notre ancien collègue Jean-Paul Chanteguet dans un rapport qu'il a présenté en mai 2014 –, en intégrant à la fois les coûts du trafic en matière d'usure de la voirie, mais aussi les fameuses externalités environnementales négatives.

Le rapport de la Convention citoyenne pour le climat a proposé la mise en œuvre d'une telle contribution à travers une vignette nationale dont le montant serait basé sur la durée d'utilisation plutôt que sur les kilomètres parcourus. La mesure qui figure dans le texte proposé par la commission mixte paritaire (CMP) sur les dispositions restant en discussion du projet de loi climat et résilience, dont nous avons adopté les conclusions hier, autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour donner la possibilité aux régions d'instaurer une « contribution spécifique assise sur la circulation des véhicules de transport routier de marchandises empruntant les voies du domaine public national mises à leur disposition ».

J'aborde la taxation de la consommation d'énergie. En France, les transporteurs routiers bénéficient, sur demande, d'un remboursement partiel de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE). Il s'agit d'une dépense fiscale – encore une – dont le coût annuel est d'environ un milliard d'euros – qui permet aux transporteurs routiers de bénéficier aujourd'hui d'une fiscalité sur le carburant gazole inférieure de 14 centimes par litre par rapport au gazole consommé par les véhicules dont le poids est inférieur à 7,5 tonnes, c'est-à-dire, notamment, les véhicules particuliers. La réduction du niveau de remboursement de 2 centimes par la loi de finances initiale pour 2020 – qui avait donc porté le niveau de taxation à 45,19 euros par hectolitre pour le transport routier – avait été contestée, c'est compréhensible, par les transporteurs routiers français au motif que la taxation du gazole en France serait supérieure à celle pratiquée par des pays limitrophes, ce qui permettrait aux transporteurs étrangers de s'alimenter en carburant moins coûteux à l'étranger et contribuerait donc au fait qu'ils proposent des tarifs inférieurs à ceux sous pavillon français, en traversant la France sans être assujettis à la fiscalité énergétique nationale pesant sur les consommations de gazole.

Il est vrai que la directive du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité ne fixe qu'un taux plancher d'imposition du gazole, fixé à 33 euros par hectolitre. Ainsi, certains pays limitrophes de la France ont-ils des taux d'imposition inférieurs : c'est le cas de l'Espagne, avec un taux de 33 euros, de la Belgique, avec un taux de 35,25 euros, ou du Luxembourg, avec un taux de 33,50 euros.

L'article 30 du projet de loi climat et résilience prévoit la suppression progressive d'ici 2030 de cet avantage fiscal. Le Gouvernement devra remettre un rapport au Parlement, l'an prochain, sur les éléments permettant d'atteindre cet objectif.

Cette taxation de l'énergie ne répond qu'imparfaitement à ses objectifs. Elle n'est d'abord pas à la hauteur du tribut environnemental du secteur. Malgré la pression fiscale subie, le TRM ne compense pas l'intégralité de ses coûts externes, notamment en zone urbaine. En comptabilisant les émissions des véhicules utilitaires légers (VUL), le transport de marchandises représente 42 % des émissions du secteur du transport national, alors qu'il représente une fraction assez faible du parc automobile.

Outre le fait que les coûts marginaux externes sont sensiblement plus élevés pour le mode routier que pour les modes alternatifs, l'écart entre les coûts et les prélèvements est également plus important. Doit aussi être notée l'insuffisante contribution du TRM en ce qui concerne le réseau non concédé. Des efforts importants ont été consentis, en matière de financement de la régénération du réseau, notamment sur les trois derniers exercices budgétaires. C'est notamment l'objet des dépenses d'intervention de l'Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF), que nous votons chaque année.

Néanmoins, la balance entre coûts externes et prélèvements pesant sur le TRM apparaît structurellement déficitaire, en particulier sur le réseau non concédé. Les coûts marginaux externes sont inférieurs aux prélèvements sur le réseau d'autoroutes concédées, alors qu'ils sont supérieurs sur le réseau sans péage. Il y a donc, sinon des incohérences, des motifs d'insatisfaction. Une contribution plus adéquate de la part du TRM paraît donc justifiée, au moins sur le réseau non autoroutier, même s'il convient de tenir compte des spécificités de ce secteur soumis à une rude concurrence internationale.

C'est un secteur économique qui se sent menacé ; chacun d'entre nous, chers collègues commissaires aux finances, en a rencontré des représentants. En France, un peu plus de 32 000 entreprises ont comme activité principale le TRM pour compte d'autrui, le transport pour compte d'autrui constituant 87 % du transport de marchandises, le solde de 13 % étant constitué par le transport en compte propre.

Les marges sont faibles, notamment en raison du poids des consommables, dont celui du gazole, dans les charges. Le taux de marge est donc particulièrement modeste. Si le taux de marge moyen des entreprises françaises du secteur marchand non agricole était, en 2020, de 25,7 %, celui du TRM est nettement inférieur, et il décline.

Le secteur est également soumis à une rude concurrence internationale. Notre pays, occupant une place géographiquement centrale en Europe occidentale, est le témoin de la vitalité du transport international de marchandises par la route : 40 % des tonnes-kilomètres réalisées sur le territoire national sont le fait de camions sous pavillon étranger. Le cabotage des pavillons étrangers dans le total de l'activité du transport national en France métropolitaine a représenté une part de 3,9 % en 2019, contre 3,7 % en 2017. Rapportée à la seule activité du pavillon français, la part du cabotage est, pour 2019, de 7,3 % contre 7 % en 2017. Ces opérations constituent donc une concurrence directe de l'activité sur le territoire national des transporteurs français.

Or le coût du travail varie substantiellement entre les différents pays de l'Union européenne. Selon Eurostat, le coût horaire moyen associé à l'emploi d'un chauffeur français est en moyenne plus de cinq fois supérieur à celui d'un chauffeur d'une société de transport bulgare.

Le prévisible accroissement de la fiscalité sur le TRM doit être accompagné pour être soutenable ; c'est un chemin de crête. Il faut l'expliquer au secteur.

Tout d'abord, il faut investir dans les motorisations alternatives.

Au 1er janvier 2020, le parc français de poids lourds affecté au TRM – c'est-à-dire hors autocars – était composé de 522 680 véhicules, dont plus de 305 000 camions et plus de 217 000 « tracteurs routiers ». La quasi-totalité de ce parc est constituée de véhicules à motorisation gazole, le gaz naturel véhicule (GNV) étant la motorisation alternative la plus fréquemment utilisée, avec néanmoins uniquement 4 710 véhicules.

Trois grandes familles de motorisations alternatives peuvent utilement concourir à cet objectif de décarbonation : les motorisations à carburants alternatifs dont les biocarburants, la motorisation électrique et la pile à combustible hydrogène. Aujourd'hui, seule la première génération de biocarburants a atteint le stade industriel ; la deuxième repose sur des technologies matures mais n'a pas encore atteint un niveau de développement suffisant et la troisième n'est encore qu'au stade de la recherche, s'agissant notamment des microorganismes comme les algues.

En réalité, le développement de la filière des biocarburants est confronté, en l'état, à des limites structurelles. Plusieurs biocarburants, comme le B100 ou l'ED95, ne sont pas disponibles pour le grand public en station-service, mais sont dédiés aux flottes captives, impliquant des circuits d'approvisionnement et de remplissage spécifiques ; cela en limite la pertinence, car ce mode réduit la flexibilité des déplacements et de la recharge, ce qui complexifie donc l'efficience même et donc la mutation du TRM. Par ailleurs, la production des différents biocarburants ne permet pas encore de satisfaire toute la demande des véhicules lourds ; il existe donc une limite due à la capacité de production. Les biocarburants n'ont pas vocation à décarboner l'ensemble de la flotte de poids lourds, mais peuvent s'inscrire dans une stratégie partielle de diversification du mix énergétique du secteur. Par ailleurs, la diffusion des véhicules particuliers électriques, dans les années récentes, est tout à fait remarquable : les ventes de tels véhicules ont été multipliées par 20 entre 2012 et 2020, pour atteindre plus de 110 000 véhicules, nombre encore croissant au premier semestre 2021.

L'intérêt, du point de vue environnemental, de l'électrification du parc est certain : une étude du cabinet Carbone 4 considère que le recours à une motorisation électrique peut réduire les émissions de GES de 84 % par rapport au gazole, nonobstant d'autres difficultés environnementales.

Cependant, si le potentiel de la mobilité électrique est indéniable, l'électrification de la flotte de poids lourds se heurte à des problématiques opérationnelles qui concernent le coût des véhicules, l'autonomie des batteries et les infrastructures de recharge.

Aujourd'hui, le marché n'est pas d'une maturité suffisante pour une électrification massive et immédiate du parc. Les pouvoirs publics doivent donc continuer à accompagner son développement, notamment à travers le plan de relance. Ce dernier finance également la recherche sur les véhicules à hydrogène. La technologie est encore à l'état de prototype, mais constitue sans doute l'un des piliers de l'énergie propre de demain, la production d'hydrogène résultant de l'électrolyse de l'eau. La propulsion à l'hydrogène laisse logiquement pendantes de nombreuses questions technologiques, dont celles de l'efficience énergétique et du coût des véhicules, qui devront être résolues dans le cadre du développement de la filière.

Des aides publiques sont nécessaires face à ces besoins. Trois types d'aides complémentaires soutiennent à l'heure actuelle le verdissement du parc de poids lourds : le suramortissement, dont nous parlons lors de l'examen de chaque loi de finances, le bonus écologique et la fiscalité favorable aux biocarburants.

Une coordination est indispensable pour lutter contre le dumping social. Le droit européen distingue le temps de travail et le temps de conduite. Ce premier inclut, au-delà de la conduite, le chargement et le déchargement, le nettoyage et l'entretien technique, ainsi que les formalités administratives. Depuis 2006, la durée de conduite doit être inférieure à 9 heures par jour et 56 heures par semaine, quand le temps de repos est fixé à 11 heures par jour. Des fraudes sont régulièrement détectées ; en la matière, ce sont les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) qui sont compétentes dans notre pays. Le TRM est également victime de fraudes au cabotage. Le cabotage irrégulier correspond au cas d'un véhicule ayant effectué plus de trois opérations de cabotage depuis la fin de sa mission de transport international ou étant resté plus de sept jours sur le territoire.

Face à ces abus, les pays de l'Union européenne ont renforcé les obligations qui pèsent sur les entreprises de transport routier : le « paquet mobilité », publié au Journal officiel de l'Union européenne le 31 juillet 2020, comprend deux règlements et une directive. Il introduit une interdiction du repos hebdomadaire en cabine, une obligation pour le chef d'entreprise d'organiser, toutes les quatre semaines, le retour du conducteur dans son pays de résidence, une extension de la période de conservation des données à bord du véhicule, l'obligation, à compter de 2025, des « smart tachygraphes » dans les camions engagés à l'international et un renforcement des contrôles avec géolocalisation des véhicules.

Cette indispensable coordination européenne en matière de taxation passe aussi par un accord provisoire conclu le 16 juin 2021 entre les négociateurs du Parlement et ceux du Conseil, qui actualise les règles définissant les redevances que les États membres peuvent imposer aux poids lourds mais également aux autobus et aux camionnettes. Ils auront la possibilité de mettre en place un système de tarification combinée pour les véhicules utilitaires lourds ou pour certains types de véhicules utilitaires lourds, qui regrouperait des éléments fondés sur la distance et sur la durée et intégrerait les deux outils de variation – notre collègue Damien Pichereau avait travaillé sur la question au début de la législature. Ce système peut contribuer à mettre pleinement en œuvre les principes « utilisateur-payeur » et « pollueur-payeur », tout en laissant aux États membres la souplesse nécessaire pour concevoir leurs propres systèmes de tarification routière. La redevance pour coûts externes liés à la pollution atmosphérique deviendra alors obligatoire pour les véhicules utilitaires lourds, après une période de transition de quatre ans, lorsque des péages sont appliqués. Cet accord doit désormais être adopté. Les États membres disposeront ensuite d'un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la directive pour le transposer.

En ce qui concerne l'énergie, la France pourrait utilement plaider pour proposer une réforme de la directive de 2003, désormais ancienne, particulièrement en ce qui concerne le niveau de taxation minimal applicable aux carburants utilisés par le TRM, afin d'harmoniser ces tarifs par le haut et surtout de limiter l'avantage relatif que possèdent les transporteurs qui se ravitaillent hors de nos frontières avant d'emprunter nos routes.

En conclusion, je voudrais souligner le rôle important du TRM dans les émissions de GES, le fait que sa contribution fiscale ne soit pas à la hauteur de ces émissions, mais aussi la forte concurrence internationale à laquelle ce secteur est soumis, qui justifie qu'il soit accompagné dans sa transition environnementale.

Nous avons déjà débattu de ces questions lors de l'examen de plusieurs textes, mais il nous faut bien les conserver à l'esprit, notamment dans la perspective de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.

Un dernier mot sur le RALF : j'ai proposé qu'il comporte une partie qui retrace les travaux menés sur le crédit impôt recherche avec Christine Pires Beaune et Francis Chouat, sous la forme d'auditions communes, à l'issue desquelles nous formulons toutefois des propositions différentes.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, monsieur le rapporteur général, pour cet exposé précis et éclairant. La fiscalité du TRM nous a occupés au cours d'une partie des débats sur le projet de loi climat et résilience, puisque nous avons adopté un suramortissement fiscal pour les véhicules professionnels.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mme Christine Pires Beaune, M. le rapporteur général et moi présentons aujourd'hui, après plusieurs semaines d'auditions et de visites dans nos circonscriptions respectives, les conclusions de notre groupe de travail sur le crédit d'impôt recherche (CIR), groupe de travail dont j'avais proposé la création, en tant que rapporteur spécial des crédits de la recherche, au cours du précédent exercice budgétaire. Je souhaite revenir brièvement sur ce qui a guidé nos travaux.

En raison de son importance budgétaire, le crédit d'impôt recherche – première dépense fiscale active avec 6,6 milliards d'euros, non « capés », pour l'année 2021 – fait l'objet de nombreux débats à l'occasion de l'examen des textes financiers, qu'il s'agisse de la question de son efficience, de son ciblage ou encore de ses éventuelles contreparties.

Alors que les rapports d'experts et de grands organismes – tels France Stratégie ou la Cour des comptes – sur son efficacité se multiplient et que le Gouvernement doit remettre prochainement un rapport d'évaluation sur le niveau de soutien fiscal aux rémunérations des jeunes docteurs, il nous est apparu essentiel que notre commission des finances se forge sa propre opinion.

C'est l'objet de notre rapport, dont je retiendrai trois principaux enseignements, après avoir rappelé que les recommandations que je m'apprête à formuler n'engagent pas nécessairement le groupe de travail dans son ensemble.

Premièrement, j'ai la conviction que, dans le contexte de crise sanitaire que nous traversons actuellement, la relance économique de la France, de court et de long termes, ses capacités de réindustrialisation, de relocalisation et d'attractivité se fondent plus que jamais sur un effort puissant en matière de recherche et d'innovation. Dans cette perspective, sans nier du tout les imperfections et les dysfonctionnements du crédit d'impôt recherche, il faut mesurer l'impact positif qu'il a sur notre économie, en particulier dans le soutien à l'emploi des chercheurs et des jeunes docteurs.

Il y a deux ans, avec Isabel Marey-Semper et Dominique Vernay, nous avions établi, dans le cadre du groupe de travail n° 3, sur la recherche partenariale et l'innovation, préparant la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, que le décrochage de la recherche française était étroitement lié au cloisonnement entre recherche publique et recherche privée. C'est pourquoi nous avions recommandé que la loi de programmation de la recherche 2021-2030 renforce les mobilités public-privé à travers la consolidation des dispositifs existants, telles les conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE), mais aussi la création de nouveaux dispositifs de soutien à l'emploi des jeunes chercheurs, tel le contrat de projet postdoctoral.

La recherche, c'est d'abord du temps humain, aux résultats plus qu'incertains. Ce risque d'échec justifie qu'un soutien public massif soit apporté aux entreprises qui peinent le plus à recruter. Je pense en particulier aux très petites entreprises (TPE), aux petites et moyennes entreprises (PME), aux start-up, aux jeunes entreprises innovantes ou encore aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui font face à de nombreux obstacles que le crédit d'impôt recherche permet, au moins en partie, de lever.

Alors que la loi de programmation pour la recherche a créé un nouvel écosystème favorable à l'emploi des jeunes docteurs, il est donc impératif que le CIR, qui finance déjà pour moitié les dépenses de personnel de recherche, soit consolidé pour continuer d'être au cœur des politiques publiques de soutien à l'emploi.

La priorité semble donc non pas de plafonner le CIR mais de mieux le corréler à un effort de recherche ciblé. En effet, si les investissements consentis dans la recherche et le développement sont importants, ils ne garantissent pas une progression automatique de la France dans les classements européens et internationaux. Il faut donc créer un cercle plus vertueux entre la dépense et l'effort de recherche mais aussi entre l'effort de recherche et sa traduction opérationnelle dans des innovations de rupture qui impliquent de grands sauts technologiques. C'est pourquoi je souhaite que soit privilégiée dans l'usage du CIR non plus sa dimension d'optimisation fiscale mais celle d'un véritable dispositif de soutien ciblé à l'innovation et à la recherche qui viendrait accompagner la montée en puissance financière permise par la loi de programmation de la recherche.

Toutes les conditions sont aujourd'hui réunies pour que la France retrouve son leadership dans la recherche mondiale. Au-delà du choc budgétaire ouvert par la loi précitée, de nombreux outils existent, tels que le plan de relance, le quatrième plan d'investissements d'avenir, les aides à l'innovation de Bpifrance ou encore les éléments qui relèvent de la compétence des régions, pour ne citer que ces exemples.

Ces outils doivent être mis en œuvre dans une dynamique coordonnée et ciblée, qui s'adresse en priorité aux entreprises qui en dépendent le plus pour engager des dépenses de recherche. C'est le cas des TPE et des PME, qui ne sont respectivement que 0,3 % et 6 % à bénéficier du CIR, bien loin des grandes entreprises qui y recourent pour les trois quarts d'entre elles.

Aussi, je fais miennes – et je ne pense pas être le seul – les propositions de l'économiste Philippe Aghion qui propose de renforcer le caractère incitatif du CIR à travers des taux préférentiels pour les petites et les moyennes entreprises. Cela se fait déjà dans d'autres pays européens, notamment au Royaume-Uni. Je suis également favorable à ce que ce ciblage s'effectue de façon sectorielle, en cohérence avec les secteurs définis comme stratégiques par le plan de relance.

C'est dans cette même logique que je propose d'allonger la durée du statut de jeunes entreprises innovantes (JEI), en particulier dans les secteurs où les délais de recherche et développement sont plus longs. Mme Christine Pires Beaune et moi avons été frappés par le témoignage de l'entreprise PEP-Therapy, située dans la pépinière du Génopole dans ma circonscription à Évry, qui travaille à la mise en œuvre de thérapies ciblées pour le traitement des cancers. PEP-Therapy perdra son statut et les exonérations fiscales et sociales qui lui sont afférentes l'année prochaine, au moment même où ses essais cliniques seront menés, ce qui n'est pas sans susciter l'inquiétude de ses dirigeants. En portant la durée du statut de JEI de sept à dix, voire douze ans, cette spécificité sectorielle pourrait être mieux prise en compte et corrigée.

Deuxièmement, la suppression de la double assiette en matière de sous-traitance publique à partir du 1er janvier 2022 pose la question du soutien à la recherche partenariale, axe majeur de la loi de la programmation de la recherche. Plusieurs entreprises et opérateurs de recherche, dont le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s'inquiètent à juste titre des conséquences que cette suppression pourrait avoir sur leurs activités partenariales. Si le dispositif actuel ne semble pas conforme au droit de l'Union européenne, je serai particulièrement attentif, avec Mme Pires Beaune et le rapporteur général, à ce que le ministère de la recherche introduise dans le projet de loi de finances pour 2022 un mécanisme de compensation, notamment dans le cadre des crédits et dispositifs qui sont l'objet de mon rapport spécial Recherche.

Troisièmement, il est apparu de façon récurrente au cours des visites que nous avons menées dans le Puy-de-Dôme, dans le Val-de-Marne et en Essonne, toutes remarquables terres d'avenir, que la bicéphalie indispensable du contrôle fiscal, mené tant par la direction générale des finances publiques que par les experts du ministère chargé de la recherche, manque de coordination, ce qui a pour effet d'engendrer des doublons, voire des incohérences ou des anachronismes. Je propose donc que les administrations mutualisent leurs contrôles fiscaux, qui doivent demeurer une contrepartie nécessaire à l'accessibilité du CIR, à condition qu'en soit corrigée la dimension parfois kafkaïenne.

La croissance exponentielle du CIR à partir de 2008 s'est effectuée dans un contexte de crise mondiale dont nous avons pu sortir plus par un desserrement des contraintes financières que par la volonté de privilégier des stratégies d'innovation à risques. Nous sommes dans une autre crise et dans un nouveau paradigme, celui qui met la recherche au cœur de la mutation historique de nos modes de production, de nos échanges mondiaux et de la régulation écologique et sociale de l'économie de marché mondialisée. C'est pour relever ce défi qu'il faut adapter le CIR.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le CIR est une dépense fiscale d'une ampleur considérable, qui représente plus de 6,5 milliards d'euros par an. Avec la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – le fameux CICE – en exonération pérenne de cotisations sociales, le CIR est en passe de devenir la première dépense fiscale. En 2020, si l'on en croit la Cour des comptes, le CIR pourrait atteindre 7,7 milliards d'euros, en raison de l'accélération, pour soulager la trésorerie des entreprises dans le contexte de la crise sanitaire, du remboursement des créances auxquels il donne droit. Si cette mesure est exceptionnelle, il demeure que le coût du CIR ne cesse de progresser d'année en année et est resté supérieur à 6 milliards d'euros depuis 2017.

Le CIR occupe une place importante dans la mission Remboursements et dégrèvements, dont je suis la rapporteure spéciale. Il est imputé sur les crédits de cette mission chaque fois qu'il donne lieu à une restitution au bénéfice d'une entreprise contribuable. C'est notamment le cas lorsque son montant dépasse celui de l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise : l'entreprise peut alors demander le remboursement de la créance à compter de trois ans, voire moins dans certains cas dans l'année. Cette part de restitution représente environ deux tiers du montant de la dépense fiscale. C'est pourquoi j'ai tenu à participer aux travaux de ce groupe de travail ; je remercie le rapporteur général et M. Francis Chouat.

Nos trois mois de travaux ont été instructifs. Nous avons procédé à une dizaine d'auditions et sommes allés à la rencontre d'entreprises innovantes, allant de la PME à la grande entreprise, dans les départements du Val-de-Marne, de l'Essonne et du Puy-de-Dôme. Ces travaux ont eu pour but d'étudier les effets du CIR sur les activités de recherche et développement des entreprises privées.

Le CIR est une mesure relativement ancienne. Créé en 1983, il a cependant fait l'objet d'une réforme d'ampleur en 2008. Depuis lors, il prend en charge une part du volume des dépenses en recherche et développement et non leur accroissement. Plus de dix ans après cette réforme, nous avons pu nous appuyer sur un certain nombre d'analyses conduites notamment par la commission nationale des politiques d'innovation de France Stratégie – analyse la plus récente –, par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et par des économistes, tels que M. Philippe Aghion.

Le CIR bénéficie à 20 000 entreprises environ, dont 60 % sont des industries manufacturières. La moitié des dépenses qu'il permet de financer sont des dépenses de personnel, qui financent les emplois des chercheurs, des techniciens de recherche et des jeunes docteurs.

Les comparaisons internationales montrent que c'est la France qui offre le traitement fiscal le plus avantageux à la recherche privée. Pourtant, le pourcentage du produit intérieur brut consacré à la recherche est, en France, inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE : 1,4 % contre 1,67 %. Ce paradoxe mérite d'être mis en avant pour s'interroger sur les éventuelles pistes de réforme du CIR.

En outre, la part relative des dépenses de recherche et développement autres que celles de personnel ou de fonctionnement – brevets, amortissements – tend à baisser. Quant à l'effet de levier, France Stratégie note même qu'il est très modeste, de l'ordre d'un euro de recherche et développement supplémentaire pour un euro de CIR. Le dernier rapport de France Stratégie constate que le CIR n'a pas suffi à contrecarrer la perte d'attractivité de la France pour la localisation de la recherche et du développement des entreprises multinationales étrangères. Les facteurs déterminants pour implanter ce type d'activités tiennent plutôt à la présence d'écosystèmes d'innovation dynamiques qui permettent l'accès à des compétences scientifiques et technologiques spécifiques.

Sans remettre en cause le principe d'incitation fiscale pour la recherche et le développement, j'estime qu'il est possible, à enveloppe égale, de mieux cibler le crédit d'impôt, et ainsi d'allouer la dépense publique vers ceux qui en ont le plus besoin. Pas moins de 77 % du montant total du CIR est concentré sur 10 % des entreprises seulement. Or on sait qu'il constitue souvent un effet d'aubaine pour les plus grandes d'entre elles. Celles-ci pourraient en effet réaliser des dépenses de recherche et développement sans aide de l'État du fait de leur capacité de financement initiale, de l'importance que ces dépenses revêtent pour leur compétitivité mondiale, mais aussi de l'environnement fiscal qui a évolué pour elles favorablement ces dernières années, si l'on songe à la diminution des impôts de production et de l'impôt sur les sociétés.

Il me semble nécessaire de recentrer le CIR vers les TPE, les PME et les ETI, qui sont celles qui ont la plus grande propension à développer des innovations de rupture et qui sont aussi les plus dépendantes de l'aide publique, comme l'ont montré les travaux de M. Aghion. De même, l'OCDE observe que l'effet de levier augmente à mesure que la taille de l'entreprise décroît. C'est donc dans les TPE, les PME et les ETI que le CIR peut entraîner la plus grande force d'entraînement pour la recherche et le développement.

Plusieurs pistes de réflexion pourraient être envisagées. Pourquoi ne pas moduler le taux en fonction de la taille de l'entreprise plutôt que de retenir un taux proportionnel à un certain niveau de dépense ? Pourquoi ne pas accroître le montant du crédit d'impôt à mesure que l'investissement augmente ? Sur le modèle de l'impôt sur le revenu, un système progressif, basé sur le rapport entre les dépenses de recherche et développement et le chiffre d'affaires pourrait être opportun. Il s'agit d'ailleurs d'une proposition de M. Philippe Aghion. Enfin, la mise en place d'un plafond réduirait les effets d'aubaine et permettrait de rester dans une enveloppe « raisonnable ».

Plus généralement, le CIR ne saurait être le seul outil de soutien public à l'innovation. Il est nécessaire de mettre en place des soutiens spécifiques aux entreprises qui réalisent les investissements les plus risqués, notamment les entreprises du secteur biomédical lorsque sont réalisés des essais cliniques. Dans la même perspective, l'allongement de la durée d'obtention du statut de JEI doit être étudié. Je pense aux sociétés PEP-Therapy et Alfanosos qui, lorsqu'elles en arrivent à la phase des essais cliniques, peinent à trouver des financements. Ces entreprises ont droit à des exonérations de cotisations sociales et de fiscalité pendant sept ans. Dans de nombreuses situations, cette période est trop courte pour aboutir à des innovations rentables. Comme mon collègue Francis Chouat, je plaide pour un allongement de la durée du bénéfice de ce statut, actuellement fixée à sept ans, qui devrait être portée à dix ans, voire douze.

Je me félicite du travail transpartisan réalisé. J'ai également pris plaisir à allier auditions classiques et déplacements sur le terrain, qui me confirment dans la conviction qu'aucun territoire n'est condamné et qu'un meilleur aménagement du territoire est possible et renforcerait grandement la cohésion sociale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le CIR est incontestablement une dépense fiscale d'ampleur. Toutefois, mon propos sera plus nuancé. L'intérêt du CIR doit être apprécié au regard de ses effets sur la recherche et le développement, d'une part, et des performances économiques des entreprises, d'autre part. Si les gains de recherche et développement ne sont pas équivalents selon la taille des entreprises et les secteurs d'activité, il demeure un fait indéniable : dans la dernière décennie, toutes les grandes entreprises multinationales françaises ont proportionnellement plus accru leurs dépenses en France qu'à l'étranger. Le CIR y a probablement contribué. Ainsi, je resterai prudent – c'est un euphémisme – sur l'idée d'une réduction de l'ampleur de ce dispositif, bien identifié par les entreprises françaises et internationales qui viennent s'implanter en France, alors que nous sommes encore dans une phase de crise économique et de relance.

La relance doit passer par la reconquête de notre souveraineté économique, notamment par la conduite de projets de recherche et d'innovation. Je suis d'accord : il est nécessaire de renforcer le CIR et de le rendre encore plus incitatif pour les secteurs d'activité et les entreprises pour lesquels l'utilité marginale du dispositif est plus élevée. Cela aurait néanmoins un coût dont il faut avoir conscience. Je suis également d'accord pour qu'à court terme nous réfléchissions aux moyens de mieux soutenir la recherche publique par la création d'une compensation de la suppression du mécanisme de doublement de l'assiette dans le cadre du recours à la sous-traitance publique, tout en nous conformant – ce n'est pas simple – à nos engagements européens. De surcroît, je considère qu'il convient d'affermir la cohérence et la lisibilité des contrôles menés par les administrations et renforcer l'accès des parlementaires à l'information – comme vous le savez, je serai toujours à vos côtés sur ces sujets. Si je partage donc les constats dressés par nos collègues Mme Pires-Beaune et M. Chouat, j'en nuance toutefois les conclusions. J'appelle surtout à une grande prudence concernant le calendrier d'éventuelles réformes fiscales, qui ne doivent en aucun cas constituer un frein à la relance et fragiliser la confiance des acteurs investissant dans la recherche.

Je veux à mon tour remercier nos collègues Mme Pires Beaune et M. Chouat pour leur travail dans le cadre de ce rapport sur l'application des mesures fiscales. Le fait que différents groupes participent à ce travail de contrôle de l'application de la loi est particulièrement enrichissant et j'invite à renouveler cette expérience.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les sujets abordés au cours de cette réunion ont été nombreux, je n'exposerai donc pas l'ensemble des remarques que je souhaiterais formuler.

Sur la réduction d'impôt IR-PME, nous constatons que les montants n'ont pas beaucoup évolué entre les années 2018 et 2020, même si le taux a augmenté. Je regrette que le plafond ait été maintenu à 10 000 euros, car une évolution du taux sans une augmentation parallèle du plafond ne permet pas de faire progresser la masse globale des investissements.

Concernant le transport de marchandises, j'ai beaucoup apprécié la réflexion du rapporteur général : « Pourquoi taxer ? Comment taxer ? ». Je regrette au demeurant que vous ne nous ayez pas écoutés lors de l'examen des amendements visant à faire évoluer la notion de taxe affectée que nous avons défendus le lundi 19 juillet dernier lors de l'examen de la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques : vous auriez trouvé là des éléments de réponse.

Quant au CIR, les différentes présentations du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux, Mme Pires-Beaune et M. Chouat, ont montré qu'il y a bien des divergences de point de vue et d'appréciation. Je considère pour ma part que l'idée de moduler le taux du CIR en fonction de la taille de l'entreprise assez pertinente, car les PME n'ont pas aisément recours à ce dispositif, quand bien même elles y ont accès. Surtout, je constate que chaque année nous discutons de ce dispositif lors de l'examen des lois de finances, alors que les entreprises ont besoin de stabilité et de visibilité. Si nous devons modifier le CIR, nous devons également nous inscrire dans la durée.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avions voté dès la loi de finances initiale pour 2018 une bonification temporaire du taux de l'IR-PME – qui est passé de 18 à 25 %. Cette hausse n'a finalement été appliquée qu'en 2020, après un long délai d'attente durant lequel la Commission européenne a évalué la conformité de cette réforme au régime des aides d'État. Nous nous félicitons de la prorogation pour 2021 et 2022 de la bonification du taux, tout en regrettant que celle-ci ne s'applique pour 2021 qu'aux versements opérés à compter du 9 mai. Monsieur le rapporteur général, le groupe Mouvement Démocrate et apparentés est très attaché à l'évaluation des politiques publiques et des dépenses fiscales. Disposons-nous donc d'une évaluation claire de ce dispositif, au-delà des retours positifs dont nous font part les chefs d'entreprises sur nos circonscriptions respectives ? Pourrions-nous envisager d'en discuter avec des laboratoires d'économie comme l'Institut des politiques publiques ? Et, au-delà de la bonification du taux, les conditions actuelles d'éligibilité à cette réduction d'impôt vous semblent-elles adéquates ? Enfin, quelle réforme pourrions-nous envisager alors que la crise renforce le besoin en fonds propres des entreprises ?

Nous saluons par ailleurs votre volonté de soutenir la conversion des flottes de poids lourds et l'indispensable harmonisation européenne en matière de taxation du transport de marchandises. C'est un sujet fondamental, notamment pour les départements frontaliers comme la Moselle. La fiscalité des poids lourds est en effet moins importante dans de nombreux États voisins. Par ailleurs, la loi climat et résilience permettra de mettre en œuvre l'écotaxe, très attendue dans nos territoires frontaliers. Monsieur le rapporteur général, pensez-vous que la conjonction du plan Fit for 55 présenté par la Commission européenne et de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre de l'année 2022 permettra d'aboutir à un accord sur le sujet ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur général, le transport de voyageurs et de marchandises, avec 137 milliards de tonnes en équivalent de CO2 en 2018, constitue le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre. Vous avez donc bien fait de nous proposer cet exposé.

Nous constatons que le transport fluvial est proportionnellement beaucoup moins taxé que les autres modes de transport par rapport à son coût environnemental ; à l'inverse, le fret ferroviaire, quoique moins polluant, est très taxé. Ne vaudrait-il donc pas mieux orienter les entreprises vers d'autres modes de transport en travaillant sur le couple fluvial et ferroviaire ?

En second lieu, nous soutenons une hausse du niveau d'imposition minimal des carburants, actuellement fixé au niveau européen à 33 euros par hectolitre. Vous prévoyez dans le même temps des avancées sur le plan social, ce qu'il faut saluer. Néanmoins celles-ci produiront peu d'effets en matière d'écologie.

Enfin, en ce qui concerne le CIR, les entreprises demandent principalement la stabilité. Cela étant, depuis trois ou quatre ans, nous débattons du CIR, sans que ce dispositif fasse pour autant l'objet de modifications – à l'exception de la suppression de la double assiette dans le cadre du recours à la sous-traitance, qui constitue un cas particulier. Lorsque le constat est partagé à propos d'une niche fiscale dont le coût est passé en dix ans de 2,5 milliards d'euros à 6,5 milliards d'euros, sans mesure de plafonnement, nous nous devons, en tant que membres de la commission des finances, de réagir. Au regard du constat qui est dressé aujourd'hui, moduler le CIR en fonction des secteurs d'activité et de la taille des entreprises serait, selon moi, une mesure pertinente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le sujet de la fiscalité du transport de voyageurs et de marchandises sur lequel le rapporteur général a axé ses travaux est sensible et d'une importance capitale. Les mouvements de contestation des bonnets rouges, contre l'écotaxe, et des gilets jaunes, contre l'augmentation de la TICPE, le prouvent. Ces sujets doivent donc être abordés avec beaucoup de prudence. Je souscris à la présentation du rapporteur général qui traite des principaux enjeux du sujet – gaz à effets de serre, solutions alternatives au transport polluant, concurrence et fiscalité des pays voisins, droit européen. Le groupe Agir ensemble n'est pas convaincu qu'une hausse de la fiscalité du carburant soit à elle seule une solution, en raison de la difficulté de garantir l'acceptabilité sociale de cette mesure. Il est surtout indispensable qu'une véritable alternative soit proposée pour les assujettis. Dans le cas contraire, l'augmentation de la fiscalité devient punitive et n'incite pas pour autant à adopter un comportement vertueux. Ce sujet doit faire l'objet d'une harmonisation au niveau de l'Union européenne, afin de prévenir l'aggravation des distorsions de concurrence mises en lumière dans la présentation du rapporteur général, notamment en matière de coût du travail. La conversion des flottes est donc un objectif prioritaire dans la perspective de l'examen du projet de loi de finances pour 2022.

Quant au CIR, je partage le point de vue de notre collègue Mme Louwagie sur la nécessité de garantir la stabilité du dispositif, tout en réfléchissant à l'opportunité de moduler le crédit d'impôt en fonction de la taille des entreprises.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Concernant le transport routier de marchandises, il sera difficile de trouver un juste équilibre entre une taxation verte et une préservation des intérêts économiques des opérateurs de ce secteur. Il est toutefois certain qu'une harmonisation européenne est indispensable. À ce propos, nous pouvons nous demander quelles seront les conséquences de l'accord conclu au mois de juin 2021 à propos de la révision de la directive Eurovignette. Je voudrais aussi insister – en tant que député de la Corse – sur les difficultés particulières rencontrées par les transporteurs corses du fait de l'insularité et des distorsions de concurrence qui peuvent être observées par rapport au continent européen. Il faut garder à l'esprit que les conditions de travail des entreprises corses sont tout à fait spécifiques dans ce secteur comme dans d'autres. L'adoption de dispositions permettant de tenir compte de cette différence dans la loi fiscale constituerait donc une mesure de justice légitime.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'apprécie beaucoup notre réunion d'aujourd'hui, qui nous change de celles portant sur la directive Solvabilité II – vous m'avez tous compris, chers collègues.

( Sourires. )

Sur le transport de marchandises, je vous rejoins sur les propos tenus concernant la nécessité d'approfondir l'harmonisation européenne et de lutter contre une concurrence déloyale qui risque de mettre nos transporteurs en grande difficulté. Il ne faudrait pas que nous soyons le seul élève vertueux, tandis que d'autres continueraient d'adopter des comportements qui ne seraient pas acceptables.

Je pense que nous devons également réfléchir à la relocalisation des marchandises. Pourquoi aller en chercher aussi loin alors que nous pourrions les avoir à proximité ? Par exemple, tout le monde ne parle que du « bio »… sans toujours se préoccuper du lieu de production. La question des filières me semble essentielle. Une forme d'écotaxe sur les marchandises ayant parcouru de longues distances rendrait plus compétitives nos propres productions et alimenterait notre économie. C'est une piste importante.

Quant au CIR, j'ai pour ainsi dire bu du petit-lait en vous écoutant, chers collègues. Contrairement à ce qui se passe lors de l'examen du projet de loi de finances, nous avons aujourd'hui posé des questions de fond. Je remercie donc nos collègues Mme Pires-Beaune et M. Chouat d'avoir proposé des réflexions très intéressantes. En revanche, je ne remercie pas M. le rapporteur général d'avoir un peu « cassé l'ambiance ». En tout cas, nous avons du travail devant nous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vais aborder le sujet de manière un peu plus générale. Malgré le choc conjoncturel de la crise sanitaire, les réformes fiscales conduites par la majorité relèvent toujours de politiques structurelles. Il existe un décalage entre les mesures portant sur la fiscalité des entreprises adoptées depuis un an et les besoins nés de la crise, ce qui a été signalé dans le cadre de la conférence tenue par l'Institut des politiques publiques sur l'impact de la crise et des mesures budgétaires en 2020 et 2021.

Deux mesures emblématiques sur lesquelles M. le rapporteur général a fait l'impasse doivent être signalées. En premier lieu, la baisse des impôts de production coûte 10 milliards d'euros par an, dont un quart profite à seulement 280 sociétés – par ailleurs les plus polluantes – quand les très petites entreprises (TPE) n'y gagnent en moyenne chacune que 125 euros. En second lieu, le déplafonnement du dispositif du carry back et l'augmentation du nombre d'exercices sur lesquels les entreprises sont autorisées à reporter en arrière leur déficit n'ont été assortis d'aucune contrepartie, pour un coût estimé à 850 millions d'euros. Les grands groupes ayant distribué des dividendes en 2021 pourront en bénéficier, ce qui paraît tout à fait irrationnel et incompréhensible aux membres du groupe La France insoumise.

Cet objectif peut en revanche être poursuivi en améliorant la qualité des infrastructures ainsi que des politiques d'éducation et de formation. Il faudra trouver les moyens de financer ces investissements. Concernant la taxation du secteur des transports, si vous avez fait le choix de supprimer progressivement l'avantage fiscal sur le gazole routier, aucune mesure relative au fret ferroviaire et, plus généralement, permettant d'effectuer une bifurcation écologique n'a été prise. En définitive, taxer, c'est bien, investir dans la transition écologique, c'est mieux. Si la loi climat et résilience prévoit finalement un retour à l'écotaxe, dont les modalités d'application seront à géométrie variable, nous constatons qu'aucune mesure de planification nationale n'a été retenue.

Plus généralement, vous vous entêtez dans une politique de baisse de la fiscalité du capital pour favoriser l'investissement, dites-vous, et la compétitivité. Pourquoi ne pas taxer l'épargne accumulée pendant la crise par les ménages les plus riches afin d'investir ces capitaux dans l'économie réelle ? Le renforcement de la compétitivité du tissu économique ne peut plus découler d'une politique du moins-disant fiscal. La compétitivité dépend de la qualité des infrastructures, du système d'éducation et de formation, et il faudra bien trouver l'argent pour financer tout cela !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Concernant la taxation des poids lourds, j'ai trouvé, monsieur le rapporteur général, que nous avons manqué de précision quant à la définition de l'outil et de l'assiette à retenir. Nous avons évoqué le carburant ainsi que les péages – nous savons à ce sujet que la précédente écotaxe a péri en raison des portiques qui devaient être installés. Vous avez également indiqué qu'il s'agirait de taxer l'utilisation de routes dont l'exploitation est non concédée à des opérateurs privés. Je souhaiterais entendre vos réflexions sur la manière de calculer la taxe si celle-ci ne concernait qu'une partie du réseau routier. De plus, dès lors que l'écotaxe instaurée par les dispositions de la loi climat et résilience est une imposition facultative à la main des régions, nous voyons mal comment cet outil peut s'articuler avec la nécessité d'harmoniser la fiscalité du transport routier avec nos voisins.

Par ailleurs, si l'horizon fiscal est assez clair, il n'en va pas de même concernant l'horizon que vous souhaitez donner à la politique industrielle pour convertir les flottes. Les biocarburants n'ont pas vocation à alimenter nos poids lourds, l'électricité n'est pas mature, l'hydrogène n'est qu'à l'état de projet. À cet égard, en termes de coût, je ne suis pas certain que l'hydrogène vert soit la solution, dans la mesure où cette source d'énergie coûte sept à huit fois plus cher. Ne percevez-vous pas une forme de contradiction dans le discours visant à affirmer qu'il faut effectuer cette conversion sans pour autant définir une solution pour le fret routier ? Enfin, vous n'avez pas mentionné le biogaz, est-ce un oubli ou un choix délibéré ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je répondrai aux questions en suivant l'ordre dans lequel elles ont été posées.

Chère collègue Louwagie, les montants de réduction d'impôt issus des versements directs effectués dans le cadre du dispositif IR-PME sont reportables sur cinq ans s'ils dépassent le plafond légal des avantages fiscaux. Le déplafonnement des 10 000 euros n'est donc pas selon moi une priorité. J'estime en outre que ce dispositif doit être stable et durable, et que le taux de 25 % doit perdurer. Je pense également que des marges de progression subsistent pour que les particuliers s'en saisissent davantage et investissent dans nos PME, dès lors que le coût de la bonification s'élève à 20 millions d'euros.

Concernant le transport routier de marchandises, vous avez évoqué l'évolution de l'encadrement organique des taxes affectées. Vous avez raison, et je signale qu'avec M. le président Éric Woerth nous avons procédé à une petite révolution lors de l'examen de la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. J'espère que vous ne nous direz pas plus tard que cette réforme était inopportune car certains bénéficiaires de taxes affectées se verraient contraints d'être financés par des crédits budgétaires. Nous poursuivons le même objectif : un meilleur respect du principe de l'universalité budgétaire.

Concernant le CIR, je rejoins vos remarques.

M. Brahim Hammouche a évoqué le paquet Fit for 55 et l'harmonisation de la fiscalité des poids lourds. Je ne peux pas répondre précisément à cette question, mais je considère que ce sujet et les discussions portant sur les péages, parmi d'autres questions environnementales, devront être abordés dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Effectivement, chère collègue Christine Pires Beaune, il est nécessaire de remettre à plat la taxation des différents modes de transport, mais, selon moi, ce n'est possible qu'à l'échelle communautaire. Il s'agit de savoir quelles incitations nous voulons mettre en place. Pour l'heure, nous incitons et accompagnons plus la transition écologique par des investissements, par exemple en faveur du fret ferroviaire, du transport fluvial ou de l'hydrogène vert, que par la fiscalité, notamment dans le cadre du plan de relance. L'incitation fiscale sera communautaire ou ne sera pas ; j'ai cité dans mon rapport tous les écueils auxquels elle peut se heurter, qui tiennent notamment à la concurrence internationale. Sur le fond, je pense comme vous, chère collègue, qu'il est plus que souhaitable de relever le plafond actuellement fixé à 33 euros.

Chère collègue Sabine Rubin, vous indiquez à raison que je n'ai pas fait de présentation exhaustive des impôts de production, mais ils avaient fait l'objet de développements spécifiques dans le RALF 2020. J'ai précisément défendu l'idée que l'impôt de production qu'il conviendrait en priorité de réduire est la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises.

Quant au carry back, je ne comprends pas bien votre opposition à ce dispositif, neutre budgétairement. Il s'agit simplement de facilités de trésorerie pour les entreprises en difficulté – et presque aucune parmi celles-ci ne distribue de dividendes pendant la crise.

S'il fallait préciser, cher collègue Aubert, l'orientation à retenir, disons bien que c'est celle du péage. C'est d'ailleurs la direction qui semble suivie à l'échelle européenne. Elle peut être de nature à permettre de parvenir à la solution la plus juste et la plus efficace.

Quant aux investissements dans les énergies de demain qui pourraient servir au TRM, j'évoquerai plutôt un mix énergétique. En ce qui concerne les biocarburants – ce qui inclut le biogaz –, nous sommes prêts, mais il faut produire davantage. Nous avons une vraie difficulté, notamment en termes de recherche et développement, par rapport aux batteries nécessaires aux véhicules électriques. Cela pose un problème dans les zones à faible émission (ZFE) ; les VUL ou même les estafettes ne peuvent y entrer et il faudrait trouver une alternative. Quant à l'hydrogène, nous sommes loin d'avoir abouti, mais la recherche bat son plein sur ce projet de long terme. Pour ma part, je ne choisis pas entre ces trois énergies, c'est un mix qui est nécessaire.

La commission autorise la publication du rapport déposé en application de l'article 145 du règlement de l'Assemblée nationale sur l'application des mesures fiscales.

La commission autorise la publication du rapport déposé en application de l'article 145 du règlement de l'Assemblée nationale sur le Printemps de l'évaluation 2021.

La commission entend la communication de M. Julien Aubert, rapporteur spécial Énergie de la mission Écologie, développement et mobilité durables, sur les contrats photovoltaïques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Un décret doit bientôt être publié pour mettre en œuvre la décision du législateur de revoir les tarifs d'achat de l'électricité dans le cadre des contrats conclus il y a une dizaine d'années. Ce sujet complexe nous a beaucoup occupés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Je ne doute pas que notre collègue Julien Aubert, rapporteur spécial des programmes Énergie, climat et après-mines et Service public de l'énergie de la mission Écologie, développement et mobilité durables, ainsi que du compte d'affectation spéciale Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale, nous apportera sur ce sujet un éclairage précieux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En effet, madame la présidente, je propose de faire le point sur la révision des tarifs d'achat de certains contrats photovoltaïques, sujet important de nos débats lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021.

L'article 225 de la loi de finances pour 2021 a effectivement autorisé la réduction des tarifs d'achat de l'électricité produite par les installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatt-crête bénéficiant d'un contrat d'obligation d'achat conclu en application d'arrêtés tarifaires pris en 2006 et 2010. Cette mesure, validée par le Conseil constitutionnel, doit faire l'objet de textes d'application.

J'ai souhaité vous présenter ces projets de textes réglementaires afin, d'une part, d'échanger sur leur contenu et, d'autre part, de vous exposer certains éléments dont j'ai eu connaissance, en ma qualité de rapporteur spécial, après avoir obtenu la communication d'un rapport confidentiel établi par des corps d'inspection.

Tout d'abord, quelques éléments de contexte.

En premier lieu, je rappelle que le soutien apporté par l'État aux énergies renouvelables électriques devrait s'élever à 5,7 milliards d'euros en 2021, près du tiers de cette somme étant dédié au financement des contrats photovoltaïques antérieurs à 2011, qui représentent pourtant moins de 1 % de l'électricité produite en France. Conclus pour 20 ans, ces contrats représentent une charge financière proche de 40 milliards d'euros dont la moitié reste encore à payer. Vous comprenez, chers collègues, qu'il soit important de s'y pencher : ne pourrait-on alléger la note ?

Ensuite, l'architecture de l'article 225 de la loi de finances repose sur un principe de réduction des tarifs d'achat accordés il y a une dizaine d'années dans le but de supprimer ce que l'on appelle les « sur-rentabilités » et d'en revenir à une rémunération raisonnable des capitaux. Ce principe est assorti d'une soupape de sécurité, la clause de sauvegarde : si la révision des tarifs conduit à compromettre la viabilité économique d'un producteur, l'exploitant pourra, sous certaines conditions, présenter une demande de réexamen de son dossier à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui l'instruira avant que les ministres concernés ne tranchent. Cette clause de sauvegarde est une particularité française qui n'existait pas en Italie et en Espagne où les contrats photovoltaïques ont également été révisés – cela s'est d'ailleurs mieux passé en Italie qu'en Espagne. La Commission de régulation de l'énergie s'attend à recevoir environ 400 demandes d'activation de la clause de sauvegarde.

Voilà pour le cadre général.

Lors de la discussion de cet article, j'avais regretté la façon dont le Parlement avait été saisi du sujet. Je vous rappelle la mauvaise manière que nous avait faite le Gouvernement, qui avait déposé son texte par voie d'amendement ; nous avions donc dû légiférer sans connaître certains éléments importants comme le nombre exact de contrats ou la nationalité des sociétés intéressées. Je le dis d'autant plus librement que j'étais moi-même favorable à la proposition du Gouvernement.

Ces informations, je les connais désormais après avoir eu accès à un rapport confidentiel établi par des corps d'inspection.

Le nombre de contrats susceptibles d'être concernés par une révision de leur tarif d'achat s'élève à 1 072, soit moins de 0,5 % des 235 000 contrats photovoltaïques signés avant 2011. Ces 1 072 contrats sont majoritairement détenus par des sociétés de projet, c'est-à-dire des sociétés créées pour ces opérations. Une part non négligeable de ces contrats est détenue par des groupes étrangers. À la demande du ministère, je ne préciserai pas la proportion des contrats concernés, mais sachez qu'elle est significative – c'est donc une proportion inférieure à la moitié mais non marginale ; cela précisé, je vous laisse la liberté de déterminer ce que peut être pour vous une proportion significative. À l'inverse, le nombre d'agriculteurs et de collectivités territoriales directement concernés par la réforme est très faible. Enfin, je précise qu'une grande partie des contrats a changé de main depuis 2011.

Je déplore que nous n'ayons pas eu connaissance de ces éléments plus tôt et que nous nous soyons prononcés sur la base d'éléments incomplets. Sur ce point, j'adresse un carton jaune au Gouvernement.

J'en viens à présent au contenu des textes d'application.

Au mois d'août, deux textes seront publiés : un décret en Conseil d'État pris après avis de la CRE et un arrêté des ministres chargés de l'énergie et du budget.

Ces deux textes ont été mis en consultation le 1er juin pour une durée de deux semaines, portée à trois semaines après que la profession a repéré plusieurs erreurs matérielles. Une fois ces documents publiés, la CRE publiera à son tour un projet de délibération détaillant le fonctionnement de la clause de sauvegarde.

Les textes réglementaires soumis à la concertation reposent sur le principe d'une révision individualisée des tarifs d'achat. Cela veut dire qu'il n'y aura pas de coup de rabot uniforme et, comme le prévoit l'article 225 de la loi de finances pour 2021, la réduction du tarif tiendra notamment compte de l'arrêté tarifaire d'origine, des caractéristiques de l'installation et de ses conditions de fonctionnement. Pour déterminer ce tarif individualisé, les autorités ont établi un modèle normatif dont elles ont évalué les coûts d'investissement et d'exploitation à partir de données de la commission de régulation de l'énergie, de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables, d'EDF Obligation d'achat (EDF OA) et d'informations fournies par les producteurs. La construction de ce modèle théorique pose certaines difficultés, sur lesquelles je reviendrai.

Ces textes sont appelés à entrer en vigueur dès le 1er octobre 2021. À compter de cette date, un projet de tarif révisé sera notifié à chaque producteur. Les intéressés disposeront ensuite de quinze jours pour faire part de leurs observations et de trois mois pour solliciter le réexamen éventuel de leur dossier. En cas d'activation de la clause de sauvegarde, le tarif révisé sera suspendu pendant une durée maximale de seize mois, mais, si, au final, la demande est rejetée, le tarif révisé s'appliquera rétroactivement et l'exploitant devra reverser à l'État les sommes perçues durant la période de suspension.

Voilà pour les principes. À présent, quelques observations sur la méthode suivie, sur les contrats concernés, sur l'ampleur des baisses de rémunération et sur le montant des économies attendues.

Le moins que l'on puisse dire est que la méthode suivie ne fait pas consensus. La profession et l'Union française de l'électricité la contestent fortement, et, manifestement, les différentes parties ne se comprennent pas. Lors des auditions, la filière a qualifié la concertation de « dialogue de sourds » alors que l'administration l'a qualifiée de « très riche ».

La filière dénonce principalement la méthodologie retenue qui aboutit, selon elle, à sous-évaluer fortement les dépenses d'investissement et d'exploitation. Certains arguments avancés sont pertinents. L'administration a ainsi construit un modèle normatif reposant notamment sur des données produites par l'Agence internationale pour les énergies renouvelables au niveau international, mais les données mondiales retenues présentent des faiblesses. D'une zone économique à l'autre, la monnaie, la fiscalité ou la maturité du marché solaire sont différents. Le choix de cette méthode peut, c'est certain, alimenter des contentieux.

Le nombre de contrats affectés par la révision des tarifs devrait finalement être plus limité que prévu : plutôt de 700 à 750 des 1 072 contrats. Une part importante des contrats conclus dans les zones non interconnectées va échapper à la réforme. C'est une bonne chose puisque, à l'automne dernier, j'avais, avec plusieurs collègues, souligné les spécificités, notamment climatiques, des territoires ultramarins.

Les baisses de rémunération devraient être très fortes. L'Union française de l'électricité les évalue à 55 % et la filière jusqu'à 70 %. Sur ce point, je crois que nous devons être vigilants. L'esprit de la réforme, c'est de mettre un terme à des sur-rentabilités réelles, pas de tuer la filière.

Je souhaite d'ailleurs insister sur la nécessité de traiter différemment les exploitations qui ont changé de main depuis 2011 et celles qui ont conservé le même propriétaire. Pour les exploitations qui ont conservé le même propriétaire, la question est simple : une rente s'est constituée et la sur-rentabilité doit être supprimée. En revanche, pour les exploitations qui ont changé de main, notamment depuis peu de temps, les choses sont différentes. Certes, la clause de sauvegarde doit permettre de traiter des cas particuliers, mais, vu le nombre très important de contrats cédés depuis 2011, la loi aurait pu prévoir de plafonner le montant de la révision du tarif d'achat – d'autant que quelqu'un a pu acheter très cher quelque chose qui sera révisé. Je crois d'ailleurs que si, au moment de l'examen du projet de loi de finances, nous avions eu connaissance du nombre élevé de contrats cédés, nous aurions probablement pris des précautions supplémentaires. Je souhaite donc que les textes publiés au mois d'août soient plus souples que les textes soumis le mois dernier à la concertation.

Concernant le montant des économies attendues, je ne dispose malheureusement pas d'éléments permettant de confirmer ou d'infirmer le chiffre de 350 à 400 millions d'euros d'économies annuelles évoqué au mois de novembre 2020 par le ministère de la transition écologique. D'ici 2030 et l'arrivée à échéance des derniers contrats photovoltaïques concernés, l'économie attendue représenterait donc au maximum entre 3,5 et 4 milliards d'euros.

Cette économie ne sera cependant pas immédiate. Comme je l'ai dit, les premiers tarifs révisés seront notifiés cet automne, et il est probable que les exploitants sollicitent massivement le réexamen de leur dossier. Cela gèlera pendant plusieurs mois l'application de la révision.

Cette économie ne sera également probablement pas aussi importante qu'escomptée. Une menace pèse effectivement sur l'intérêt financier de la réforme : la charte de l'énergie, un traité de protection des investissements entré en vigueur en 1998, qui permet notamment de porter des litiges devant des juridictions arbitrales internationales. La France entend dénoncer ce traité pour différents motifs mais il s'appliquera aux contrats révisés. Le risque existe que l'État soit condamné à la demande de groupes qui auraient pris des participations dans des sociétés de projet.

Je conclurai en soulignant trois points.

Première observation, la révision des tarifs d'achat photovoltaïque est une bonne chose mais cette décision souffre d'un sérieux problème de méthode : le Parlement a été saisi sans être suffisamment informé ; les corps d'inspection ont travaillé après et non avant l'adoption de la loi ; la concertation sur les textes réglementaires repose sur des données contestables. Si je soutiens le principe de cette révision, j'assortis donc ce soutien de fortes réserves sur la méthode suivie.

Deuxième observation, en 2019, l'État a renégocié les premiers contrats conclus dans l'éolien offshore, et, en 2021, l'État révise les tarifs d'achat octroyés en matière photovoltaïque. Manifestement, le financement des énergies renouvelables n'est pas stabilisé.

Troisième et dernière observation, je ne sais si d'autres énergies renouvelables que l'éolien offshore et le solaire sont affectées par des sur-rentabilités. Notre commission aurait probablement intérêt à solliciter une étude de la CRE. L'article R. 134-6 du code de l'énergie permet à la commission des finances de saisir la Commission de régulation de l'énergie de « toute question entrant dans le champ de ses compétences ». Pourrions-nous donc, en l'espèce, le faire ?

Quoi qu'il en soit, le financement des énergies renouvelables, notamment photovoltaïques, soulève encore bien des questions. À défaut d'avoir été bien informée par le Gouvernement au moment de la préparation de cette réforme, notre commission devra suivre attentivement sa mise en œuvre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je remercie le rapporteur spécial, dont nous savions que la communication serait éclairante. La question de la sur-rentabilité des énergies renouvelables, amenées à occuper progressivement une part importante de notre mix énergétique, pose aussi celle de la bonne utilisation des deniers publics.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis content que nos discussions soient plus apaisées ce matin qu'au cours de l'automne dernier : que n'avions-nous entendu sur les risques d'inconstitutionnalité de la mesure et sur la mise en péril de la filière photovoltaïque qu'elle entraînerait ! Aucune de ces menaces ne s'est avérée car l'article concerné du projet de loi de finances pour 2021 était mieux préparé que certains ne le disent.

Je salue la méthode, le courage politique et le souci des deniers publics dont procède cette réforme : il est idéal d'agir au cas par cas, même si c'est plus compliqué, parce qu'une approche uniforme et centralisée aurait paru brutale et déconnectée.

En revanche, au-delà des ordres de grandeur donnés alors – un millier d'investisseurs, plutôt importants, et un effet marginal pour les agriculteurs –, je suis assez surpris de l'absence de visibilité sur les données, sept mois après l'adoption du dispositif. Si le rapporteur spécial a accédé à des informations, tel n'est pas le cas du reste de la représentation nationale.

L'argent public économisé n'est pas un danger pour la filière : il va au contraire être réinvesti dans les énergies renouvelables.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il est vrai que, comme l'a dit Jean-René Cazeneuve, certains éléments vont aujourd'hui dans le sens de ce qu'avait soutenu le Gouvernement en séance publique il y a quelque mois, mais je continue à regretter qu'une disposition de cette nature, devenue l'article 225 de la loi de finances initiale, ait été introduite par voie d'amendement, sans évaluation préalable.

Ce dispositif revient sur des clauses contractuelles : l'intérêt peut se comprendre, mais cela demeure très gênant. Avez-vous pu estimer les montants en jeu dans les contentieux à venir ? Les titulaires des contrats ne disposeraient que de quinze jours pour formuler leurs observations. Je suis étonnée : c'est peu. Pourquoi un délai si court, et quel est votre sentiment, cher collègue Aubert, à ce propos ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ces contrats dans le domaine de l'énergie photovoltaïque sont l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire et posent à nouveau le problème de la rétroactivité de la loi. Lorsque l'État revient sur sa parole, il perd toute crédibilité vis-à-vis des opérateurs économiques. L'absence, antérieurement, de clauses de revoyure des prix a été insuffisamment soulignée : les responsables avaient mal rédigé les contrats.

La révision des tarifs des contrats antérieurs à la loi de finances pour 2021 devrait produire tous ses effets d'ici au mois d'octobre, sous réserve de la sortie des décrets. Pourriez-vous comparer les 20 milliards d'euros qui nous avaient été annoncés et les économies de long terme qu'il est aujourd'hui possible de calculer ?

La révision des contrats d'achats aura des effets substantiels pour un peu plus d'un millier de contractants de la filière. La décision du Conseil constitutionnel encadre considérablement la renégociation en imposant que la réévaluation maintienne une rémunération « raisonnable » : dans quelle mesure le décret vous semble-t-il avoir retenu des paramètres raisonnables ? Une procédure d'appel devant la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sera ensuite possible.

Enfin, qui détient ces 1 072 contrats ? D'après la presse, ce sont majoritairement des entités publiques – ce qui est tout de même assez savoureux –, notamment EDF ou Engie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une partie du capital de ces sociétés a simplement été souscrite par des personnes publiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Où en est l'application de la clause de sauvegarde, dont vous avez indiqué qu'elle concerne 400 signataires ? La CRE interviendra sous réserve d'appel et dans les conditions prévues par une convention internationale. Le préfet Jean-François Carenco – qui est un ami –, président de la CRE, m'a dit être submergé et ne pas avoir bénéficié d'effectifs supplémentaires.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Aubert peut-il préciser ce qu'il entend en évoquant une proportion significative ? L'effet de la vente de ces contrats et de l'extinction progressive de leur objet sur l'équilibre économique de leurs anciens titulaires a-t-il pu être simulé ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne partage pas tout le satisfecit exprimé par Jean-René Cazeneuve. En 2019, j'avais déposé un amendement prévoyant une autre méthode, tenant à saisir les corps d'inspection dans un premier temps, plutôt que de laisser le législateur prendre acte d'une décision sans fournir de clef de calcul.

Je partage l'opinion de Véronique Louwagie quant à l'absence d'étude d'impact.

S'agissant de la remise en question de clauses contractuelles, je me référerai aux vieilles théories du fait du prince, de l'imprévision et des sujétions imprévues, qui remontent, de mémoire, à la décision Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux rendue le 30 mars 1916 par le Conseil d'État.

Les quinze jours que vous avez évoqués pour les contestations s'appliquent avant le dépôt des dossiers et sont complétés par un délai de trois mois à l'issue. Je suis favorable à la flexibilité. En matière contentieuse, le ministère de l'économie, des finances et de la relance ne constitue pas de provisions : je ne sais pas si cette absence de chiffre traduit son optimisme exagéré ou son incapacité à calculer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est vraisemblablement cette seconde option.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Charles de Courson a raison : il aurait fallu des clauses de revoyure, et je l'avais proposé à l'automne dernier. Cela ne mangeait pas de pain mais a été refusé – ah, si l'on avait écouté l'opposition !

Hors mise en œuvre de la clause de sauvegarde, le volume contractuel d'économies attendues est de 3 à 4 milliards d'euros sur les 20 milliards d'euros restant à payer, mais nous ignorons le coût de ces clauses et la filière les pense sous-évaluées.

L'article 1er du projet de décret dispose que « la rémunération totale des capitaux immobilisés considérée comme raisonnable […] est établie en tenant compte des conditions de financement observées à la date de mise en service de l'installation pour des projets exposés à des risques comparables, ainsi que d'éventuels risques supplémentaires inhérents au territoire d'implantation de l'installation ». Si j'ai bien compris, est donc regardé comment il aurait fallu négocier dans le passé compte tenu de ce qu'il aurait été possible de savoir ensuite…

Non, les détenteurs ne sont pas majoritairement des entités publiques, mais cela n'empêche pas qu'il s'agisse d'entreprises dont l'État est actionnaire. D'ailleurs, Engie est-elle une entité publique ? Au sens des promesses du président Nicolas Sarkozy en 2007, tenant à ce que l'État n'abaisse jamais sa participation en-deçà d'un certain seuil, oui, mais en 2021, non.

La CRE a recruté ou est en voie de recruter sept collaborateurs et pense solliciter des prestations de conseil. Environ 5 millions d'euros seraient nécessaires en année pleine.

La significativité, cher collègue Hammouche, peut s'apprécier au regard du nombre de contrats ou à celui de leur poids financier. L'on pourrait considérer que le groupe Les Républicains a un poids significatif dans l'hémicycle (sourires) mais que, en nombre d'entreprises, ce serait plutôt moins et, en impact financier, un peu plus.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, cher collègue, pour cette communication et ces réponses très éclairantes.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 21 juillet 2021 à 11 heures

Présents. - M. Julien Aubert, M. Michel Castellani, M. Jean-René Cazeneuve, M. Francis Chouat, M. Charles de Courson, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, M. Brahim Hammouche, M. Mohamed Laqhila, Mme Frédérique Lardet, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Hervé Pellois, Mme Christine Pires Beaune, Mme Sabine Rubin, M. Laurent Saint-Martin, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas

Excusés. - M. Damien Abad, M. Jean-Noël Barrot, M. Fabrice Brun, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Christophe Jerretie, M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Éric Woerth