Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SCMR
  • drogue
  • salle
  • sevrage
  • strasbourg
  • usager

La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mardi 14 septembre 2021

La séance est ouverte à dix-sept heures.

La commission entend la communication de Mme Caroline Janvier et M. Stéphane Viry sur les salles de consommation à moindre risque.

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C'est avec grand plaisir que nous vous retrouvons afin de vous présenter les conclusions de la mission sur laquelle nous travaillons depuis plusieurs semaines sur les salles de consommation à moindre risque (SCMR).

Nous aurons rapidement l'occasion de débattre à nouveau de ce sujet puisque nous savons d'ores et déjà que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) contiendra une disposition relative à ces salles. En effet, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a autorisé l'expérimentation des SCMR pour une durée de six ans. Cette expérimentation arrivera donc à son terme l'année prochaine, d'où la nécessité de rouvrir ce débat lors des prochaines semaines.

La fin de l'expérimentation intervient dans le contexte de l'actualité parisienne brûlante sur le sujet. Nous ne ferons évidemment pas abstraction de cette actualité mais nous demeurerons vigilants. La question des SCMR en France ne peut se réduire à ce contexte particulier. Et inversement, le problème actuel du crack à Paris ne peut se réduire à la solution des SCMR.

Nous espérons que notre travail préalable permettra d'éclairer les débats législatifs à venir sur un sujet complexe, trop souvent caricaturé et instrumentalisé. C'est en raison de sa complexité que nous avons choisi d'aborder ce sujet en mettant de côté nos idées reçues. Pour cela, nous avons réalisé un grand nombre d'auditions — notamment avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), le ministère de la santé ou encore l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) — et visité les deux salles existantes de Paris et de Strasbourg. Nous avons également pris le soin de rencontrer les différents collectifs de riverains, qui vous ont peut-être sollicités.

C'est aussi car ce sujet est complexe que nous souhaitons l'aborder avec vous dans la plus grande sérénité, avec une vision pragmatique et non pas idéologique, et sous un angle qui nous est cher au sein de cette commission : celui de la santé publique.

Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. Nous vous proposons donc un principe pour la sérénité de nos débats : ne pas parler de « salle de shoot », terme péjoratif pour les professionnels du secteur ainsi que pour les usagers, mais plutôt de « salle de consommation à moindre risque », ce qui traduit le sens profond de ce dispositif, soit la prise en charge médico-sociale.

Le législateur de 2016 a prévu une évaluation de ces salles. Nous nous plaignons parfois de ne pas disposer d'assez d'éléments d'évaluation pour éclairer nos décisions, mais c'est loin d'être le cas sur ce sujet. En effet, une évaluation exhaustive a été publiée par l'Inserm en mai 2021, qui porte sur trois volets :

Notre communication ne vise donc pas à réaliser une nouvelle évaluation scientifique de ce dispositif ou à synthétiser les plus de 300 pages de rapport de l'Inserm mais à rappeler l'historique du dispositif et l'état du droit en vigueur, à effectuer un rapide bilan des deux salles actuellement existantes à partir de ce que nous avons vu, lu et entendu ainsi qu'à formuler des propositions et des pistes de réflexion en vue du PLFSS.

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Je voudrais dans un premier temps rappeler le cadre en vigueur et, en tout premier lieu, le contexte de création de ces SCMR. Nous considérons que le dispositif des SCMR est directement ancré dans la politique de réduction des risques liés à l'usage de drogues, lancée dans les années 1980 en réaction à l'épidémie de sida.

Dans ce contexte, et bien que l'objectif de la réduction des risques n'ait été gravé dans le marbre de la loi qu'en 2004, la France a progressivement et tardivement autorisé la vente libre de matériels stériles, y compris des seringues, puis leur distribution par des associations, ainsi que la mise à disposition de traitements de substitution aux opiacés.

Les salles de consommation s'inscrivent pleinement dans cette démarche de réduction des risques. Elles ne peuvent se comprendre et se concevoir que dans le cadre d'un dispositif plus global et dans une logique de parcours de soin du patient, devant être un parcours tant médical que social.

Depuis 1986 et la création de la première salle de ce type à Berne en Suisse, douze pays ont expérimenté une SCMR. La France est le dixième pays à avoir fait ce choix. Au total, plus de 130 salles existent aujourd'hui dans le monde, en Europe, au Canada et en Australie. Trois pays en particulier concentrent de tels dispositifs : les Pays-Bas, l'Allemagne et la Suisse. De nombreuses études ont accompagné la mise en place de ces centres étrangers, concluant à un bilan positif de ces dispositifs du point de vue de la santé publique.

Je souhaite à présent rappeler l'expérimentation votée par le législateur et prévue en 2016. La genèse de l'expérimentation prévue par la loi de 2016 remonte en réalité à 2012, car l'expérimentation d'une SCMR était prévue par le plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives pour 2013-2017 — la ville de Paris s'étant préalablement déclarée candidate pour porter un tel projet.

En octobre 2013, alors que le projet parisien était prêt à être mis en œuvre par voie réglementaire, le Conseil d'État a rendu un avis rappelant la nécessité d'une mesure législative pour autoriser cette expérimentation, au vu de l'interdiction pénale de consommation de drogues telle qu'établie par la loi de 1970. C'est donc avec la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé que cette expérimentation a finalement vu le jour.

Je voudrais à présent mentionner le droit en vigueur pour cette expérimentation. L'article 43 de cette loi de janvier 2016 dispose qu'à titre expérimental, des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD) peuvent ouvrir des SCMR dans des locaux distincts de ceux utilisés dans le cadre de leurs missions de droit commun.

Ces CAARUD doivent être désignés par arrêté du ministre chargé de la santé, en concertation avec le maire de la commune (ou le maire d'arrondissement le cas échéant) et après avis du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS).

Mentionnons également que la responsabilité pénale des usagers comme des intervenants a été aménagée par la loi afin de permettre le fonctionnement de ces salles. Une immunité pénale est ainsi prévue pour les usagers des SCMR, limitée aux faits d'usage et de détention pour usage commis dans l'enceinte des salles. Parallèlement, aux abords de la structure, seules les personnes fréquentant les salles de consommation et pouvant le prouver peuvent bénéficier, non d'une extension d'immunité pénale, mais d'une politique pénale adaptée tenant compte de l'objectif de réduction des risques poursuivi. Ainsi, seul le transport d'une quantité de produit destinée à une consommation personnelle par un usager se rendant à la SCMR peut être admis aux abords immédiats de la salle. Dans ce périmètre, défini par les procureurs de la République concernés, la poursuite des personnes se rendant à la salle peut être considérée comme inopportune.

Pour les intervenants, la loi prévoit également une immunité pénale, limitée aux faits de complicité d'usage illicite et de facilitation de l'usage illicite de stupéfiants.

Un cahier des charges a été défini par voie réglementaire à la suite de la loi. Il fixe notamment les missions de ces salles, leurs conditions de fonctionnement, la composition de l'équipe pluridisciplinaire, les produits autorisés ainsi que le protocole à suivre. Ce cahier des charges prévoit notamment que l'usager doit énoncer et montrer à l'intervenant au moment de l'accueil le produit qu'il souhaite consommer, afin d'éviter qu'il n'entre dans la SCMR sans substance et incite au partage des produits. Une seule session de consommation (injection ou inhalation ou consommation par voie nasale) est autorisée par passage. Surtout, ce cahier des charges rappelle que les intervenants ne peuvent procéder eux-mêmes aux gestes de l'injection. Il précise également les partenariats et conventionnements (avec le SAMU, les urgences, les structures sociales et médico-sociales, etc.) qui doivent être formalisés. Enfin, il prévoit qu'un comité de pilotage local doit être institué pour chacune de ces salles.

Dans le cas d'espèce, les collectivités territoriales ont pris en charge les dépenses d'investissement liées à la mise en place des SCMR. En revanche, leurs dépenses de fonctionnement sont à la charge de l'assurance maladie, par le biais de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) médico-social dit « spécifique » qui finance les structures médico-sociales d'addictologie.

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Je vais vous présenter les deux salles de Strasbourg et de Paris, que nous avons eu l'occasion de visiter. Nous avons également eu l'opportunité d'échanger avec des usagers de ces deux salles. Ces dernières ont ouvert à la fin de l'année 2016. Depuis, d'autres projets ont émergé mais n'ont pas encore vu le jour pour différentes raisons, notamment à Bordeaux, Lille, Montpellier ou Marseille.

Les deux salles de Paris et de Strasbourg respectent le cahier des charges. Elles sont ouvertes toute la journée et sept jours sur sept, avec un espace de repos pour les usagers. Dans les deux cas, le choix a été fait d'implanter la salle dans l'enceinte d'un hôpital, alors que ce n'est pas une spécification du cahier des charges. Le profil des usagers accueillis est également similaire : dans les deux salles, 60 % sont sans domicile ou dans un hébergement précaire.

La situation des deux salles est aujourd'hui très différente. Cela tient à la fois à la fréquentation de chacune des salles, aux projets qui y sont développés et à l'acceptabilité sociale de chaque salle, évidemment directement liée à son implantation.

Les types de consommation dans les deux salles divergent : alors que la salle de Paris accueille très peu d'injecteurs d'héroïne (1,5 % des passages environ), et surtout des usagers de crack et de Skénan (sulfate de morphine), la salle de Strasbourg accueille une majorité d'injecteurs, notamment de cocaïne.

Toutefois, c'est surtout le niveau de fréquentation de la salle qui est très différent. La salle de Paris compte aujourd'hui une file active de 900 usagers environ (chiffres de 2019 car la crise sanitaire a eu un fort impact en 2020) et environ 300 passages par jour, dont une cinquantaine uniquement pour se reposer. La salle de Strasbourg, quant à elle, comptait 662 usagers en 2019, mais seulement entre 50 et 80 passages par jour au total. La salle de Paris compte donc une « file active salle » d'un tiers d'usagers en plus mais environ cinq fois plus de passages quotidiens. Ces chiffres ont un impact sur le quotidien des travailleurs sociaux. La salle de Paris a d'ailleurs atteint plus de 450 passages par jour en janvier 2020, et a dû fermer le matin pendant un temps pour préserver les équipes. La salle de repos, notamment, pouvait alors compter jusqu'à trente personnes dormant à même le sol dès l'ouverture.

En raison du nombre bien plus faible de consommateurs à la salle de Strasbourg, des locaux plus grands mais aussi de la dimension plus sociale et moins sanitaire du projet strasbourgeois, ce dernier est un modèle très différent de la salle parisienne.

Certes, les deux salles proposent un socle de services similaires, à la fois sanitaires (dépistages notamment du VIH et de l'hépatite C, mais également pansements, délivrance de traitement et vaccinations) et sociaux (ouverture de droits, permanence de l'assurance maladie à la salle de Paris, accompagnements vers l'extérieur et un lien vers l'hébergement via des associations partenaires). Toutefois, la salle de Strasbourg développe bien plus de projets avec les usagers : ateliers de travaux manuels, randonnées, activités culturelles ou encore jardinage, mais aussi davantage d'accompagnement.

Surtout, dans le cadre d'un projet « article 51 », la salle de Strasbourg développe aujourd'hui un projet d'hébergement temporaire de vingt places, pour de courtes durées, avec un accès direct à la salle en dehors de ses horaires d'ouverture traditionnels pour les personnes hébergées. Cet hébergement permet par exemple à des usagers de disposer d'un toit le temps d'un traitement contre l'hépatite C, voire de développer des projets d'hébergement et de soins à plus long terme. Cet espace de répit est très important pour entrer dans un parcours de soins.

Au-delà de la question de la fréquentation des salles et des services proposés aux usagers, vous n'êtes pas sans savoir que les deux salles ne cristallisent pas du tout les mêmes enjeux en matière d'acceptabilité sociale.

En effet, l'implantation de la salle de Strasbourg est très différente de celle de Paris. Elle n'est pas située sur une ancienne scène ouverte de consommation de drogue. Le Nord-est parisien connaît des difficultés majeures en termes de consommation de drogue dans l'espace public depuis bien avant la création de la salle. Plus globalement, la consommation de drogue à Strasbourg est plus diffuse dans l'espace urbain qu'à Paris. La salle de Strasbourg est centrale et proche des lieux de trafic et de consommation mais isolée car elle se trouve dans l'enceinte de l'ancien hôpital civil, sur un quai et n'a donc pour voisinage direct que celui de l'hôpital, contrairement à la salle parisienne. La direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin nous a d'ailleurs indiqué que la salle strasbourgeoise ne pose aucun sujet d'ordre public.

La salle de Paris pose davantage question, et les inquiétudes légitimes des riverains sont souvent relayées par les médias. Cet aspect doit être pris très au sérieux, car les SCMR ont bien deux objectifs : la sécurité sanitaire pour les usagers d'une part et la tranquillité publique d'autre part. Ainsi, nous avons rencontré les riverains de la salle de Paris mais également le procureur de la République de Paris. Nous regrettons que la préfecture de police de Paris ait en revanche refusé d'être auditionnée.

Toutefois, le constat issu de nos auditions permet de rappeler que ce discours médiatique doit être nuancé. Ainsi, plusieurs collectifs de riverains que nous avons rencontrés sont favorables à la salle, estimant que la situation du quartier avant l'existence de la salle était plus difficile et que la présence du personnel de la salle apporte un relais en cas de difficulté. Par exemple, les riverains peuvent appeler la salle pour que les travailleurs sociaux viennent ramasser des seringues ou prendre en charge un toxicomane. Le confinement a d'ailleurs montré que la disponibilité réduite de la salle entraînait une résurgence de la consommation dans l'espace public.

Au-delà des auditions que nous avons menées, des données objectivées par l'Inserm permettent de confirmer cette approche nuancée. Les données publiées montrent notamment que le nombre de seringues retrouvées dans le quartier a été divisé par trois, dont une baisse de 55 % attribuable directement à la SCMR.

Les entretiens réalisés par l'Inserm avec les professionnels de propreté et de sécurité du quartier montrent également une amélioration dans les rues et dans les sanisettes situées à proximité, et plus particulièrement depuis l'ouverture de la salle le matin. Si ce constat est moins probant pour les agents travaillant dans les parkings, les jardins ou au sein de la gare du Nord, force est de constater une amélioration globale, qui s'explique en grande partie par les maraudes effectuées par les travailleurs sociaux de la salle, pour aller à la rencontre des usagers mais également ramasser les seringues.

Les injections dans l'espace public autour de la salle persistent malheureusement mais semblent concerner un nombre plus restreint d'usagers, avec des problématiques psychiatriques pour la plupart.

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Je souhaite vous apporter quelques éléments de réponse aux principales critiques formulées à l'égard de ces salles. Ces critiques doivent être là encore nuancées.

Une première critique est que ces salles ne visent pas à sevrer les toxicomanes mais les entretiennent dans leurs addictions.

Nous répondons que le but des SCMR n'est effectivement pas de sevrer les toxicomanes qui y sont reçus. En revanche, les SCMR permettent d'inclure dans un dispositif de soins des personnes jusqu'à présent éloignées de celui-ci. Pour la plupart d'entre eux, la marche vers le sevrage est à ce moment-là très haute.

Cela ne signifie pas que les SCMR ne permettent pas directement de soigner.

Premièrement, limiter les pratiques à risques est un premier pas pour prendre soin de soi, ainsi que pour entrer dans un dispositif de soins et de prise en charge. L'étude de l'Inserm montre que les deux SCMR ont un impact positif important sur de nombreuses variables sanitaires, telles que les pratiques à risques VIH et hépatite C, les abcès, les overdoses et les passages aux urgences. En revanche, l'Inserm montre que les SCMR n'ont pas d'impact direct sur la prise d'un traitement de l'addiction ou le dépistage de l'hépatite C. Le système français, par le biais des CAARUD et des centres de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) notamment, mais aussi des médecins généralistes, offre déjà la possibilité d'accéder à des dépistages et d'administrer facilement un traitement de substitution aux opiacés.

Deuxièmement, les SCMR permettent de réorienter les personnes accueillies vers des dispositifs de soins, pour inclure les usagers dans des parcours de sevrage ou de soins psychiatriques. Sur le long terme, l'expérience de Vancouver a montré que les demandes de sevrage de la part des usagers ont augmenté de 20 %. Ainsi, l'unité d'addictologie ambulatoire de l'hôpital Fernand Widal et la salle de Paris travaillent ensemble quotidiennement. Le professeur en charge du service d'addictologie au CHRU de Strasbourg, lors d'une audition, a également témoigné que la population d'usagers fréquentant le service de sevrage complexe a évolué, avec une majorité de personnes directement adressées par la SCMR.

La deuxième critique formulée est que ces salles ne seraient pas le remède miracle pour prendre en charge les toxicomanes.

Cette affirmation est vraie : les SCMR ne constituent pas une solution miracle. Elles sont seulement un outil parmi d'autres au sein d'une palette très large. Si nous voulons prendre en charge efficacement la toxicomanie, chaque porte doit être la bonne. Chaque personne doit pouvoir rencontrer le dispositif dont elle a besoin au moment où elle en a besoin. Nous parlons ici de parcours extrêmement complexes, mêlés à des situations sociales parfois dramatiques et des parcours de vie compliqués. Les SCMR permettent de toucher un public différent des autres structures, ou en tout cas de toucher un usager à un moment de sa vie où il ne pourrait pas s'inscrire directement et personnellement dans une démarche de sevrage.

Ces salles ne peuvent se concevoir que dans le cadre d'un parcours médical et social complet, dont la finalité reste le sevrage et la sortie de la drogue. Dire que les SCMR ne constituent pas une solution miracle, cela signifie aussi qu'il ne faut pas en créer partout, n'importe où et n'importe quand. Cet outil est en effet adapté pour certains endroits et dans certains contextes. Parallèlement, d'autres types de structures, en amont comme en aval, doivent aussi et surtout être développés.

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Une troisième critique que nous avons pu entendre est que ces salles entretiennent le laxisme en matière de lutte contre la drogue et ses ravages.

« Ce n'est pas de l'encouragement, c'est juste du sauvetage », nous a confié un usager de la salle de Strasbourg. Promouvoir les SCMR ne veut pas dire qu'il faut abandonner la lutte contre le trafic de drogue et les autres volets de la lutte contre la drogue. Les SCMR sont loin d'être des zones de non-droit. Il n'y a pas d'immunité pénale autour des salles, seul le transport d'une quantité de produit destinée à une consommation personnelle par un usager se rendant à la SCMR peut être admis aux abords immédiats de la salle, dans un périmètre très restreint. Cela n'autorise donc en aucun cas le trafic.

Les deux SCMR nous ont rappelé l'importance d'une collaboration avec la police et ont même exprimé le besoin d'une présence policière renforcée autour de la salle, ce qui n'est malheureusement pas toujours suffisamment le cas. Les SCMR constituent par ailleurs un poste d'observation avancée de l'évolution des trafics, des produits et des pratiques. En effet, elles prélèvent notamment des échantillons de produits pour les analyser.

Enfin, la quatrième affirmation que nous avons pu entendre est que personne ne souhaite une salle de consommation à côté de chez soi.

La réalité est plus compliquée car personne ne souhaite non plus une scène ouverte de consommation de drogue en bas de chez soi. À Copenhague, une SCMR est issue d'une initiative de riverains. À Montpellier, un collectif de riverains milite également en faveur de l'ouverture d'une SCMR. Nous avons vu comment ces salles pouvaient permettre une amélioration de la sécurité et de l'ordre public. Les derniers sondages d'opinion sur le sujet nous ont d'ailleurs beaucoup surpris :

Évidemment, un sondage doit toujours être lu avec une certaine prudence, mais cela montre bien qu'il ne faut pas caricaturer l'état de l'opinion publique sur cette question.

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Nous considérons que les SCMR constituent un dispositif incontestablement utile et efficace s'il est adapté au contexte local, et à condition qu'il s'inscrive dans le cadre d'une prise en charge plus globale de l'usager.

Si nous sommes convaincus, de façon transpartisane, de l'utilité et de l'efficacité de ces salles, nous considérons toutefois que ce dispositif ne peut être efficace qu'à deux conditions.

La première condition est que ces salles ne peuvent s'inscrire que dans une logique de parcours de soins et de prise en charge médico-sociale globale des usagers.

Cela vaut tout d'abord pour la conception de la salle. Les services offerts par la salle, la possibilité de se reposer dans ses locaux notamment, mais aussi d'y ouvrir des droits sociaux, de se soigner et surtout d'être hébergé (par la salle ou en lien avec la salle) sont fondamentaux et doivent être au cœur des projets.

Nous devons nous diriger vers des salles promouvant une prise en charge beaucoup plus intégrée, telle que ce qui est expérimenté aujourd'hui à Strasbourg. L'accent doit être mis sur cette prise en charge globale, en approfondissant les services sociaux offerts par les salles et les partenariats noués avec l'extérieur — notamment avec les professionnels de santé de ville avec lesquels les partenariats restent à ce jour insuffisants.

Surtout, nous ne devons pas non plus perdre de vue la réponse plus globale que les pouvoirs publics doivent apporter en matière de prise en charge de la toxicomanie. Il faut développer des lits en addictologie pour permettre le sevrage mais surtout, et c'est au moins aussi important, les lieux de postcure. Si l'usager retourne à la rue ou dans le même squat après sa cure, cela n'aura pas été utile. Or, les besoins sont aujourd'hui couverts de manière très insuffisante.

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La seconde condition est que ces salles doivent impérativement être pérennisées, mais pas généralisées.

En effet, les SCMR peuvent être une réponse mais ne doivent pas être la réponse à la prise en charge de la toxicomanie. Elles doivent être issues d'initiatives locales, portées par les municipalités et conçues en concertation avec les forces de l'ordre, le voisinage, les usagers et les professionnels de santé du quartier.

Par ailleurs, comme le montrent les exemples parisiens et strasbourgeois, le choix du lieu d'implantation d'une salle est primordial. L'ouverture de salles au niveau de scènes déjà existantes — ou en tout cas proches de lieux actuels de trafics et de consommation — doit être privilégiée afin de garantir l'efficacité du dispositif mais aussi de ne pas créer de nouveaux lieux de fixation.

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Certaines questions doivent être posées préalablement aux débats que nous aurons dans le cadre du PLFSS.

La première question est la suivante : faut-il désormais prolonger l'expérimentation ou pérenniser le dispositif ?

Au vu de l'évaluation très complète du dispositif, Caroline Janvier et moi-même plaidons davantage pour pérenniser le dispositif plutôt que de prolonger une expérimentation qui a fait ses preuves. Une nouvelle expérimentation pourrait toutefois être justifiée si le dispositif prévu par le cadre législatif venait à évoluer. Le cas échéant, sa durée devrait nécessairement être assez longue pour permettre aux acteurs de se projeter.

La deuxième question est la suivante : le format des SCMR doit-il évoluer par rapport aux expérimentations strasbourgeoise et parisienne ?

Au-delà de la nécessité évoquée précédemment de concevoir des projets plus intégrés, incluant notamment des dispositifs d'hébergement, nous plaidons pour davantage de souplesse concernant le format de ces salles. Cette souplesse permettrait d'adapter chaque projet aux contextes locaux. D'une manière générale, de plus petites salles mais plus nombreuses semblent devoir être privilégiées. Cela permettrait de développer des salles à taille plus humaine mais aussi d'éviter un phénomène de fixation ou de saturation.

Une possibilité pourrait être de permettre à des CAARUD d'ouvrir de telles salles directement dans leurs locaux. Une telle solution aurait trois avantages :

Cette proposition aurait toutefois des inconvénients. La politique pénale pourrait être plus difficile à appliquer — même si cela a été fortement nuancé par les acteurs rencontrés — et cela pourrait avoir un effet négatif en mélangeant des usagers avec des attentes ou des pratiques différentes. Par ailleurs, les locaux des CAARUD sont souvent petits et ne seraient donc pas forcément adaptés à une telle extension.

Des dispositifs mobiles pourraient également être mis en place, comme à Barcelone et Berlin. Ces dispositifs mobiles auraient l'avantage de limiter les points de fixation et de pratiquer davantage « d'aller-vers » mais il faudrait alors déployer plus d'énergie pour garantir que ces dispositifs offrent aussi des services sociaux connexes. Cette proposition poserait également des questions en matière d'application de la politique pénale.

Il semble en tout cas préférable de parler « d'espaces » plutôt que de « salles » de consommation à moindre risque.

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La troisième question est la suivante : quels financements pour quels projets ?

Le financement accordé à ces salles sera évidemment un enjeu important du prochain PLFSS. Ce financement devra permettre de mieux répondre aux besoins parisiens.

Il convient en effet de garder à l'esprit qu'une grande partie des difficultés actuelles que rencontre la salle parisienne est liée à son sous-dimensionnement. À titre d'exemple, des villes comme Hambourg, Rotterdam et Barcelone comptent respectivement sept, huit et neuf salles de consommation à moindre risque, pour beaucoup moins d'habitants.

Toutefois, nous devons également garder en tête un principe d'équité territoriale : les usagers non parisiens doivent aussi pouvoir accéder à de telles structures si le besoin existe.

Enfin, une question régulièrement posée dans le débat public est celle de savoir si ces salles peuvent être utiles pour les usagers de crack, et non pour les seuls injecteurs. La réponse issue de l'ensemble de nos auditions des acteurs sanitaires est positive. D'ailleurs, le cahier des charges des salles a évolué en ce sens en 2019, et les deux salles ont ouvert des postes d'inhalation. Pour ces usagers, la prise en charge sociale mais aussi les espaces de repos apparaissent particulièrement nécessaires. La création d'espaces dédiés aux usagers inhaleurs pourrait ainsi utilement être envisagée.

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Merci. Bravo pour la clarté et la précision de cette communication.

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Le groupe La République En Marche suit avec attention les conclusions de la mission sur les SCMR. Nous saluons le soin des rapporteurs pour dépassionner ce débat afin d'effectuer un vrai travail d'évaluation transpartisan et aboutir à des recommandations efficaces.

L'enjeu des SCMR est de protéger les consommateurs de drogues des conduites à risques et limiter les atteintes à l'ordre public liées à la consommation de drogues sur la voie publique. Le rapport présenté propose une ligne équilibrée et médiane : la pérennisation plutôt que la généralisation sans limites des SCMR. Vous préconisez, pour leur mise en œuvre, ce qui semble être la bonne méthode, à savoir la prudence et la co-construction avec tous les acteurs.

Le modèle strasbourgeois me semble exemplaire de ce point de vue. Le choix du lieu pouvait en effet se prêter réellement à la mise en place d'une telle structure. La salle est très bien articulée avec les hôpitaux universitaires de Strasbourg et implantée intelligemment afin d'éviter trop de conséquences néfastes à courts ou moyens termes pour les riverains concernant l'ordre public. Il faut saluer Rolland Ries, ancien maire de Strasbourg, et Alexandre Feltz, son adjoint à la santé, qui se sont lancés dans l'expérimentation dès 2016, dans une démarche associant l'ensemble du tissu associatif et les autorités de l'État (et non contre elles).

Vous avez évoqué les résultats positifs de ces salles en matière de réduction des risques pour les consommateurs et d'amélioration de leur santé. J'aimerais vous entendre sur la place de ces salles dans le combat plus large pour permettre aux consommateurs de drogues de se libérer de leur dépendance. Le fait de pouvoir créer une relation de confiance avec les consommateurs, majoritairement des personnes sans domicile fixe ou dans la précarité, peut être une étape essentielle dans le long processus de sortie du monde de la drogue. Avez-vous des éléments à partager, en France ou à l'étranger, sur la contribution effective des salles pour réduire la dépendance aux drogues. Quelle pourrait être leur contribution dans le cadre d'une politique plus globale ?

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Je cède la parole à Bernard Perrut pour le groupe Les Républicains.

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Nous sommes au cœur d'un sujet particulièrement important, avec le besoin de lutter contre les fléaux de la drogue et des trafics mais aussi avec la nécessité de prendre en compte ces personnes marquées par la toxicomanie et ayant besoin d'une prise en charge médico-sociale globale. Ces personnes doivent être accompagnées. C'est le but de votre réflexion, qui permet de faire évoluer nos points de vue.

L'expérimentation des SCMR a été votée. La loi ouvre la possibilité d'ouvertures de nouvelles salles durant la période d'expérimentation, dans les mêmes conditions que pour les deux salles existantes. Elles devront donc être portées par un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages et autorisées par un arrêté du ministre chargé de la santé, en concertation avec le maire de la commune.

Les réflexions sont en cours dans plusieurs régions autour de l'opportunité de la mise en place de nouveaux projets, à l'instar de la ville de Lille où la maire avait annoncé l'ouverture d'une salle au mois d'octobre prochain.

J'étais quelque peu surpris par la position du ministre de l'Intérieur, faisant part récemment de sa ferme opposition à l'expérimentation, soulignant que la drogue ne doit pas être accompagnée, mais combattue. Comment expliquer cette forme de paradoxe où le ministre qui soutient d'une autre manière cette expérimentation y soit aussi opposé ? Que dire des salles déjà existantes ?

Je souhaite en tout cas, mes chers collègues, vous remercier pour cette évaluation.

À Paris, ces salles peuvent présenter un certain nombre d'inconvénients, notamment des troubles. Comment garantir cette sécurité dans l'environnement immédiat de ces SCMR ? Comment le modèle de Strasbourg réussit-il alors que la ville de Paris se heurte à une forme de rejet ? Êtes-vous favorables à la mise en place de réunions d'information locales à destination des riverains de ces salles avant leur mise en service ?

J'aimerais aborder la question de l'accompagnement de la sortie de l'addiction qui doit être, à mon sens, l'objectif prioritaire de ces salles. Peut-être pouvons-nous regretter que la notion de parcours de soin ne soit pas plus prépondérante alors qu'il faut un parcours tant médical que social pour sortir de cette période. L'encadrement médical en vue de la désintoxication est une impérative nécessité à mon sens. Les informations que vous nous livrez nous permettront certainement de poursuivre notre action dans le cadre du PLFSS.

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Je cède la parole à Michèle de Vaucouleurs pour le groupe MoDem et Démocrates apparentés.

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Merci. Je vous félicite pour la qualité de votre rapport et l'excellence de sa présentation.

Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 prévoyait de poursuivre l'adaptation des SCMR, déjà autorisées, pour renforcer et surmonter d'éventuelles difficultés rencontrées, le cas échéant, en prévoyant éventuellement une évolution du cahier des charges national. Il prévoyait également d'envisager, pendant la période d'expérimentation, l'ouverture d'autres structures pour répondre aux besoins, y compris en Île-de-France. Or depuis l'ouverture en 2016, d'autres projets ont émergé mais n'ont pas vu le jour. Le rapport de l'Inserm ainsi que les différentes auditions que vous avez menées vous ont-ils éclairé sur les freins à l'ouverture d'autres structures pour répondre à ces besoins ? Les SCMR ayant démontré leur intérêt, pouvez-vous revenir sur les conditions à réunir pour permettre le déploiement à la hauteur des besoins ? L'impact notamment de la mise à disposition d'un hébergement temporaire a-t-il pu être évalué ? Le cas échéant, devrait-il devenir une condition des futurs cahiers des charges ?

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Je cède la parole à Pierre-Yves Bournazel pour le groupe Agir ensemble.

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Merci. Je vous félicite d'avoir mené ce travail salutaire sur les espaces de consommation à moindre risque. En tant que député et élu de Paris, ce sujet majeur est à mes yeux d'intérêt général. Ce sujet est particulièrement douloureux parce qu'il touche directement la vie d'hommes et de femmes. Ce sujet profondément humain doit être traité avec beaucoup d'humilité. En effet, il ne sera pas réglé avec des assertions autoritaires, et encore moins avec un prisme idéologique.

À Paris, nous faisons surtout face à des usagers de crack. Cette drogue est terriblement dangereuse car l'accoutumance y est élevée et rapide. Elle provoque des problèmes médicaux et psychologiques très graves. Ce sujet demande, dans l'intérêt général, que tous les acteurs de l'État, les villes, les régions et les associations travaillent ensemble main dans la main afin d'apporter des solutions durables et pérennes. Ce travail doit être effectué afin, d'une part, de sortir ces personnes vulnérables de la spirale terrible de la drogue et afin, d'autre part, de permettre aux riverains qui sont en première ligne de faire face à ce fléau et de retrouver leur légitime quiétude.

Je milite depuis de nombreuses années pour que nous mettions en place des petites unités d'accompagnement médical, social et psychologique. C'est une logique de parcours de soin et de prise en charge médico-sociale des usagers de drogue qui doit être menée. Ces petites structures permettront aux personnes d'être mieux suivies, de s'y rendre plus facilement en confiance et enfin d'être mieux réparties sur l'ensemble du territoire. Elles permettront donc de mieux s'intégrer dans la vie des quartiers concernés car elles concentrent de fait moins de monde et moins de problèmes.

Je voudrais vous remercier car nombre de vos propositions sont des idées que j'ai pu porter il y a de nombreuses années dans le débat public. Avant toute décision, une concertation (avec les habitants, les professionnels de santé, les associations et les forces de l'ordre) fondée sur le sens de l'écoute de chacun et sur des études incontestables est indispensable. Avançons sur ce sujet dans l'intérêt général afin de résoudre un problème de santé publique. Faisons en sorte de ne pas créer d'autres problèmes, notamment de sécurité et de tranquillité. Abordons ce sujet avec courage.

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Nous entendrons maintenant quatre petites questions.

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Merci. Je remercie les rapporteurs pour ces travaux très instructifs. J'ai l'impression que vous n'êtes pas forcément favorables à une généralisation de ce dispositif. Je m'interroge sur la raison de votre réserve dans la mesure où, dans de nombreuses villes, des consommateurs se fixent à certains endroits et posent des difficultés par rapport à l'ordre public. Je me demandais si cette solution ne pourrait pas être déployable ailleurs.

En tant que députée de Bordeaux, je me pose cette question spécifiquement pour cette ville car je sais qu'un projet de salle de consommation a été porté en 2018 puis abandonné et finalement repris aujourd'hui. J'aimerais savoir si vous avez étudié les spécificités du cas bordelais et quelles sont les conditions de réussite pour qu'un tel projet soit mené à terme.

Vous dites qu'une SCMR doit être à la fois proche des lieux actuels de consommation et d'un centre hospitalier. Comment peut s'effectuer l'articulation entre les deux ? Comment est-ce le cas dans les deux exemples que vous avez mentionné ?

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Merci. Je félicite à mon tour Stéphane Viry et Caroline Janvier pour ce travail de fond objectif. Je comprends que cette expérimentation aussi attendue que décriée répond à un quadruple objectif : réduire les risques, mettre en place un programme de sevrage, permettre l'accès au droit et réduire les nuisances dues à la consommation de drogue.

Toutefois, je perçois une certaine antinomie dans la mesure où de plus en plus d'initiatives et de projets sont mis en place pour sensibiliser les jeunes concernant les addictions tandis que les SCMR permettent à terme de pérenniser la consommation de drogues — même si j'entends que le but est d'encourager les usagers à rejoindre une filière de soin. Les SCMR entretiennent donc une forme de dépendance et banalisent la consommation de drogue dans l'esprit des populations. Comment permettre que la consommation de substances illicites ne soit pas banalisée, notamment auprès de notre jeunesse, d'autant plus sachant qu'une immunité pénale a été déclarée pour les consommateurs au sein de ces salles ?

Ces salles doivent bien sûr s'inscrire dans une logique de parcours de soin et de prise en charge médico-sociale globale. Je serais assez favorable à une prolongation de cette expérimentation en la faisant évoluer et surtout en développant, sur le modèle de Strasbourg, une prise en charge élargie, avec le développement d'activités culturelles, d'hébergement temporaire et de randonnées car je pense que, dans cette politique publique de prise en charge de la toxicomanie, nous nous devons de développer l'amont et l'aval (les lits d'addictologie et les lieux de postcures notamment). Les besoins sont aujourd'hui couverts très insuffisamment. Un acte du PLFSS 2022 pourrait porter sur l'augmentation des moyens dédiés à l'amont et à l'aval.

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Merci. Ce sujet doit effectivement tous nous mobiliser. Répondre à l'envahissement de la drogue dans notre société, y compris dans la ruralité, constitue un défi incroyable pour notre société. Je note avec étonnement le refus de la préfecture de police de répondre à votre demande d'audition. J'aimerais comprendre les raisons de ce refus.

Par ailleurs, avez-vous eu l'occasion et la possibilité de réaliser un bilan des autres salles de consommations au niveau européen afin de pouvoir effectuer un parallèle ?

J'entends bien l'intérêt de mener un débat sur la promotion des SCMR, comme j'entends vos propositions, madame la rapporteure, sur un débat concernant la légalisation du cannabis. Ne faudrait-il pas ouvrir un grand débat, beaucoup plus global et pas uniquement sanitaire, sur la consommation, la prise en charge mais aussi l'évolution de la sanction pénale des drogues dans notre pays ? Je ne connais pas bien la position de notre gouvernement sur ce sujet. Ces réponses ne peuvent découler que d'une position établie par la France au sujet de la consommation des drogues, douces ou dures, si tant est qu'il soit encore possible d'établir cette distinction.

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Merci. Je m'associe aux félicitations de mes collègues.

Nous avons bien compris que des différences qualitatives apparaissent en comparant les dispositifs de Paris et Strasbourg. Vous avez dit que des financements conséquents devraient être prévus dans le PLFSS. Vous avez dit également que cette expérimentation devrait être prolongée. N'est-il pas contradictoire de prévoir des financements plus importants alors que nous démarrons une nouvelle expérimentation montrant que les choses peuvent être améliorées et, donc, le cahier des charges modifié ?

J'ai été quelque peu étonnée de constater que vous laissiez la décision au niveau local. Si les maires peuvent évidemment formuler des propositions, je suis réservée quant au fait de leur laisser toute latitude sur une compétence de santé publique, qui ne relève pas des collectivités locales. Les différences des cahiers des charges, en tout cas dans l'exécution même, me font penser que laisser toute initiative au niveau local n'est pas adapté à la situation que nous vivons aujourd'hui.

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Pour des éléments de réponse, je cède la parole à Mme la rapporteure et M. le rapporteur.

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Je voudrais tout d'abord vous remercier pour la sérénité de ce débat. Je constate que beaucoup d'entre vous connaissent assez bien ce sujet.

Une question est souvent revenue et a également été l'un de nos fils rouges. Cette question concerne la façon d'inscrire ce dispositif visant à réduire les risques associés à la consommation de drogues dans un processus plus global de sevrage. Cette question est tout à fait pertinente afin d'éviter l'antinomie évoquée par Mme Josiane Corneloup. Nous observons que, d'une part, la majorité des personnes adressées dans les services de sevrage viennent de ces SCMR. Ces salles peuvent constituer une porte d'entrée vers le sevrage, comme le montre l'exemple de Vancouver évoqué précédemment. Par ailleurs, parvenir à se défaire de ce type d'addiction est très rare et complexe. La difficulté est que l'aval et l'amont doivent être suffisamment dotés. Des lits et des moyens manquent en addictologie. Des places d'hébergement manquent également car 60 % des usagers de ces salles sont sans hébergement. Il existe un grand nombre de problématiques à résoudre avant d'envisager même la question du sevrage. Des moyens sont nécessaires pour inscrire ce dispositif dans un processus plus large.

M. Pierre-Yves Bournazel a évoqué les petites unités d'accompagnement, permettant de mieux s'intégrer et de concentrer moins de monde. Ces unités font effectivement partie des propositions que nous formulons.

Pour répondre à Monique Iborra, il me semble que notre rôle de parlementaires à la commission des affaires sociales est de réfléchir et d'arbitrer sur des instruments de politique publique que nous considérons comme efficaces et pour lesquels nous prévoyons des budgets dans le cadre du PLFSS. C'est pourquoi nous souhaitions vous présenter ces propositions en amont du PLFSS. Néanmoins, le rôle des acteurs locaux (et notamment des élus municipaux) est d'utiliser ou non ces outils et de les organiser en tenant compte de l'environnement et de l'acceptabilité de ces salles par les riverains. L'articulation doit évidemment avoir lieu entre le niveau national et local. Toutefois, le cadre prévoit un arrêté du ministère de la santé et un aménagement sur le plan de la politique pénale. Il existe donc évidemment une participation du parlementaire et du gouvernement dans l'ouverture d'une salle.

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Nous parlons à deux voix mais il n'existe qu'une tonalité. Quelles qu'aient pu être mes interrogations et réserves avant d'entrer dans ce sujet, je dois confesser que nos travaux, investigations et auditions m'ont fait avoir aujourd'hui la position partagée avec Caroline Janvier sur le sujet. Notre approche a été celle de commissaires de la commission des affaires sociales, c'est-à-dire un regard sanitaire par rapport à des politiques publiques à conduire pour répondre à une demande de soin. Nous n'avons pas suppléé la commission des lois. Nous n'avons pas cherché à entrer dans un sujet par une porte qui n'était pas la nôtre.

L'actualité de ces dernières semaines montre effectivement des problèmes majeurs dans certains quartiers de Paris par rapport au crack. L'actualité du jour montre a priori l'intention de la municipalité parisienne d'ouvrir une salle dans le 20e arrondissement. Ce n'est pas notre rôle d'aborder cette question ni d'ingérer dans une volonté politique de la ville de Paris. Depuis quelques heures, nous recevons, avec Caroline Janvier, beaucoup d'interpellations de la part de Parisiens opposés à cette ouverture de salle. Ce n'est pas notre rôle à l'Assemblée nationale. Nous effectuons un travail d'évaluation des politiques publiques, préalablement à l'examen du PLFSS.

Par ailleurs, la dépendance en matière de stupéfiants est une pathologie ainsi que, souvent, un drame humain. Il va de soi que la nécessité de lutter contre tous les trafics, les réseaux et la consommation s'impose. Dès lors que des hommes et des femmes sont en position de dépendance et de souffrance, qu'ils se mettent en danger et peuvent perturber la communauté humaine, il appartient à la communauté nationale d'apporter une réponse. Les SCMR constituent un élément mais ne peuvent être pertinentes que dans le cadre d'une politique de santé publique claire et non équivoque. Le besoin d'accompagnement, de ressources médicales ou encore de lits s'impose dans le cadre de ce sujet.

Nous nous sommes posé deux questions. La première question porte sur l'efficacité du dispositif expérimenté à Strasbourg et à Paris depuis maintenant plus de quatre ans par rapport à un certain nombre d'objectifs. La seconde question concerne l'acceptabilité de ce dispositif par les riverains et par l'opinion publique. La réponse à ces questions dépend très largement de l'implantation de cette SCMR. Une salle mal ouverte et mal implantée générera des conséquences collatérales très pénalisantes pour l'idée même de la salle. Nous sommes favorables à la duplication du modèle strasbourgeois, contrairement au modèle parisien tel qu'il fonctionne. Rappelons que la salle de Paris apporte des réponses très concrètes à des usagers. Néanmoins, les conséquences collatérales ne peuvent pas être négligées.

Nous avons effectivement déploré l'absence de réponse à nos interpellations du cabinet du ministre de l'Intérieur et de la préfecture de police de Paris. Dans le cadre de nos travaux, nous aurions aimé entendre la position de la sécurité publique concernant ce sujet. Nous considérons néanmoins que lutter fermement et sans ambiguïté contre la drogue et l'ouverture de SCMR n'est pas incompatible. Considérer que ces deux faits sont totalement incompatibles serait un point de vue primaire et doctrinaire.

Pa ailleurs, d'autres salles n'ont pas pu être ouvertes car nous étions dans une phase d'expérimentation. Le contexte encore quelque peu instable a peut-être refroidi la volonté de certains d'entrer dans une voie pas encore consolidée, voire sécurisée. Par ailleurs, le délai de l'expérimentation étant de cinq ans, il aurait été hasardeux d'ouvrir une salle en 2019 ou en 2020 pour quelques mois.

Concernant la pérennisation de l'expérimentation, cette solution doit manifestement être encouragée. Elle ne doit pas devenir un marqueur politique ou un totem idéologique. Nous devons admettre de douter par rapport à ces salles ou, le cas échéant, de remettre en question ces principes avec la volonté de renforcer à la fois la qualité et la quantité de la réponse pouvant être apportée. Il n'existe pas de modèle unique pour que ce dispositif soit une réussite en termes sanitaire, d'acceptabilité sociale et d'efficacité. Mon avis personnel est que ces salles ne peuvent pas se décréter par la seule volonté d'un élu. La mise en place de ce dispositif implique un temps de concertation et de préparation. Le consentement territorial doit être recherché. Le sujet est trop grave pour en faire des éléments politiques.

Concernant la question de Catherine Fabre évoquant la généralisation, le cahier des charges peut encore être revu avant sa stabilisation définitive. Il existe des conditions locales émergentes. Elles sont autorisées par la loi. Lorsqu'avec Caroline Janvier, nous proposons de continuer l'expérimentation, c'est pour autoriser, le cas échéant, l'ouverture d'une salle à Lille, Bordeaux ou Marseille dès lors que cette salle répond à un besoin et que tout est suffisamment étayé.

Une question portait sur une comparaison européenne. Nous avons en effet auditionné l'office européen des toxicomanies. Nous avons pu comparer avec les pratiques aux Pays-Bas, en Suisse et ailleurs. Manifestement, ces salles constituent une réussite partout en termes de santé publique et de lutte contre les consommations à risques. Le directeur de l'OEDT a souligné que ce n'est pas parce que ce dispositif fonctionne qu'il doit être implanté partout.

Concernant la politique pénale, nous avons auditionné le procureur de Paris, dont la position révèle une certaine sagesse sur cette question. Le procureur a indiqué que son prédécesseur s'était beaucoup investi lors de l'ouverture de la salle de Paris, qu'un comité de pilotage se réunit désormais assez ponctuellement mais que néanmoins, il n'existe pas de difficultés en tant que telles. Rappelons que la position du procureur en termes de politique pénale est davantage empreinte de sanctions par rapport à des infractions pénales liées à la consommation ou aux trafics de stupéfiants et d'injonctions de soin. L'académie médicale nous dit que pour qu'un processus de sevrage fonctionne, ce dernier doit découler d'un consentement et non d'une injonction. Intellectuellement, un télescopage entre différentes conceptions peut avoir lieu sur ce point.

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Concernant la question de Catherine Fabre, nous avons entendu que le projet de Bordeaux n'a pas pu aboutir pour des raisons de portage politique et d'échéances électorales. Ce sujet est évidemment éminemment politique. La décision d'ouvrir une salle est lourde de conséquences pour les élus qui portent ce type de projets. Il nous a semblé vraiment important de dépolitiser ce sujet et d'essayer de prendre un peu de recul en s'appuyant sur ces données.

Madame de Vaucouleurs, vous demandiez les raisons pour lesquelles ces différents projets n'ont pas abouti dans d'autres villes. Le portage politique et la façon dont un tel dispositif doit se construire font partie des raisons. L'exemple de Strasbourg nous a montré l'importance du comité de pilotage et de la concertation locale.

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Merci. Je vous félicite encore pour la qualité de vos travaux et des échanges. Je suis certaine que ce débat n'aura pas manqué d'éclairer les députés que nous sommes et fait progresser notre réflexion sur ce sujet si sensible.

Informations relatives à la commission

La commission a nommé M. Aurélien Pradié rapporteur sur la proposition de loi visant à plus de justice et d'autonomie en faveur des personnes en situation de handicap (n° 4423).

La commission a nommé Mme Carole Grandjean rapporteure sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2021‑484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation et portant habilitation du Gouvernement à compléter par ordonnance les règles organisant le dialogue social avec les plateformes (n° 4361).

La séance s'achève à dix-huit heures quinze.

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 17 heures

Présents. - M. Sébastien Chenu, Mme Josiane Corneloup, M. Marc Delatte, Mme Catherine Fabre, Mme Monique Iborra, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, Mme Mireille Robert, M. Boris Vallaud, Mme Laurence Vanceunebrock, Mme Michèle de Vaucouleurs, Mme Annie Vidal, M. Stéphane Viry

Excusés. - Mme Stéphanie Atger, M. Thibault Bazin, Mme Carole Grandjean, M. Jean-Carles Grelier, M. Alain Ramadier

Assistait également à la réunion. - M. Pierre-Yves Bournazel