Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mardi 28 septembre 2021 à 17h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

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Mes chers collègues, avant d'aborder notre ordre du jour, permettez-moi, en votre nom à tous, de rendre hommage au caporal-chef Maxime Blasco, du 7e bataillon de chasseurs alpins de Varces, mort pour la France vendredi dernier au cours d'une opération de reconnaissance et de harcèlement conduite par la force Barkhane au Mali, à proximité de la frontière avec le Burkina Faso. Les états de service de ce commando de montagne étaient exceptionnels. Il était titulaire de quatre citations. Le Président de la République lui a personnellement remis la médaille militaire en juin dernier, après le sauvetage, dans des conditions incroyables – vous en avez peut-être vu les images –, de deux membres d'équipage de son hélicoptère. Alors même qu'il était blessé, il est parvenu à les arrimer sur le train d'atterrissage d'un hélicoptère Tigre venu les évacuer. J'assure ses compagnons d'armes, sa compagne et son enfant de notre solidarité, ainsi que de notre profonde gratitude et de notre reconnaissance pour la conduite héroïque – il n'y a pas d'autre adjectif – du caporal-chef Maxime Blasco.

Notre ordre du jour appelle l'audition de M. Pierre Éric Pommellet, président-directeur général (PDG) de Naval Group, en vue de faire le point avec lui sur les circonstances et les conséquences de l'annulation, annoncée le 15 septembre dernier, du contrat dit « australien », relatif à la production et à la livraison de douze sous-marins de classe Attack. Cette audition se déroule à huis clos. Conformément à ce qui est désormais une tradition des auditions de la commission de la défense, les appareils électroniques ont été déposés à l'entrée de la salle, dans les casiers prévus à cet effet.

En préambule, je vous félicite, Monsieur le président, de la signature d'un protocole d'accord annoncée ce jour pour la commande, par la Grèce, de trois frégates de défense et d'intervention (FDI), conclu dans le cadre d'un renforcement du partenariat stratégique entre la France et la Grèce, et assorti d'une option d'achat d'une frégate supplémentaire. Le président Macron a souligné que ce contrat devait être considéré comme « un témoignage de confiance et de démonstration de la qualité de l'offre française », ce qui constitue un hommage à votre entreprise. Je sais combien les Grecs ont été sensibles aux multiples efforts que vous avez déployés pour remporter ce marché. J'y vois un autre intérêt : le partage d'une même vision, fondée sur la nécessité de promouvoir l'autonomie stratégique de l'Europe, afin qu'elle soit capable de se défendre elle-même, dès lors que les États-Unis semblent avoir choisi de se concentrer sur la zone indo-Pacifique.

J'en viens au contrat « australien ». L'annulation brutale et unilatérale de ce programme, assortie du lancement d'un accord stratégique, baptisé « AUKUS », entre les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, a été dénoncée par le ministre des affaires étrangères français comme « un coup dans le dos » et une trahison de la « relation de confiance » construite avec l'Australie. Elle a provoqué une grave crise diplomatique, incluant le rappel de nos ambassadeurs en Australie et aux États-Unis, que nous auditionnerons, conjointement avec la commission des affaires étrangères, ce soir et demain. Nous aurons l'occasion d'aborder avec eux les aspects géostratégiques de ces décisions. Je compte également sur les travaux de la mission d'information sur les enjeux de défense en Indo-Pacifique, menée depuis le printemps dernier par Mmes Monica Michel-Brassart et Laurence Trastour-Isnart, pour nous aider à comprendre ces problèmes et à nous positionner de façon plus prospective à leur sujet. Une bonne part de leur rapport devrait être consacrée aux conditions et aux conséquences de la décision australienne, ce qui satisfera les demandes, formulées çà et là, de création d'une mission d'information spécifique. Nos rapporteures sont à l'œuvre. Elles poursuivront leurs investigations avec toute la rigueur et la détermination nécessaires. Nos collègues menant une mission d'information dans le cadre de la commission des affaires étrangères sont sans doute dans le même état d'esprit.

Cet après-midi, c'est l'aspect industriel de cette affaire qui nous préoccupe avant tout, notamment les conséquences de la rupture du contrat sur Naval Group. Après la stupeur vient le temps de l'analyse des conséquences du revirement australien sur l'avenir de votre entreprise, ainsi que sur ses personnels et ses sous-traitants, et de l'action juridique à engager pour faire valoir vos droits contractuels, qui sont aussi ceux de la France, l'État étant actionnaire de Naval Group à plus de 60 %. Concrètement, la rupture du contrat vous fera-t-elle perdre de l'argent ? Menace-t-elle des emplois ? Si oui, sur quels sites ? La survie de certains sous-traitants est-elle en jeu ? Espérez-vous un soutien supplémentaire de l'État ? Si oui, lequel ?

Nous attendons également que vous nous expliquiez précisément la façon dont vous avez été informé de la décision des autorités australiennes, et que vous indiquiez les jalons déjà franchis. Même si vous n'êtes pas devant une commission d'enquête, tant s'en faut, nous souhaitons que vous nous disiez franchement et sans détour, en toute confiance, laquelle est réciproque, s'il y a eu des signes avant-coureurs de cette décision, et si vous regrettez rétrospectivement de ne pas avoir pu ou su capter certains signaux faibles. En d'autres termes, à quel point pensez-vous avoir été trompé ? Le président Lescure et moi-même avons répondu favorablement à votre demande de huis clos. Nous attendons donc de vous des paroles franches, directes et précises, dont j'espère qu'elles nous permettront – pour ma part, j'en suis convaincue, vous connaissant un peu – de mieux comprendre cette crise et peut-être d'anticiper les prochaines.

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Madame la présidente, chère Françoise, je m'associe à l'hommage que vous avez rendu à notre soldat tombé au front.

La commission des affaires économiques est heureuse de s'associer à la commission de la défense, ce qui est inédit dans cette législature. Si cette audition porte sur une affaire aux conséquences géopolitiques importantes, la commission des affaires économiques ne pouvait en être absente, car cette rupture de contrat « pour convenance » – celle de la partie australienne – pourrait être lourde de conséquences sur votre groupe, Monsieur le président, et sur la kyrielle de sous-traitants avec lesquels vous travaillez, qui s'étaient sans doute d'ores et déjà investis dans la préparation de ce contrat.

Sa rupture, si j'en crois une interview que vous avez accordée récemment, vous touche mais ne vous coule pas. J'aimerais être rassuré sur ce point. J'aimerais notamment m'assurer que l'activité de vos bureaux d'études, placés en première ligne de ce contrat et déjà très engagés dans sa réalisation, ne sera pas durablement et significativement affectée.

Le hasard faisant bien les choses, vous avez annoncé aujourd'hui la commande de trois nouvelles frégates par l'État grec. Même si les deux sujets sont bien distincts, j'aimerais vous entendre sur vos perspectives à l'exportation, tant du point de vue de l'impact direct de la rupture du contrat par l'Australie que de celui de ses éventuelles conséquences sur votre image de marque et sur votre réputation à l'international. Il importe, me semble-t-il, de vous entendre sur la guerre économique et sur la question de savoir si Naval Group y est bien préparé. Je ne doute pas que, depuis que vous avez signé ce contrat, certains de vos concurrents n'ont pas ménagé leurs efforts pour vous savonner la planche. J'espère que vous disposez des moyens de vous défendre dans ce domaine.

Dernier point : le contrat rompu par l'Australie prévoyait un important transfert de technologie. Quelle est votre philosophie en la matière ? La rupture de ce contrat modifie-t-elle votre approche s'agissant des transferts de technologies dans le cadre des contrats internationaux ?

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Pierre Eric Pommellet, président-directeur général de Naval Group

Madame la présidente, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de me recevoir en qualité de PDG de Naval Group, entreprise française de 16 000 personnes, travaillant sur onze sites. Je qualifie souvent Naval Group d'« entreprise littorale », mais nous ne sommes pas implantés uniquement dans les grands ports français. Nous sommes en effet un millier à Paris et à Ruelle-sur-Touvre, près d'Angoulême.

Je vous remercie à nouveau de m'offrir l'occasion de m'exprimer devant vous au sujet de la décision de l'Australie, intervenue le 15 septembre dernier, de mettre un terme au programme de sous-marins de classe Attack., dont j'évoquerai d'abord la genèse, afin de donner aux représentants de la nation que vous êtes certaines clés d'analyse de la situation.

Le renouvellement de sa flotte de sous-marins constitue un pilier de la modernisation de la marine australienne, prévue par le Livre blanc de l'Australie sur la défense publié en 2009 et réaffirmée depuis, notamment en 2020, lors d'une mise à jour de ce dernier.

Le débat sur la propulsion – nucléaire ou conventionnelle – des sous-marins, en Australie, remonte à plusieurs décennies. Il semblait avoir été tranché dans les années 2000. La marine australienne a toujours fait état du besoin de sous-marins nucléaires pour remplir ses missions. Toutefois, l'Australie ne dispose d'aucune infrastructure nucléaire, civile ou militaire, ni d'aucun savoir-faire et d'aucune compétence dans ce domaine. En outre, le sujet était un point de désaccord politique entre travaillistes et libéraux. L'option nucléaire a donc été écartée par l'Australie, au profit de sous-marins à propulsion conventionnelle.

Le Livre blanc de l'Australie sur la défense publiée en 2009 par le gouvernement de Kevin Rudd, travailliste, prévoit ainsi le développement de douze sous-marins non-nucléaires à long rayon d'action, qui devaient être assemblés en Australie du Sud, en remplacement des six sous-marins de classe Collins à propulsion classique de la force sous-marine australienne. Il en est résulté le projet SEA 1000, confirmé par le Livre blanc publié en 2013 par le gouvernement de Julia Gillard et par celui publié en 2016 par le gouvernement de Malcolm Turnbull. Je précise que les Livres blancs de 2009 et de 2013 excluent spécifiquement la propulsion nucléaire ; quant à celui de 2016, il prévoit des sous-marins de supériorité régionale.

En février 2015, le gouvernement de Tony Abbott, libéral, lance un processus d'évaluation concurrentielle, le CEP, réunissant la France, représentée par DCNS (devenue depuis Naval Group), l'Allemagne et le Japon en tant que partenaires internationaux potentiels pour l'acquisition de futurs sous-marins conventionnels. La déclaration du ministre de la défense, Kevin Andrew, en juin 2015, est assez claire : il s'agit de s'assurer que l'Australie obtiendra « le sous-marin conventionnel présentant les meilleures capacités au monde ». Simultanément, une compétition entre les industriels américains Raytheon et Lockheed Martin a été ouverte pour sélectionner le fournisseur du système de combat.

Le 26 avril 2016, le Premier ministre Malcolm Turnbull annonce que Naval Group est sélectionné pour être le partenaire international privilégié de la conception des sous-marins. La solution retenue est le sous-marin conventionnel Shortfin Barracuda, dérivé du Barracuda, sous-marin français à propulsion nucléaire que nous réalisons pour la marine nationale.

Le contrat de conception et de mobilisation, qui est le contrat initial, a été signé entre le ministère de la défense du gouvernement du Commonwealth d'Australie (CoA) et Naval Group le 30 septembre 2016. Le même jour, le CoA annonçait que l'entreprise américaine Lockheed Martin était retenue pour la fourniture du système de combat. Quant à la construction du chantier naval, elle fut placée sous la responsabilité d'une entreprise publique, Australian Naval Infrastructure. On a beaucoup parlé de sous-marins français ; en réalité, il s'agit d'un programme de sous-marins australiens, visant à créer une souveraineté australienne, associant deux partenaires majeurs, l'un français, Naval Group, l'autre américain, Lockheed Martin, et un chantier naval construit par une entreprise publique.

Les discussions sur l'accord de partenariat stratégique (SPA) entre le CoA et Naval Group ont commencé en novembre 2017. Après de longues négociations, le SPA a été signé le 11 février 2019. Il s'agit d'un contrat-cadre fixant les règles de fonctionnement du programme, pour une durée allant au-delà de 2050, destiné à être assorti de contrats opérationnels. Il prévoyait la construction, en Australie, de douze sous-marins de classe Attack.

Le programme Australian future submarine (AFS), qui s'inscrit dans le cadre de l'accord intergouvernemental signé entre la France et l'Australie en 2016, ne se limitait pas à la conception et à la fourniture de sous-marins. Il visait à créer, en Australie, la capacité souveraine de concevoir en partie, de construire, de faire fonctionner et d'entretenir la future flotte sous-marine. Cet objectif était en quelque sorte la clé de voûte du partenariat stratégique unissant les deux pays, inauguré par la déclaration commune de 2012 et réaffirmé en 2017. Dans ce cadre, Naval Group a bénéficié, tout au long de l'élaboration du contrat, du soutien total de l'équipe de France – Gouvernement, délégation générale de l'armement (DGA), réseaux diplomatiques. Le SPA n'est en aucun cas le contrat du siècle parfois évoqué par les médias. Lorsque notre entreprise a été sélectionnée, il s'agissait d'un accord-cadre permettant à Naval Group et au CoA de négocier, dans un cadre prédéfini, les contrats successifs permettant d'exécuter le programme.

Dès le début, AFS a été scruté par les médias et par le personnel politique australien, qui ont porté une attention toute particulière au respect du calendrier, ainsi qu'à la montée en puissance de l'industrie australienne et aux retombées locales de l'accord, notamment en matière d'emploi. Après les premières études de faisabilité, les travaux de définition du navire ont commencé en mars 2019, dans le cadre d'un premier contrat de conception intitulé « Core Work Scope 1 » (CWS1), ayant une durée de deux ans.

En 2020, nous étions engagés dans la réalisation de ce contrat, lorsque la crise du covid-19 est survenue, empêchant tout déplacement, donc toute réunion des équipes de Naval Group, du CoA et des partenaires du contrat, basés de part et d'autre du monde. Naval Group n'en a pas moins engagé des efforts sans précédent et accompli des avancées majeures pour surmonter l'obstacle, notamment en matière de tenue du calendrier. Ainsi, nous nous étions engagés à réaliser une revue de définition fonctionnelle en janvier 2021. En dépit du covid-19, nous avons tenu le calendrier de ce jalon majeur, grâce à un effort considérable des équipes concernées qui ont travaillé à distance en 2020.

Nous avons aussi adopté plus rapidement que prévu au contrat, une stratégie d'« australianisation » des opérations prévues par le programme et avons signé en mars 2021 un accord important, dans lequel Naval Group et la France s'engageaient à faire en sorte que 60 % de la valeur du contrat soit réalisée en Australie, ce qui était une première dans les contrats de défense australiens et répondait à la demande politique de souveraineté australienne.

Par ailleurs, les transferts de compétences et de responsabilité vers l'Australie ont été réalisés en avance de phase. Ainsi, le Conseil d'administration de la filiale Naval Group Australia, exclusivement dédiée au Programme AFS, a été renforcé en décembre 2020 par la nomination de David Peever -industriel australien respecté- en tant que Président du Conseil d'administration, et la nomination en juillet 2021 de Jane Hatton ancienne Secrétaire aux finances et ancien membre du comité directeur de la commission nationale de coordination sur le covid 19.

Une nouvelle phase des relations s'est ouverte en 2021. Je me suis rendu en Australie en février 2021. Je devais y aller dès ma nomination à la tête de Naval Group, le 24 mars 2020, après avoir visité nos sites français. À cette date, la France était confinée depuis une semaine, et l'Australie s'est confinée encore plus strictement quelques mois plus tard. En dépit de ces difficultés, je m'y suis rendu dès que possible pour marquer l'importance du programme AFS pour Naval Group et notre volonté de collaborer avec le gouvernement australien pour réaliser cette ambition.

J'ai passé les quinze premiers jours de mon séjour en confinement, comme toute personne qui se rend en Australie. Ma visite a été particulièrement bien perçue par les autorités australiennes, qui semblaient avoir initié une dynamique nouvelle. Un processus collaboratif a été adopté avec notre client, et nous avons installé des groupes de travail conjoints sur les principaux sujets du programme, notamment le calendrier d'ensemble, le coût complet du projet, l'analyse des risques et les systèmes d'information. Cette démarche collaborative a permis de remettre une nouvelle offre, concertée et acceptable, au mois d'août 2021, soit à la date prévue, en vue de conclure le deuxième contrat de conception, le « Core Work Scope 2 » (CWS2), destiné à prendre le relais du précédent et censé prendre effet à la mi-septembre 2021.

Les progrès réalisés ont conduit le CoA à saluer les efforts entrepris par les équipes de Naval Group, et ceà plusieurs reprises en 2021 en dépit de la crise sanitaire. Le gouvernement australien s'est félicité des performances réalisées par les équipes techniques de Naval Group, et avait notifié formellement, le 15 septembre 2021 au matin, l'acceptation de la revue que nous avions entamée en janvier. Cette acceptation formelle valait reconnaissance que notre conception des navires et notre ingénierie étaient conformes aux besoins exprimés par l'Australie.

Le 15 septembre à 13 h 30, nous apprenons que ce besoin a changé. Cette annonce était inattendue. Le partenariat AUKUS est une décision politique, qui s'inscrit dans le cadre d'une alliance stratégique entre l'Australie, les États-Unis et la Grande-Bretagne. L'Australie a décidé que la réponse adaptée à ses besoins était une flotte de sous-marins nucléaires et non plus une flotte de sous-marins conventionnels, ce qui constitue un changement complet et soudain de la stratégie retenue jusqu'à présent et régulièrement présentée dans les revues et les Livres blancs.

Nous respectons, certes, le choix stratégique d'un pays souverain. Mais il importe de préciser que cette décision n'est en aucun cas la conséquence d'une défaillance de Naval Group. Au demeurant, les autorités australiennes ont mis un terme au contrat pour convenance, et non pour faute, reconnaissant ainsi que Naval Group n'a commis aucun manquement à ses obligations. Nous avons tenu tous nos engagements : contractualisation de 60 % de contenu local, entrée en revue à la date prévue, clôture à la date prévue, confirmation de nos engagements sur le calendrier et sur les coûts. Nous avons réalisé toutes les tâches qui nous ont été confiées, à la plus grande satisfaction de nos clients australiens, qui ont reconnu que l'acquisition de sous-marins de classe Attack était la meilleure solution conventionnelle possible.

Cette annonce a pris de court les équipes de notre entreprise, ainsi que nos partenaires, en France et en Australie. Nos échanges avec les autorités australiennes ne laissaient rien présager de tel. Nous étions sur le point de finaliser la négociation et de notifier la phase suivante du contrat.

À aucun moment les interlocuteurs de Naval Group, aux échelons opérationnels et politiques, n'ont suggéré l'éventualité d'une option nucléaire ou de la rupture du contrat. À l'échelon opérationnel, la relation entre les équipes du programme était excellente, dans le cadre d'un travail collaboratif en cours. Tous les signaux étaient au vert pour passer à la phase suivante, notamment à partir du 15 septembre au matin.

Certes l'Australie avait engagé une réflexion stratégique sur ses besoins capacitaires en février 2021. Le Premier ministre a ainsi ordonné la revue de tous les programmes militaires australiens, en particulier les programmes navals, et notamment, en leur sein, les programmes de sous-marins, incluant la mise à niveau des sous-marins en service, la revue du programme AFS et l'examen de solutions capacitaire complémentaires, voire alternatives. Toutefois, les plans B évoqués par la presse et les politiques, fondés le plus souvent sur une option suédoise ou une option allemande, ont systématiquement été publiquement écartés par les officiels australiens.

Certaines autorités australiennes, avaient même réaffirmé leur soutien à Naval Group et au programme AFS. Ainsi, M. Greg Moriarty, Secrétaire à la défense, que j'ai eu au téléphone le 15 septembre à 13 h 30 pour nous annoncer la fin du contrat, a déclaré au Sénat le 2 juin au matin que le gouvernement australien était absolument engagé (« committed ») avec Naval Group, qui a ouvert des bureaux à Port Adélaide, pour construire des sous-marins de supériorité régionale. Le 11 juin, M. Peter Dutton, ministre de la défense, affirmait publiquement, lors d'une conférence donnée à l'Institut australien de stratégie politique (ASPI), que le programme AFS était sur la bonne voie ( « back on track »), après un long débat sur l'attribution à l'industrie australienne de 60 % de l'engagement contractuel du programme AFS, sujet politique sur lequel nous étions attendus.

Le programme était suivi à un très haut niveau, dans le cadre de rendez-vous téléphoniques trimestriels entre les ministres de la défense australiens et français, préparés par les équipes du ministère des armées et de Naval Group. Ils ont régulièrement été l'occasion, pour les ministres, de rappeler leur attachement au programme et d'afficher la satisfaction que leur procurait le franchissement des jalons.

Rien n'a été mis sur la table lors de la dernière rencontre au niveau 2+2 (Défense/Affaires étrangères) comme précisé dans le communiqué conjoint rappelant l'importance du programme AFS de sous-marins.

L'option de sous-marins nucléaires fournis par les Américains semblait irréaliste car elle était contradictoire avec certaines critiques qui avaient été adressées au programme AFS. Elle revenait dans les débats publics, essentiellement militaires, mais elle était systématiquement balayée par le Gouvernement. En novembre 2019, Linda Reynolds, alors ministre de la défense, déclarait qu'un sous-marin à propulsion nucléaire n'était pas considéré comme une option pour l' Attack-class submarine. Celle-ci ne semblait en effet pas crédible en raison du manque d'infrastructures nucléaires en Australie, de l'apparente opposition des politiques mais, surtout, elle ne répondait pas aux critiques auxquelles faisait face le programme AFS.

Tout d'abord, s'agissant des coûts : puisque celui d'un programme nucléaire sera bien supérieur à celui d'un programme conventionnel.

Ensuite, le calendrier : nous devions coûte que coûte tenir nos dates de livraisons, prévues au début de 2030, et de toute évidence, un sous-marin nucléaire construit en Australie serait livré bien plus tard.

À cela s'ajoute cet élément clé qu'était l'implication de l'industrie australienne. Nous avons interrogé plus de 2 000 entreprises australiennes : que deviendront ces dernières dans le cadre d'un programme de sous-marins nucléaires, l'Australie ne disposant d'aucune compétence dans ce domaine ?

Enfin, la souveraineté : le programme mentionnait en permanence la nécessaire souveraineté industrielle, ce que nous comprenions parfaitement, nous, Français. Qu'en sera-t-il en choisissant un sous-marin nucléaire ?

Un revirement stratégique de cette ampleur était difficilement envisageable.

Le Premier ministre Scott Morrison a même publiquement déclaré le 16 septembre, le jour de la résiliation, que les réflexions sur l'AUKUS avaient commencé il y a dix-huit mois à l'initiative de Linda Reynolds qui a été ministre de la défense jusqu'en mars 2021.

Dix-huit mois, cela signifie que les Australiens commençaient déjà à réfléchir à l'acquisition de sous-marins nucléaires alors qu'ils avaient à peine signé l'accord de partenariat stratégique (SPA) les engageant pour des dizaines d'années à partir de travaux « AFS » lancés depuis seulement quelques mois.

Dix-huit mois, cela signifie que les équipes de Naval Group ont travaillé d'arrache-pied quand, dans le plus grand secret, l'élaboration d'AUKUS était menée en parallèle.

De bonnes relations avec les équipes « programme » nous invitent à penser qu'elles-mêmes n'étaient pas au courant. Je suis absolument certain que nos interlocuteurs ont découvert le choix du sous-marin nucléaire en même temps que nous. Nous avons reçu nombre de messages attestant de leur désarroi et de leur sympathie.

En février dernier, le contrat Core Work Scope 1 arrivait à son terme. Les Australiens souhaitaient avoir plus d'informations, notamment, pour confirmer les coûts, les plannings, les délais, mais aussi plus de temps pour négocier les offres. Ils nous ont donné des financements complémentaires pour tenir jusqu'en septembre 2021. Pour maintenir des compétences, nous avons également décidé de laisser travailler un certain nombre de personnes sur le programme en finançant nous-mêmes ces activités. Jusqu'au dernier moment, Naval Group a été laissé dans le flou le plus complet. Il est probable que nous n'ayons jamais de réponses précises et complètes à nos interrogations car le secret est très bien gardé. Nul, parmi nos interlocuteurs directs ne devait être dans la confidence. Sur un plan politique ou opérationnel, à aucun moment nous n'avons été avertis de l'imminence d'une résiliation du contrat. Celle-ci paraissait hors de propos tant les conséquences auraient été importantes pour l'Australie.

Les conséquences sont également importantes pour quatre-vingts familles australiennes installées à Cherbourg et la trentaine de Français qui vivent à Adélaïde. Le 15 septembre au matin, 350 personnes, en Australie, et 650, en France – sans compter des centaines de sous-traitants – travaillaient sur ce programme.

Pour toutes ces raisons, un arrêt brutal paraissait impossible. La décision australienne est décevante, tout comme la manière. Il y a bien des façons de rompre un contrat, mais une brutalité pareille est inédite.

Le Gouvernement australien a reconnu que le bâtiment spécifiquement conçu pour l'Australie par Naval Group aurait été le sous-marin conventionnel le plus performant du monde. Il a également reconnu la compétence de Naval Group en résiliant le contrat pour convenance et non pour faute.

Aujourd'hui, je suis très fier de nos équipes et partenaires français et étrangers qui ont travaillé sur ce programme pendant cinq ans et qui pouvaient apporter à l'Australie leur expertise pour renforcer sa souveraineté. Le sous-marin que nous nous apprêtions à livrer à l'Australie aurait répondu à sa mission, aujourd'hui et demain car un sous-marin à propulsion conventionnelle, avec son moteur diesel chargeant des batteries, permet de mener des missions très discrètes. Les technologies autour des batteries évoluent très vite et les performances des sous-marins continueront à progresser. L'Australie nous avait d'ailleurs fait part d'études amont afin de travailler à l'amélioration des batteries et de prévoir l'évolution du sous-marin Attack.

Je me suis rendu dès le lendemain de l'annonce de la rupture du contrat à Cherbourg qui est notre site le plus touché avec 500 personnes sur les 650 concernées en France.

Nous sommes désormais mobilisés pour la phase de transition, afin de trouver un accord avec l'Australie sur les modalités de sortie du programme. Nous ferons bien sûr valoir nos droits mais la priorité, aujourd'hui, est de travailler avec les équipes concernées afin d'examiner l'ensemble des possibilités de reclassement et de s'assurer du rebond de Naval Group.

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Je vous remercie, au nom de mon groupe, pour votre présence et ce rappel de l'historique du programme.

En mars 2016, la Représentation nationale se félicitait de la signature du plus important contrat-cadre jamais passé par un industriel français pour du matériel de défense. Ce fut une nouvelle exceptionnelle pour nous, pour la France, pour les élus de la Manche et, en particulier, du Cotentin, mais aussi pour notre industrie navale de défense, nos entreprises, nos collectivités, les salariés.

Son montant total s'élevait à 50 milliards de dollars australiens, soit 31 milliards d'euros. Le « coup de poignard » dans le dos, comme l'a dit Jean-Yves Le Drian, a été porté le 15 septembre dernier, malgré la validation des objectifs le matin même, vous l'avez rappelé. Rien ne l'annonçait. Nous n'avons pas voulu y croire tant la relation franco-australienne était en plein essor. Ce fut, pour votre entreprise et ses collaborateurs, un coup de massue, alors que tous s'étaient engagés pleinement pour sa réussite. Ce fut la sidération pour ceux qui sont engagés dans la stratégie française en zone indo-Pacifique, pour les collectivités, la communauté d'agglomération du Cotentin, la ville de Cherbourg, lesquelles ont fait en sorte de pouvoir accueillir des familles australiennes dans les meilleures conditions grâce notamment à la création de classes bilingues – et je ne parle pas des effets dominos sur les sous-traitants et l'ensemble des partenaires de Naval Group…

Quelles seront les conséquences de la décision du trio américano-britannico-australien pour les sous-traitants impliqués dans ce contrat et sa réalisation ?

Pouvez-vous nous rassurer sur le plan de charge à venir et les perspectives de Naval Group pour l'ensemble de ses sites, en particulier, celui de Cherbourg ?

Quelle stratégie allez-vous déployer à la suite de cette décision lourde de conséquences ?

Quelles mesures prendrez-vous afin de maintenir les compétences ? Qu'en est-il des négociations de sortie de crise avec l'Australie : indemnisation, conditions de rupture de contrat, droits contractuels auxquels vous êtes bien évidemment attachés ?

Enfin, je salue l'ensemble de vos collaborateurs, dont je connais la détermination à travailler pour l'avenir de notre industrie de défense. Nous serons, ici, à vos côtés.

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Je suis convaincu que votre exposé est sincère et exact mais, vous ne m'en voudrez pas, il ne suffit pas à nous éclairer sur les causes et les conséquences de ce désastre. Il me semble qu'il faut aller au-delà et continuer à analyser ses aspects industriels, diplomatiques, militaires, stratégiques et politiques.

Nous avons bien noté, Madame la présidente de la commission de la Défense nationale, que vous envisagez de procéder à d'autres auditions à ce sujet, mais cette formule nous semble très insuffisante pour deux raisons.

Tout d'abord, parce que les auditions ne donnent lieu qu'à la rédaction d'un compte rendu et non d'un rapport soumis à l'approbation de la ou des commissions compétentes.

Ensuite, parce que dans les semaines à venir l'agenda des commissions sera presque entièrement consacré à l'examen du projet de budget pour 2022. Nous savons de surcroît que nos travaux s'interrompront en février 2022. Les Républicains vous ont donc demandé par écrit – ainsi qu'au président de la commission des affaires étrangères et à la présidente de la commission des affaires européennes –, en application des articles 145 et suivants de notre règlement intérieur, de constituer une mission d'information, dont le rapport sera soumis à l'approbation des commissions. Cette procédure, évoquée par le président de notre assemblée en conférence des présidents, répondrait parfaitement à nos préoccupations et à nos questions : compréhension du processus de désengagement australien, temps nécessaire à la sortie de la phase « choc » de cette annonce, liberté pour les rapporteurs d'organiser les travaux et de prévoir les auditions qu'ils souhaitent mener parallèlement au travail de la commission de la défense sur le PLF pour 2022.

Plus généralement, il convient de répondre aux besoins de transparence et à la nécessité d'une information transpartisane.

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Je note que vous n'avez pas profité de votre temps de parole pour interroger M. Pommellet. En ce qui concerne votre demande, cette audition commune n'est pas le cadre adapté pour y répondre ; nous en parlerons ultérieurement.

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Au nom de mon groupe et, notamment, des commissaires Josy Poueyto et Jean-Pierre Cubertafon, très engagés sur les questions humaines au sein de notre défense, je vous remercie, Madame la présidente, pour les propos que vous avez tenus sur le valeureux guerrier que nous avons perdu cette semaine.

Au nom de mon groupe, Monsieur Pommellet, je vous assure de notre soutien et de notre confiance en Naval Group, en vos hommes, en la filière nucléaire que vous représentez dignement, comme nous avons d'ailleurs confiance en la filière aéronautique que mon collègue Jean-Luc Lagleize représente parmi nous.

Pour faire de l'une de nos forces une faiblesse, le 19 septembre dernier, le Premier ministre australien évacuait l'hypothèse de commander des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) français en arguant de la nécessaire visite périodique tous les sept ans. Il ignorait ou oubliait que les chaudières nucléaires, construites avec TechnicAtome, sont enrichies à 4 % ou 5 % et répondent à des normes de sécurité internationale et civile quand celles des Américains sont enrichies à 90 %, ce qui implique une périodicité de trente ou trente-cinq ans.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la création de micro-chaudières d'une capacité de 170 mégawatts, lesquelles pourraient devenir un atout fondamental dans la compétition cette fois civile autour des Small modular reactors (SMR) – je rappelle que cette compétition internationale vise à substituer des microcentrales nucléaires aux centrales à charbon de 300 ou 400 mégawatts ? En quoi cette technologie vous permettrait-elle d'offrir une solution 100 % française dans le programme Nuward ?

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Je m'associe à vos propos, Madame la présidente, concernant le militaire mort pour la France, sa famille et ses compagnons d'arme.

Je vous remercie, Monsieur Pommellet, pour votre présentation et vos précieuses explications. Nul ne doute de l'énergie que vous avez mise à la réalisation de ce contrat, non plus que de la sidération faisant suite à sa rupture. Même les anecdotes que vous avez rapportées – l'évolution de la situation le 15 septembre, entre la matinée et 13 h 30 – sont significatives d'une certaine duplicité.

Les médias se sont fait écho de licenciements et vous avez quant à vous évoqué des reconversions. Qu'en sera-t-il précisément ? Quid des conséquences de cette rupture de contrat pour les sous-traitants ?

L'axe Indo-Pacifique devient stratégique. N'est-il pas temps pour la France de réfléchir à sa diplomatie dans cette région du monde, y compris sur un plan économique, face à celle des États-Unis et des pays anglo-saxons ? Ne faudrait-il pas s'inspirer du lobbying américain ?

La recherche et l'innovation évoluent rapidement, y compris dans le domaine des batteries. Quelles perspectives d'exportation avons-nous dans un monde en mutation ?

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Notre groupe s'associe à l'hommage rendu au caporal-chef Blasco.

Nous étions aux assises de l'économie maritime, à Nice, le 15 septembre, lorsque la décision australienne est tombée. Dans ce dossier aux multiples facettes, la dimension politique est primordiale. Vous l'avez dit, la vente de sous-marins s'inscrivait dans le cadre plus large d'un véritable partenariat de long terme puisque la relation d'équipements se doublait d'une relation opérationnelle et d'une volonté de développer une industrie australienne plus souveraine. Cette volte-face constitue bien une rupture de confiance entre alliés.

Plusieurs observations sur le plan industriel.

J'insiste : ce revirement est politique. La crédibilité de l'offre française en matière d'armement n'est pas ternie, comme l'illustre brillamment le contrat grec. Dans le domaine des submersibles, nous exportons au Brésil, en Inde, en Malaisie, au Chili et notre savoir-faire est reconnu. De nouveaux prospects sont évoqués dans la zone indopacifique, notamment, en Inde. Peut-être pourrez-vous revenir sur cette question.

Par ailleurs, l'histoire n'était pas écrite. Nous savons que les programmes d'armement ne sont jamais de longs fleuves tranquilles. Certes, un certain nombre de signaux plus ou moins faibles avaient été envoyés sur le plan politique, en particulier depuis l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Scott Morrison, mais l'annonce de l'AUKUS a été soudaine et brutale.

Bref, tous les éléments sont sous nos yeux, mais gardons-nous d'un certain biais rétrospectif : nul besoin d'une commission d'enquête pour ressasser ce que nous savons déjà. Tournons-nous vers l'avenir !

Ce contrat a souvent fait l'objet d'attaques par nos camarades et compétiteurs d'outre-rhin notamment, alors qu'il prévoyait 60 % d'offset et la construction d'une véritable industrie souveraine en Australie. Quelles leçons devrions-nous tirer en matière de soutien aux exportations ?

S'agissant des négociations dites « pour rupture de convenance », vous avez précisé les dispositions contractuelles prévues en cas de contentieux. Qu'en attendez-vous ?

S'agissant des conséquences sociales, je connais votre mobilisation. Pouvez-vous rassurer les salariés ? Pourront-ils être reclassés sur des contrats « souverains » ou d'« export » ? Je pense également à la chaîne de sous-traitance et au maintien de ses compétences.

Nous ne disposons pas encore des « bleus » budgétaires mais, traditionnellement, la part des programmes d'études amont revenant au programme naval fait l'objet d'intenses discussions avec l'industriel du secteur. Afin de supporter l'activité des bureaux d'études et de votre entreprise, faut-il accentuer le soutien à certains projets et, si oui, lesquels ? Faut-il accélérer le calendrier du programme SNLE 3G ou d'autres programmes comme celui du porte-avions de nouvelle génération (PANG) ?

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Nous savons que les modalités du contrat de vente de ces sous-marins prévoyaient d'importants transferts de technologies et de savoir-faire ainsi que la réalisation de chantiers navals, 60 % de la valeur du contrat étant réalisés sur place afin que l'Australie puisse développer une filière souveraine de construction dans le cadre d'un partenariat de plusieurs décennies avec la France.

Compte tenu des cinq années écoulées depuis l'annonce du contrat, nous pouvons nous inquiéter s'agissant du transfert déjà accompli de technologies propres à Naval Group et du risque de leur réutilisation dans le cadre du nouveau partenariat AUKUS. Pouvez-vous préciser la nature de ces transferts ? Seront-ils indemnisés à leur juste valeur ? Comment éviter leur réutilisation par l'Australie ?

Enfin, les ingénieurs et les techniciens seront-ils tous rapatriés ? Des clauses de non-concurrence ont-elles été prévues afin d'éviter des fuites vers le nouveau programme ?

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La résiliation du contrat pour convenance de la part de l'Australie devait entraîner le paiement des coûts engagés et à venir liés à la démobilisation physique des infrastructures, de l'informatique et du reclassement des employés. Quelles contreparties Naval Group espère-t-il ? L'État vous accompagne-t-il dans cette phase de révocation du contrat ?

Ce sont 650 salariés du groupe qui travaillent sur ce dossier en France et un certain nombre d'autres en Australie. Comme beaucoup, je m'interroge sur les conséquences sociales et économiques de cette rupture. Qu'en sera-t-il en particulier du maintien de l'emploi au sein du groupe, dans les territoires, mais aussi des savoir-faire et des compétences très diverses que vous avez évoqués ? Quelles seront les conséquences pour les sous-traitants ? Les accompagnerez-vous, alors que certains d'entre eux sont plus fragiles économiquement et moins bien armés juridiquement que vous ?

Ce contrat représentait environ 10 % de vos ventes, soit 500 millions d'euros par an. La perte de ce revenu risque-t-elle de porter atteinte au développement de vos capacités industrielles et d'innovation ? Quelles seront les conséquences en termes de recherche ?

Vous avez annoncé la conclusion d'un contrat avec la Grèce pour la livraison de trois frégates françaises de dernière génération pour un montant d'environ 3 milliards d'euros. Seront-elles construites en France ? Qu'en sera-t-il des conséquences économiques, notamment en termes d'emplois ?

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Naval Group est un poids lourd – 16 000 salariés –, qui exerce son activité dans un secteur – le commerce des armes – qui n'est pas tout à fait comme les autres. Comme le disait le général de Gaulle, en la matière, les États n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts. L'État français étant actionnaire à 63 % de votre entreprise, il est légitime que la Représentation nationale vous demande de nous apporter des explications en toute transparence.

Je souhaite que nous complétions l'exposé franc que vous nous avez livré par une audition des organisations syndicales, qui pourront nous donner leur avis sur la commande australienne et, éventuellement, nous faire part des aléas et des risques qu'elles avaient signalés. Je les ai rencontrées à plusieurs reprises pour évoquer les conséquences économiques et sociales d'une stratégie d'externalisation qui fait peser une menace sur la souveraineté de l'entreprise.

Vous nous avez expliqué comment votre groupe et, partant, la France ont été roulés dans la farine. Nous estimons que cette affaire doit être l'occasion pour l'État actionnaire et Naval Group de revoir la stratégie industrielle et commerciale de l'entreprise que vous dirigez. Monsieur le président-directeur général, qu'en pensez-vous ?

Aujourd'hui, on danse le sirtaki parce qu'on a signé le contrat avec les Grecs, mais nous savons tous qu'il était dans les tuyaux depuis deux ans. En outre, il ne représente pas un grand poids en termes de chiffre d'affaires : il aura des conséquences économiques et sociales limitées.

Naval Group a fait le choix, avec l'assentiment de l'État actionnaire, dans la continuité de la politique des Présidents de la République successifs, d'asseoir son développement sur l'exportation à tous crins. Il a créé des montages industriels qui organisent l'externalisation des activités, allant même jusqu'à encourager la délocalisation d'une partie de la production. Naval Group a ainsi pris le risque de s'exposer, comme cela s'est vérifié avec ce « contrat du siècle », à des changements géopolitiques. Cela ne doit-il pas nous conduire à ré-internaliser un certain nombre de commandes, y compris pour les besoins de notre pays ? Le Parlement doit avoir son mot à dire à ce sujet. Il faudrait « reprendre pied dans le domestique », comme disent les salariés. Aujourd'hui, Naval Group travaille dans le noir – les sous-marins – mais a délaissé le gris – les bâtiments de surface. Ce n'est pas le résultat de la fatalité mais d'un choix stratégique industriel. Nous souhaitons obtenir la garantie que les collaborateurs – dont vous avez dit qu'ils n'étaient aucunement responsables de cette situation – verront leur emploi, leurs savoir-faire, leur dignité, leur ancrage en Normandie préservés.

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Pierre-Éric Pommellet

Près de 1 000 personnes travaillaient sur le programme des sous-marins, dont 650 en France. Si l'on peut penser qu'un certain nombre de reconversions auront lieu en France, cela sera différent en Australie. Dans ce pays, l'activité AFS de Naval Group va s'arrêter. Les 350 personnes qui y concourent, dont 20 Français expatriés, n'auront plus d'activité. Le gouvernement australien a créé un talent pool, sorte de bourse aux emplois, dans la région d'Adélaïde, dont pourront bénéficier nos personnels – étant précisé que l'Australie connaît une activité économique plutôt favorable en ce moment. Il n'en reste pas moins que je pense aussi à eux, car ils ont subi un choc particulièrement violent. Je pense aussi aux Australiens présents en France, qui se demandent s'ils doivent rester ou repartir. Ils ont eux-mêmes été extrêmement surpris de la décision de leur pays.

Nous avons constitué une équipe importante travaillant au sein des départements des ressources humaines, sur tous les sites de Naval Group, pour établir des contacts, le plus vite possible, avec les personnes concernées. Nous sommes en train de recueillir leurs aspirations. Beaucoup de jeunes, notamment des ingénieurs, nous ont rejoints en raison de notre activité à l'international, et en particulier pour travailler sur le programme avec l'Australie.

Dans le même temps, nous examinons les possibilités de charge au sein du groupe. Nous serons assez vite confrontés à une difficulté : la plupart des salariés concernés – près de 500 personnes – se trouvent à Cherbourg, mais les postes sont ouverts dans l'ensemble de l'entreprise – non seulement à Cherbourg, mais aussi à Brest, à Lorient, à Toulon, à Angoulême etc. Nous avons engagé un processus visant à mettre en adéquation les possibilités d'affectation au sein du groupe et les aspirations des uns et des autres.

J'ai également demandé à nos sous-traitants d'être vigilants. Nous avons un peu plus d'une centaine de fournisseurs concernant le programme australien, qui se préparaient à la montée en charge. Il est essentiel que, dans notre analyse des ressources et du potentiel, nous prenions en compte les problématiques de ces entreprises.

On se trouvait au début du processus et dans un programme comme celui-là, la phase d'ingénierie, de conception est extrêmement longue. On avait terminé la première étape, on allait commencer la deuxième. On en était encore au basic design, on allait passer au detailed design. L'ingénierie finale du sous-marin devait se terminer en 2027-2028.

Le volume des commandes sera essentiel pour permettre le repositionnement des personnels. Il importe donc qu'un certain nombre de commandes qui étaient à venir ou simplement envisagées, notamment par la France, soient passées plus vite que prévu pour mieux adapter l'offre – en particulier les postes à Cherbourg – à la demande.

Le programme des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération a commencé cette année. Il est dans la même phase d'ingénierie que le programme australien. Les salariés travaillent au même endroit, à Cherbourg ; les mêmes compétences sont utilisées. Il serait souhaitable que l'on puisse accomplir en 2022 les tâches d'ingénierie qui étaient prévues plus tard, en 2024, 2025, voire 2026. Cela présenterait le double avantage d'utiliser une compétence immédiatement disponible et de haut niveau et d'accélérer le programme des SNLE.

Il faut veiller à ne pas céder à la facilité de la réinternalisation des tâches d'ingénierie actuellement sous-traitées à des entreprises en France. Il peut effectivement y avoir un effet domino : on reporterait le problème de Naval Group sur d'autres. Je suis attentif à nos fournisseurs et nos sous-traitants et le groupe les accompagne dans l'élaboration de leur dossier justificatif de leurs coûts.

Il nous faudra plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour analyser l'impact de la décision australienne et les possibilités de reclassement. Nous avons la possibilité de reclasser immédiatement un certain nombre de personnes, mais nous allons être confrontées dans les semaines qui viennent à des situations difficiles. La mise en relation des envies personnelles et des capacités de l'entreprise, et la signature éventuelle de contrats complémentaires nous permettront de quantifier l'impact réel de la décision australienne.

Nous avons répété à tous nos clients les propos du Premier ministre australien, selon lequel l'arrêt du programme n'était pas lié à un problème de performance de Naval Group. Nous sommes engagés dans un certain nombre de campagnes à l'exportation.

La décision australienne se traduisant par une perte de 500 millions d'euros de revenus potentiels annuels, soit 10 % du chiffre d'affaires de Naval Group, elle aura nécessairement un impact sur notre capacité à financer nos investissements. Nous allons cependant nous attacher à essayer de compenser ce manque à gagner, en nous assurant du soutien de nos clients, en particulier de notre client français, concernant l'innovation dans le domaine naval. Le naval n'est pas toujours bien doté dans les budgets de l'innovation. C'est peut-être l'occasion de repenser son financement, eu égard à l'importance et à l'engagement des forces navales pour la souveraineté de notre pays.

Nous discutons de plusieurs dossiers, en matière d'innovation, avec la direction générale de l'armement (DGA). Leur concrétisation pourrait là aussi être accélérée, ce qui aurait le double avantage de créer une capacité opérationnelle et d'utiliser des compétences disponibles de haut niveau. Je pense, en particulier aux systèmes de drones navals, dont se dotent aujourd'hui les forces armées de nombreux pays. L'innovation dans les drones est un axe stratégique de Naval Group, qui pourrait être soutenu par des projets de recherche et développement.

Les innovations en matière énergétique se multiplient, et elles pourraient être partagées en Europe. Nous conduisons à l'heure actuelle des projets avec l'Italie pour décarboner le maritime, qui pourraient aussi s'appliquer aux navires militaires. L'acceptabilité de ceux-ci dans la société de demain imposera, de fait, une décarbonation. Ils ne pourront pas tous être à propulsion nucléaire, laquelle est extrêmement complexe et ne concerne que quelques bâtiments. La décarbonation des navires de surface est un autre exemple de projet de recherche et développement pouvant être accéléré. Voilà quelques composantes de notre plan de rebond, qui s'inscrit dans le cadre de notre stratégie industrielle.

Le contrat avec notre client australien décrit clairement le processus de la résiliation pour convenance. Le travail de recensement est en cours chez nous et chez nos fournisseurs et nos sous-traitants, en France comme en Australie. Le client analysera nos propositions, avant qu'une négociation ne démarre. Nous souhaitons aller vite, mais il nous faudra encore du temps pour avoir sur la table l'ensemble des conditions de résiliation, compte tenu de la complexité du programme.

Le transfert de technologies est un chapitre fondamental du programme, mais je rappelle que nous n'étions qu'aux prémices de celui-ci. Le transfert de technologies s'est d'abord traduit, pendant les phases d'ingénierie, par la transmission de documents dont le client, en vertu du contrat, a acheté une partie de la propriété intellectuelle. Nous sommes précisément en train de recenser, en faisant preuve d'une extrême vigilance, ce qui relève du foreground – ce qui est donc acheté par le client – et du background – ce qui nous appartient et que le client n'a pas le droit d'utiliser librement.

Sur le nucléaire civil, nous faisons partie avec TechnicAtome du projet NUWARD, piloté par EDF, qui porte sur la conception d'un réacteur de petite taille, et qui constitue une vraie réussite industrielle de la France.

Naval Group emploie 16 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros, dont une part importante à l'export. L'export nous offre la possibilité d'avoir un modèle complet et équilibré. Elle est nécessaire à notre équilibre – à moins qu'on augmente notre budget à concurrence de ce que nous rapportent les exportations… La France soutient pleinement les exportations. Nous avons dû nous engager à ce que le contrat soit réalisé en Australie pour 60 % de sa valeur, à ce que l'industrie australienne soit impliquée et que l'on respecte nos délais. Nous avons dû évaluer l'industrie australienne, interroger 2 000 entreprises sur leurs capacités. Cela nous a pris du temps de souscrire cet engagement et, in fine, nous l'avons pris et nous l'avons contractualisé.

Nous avons surmonté les difficultés inhérentes à un tel programme par nos actions. S'agissant des délais et des coûts, nous avons été à l'heure, malgré le covid et l'impossibilité pour les équipes de se déplacer. Nous avons contré tous les signaux d'alerte les uns après les autres, et tous les indicateurs sont progressivement passés au vert. Cette rupture stratégique donc ne peut être qu'une surprise

La guerre économique est notre lot commun. En la matière, rien n'est facile, notamment lors des campagnes à l'exportation. À cet égard, je tiens à remercier nos ambassadeurs de leur remarquable travail de soutien. Chaque fois que nous nous rendons quelque part, nous commençons et terminons par l'ambassade : nous leur rendons compte de ce que nous faisons, et ils nous font part de leur compréhension du contexte. C'est avec une telle équipe que nous pouvons avancer.

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Co-rapporteure, avec Monica Michel-Brassart, de la mission d'information sur les enjeux de la défense en Indo-Pacifique, je soulèverai un problème géopolitique. La rupture du contrat avec l'Australie au profit des États-Unis montre l'affaiblissement de la stratégie d'influence de la France dans la zone indo-pacifique. Pourtant, ce contrat avait été remporté grâce à votre savoir-faire technologique d'excellence. Les pays de la zone cherchent naturellement leur indépendance et veulent profiter des opportunités économiques tout en se faisant des alliés pour défendre et protéger leur territoire. La résiliation du contrat est révélatrice des enjeux régionaux : tensions entre la Chine et les puissances voisines, affirmation de la puissance des États-Unis ; l'Australie est depuis trois ans malmenée par Pékin et par ses ambitions.

Compte tenu de ces tensions, le gouvernement australien n'a-t-il pas diplomatiquement prévenu la France de l'éventualité de la rupture ? Y a-t-il eu des messages que la France n'a pas entendus, persuadée que la résiliation n'était pas concevable ? Vous avez dit vous-même qu'elle vous paraissait « dingue ».

Dans ce contexte, comment Naval Group entend-il affirmer ses compétences incontestables auprès des acteurs régionaux ?

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Je vous remercie sincèrement de tous les éléments clairs et précis que vous nous avez communiqués, en particulier concernant la genèse du dossier.

On peut s'interroger sur la stratégie de l'Australie s'agissant des délais de réception des sous-marins lorsqu'elle choisit le partenariat AUKUS : cela va lui faire perdre dix ans, alors que le respect du calendrier était un aspect important des négociations. Nous poursuivrons l'analyse sur ce point dans le cadre de notre mission d'information.

Vous avez évoqué la campagne de commercialisation en Europe ; en Indo-Pacifique, pensez-vous que l'Inde ou l'Indonésie pourraient accélérer ou modifier leur stratégie d'une façon qui induise des commandes pour Naval Group ?

Enfin, j'ai lu dans la presse que les États-Unis regarderaient vers l'Inde en vue de partenariats futurs. Qu'en pensez-vous, vous qui avez évoqué la guerre économique ?

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Merci de la clarté de vos réponses.

J'aimerais connaître l'ampleur exacte de la perte et le nombre d'exercices permettant de l'amortir, sachant que l'on a beaucoup parlé d'un contrat de 50 milliards de dollars australiens, mais qu'il s'agit plutôt de 8 à 10 milliards d'euros. Vous l'avez dit, il est beaucoup trop tôt pour évoquer le montant qui vous sera versé ; on a parlé dans la presse de 10 % cette année, soit 300 millions. Quel sera l'impact budgétaire pour Naval Group, année après année ?

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Vous avez évoqué la possibilité d'avancer la réalisation du programme du SNLE troisième génération. Si cette hypothèse était retenue, à quel niveau pourriez-vous traiter l'emploi et maintenir les compétences ?

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Vos propos clairs nous sont précieux en une période où nous avons besoin de tout sauf de nous diviser, où la cohésion nationale doit être totale pour préparer la suite.

Sans être grand clerc, il ne fallait pas s'imaginer que les Britanniques, ayant de nouveau, enfin, les mains libres, resteraient très longtemps en position d'observateurs. On voit également que les intérêts des pays membres de l'Union européenne et de l'OTAN sont totalement divergents, si on met à part les cinq ou six voisins qui nous ont soutenus. Ce qui s'est passé n'est guère encourageant ; pour éviter de nouvelles déconvenues, ne faut-il pas envisager une autre forme de diplomatie ?

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C'est une question qu'il faudra plutôt poser à nos ambassadeurs.

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Vous avez parlé de rebond ; nous avons appris avec joie, après la claque que nous venions de recevoir, la très belle nouvelle concernant la Grèce, où nous étions en délégation avec notre présidente pour insister sur l'importance de l'amitié entre nos deux pays. Nos exportations sont vitales : c'est un outil de souveraineté à un prix acceptable et de soft power.

Lors de ce rebond, comment préserver les capacités de Naval Group et l'activité de vos bureaux d'étude ? L'État, votre premier client, a un rôle important à jouer dans cette affaire. Vous avez évoqué une éventuelle accélération de phase pour le SNLE 3G ou les drones navals, à propos desquels nous ne devons pas prendre du retard comme nous l'avons fait pour les drones aériens. Les marins regrettent souvent que les remises à niveau à mi-vie conduisent à conserver pendant un certain temps des outils non conformes aux derniers standards. Des évolutions concernant les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) et les bateaux de surface pourraient-elles nous permettre de maintenir en permanence le plus haut niveau d'exigence, donc d'accomplir les missions que visent les contrats opérationnels de notre marine ?

Dites bien à vos équipes que la France entière est derrière vous dans l'épreuve comme dans le combat pour le rebond et la reconquête.

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Selon les différents Livres blancs et la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, le renseignement économique fait partie des missions de nos services de renseignement. Avez-vous eu des relations avec ceux-ci au cours des derniers mois et des dernières années ? Vous avez évoqué des signaux faibles : ont-ils pu vous alerter sur ce qui allait advenir ? Les Australiens vous ont dit, semble-t-il, qu'ils réfléchissaient à l'échéance, avec leurs partenaires, depuis 18 mois.

Quel avenir voyez-vous pour Naviris, votre co-entreprise avec Fincantieri, étant donné que les Italiens sont partout nos concurrents – en Égypte, en Indonésie, au Maroc, en Grèce – et mènent une politique commerciale agressive ?

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Pour la première fois depuis la guerre, les États-Unis vont partager leur stratégie de propulsion nucléaire avec un pays tiers, qui ne dispose d'aucune compétence en la matière. Au-delà des enjeux stratégiques et d'autonomie des forces navales australiennes, que pensez-vous, du point de vue industriel, du fait que les sous-marins d'attaque américains en question seront propulsés par de l'uranium hautement enrichi ? À ce stade, tout indique que les Américains veulent garder la main sur la filière, mais pour combien de temps ? Les entreprises australiennes pourront-elles un jour prendre le relais pour la maintenance des bâtiments et la fourniture du combustible, ce qui devrait nous pousser à nous interroger eu égard à la prolifération nucléaire ?

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Depuis 2012, nous sommes plusieurs ici, dont Stéphane Travert, Didier Le Gac et moi-même, à avoir suivi de près les discussions franco-australiennes. Nous partageons votre analyse ; c'est une évidence, nous considérons Naval Group comme une entreprise de confiance. Cela mérite d'être rappelé, puisque quelques-uns ont formulé des doutes à son endroit. Cela ne nous empêche en rien d'être lucides sur la gravité de la décision prise et sur ses suites : il s'agit d'une trahison politique dont il faut tirer toutes les conséquences.

Depuis l'annonce de la nouvelle, nous avons des discussions stratégiques sur notre relation aux États-Unis. Nous en reparlerons avec nos ambassadeurs. L'Australie a toujours considéré les Américains comme ses partenaires premiers : personne en France n'a jamais imaginé que nous pourrions nous substituer à eux. Cependant, les gouvernements australiens successifs ont toujours évoqué leur volonté de diversifier leurs partenariats stratégiques, et c'est dans le cadre de cette diversification qu'ils ont sollicité la France et ses concurrents, en particulier pour répondre à leurs besoins de sous-marins. Ainsi, si l'on entend, sur tel ou tel banc, intenter un procès en naïveté, personne n'a en réalité été naïf au sujet de la relation entre l'Australie et ses partenaires du Commonwealth : elle relève de son histoire, de sa culture, de son identité. Nous avons cependant fait avec les Australiens le choix de la diversification stratégique et nous l'assumons : c'est cette diversification que nous conduisons avec vous auprès de l'Inde, de la Malaisie, de l'Indonésie et d'autres pays de la région. Nous continuerons de le faire ; le Premier ministre indien l'a évoqué, parmi d'autres de nos interlocuteurs de la région.

Avec Didier Le Gac -et je rappelle pour mémoire que j'ai exercé pendant le quinquennat précédent les éminentes fonctions de rapporteur pour avis du budget de la marine qu'il occupe aujourd'hui- on ramait si vous me permettez l'expression, pour solliciter une évolution du format de la marine nationale, notamment pour peser davantage en Indo-Pacifique. Pour cela, il nous faut des navires, en particulier de surface, que nous savons construire à Lorient – au passage, merci pour la Grèce ! Envisagez-vous de faire évoluer les capacités industrielles de Naval Group en fonction de la volonté politique qui anime, je l'espère, les dirigeants français de modifier le format de la marine nationale au cours des prochaines années ?

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Je tiens à remercier la présidente de la commission de la défense d'avoir organisé cette série d'auditions, même si nous souhaiterions aussi entendre les partenaires australien, américain et britannique. En tout cas, il est clair désormais qu'une mission d'information n'apporterait pas grand-chose de plus.

La décision de l'Australie est clairement un choix politique. Vu les relations qu'elle entretient avec les États-Unis, on peut supposer que ceux-ci font du lobbying en permanence auprès de son ministère de la défense ou de son Parlement. Vous pourrez peut-être nous en dire un peu plus à ce sujet.

Toutefois, des problèmes passés ont-ils pu entamer la confiance australienne dans l'industrie française ? Il ne s'agit pas d'incriminer qui que ce soit ; mais Thales – auquel j'ai appartenu – a bâti ADI, Airbus a vendu le Tigre : des précédents industriels ont-ils pu faire perdre à l'Australie sa confiance dans notre capacité à livrer en temps et en heure ?

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En juillet 2019, rapporteur du budget de la marine, j'étais à Cherbourg lors du lancement du Suffren et j'y avais discuté avec la ministre australienne de la défense et le Président de la République. Comme vous pouvez l'imaginer, j'ai eu la même réaction que vous à la nouvelle de l'abandon du programme Attack.

Les Américains pourraient-ils faire renoncer la Grèce au contrat qui vient d'être signé ? Ils n'ont pas de frégates nucléaires, mais ils pourraient bien trouver quelque chose d'autre…

Pour ce contrat grec, nous étions en compétition non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec beaucoup de pays européens. N'est-il pas temps de revoir notre stratégie pour éviter ce genre d'affrontements mortifères ?

Enfin, l'affaire australienne va-t-elle avoir des répercussions positives sur les partenariats que nous essayons de nouer en Indo-Pacifique, notamment avec l'Indonésie ou l'Inde ?

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Merci de la qualité de votre intervention. Vos propos confirment que la résiliation par l'Australie du contrat portant sur la commande de douze sous-marins est une décision brutale, inattendue et en contradiction totale avec les engagements pris le matin même du 15 septembre par le gouvernement australien. La conclusion d'AUKUS, pacte de sécurité dans la zone indo-pacifique entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, aura des conséquences à long terme. Le Président de la République a ainsi appelé à plus de souveraineté et à plus d'Europe. Le renforcement de l'Europe de la défense paraît encore plus urgent qu'auparavant. Quelles leçons la France et l'Europe doivent-elles tirer de cette crise ?

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Au cœur de la tempête médiatique et politique, je mesure la magnitude du séisme qui secoue votre entreprise et je salue le professionnalisme avec lequel vous gérez la crise.

Dans une interview récente au Figaro, vous expliquiez que la résiliation pour convenance était une hypothèse prévue par les stipulations contractuelles – vous avez commencé à répondre sur ce point.

L'annonce du partenariat historique entre la Grèce et la France, incluant la commande de trois frégates, modifie-t-elle la donne ?

Enfin, nous annoncerez-vous d'autres bonnes nouvelles dans les prochaines semaines ?

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Pierre Eric Pommellet, président-directeur général de Naval Group

L'Australie fait partie des Five Eyes. Ce groupe de pays, qui comprend, outre l'Australie, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et la Nouvelle-Zélande, s'est doté d'un dispositif sécurisé de partage d'informations extrêmement confidentielles. Mais la Nouvelle-Zélande, bien que faisant partie du même club, a interdit aux sous-marins australiens de circuler dans ses eaux territoriales.

La décision australienne aura forcément des conséquences dans l'Indo-Pacifique. Certains pays vont probablement se poser des questions sur leurs alliances et sur la fiabilité des partenariats qu'ils avaient conclus, car l'Australie a rompu une relation de confiance avec un allié qui, s'il n'appartenait pas aux Five Eyes, n'en était pas très éloigné du point de vue géostratégique. Nous travaillons déjà avec un certain nombre de pays de la zone : outre la Malaisie, déjà citée, nous fabriquons par exemple des sous-marins pour l'Inde. Tous vont réinterroger leurs alliances, et je pense qu'il y a là un champ diplomatique et industriel à explorer.

La résiliation pour convenance est prévue au contrat et le processus de sortie est défini. Sur les chiffres que vous entendez concernant la valeur des contrats, ce n'était ni 90 milliards ni un projet sous-marin uniquement français, mais cela faisait les gros titres des journaux. La perte d'un volume d'activité d'environ 500 millions d'euros par an pendant une très longue période nous conduit à trouver des perspectives nouvelles de croissance pour Naval Group, en France et à l'international.

Nous avons des ressources immédiatement disponibles pour le SNLE 3G : pour l'ingénierie, une centaine de personnes sur le site de Cherbourg pourraient être employées pour des travaux qui étaient prévus ultérieurement. Il faut que nous en discutions avec la DGA.

Comment préserver l'activité et rebondir ? J'ai cité le SNLE 3G et le drone naval. Nous discutons aussi avec la DGA des feuilles de route concernant les SNA et les frégates. Je tiens à souligner l'excellente coopération que nous avons avec tous les services de l'État, tout au long du programme.

Nous pouvons aller plus loin encore dans la coopération navale en Europe. Le programme European Patrol Corvette, qui relève de la coopération structurée permanente, la PESCO, et du Fonds européen de défense, associe la France, l'Italie et l'Espagne. Nous pourrions inciter ces trois États à proposer à leur marine respective de concevoir ensemble un même bateau – tout en le fabriquant dans les trois pays partenaires. Fincantieri, Navantia et nous sommes très attachés à ce programme et nous réjouirions de son accélération.

S'agissant de la propulsion nucléaire pour l'Australie, on ignore ce qui ressortira de la période d'études de dix-huit mois qui a été annoncée. L'engagement a été pris que les traités de non-prolifération seront respectés. L'Australie n'a aucune compétence en matière nucléaire. Les pays qui emploient des sous-marins nucléaires d'attaque ont tous construit une industrie nucléaire sur un demi-siècle, depuis la fin de la guerre. Un pays peut-il, en partant de rien, développer une industrie nucléaire en dix ou vingt ans ? Quand on voit les infrastructures dont dispose la France, on peut en douter.

Concernant l'évolution du format de la marine, il est évident que nous serions capables d'en faire davantage et de répondre à d'éventuelles demandes. D'ailleurs, pour ce qui concerne les bâtiments de surface, nous avons engagé dans notre chantier de Lorient un plan de transformation, appelé C20F30, en vue d'améliorer notre compétitivité et de fabriquer des corvettes en vingt mois et des frégates en trente mois, de manière à pouvoir répondre rapidement aux demandes de nos clients en France et à l'international. Nous sommes capables de produire deux frégates en même temps, avec des méthodes industrielles modernes, issues du lean management.

Si nous avons été retenus par la Grèce, c'est précisément en raison de notre capacité à livrer rapidement des frégates. La ministre des armées avait annoncé en début d'année une accélération du programme FDI afin de maintenir une activité industrielle, de manière à avoir deux frégates livrables en 2025, ce qu'aucun autre industriel n'était capable de proposer. La marine nationale a accepté de décaler certaines de ses livraisons. C'est en définitive tout le dispositif militaires-DGA-industriels qui permet à la France de livrer rapidement des frégates.

Les contrats commerciaux comportent toujours des clauses de résiliation : on définit au moment où l'on signe le contrat la manière dont on peut l'arrêter. C'est en général soit pour défaut – incapacité à assurer la livraison, dépassement des coûts etc. –, soit pour convenance. Le contrat a ici été résilié pour convenance.

La méthode, par contre, interroge. Dans une relation contractuelle normale, quand on s'oriente vers la résiliation d'un contrat, on prévient plusieurs mois à l'avance que les choses sont en train de changer et qu'une résiliation pourrait survenir à telle date, ce qui permet à l'industriel de s'y préparer en amont, de ralentir le rythme de production et d'informer les sous-traitants. Là, au contraire, toutes les informations transmises incitaient plutôt à accélérer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, Monsieur le président-directeur général, pour la précision de votre exposé. Soyez convaincu que vous pouvez compter sur le soutien de tous ici, toutes sensibilités politiques confondues. Nous avons pris part à votre vexation et de votre déception. Nous sommes cependant très fiers de votre entreprise, et croyons en votre capacité à rebondir. Je suis persuadée qu'avec l'ensemble de vos équipes, vous saurez le faire.

S'il s'avérait, à l'issue des prochaines auditions, que nous ayons besoin de vous entendre à nouveau, ou de le faire sous un autre format, public par exemple, nous vous solliciterions. Il faut que ce qui s'est passé soit compris par tous. La commission de la défense et la commission des affaires étrangères auditionneront en commun ce soir l'ambassadeur de France aux États-Unis avant son départ. D'autres auditions suivront, qui nous permettront d'affiner notre compréhension des évènements.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Bernard Bouley, M. Jean-Jacques Bridey, M. Alexis Corbière, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Séverine Gipson, M. Fabien Gouttefarde, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Didier Le Gac, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, M. Gérard Menuel, Mme Monica Michel-Brassart, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Muriel Roques-Etienne, M. Gwendal Rouillard, Mme Isabelle Santiago, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Laurence Trastour-Isnart, M. Stéphane Trompille, M. Pierre Venteau, M. Charles de la Verpillière

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Xavier Batut, M. Olivier Becht, M. Christophe Castaner, M. André Chassaigne, M. Olivier Faure, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Philippe Meyer, M. Patrick Mignola, Mme Nathalie Serre, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, Mme Sabine Thillaye

Assistaient également à la réunion. - M. Damien Adam, M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Pascale Boyer, M. Jacques Cattin, Mme Samantha Cazebonne, M. Dino Cinieri, M. David Corceiro, M. Fabien Di Filippo, Mme Christelle Dubos, M. José Evrard, M. Yves Hemedinger, M. Sébastien Jumel, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Marie Lebec, M. Roland Lescure, M. Mickaël Nogal, M. Jérôme Nury, Mme Sylvia Pinel, Mme Nathalie Porte, M. Robert Therry, M. Stéphane Travert, Mme Corinne Vignon