Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 21h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à vingt et une heures cinq.

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s. J'ai appris avec émotion la mort, à 101 ans, de M. Hubert Germain, dernier compagnon de la Libération. Il était pensionnaire de l'Institution nationale des Invalides. Il fut député de Paris de 1962 à 1972, avant de devenir ministre des postes et télécommunications, puis ministre des relations avec le Parlement. Sa mort clôture une période d'histoire. Il nous appartient de continuer à faire vivre la mémoire de ce héros, de ces héros, qui ont choisi de continuer le combat pour leur pays, sa liberté, son honneur, lorsque tout semblait perdu.

De multiples hommages lui seront rendus mais, ce soir, nous devons porter haut ce qu'il représentait et, lui dire, où qu'il se trouve, que nous essayerons d'être à la hauteur de ce qu'il a été. Les compagnons de la Libération nous obligent. Nous devons être fiers de ce qu'ils ont fait.

Nous nous retrouvons dans le cadre de notre cycle d'auditions relatif aux circonstances et aux conséquences de la rupture de l'accord-cadre avec l'Australie sur le programme de sous-marins du futur.

Nous avons déjà auditionné le président-directeur général de Naval Group, M. Éric Pommellet, nos deux ambassadeurs aux États-Unis et en Australie, ainsi que le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, votre collègue M. Jean-Yves Le Drian, lors d'une audition ouverte à la presse. Il était donc important de vous auditionner également, Madame la ministre.

Vous étiez en contact régulier avec votre homologue australien afin de suivre le bon déroulement du programme. Comme M. Peter Dutton, ministre australien de la défense depuis le 30 mars dernier, était l'un des rares à connaître les négociations en cours avec les États-Unis et le Royaume-Uni, avez-vous été alerté d'un risque de rupture du programme ? Y a-t-il eu des mises en garde ou des propositions de rediscussion ?

Le jour où vous m'avez appelée pour m'avertir de ce qui s'était passé, le ton de votre voix était à la mesure du choc et du sentiment de trahison. Le porte-parole du ministère des armées a révélé que, le jour de l'annonce du partenariat stratégique AUKUS, les Australiens écrivaient à la France et soulignaient combien ils étaient satisfaits des performances des futurs sous-marins de classe Attack et du déroulement du programme, indiquant qu'ils étaient prêts à lancer la prochaine phase du contrat.

Beaucoup s'interrogent sur la capacité de nos services de renseignement à anticiper cette rupture. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) étant l'un des services rattachés au ministère des armées, a-t-elle émis des alertes ? Si ce n'est pas le cas, comment l'expliquer ?

Quelles raisons ont poussé l'Australie à prendre une telle décision ? À l'évidence, cette dernière aura de nombreux effets négatifs pour l'Australie en termes de calendrier de livraison des futurs sous-marins à propulsion nucléaire, en termes de coût, mais plus encore, en termes de souveraineté. Quelles analyses stratégiques et capacitaires peuvent justifier ce revirement ? Jean-Yves Le Drian a parlé de « saut dans le vide ». Est-ce également votre sentiment ?

Quelles seront les conséquences de cette rupture sur notre politique en Indopacifique ? Vous avez expliqué devant notre assemblée que la France était présente dans la zone parce qu'elle y a des intérêts directs du fait de la présence de près de deux millions de ses ressortissants et de 93 % de sa zone exclusive économique (ZEE), mais aussi parce que nous souhaitons offrir une alternative aux risques d'escalade entraînés par la politique de confrontation à laquelle se livrent les États-Unis et la Chine. La nouvelle alliance militaire représentée par AUKUS ne signe-t-elle pas l'échec de notre politique ? La France garde-t-elle la même marge de manœuvre ? Comptez-vous sur d'autres partenariats, notamment avec l'Inde et l'Indonésie, pour maintenir ce cap ?

Vous avez affirmé que les États-Unis ne sont plus aussi fiables que par le passé. Ce jugement est-il partagé par tous nos partenaires européens ? Quelles conséquences en tirez-vous pour l'OTAN et le développement d'une autonomie stratégique européenne ? Un tel constat influera-t-il sur le contenu de la boussole stratégique qui doit être adoptée au premier semestre 2021, lors de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, comme sur la révision du concept stratégique de l'OTAN qui doit être adopté à Madrid, en juin prochain ?

Enfin, même si notre ambassadeur à Londres n'a pas fait l'objet d'un rappel, quelles peuvent être les conséquences de cette situation sur la coopération de défense avec le Royaume-Uni ? Je pense notamment au programme relatif au futur missile antinavire et à ses incidences sur l'entreprise MBDA.

M. Pommellet a déclaré que Naval Group ne devrait pas subir de perte financière, mais uniquement un déficit de croissance. Nous avons eu, entre-temps, de bonnes nouvelles en provenance de la Grèce. Cette entreprise résiliente incarne bien l'avenir. Envisagez-vous une accélération du calendrier des commandes publiques pour aider Naval Group et ses sous-traitants, nombreux à devoir absorber ce choc ?

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Je joindrai ma parole à celle de Françoise Dumas au sujet de la disparition d'Hubert Germain, Ceux d'entre vous qui connaissent mon itinéraire savent que j'ai été profondément engagé chez les jeunes gaullistes et que j'ai alors connu Hubert Germain. Il incarnait un héroïsme admirable, tranquille, bonhomme, dépourvu de volonté d'artifice ou de mise en valeur de soi-même. Il appartenait à cette catégorie d'hommes et de femmes politiques issus de la Résistance engagés dans des mouvements divers. D'une grande énergie, capables de prises de risque, d'engagement, d'indifférence au qu'en-dira-t-on, ils ont eu la volonté de faire ce qu'ils estimaient nécessaire pour le pays. Ce courage tranquille manque parfois à la société politique française. La disparition d'Hubert Germain, c'est la disparition d'un homme politique, mais j'espère que ce n'est pas celle de cette sensibilité, car nous en avons vraiment besoin.

J'en viens au sujet qui nous réunit et sur lequel je partage l'analyse de Françoise Dumas. On a parlé de stupeur et de sidération. Quelle est la définition du pervers ? C'est quelqu'un qui fait le mal en le sachant. En l'espèce, on pouvait tout remettre en cause, tout redéfinir, tout réanalyser. Nous sommes un grand pays prêt aux évolutions, mais la façon de traiter et de traîner des alliés dans cette espèce de complot et dans une trahison aussi profonde est inacceptable. Cette faute morale, qui est celle des Australiens, mais aussi, hélas, celle des Américains, nous a choqués bien plus profondément que la remise en cause du contrat en lui-même.

Quelles sont les perspectives de notre industrie d'armement, contrainte d'exporter ? Concernant les commandes, nous avons de bonnes nouvelles de la Grèce et une attitude positive de la part de l'Inde, mais comment un pays de dimension moyenne, doté d'une industrie d'armement performante, aux besoins relativement limités, peut-il assurer la permanence et le développement de son industrie ?

Quel est votre point de vue sur l'évolution du contexte géostratégique dans le Pacifique ? Comment se présente la confrontation entre les États-Unis et la Chine sur le plan des forces diplomatiques – sur qui pouvons-nous compter, sur qui les Américains peuvent-ils compter ? – et sur le plan du rapport de force militaire et stratégique ? Que signifie cette crise en termes de mutation stratégique ?

Enfin, on ne peut pas ne pas voir une relation directe entre ce qui s'est produit et les difficultés que nous avons rencontrées lors des réunions de l'OTAN, au printemps dernier. Dans la perspective de l'importante réunion d'Athènes sur le nouveau concept stratégique – la première étape ayant lieu à la fin du mois, à Rome –, nous sommes engagés dans un processus complexe et nous ne pouvons faire abstraction de l'évolution du contexte général. Nous avons manifestement des divergences d'appréciation sur le théâtre – l'Europe ou le monde –, sur le rôle – militaire ou politique – de l'OTAN et sur le degré d'autonomie des Européens par rapport aux Américains.

Nous avons fini par comprendre ce qui s'est passé, notamment le rôle pervers du Premier ministre australien, mais ce qui nous intéresse, c'est l'avenir.

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Françoise Parly, ministre des Armées

Votre hommage à la mémoire d'Hubert Germain n'aurait pu être plus juste. Il était à la fois exact pour décrire ses immenses qualités, et sensible. En attendant de lui rendre hommage officiellement, je m'y associe pleinement et je vous remercie de l'avoir fait publiquement.

Je commencerai par rappeler les faits, car nous avons tous lu et entendu beaucoup de déclarations, dont certaines contestables. Cette affaire mérite de la clarté. En décembre 2016, un accord intergouvernemental est signé par la France et l'Australie en vue de renforcer la coopération bilatérale de défense, en particulier pour accompagner l'Australie dans la création de sa propre industrie navale. Cet accord, conclu pour une période initiale de trente ans, prévoit le développement et la construction par Naval Group de douze sous-marins de classe Attack, version conventionnelle de nos sous-marins à propulsion nucléaire Barracuda.

À l'époque, le contexte stratégique n'est pas fondamentalement différent de celui d'aujourd'hui : une montée en puissance rapide, et dans tous les domaines, de la Chine, notamment en Indopacifique. Si Naval Group a remporté la compétition pour remplacer les sous-marins Collins face aux Allemands et aux Japonais, c'est parce que l'offre française répondait à la demande des Australiens de se doter d'un sous-marin capable d'aller loin et, selon l'appel à candidatures australien, « régionalement supérieur » – autrement dit, un sous-marin océanique, pleinement souverain – opéré et entretenu par les Australiens – et, enfin, à propulsion classique. C'est ainsi que Naval Group a développé une version conventionnelle dérivée du modèle à propulsion nucléaire Barracuda.

L'opinion publique australienne est très opposée à l'énergie nucléaire. Dès 2009, la volonté d'opter pour des sous-marins à propulsion conventionnelle avait été exprimée dans le Defence White Paper australien, l'équivalent de notre Livre blanc, qui excluait explicitement la possibilité d'une propulsion nucléaire. Cette décision de 2009 a été confirmée de façon répétée par les Livres blancs de la défense de 2013, adoptés sous majorité travailliste, puis de 2016, adoptés sous majorité libérale.

De ce fait, lorsqu'en novembre 2019, nous prenons connaissance des propos de Mme Reynolds, ministre de la défense de l'époque, devant le Sénat australien, nous ne sommes pas étonnés. Je la cite en anglais : « I can confirm that the nuclear powered submarine is not being considered as an option for the Attack class submarine » (« Je peux confirmer qu'un sous-marin à propulsion nucléaire n'est pas une option que nous considérons pour la classe Attack »).

La France n'était pas le seul fournisseur : l'entreprise française Naval Group s'était associée avec l'industriel américain Lockheed Martin, chargé du système de combat du sous-marin. Il s'agissait donc, dès le départ, d'un partenariat industriel avec les États-Unis, qui appuyait le partenariat stratégique bilatéral franco-australien. Dans ce contexte, il est donc extrêmement choquant que Washington n'ait pas jugé nécessaire de nous consulter sur ce qui se tramait à l'initiative des Australiens. Alors que nous évoquions régulièrement l'importance du programme de sous-marins, les occasions étaient nombreuses, comme cela vous a été indiqué lors de précédentes auditions.

Cette organisation du programme, Naval Group étant chargé de la plateforme propulsée – de la coque des sous-marins –, et Lockheed Martin, du système de combat, de l'intégration des armements et des sonars, garantissait pleinement la souveraineté de l'Australie. En effet, lorsque la France élaborait avec l'Australie le dessin du sous-marin, elle ne savait pas ce que les États-Unis proposaient pour la partie qui leur incombait, et la réciproque était vraie. La seule partie omnisciente dans ce programme d'armement, et responsable de sa conduite de bout en bout, c'était bien l'Australie. J'insiste sur ce point. Cette rupture de contrat, ce n'est pas l'échec de la France, c'est l'échec, industriel et diplomatique, de l'Australie.

Je ne reviendrai pas sur la chronologie complète des faits, car vous avez déjà auditionné plusieurs personnes éminentes. J'insisterai plutôt sur le rôle joué par la France pour assurer le succès de ce programme. L'effort d'accompagnement que nous avons consenti était d'une ampleur et d'un niveau exceptionnels, à la hauteur de la nature et des enjeux du partenariat conclu entre la France et l'Australie. Nous avons donc mis en place un pilotage très serré du contrat.

Sur le plan technique, la direction générale de l'armement (DGA) a défini une organisation de travail comprenant une équipe dédiée, pour accompagner le client australien.

Sur le plan militaire, nous avons accompagné ce contrat d'une présence inédite en zone indopacifique, prévoyant un rapprochement de nos marines et de nos armées de l'air. Le point culminant fut la mission Marianne, à la fin de l'année 2020, c'est-à-dire l'envoi depuis la France d'un sous-marin nucléaire d'attaque, l' Émeraude, jusqu'en mer de Chine, après une escale à Perth, en Australie.

Sur le plan politique, les échanges au niveau ministériel ont eu lieu à un rythme bien plus soutenu qu'initialement prévu dans l'accord entre la France et l'Australie. Au total, trente-cinq entretiens bilatéraux ont eu lieu avec mes quatre homologues depuis 2017, ainsi que deux déplacements en Australie, sans compter les nombreuses visites de délégations australiennes en France, tout cela s'étant arrêté en raison de la crise sanitaire. J'ai notamment assisté à Canberra, en février 2019, à la signature du contrat-cadre ou Strategic partnering agreement (SPE) entre Naval Group et le gouvernement australien.

Au cours de ces échanges réguliers, à la fin de l'année 2019, c'est-à-dire moins d'un an après la signature du contrat-cadre, il est apparu que le gouvernement australien subissait des attaques de la part de l'opposition, et par presse interposée, à propos de l'insuffisance de participation de l'industrie australienne au programme. Face à ces critiques, mon homologue, Mme Linda Reynolds, m'avait signalé en février 2020 qu'une absence rapide de réponse de Naval Group mettrait le programme en risque.

En mars 2020, Naval Group change de président-directeur général. Je fixe immédiatement à M. Pommellet, le nouveau P.-D.G., sa feuille de route, en particulier concernant la montée en puissance de l'industrie australienne au sein du Futur submarine programme (FSP). Ce programme doit constituer la priorité absolue pour le groupe, au regard de sa dimension stratégique et, pour cette raison, il est urgent de répondre aux demandes australiennes formulées un mois plus tôt par la ministre, Mme Reynolds. Des négociations s'engagent en pleine pandémie, alors qu'il est impossible de se déplacer en Australie jusqu'au début de l'année 2021, le pays ayant totalement fermé ses frontières. Elles sont encadrées par six échanges téléphoniques avec mon homologue, par des échanges réguliers entre la DGA et l'équipe de programme australienne et par un déplacement en Australie, en février 2021, pour un mois, du nouveau P.-D.G. de Naval Group, M. Pommellet, afin de finaliser les discussions.

Ces négociations, sur lesquelles je m'arrête un peu, car elles sont éclairantes, ont d'abord conduit, en septembre 2020, à la décision de concevoir une partie du sous-marin en Australie, alors que nous parlions initialement de transférer la seule production en Australie. Nous avons donc ouvert un nouveau champ de discussion sur la conception d'une partie du sous-marin. Ces négociations ont abouti, en mars 2021, à l'intégration dans le contrat-cadre entre Naval Group et le gouvernement australien d'une clause – acceptable pour tous –, qui prévoyait que 60 % de la valeur du contrat seraient réalisés en Australie. Je rappelle que cette demande ne figurait pas dans l'accord initial, mais était devenue centrale pour garantir la poursuite du programme dans les meilleures conditions. J'observe d'ailleurs que l'entreprise Lockheed Martin, fournisseur du système de combat, n'a jamais eu à prendre d'engagement comparable.

Je voulais, à travers cet exemple, montrer que nous avons toujours fait le nécessaire pour trouver des solutions afin de répondre aux besoins du client. Grâce à la mobilisation de l'équipe France, cet irritant politique majeur a été résolu en mars 2021. Depuis ma prise de fonctions, la même méthode nous a permis de résoudre les autres points irritants concernant les modalités détaillées du programme, à savoir les coûts et le planning, ce qui a fait dire à la cour d'audit australienne, en mars 2021, que le programme de sous-marins français était « on budget and on time » (« dans les budgets et dans le respect du calendrier »). Ceci a conduit également mon nouvel homologue, M. Peter Dutton, à dire le 11 juin 2021 que le programme était « back on track », c'est-à-dire remis sur les rails. Je peux vous dire qu'au rythme où les ministres de la défense ont changé en Australie, cela n'a pas été une sinécure.

Notre méthode a permis, pas à pas, de lever tous les obstacles qui ont émaillé la vie de ce programme, à l'image de ce que nous faisons pour tous les grands programmes complexes d'armement que nous conduisons pour nous-mêmes.

À ceux qui seraient tentés de dire que les Australiens songeaient ouvertement à élaborer un plan B, je citerai les propos de M. Greg Moriarty, numéro deux du ministère de la défense, propos souvent tronqués et sortis de leur contexte. S'exprimant le 3 juin 2021, il parlait de planification de précaution et disait : « nous sommes très engagés pour conduire à son terme le programme Attack, mais il est approprié de regarder des alternatives pour le cas où nous ne serions pas en mesure d'avancer ». Mon homologue australien, M. Dutton, ne m'a pas dit autre chose quelques jours plus tard, au téléphone. Deux jours après, le 11 juin, le même M. Dutton disait, comme je viens de vous l'indiquer, que le programme était remis sur les rails.

D'ailleurs, au cours de l'été 2021, tous les échanges politiques intervenus ont permis de constater que la partie australienne n'adressait aucun reproche d'ordre technique au projet industriel lui-même, au contraire. Je pense en particulier à cette réunion du 30 août en format 2+2, ministres de la défense et des affaires étrangères des deux pays réunis, dont mon collègue Jean-Yves Le Drian vous a sans doute parlé. Nous nous sommes quittés en réaffirmant publiquement l'importance du programme des futurs sous-marins. Nous nous préparions donc à l'échéance majeure attendue de septembre, et à la signature du prochain contrat.

C'est par une lettre du 15 septembre, adressée par le client – le gouvernement australien – au fournisseur – Naval Group –, que les Australiens ont annoncé que la System functional review, c'est-à-dire la revue d'évaluation des performances du sous-marin proposé par Naval Group, était « conforme » aux besoins exprimés par l'Australie. Il s'agissait donc bien d'un satisfecit donné à Naval Group sur le travail conduit jusque-là, et cela seulement quelques heures avant l'annonce de la dénonciation du contrat. Car, le même jour, l'Australie annonçait un partenariat stratégique avec les États-Unis et le Royaume-Uni, notamment pour construire des sous-marins à propulsion nucléaire, à rebours des déclarations australiennes précédentes.

Je tiens à redire que l'option d'un sous-marin nucléaire avait été écartée, non seulement des documents stratégiques que j'ai mentionnés, mais qu'elle avait également été écartée d'emblée en 2014, lors du lancement de la compétition. Jamais le paramètre de la propulsion n'a été remis en question lors des échanges avec les Australiens. Comme vous l'a dit le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, il n'y a donc eu de la part de la France, depuis 2016, aucune naïveté, ni aucune légèreté, dans l'accompagnement politique de ce projet majeur, à tous les niveaux – Président de la République, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, moi-même ou administration française.

Quand des difficultés industrielles ou techniques sont apparues, comme ce fut le cas en 2020, nous y avons répondu avec détermination, en lien avec l'industriel, et nous les avons résolues. Quand nos interlocuteurs australiens ont fait état de l'évolution de leur analyse sur leur environnement stratégique, nous avons été immédiatement à leur contact et à celui des Américains, pour en discuter, leur présenter notre vision des choses et faire part de notre disponibilité à y apporter une réponse.

À cet égard, je voudrais préciser la nature de notre dialogue avec les Australiens au cours des dernières semaines. C'est pour répondre à la montée en puissance de l'appareil militaire chinois que le programme des sous-marins australiens avait été lancé et notre partenariat renforcé dès 2016. À l'époque, la demande australienne était claire : pour faire face à la Chine, la marine australienne devait se doter d'une sous-marinade à propulsion conventionnelle de classe océanique, c'est-à-dire lui permettant d'opérer dans un très large rayon d'action, bien au-delà des zones côtières. Or à partir du début de l'été 2021, c'est-à-dire moins de trois mois avant leur décision de sortir du programme, les Australiens émettent pour la première fois devant nous une hésitation de nature stratégique. En substance, ils se demandent si, au regard de la montée en puissance des capacités militaires chinoises, le programme des sous-marins australiens répond à leurs besoins. Ils partagent avec nous une évaluation qui met l'accent sur les progrès technologiques de la Chine, ainsi que la multiplication des moyens chinois. Ils s'interrogent sur la capacité d'un sous-marin conventionnel à opérer en mer de Chine méridionale dans les décennies à venir.

Cette hésitation stratégique nous surprend mais nous ne restons pas inactifs. Tout au long de l'été, nous multiplions les échanges avec les Australiens à tous les niveaux pour comprendre leur raisonnement et apporter des réponses à leur questionnement. Mais, à aucun moment, ils ne nous disent avoir pris une décision d'abandon du programme FST ni, a fortiori, envisagé de basculer vers un programme de développement d'une sous-marinade à propulsion nucléaire.

En outre, fin août, nous envoyons un émissaire en Australie. Cet ancien haut responsable de notre force océanique stratégique, l'amiral Bernard-Antoine Morio de l'Isle, fin connaisseur du programme Barracuda, se soumet à une quatorzaine avant de rencontrer, début septembre, plusieurs hauts responsables, dont le ministre Dutton, le chef d'état-major des armées australien et le chef d'état-major de la marine australienne. Sa mission est simple : comprendre et expliquer. En s'appuyant sur le retour d'expérience de la mission Marianne, il établit les réalités opérationnelles des performances du futur sous-marin, notamment en matière d'autonomie et de discrétion. Sa conclusion est sans appel : le sous-marin de classe Attack sera encore très performant contre la menace chinoise à l'horizon 2050.

L'engagement du Gouvernement a été total et constant. Nous avons abordé chaque difficulté soulevée par les Australiens, qu'elles soient politiques, stratégiques ou techniques, avec méthode et sérieux. Enfin, je ne voudrais pas vous laisser l'impression que notre approche aurait été purement défensive ou réactive. Nous avons fait vivre de façon proactive notre partenariat avec l'Australie. Celui-ci s'est considérablement densifié dans les dernières années. Je citais l'accueil du sous-marin nucléaire d'attaque Émeraude en novembre 2020 en Australie, mais il y eut aussi de très nombreuses interactions entre nos marines, lors de l'exercice La Pérouse, dans le golfe du Bengale, ou encore le transit conjoint de nos bâtiments en mer de Chine méridionale, en avril et en mai 2021. Tous ces exercices ont été les marqueurs les plus spectaculaires de l'approfondissement de nos relations militaires. À cela s'ajoute la participation régulière de nos armées à des exercices tels que Pitch black ou Croix-du-Sud.

J'espère que vous avez bien conscience que l'Australie a joué double jeu. Aurions-nous pu empêcher cette rupture, ou plutôt aurions-nous pu la prévoir ? Pouvait-on imaginer que l'Australie renoncerait à sa souveraineté ? Pouvait-on imaginer qu'elle renoncerait à des sous-marins capables d'agir et d'être entretenus de façon autonome ? Évidemment, non, puisqu'il s'agissait justement des objectifs fondamentaux qui l'avaient amenée à lancer le programme FST.

Nos services de renseignement auraient-ils pu l'anticiper ? Ce que je peux vous dire, c'est qu'entre très proches partenaires – ce qui était le cas de la France et de l'Australie –, les rapports doivent être fondés a priori sur la confiance et non pas sur la mise en doute de la parole donnée ; ce n'est pas de la naïveté que de le rappeler. La confiance est au cœur des relations entre alliés et partenaires stratégiques. Or le partenariat AUKUS a été négocié dans le plus grand secret et seules quelques personnes semblent avoir été au courant. Il m'a d'ailleurs été rapporté que le choc a été tellement fort pour les équipes du ministère australien chargées du programme FST qu'une cellule d'assistance psychologique a été mise en place pour accompagner les personnels désemparés par l'annonce de la fin du programme. Vous aurez remarqué qu'il n'y a eu absolument aucune fuite, ce qui, en soi, est assez exceptionnel. C'est bien la preuve qu'il s'agissait d'un secret d'État.

Avant d'en venir aux conséquences pour Naval Group et notre industrie, je tiens à redire haut et fort que l'excellence de notre industrie et de Naval Group n'est pas en cause dans cette rupture, pas plus que la qualité de nos équipements. Le programme était dans les temps, respectait ses coûts et les exigences techniques fixées par le client. La phase suivante était prête à être contractualisée. La lettre du 15 septembre indiquait que tous les feux étaient au vert pour passer à la phase suivante. Je précise que ce n'est pas toujours le cas – je pense en particulier au programme des frégates britanniques qui doivent être construites pour les Australiens.

L'incidence économique de la rupture de ce contrat est limitée, en raison de son architecture. Il ne s'agissait pas d'un contrat d'un seul bloc, mais d'un contrat par tranche qui se négocie étape par étape. On est donc très loin des montants fantasmés ces dernières semaines, notamment dans la presse. La tranche du contrat dans laquelle nous étions engagés concernait les études devant aboutir au dessin industriel du sous-marin. Depuis le début du programme, ce sont près de 900 millions d'euros que le gouvernement australien a versés à Naval Group. Les études ont été réalisées et elles seront donc payées jusqu'au dernier centime. Le ministère des armées sera là pour soutenir Naval Group.

L'Australie a dénoncé son contrat avec Naval Group non pour faute de l'industriel, mais pour convenance. L'accord passé entre Naval Group et le gouvernement australien contient des clauses qui seront invoquées pour protéger au mieux les intérêts de Naval Group, ainsi que de ses fournisseurs, qui sont aussi les intérêts de la France. Nous allons soutenir Naval Group, ses fournisseurs, de même que les fournisseurs français de Lockheed Martin, pour qu'ils soient, a minima, remboursés des frais qu'ils ont engagés.

Le ministère est également mobilisé, avec les élus des territoires concernés et Naval Group, pour trouver des solutions et assurer le maintien des compétences. Les programmes français, qu'il s'agisse du sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération dont j'ai annoncé le lancement en février 2021 ou de la poursuite du programme Barracuda, y contribueront.

Nous avons d'ailleurs rebondi très rapidement, ce qui prouve la solidité de notre industrie et de Naval Group, puisque le 28 septembre dernier, avec le ministre grec de la défense et les P.-D.G. de Naval Group et de MBDA, nous avons signé un traité historique : nous construirons trois frégates de défense et d'intervention, une quatrième étant en option ; nous assurerons leur maintenance et fournirons les armements correspondants. Le choix de la Grèce confirme que l'industrie navale française est à même de proposer une offre au meilleur standard mondial, mais aussi que notre industrie de défense est un moteur de l'économie et de la vitalité de nos territoires.

La crise implique, bien sûr, de revisiter notre relation bilatérale avec l'Australie. Il faudra du temps pour reconstruire cette relation, tant la confiance a été abîmée. Nous avons également engagé un dialogue avec les États-Unis pour tirer toutes les conséquences de cette rupture de confiance entre alliés. Le plus malheureux, dans cette affaire, c'est que de tels comportements nous affaiblissent tous collectivement – ils affaiblissent des alliés, qui défendent le multilatéralisme, et nous savons tous à qui profite cet affaiblissement.

Après l'Afghanistan, le cas de l'Australie montre que nous devons redoubler d'efforts pour construire une Europe de la défense qui nous permette d'agir partout où nos intérêts sont en jeu, comme en Indopacifique. Ne vous y trompez pas, l'annulation de ce contrat n'invalide pas notre stratégie. Certains laissent entendre que la France se serait égarée en Indopacifique, qu'elle y aurait des ambitions déplacées. Je ne partage pas du tout cette vision minimaliste du rôle de notre pays, car la France a des intérêts à défendre et un rôle à jouer dans cette zone. Ce que nous proposons aux acteurs de la région, c'est une stratégie claire visant à défendre notre vision de cet espace comme un espace de droit, à ne faire preuve d'aucune naïveté sur les intentions chinoises, mais aussi à refuser d'être l'otage de la rivalité entre la Chine et les États-Unis.

Nous sommes une nation souveraine de l'Indopacifique, du fait de la présence dans la région de près de deux millions de Français, de plus de 7 000 militaires et de 93 % de notre zone économique exclusive. Notre présence est non seulement légitime, mais elle nous oblige. Nous avons toutes les raisons d'y jouer un rôle à la hauteur de nos responsabilités et de nos intérêts, et la rupture de ce contrat n'y changera rien.

En outre, nous ne sommes pas seuls en Indopacifique. Nous avons des partenariats importants avec les pays importants – l'Inde, le Japon, Singapour, la Malaisie et l'Indonésie. En étroite coordination avec nos partenaires européens, nous resterons pleinement engagés dans la région, car nous y avons des intérêts essentiels, et nous continuerons à y promouvoir le multilatéralisme, nécessaire à la stabilité régionale. Avec l'Union européenne, nous soutiendrons l'ambition d'une région indopacifique ouverte, inclusive, porteuse des intérêts légitimes de tous ses acteurs.

Nous poursuivrons la construction de l'Europe de la défense. Je pense en particulier à la boussole stratégique, premier Livre blanc de la défense européenne, et l'une des priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre prochain.

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Madame la ministre, je vous remercie pour la qualité et la clarté de votre intervention liminaire. La décision unilatérale des autorités australiennes de rompre le contrat de fourniture de sous-marins est d'une violence inouïe et d'une grande duplicité, que rien ne laissait présager. C'est un véritable coup de poignard dans le dos.

Si le dialogue a repris entre la France et les États-Unis, à la suite de l'appel téléphonique du président Biden au Président Macron et de la récente visite en France du secrétaire d'État américain, il n'y a, pour l'instant, aucun rapprochement entre les autorités australiennes et françaises. Le retour de l'ambassadeur de France n'est pas encore envisagé. Quels gestes attendez-vous de la part des autorités australiennes pour renouer le dialogue ? Alors que les peuples australiens et français sont des amis de tout temps, comment rétablir entre les deux gouvernements une confiance si gravement entamée ?

Cette crise de confiance aura des conséquences. À moyen terme, qu'en sera-t-il des autres aspects du partenariat et des exercices militaires conjoints ? À court terme, faut-il craindre des répercussions sur le référendum du 12 décembre en Nouvelle-Calédonie ?

Je suis satisfaite que vous ayez réaffirmé que la stratégie indopacifique de la France ne s'arrête pas avec la rupture du contrat des sous-marins par l'Australie. Forte de deux millions de ressortissants dans la zone et de 7 000 militaires, la France restera une nation de l'Indopacifique.

Cette rupture de contrat par l'Australie découle de la focalisation des États-Unis sur la Chine, d'où l'urgence de construire, enfin, l'Europe de la défense. L'Union européenne doit s'affirmer en tant que puissance stratégique. Quelles sont les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne dans le cadre de la future adoption du Livre blanc ou boussole stratégique ?

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À certains signes que vous avez décrits, on peine à comprendre comment on n'a pas eu le sentiment que quelque chose de grave était en train de se passer, que des responsables, dont vous-même, ne se sont jamais dit que cela ne fonctionnerait peut-être pas et qu'un autre accord pourrait être concocté ? La rupture de confiance est majeure. Comment l'alliance AUKUS a-t-elle pu être négociée dans le secret le plus absolu ? Pourquoi aucun responsable sur place ou membre des services de renseignement n'a-t-il pu vous alerter ?

Je vous remercie de vos propos sur la zone indopacifique. Au sein de la commission des affaires étrangères, sous l'égide du président Bourlanges, ma collègue Aude Amadou et moi avons créé une mission d'information sur l'espace indopacifique. Le Président Macron a déclaré vouloir créer un nouvel ordre géostratégique pour cette région. Vous avez raison de dire qu'avec deux millions de ressortissants, 7 000 militaires et 93 % de notre ZEE, elle est stratégique pour la France et doit être considérée comme une priorité, mais la nouvelle situation change un peu la donne. Quel message doit-on envoyer à la Nouvelle-Calédonie, très importante pour notre stratégie indopacifique, qui va voter pour la troisième et dernière fois avant la fin de l'année ?

Les événements liés à la rupture de l'accord ont également accru les difficultés avec les Britanniques, alliés proches qui sont pourtant partie prenante du nouveau traité stratégique AUKUS. Les accords militaires de Lancaster House, signés en novembre 2010, engageaient le Royaume-Uni et la France dans des relations de confiance en ce qui concerne « le déploiement et l'emploi des forces armées, ainsi que des transferts de technologie ». Peut-on encore raisonnablement envisager une confiance mutuelle entre les Britanniques et la France en matière de transfert de technologie et de programmes d'achat d'armement ? La France n'est-elle pas la première victime du concept de Global Britain, récemment défendu par le Premier ministre Boris Johnson ?

Enfin, les États-Unis ont proposé la fourniture d'un sous-marin à propulsion nucléaire, alors que, conformément à la demande australienne, nous proposions un sous-marin à propulsion conventionnelle. Considérant qu'un sous-marin à propulsion nucléaire peut intéresser des acheteurs – voire davantage d'acheteurs –, aurions-nous été en mesure d'en fournir un ? Une réflexion est-elle en cours dans la perspective de nos exportations militaires à venir ?

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Je ne reviendrai pas sur la question industrielle car nous avons la force de nous en remettre et nos capacités ne sont pas remises en cause par la rupture du contrat. Mais il va nous devenir difficile de dissuader Chinois, Russes, voire Iraniens, de franchir le seuil de la prolifération.

En outre, à chaque friction avec les Américains, les euro-atlantistes – dont je suis – reculent fortement et les pro-russes, ou pro-Poutine, avancent allègrement. Nous avons entendu récemment un candidat à l'investiture pour les élections présidentielles déclarer qu'il fallait quitter l'OTAN et contracter avec les Russes. Christian Cambon, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, et moi-même, avons abordé le sujet lors d'une rencontre bilatérale avec le président de l'assemblée parlementaire de l'OTAN (AP-OTAN) et Mme Linda Sanchez, la cheffe de la délégation américaine. Nous avons senti les Américains préoccupés. M. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'OTAN que j'ai eu l'honneur d'interroger au nom de ma délégation, a été inhabituellement clément à notre égard, indiquant qu'après les déclarations du Président français et du président des États-Unis, il n'était plus besoin d'en rajouter et que l'axe avait été fixé. Même les non-réponses aux autres questions étaient de bon augure, tellement nous étions habitués à un peu d'antipathie à notre égard. Madame la ministre, où en sont nos relations avec les États-Unis ?

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Avons-nous su lire tous les signaux faibles dans la mesure où, depuis le Brexit et les élections américaines, on observe dans cette zone une profonde mutation des rapports entre la Chine et les États-Unis ? Des périodes complexes ne doivent-elles pas conduire à voir l'avenir autrement et à faire évoluer notre manière d'aborder de tels contrats, sous l'effet de la réactivation du concept d' America First ? Il est surprenant que des gens aussi perspicaces que ceux travaillant pour ces contrats au sein de nos armées, ou même nos services de sécurité, n'aient pas réussi à déceler de signaux faibles.

À l'approche de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, la question de la défense européenne revient en force. La boussole stratégique va-t-elle redonner une dynamique nouvelle aux partenariats ou aux grandes rencontres ?

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Le groupe Agir ensemble s'associe pleinement à l'hommage conjoint que vous avez rendu à Hubert Germain, ancien député de Paris et dernier compagnon de la Libération.

S'agissant des sous-marins australiens, l'ampleur de la trahison et de la rupture de confiance justifie pleinement la fermeté de notre réaction. L'heure est à l'analyse des conséquences et à la prospective.

Le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) encadre strictement l'armement, le droit d'accès à l'énergie nucléaire civile et les transferts technologiques, mais pas la propulsion des équipements militaires. Toutefois, il est communément admis que les six pays qui en sont dotés n'exportent pas cette capacité, d'où les précautions prises par la France dans le contrat Prosub avec le Brésil. En faisant de l'Australie le septième pays au monde disposant de sous-marins d'attaque de ce type, AUKUS ouvre une nouvelle ère en matière de nucléaire de défense. Outre-Atlantique, des voix ont déjà fait part de leurs inquiétudes au sujet de l'exportation de leurs bâtiments à propulsion à uranium hautement enrichi – à hauteur de 97 % –, parfaitement adaptés à la conception d'armes nucléaires à forte puissance.

De nouveaux États vont vouloir se doter de sous-marins nucléaires. Nous savons déjà que le Japon et la Corée du Sud souhaitent en acquérir ou en développer. En outre, le combustible utilisé, l'uranium hautement enrichi (UHE), échappe au contrôle international. Comment appréhendez-vous le risque de prolifération ?

À l'inverse du bloc anglo-saxon, la France a fait le choix de produire des bâtiments à propulsion à uranium faiblement enrichi. Ne devrions-nous pas nous positionner sur ce marché, afin de proposer à certains pays comme l'Inde nos technologies performantes et respectueuses du TNP ?

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Peut-on espérer, depuis notre dernière rencontre de la semaine dernière, que nos amis américains, anglais et australiens reviennent à de meilleurs sentiments ?

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Madame la ministre, votre exposé était remarquable et extrêmement documenté. Vous nous avez indiqué qu'en juin 2021, le ministre australien affirme que le programme est de nouveau sur les rails. Mais cela signifie donc qu'il en était quasiment sorti. Vous avez évoqué différents problèmes : participation des Australiens à la mise en œuvre du programme, coûts et planning. S'agissait-il de difficultés habituelles dans la réalisation de ce type de contrat à très long terme ou de difficultés révélatrices d'une crise profonde, d'autant que nous n'étions pas en faute ?

Je suis moins surpris que M. Herbillon que rien ne se soit su, pour la simple et bonne raison que le projet n'existait pas. C'était un simple engagement de principe entre le sommet de la hiérarchie australienne et le sommet de la hiérarchie américaine. Pouvez-vous nous éclairer sur l'inanité ou la légitimité partielle de la stratégie australienne consistant à faire appel à des sous-marins à propulsion nucléaire, limitant l'autonomie australienne par rapport à notre programme, avec, en outre, des délais de livraison beaucoup plus longs ? S'agit-il d'un calcul stratégique intelligible ou d'une manœuvre politique de M. Scott Morrison ? S'agit-il d'une nouvelle réalité géopolitique ou d'une horrible entourloupe ?

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Florence Parly, ministre des Armées

Quelle rationalité peut sous-tendre la décision australienne ? Il est difficile de faire des suppositions à la place des Australiens. Nous pouvons lire ce changement de pied comme un alignement politique pur et simple de l'Australie sur les États-Unis. On peut s'interroger à l'infini sur les raisons de cet alignement. Je ne veux pas en faire l'exégèse puisque nous ne sommes pas australiens, mais nous avons la possibilité échanger avec les Australiens nos visions des défis et des menaces qui pèsent sur l'Indopacifique. N'oublions pas qu'il y a quelques années, l'Australie a choisi de diversifier ses partenariats après qu'il avait fait le choix historique d'un partenariat plus que profond avec les États-Unis. Faut-il l'interpréter comme le retour à la situation antérieure ? Je vous soumets la question.

L'autre élément qui apparaît clairement est le renoncement australien à sa souveraineté. En lançant le programme aujourd'hui remis en cause, les autorités australiennes avaient la volonté forte de se doter d'un outil souverain, c'est-à-dire d'une capacité à construire, à opérer et à entretenir de façon autonome une sous-marinade. Nous avons répondu à cet appel en proposant, pour la partie qui nous incombait, un bateau construit dans des chantiers australiens par des salariés australiens, avec de l'acier australien, en formant des ingénieurs et des techniciens australiens capables d'en assurer la maintenance. C'est ce que j'appelle un programme de souveraineté.

Y ont-ils totalement renoncé ? À vrai dire, on ne le sait pas, puisque, comme l'a bien exprimé le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, c'est un saut dans l'inconnu. Peut-être savent-ils ce qu'ils vont acquérir, mais je crois avoir entendu les principaux intéressés évoquer une étude de dix-huit mois. Quand on lance une étude, on ne sait pas encore quel objet en résultera. J'ai donc beaucoup de mal à répondre à votre question. Les Australiens doivent d'abord s'interroger eux-mêmes, tandis que nous devons tirer les conséquences de leur volonté exprimée de manière brutale. Nous allons poursuivre avec beaucoup d'énergie l'approfondissement de nos partenariats avec d'autres pays de l'Indopacifique et nous allons revoir, à l'aune des derniers événements, la nature de notre coopération dans le domaine militaire.

Vous devez être absolument convaincus que nous avons déjà réaffirmé notre nature de nation indopacifique, puisque, vendredi dernier, dans le cadre du Forum des îles du Pacifique (FIP), j'ai eu l'occasion de dire aux ministres de la défense de Nouvelle-Zélande, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga et Fidji, que nous étions toujours pleinement investis dans les enjeux que constituent la menace chinoise, mais aussi le changement climatique ou les risques environnementaux. Nous avons beaucoup en commun. Pour l'anecdote, mon homologue, le ministre australien de la défense, participait, lui aussi, à cette réunion. Pour la première fois, j'ai donc eu l'occasion de réaffirmer avec force non seulement que nous étions légitimes dans ces forums de discussion, mais que nous avions des intérêts et des ambitions pour la coopération dans la région.

Avec l'Australie, nous sommes en train de réexaminer les choses. Je précise que le ministre de l‘Europe et des affaires étrangères a annoncé le retour de l'ambassadeur de France en Australie il y a moins de quarante-huit heures. Il aura notamment pour mission d'évaluer les conditions dans lesquelles nous pourrons, ou pas, rebâtir la confiance qui a été si significativement atteinte.

Vous avez été plusieurs à m'interroger sur l'existence éventuelle de signaux faibles et à me demander comment nous avions pu passer à côté d'une pareille trahison. Il y a eu, bien sûr, des signaux faibles, ici ou là, mais il y a surtout eu des signaux forts, voire très forts, que l'Australie ne voulait pas de propulsion nucléaire. Il faut sans cesse le répéter, même si cela a été dit, dit et redit de façon explicite et officielle : il est très compliqué de faire dire quelque chose à une personne ou à un État, alors même qu'il vous dit le contraire.

Un programme de sous-marins et d'armement est toujours très complexe et ne se déroule jamais exactement comme prévu. D'où l'importance de mécanismes de pilotage pour remettre le programme sur de bons rails et résoudre les problèmes qu'on n'avait pas suffisamment anticipés. Un plan B ne pouvait être envisagé qu'au cas où le programme ne se serait pas bien déroulé, mais les Australiens disaient que le programme se déroulait bien !

Monsieur le président, je ne sais pas si on peut aller jusqu'à employer le terme de « perversité », mais il était très difficile de percevoir la moindre évolution, compte tenu des signaux très forts, et des questions que nous avions clairement posées. Nous vous donnons peut-être l'impression de ne pas avoir été actifs. Or nous l'avons particulièrement été, par les questions que nous avons posées, non seulement aux Australiens, mais également aux autorités des États-Unis. J'en ai parlé au mois de juillet à mon homologue américain, qui m'a répondu que c'était un problème purement bilatéral entre la France et l'Australie. C'était évidemment faux puisque c'était un partenariat industriel franco-américano-australien.

Si on nous avait sollicités pour fournir un sous-marin nucléaire, qu'aurions-nous fait ? Je le répète, la question ne nous a pas été posée et les Australiens ne nous l'ont pas demandé. S'ils l'avaient fait, je crois pouvoir dire que nous aurions examiné la demande, puisque techniquement, nous aurions pu y répondre. La question se posait en opportunité et aurait mérité une réflexion approfondie, car il s'agit de technologies très sensibles qui, jusqu'au 15 septembre dernier, n'ont jamais été exportées par aucun pays du P5. En conséquence, le partenariat AUKUS brise un tabou, qui plus est, s'agissant de réacteurs nucléaires utilisant de l'uranium hautement enrichi, ce qui n'est pas le cas des sous-marins à propulsion nucléaire français, qui utilisent un uranium faiblement enrichi. Nous devons analyser cette situation nouvelle car il y a un risque de prolifération nucléaire. Je dis bien « un risque » car, à ce stade, nous ne savons rien de ce que pourrait être le programme de sous-marins à propulsion nucléaire destinés à l'Australie défini dans le cadre du partenariat AUKUS. Il est légitime de dire qu'il y a un risque de prolifération nucléaire, ce qui donnera lieu à de très nombreux débats et études. C'est un précédent qui peut avoir des implications lourdes.

Vous avez rappelé les accords de Lancaster House. Le partenariat avec le Royaume-Uni doit, lui aussi, être examiné à l'aune de ce qui vient de se passer. Ce partenariat subissait déjà les conséquences de la situation créée par le Brexit. Nous n'avions pas renoncé à l'entretenir, mais il nous faut examiner comment le projet de missile pour notre marine peut se développer et si les conditions de son développement sont réunies, deux choses tout à fait différentes.

Concernant nos relations avec les États-Unis, je ne suis pas sûre d'avoir grand-chose à vous apprendre. Un échange entre le Président de la République et le président des États-Unis a permis de tracer un chemin pour tenter de rétablir la confiance. Nous savons que le processus sera long. Des sujets ont été identifiés : la nécessité d'une défense européenne plus forte et plus performante, en complémentarité avec l'OTAN ; l'importance stratégique de l'engagement de la France et de l'Union européenne dans la région indopacifique ; l'appui des États-Unis dans les opérations antiterroristes que nous conduisons, notamment au Sahel. Nous verrons quels progrès peuvent être accomplis. Ce n'est que sur la base de ces progrès que, pas à pas, nous pourrons, je l'espère, rebâtir la confiance. Mais on ne peut pas s'appuyer sur un échange téléphonique pour décréter que les choses sont revenues à la situation d'origine.

Je voudrais redire que, ni l'évolution de nos relations avec l'Australie, ni la perspective du référendum en Nouvelle-Calédonie, qu'elle qu'en soit l'issue, ne change quoi que ce soit à notre engagement durable dans la région Pacifique.

Je voudrais également redire devant vous que la présence militaire française en Nouvelle-Calédonie est importante pour au moins trois raisons. D'abord, il s'agit de protéger plus de 270 000 concitoyens, une part significative – 14 % – de notre surface maritime, ainsi que les richesses des océans face aux pillages organisés et à toutes les formes de trafics. Ensuite, la Nouvelle-Calédonie représente un point d'appui majeur pour la projection de forces dans le Pacifique Sud. C'est notamment le cas lors de crises humanitaires, parce que c'est une région où les élongations sont extrêmes. Nous en avons parlé avec les représentants des pays du Pacifique Sud dans le cadre du Forum. Enfin, nous contribuons directement à la sécurité et à la stabilité de ces États insulaires face à un expansionnisme chinois de plus en plus marqué.

Le ministère des armées investit en faveur des forces positionnées en Nouvelle-Calédonie puisque, dans le cadre de la loi de programmation militaire que vous avez adoptée, nous allons renouveler la quasi-totalité de leurs moyens maritimes d'ici à 2025.

La Nouvelle-Calédonie joue un rôle essentiel, sans parler du fait qu'il s'agit d'un territoire français. Je ne peux pas faire de pronostic sur ce qui va se passer. Je peux simplement vous renvoyer aux propos qu'a tenus au Sénat le ministre des outre-mer, qui a rappelé dans quel contexte la Nouvelle-Calédonie se trouvait lorsque le processus de Matignon a été lancé. À l'époque, le leader indépendantiste indiquait que la Nouvelle-Calédonie vivait dans un environnement pacifique où elle n'avait que des amis.

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Florence Parly, ministre des Armées

Non seulement il a été assassiné, mais on voit bien que les choses ont profondément changé. Il faudra que toutes celles et tous ceux qui déposeront un bulletin de vote, le moment venu, le prennent en compte.

Le Livre blanc de la défense européenne, dit boussole stratégique, sera l'un des marqueurs de la présidence française de l'Union européenne, parce que, pour la première fois, il permettra de fixer une ambition pour l'Europe de la défense. Le Président de la République a fixé cette ambition dans le cadre du discours de La Sorbonne, en septembre 2017. Mais, cette fois, c'est un document commun à l'ensemble des Européens que nous allons partager. L'un de nos défis, c'est que son niveau d'ambition corresponde à la situation géopolitique dans laquelle nous nous trouvons et intègre les conséquences, d'une part, du désengagement d'Afghanistan, et, d'autre part, de ce que nous avons abondamment commenté ce soir, c'est-à-dire d'AUKUS.

Ce Livre blanc doit impulser un nouvel élan dans le domaine opérationnel. Ainsi, dans l'Indopacifique, nous devons défendre nos ressources halieutiques et lutter contre les trafics et les ingérences. On pourrait aussi citer nos ambitions dans le domaine spatial, puisque nous souhaitons doter l'Europe d'une stratégie spatiale de défense, ou bien notre capacité à continuer de mener au Sahel des opérations conjointes avec des partenaires européens volontaires et capables.

S'agissant du développement de capacités, c'est-à-dire des équipements, nous avons atteint l'objectif que nous nous étions fixé de créer un Fonds européen de la défense. Il faut poursuivre dans cette voie et mener à bien des projets de coopération structurelle permanente qui nous permettront de nous doter d'équipements de plus en plus européens.

La boussole stratégique doit contribuer à jeter les bases de relations équilibrées et mutuellement bénéfiques avec, et entre, tous nos partenaires – des États-Unis, de l'OTAN ou de l'Union européenne. Il s'agit de viser l'autonomie stratégique, objectif que le Président de la République a fixé il y a déjà quatre ans. C'est un terme qu'on n'entendait pas beaucoup dans les cercles européens il y a encore quelques mois. Après la chute de Kaboul, ce concept a pris une nouvelle signification pour beaucoup de nos partenaires européens.

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Quand on divorce, on ne partage pas le bon grain de l'ivraie. Quand ça commence à mal aller, tout va mal. Est-il encore possible de protéger en partie l'accord de Lancaster House et ses prolongements militaires et industriels ?

Concernant l'offre nucléaire, quelle leçon tirez-vous du contrat Prosub avec le Brésil ? Pourrait-on étendre une telle offre à d'autres pays ?

Ne considérez-vous pas que tous les éléments d'une crise australienne sont réunis : relations entre majorité et opposition, Premier ministre qui se comporte en trumpiste – à la fois menteur et autiste – auxquels risquent de s'ajouter les enquêtes de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) ?

Les Américains ont dit qu'ils ne nous considéraient pas comme des partenaires dans le Pacifique. Or nous y avons des intérêts. N'aurions-nous pas intérêt à mettre le paquet dans la zone plus proche de l'océan Indien, celle où nous avons quelques actifs, aux Émirats et sur la côte africaine, où nous sommes présents à Djibouti mais concurrencés ? Nous sommes absents de cette côte africaine, où l'on trouve des puissances émergentes importantes et solvables. Ne faut-il pas en tirer les conséquences sur nos priorités dans l'Indopacifique ?

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Ma question concerne la boussole stratégique. Le 19 avril dernier, le Conseil de l'Union européenne a rendu ses conclusions sur sa stratégie de coopération dans la région indopacifique. Dans le domaine de la sécurité et de la défense, l'Union européenne devra déterminer s'il est opportun de mettre en place une présence maritime européenne coordonnée en Indopacifique. Compte tenu des intérêts dont dispose la France dans cette région, de la montée des tensions dans cette zone et de la posture géopolitique des uns et des autres, n'est-il pas opportun d'envisager une présence maritime coordonnée européenne en Indopacifique ?

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La rupture d'un tel « contrat du siècle » est une perte grave. L'ampleur de la secousse est inédite et interroge notre stratégie. En surface, nous avons perdu une bataille, mais plus profondément, il s'agit d'une guerre car nous avons des intérêts à défendre dans la région. Nous avons des sujets militaires, économiques et même politiques avec la Nouvelle-Calédonie, notamment face à une Chine qui aurait tout intérêt à promouvoir l'indépendance calédonienne et, plus largement, à provoquer de la division entre les concurrents. Ne tombons pas dans ce piège. Il nous revient, au contraire, de réfléchir à la meilleure manière de protéger nos intérêts dans l'Indopacifique. Comment apporter une solution à long terme et avec qui ?

Le multilatéralisme que nous avons toujours promu ne peut s'envisager sans colonne vertébrale solide, bien sûr avec l'Europe. Mais nos partenaires ne partagent pas d'intérêts suffisants pour y investir massivement et rapidement. Il nous faut donc d'autres points d'ancrage. De leur côté, les États-Unis ne peuvent pas avancer sans leurs alliés, ni nous sans eux. La brutalité de leur stratégie nous a fragilisés. Peut-on rebondir pour se renforcer mutuellement ? Au vu des derniers rendez-vous diplomatiques, comment percevez-vous la réaction américaine ? Quels sont les nouvelles étapes et marqueurs potentiels d'un changement de pied pour renouer avec une relation de confiance plus que jamais nécessaire ?

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Les provocations de la Chine sont de plus en plus nombreuses dans ce secteur et l'Australie, particulièrement visée, a peur de la Chine. Elle souhaite une protection maximale. Dans un premier temps, l'accord avec la France pouvait apparaître comme une solution plus ou moins lointaine mais, pour les Australiens, elle ne remplacera jamais le parapluie américain, lequel doit se payer au prix fort. Il ressort de nos discussions et de nos auditions que le partenaire français a été testé. Il a fait savoir qu'il voulait bien coopérer à la défense de l'Australie, mais qu'il n'irait jamais jusqu'à un conflit armé avec la Chine. Nous l'avons dit et redit, ce qui n'est pas de nature à rassurer le partenaire australien qui, du fait des incursions incessantes des Chinois dans les eaux territoriales et dans les airs, se sent de plus en plus menacé. Or le président américain ne lui donne guère de choix. Le principal responsable de cette crise n'est donc pas forcément l'Australie, mais celui qui a forcé la main et fixé les règles du jeu – le président des États-Unis.

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L'océan Pacifique est une zone de plus en plus militarisée, et l'axe Paris-New Delhi-Canberra aurait pu ouvrir une troisième voie entre la puissance militaire chinoise et la puissance américaine. Lors d'une audition, l'amiral Vandier nous avertissait que la Chine mettait à l'eau une frégate par mois, un sous-marin par an, un porte-avions tous les trois ans et qu'elle procède tous les quatre ans à un équipement naval représentant la totalité de la marine nationale française. Compte tenu du changement d'axe résultant de la rupture du contrat entre la France et l'Australie, quelle stratégie devons-nous mettre en œuvre pour rester militairement puissants dans la zone, alors que la Chine dispose de 418 bâtiments de combat, les États-Unis, 283, et nous, 80 ?

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Florence Parly, ministre des Armées

Loin de moi l'idée de considérer que le partenariat avec le Royaume-Uni n'est pas précieux. Ce qui a été construit, depuis 2010, n'a pas vocation à disparaître. S'il va falloir réévaluer ce que nous avions l'ambition de construire ensemble, ce qui existe est un atout à préserver.

Le Brésil est notre premier partenaire stratégique d'Amérique latine. En 2008, nous avons signé l'accord intergouvernemental de développement du programme Prosub. Signé par Naval Group, il vise à fournir quatre sous-marins conventionnels de type Scorpène et à apporter une assistance à la réalisation d'un sous-marin nucléaire, en dehors de la partie nucléaire, puisque c'était une ligne rouge pour la France. La phase de conception a été achevée en mars 2017 et le programme se poursuit comme prévu.

Monsieur Maire, vous avez raison de souligner l'importance de l'océan Indien dans la zone indopacifique. C'est pourquoi nous avons approfondi notre partenariat avec l'Inde au cours des dernières années, avec laquelle nous coopérons en matière d'armement et entretenons un dialogue stratégique approfondi. Compte tenu de ses choix d'équipement militaire, nous réalisons des exercices d'entraînement avec la marine et l'armée de l'air indiennes. Nous avons une attention partagée sur les îles et les territoires de l'Est africain, dans la mesure où ils font aussi face à une présence chinoise de plus en plus appuyée. Nous avons de très nombreux intérêts communs et nous développons un dialogue qui, je le pense, s'étendra dans les années qui viennent.

Nous devons pousser l'idée d'une présence maritime coordonnée européenne en Indopacifique, mais il faut être conscient des conditions préalables. Nous éprouvons quelques difficultés dans la génération de forces, dimension essentielle, surtout lorsque les missions en question sont éloignées du territoire européen. Il faut que le dialogue soit très ouvert avec nos partenaires et permettre d'afficher la volonté des Européens de voir réaffirmer le droit international et la liberté de navigation. Je n'ai aucun doute sur la pertinence de l'initiative, encore faut-il que les Européens se donnent les moyens de déployer une présence maritime coordonnée dans un espace plus éloigné encore que ce que nous avons testé dans le golfe de Guinée, que nous pourrions étendre dans le golfe arabo-persique et que nous pourrions envisager dans l'Indopacifique.

Quelles solutions à long terme ? Avec qui ? Comment se renforcer mutuellement ? Nous avons évoqué des pistes pour retrouver le chemin de la confiance dans des relations bilatérales abîmées et pour continuer à préserver le multilatéralisme comme élément décisif pour la stabilité des relations internationales et d'un certain nombre de régions. Cela passe par une accélération de la construction de l'Europe de la défense. Je ne reviendrai pas nos ambitions dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne car cette contribution essentielle n'épuise pas le sujet. Il faudra aussi régler les relations entre l'Union européenne et l'OTAN, car tout effort supplémentaire des Européens dans le domaine de la défense ne doit pas être perçu comme une forme de mise en cause ou d'affaiblissement de l'Alliance atlantique. C'est pourquoi nous avons besoin d'approfondir le dialogue avec les États-Unis, afin qu'ils considèrent que les efforts accomplis par les Européens pour leur propre sécurité constituent une contribution de nature à renforcer l'Alliance atlantique elle-même.

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Il faut convaincre le secrétaire général de l'OTAN.

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Florence Parly, ministre des Armées

Le secrétaire général de l'OTAN sera d'autant plus convaincu que les alliés, dans un bel ensemble, le lui répéteront.

Quelle stratégie mettre en œuvre pour rester puissants dans l'espace indopacifique ? Nous avons un outil militaire puissant, pour nous en servir si nécessaire, mais aussi pour donner de la crédibilité à notre diplomatie. Je ne suis pas persuadée que nous devions nous inscrire dans la perspective d'un affrontement militaire avec la Chine. Notre posture n'est pas celle d'une alliance destinée à faire face militairement à un pays dans une logique conflictuelle, à l'inverse d'AUKUS.

Nous prônons le respect de principes fondamentaux tels que la liberté de circulation et la liberté de navigation. Si nous projetons des moyens navals en mer de Chine, c'est pour exprimer de façon pacifique que nous avons le droit de circuler librement dans ces eaux. Nous ne sommes donc pas dans une posture d'affrontement mais refusons simplement toute forme de déni d'accès. Ce que nous faisons en Indopacifique, nous le faisons dans d'autres régions du globe, plus près de chez nous, en mer Méditerranée. Il ne faut pas raisonner en opposant les tonnages des navires, mais chercher à préserver le droit international et à éviter l'escalade militaire dont le partenariat AUKUS peut constituer les prémices.

Les provocations chinoises, la peur de l'Australie vis-à-vis de la Chine sont l'expression d'un point de vue qui ne justifie pas de réponse de ma part.

Enfin, je réserverai à M. Lassalle mes réflexions sur le point de savoir si cela va mieux ou plus mal !

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Cette audition très enrichissante n'avait pas pour vocation de résoudre les problèmes impressionnants qui sont devant nous, mais elle nous a profondément éclairés. Demain, la commission des affaires étrangères suivra l'exemple de la commission de la défense en recevant le P.-D.G. de Naval Group. Je ne doute pas qu'à partir de votre analyse de la crise, nous pourrons lui poser des questions plus précises.

Même si nous continuons d'être sidérés par la façon dont nos alliés nous ont traités, nous comprenons désormais les tenants et les aboutissants de cette crise. Nous voulons construire l'avenir et nous savons qu'il sera différent de ce que nous avions imaginé avant la crise. Nous avons de grands défis à relever, que nos deux commissions vont suivre. Nous aurons les yeux fixés sur l'évolution de la discussion entre alliés au sein de l'OTAN et sur le comportement de nos partenaires européens. Nous n'en avons pas beaucoup parlé mais, après un retard à l'allumage, les Européens ont fini par comprendre que ce n'était pas seulement une affaire franco-australienne ou une affaire franco-australo-américaine et que le degré de fiabilité qu'ils devaient accorder au fonctionnement du système d'alliance était important. Entre le scepticisme initial et la prise de conscience de la nécessité de relever un défi, qu'est-ce qui va l'emporter dans les semaines et les mois à venir ? C'est ce que nos deux commissions vont suivre avec attention. Le moment est critique, et peut avoir des effets positifs ou négatifs, mais à coup sûr décisifs pour l'avenir stratégique et international de notre pays.

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Madame la ministre, je partage le sentiment du président Bourlanges et je tiens à mon tour à vous remercier pour votre analyse, qui corrobore ce que nous avons déjà entendu.

Nous vous soutiendrons et serons attentifs au respect, au centime près, des droits contractuels de Naval Group. Nous suivrons avec beaucoup d'attention la reprise du dialogue avec l'Australie, les États-Unis et nos amis britanniques, notamment au regard des accords de Lancaster House qui comportent des éléments précis en ce qui concerne les futurs missiles antinavires et les futurs missiles de croisière. Nous avons peu parlé des Britanniques, mais cet évènement aura des conséquences majeures sur la qualité de notre relation et notre confiance réciproque.

Enfin, nous aurons à vous soutenir et à soutenir l'exécutif pour défendre nos intérêts dans l'Indopacifique. Quelle que soit l'intensité de nos relations avec l'Australie, il faudra poursuivre, en bilatéral ou en multilatéral, le partenariat avec les autres pays de la zone, où nous avons des intérêts. Il y aura un après et le pire n'est jamais sûr. Cet évènement peut être l'occasion d'une prise de conscience générale du besoin de renforcement et de diversification de nos partenariats. Cela permettra aux pays européens concernés de voir notre place singulière et nous pourrons construire plus solidement encore des partenariats européens pour assurer, dans cette zone, un équilibre entre les forces en présence. À l'aube de notre présidence du Conseil de l'Union européenne, ce sera peut-être de nature à renforcer notre position, celle que défend le Président de la République et que vous défendez.

La séance est levée à vingt-trois heures dix.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Jacques Bridey, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Séverine Gipson, M. Jean-Michel Jacques, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Jean Lassalle, M. Christophe Lejeune, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Meyer, Mme Monica Michel-Brassart, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Florence Morlighem, Mme Josy Poueyto, Mme Isabelle Santiago, M. Pierre Venteau, M. Stéphane Vojetta

Excusés. - M. Florian Bachelier, M. Olivier Becht, M. Christophe Castaner, M. André Chassaigne, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Richard Ferrand, M. Stanislas Guerini, M. David Habib, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Patrick Mignola, M. Joachim Son-Forget, M. Aurélien Taché, M. Stéphane Trompille

Assistaient également à la réunion. - Mme Aude Amadou, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Pierre Cabaré, Mme Mireille Clapot, M. Alain David, M. Michel Fanget, Mme Maud Gatel, M. Luc Geismar, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jacques Krabal, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Nicole Le Peih, M. Jacques Maire, M. Frédéric Petit, Mme Bérengère Poletti