Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 7 avril 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • indo-pacifique
  • japon
  • militaire
  • partenariat
  • suisse

La réunion

Source

La séance est ouverte à 9 h 30.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Japon, d'autre part (n° 3597) (Mme Sandra Boëlle, rapporteure)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Japon, d'autre part, signé le 17 juillet 2018, offre un cadre juridiquement contraignant, qui vise à promouvoir les relations avec le Japon et à faciliter la conclusion d'accords, notamment bilatéraux, dans des domaines variés, définis par l'accord – dialogue politique, sécurité, développement, action humanitaire, coopération économique, environnement, éducation, culture, coopération scientifique, santé, coopération judiciaire, espace. Un accord de partenariat économique traitant plus spécifiquement des échanges économiques et commerciaux a été signé le même jour.

L'accord de partenariat stratégique s'inscrit dans le cadre de la stratégie menée par l'Union européenne à l'égard de l'Asie. Au cours des dernières années, l'Union a commencé à structurer ses relations avec les pays de ce continent. En 2010, elle a conclu un partenariat stratégique à peu près comparable avec la Corée du Sud. Elle a fait de même avec la Nouvelle-Zélande en 2016 et avec l'Australie, en 2017. Ces textes s'ajoutent aux accords de coopération conclus avec huit pays d'Extrême-Orient et à trois accords qui sont en cours de négociation.

L'accord de partenariat stratégique avec le Japon est donc un élément d'un vaste ensemble, dans un espace où, traditionnellement, les États-Unis nouent des relations économiques et politiques très fortes, et où des organisations régionales puissantes structurent les relations internationales. Dans le contexte de tensions avec les États-Unis, où plusieurs États européens sont entraînés, la Chine tisse un réseau de relations structurelles sur l'ensemble du continent au moyen de sa Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures. L'Europe doit apporter une offre cohérente et coordonnée d'échanges dépassant le cadre usuel des accords de libre-échange et d'investissement, pour placer la relation sur le terrain de la défense des valeurs, sous tous leurs aspects – sécurité, éducation, environnement, échanges humains, coopération judiciaire, qui a retenu notre attention ces dernières années.

Depuis 2003, les relations entre l'Union européenne et le Japon ont été hissées au rang de partenariat stratégique, un terme qu'affectionne l'Union. Elle entretient de telles relations avec la Chine, la Corée du Sud, l'Inde et l'Association des nations d'Asie du Sud-Est (ASEAN). Toutefois, l'accord de partenariat stratégique avec le Japon de 2018 couvre des domaines d'action très vastes et est juridiquement contraignant. Pour la France, cet accord est d'autant plus essentiel que notre pays jouit au Japon d'une position privilégiée de partenaire économique ancien et bien implanté – nous y sommes le deuxième investisseur étranger. Le Japon est par ailleurs un interlocuteur politique de confiance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et le Japon, signé le 17 juillet 2018, vise à donner un cadre juridique englobant et contraignant à une relation bilatérale dense et dynamique, qui s'appuyait jusqu'à présent sur un plan d'action conjoint adopté en 2001, que l'accord a vocation à remplacer. Signe de la vitalité de la relation bilatérale, un sommet a lieu chaque année entre l'Union européenne et le Japon, afin d'aborder les différents domaines de coopération – le prochain devrait avoir lieu dès que les conditions sanitaires le permettront.

Le présent accord doit être distingué de l'accord de partenariat économique, signé le même jour et entré en vigueur dès le début de l'année 2019. Il s'agit des deux piliers de la relation bilatérale souhaitée pour les prochaines années entre l'Union européenne et le Japon. Leurs approches sont complémentaires. L'accord que nous examinons ne contient que de rares dispositions sur les questions économiques et commerciales, et n'est pas un accord de libre-échange. Les exportations de la France vers le Japon ont augmenté de 18 % en 2019 après l'entrée en vigueur de l'accord. Cette dynamique pourrait favoriser un rééquilibrage des relations commerciales avec le Japon, pour la France comme pour l'Union européenne.

L'accord de partenariat stratégique, qui compte 51 articles, couvre de très nombreuses thématiques, allant de l'éducation et la culture à la politique de développement, en passant par la coopération judiciaire et la promotion de la paix et de la sécurité. Dans ses premiers articles, il met l'accent sur la promotion des valeurs communes, notamment dans les enceintes internationales. L'ambassadeur du Japon en France que j'ai rencontré lors de mes travaux préparatoires a insisté sur ce point : ces valeurs communes, qu'il s'agisse de la démocratie ou de l'État de droit, doivent d'autant plus nous mobiliser qu'elles sont partout menacées. L'accord de partenariat stratégique se présente comme un accord facilitateur, qui doit favoriser la réalisation de projets concrets et la conclusion de nouveaux accords bilatéraux, plus ciblés. Comme le Japon, nous serons libres de proposer des coopérations dans tel ou tel domaine. Certains font déjà l'objet d'une attention particulière. C'est le cas de la sécurité et de la défense, d'une part, et de l'environnement et de la lutte contre le changement climatique, d'autre part. Ces dernières années, le Japon, sixième émetteur mondial de gaz à effet de serre, et signataire de l'accord de Paris sur le climat, a mené dans ce domaine une politique jugée peu ambitieuse. À l'automne 2020, l'actuel Premier ministre, Yoshihide Suga, issu de la même formation politique que son prédécesseur Shinzō Abe, a toutefois présenté une politique plus volontariste, qui fixe un objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. La mise en œuvre de l'accord de partenariat pourra permettre d'avancer ensemble sur ce sujet : un projet d'alliance verte entre l'Union européenne et le Japon est déjà en cours d'élaboration.

Concernant la sécurité et la défense, la constitution que le Japon a adoptée à l'issue de la Seconde guerre mondiale prévoit dans son article 9 le renoncement du peuple japonais à la guerre et à l'usage de la force. L'interprétation de cet article a toutefois beaucoup évolué. Depuis 2015, la loi admet que les forces japonaises d'autodéfense peuvent contribuer à la légitime défense collective en venant en aide à leurs alliés, tant qu'elles n'utilisent pas la force létale. Dans ce contexte, l'Union européenne aimerait mettre à profit l'accord de partenariat pour favoriser une participation du Japon aux missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), comme cela a déjà pu se faire lors de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie.

Enfin, l'accord fait de la lutte contre la prolifération nucléaire un objectif commun. Le Japon est très engagé sur ce sujet du fait de son histoire : les catastrophes nucléaires de Hiroshima et de Nagasaki, ainsi que l'accident de la centrale de Fukushima il y a dix ans, restent très présents dans la mémoire collective, et permettent de comprendre la forte opposition de la population à l'arme nucléaire. Chaque année depuis 1994, le Japon présente une résolution sur le désarmement nucléaire devant l'Assemblée générale des Nations unies. Conscient d'être entouré de puissances nucléaires et de dépendre de la protection américaine, il adopte une position pragmatique en la matière. Comme la France, il a fait le choix de ne pas signer le Traité sur l'interdiction des armes nucléaires de 2017.

L'accord de partenariat stratégique s'inscrit aussi dans la politique régionale que mène l'Union européenne en Asie-Pacifique. D'abord perçue comme un acteur commercial, l'Union cherche à faire évoluer son image dans la région, au profit d'une coopération politique et sécuritaire. L'Asie-Pacifique, notamment la région indo-pacifique, suscite un intérêt grandissant de la part de l'Union européenne, dans le sillage des États-Unis. Dans la logique du Brexit, le Royaume-Uni cherche également à se tourner de plus en plus vers la région. S'il a signé l'accord en tant que membre de l'Union européenne en juillet 2018, il ne l'a pas ratifié et n'est plus fondé à le faire depuis sa sortie de l'Union européenne.

Ces dernières années, l'Union européenne a conclu plusieurs accords de partenariat ou de coopération semblables à celui que nous examinons, notamment avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Notre commission a pu en débattre, en 2018 et en 2020. Pour l'Union européenne, le Japon apparaît comme un partenaire prioritaire pour renforcer sa présence régionale. Depuis quelques années, les autorités japonaises promeuvent leur stratégie pour un Indo-Pacifique libre et ouvert, appuyé sur trois piliers, sur lesquels des coopérations avec l'Europe sont possibles : la promotion de la démocratie et du libre-échange ; la paix, la sécurité et la stabilité ; et la prospérité économique et la connectivité.

Ce dernier domaine a justement fait l'objet d'un partenariat sur la connectivité durable et les infrastructures de qualité, signé en 2019. Tous mes interlocuteurs ont insisté sur l'importance de cet accord, qui vise notamment à proposer une alternative aux nouvelles routes de la soie chinoise, en promouvant une approche de la connectivité fondée sur les valeurs défendues par l'Union européenne. L'accord doit faciliter la mise en œuvre de projets d'infrastructures comme des routes et des chemins de fer, ainsi que le développement d'autres formes de connectivité, par exemple autour de l'éducation. Il s'agit pour le Japon de poursuivre la politique du précédent Premier ministre, Shinzō Abe, afin d'être plus actif sur la scène internationale et de diversifier les partenariats, dans un contexte de montée en puissance de la Chine.

La thématique de l'Indo-Pacifique conduit à aborder l'intérêt qu'aura l'entrée en vigueur du présent accord de partenariat stratégique du point de vue de la France. Comme l'ont confirmé mes interlocuteurs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, il existe un très fort alignement de l'approche européenne et de l'approche française vis-à-vis du Japon. Nous avons avec ce pays une relation bilatérale ancienne, solide et dynamique, qui a été érigée au rang de partenariat d'exception il y a quelques années. Nos échanges s'appuient sur une feuille de route pour la période 2019-2023, qui fixe cinq priorités : le renforcement de la coopération dans l'espace indo-pacifique ; l'approfondissement de la coopération dans le domaine de la sécurité et de la défense ; la promotion d'une gouvernance mondiale fondée sur le multilatéralisme ; le développement d'un partenariat économique tourné vers l'innovation ; et la création d'une nouvelle dynamique en matière d'échanges humains.

La coopération dans l'espace indo-pacifique fait l'objet d'un partenariat franco-japonais, qui vise à développer des projets concrets autour de quatre piliers – la sécurité maritime ; le climat, l'environnement, la biodiversité ; les infrastructures de qualité ; et la santé. La France, seul pays de l'Union européenne à être activement présent dans le Pacifique depuis le retrait du Royaume-Uni, est le premier État membre à avoir adopté une stratégie nationale pour l'Indo-Pacifique. Elle se distingue par la présence de plus de 1,6 million de concitoyens, répartis sur 7 départements, régions et collectivités d'outre-mer, auxquels s'ajoutent environ 8 000 militaires en mission dans la zone. Notre pays cherche ainsi à donner une impulsion pour l'adoption d'une stratégie européenne pour l'Indo-Pacifique, ce qui fait de la France un partenaire particulièrement important pour le Japon en Europe.

L'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et le Japon, qui s'accompagne d'une série de dialogues thématiques réguliers, fournira davantage d'occasions pour aborder ensemble tout sujet, y compris ceux sur lesquels il existe des différences d'approche, voire des désaccords. Le dialogue pourrait par exemple s'intensifier sur le thème de l'égalité hommes femmes. Il en va de même pour l'épineuse question du statut des enfants binationaux, qui peuvent être privés de leur parent européen en cas de séparation. Le droit japonais ne reconnaît en effet ni le droit de visite ni le partage de l'autorité parentale. Cette situation n'a pas évolué malgré l'adhésion du Japon aux instruments internationaux de référence sur les droits des enfants. Le Parlement européen a adopté une résolution sur ces questions en juillet 2020, et nos collègues du Sénat, en février de la même année. L'Union européenne s'est engagée à suivre le nombre de cas non résolus et à mettre à profit le partenariat stratégique avec le Japon, pour obtenir des avancées sur ce sujet sur lequel nous devrons rester vigilants. Le Japon a récemment fait référence à des réflexions en cours pour faire évoluer la législation japonaise en matière de garde partagée.

Mes chers collègues, malgré ces quelques réserves, je vous invite à voter en faveur de la ratification de cet accord. Le Japon a achevé sa procédure interne de ratification ; du côté européen, seize États membres ont déjà ratifié l'accord. Il pourra entrer en vigueur lorsque tous les États membres en auront fait de même.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la rapporteure, vous avez su clarifier la différence entre un accord de partenariat stratégique et un accord de partenariat économique. Ces deux textes, signés le même jour, ont des portées et des domaines d'action différents.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis députée des Français qui résident au Japon. Le projet de loi vise à autoriser la ratification de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres d'une part, et le Japon, d'autre part. Ces accords sont un moyen de définir un cadre et des règles là où ils n'existent pas. Il est toujours très important de structurer des relations, qu'elles soient bilatérales ou multilatérales.

Le présent accord compte énormément pour la France. Le Japon est un pays allié, avec lequel nous sommes liés par une même communauté de valeurs, tels la démocratie et l'État de droit, par des préoccupations communes face à certains défis – la lutte contre les armes de destruction massive, contre le terrorisme, contre le crime organisé –, par nos signatures de l'accord de Paris sur le climat, un sujet sur lequel je souhaiterais que nous développions une ambition commune, par le respect du droit international et maritime, ainsi que par un goût et une curiosité réciproques de l'autre, par la fierté de nos propres cultures et par un profond respect mutuel. Le Japon aspire à être, avec les États-Unis, l'Inde ou l'Australie, un partenaire indispensable au renforcement du droit international dans toutes ses dimensions, notamment en matière de liberté de circulation dans l'espace indo-pacifique. Depuis le Brexit, la France est la seule puissance européenne à être territorialement et militairement présente dans cette zone. On peut d'ailleurs espérer que l'accord serve de terreau pour que de nouveaux partenariats se nouent entre Japonais et Européens en matière de défense ou d'innovation technologique.

Qu'un texte consacre ces points et donne une épaisseur politique à notre relation est bienvenu. Bien qu'il soit différent, il rejoint le traité commercial entre l'Union européenne et le Japon, entré en vigueur en 2019. Notre assemblée avait adopté une résolution positive mais exigeante à l'égard de ce dernier.

Mme la rapporteure l'a souligné, si l'amitié que la France porte au Japon est sincère, nous avons parfois des nuances voire des divergences. Je souligne à mon tour le drame inacceptable des enfants enlevés par leur parent japonais à l'issue d'un divorce ou d'une séparation, que certains de nos ressortissants ont traversé ou sous la menace de laquelle ils se trouvent. Il appelle à une meilleure concertation des institutions judiciaires dans nos deux pays pour que de telles pratiques cessent. La résolution du Parlement européen et celle du Sénat pour faire cesser ces drames familiaux ont été évoquées. Notre assemblée s'honorerait d'en voter une semblable.

En dépit de cette réserve, le groupe La République en Marche votera en faveur du projet de loi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre collègue Sandra Boëlle a eu raison d'insister sur l'Indo-Pacifique, qui nous préoccupe : le Japon et la France ont noué un accord à ce sujet, et un autre accord a été signé avec l'Union européenne. Pour la première fois, la chancelière allemande a évoqué une stratégie indo-pacifique. L'Union européenne a pris des décisions en ce sens. Boris Johnson a également abordé ce thème lorsqu'il s'est exprimé sur la nouvelle politique étrangère du Royaume-Uni, il y a quinze jours. Les événements relatifs aux nouvelles routes de la soie ont conduit à une prise de conscience de l'ensemble des pays : tout le monde est concerné. Dans cette optique, quel rôle le Japon et la France pourraient-ils jouer ? Quelle pourrait être leur coopération sur ce sujet ?

Par ailleurs, quel est le lien entre le projet d'alliance verte entre l'Union européenne et le Japon, et le plan vert que la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a placé au cœur de son mandat ?

Enfin, s'agissant des enfants binationaux, notre commission ne pourrait-elle pas aller plus loin pour trouver une issue concrète à ces drames humains, qui concernent parents et enfants ? Il serait bon que, par l'intermédiaire de Sandra Boëlle, elle puisse suivre cette question, pour la faire évoluer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le sujet peut intéresser les groupes, qui ont la possibilité de déposer un projet de résolution. Il nous concerne tous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le groupe Dem votera en faveur de ce texte, et mon analyse rejoint largement celle d'Anne Genetet. J'y ajouterai cependant trois points.

Tout d'abord, l'accord de partenariat stratégique est une façon de réaffirmer le rôle de l'Union européenne dans la région indo-pacifique, où les enjeux sont majeurs. Il s'agit notamment de contrebalancer l'influence de la Chine dans la zone ou, du moins, d'y exercer une influence plus forte. Le présent accord est un pas dans le bon sens.

Ce qui est vrai pour l'Union l'est particulièrement pour la France. Le Japon est notre deuxième partenaire économique dans la région. Lorsque j'ai découvert le pays et sa culture, j'ai été sensible au respect et à l'intérêt réciproque que se portent nos deux peuples, ainsi qu'à la façon dont les Japonais abordent la logique de partenariat et les cycles de temps. Ayant travaillé un temps au Japon, j'ai pu mesurer l'importance de ces échanges, notamment d'un point de vue économique. Les accords de partenariat stratégique ont le double avantage d'éviter l'écueil classique du verbiage et des bonnes intentions, et d'être juridiquement contraignants. Un tel accord avec le Japon a un sens particulier, très loin de l'affichage politique d'autres textes.

Ensuite, je souligne la création du comité mixte, qui fera vivre l'accord, notamment en ce qui concerne l'alliance verte, pour laquelle le texte constitue un point de départ, non d'arrivée. Il relève aussi le défi d'aborder des sujets connexes.

Enfin, c'est lorsque l'Union européenne se lance dans une démarche de partenariat stratégique que les accords de commerce prennent tout leur sens : un cadre stratégique qui les englobe et les complète donne sens au développement du commerce. C'est pourquoi l'articulation entre partenariat économique et partenariat stratégique paraît comme une référence. La logique du présent accord de partenariat stratégique est inspirante : le MODEM la soutiendra avec force.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Herbillon me fait savoir que son groupe votera en faveur du projet de loi – emporté par sa volonté de faire bref, il a omis de le dire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous avons trop souvent déploré que les accords commerciaux voulus par la Commission européenne n'aient pas de volets prévoyant des coopérations renforcées dans d'autres domaines pour ne pas voir d'un bon œil ce projet de loi. L'accord de partenariat économique et commercial conclu en janvier 2018 avec le Japon s'accompagne, pour une fois, d'un second texte comportant des dispositions politiques et sectorielles qui sont prometteuses, notamment en matière environnementale et culturelle.

Je me félicite que la question de la lutte contre le réchauffement climatique occupe une place de choix. J'y vois une suite de l'action menée par la France, en particulier par François Hollande, lors de la COP21, qui s'est tenue à Paris.

Comme je travaille sur le rôle diplomatique des géants du numérique, dans le cadre d'une mission d'information conduite avec Marion Lenne, je suis sensible aux dispositions concernant la protection des données et la volonté de coopération dans de nouveaux domaines tels que l'espace et les technologies de l'information.

Pour toutes ces raisons, et étant entendu que nous serons beaucoup plus vigilants lorsque viendra le moment d'examiner le second volet, économique et commercial, nous voterons en faveur du présent texte.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Permettez-moi de saluer le travail de Mme la rapporteure.

Nous nous félicitons de cet accord qui tend à renforcer les relations bilatérales et la coopération entre l'Union européenne et le Japon dans plus de quarante domaines, tels que la sécurité, l'énergie, la gestion des catastrophes, les cybermenaces, les affaires économiques, l'éducation, la recherche et le développement ou encore la lutte contre le terrorisme et le changement climatique. Une fois en vigueur, l'accord devrait faciliter les efforts conjoints du Japon et de l'Union européenne pour promouvoir des valeurs communes, comme les droits de l'homme et l'État de droit, un système international fondé sur des règles mais aussi la paix et la stabilité dans le monde, tout en apportant des bénéfices concrets aux citoyens japonais et européens.

Je partage la préoccupation déjà exprimée, notamment par Anne Genetet, au sujet des enfants binationaux issus de familles franco-japonaises.

Dans un contexte marqué par de faibles échanges entre les peuples et des barrières linguistiques, il nous faut saisir les opportunités et l'élan offerts par cet accord pour développer les relations culturelles et la coopération en ce qui concerne la jeunesse, l'éducation et les sports. Il nous faut également investir davantage dans les interactions entre les citoyens, les dialogues éducationnels et culturels ainsi que les programmes de mobilité académique dans le cadre d'Erasmus +.

Je souhaite vous interroger sur le mémorandum relatif à la coopération en pays tiers, en Afrique et dans l'Indo-Pacifique, qui a été conclu entre l'Agence française de développement (AFD) et l'Agence japonaise de coopération internationale (JICA) en juin 2019. Quelle sera l'articulation avec les coopérations menées par les autres pays européens ? A-t-on une idée précise des premiers projets culturels qui devraient recevoir un cofinancement ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cet accord de partenariat stratégique porte bien son nom : il renforcera la coopération entre l'Union européenne et le Japon dans plus de quarante domaines, dont la sécurité et la défense, le climat et l'environnement ne sont pas les moindres.

Le Japon est un allié de la France dans cette région, et on ne peut que se satisfaire de la conclusion d'un tel accord qui permettra de renforcer la relation bilatérale qu'entretiennent déjà les deux pays.

L'Union européenne et le Japon ont des relations économiques étroites. Le texte vise à ancrer le fait que les relations avec le Japon sont aussi fondées sur des valeurs partagées. Nous ne pouvons que rappeler la nécessité de défendre les valeurs et les principes communs que sont la démocratie, les droits de l'homme et les libertés fondamentales. Alors que l'autoritarisme et le nationalisme s'accroissent et que la pandémie est l'occasion pour de nombreux pays de s'accommoder avec les libertés, cet accord permet de réaffirmer nos liens avec une démocratie partenaire.

L'accord est également important dans le contexte géopolitique de l'expansionnisme chinois dans la zone Asie-Pacifique. Le Japon veut que l'Indo-Pacifique soit libre et ouvert et compte sur la relation avec l'Union européenne pour développer cette stratégie. Il faut préciser que la France est le seul État membre de l'Union européenne à être présent dans le Pacifique et qu'elle est le premier à s'être doté d'une stratégie pour l'Indo-Pacifique. La doctrine française dans la région est parfaitement en cohérence avec celle développée par le Japon.

Il nous paraît pertinent de développer nos partenariats avec les pays de cette région qui forment avec nous une communauté de valeurs, comme la Corée et le Japon. Le dialogue quadrilatéral pour la sécurité qui a été récemment engagé par l'Inde, les États-Unis, l'Australie et le Japon permet notamment de contrebalancer la stratégie chinoise des routes de la soie.

L'Asie de l'Est est en passe de devenir le nouveau cœur économique et stratégique de la planète. La France et l'Union européenne doivent jouer un rôle plus important dans cette zone et privilégier les alliés avec lesquels nous partageons un socle de valeurs communes. C'est pourquoi cet accord est bienvenu. Mon groupe votera en faveur du projet de loi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous voterons contre le texte et contre la méthode.

L'Union européenne, depuis l'accord économique et commercial global (CETA) et l'accord de libre-échange transatlantique (TAFTA), a compris qu'il fallait saucissonner les textes pour mieux les faire avaler. On se retrouve ainsi avec des morceaux d'accord, dont certains doivent être ratifiés par les États alors que d'autres, concernant les questions commerciales, n'ont pas besoin de l'être selon la Commission européenne mais pas nécessairement selon les textes européens, comme l'a dit la Cour de justice de l'Union européenne. On se retrouve donc avec des accords de partenariat stratégique alors qu'il n'y avait, tout au début, que des accords de libre-échange. Les députés communistes refusent de cautionner cette méthode.

Il y a ensuite le contenu. La rapporteure a notamment parlé de « valeurs communes ». Vérifions si elles le sont.

Il a été question des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'article 30 encourage la coopération entre les parties dans les domaines de l'emploi et des affaires sociales mais on constate que le Japon n'a jamais ratifié deux conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) : celle concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession et celle sur l'abolition du travail forcé. Le Japon régresse sur le plan de l'égalité hommes-femmes, c'est dit dans le rapport. Ce n'est pas une « valeur commune », et nous devrions réagir fortement à la situation. Ce n'est pas moi qui le dis mais le forum économique mondial. Selon un rapport de 2019 qui portait sur la politique, l'économie, l'éducation et la santé, le Japon se trouvait à la 121e place sur 153 pays.

Qu'en est-il en matière d'environnement et de lutte contre le changement climatique, objets des articles 23 et 24 ? Les parties conviennent de renforcer leur coopération en matière de lutte contre le changement climatique mais le Japon est le premier importateur mondial de bois et le principal marché pour le bois illégal, qui vient de Russie, de Chine, d'Indonésie et même de Roumanie, selon Greenpeace. L'exploitation illégale du bois contribue directement au changement climatique. C'est le premier crime environnemental au monde : cela représenterait près de 17 % des émissions mondiales de carbone, ce qui représente davantage que les émissions combinées des trafic aérien, routier, ferroviaire et maritime. Malgré les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris, le Japon ne devrait pas remédier au manque de réglementation en la matière.

Avons-nous des valeurs communes en matière de pêche ? Selon l'article 28, l'Union européenne et le Japon conviennent de renforcer le dialogue dans ce domaine. Malgré le moratoire de 1986, le Japon continue à pêcher la baleine, officiellement à des fins scientifiques. Ce pays a tenté d'obtenir la fin du moratoire, s'est retiré de la commission baleinière internationale et a repris officiellement la pêche à la baleine à visée commerciale en 2019.

Je ne reviendrai pas, car le temps est compté, sur l'article 39, qui concerne les données à caractère personnel. Il y a une difficulté, mais on reporte la question à plus tard : on fait adopter les choses, puis on n'aura plus besoin d'une ratification par les États.

Je voudrais également dire à la rapporteure que Hiroshima et Nagasaki ne sont pas des catastrophes pour moi, mais des crimes contre l'humanité.

Nous ne voterons pas en faveur de ce texte, je l'ai dit. Mon groupe a demandé qu'il fasse l'objet d'un débat dans l'hémicycle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous ai laissé un peu plus de temps car c'était un réquisitoire et vous étiez le seul à l'instruire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail.

J'ai quelques nuances à apporter, moi aussi, même si je partage l'idée que nous avons beaucoup de valeurs en commun avec le Japon. Mes questions portent sur les libertés fondamentales et les droits humains. Le Japon, bien qu'étant l'un des pays les plus développés au monde, connaît d'importants retards en la matière.

Il n'a toujours pas ratifié deux des huit conventions fondamentales de l'OIT : la convention n° 111, concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession, et la convention n° 105, sur l'abolition du travail forcé. Sur le plan de l'égalité femmes-hommes, on l'a dit avant moi, le Japon se trouve en bas du classement établi par le forum économique mondial : il est à la 121e place sur 153 pays, derrière le Bangladesh, le Sénégal ou les Émirats arabes unis. Le Japon perpétue une culture sexiste, marquée par des discriminations professionnelles, du harcèlement sexuel et des rôles stéréotypés. Près de 70 % des Japonaises cessent de travailler quand elles deviennent mères. Ce n'est pas culturel, mais lié à l'absence de politique publique dans ce domaine.

Enfin, et surtout, le Japon est l'un des rares pays industrialisés à n'avoir pas aboli la peine de mort. Il y a actuellement plus de cent personnes condamnées à la peine capitale, et les détenus sont parfois exécutés sans avoir été prévenus.

Pourriez-vous nous indiquer si cet accord de partenariat stratégique débouchera sur une coopération accrue entre l'Union européenne et le Japon en matière de droits des femmes ? Par ailleurs, l'Union européenne a-t-elle entamé un dialogue avec le gouvernement japonais en vue de l'adoption d'un moratoire sur la peine capitale et de son abolition éventuelle ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si nous intervenons au sujet des divorces entre Français et Japonais, comme le proposent certains collègues, je crois qu'il faudra le faire d'une manière plus large. Cette question, sensible, n'est pas spécifique au Japon. Elle se pose aussi s'agissant de l'Allemagne et d'autres pays de l'Union européenne. Il serait dommage de concentrer l'effort uniquement sur un pays.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le fait que les problèmes de justice n'aient pas été abordés m'a frappé. Ils ont été mis en avant lors de l'affaire Ghosn : on a vu qu'il y avait des différences fondamentales entre notre système judiciaire et celui du Japon.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Herbillon, qui est parti, m'a interrogée sur la stratégie de la France dans l'Indo-Pacifique. L'ambassadeur chargé de cette zone, que j'ai rencontré, m'a dit que le rôle de notre pays était reconnu.

Depuis 2019, la France et le Japon renforcent leur coopération dans le cadre d'un partenariat pour l'Indo-Pacifique qui vise à développer des projets concrets dans des pays tiers autour de quatre piliers : la sécurité maritime, le climat, l'environnement et la biodiversité, des infrastructures de qualité et la santé. La mise en œuvre de ce partenariat repose notamment sur un dialogue maritime global, dont la première séance s'est tenue en septembre 2019 à Nouméa, sur un groupe de travail portant sur l'Indo-Pacifique qui est coordonné au niveau des ministères des affaires étrangères, lesquels sont chargés de faciliter l'identification de projets et le suivi de ces derniers. Par ailleurs, un mémorandum pour la coopération en pays tiers, en Afrique et dans l'Indo-Pacifique, a été conclu entre l'AFD et son homologue japonais, la JICA, en juin 2019 – Mme Kuric en a parlé.

La stratégie française pour l'Indo-Pacifique repose sur une stratégie de défense et une stratégie diplomatique, qui sont respectivement pilotées par le ministère des armées et par celui des affaires étrangères. Le volet diplomatique repose sur quatre piliers : l'implication de notre pays dans le règlement des crises régionales, dans la sécurité des principales voies de navigation et dans la lutte contre le terrorisme, la radicalisation et la criminalité organisée, le renforcement de nos partenariats avec les grands acteurs de la région avec lesquels nous partageons une communauté de valeurs et d'intérêts, dont le Japon fait partie, tout en approfondissant notre relation avec la Chine, une mobilisation renforcée auprès des organisations régionales, au premier rang desquelles figure l'ASEAN, et enfin un engagement déterminé en faveur de la promotion des biens communs mondiaux, le climat, l'environnement et la biodiversité mais aussi la santé, l'éducation, le numérique et des infrastructures de qualité, tout cela en appui d'un engagement accru de l'Union européenne dans la région, comme acteur de développement durable et de stabilité, notamment dans le cadre de la stratégie de connectivité avec l'Asie.

Une question sur l'alliance verte m'a été posée. L'Union européenne et le Japon pourront échanger des bonnes pratiques. Le défi pour le Japon est de réduire la part du charbon dans son mix énergétique en tenant compte des réticences de la population à l'égard du nucléaire civil.

J'en viens aux observations de M. Lecoq.

S'agissant de l'égalité hommes-femmes, en dépit des annonces faites en 2014 par le précédent Premier ministre, Shinzō Abe, qui avait promis de faire briller les femmes, le Japon demeure effectivement au 121e rang mondial sur 153 pays, selon le Forum économique mondial. Les réformes, surnommées Womenomics, qui étaient destinées à promouvoir le travail des femmes achoppent sur des mentalités encore très patriarcales, sur un manque d'aide concrète pour permettre aux femmes de concilier vie de famille et carrière professionnelle et sur les difficultés à faire évoluer les pratiques professionnelles, encore basées à l'excès sur le présentéisme. La majorité des femmes qui travaillent se trouvent sur le marché des emplois précaires, qui concerne 40 % des actifs des deux sexes. Par ailleurs, la hausse des suicides constatée depuis l'année dernière au Japon touche davantage les femmes. Je suis bien consciente de la situation.

C'est un domaine dans lequel la coopération avec le Japon rencontre quelques difficultés à prendre forme, malgré des initiatives du côté français, tant sur le plan bilatéral, depuis l'ambassade, que sur le plan multilatéral – le G7 de Biarritz a débouché sur un partenariat pour l'égalité entre les femmes et les hommes.

L'inégalité hommes-femmes est étroitement liée au problème de la natalité, qui connaît une baisse constante au Japon. Ce problème a aussi contraint le pays à revoir sa politique migratoire, traditionnellement très fermée – une ouverture limitée a été décidée en 2019 pour combler les besoins de main-d'œuvre dans les secteurs où la demande est la plus forte, comme la construction – la main-d'œuvre vient essentiellement des pays d'Asie du Sud-Est, notamment les Philippines. J'ajoute que le gouvernement japonais ne compte que deux ou trois femmes à l'heure actuelle.

La pêche à la baleine est devenue très réglementée. Le Japon a repris cette activité en 2019 mais en introduisant des quotas pour éviter une surpêche et en limitant les zones concernées – il n'y a plus de pêche en haute mer dans ce domaine. Par ailleurs, la demande de baleine baisse : sa consommation fait de moins en moins partie des mœurs. Il est probable que cette pêche baisse également, mais nous devons être vigilants. L'objectif d'un développement d'une pêche durable est inscrit dans l'accord.

Les droits des femmes et les conventions de l'OIT que vous avez mentionnées, madame Clapot, sont des questions qui pourront être abordées dans le cadre de l'accord. Nous pourrons sensibiliser le ministre à ce sujet, comme à tous ceux qui sont délicats.

S'agissant des enfants en grande difficulté à la suite de séparations ou de divorces, nous pourrons peut-être – je le souhaite de tout cœur – adopter une résolution, comme l'ont fait le Sénat et le Parlement européen.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis très sensible, à titre personnel, aux observations formulées par Mme Clapot et M. Lecoq sur les insuffisances qu'on observe au Japon en matière de droits de l'homme et de droits de la personne. Je pense aussi qu'il y a un problème écologique, avec la pêche à la baleine, un problème d'égalité entre les hommes et les femmes et des problèmes de coopération judiciaire qui ont été beaucoup mis en avant à l'occasion du procès de M. Ghosn. En ce qui concerne certaines dispositions de l'OIT, notamment relatives aux enfants, la situation est également imparfaite.

Il appartient à chacun d'en tirer des conclusions. Il me semble, pour ma part, qu'il faut bien voir que ce partenariat stratégique, différent d'un partenariat économique, comme l'a très bien dit M. David, permet de poser enfin, même si c'est peut-être imparfaitement ou insuffisamment, ces problèmes fondamentaux de nature démocratique. L'accord de partenariat ne signifie en aucune façon que nous cautionnons certaines pratiques qui peuvent être différentes des nôtres. Nous créons un cadre visant à réfléchir ensemble et, dans toute la mesure du possible, à progresser dans ces domaines, qui cessent ainsi d'être tabous ou mis sous le tapis. Certains diront que le compte n'y est pas – c'est un peu ce qu'a indiqué M. Lecoq, si j'ai bien compris – mais d'autres relèveront surtout qu'on crée un partenariat et qu'on va avancer sur cette base, en abordant enfin des questions qui sont fondamentales sur le plan des droits humains.

La commission adopte l'article unique du projet de loi sans modification.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le texte est adopté à une très large majorité, mais pas à l'unanimité.

Projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire (n° 3245) (M. Pierre Cordier, rapporteur)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en arrivons à l'examen du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire, sur le rapport de M. Pierre Cordier. Nous avons également le plaisir d'accueillir à cette tribune Mme Carole Bureau-Bonnard, rapporteure pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. Mme de Sarnez, ayant été un jour maltraitée quand elle était rapporteure pour avis, dans une autre commission, avait estimé que nous avions le devoir, ici, de traiter correctement les rapporteurs pour avis, ce qui supposait d'abord de les installer à la tribune, et non pas simplement, comme c'est le cas parfois, dans les rangs des autres commissaires. C'est donc de ma part une marque de fidélité à l'égard de l'héritage de Mme de Sarnez que d'observer cette pratique.

Depuis une dizaine d'années, la Suisse – le Conseil fédéral comme la population, car une votation populaire a eu lieu sur le sujet – s'est engagée dans le renforcement de la capacité opérationnelle de ses forces armées et la modernisation de ses équipements militaires. Le pays combine, depuis le XVIe siècle, une politique de neutralité et une politique active de constitution de forces armées. Celles-ci sont loin d'être négligeables : pendant la seconde guerre mondiale, elles ont tenu en respect Adolf Hitler, qui a considéré qu'une invasion du pays aurait un coût très élevé en termes de pertes et d'immobilisation de la Wehrmacht. Il a donc préféré le laisser en paix.

L'armée helvétique repose sur le système de la milice citoyenne, les militaires d'active étant très peu nombreux. C'est dire que l'instruction militaire revêt une importance capitale. Or la coopération en matière d'instruction est indissociable de la coopération pour l'emploi des matériels militaires et des systèmes d'armement, lesquels sont de plus en plus sophistiqués. L'enjeu de la coopération en matière d'instruction n'est donc pas sans lien avec les marchés d'équipement de l'armée suisse. Celle-ci se tourne traditionnellement vers ses voisins : l'Allemagne, l'Italie, l'Autriche et bien sûr la France – sans oublier les États-Unis.

C'est dans cette double perspective d'améliorer l'instruction des forces armées helvétiques et d'assurer un accompagnement des accords d'équipement conclus avec elles que s'inscrit l'accord de coopération signé le 23 novembre 2018. Cet accord est destiné à se substituer aux accords de 1997 et de 2003.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est donc à moi qu'il revient de vous présenter cet accord de coopération dans un domaine beaucoup plus consensuel que le précédent. La Suisse l'a ratifié en février 2019. Nous devons à notre tour, après le Sénat, approuver ce texte pour mener à son terme le processus de ratification.

Carole Bureau-Bonnard vous présentera ensuite l'avis de la commission de la défense nationale ; je l'en remercie. Cela permettra de vous éclairer sur les aspects les plus techniques.

La France est liée à de très nombreux pays par des accords de défense. Il n'est pas inutile, pour commencer, de rappeler à quoi servent ces accords.

L'objet de ce type d'accords est d'ouvrir des champs de coopération avec les forces armées d'un autre État. Très concrètement, ils listent les domaines concernés – comme l'armement, l'instruction et la planification en matière de défense – sur lesquels les parties s'entendent pour coopérer. Selon la nature du partenaire et notre degré de proximité, le champ ouvert à la coopération n'est pas le même : nous irons plus loin avec certains pays qu'avec d'autres. Ces dispositions concernant l'étendue de la coopération sont complétées par toute une série de règles relatives par exemple au financement, au statut des personnels et à ce qui se passe en cas d'accident : grâce à un accord de défense, ces questions sont traitées une fois pour toutes, ce qui évite de renégocier par la suite les termes de la coopération à chaque activité nouvelle.

La spécificité de l'accord dont nous sommes saisis tient moins à ses dispositions – assez classiques – qu'à l'identité du partenaire. Ce matin encore, on me demandait : « La Suisse a donc une armée ? » En raison de sa neutralité, on s'imagine souvent que la Suisse n'a pas d'armée. Certes, celle-ci est relativement limitée, mais elle n'en existe pas moins.

D'une part, la Suisse est un pays qui nous est voisin et partage un certain nombre de nos valeurs, ce qui milite en faveur d'une coopération aussi étroite que possible. D'autre part, sa neutralité limite l'étendue possible de cette coopération.

Depuis le XIXe siècle au moins – vous avez évoqué le XVIe siècle, monsieur le président, mais je ne remonterai pas aussi loin –, la politique extérieure de la Suisse se caractérise par la neutralité, les bons offices, l'attachement au droit international humanitaire. Elle conduit ainsi des missions de médiation. Toutefois, elle s'interdit de participer à des opérations militaires, sauf dans le cadre de l'Organisation des nations unies (ONU) – son principal déploiement se trouve dans les Balkans, dont l'instabilité l'inquiète compte tenu des risques migratoires ; c'est d'ailleurs une question qui occupe l'esprit des dirigeants du sud de l'Europe.

Cette politique de neutralité et de retenue militaire a pour conséquence une forte dissymétrie entre nos deux modèles d'armée. Alors que l'armée française est tournée vers des opérations extérieures, l'armée suisse est orientée vers la protection de son territoire et l'appui aux autorités en cas de crise. L'armée suisse fonctionne de manière très différente de la nôtre : elle ne compte qu'un petit nombre de soldats professionnels – environ 3 000 –, mais les citoyens suisses sont soumis à un service militaire et, même à l'issue de cette période, restent incorporés dans un réservoir d'effectifs de l'armée pendant une dizaine d'années.

La Suisse, située au cœur de l'Europe, entourée d'États de droit, jouit d'une situation privilégiée du point de vue de la sécurité. Toutefois, notre voisin n'est pas insensible à l'instabilité qui émerge à la périphérie de l'Europe. C'est la raison pour laquelle les autorités helvétiques ont entrepris d'augmenter le budget de la défense, qui atteint 0,7 % du produit intérieur brut, et d'engager un renouvellement capacitaire de l'armée, ce qui intéresse la France au premier chef, notamment son industrie.

Quelle place peut-il y avoir, du point de vue des armées françaises, pour la coopération avec la Suisse ? Cela ne va pas de soi. Dès lors que ce pays refuse le principe d'un engagement extérieur, la coopération ne peut pas porter sur l'activité opérationnelle. Elle se limite donc à un champ très précis : l'instruction et l'entraînement militaire.

Cette coopération repose sur deux accords, signés en 1997 et en 2003, qui ont permis le développement d'une relation dense et régulière. Les deux parties s'en disent satisfaites. Le nombre d'activités entreprises en coopération était même en croissance avant la pandémie. C'est dans le domaine aérien que cette coopération est la plus développée : dans la police du ciel, d'une part, ce qui se manifeste par des échanges d'informations quotidiens et des exercices de protection de l'espace aérien, et dans la formation des pilotes, d'autre part, dans un contexte où la France a décidé, pour la formation de ses chasseurs, d'acquérir un appareil de fabrication suisse. Nous bénéficions également de l'expertise suisse, notamment dans le domaine du vol en haute montagne.

Que vient donc changer le nouvel accord, signé en 2018, dont l'objet est de remplacer les accords de 1997 et de 2003 ? Il ne remet pas en cause les limites de la coopération, qui exclut toujours le champ opérationnel. L'article 2 rappelle ainsi qu'il « ne couvre ni la planification, ni la préparation, ni l'exécution d'opérations de combat ou d'autres opérations militaires ». Les choses restent donc claires : avec les Suisses, nous ne faisons que de la formation, des exercices et de l'entraînement.

Toutefois, le nouvel accord élargit considérablement le champ de la coopération dans ce domaine limité qu'est l'instruction militaire. Il couvre tous les champs de la guerre, y compris ceux qui touchent au cœur de la souveraineté, comme la cyberdéfense, le spatial ou le renseignement militaire et la protection contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Une clause prévoit également la possibilité d'aller plus loin sans nécessité de réviser l'accord, ce qui est assez classique dans les traités internationaux.

Le second grand apport du texte consiste à accompagner la tendance au rapprochement capacitaire entre la France et la Suisse. C'est un point très important : plus les capacités militaires se rapprochent, plus la formation, les échanges et les retours d'expérience peuvent être nombreux.

La Suisse est engagée dans un grand programme de modernisation capacitaire qui se traduit par d'importantes perspectives à l'export pour les industriels français. Ces perspectives concernent les matériels terrestres, notamment les missiles de moyenne portée. À court terme, les perspectives principales concernent le renouvellement des systèmes de défense sol-air et, bien sûr, le nouvel avion de combat : une votation populaire a donné une très courte majorité au projet de remplacement des quarante avions composant la flotte suisse. Le Rafale est bien placé dans la compétition avec le F-35 et l'Eurofighter. Si cet appel d'offres – ou un autre – se concrétise en faveur de nos industriels, cela ouvrira la perspective d'une coopération encore plus intégrée avec nos voisins suisses.

Compte tenu des bénéfices dont l'accord est porteur, j'invite la commission à en autoriser la ratification.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Au regard de la nature essentiellement militaire de l'accord du 23 novembre 2018, c'est fort naturellement que la commission de la défense nationale et des forces armées s'est saisie pour avis du projet de loi autorisant son approbation.

Je mets fin immédiatement au suspense : notre commission a émis un avis favorable à l'adoption de ce texte, et ce à l'unanimité.

Je ne reviendrai pas sur chacune des stipulations de l'accord, dont votre rapporteur a déjà parlé, ni sur l'importance que la population suisse accorde à la fois à sa neutralité perpétuelle, décidée il y a désormais plus de deux siècles, et à ses armées. Je préfère me concentrer sur trois domaines qui ont retenu l'attention de mes collègues de la commission de la défense la semaine dernière, dans le cadre d'échanges riches et fructueux.

Premièrement, la construction de l'Europe de la défense ne se résume pas à l'Union européenne de la défense. La Suisse n'appartient ni à l'Union européenne ni à l'OTAN, mais en raison notamment de sa proximité géographique avec la France, l'Allemagne et l'Italie, elle n'en demeure pas moins un partenaire essentiel, avec lequel nous entretenons une coopération de grande qualité depuis plus de vingt ans.

La Suisse est de plus en plus attentive à la sécurité du continent, en particulier au regard de l'évolution de la menace terroriste. Préoccupée par l'intensification des flux migratoires dans le sud de l'Europe, elle est aussi fortement impliquée dans la stabilisation de la péninsule balkanique, au travers notamment de sa participation à la Force pour le Kosovo (KFOR). Relevons aussi la volonté d'implication nouvelle de la Confédération helvétique dans la résolution des crises que traverse le monde, comme l'illustrent son souhait de briguer un siège au Conseil de sécurité de l'ONU pour le mandat 2022-2024, ou encore sa participation à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Notre coopération est riche, et il n'est d'ailleurs pas anodin que la Suisse ait fait partie des rares pays consultés par le ministère des armées à l'occasion de l'actualisation de la revue stratégique, publiée en début d'année.

Deuxièmement, il convient de mentionner la coopération militaire aérienne, domaine dans lequel la France et la Suisse avancent main dans la main – ou plutôt volent côte à côte.

Les forces aériennes françaises et suisses profitent depuis 2015 d'un accès à une zone aérienne transfrontalière commune, qui leur est très utile dans le cadre d'entraînements au combat aérien. Cette coopération est bénéfique à la France puisqu'elle permet à nos pilotes de s'entraîner en zone montagneuse dans l'espace aérien suisse. En outre, dans le cadre de ses programmes de modernisation de la politique de formation de ses pilotes de chasse, l'armée de l'air et de l'espace s'est portée acquéreuse de 17 Pilatus PC-21, c'est-à-dire d'avions suisses.

Notre coopération est particulièrement aboutie dans le domaine de la défense aérienne, tant au niveau de l'entraînement – nous formons des tireurs d'élite suisses embarqués sur hélicoptère à partir de notre base corse de Solenzara – que dans le cadre d'opérations de police du ciel.

Cette coopération ouvre aussi des perspectives en matière d'armement : la Confédération a récemment lancé un programme de renouvellement de ses avions de chasse, dans lequel s'est engagé le Rafale de Dassault Aviation. Espérons que la décision suisse, qui sera annoncée à l'été prochain, sera bénéfique à notre industrie de défense, durement touchée par la crise économique. Nous sommes également en lice pour le renouvellement du système de défense sol-air.

Troisièmement, l'accord actualise notre coopération pour répondre aux enjeux qui prennent de plus en plus d'importance en ce début de siècle, notamment dans le domaine cyber, où s'ouvrent de nouveaux espaces de conflit, et dans le domaine spatial, à travers la composante spatiale optique (CSO), avec le partage d'images satellites.

Ces dernières années, nos deux pays ont renforcé leurs actions communes en particulier dans le domaine cyber, matière hautement stratégique. Dès 2017, des observateurs suisses ont été accueillis lors de l'exercice interarmées de cyberdéfense DEFNET, et des rencontres ont eu lieu entre responsables de haut niveau, en particulier avec le commandant de la cyberdéfense et le directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Enfin, nous devons organiser un exercice commun, appelé « Locked Shields ». Initialement prévu l'an dernier, il a malheureusement été reporté en raison de la pandémie de covid-19 ; espérons qu'il aura bien lieu en 2021. J'ajoute que, lors du précédent exercice de ce type, c'est la France qui avait gagné.

Notre coopération avec la Confédération suisse est donc d'une grande vitalité et d'un fort dynamisme. Avec votre soutien, monsieur le président, et celui de l'ensemble des membres de votre commission, nous espérons que cet accord permettra d'approfondir la coopération militaire entre nos deux pays, afin d'assurer la sécurité et la défense du continent européen. Il est de notre responsabilité de ratifier cet accord dans les meilleurs délais, plus particulièrement dans la mesure où nos amis du Parlement suisse l'ont déjà fait depuis plusieurs mois.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La dernière fois que les armées françaises se sont trouvées opposées à des militaires suisses, c'était à Marignan, en septembre 1515 – ce qui reste d'ailleurs un grand souvenir pour elles. Encore n'agissaient-ils pas pour leur compte, mais pour celui des Lombards. Si nous nous sommes battus en Suisse pendant la Révolution française – Masséna a livré des batailles importantes, notamment la seconde bataille de Zurich, en 1799, qui a marqué un coup d'arrêt à l'offensive russo-autrichienne –, nous ne nous sommes pas battus contre les Suisses eux-mêmes. L'accord que nous examinons est donc l'aboutissement d'un long fleuve tranquille s'agissant de nos relations avec nos voisins helvétiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le rapporteur, pour cet exposé auquel je suis particulièrement sensible, étant profondément attachée au maintien de la paix par l'instruction. Je suis également présidente du groupe d'amitié France-Suisse et députée du Grand Genève, qui abrite l'Organisation des nations unies ainsi que le siège de nombreuses institutions spécialisées de l'ONU, d'organisations internationales, de missions diplomatiques, d'organisations non gouvernementales et de multinationales.

L'accord élargit les domaines de coopération en matière d'instruction militaire avec la Suisse pour tenir compte des nouvelles frontières de la guerre moderne, avec la cyberdéfense, le spatial militaire et la protection contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. À cet égard, les parties prenantes de ces secteurs nous demandent de toujours plus communiquer, échanger, partager nos savoir-faire et retours d'expérience en opérations extérieures avec nos amis suisses, qui possèdent une réelle expertise en termes de recherche et développement et d'innovation.

Depuis une vingtaine d'années, le risque cyber connaît une augmentation exponentielle : en 1994, un virus touchait un appareil par heure ; en 2011, c'était un par seconde, et en 2020, 428 000 par seconde.

Les menaces n'ont pas de nationalité, à l'image de la pandémie de covid-19 que nous traversons. Alors que la région Auvergne-Rhône-Alpes compte plus de 115 000 travailleurs frontaliers, il aurait été utile, par exemple, d'élaborer une application de tracing commune. Nous n'y sommes pas parvenus. C'est dire qu'il faut encore et toujours consolider notre relation bilatérale, pour progresser dans la compréhension mutuelle.

Principe de précaution, manque de moyens, mauvaise organisation et réticences de la recherche publique à travailler avec la défense et les entreprises privées freinent la France dans la course aux technologies. Puisse cet accord avec la Suisse nous inspirer, et réciproquement. L'innovation doit être le sel de nos rapports, d'autant plus avec le bassin de vie que nous avons en partage – l'Arc lémanique, territoire de recherche, avec l'École polytechnique fédérale de Lausanne, et d'excellence, car certaines des principales avancées en matière de mobilité utilisant les énergies renouvelables y ont été réalisées.

L'accord permettra aussi de pallier le faible niveau de coopération franco-suisse dans le domaine fluvial.

Enfin, si la question de la neutralité suisse a toujours suscité l'intérêt de la France, ce texte répond également à la tradition de coopération existante, complémentaire et singulière entre nos deux armées, entre nos deux pays plus que voisins ; elle est à l'image de la société civile. Je rappelle que le plus grand consulat de France est celui de Genève et que le plus grand consulat de Suisse est celui de Lyon : c'est dire si les synergies suisse et euralpine, comme dirait notre collègue Bruno Bonnell, sont nombreuses.

Parce que le respect du droit prévaut sur la loi du plus fort et que cet accord intègre les défis auxquels le monde fait face – parmi lesquels le spatial, le cyber et le renseignement – et tient compte du rapprochement capacitaire à l'œuvre entre nos deux armées, le groupe La République en Marche votera en faveur de sa ratification.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je félicite nos deux rapporteurs et profite de l'occasion pour remercier le Mouvement démocrate de me donner la parole très fréquemment sur les questions franco-suisses. Je suis très attaché à la relation entre la France et la Suisse pour des raisons personnelles, mais aussi politiques et géographiques, car ma circonscription est à proximité de la frontière bâloise.

L'accord dont nous discutons a vocation à se substituer aux accords de 1997 et de 2003. Relatif aux activités d'entraînement et d'instruction des forces armées françaises, il fixe également les conditions de la coopération en matière de défense avec la Suisse.

Les stipulations que l'on y trouve sont classiques dans ce type d'accord, mais tiennent aussi compte de la neutralité de la Suisse, qu'il préserve de tout engagement dans des conflits internationaux. Ainsi, la coopération prend la forme d'activités conjointes de formation de personnels civils et militaires ainsi que d'entraînements dans les zones frontalières, dont nous savons qu'elles impliquent des techniques de combat particulières dues à l'environnement dans lequel les forces armées évoluent. C'est également le cas en matière de défense du domaine aérien.

Plus important encore, l'accord tire les conséquences de l'évolution des menaces ; celles-ci ne dépendent pas forcément de l'implication de nos forces armées sur les théâtres d'opérations extérieures. Nous devons avancer conjointement pour assurer une meilleure défense de l'espace européen, auquel la Suisse appartient de fait. La Suisse et la France font face à plusieurs défis sécuritaires communs, notamment en matière de terrorisme. Nos pays partagent plus de 500 kilomètres de frontières terrestres et un grand nombre de voies de communication. Nous avons une histoire partagée et des intérêts communs en matière de sécurité. Pourtant, la Suisse n'est pas partie prenante de l'Union européenne ni de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et conserve la politique de neutralité qui la caractérise depuis des siècles. Nous ne disposons donc pas de cet éventail d'outils multilatéraux communs pour mettre en œuvre une coopération pertinente entre nos deux pays. C'est pourquoi il est vital de tisser, d'entretenir et de mettre à jour des liens bilatéraux de qualité avec nos voisins suisses – ce qui contribue également à la stabilité de la France.

Notre groupe salue la conclusion de ce nouvel accord et le votera. Toutefois, cet accord paraît très ambitieux. Il couvre en effet, selon son article 3, des champs très larges : « l'armement et l'équipement militaire », « la cyberdéfense et le spatial militaire », « les systèmes militaires de commandement et de contrôle des opérations » – la liste se poursuit et est très longue. Quels moyens humains sont prévus ? Il n'en est pas question dans l'accord. Quelle est la volonté politique de le mettre en œuvre réellement, de façon à ce que l'on n'en reste pas aux intentions ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je salue l'excellent travail de nos collègues ainsi que leur présentation particulièrement éclairante.

Mon groupe votera le projet de loi autorisant l'approbation de cet accord qui permettra de renforcer la coopération bilatérale en matière d'instruction militaire. En effet, il est destiné à rénover le cadre existant et à élargir les domaines de coopération. Jusqu'à présent, les actions de coopération concernaient essentiellement le domaine aérien, à travers des actions de police du ciel et des actions conjointes de formation et d'entraînement des pilotes de chasse. À l'avenir, la coopération devrait s'ouvrir à des domaines tels que la lutte contre les agents nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, la cyberdéfense ou encore le spatial militaire.

Cette collaboration pourrait être facilitée si la Suisse venait à se doter d'outils militaires similaires aux nôtres, notamment en matière d'avions de combat et de systèmes de défense sol-air. Si cette perspective de débouchés à l'export concentre une partie de notre attention, et c'est bien normal, des questions restent en suspens en ce qui concerne les retombées des doctrines helvétiques pour nos armées. En effet, la dissymétrie de nos appareils militaires résulte de choix stratégiques forts, la France se considérant comme une puissance souveraine capable de se projeter et devant s'appuyer sur une armée expéditionnaire, et la Suisse comme un État fédéral neutre s'appuyant sur une armée de milice. Alors que les puissances occidentales entrent dans une phase de remise en cause profonde de leurs acquis et de leurs appareils militaires, comme en témoigne la revue stratégique britannique, il semble important d'étudier les choix suisses, dont les citoyens combattants et le maintien d'une filière de production d'armes individuelles et de munitions de petit calibre sont des éléments saillants. Aussi, dans quelle mesure l'accord prévoit-il que l'armée française étudie ces choix doctrinaux et, sans les reproduire, s'interroge sur leur pertinence ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce texte relatif à notre coopération militaire avec un pays neutre n'est pas aussi anecdotique qu'il y paraît : j'ai appris dans votre rapport que notre coopération militaire transfrontalière incluait des dimensions de cyberdéfense et de participation à notre système d'observation spatiale militaire et à nos programmes d'instruction en matière de médecine militaire ou encore de logistique humanitaire.

Je souhaiterais que vous reveniez sur le projet de renouvellement de la flotte aérienne de combat de notre voisin : où en est la compétition entre le Rafale de Dassault Aviation et ses concurrents Airbus et Eurofighter – sans oublier les appareils américains ? Je sais que Florence Parly a rencontré il y a une dizaine de jours son homologue suisse et que le Conseil fédéral doit se prononcer de façon imminente.

Au demeurant, un tel accord de coopération militaire avec un pays voisin et ami ne peut qu'avoir du sens : nous approuvons votre rapport et voterons le texte qui nous est soumis.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les interventions de M. le rapporteur et de Mme la rapporteure pour avis m'ont appris que les Suisses ne se contentaient pas de s'abriter dans des abris anti-atomiques et que notre coopération militaire était, au contraire, une vieille histoire.

Après les accords de 1997 et 2003, il est nécessaire de donner un nouveau cadre à notre partenariat, d'autant que de nouveaux sujets ont fait leur apparition. La cyberdéfense, par exemple, constitue un enjeu essentiel et en perpétuelle évolution : en la matière, il serait bon de partager notre expertise avec nos amis suisses. Cet accord est l'occasion pour nous de conforter notre position de partenaire stratégique de la Suisse.

Une attention particulière doit être portée à l'effort d'interopérabilité entre nos forces armées. Cette dernière serait facilitée si nos capacités militaires reposaient sur des systèmes similaires. L'utilisation de matériels communs favoriserait par ailleurs le partage d'expériences. Le renouvellement de la défense aérienne suisse est toujours une opportunité pour notre industrie de défense – M. le rapporteur a lui-même souligné que le Rafale aurait toute sa place dans la flotte de la force aérienne suisse, d'autant que nos bases militaires ne sont pas très éloignées de ce pays.

Cet accord tient évidemment compte de la neutralité suisse, puisque notre voisin ne s'engage pas dans les conflits internationaux, sauf lorsqu'il s'agit de mener des opérations humanitaires. Ce principe de neutralité est un gage important de respect des droits humains ; aussi sommes-nous assurés que l'expertise militaire française ne sera pas utilisée contre des populations civiles, comme cela peut malheureusement arriver avec d'autres pays moins respectueux des droits de l'homme. Rappelons que la France forme et arme les forces saoudiennes, qui commettent actuellement des exactions massives contre des civils au Yémen : il y aurait lieu de s'inspirer de ce principe de neutralité dans nos relations commerciales avec certains pays.

Nous voterons évidemment ce projet de loi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Cet accord semble avoir été conclu pour nous aider à vendre nos avions – cela a été dit à mi-voix. Je l'apprécie malgré tout, d'abord parce qu'il permet de rappeler ce qu'est l'armée suisse, organisée sur le principe de l'engagement citoyen, comme l'était d'ailleurs notre propre armée à une autre époque. Nous avons abandonné ce modèle mais nous cherchons aujourd'hui le chemin pour y revenir, car nous redécouvrons que la notion de citoyenneté recouvre aussi la participation à la défense de son pays. La coopération suppose des échanges mutuels : cela nous donnera donc peut-être quelques idées intéressantes.

Dans le même ordre d'idées, nos voisins suisses envisagent sérieusement de signer le traité sur l'interdiction des armes nucléaires – du moins cette question fait-elle débat dans l'opinion publique et au sein des institutions. Le processus a été engagé, même si Berne ne souhaite pas se prononcer définitivement avant la prochaine conférence d'examen du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), reportée à 2021 – en effet, les Suisses ne veulent pas gêner les discussions en cours, ce qui est tout à leur honneur. Que nos voisins soient très intéressés par ce processus n'est pas étonnant, au vu des sujets abordés dans l'accord de coopération : à côté de la gestion des personnels, de la logistique et de la cyberdéfense figure aussi le droit humanitaire. Si nous coopérons dans ce domaine, la question des armes de destruction massive se posera inévitablement. Nous ne devons pas utiliser d'armes contre les populations civiles, comme le stipule notamment le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, dont la Croix-Rouge est l'un des fers de lance – j'ai discuté de ce sujet avec des représentants de cette organisation rencontrés à Genève.

Cette coopération militaire nous semble donc très intéressante. Du fait de l'histoire de la Suisse, nous aurions cependant pu intégrer à cet accord une dynamique de coopération pour la paix. Au-delà des modalités de préparation commune à une éventuelle guerre, il aurait été intéressant de consacrer un chapitre aux modalités d'un travail commun pour la paix. « Si tu veux la paix, prépare la guerre », dit l'adage. Je ne suis pas d'accord : si tu veux la paix, prépare la paix ! Commençons avec les Suisses, nos éminents voisins qui portent ces valeurs dans leur cœur.

Nous voterons en faveur de la ratification de l'accord.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le secrétariat de la commission m'a fait observer que j'avais présenté une vision un peu idyllique de l'histoire des relations franco-suisses. Étant un homme humble et honnête, je rectifie donc mes propos : l'intervention de Masséna, en 1799, contre les Russes et les Autrichiens était hélas la conséquence d'une occupation militaire assez brutale du territoire helvétique par les armées de la République. Il ne faut pas se parer de vertus que l'on n'a pas, même avec quelques siècles d'écart.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour votre approbation unanime de cet accord.

Nous avons bien pris en compte votre passion, madame Lenne : c'est votre cœur qui a parlé lorsque vous avez évoqué les lacunes de la coopération franco-suisse, auxquelles vous êtes confrontée au quotidien dans votre circonscription. Cet accord n'en concerne pas moins la guerre et les forces armées.

Monsieur Fuchs, l'élargissement de cette coopération à de nouveaux secteurs n'entraînera ni augmentation des moyens humains et administratifs ni modification de l'organisation du ministère des armées. La mise en œuvre de l'accord se fera à moyens constants, au sein des états-majors français et suisses, dans leur organisation actuelle.

Comme vous l'avez souligné, monsieur Clément, cet accord, qui succède à ceux de 1997 et 2003, vise notamment à prendre en compte les évolutions technologiques dans le domaine militaire.

Bien entendu, monsieur Lecoq, cet accord n'est pas dénué d'arrière-pensées s'agissant de la vente de notre avion de combat – je pense d'ailleurs à notre ancien collègue Olivier Dassault, qui aurait été sensible à cette présentation. Si nous pouvons faciliter la vente de Rafale à nos amis suisses, après le contrat conclu avec la Grèce il y a quelques mois, je m'en réjouis. Une telle opération présuppose cependant le renforcement de notre coopération avec nos voisins. Il ne s'agit pas simplement de vendre des avions : il convient également de tisser des liens humains afin que les pilotes maîtrisent complètement la technologie utilisée par ces avions et acquièrent toutes les connaissances nécessaires au pilotage de ce type d'appareils.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les responsables français et suisses que j'ai auditionnés ont souligné la nécessité de partager des intérêts communs, de préciser les stipulations des accords précédents, notamment d'un point de vue juridique, et d'élargir les possibilités de coopération du fait du développement de nouvelles technologies. Ils ont insisté sur leurs intérêts communs, leur relation de confiance et leur besoin de travailler ensemble. Ils estiment déjà, monsieur Lecoq, que leur coopération vise à maintenir la paix – tel est leur but lorsqu'ils interviennent à l'extérieur.

Cette coopération permet de partager nos expertises : les Suisses profitent des nôtres et nous bénéficions des leurs. Je pense notamment aux opérations de sauvetage en montagne, dont les techniques font l'objet d'échanges entre écoles militaires de haute montagne. Je pense également aux domaines nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), évoqués par Mme Lenne, dans lesquels un accord de partenariat a été conclu avec le laboratoire de Spiez. Mme la ministre des armées s'y est rendue, de même que des représentants de la direction générale de l'armement (DGA) et du service de santé des armées (SSA). Par ailleurs, la lutte contre la pandémie actuelle rentre dans le cadre de cet accord – dans ce domaine, la Suisse a d'ailleurs réussi à mobiliser très rapidement 7 000 miliciens. Comme le rapporteur, je vous parlerai bien sûr également des Rafale, mais je voulais vous montrer que cet accord touche à de nombreux sujets.

M. Fuchs nous a interrogés sur notre volonté politique de renforcer cette coopération. J'ai rappelé tout à l'heure que la Suisse avait été consultée dans le cadre de l'actualisation de la Revue stratégique et que de nombreux échanges et rencontres avaient eu lieu au plus haut niveau. Huit visites ministérielles ont été organisées depuis 2017. En outre, des militaires suisses se sont rendus en France : ainsi, le commandant de la cyberdéfense suisse a été accueilli récemment à Saint-Cyr.

Nous attendons effectivement une réponse de la Suisse, qui pourrait acheter des Rafale, mais vous aurez bien compris que ce n'était pas le seul enjeu de l'accord – nous en parlons uniquement parce qu'il s'agit d'un sujet d'actualité. Nous avons des avions suisses ; nos voisins pourraient bientôt avoir des avions français. Les pilotes de nos deux pays ont l'habitude d'échanger entre eux et de participer à des formations communes. Nous espérons avoir l'occasion de renforcer nos échanges et notre partage d'expertises dans ce domaine.

La commission adopte l'article unique du projet de loi sans modification.

La séance est levée à onze heures quinze.

Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

- Mme Aina Kuric, rapporteure sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'amendement au protocole de Göteborg du 1er décembre 1999, relatif à la réduction de l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone troposphérique (n° 3930) ;

- M. Jacques Maire, rapporteur pour avis sur l'article 1er et M. Pierre-Henri Dumont, rapporteur pour avis sur l'article 3 du projet de loi ratifiant diverses ordonnances tirant les conséquences du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (n° 3829).