Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • AFITF

La réunion

Source

La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a procédé à l'audition, en application de l'article 13 de la Constitution, de M. Christophe Béchu, dont la nomination aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) est proposée par le Président de la République.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous auditionnons ce matin M. Christophe Béchu, que le Président de la République propose de reconduire dans ses fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Cette audition, qui est publique, sera suivie d'un vote à scrutin secret, effectué par appel nominal, hors de la présence de la personne auditionnée. Aucune délégation de vote ne sera possible. Il sera procédé au dépouillement du scrutin après l'audition de M. Béchu, qui a été entendu la semaine dernière par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.

En application de notre règlement, nous avons nommé M. Hubert Wulfranc rapporteur sur cette proposition de nomination. Un questionnaire a été transmis à M. Béchu préalablement à cette audition ; ses réponses ont été rendues publiques sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Monsieur Béchu, je vous souhaite la bienvenue. Vous aviez déjà été entendu par notre commission le 28 mars 2018 pour votre première nomination à la présidence de l'AFITF. À l'époque, nous n'avions pas encore adopté la loi d'orientation des mobilités (LOM), qui fixe désormais une programmation financière et opérationnelle des investissements de l'État dans les systèmes de transport, c'est‑à‑dire une feuille de route à l'agence que vous présidez. Nos débats avaient été riches, portant aussi bien sur les investissements à réaliser en priorité que sur les ressources affectées à l'AFITF.

Depuis, nous faisons face à une crise inédite, sanitaire et économique, qui n'a pas été sans conséquences sur les ressources de l'agence et qui peut aussi avoir des effets sur la stratégie d'exécution des investissements. C'est dans ce contexte délicat qu'est proposée votre reconduction. Nous sommes, bien évidemment, extrêmement intéressés par vos analyses sur les perspectives de l'AFITF et les orientations que vous envisagez de définir pour faire face à cette situation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président Christophe Béchu, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre contribution à cette audition. Votre réponse préparatoire permettra un large échange, plus dense, eu égard à la séquence sanitaire que nous avons traversée et dont les effets continuent à se faire sentir, tout particulièrement dans le domaine des mobilités.

L'Agence de financement des infrastructures de transport de France, vous-même, vos collaborateurs et partenaires n'ont sans doute pas manqué d'être interrogés par les inflexions plus ou moins fortes des usages et pratiques des mobilités au quotidien ainsi que par les enjeux que soulève à moyen et long terme cette épidémie. Leur corrélation avec les missions de l'agence en matière de financement d'infrastructures, sans les bouleverser ni les remettre en cause, mérite‑t‑elle un échange particulier ce matin ?

Dans votre contribution, vous indiquez que « la nouvelle présidence s'inscrira dans un contexte d'accompagnement de la sortie de crise et de la transition écologique sous le signe de la relance et de la résilience ». Nous aurons, dites-vous, à « juguler les impacts que la crise a générés sur l'économie et la société, et qui nécessitent un traitement efficace et approprié à chaque cas. »

Vous êtes président sortant, mais aussi élu de terrain – vous insistez sur ce point dans votre contribution. Au-delà des aspects strictement techniques et financiers, comment réagissez-vous, en tant que tel, à la séquence que nous venons de connaître, pour ce qui est des mobilités ?

Le budget de l'AFITF connaît et risque fort de connaître encore, dans les toutes prochaines années, quelques soubresauts délicats. En sus des pertes de recettes immédiates, compensées ou amorties par les lois de finances rectificatives, la sécurisation des ressources de l'agence semble toujours d'actualité, ne serait-ce que pour faire face aux engagements d'investissements pluriannuels, qui sont, je le rappelle, de 13,7 milliards d'euros pour la période 2019-2023 et de 14,3 milliards pour la période 2023‑2027.

On observe un certain manque de dynamisme dans les recettes de l'agence. Des ressources nouvelles sont compromises, notamment celles provenant la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA). Cela pourrait peser sur la contribution de l'agence au plan de relance et à la revitalisation des territoires à travers la création et la modernisation d'infrastructures de mobilité.

Vous plaidez pour une stratégie post-crise ambitieuse. Nous ne doutons pas que les pouvoirs publics et les décideurs politiques inviteront l'agence à fournir des efforts supplémentaires dans ce domaine. Parmi les stratégies de reconquête, je citerai le cas du fret, illustration des efforts financiers considérables auxquels l'agence sera appelée à contribuer. Quelle est votre appréciation sur cette trajectoire financière ? Comment appréhendez‑vous le nécessaire rebond de notre économie et ses conséquences sur les infrastructures terrestres ?

Au cœur de cette séquence de crise, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « climat et résilience », est venu compléter la LOM sur le versant des mobilités. Plusieurs articles concernent la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la fin progressive des avantages fiscaux accordés aux poids lourds et la possible expérimentation d'une contribution régionale spécifique pour les poids lourds. En quoi ces dispositions peuvent-elles, selon vous, influer sur les financements propres ou croisés de l'agence, sachant que la TICPE est de loin la première recette de l'AFITF, représentant quelque 1,6 milliard d'euros sur les 3 milliards du budget initial ?

Pour conclure, l'année passée a été marquée par l'adoption du contrat d'objectifs et de performance avec les ministères de tutelle, étape que vous vous étiez fixée en vue de renforcer l'efficience et la transparence de la gestion de l'AFITF – c'est un engagement que vous aviez pris devant nous. Toutefois, la Cour des comptes s'interroge sur les liens qu'elle juge distendus entre l'agence et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM). Comment comptez-vous consolider la coopération entre ces deux entités et atteindre la « perfection » ?

Permalien
Christophe Béchu

Merci, madame la présidente, monsieur le rapporteur, pour votre accueil. La variété et la précision des questions que vous m'avez posées balisent ce que pourrait être mon propos liminaire, celui-ci n'ayant certainement pas la prétention d'être exhaustif – mais l'intérêt d'une audition est de répondre aux éventuelles questions que vous pourriez avoir. Je vais m'autoriser un petit zoom arrière qui nous ramènera rapidement à la situation actuelle, avant d'aborder les principaux enjeux à venir.

Une idée préside à la création de l'agence à la fin de l'année 2004 : il faut un gardien du temps long. Depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il est un principe que vous incarnez, celui du consentement à l'impôt, qui doit se renouveler annuellement au travers des représentants du peuple. Le problème est que la succession de consentements à l'impôt rend difficile la possibilité de concevoir des financements pluriannuels, puisque l'on ne peut théoriquement pas préjuger qu'un nouveau consentement sera accordé l'année suivante. Or il est parfois nécessaire, notamment pour ce qui concerne les chantiers d'infrastructures, de s'engager au‑delà du principe d'annualité budgétaire, fondamental en matière de finances publiques.

C'est ainsi que naît l'AFITF, et elle naît avec une forme de malédiction – je finis par le croire au fur et à mesure que le temps passe – qui fait qu'à chaque fois qu'une recette lui est affectée, une catastrophe atteint cette recette !

On commence ainsi par adosser le financement de l'agence aux dividendes des autoroutes. Est-ce parce qu'on s'est aperçu à cette occasion qu'il y en avait beaucoup ? Toujours est-il qu'un an après, on privatise les autoroutes ! Il est alors décidé de verser à l'agence des crédits budgétaires jusqu'au moment où naît une idée de génie : l'agence bénéficiera du produit de l'écotaxe, qui sera perçue au moyen de portiques installés sur les routes. Vous connaissez la suite : en raison du mouvement des « bonnets rouges », non seulement l'agence ne touchera pas un centime de l'écotaxe, mais elle devra verser 950 millions d'euros à Ecomouv' à titre d'indemnités et de frais.

La dernière fois qu'il a été décidé d'affecter à l'agence le produit d'une taxe, il s'agissait du produit des amendes radars, dont les recettes ont bien progressé jusqu'à ce qu'à la fin de l'année 2019, des personnes portant des gilets jaunes s'organisent sur les ronds-points pour en limiter le rendement. Dans la foulée, on s'est dit que s'il était un secteur qui ne connaissait pas la crise, c'était le secteur aérien, lequel enregistre chaque année une progression sensible du nombre de passagers et dont les billets pourraient faire l'objet d'une taxe. Depuis que le principe en a été évoqué, jamais aussi peu d'avions n'ont décollé et aussi peu de passagers n'ont fréquenté les aéroports, tant et si bien que la recette n'a même pas été instaurée !

C'est dire si, au-delà de la cocasserie de la situation, le terme de « résilience » s'applique bien à l'agence. Or la crise que nous traversons rend plus nécessaire que jamais un gardien du temps long et une structure capable de se projeter et d'aller au‑delà du seul financement des infrastructures. C'est ainsi qu'hier, l'agence s'est vu confier la responsabilité d'accompagner le Grenelle de l'environnement et qu'aujourd'hui, elle est un levier, dans le cadre de la transition écologique, pour accompagner une feuille de route visant à la décarbonation d'une partie de nos déplacements et à la régénération des réseaux, ainsi que, plus largement, à la relance.

Malgré ces vicissitudes, on peut éprouver fierté et satisfaction face à ce qui a été accompli au cours des dernières années. La fierté naît de la cohérence de la politique qui a été conduite.

La critique de la Cour des comptes, monsieur le rapporteur, consiste à dire qu'avoir un opérateur parapublic dont on mesure mal les objectifs et plus encore les liens avec la représentation nationale n'est pas confortable d'un point de vue juridique.

Deux réponses ont été apportées. La première est la LOM, la loi d'orientation des mobilités. Tout à coup, la représentation nationale a fixé le schéma, les objectifs et le scénario. Préalablement, la mise en place d'un Conseil d'orientation des infrastructures (COI) – au moins aussi structurant qu'une LOM – a permis de ne pas se contenter de fixer des chiffres en fonction du possible ou du souhaitable, mais de commencer par déterminer ce qui était nécessaire. Théoriquement, c'est cela la politique : non pas se préoccuper des modalités, mais déterminer où l'on veut aller, laisser les experts proposer les modalités, puis les valider.

Avec le COI et la LOM, un cadre, un horizon et une ambition ont été donnés à notre politique d'infrastructures. Institutionnaliser le COI a été une manière d'inscrire qu'au‑delà de la personnalité du ministre des transports, un groupe pluridisciplinaire examine les besoins de notre pays en infrastructures.

La trajectoire est ensuite marquée par une augmentation des moyens. Dieu sait si les élus locaux et les professionnels alertaient depuis des années sur le fait que si l'on se targuait d'avoir un patrimoine ferroviaire et routier exceptionnel, la réalité était que nous avions sans doute sous‑investi dans la régénération du réseau, dans les transports du quotidien et dans le ferroviaire, notamment pour le développement du fret. Un retard que n'explique pas notre géographie se constatait également dans le secteur fluvial. Dans notre pays, assez étrangement, le fret est assuré à près de 90 % par la route, alors que nous disposons d'un réseau ferroviaire et d'un réseau fluvial qui, sur le papier, ou vus du ciel, devraient nous permettre de faire plus et mieux. Non seulement vous avez adopté la LOM, mais vous avez augmenté de 40 % en moyenne les fonds consacrés aux infrastructures.

À cette ambition, il était nécessaire d'ajouter un cadre et des règles du jeu. Elles figurent désormais dans le contrat d'objectifs et de performance (COP) que je m'étais engagé devant vous, il y a trois ans, à signer. C'est la meilleure des réponses aux critiques – justifiées – de la Cour des comptes quant au fait qu'une agence ne peut pas s'exonérer de suivre une feuille de route. Nous nous trouvions dans la situation paradoxale où notre agence, alors qu'elle bénéficie de recettes fiscales affectées et que ses moyens sont en augmentation, ne disposait pas d'un tel outil. Le calendrier fait que la signature, en avril, de ce contrat clôt le mandat qui m'avait été confié.

Nous sommes à l'aube de nouveaux enjeux.

D'abord, s'agissant de la LOM, je tiens à dire que malgré les gilets jaunes et l'absence de taxe sur le transport aérien, nous respectons la trajectoire fixée. Sur les 13,7 milliards d'euros qui doivent être consommés à la fin de l'année 2023, nous aurons dépensé à la fin de l'année 2021 un peu plus de 8 milliards, soit un retard de 315 millions seulement par rapport la trajectoire, et cela malgré l'épidémie de covid-19, les chantiers différés et tous les soucis que je viens de mentionner. Cela se rattrape !

Ensuite, un nouveau volet est venu s'ajouter aux missions confiées à l'agence : la mise en œuvre du plan de relance. Cela représente cette année 549 millions d'euros, programmés dans le cadre des 2,4 milliards inscrits au budget. Là aussi, on note une convergence entre les objectifs à long terme – régénération, investissements dans le réseau, décarbonation, soutien au ferroviaire et au fluvial – et les moyens nouveaux : ceux-ci permettront d'aller plus rapidement vers la trajectoire définie dans le deuxième scénario du COI, soit un stade intermédiaire entre ce que tout le monde aurait souhaité mais qui n'était pas finançable et un scénario au fil de l'eau consistant à ne plus rien entreprendre de nouveau dans ce pays. Nous disposons donc d'un levier supplémentaire au service de la relance et de la reprise économique et, potentiellement, des ambitions et objectifs de transition écologique, d'aménagement du territoire et de développement durable, que votre commission, tout particulièrement, soutient.

Voilà, très rapidement brossé, l'état des lieux. Il soulève un certain nombre de questions que vous me permettrez de suggérer à ceux qui s'apprêteraient à en formuler.

En premier lieu, compte tenu des incertitudes que j'ai rappelées, nous avons une idée plus précise de la structure des dépenses que de celle des recettes. Plusieurs hypothèses ou options s'offrent à nous.

Ensuite, vous l'avez signalé, monsieur le rapporteur, le projet de loi « climat et résilience » et certains articles du projet de loi dit « 4D » risquant d'impacter les règles applicables en matière de transports, les prochains mois seront l'occasion de préciser les choses, notamment s'agissant des compétences territoriales.

Subsistent enfin des enjeux de transparence, de soutenabilité et d'efficacité, trois mots-clés sur lesquels se fondait déjà ma candidature il y a trois ans. C'est dans le même état d'esprit, avec la même détermination, la même volonté et quelques connaissances supplémentaires, que je me présente aujourd'hui devant vous.

Je suis à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'AFITF, dont je suis, pour l'Assemblée nationale, membre du conseil d'administration, est la colonne vertébrale des infrastructures de mobilité : transports ferroviaire, fluvial, maritime et routier, mais aussi transports du quotidien, si chers à nos concitoyens. Elle se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins et plusieurs défis se présentent à elle : la pérennité de ses recettes, la transparence de ses débats et de son action, l'amélioration de la qualité du dialogue avec ses autorités de tutelle. Bien des choses nous restent à construire, mais, depuis 2018, grâce à votre investissement et à celui de votre équipe – en particulier M. Jean Abèle, avec qui vous avez formé un duo de choc –, une dynamique très intéressante a été lancée, qui a permis à notre chère agence de trouver un nouveau souffle, sous le signe de la résilience, afin d'être ce fameux « gardien du temps long ». Je tenais ce matin à souligner l'investissement qui a été le vôtre tout au long de ce mandat.

Dans le cadre du plan de relance, l'AFITF est dotée de 2,4 milliards d'euros pour financer les mobilités du quotidien et la transition écologique du secteur. Si vous êtes reconduit dans vos fonctions de président, comment l'agence accompagnera‑t‑elle les mutations en cours des mobilités – je pense notamment à l'innovation et au développement de la mobilité active, en particulier du vélo ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, je vous remercie au nom du groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés pour votre présence devant notre commission aujourd'hui. Je souhaite pour ma part appeler votre attention sur une ligne de financement bien spécifique, celle relative aux actions de gestion, d'aménagement et de protection du littoral, qui représente quelque 5 millions d'euros par an. À l'heure où l'État cherche les voies et moyens d'accompagner la transition écologique des territoires littoraux dans le contexte du changement climatique, ne serait-il pas intéressant d'accroître sensiblement la capacité d'intervention de l'AFITF dans ce domaine afin de favoriser la création et la restauration d'infrastructures naturelles de gestion souple du trait de côte, notamment dans les espaces protégés, à travers, par exemple, des appels à projets ou des contractualisations, comme vous le faites avec Voies navigables de France ou avec le Conservatoire du littoral ?

La ligne budgétaire actuelle représente peu de chose dans le budget total de l'agence, même si elle est très utile. L'AFITF pourrait marquer son engagement dans la transition écologique de l'infrastructure du trait de côte en la complétant par des actions nationales d'envergure, en liaison avec le Conservatoire du littoral ou avec le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Ce serait l'occasion d'associer solutions douces et adaptation des aménagements durs en place et de mettre en relation ces derniers avec des projets de territoire et des infrastructures de transport côtières.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'associe aux remerciements de notre collègue Zulesi, car nous avons senti un tournant s'opérer sous votre présidence et je tenais à vous en féliciter.

Notre souhait est de vous entendre sur la nouvelle trajectoire budgétaire et la soutenabilité financière au regard de la multiplication des projets et des attentes environnementales en matière d'infrastructures de transports non seulement terrestres, mais aussi maritimes.

Vous comprendrez qu'étant députée de Polynésie française, j'accorde un intérêt particulier à votre stratégie dans les territoires d'outre-mer. Je sais que les enjeux nationaux sont nombreux et difficiles à relever mais, comme vous l'avez dit vous-même, les moyens sont là et les objectifs clairement définis. J'espère que les territoires d'outre-mer ne seront pas oubliés, notamment les départements, puisque l'AFITF est compétente pour participer au financement des projets portuaires d'intérêt national. On ne le redira jamais assez, la France détient le deuxième domaine maritime mondial.

M. Jimmy Pahun vient d'évoquer le sujet et j'ai conduit avec mon collègue M. Yannick Haury une mission d'information sur la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales : la question des infrastructures de protection est un enjeu majeur pour les communes du littoral. Nous le constatons au quotidien et, malheureusement, les effets du changement climatique ne font qu'aggraver la situation. Quelle est la stratégie de l'agence en matière de renforcement de ces infrastructures ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, merci pour votre présentation ; merci en particulier d'avoir rappelé l'histoire de cette agence à laquelle nous sommes tous très attachés. Vous l'avez souligné : l'AFITF, ce sont des recettes, des dépenses et un fonctionnement que l'on souhaite le plus transparent possible.

Vous indiquiez que les recettes passées s'étaient révélées décevantes. Dans un récent rapport, le Sénat considérait que l'on avait besoin de stabilisation et de nouvelles ressources. Quelles pourraient être, selon vous, ces dernières ? Quelles démarches, le cas échéant, comptez-vous entreprendre pour les obtenir ? On sait en effet que les nouveaux moyens accordés au travers du plan de relance sont très aléatoires.

S'agissant des dépenses, vous affirmez que la situation s'est clarifiée et que, grâce à la LOM et au Conseil d'orientation des infrastructures, une réponse a été apportée à la critique de la Cour des comptes – si ce n'est qu'il y a toujours de nouvelles annonces ! Ainsi, le Premier ministre a annoncé récemment la prochaine mise en chantier de la ligne à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse ; il y a aussi les futurs chantiers, importants et très controversés, de la LGV Lyon-Turin ou des grandes infrastructures fluviales. Quel jugement portez‑vous sur le financement de ces travaux ?

Enfin, il est essentiel pour nous que la transparence du fonctionnement de l'agence soit assurée. Nous avons besoin de savoir s'il existe une adéquation entre les objectifs et les moyens. Nous avons vivement déploré par le passé l'absence de transparence. Le site de l'AFITF a été « relooké », mais nous avons besoin de disposer des éléments qui nous sont nécessaires pour nous forger notre propre opinion sur l'adéquation entre les recettes et les dépenses, de manière à exercer notre fonction de contrôle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Bravo pour l'action menée par votre agence, monsieur le président ! La RN2, la route nationale reliant Paris à Bruxelles, était toujours montrée du doigt en raison de l'absence d'investissements ; aujourd'hui, des crédits considérables sont engagés pour réaliser des travaux dans l'Oise, ainsi qu'autour de Soissons et autour de Laon. Reste à aller jusqu'à Bruxelles.

Mes questions ont trait au secteur ferroviaire : 70 % des voies sont électrifiées, soit 300 kilomètres supplémentaires depuis 2015. Je pense en particulier à la ligne passant par Meaux, Lizy-sur-Ourcq, La Ferté-Milon et Reims : alors que l'on parle de décarbonation des transports, combien de temps faudra‑t‑il encore attendre pour aboutir à un transport décarboné – mais pas forcément électrifié ?

Les collectivités territoriales ont réussi à rouvrir la ligne entre La Ferté-Milon et Reims pour le transport ferroviaire à destination des entreprises. Les élus voudraient maintenant savoir quelles démarches engager pour la rouvrir au transport de passagers.

Enfin, la réhabilitation de certains passages à niveau semble nécessaire. Comment s'effectue la programmation de ces aménagements ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les opérateurs de fret craignent que la SNCF ne puisse pas suivre si l'État ne lui en donne pas les moyens. Comment vous inscrivez‑vous dans ces projets d'investissement, dans un secteur qui connaît de forts besoins ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le transport et la mobilité lourde utilisant l'hydrogène comme vecteur d'énergie sont en train d'apparaître en France, là où les batteries trouvent leurs limites. L'hydrogène peut participer au verdissement du transport fluvial et des grands ports de l'État, ainsi qu'au renouveau du TER, le transport express régional, et au développement du fret ferroviaire décarboné. Quel sera le rôle de l'agence dans ce mouvement ?

Cela soulève la question de la compétence des présidents de région sur les orientations relatives à la mobilité. Certains peuvent en effet bloquer les orientations de l'État pour des raisons politiques, dans un jeu entre majorité et opposition. C'est le cas dans ma région, pour ce qui est du TER à hydrogène. Quel rôle pourrait jouer l'agence pour faire évoluer cette répartition des compétences, quand, comme aujourd'hui, il faut se saisir d'un plan de relance qui, dans quelques mois, ne sera plus d'actualité ?

Permalien
Christophe Béchu

Je remercie M. Jean-Marc Zulesi pour sa question et, surtout, pour son assiduité au conseil d'administration de l'agence. Je le remercie également d'avoir souligné l'importance du secrétaire général, qui accompagne le conseil d'administration dans ses missions. Mme Katrin Moosbrugger, qui vient d'être choisie pour succéder à M. Jean Abèle, sera la première femme à occuper cette fonction. J'espère obtenir à l'issue de cette audition votre autorisation de travailler avec elle.

Au-delà du plan de relance, nos concitoyens ont des attentes qui pourraient amener l'agence à se positionner différemment : cela est au cœur de nos réflexions.

En premier lieu, se pose la question des mobilités douces, que vous avez évoquée. Le montrent le succès des appels à projets concernant le plan vélo, la pérennisation des infrastructures cyclables qui ont vu le jour dans une partie de nos territoires et, plus largement, les attentes en matière d'infrastructures, que nous mesurons partout sur le terrain. L'agence n'a pas vocation à apposer des logos de cycliste au sol ; payer des pochoirs n'est pas notre job. Notre travail est d'investir des fonds dans des infrastructures lourdes ou semi-lourdes : franchissements de rivières ou de voies de chemins de fer, réalisation de chaînons manquants… Or, culturellement, l'approche du coût des infrastructures cyclables n'est pas comparable à celle des infrastructures routières : quand on vous dit qu'une route coûte 3 millions d'euros, vous l'entendez, mais si l'on vous explique que la même somme est nécessaire pour une infrastructure cyclable, vous vous dites que cela coûte extrêmement cher pour des usagers qui roulent à bicyclette. Et pourtant, notre préoccupation est bien d'accompagner toutes les formes de mobilité, y compris celles qui sont les plus vertueuses en matière de sport, de santé, de décarbonation et, précisément, de capacité à limiter la congestion des autres modes. De ce point de vue, tout cela ne relève pas du gadget. Quelques yeux se sont plissés à l'annonce du plan vélo mais, à voir le succès qu'il rencontre, on en mesure le caractère très actuel et la nécessité de pérenniser son financement.

Je souhaiterais profiter du semestre que durera la présidence française de l'Union européenne pour réunir les patrons des autres agences européennes qui travaillent sur les infrastructures, parce que l'angle mort de notre plan de relance sur les infrastructures, ce sont les interconnexions. Un rapport sur les trains de nuit paru il y a quelques semaines souligne le fait qu'indépendamment de la liaison rétablie vers Nice et de ce qui se passe du côté de Briançon, les perspectives les plus prometteuses sont les lignes Paris-Florence-Rome, Paris-Madrid, Paris-Hambourg-Copenhague et Paris-Bruxelles-Berlin-Vienne. On voit bien que l'enjeu n'est pas seulement de nous mettre d'accord, mais de trouver des continuités et de réaliser un travail collectif.

Monsieur Jimmy Pahun, l'annexe n° 6 du rapport d'activité de l'agence, que vous avez reçu, détaille ce que nous faisons pour le littoral avec 5 millions d'euros. Elle comprend plusieurs pages, parce qu'il s'agit d'une multitude de petites opérations ciblées, qui ont en commun la protection concrète de l'environnement. Je suis totalement de votre avis : on se demande parfois ce que nous pourrions mettre en œuvre au titre de la transition écologique, alors que certains programmes, qui existent déjà, pourraient facilement être amplifiés au prix d'un effort financier mineur. La question du trait de côte et de la lutte contre l'érosion est centrale, et le tiers de ces financements, madame Maina Sage, concerne l'outre‑mer. Si le montant de 5 millions d'euros, rapporté à un budget de 3 milliards, doit évidemment être relativisé, cela permet d'accompagner nombre de projets d'infrastructures et d'éviter des coûts potentiellement bien plus lourds. Que souhaiter, si ce n'est que ce programme se développe au fil des conventions ?

Le budget de l'agence est, pour 35 %, consacré aux routes nationales, dont la RN 2 évoquée par M. Jacques Krabal, pour 45 % au transport ferroviaire, tous types de trains confondus – il s'agit là de dépenses d'infrastructure, même si les trains d'équilibre du territoire ont été ajoutés, suivant le principe que là où peu de travaux sont réalisés sur les rails, un moyen d'accroître le nombre de passagers consiste à améliorer le service proposé –, et pour 11 % aux mobilités douces et aux transports en commun. La part de ces derniers a progressé ; cela inclut l'accompagnement du développement des transports en commun en site propre au travers de conventions, ainsi que celui du vélo et des autres modes doux. Enfin, 5 % sont consacrés au transport fluvial et 4 % au reste, qui inclut les opérations sur le littoral et le transport maritime.

L'agence n'est pas le bras armé de la stratégie portuaire de notre pays, ni même de ses ambitions maritimes. Elle finance principalement des infrastructures maritimes qui servent le principe d'intermodalité, permettant une activité de déchargement, avec du fret associé à d'autres modes.

Si je partage votre préoccupation, madame Sage, l'agence ne me semble donc pas être le bon instrument pour y répondre. Quel dommage d'avoir un tel potentiel maritime et de ne pas l'utiliser autant qu'on le pourrait ! Mais demander à un opérateur de faire des choses trop différentes finirait par réduire son efficacité ou par remettre en cause sa légitimité.

Cela m'amène aux questions de M. Bertrand Pancher, en particulier à la troisième. C'est une chose d'avoir signé un contrat d'objectifs et de performance, de veiller à la transparence et à la mise à jour du site internet, de rédiger des rapports et de se rendre disponible chaque fois qu'il y a une audition, c'en est une autre d'étendre les responsabilités du conseil d'administration en lui conférant la capacité de définir ses propres orientations. Cela constituerait, de mon point de vue, une forme de déni de démocratie. Le président de l'agence tient sa légitimité d'un système indirect, dans lequel sa nomination est proposée par le Président de la République et validé par la représentation parlementaire. Cette légitimité n'est en rien comparable à celle d'une assemblée élue. Or je considère que la définition des grandes orientations doit rester l'apanage de ceux qui sont élus au suffrage universel pour cela. Qu'il y ait une courroie de transmission qui procède d'une légitimité démocratique et fasse le lien avec les opérateurs de terrain est plutôt souhaitable dans un pays où l'on a parfois tendance à ne pas suffisamment jouer sur les synergies entre le national et le local, mais je ne pense pas qu'il faille aller au-delà.

Les recettes et les dépenses sont des questions clés. Pour ce qui est des premières, une part stable est constituée par le produit de la TICPE, l'autre part stable étant issue des recettes des autoroutes : sur les 3 milliards d'euros de recettes de l'agence, 1 milliard provient des autoroutes, dont 365 millions de la redevance domaniale – c'est‑à‑dire de la taxe foncière payée par les sociétés d'autoroutes, qui n'évolue guère puisque le patrimoine est à peu près fixe – et un peu plus de 600 millions de la taxe d'aménagement du territoire (TAT), qui est une sorte de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) puisqu'elle est fonction du trafic. Si elle a été affectée par les confinements successifs du fait de la diminution de l'activité des péages, elle montre habituellement une assez grande stabilité. Il y a aussi cette petite bizarrerie qu'est la contribution volontaire exceptionnelle des sociétés concessionnaires d'autoroute. Dire que ces dernières versent une contribution de plusieurs dizaines de millions d'euros de manière « volontaire » relève, me semble-t-il, d'un abus de langage. Il s'agit en réalité de la contrepartie du plan de relance autoroutier visant à compenser l'abandon de l'écotaxe et à faire aboutir un certain nombre de projets. Cette contribution, dégressive, est de l'ordre de 60 millions d'euros cette année.

La part de la TICPE affectée à l'AFITF, qui est de 1,285 milliard d'euros cette année, avait été portée à 1,6 milliard d'euros l'an dernier pour compenser les pertes de recettes liées à la crise. Nous pouvons compter avec cette certitude sur cette somme, puisque, quoiqu'il puisse se passer, le rendement de la TICPE est proche de 40 milliards d'euros.

À cela s'ajoutent deux recettes.

La première est la taxe de solidarité sur les billets d'avion. Cette année, 230 millions d'euros avaient été inscrits à ce titre à notre budget. Il va de soi que nous ferons disparaître cette ligne dès que le conseil d'administration se réunira puisque nous ne percevrons pas cette somme. Il n'en reste pas moins que faire contribuer le secteur aérien à une stratégie globale en matière de transports n'est pas une mauvaise idée. Rapporté au flux de passagers annuels et aux enjeux, le montant de cette taxe n'est pas du tout disproportionné. En revanche, il me paraît de bonne politique qu'elle ne soit pas prélevée lorsqu'il n'y a personne dans les aéroports et que les compagnies sont contraintes de solliciter des plans d'aide. Il faut ajuster la temporalité du dispositif, plutôt que sa finalité.

L'autre recette, ce sont les amendes radars. Elles présentent la particularité d'avoir non seulement un rendement qui varie suivant les années, mais aussi un mode de répartition qui fonctionne par sédimentation : on ne fixe pas un pourcentage pour chacun des bénéficiaires, on leur affecte des tranches selon un ordre de priorité arrêté, dans lequel l'AFITF arrive en dernier. Une fois que tous les autres bénéficiaires ont touché leur part, si le rendement des amendes radars sur la totalité de l'année se révèle plus élevé, c'est une bonne nouvelle pour l'agence ; sinon, c'est une mauvaise nouvelle.

Parmi les bénéficiaires de cette recette figurent le ministère de l'intérieur au titre des actions de sécurité routière, certaines collectivités locales au titre de leur désendettement et l'agence. Jusqu'en 2017, tous les ans, les recettes étaient supérieures à la somme inscrite au budget. Depuis 2018, la situation a changé et elle s'est particulièrement aggravée en 2019, en raison du mouvement des gilets jaunes, puis en 2020 en raison de l'épidémie de covid-19. En 2017, l'agence bénéficiait de 400 millions d'euros à ce titre ; en 2020, nous avons reçu 167 millions ; cette année, 278 millions ont été inscrits au budget. Je ne sais pas, à cet instant, dans quelle mesure cette prévision est réaliste. Mon problème est aussi le vôtre : dès lors que nous touchons le produit des amendes radars à la fin de l'année seulement, nous n'avons aucune visibilité sur le rendement avant le mois d'octobre ou de novembre, début des premiers encaissements. Cela ne laisse qu'un temps très réduit pour combler un éventuel déficit de recettes – car, en regard de ces recettes qui sont variables, nos dépenses, quant à elles, ne le sont pas.

Une grande part des dépenses de l'agence sont liées à la couverture financière des partenariats public‑privé (PPP), qui ont été conclus sur des temps longs. Ainsi, nous nous sommes engagés à financer les tranches de la rocade L2 à Marseille jusqu'en 2042 – mais je pourrais citer bien d'autres exemples, dont la LGV Bretagne-Pays de la Loire.

J'ai donc la certitude d'avoir des dépenses et une incertitude quant à certaines recettes : voilà qui n'est guère compatible avec l'idée que l'agence est le gardien du temps long ! Par conséquent, il convient de sécuriser les recettes. Une solution simple serait d'obtenir une majoration de la part de TICPE, en considérant que les amendes radars sont prioritairement affectées à d'autres et que, tant que la TSBA ne peut être mise en œuvre, une compensation pourrait s'opérer par l'intermédiaire de la TICPE. D'autres hypothèses ont été évoquées, telle l'instauration d'une eurovignette. Toutefois, si des écotaxes régionales étaient mises en place, il serait sans doute compliqué d'y ajouter un dispositif national avec une péréquation – mais c'est un autre sujet.

Quant aux dépenses, vous avez raison, monsieur Pancher. J'ai indiqué que la trajectoire fixée par la LOM était de 13,7 milliards d'euros. Or, quelques semaines après l'adoption de la loi, il nous a été demandé d'ajouter 1,1 milliard d'euros de dépenses au titre de la liaison Seine-Nord Europe, dans la perspective de l'inscription de nouvelles recettes – mais, depuis, avec l'épidémie de covid-19, d'autres priorités sont apparues. Néanmoins, nos restes à payer s'élevaient au 1er janvier à 12 milliards d'euros, c'est‑à‑dire exactement le même montant qu'en 2016, à ceci près que 1 milliard correspond au canal Seine-Nord Europe. Nous avons donc conservé notre capacité à financer ce que nous devions et absorbé le surplus dans le stock à financer, même si, sur le plan de la stricte orthodoxie comptable, des sommes que nous avons à décaisser au titre d'autres projets de la LOM pourraient ne pas être au rendez-vous. Toutefois, les crédits ouverts dans le cadre du plan de relance pourraient jouer le rôle de soupape pour certaines opérations.

S'agissant de la liaison Lyon-Turin, je rappelle que 30 kilomètres de tunnels et galeries ont déjà été réalisés sur les 160 prévus. J'entends parfois parler d'un « projet », mais il est lancé : c'est déjà, en quelque sorte, une réalité. Le problème est de savoir comment atterrir financièrement.

Le mécanisme est assez complexe. Dans l'enveloppe de 10 milliards d'euros, la part européenne est théoriquement de 40 %, mais elle pourrait monter à 50 %. Le reste à charge est réparti entre l'Italie et la France en fonction de la longueur de tunnel, à raison de 57,9 % pour l'Italie et de 42,1 % pour la France. Si l'on s'en tient à une participation de l'Union européenne à hauteur de 40 %, cela représente donc un coût de 2,5 milliards d'euros pour la France.

Sur cette somme, 200 millions d'euros ont d'ores et déjà été fléchés dans la première tranche du plan de relance. Cependant, nous ne pourrons pas absorber le reste dans le cadre de la trajectoire financière qui nous est impartie. C'est impossible. Cela reviendrait à remettre en cause les ambitions et les orientations que vous nous avez fixées.

S'agissant de la RN 2, monsieur Krabal, je crois avoir compris que vous n'attendiez pas de réponse précise de ma part... C'était plutôt pour vous l'occasion de souligner le caractère concret de l'arrivée des financements sur le terrain. Néanmoins, j'ai bien entendu vos interrogations concernant la sécurisation des passages à niveau et, plus largement, l'évolution des lignes ferroviaires.

L'agence consacre 45 millions d'euros par an, au titre du programme 203, au financement de la sécurisation des passages à niveau. Nous commençons à avoir une bonne visibilité en la matière. Il en est question depuis des années, et si quelques points noirs subsistent, leur nombre diminue fortement. Je pense qu'à l'horizon d'une législature, la question devrait être à peu près réglée.

Comment répondre en même temps au besoin de sillons pour le fret ferroviaire et aux attentes concernant les trains du quotidien ? Quel arbitrage opérer entre la demande d'une collectivité régionale d'augmenter l'offre de TER et celle d'un opérateur de fret d'obtenir un créneau lui permettant de ne pas rompre la chaîne logistique ? Il n'existe pas cinquante solutions. Les investissements dans des sillons ferroviaires permettant de faire du fret font partie du mix. En la matière, les choses sont en train d'évoluer. Grâce à la prise de conscience des acteurs, à travers des interpellations, des tribunes, des colloques, des prises de position, grâce aussi aux enjeux européens, nous bénéficions en ce moment, le rapporteur l'a souligné, d'un alignement des astres favorisant un changement de braquet pour ce qui est du fret et des modes de transport alternatifs.

Se pose notamment la question de la motorisation. Parmi les freins au développement de l'hydrogène, vous avez pointé, monsieur le président du groupe d'études sur l'hydrogène, une certaine hétérogénéité dans les positions des présidents de région sur le sujet. Nos concitoyens étant appelés à la fin de ce mois à se prononcer sur les orientations qu'ils souhaitent donner dans divers domaines, je ne souhaite pas interférer dans leur choix. Cela dit, étant attaché à la décentralisation, j'estime que c'est une chance d'avoir des territoires qui ne choisissent pas tous les mêmes stratégies. Aussi surprenant que cela puisse paraître quand on est, comme vous l'êtes, persuadé qu'il n'y a qu'une seule solution, je considère qu'avant qu'une technologie soit généralisée, il est bon que certains misent fortement dessus et que d'autres s'y refusent : cela permet de voir qui a raison et de dessiner un chemin pour les indécis. Au-delà, je suis convaincu qu'il faut développer le mix énergétique. L'hydrogène semble tellement plein de promesses que, si je caricature un peu, le premier argument avancé par ses opposants, c'est que c'est trop beau pour être vrai !

Vous le savez, il existe des partenariats entre la SNCF et Alstom sur le sujet. De plus en plus d'initiatives se font jour dans les collectivités territoriales, autour des bus, des bennes à ordures ménagères et, peut-être moins fréquemment, du réseau ferroviaire. Je plaide pour qu'on laisse aux territoires une liberté de choix. Cela fait vivre le débat démocratique et contribue à ce que nos concitoyens se forgent une opinion.

Le fait de se poser la question est en outre une manière de préparer les esprits à ce qui pourrait bien être une révolution à de multiples égards. Les enjeux ne se limitent pas en effet à la décarbonation du déplacement, ils concernent aussi le lieu de production de l'énergie, donc le bilan carbone de l'ensemble de la chaîne, ainsi que le stockage et les emplois locaux. Bref, on voit bien l'intérêt qu'il y aurait à s'engager dans cette voie. On voit aussi le chemin qui est en train de se dessiner. Même si vous estimez que cela ne va pas assez vite, je pense qu'il y a trois ans, vous auriez signé pour en être au point où nous sommes arrivés aujourd'hui !

Le rôle de l'agence n'est pas d'opérer de tels choix technologiques. Nous nous occupons des infrastructures, non de la motorisation des véhicules qui les emprunteront. Nous mettons en place des réseaux performants et, sur ces réseaux, des opérateurs, publics ou privés, avec ou sans mise en concurrence, dotés de tel ou tel type de moteur, assurent un service. Cette répartition des tâches me semble appréciable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question porte sur le désenclavement rural. J'ai l'impression que l'ensemble des décisions prises et des projets financés servent à connecter les villes et les bourgs-centres entre eux, en ayant tendance à oublier les petites communes. D'où un manque cruel d'infrastructures dans ces dernières et un sentiment d'abandon chez les habitants – c'est notamment le cas dans mon département. J'en veux pour preuve le plan vélo qui a été adopté, et qui profite aux villes-centres. Aucun projet ne vise à relier, par exemple, la ville de Carpentras et les villages alentour, cela, vous l'avez souligné, pour des raisons évidentes de coût. Dans quelle mesure l'AFITF pourrait‑elle contraindre les collectivités territoriales à désenclaver les territoires ruraux ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, je tiens à vous féliciter pour votre action et à vous remercier pour l'ensemble des informations que vous nous délivrez aujourd'hui, et qui sont essentielles à notre mission de contrôle.

Vous dites que vous êtes le « gardien du temps long ». Or, dans une perspective à long terme, nous souhaitons mettre en œuvre des politiques visant à préserver le climat. Cela implique de modifier de manière non négligeable les modes de transport des Françaises et des Français. Cela peut concerner le report modal – avec, par exemple, la suppression des lignes aériennes les plus courtes – ou l'emploi de nouvelles technologies : les véhicules électriques sont ainsi de plus en plus nombreux. Ces changements de comportement se traduisent par des modifications substantielles des recettes collectées, dont certaines sont dédiées à l'AFITF – il suffit de penser à la taxe de solidarité sur les billets d'avion.

S'agissant de la TICPE, on a l'impression qu'elle est gravée dans le marbre. Or, chaque jour, des véhicules électriques venant remplacer des véhicules thermiques, elle perd de son rendement. Que devons‑nous faire ? Doit-on annoncer aux Français que cette recette devra demain être transférée ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais revenir sur le projet de loi « climat et résilience », qui est en cours d'examen et dont je suis l'un des rapporteurs, notamment pour ce qui concerne la partie relative au recul du trait de côte. Mon collègue M. Jimmy Pahun a évoqué les enjeux liés au littoral. L'un d'entre eux a trait à la disparition annoncée de certains secteurs et à la relocalisation.

Lundi matin, j'étais à Guéthary, dans le Pays basque, en compagnie de Mme la maire. Une voie ferrée traverse un secteur qui est appelé à disparaître. L'AFITF prend-elle en considération les dispositions contenues dans le texte que nous allons prochainement adopter et qui seront intégrées dans les documents d'urbanisme ? Des routes, des voies ferrées ou d'autres infrastructures sont appelées à être délocalisées, ou tout du moins réaménagées. Vous mobilisez-vous déjà sur ce point ? Si tel est le cas, j'aimerais savoir qui contacter à l'AFITF pour en discuter.

Permalien
Christophe Béchu

Monsieur Morenas, j'ai certainement beaucoup moins sillonné le Vaucluse que vous. L'agence n'est pas le seul opérateur à l'œuvre. Une partie du désenclavement, en fonction de la taille des communes, relève aussi de la compétence des collectivités départementales. En théorie, l'agence ne doit intervenir que sur les routes nationales ; or, dans bien des cas, on a davantage besoin d'un réseau local de qualité que d'une extension du réseau national. Nous touchons là du doigt la responsabilité qu'ont les élus locaux d'accompagner le développement d'un modèle de société qui est plébiscité par nos concitoyens et qui a été remis à l'honneur à l'occasion de cette crise.

Il fut un temps, et c'est encore vrai dans certaines familles politiques, où l'on considérait que construire de nouvelles routes était sale parce que cela engendrait des voitures. Cela me fait penser aux cours d'un ancien professeur de droit des affaires sociales qui expliquait que la réforme de l'assurance maladie devait reposer sur un principe simple : plus il y a de médecins, plus il y a d'ordonnances ; plus il y a d'ordonnances, plus il y a de médicaments ; plus il y a des médicaments, plus le trou de la sécurité sociale se creuse. Il oubliait seulement qu'indépendamment du nombre de médecins, il fallait prendre en considération le nombre de patients. Sa logique visait donc à diminuer le nombre de médecins pour diminuer le nombre d'ordonnances et, en conséquence, le nombre de médicaments, afin de réduire le trou de la sécurité sociale. Non seulement ce n'est pas ce qui s'est produit, mais il arrive même que les assurés soient obligés de payer certaines prestations.

Les routes font-elles les voitures ? Je n'en suis pas persuadé, notamment du fait de l'évolution des modes de transport. Comment peut‑on plaider pour les circuits courts et le télétravail et ne pas se demander comment répartir les activités humaines afin de pas les concentrer de manière excessive ? Tel est l'enjeu du désenclavement et de l'accompagnement que j'évoquais.

Monsieur Bolo, il est tout à fait exact que plus le nombre de voitures qui passent à la pompe diminue, plus le rendement de la TICPE baisse. Il me semble que cette question relève davantage de la commission des finances que de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, mais, connaissant la multiplicité de vos centres d'intérêt, je ne suis pas surpris que cela vous préoccupe, dans un souci de responsabilité.

Bien sûr, nous aurions tort de penser que ces 40 milliards d'euros sont là pour toujours. Cela étant, c'est aussi le cas de nombre de taxes ou d'impôts qui fondent notre budget. S'agissant par exemple des amendes radars, tous les ans, vous partez du principe qu'un nombre élevé de nos concitoyens ne respectera pas les limitations de vitesse. Quel pessimisme ! (Sourires.) Vous pourriez, au contraire, décider de ne rien inscrire, partant du principe que tout le monde les respecte, et constater a posteriori, avec effroi, qu'une partie de nos concitoyens ne le fait pas.

La logique veut que l'on trouve demain une forme d'accompagnement, car la TICPE se fonde pour partie sur l'idée assez moderne selon laquelle il est légitime que les utilisateurs d'infrastructures participent à leur entretien. Cela renvoie à une question qui n'a pas été évoquée, à savoir que nous avons des « passagers clandestins » sur notre réseau, qui sont les grands groupes de transport routier international qui font le plein à l'extérieur de nos frontières et qui, par conséquent, ne participent pas au financement de l'AFITF via la TICPE. Quand bien même leurs camions abîment nos routes ou, en tout cas, participent à leur usure, ils sont exonérés de toute responsabilité financière, alors que les transporteurs routiers français paient la TICPE. On pourrait imaginer qu'à l'avenir un autre principe s'applique, qui soit indépendant de la motorisation. Par le passé, j'avais plaidé pour l'instauration d'une eurovignette, sur laquelle on aurait déduit le montant de la TICPE effectivement acquittée ; les Français n'auraient ainsi presque pas eu à subir de surplus de fiscalité – celle-ci étant déjà élevée –, alors qu'à l'inverse, les transporteurs basés à l'étranger auraient participé de manière équitable au financement du réseau. Cette question, qui dépasse le cadre de l'AFITF, reste à régler.

En vous entendant parler de Guéthary, j'avais envie, monsieur Causse, de vous proposer de nous rendre sur place pour examiner ce que l'agence est en mesure de faire. J'y ai également pensé très fort en écoutant madame Maina Sage !

(Sourires.)

Permalien
Christophe Béchu

Plus sérieusement, nous n'anticipons pas sur les décisions de l'Assemblée nationale, monsieur le député. Nous n'avons pas les yeux rivés sur ce que les députés sont sur le point de voter, imaginant les conclusions que nous pourrions en tirer. Il arrive même que le temps que les décrets d'application soient publiés, nous disposions d'un délai supplémentaire !

En outre, l'agence n'est composée que de quatre personnes : un secrétaire général, un secrétaire général adjoint, une assistante et un comptable. Aussi notre capacité d'analyse et nos pouvoirs d'investigation sont-ils assez limités. Lorsque je dis que nous sommes le bras armé du financement, cela correspond à la réalité, mais c'est aussi ce qui explique nos liens avec la DGITM et la nécessité que nous avons de nous rapprocher des directions locales et de divers partenaires pour avancer. Je ne m'en plains pas : il s'agit d'un modèle vertueux – même si le fait de passer de quatre à cinq personnes nous permettrait sans doute de mieux faire face à l'accroissement de nos missions, concernant par exemple les mobilités douces.

Comme toujours, nous étudierons les modifications que le texte qui sera adopté est susceptible d'engendrer dans nos affectations budgétaires au titre du programme 203 et, plus largement, dans les projets que nous serons amenés à soutenir au cours des prochaines années ainsi que dans les conventions qui seront présentées devant le conseil d'administration.

Je voudrais tous vous remercier pour le temps que vous m'avez consacré et pour la variété et la précision de vos questions ; cela témoigne de votre intérêt, non seulement pour l'agence, mais, au-delà, pour le quotidien des habitants de vos territoires – car c'est bien ce qui est en jeu. Nous ne faisons pas de la mécanique pour déterminer à quelle ligne ou à quel chiffre après la virgule il faut se positionner ; nous affirmons notre ambition d'assurer à nos concitoyens une liberté de circulation, quel que soit l'endroit où ils se trouvent, dans un contexte de responsabilité qui est celui de la transition.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup, monsieur le président. Il serait intéressant de vous entendre aussi entre deux nominations – que je vous souhaite nombreuses.

Après le départ de M. Christophe Béchu, il est procédé au vote sur la proposition de nomination par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs d'âge étant Mme Sandrine Le Feur et M. Jean-Marc Zulesi.

Les résultats du scrutin qui a suivi l'audition sont les suivants :

Nombre de votants

17

Abstention, bulletins blancs ou nuls

0

Suffrages exprimés

17

Pour

17

Contre

0

Informations relatives à la Commission

La Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a nommé M. Damien Pichereau, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances (n° 4186).