Commission des affaires européennes

Réunion du jeudi 20 juillet 2017 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente.

La séance est ouverte à 10 heures.

I. Audition de Mme Nathalie Loiseau, Ministre auprès du Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

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Madame la ministre, je vous remercie très chaleureusement de votre disponibilité pour cette audition. Vous êtes la première personnalité politique entendue par notre commission en ce début de législature, ce dont je me réjouis tout particulièrement.

Mes chers collègues, la séquence électorale qui vient de s'achever a montré à quel point les enjeux européens sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens. Le résultat des élections présidentielles et législatives montre qu'ils ont clairement tranché en faveur d'une orientation proeuropéenne de la politique française. Il nous appartient de traduire concrètement ce choix et de mettre les questions européennes au coeur de nos débats.

Ce choix en faveur de l'Union européenne intervient toutefois dans un contexte européen compliqué, doublé d'un contexte international difficile. Au plan européen, je citerai bien sûr le Brexit, les défis intérieurs posés aux États membres par le terrorisme, les déséquilibres persistants au sein de la zone euro, la concurrence fiscale et sociale entre États. Au plan international, je citerai la nouvelle donne qu'implique l'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, qui rend nécessaire la mise en place d'une véritable politique de sécurité et de défense commune.

Madame la ministre, le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers et le Conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier ont permis de lancer un certain nombre de mesures pour réformer l'Europe et mieux protéger ses citoyens. La sécurité et la défense, la lutte contre le changement climatique, le retour à la croissance économique, la mise en place d'une approche globale en matière de migrations, le développement d'une Europe numérique, l'harmonisation sociale et fiscale : tels sont les principaux chantiers qui nous attendent dans les mois à venir.

Sur tous ces sujets, madame la ministre, notre commission souhaite vous entendre.

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Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Madame la présidente de la commission des affaires européennes, chère Sabine Thillaye, mesdames et messieurs les députés, je tiens d'abord à vous remercier pour votre invitation. Je suis honorée d'inaugurer aujourd'hui le cycle des auditions que vous tiendrez tout au long de cette nouvelle législature. Je suis heureuse que nous puissions dès à présent commencer à échanger sur les grands dossiers européens. Je sais que je peux compter sur votre engagement et votre implication sur ces dossiers. Votre action est fondamentale pour que l'ensemble des commissions et l'Assemblée nationale elle-même puissent jouer pleinement leur rôle sur les questions européennes. C'est pourquoi j'attacherai une importance toute particulière à ce que notre dialogue soit aussi dense que possible. Je souhaite travailler avec vous, sans relâche, pour que la voix de la France au sein de l'Union européenne soit entendue et pour défendre partout une vision ambitieuse du projet européen.

Pour cette première audition, j'aimerais, mesdames et messieurs les députés, vous présenter tout d'abord, comme m'y a invité Mme la présidente, les priorités du Gouvernement au niveau européen, avant d'évoquer les plus proches échéances et de vous dire quelques mots de la méthode de travail que le Gouvernement s'est fixée en la matière.

Vous le savez, le Président de la République s'est engagé en faveur d'une Europe ambitieuse, d'une Europe fière d'elle-même – cet espace unique allie protection des libertés, encouragement à l'esprit d'entreprise et justice sociale ; nulle part ailleurs dans le monde on ne trouve un espace qui défende avec autant de vigueur ces trois grands principes –, une Europe fière d'elle-même, donc, qui ose assumer un rôle moteur dans de nombreux domaines, de l'économie au climat. Cependant, des inquiétudes se sont manifestées depuis des années, en France comme dans de nombreux pays européens, quant à l'évolution du projet européen, mal compris et parfois mal accepté. Ne nous y trompons pas : au vu du nombre de suffrages qui se sont portés sur des candidats que l'on qualifie globalement d'eurosceptiques, elles se sont aussi exprimées cette année à l'occasion de l'élection présidentielle et des élections législatives. Disons les choses : l'Europe est perçue comme trop lointaine, trop peu transparente et trop technocratique. Si nous faisons le bilan de notre année électorale, nous pouvons en conclure que les Français aiment l'Europe, pas forcément la façon dont elle fonctionne aujourd'hui, et qu'ils s'inquiètent de savoir si l'Europe les aime vraiment.

Il est donc indispensable de démontrer aux Européens, en particulier aux Français, que leur sécurité, leurs valeurs et le modèle social et économique auquel ils sont attachés, loin d'être menacés, sont au contraire renforcés par l'Union européenne. Il faut que l'Europe puisse mieux les protéger face au terrorisme, face au changement climatique, face au commerce inéquitable ou, plus largement, face aux effets négatifs de la mondialisation. C'est à l'échelle européenne, et à l'échelle européenne seulement, que nous pourrons mieux réguler la mondialisation, en mobilisant le dynamisme d'un continent plus prospère, plus pacifique, plus généreux, plus ouvert que les autres.

C'est le sens de l'« Europe qui protège » que le Président de la République a promue dès le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers et qui inspire l'action du Gouvernement.

Une Europe qui protège, c'est d'abord une Europe qui assure la sécurité de ses citoyens. Les attentats à Londres et à Manchester nous l'ont rappelé, tout comme les tentatives avortées à Paris ou à Bruxelles : la lutte contre le terrorisme doit demeurer une priorité de l'agenda européen. Les discussions en cours sur le paquet dit « frontières intelligentes » nous permettront de mieux contrôler les frontières extérieures de l'Union, notamment pour repérer les éventuels retours de djihadistes étrangers, mais nous devons aller plus loin pour lutter contre l'utilisation d'internet par les réseaux terroristes, qu'il s'agisse de permettre l'accès aux services cryptés par les services d'enquête ou d'obtenir le retrait automatique par les acteurs de l'internet des contenus appelant à la haine ou à commettre un acte terroriste. Les orientations du Conseil européen des 22 et 23 juin derniers vont nous permettre de progresser dans ces domaines, sur la base de propositions législatives que la Commission européenne a mandat de présenter.

Une Europe qui protège, c'est aussi une Europe qui défend les citoyens et les entreprises en favorisant une mondialisation régulée. Cela passe, notamment, par la défense des intérêts européens dans les négociations commerciales internationales. Rappelons-le, car on ne l'entend pas assez souvent : l'Europe bénéficie du libre-échange, qui offre des opportunités à ses entreprises. Mais ne soyons pas naïfs : l'ouverture des marchés doit être réciproque, qu'il s'agisse de la circulation des marchandises ou de l'accès aux marchés publics, et le dumping doit être systématiquement combattu. Nous devons également redoubler de vigilance s'agissant des investissements étrangers dans nos secteurs stratégiques.

Lors du dernier Conseil européen, la nécessité de renforcer nos mesures anti-dumping et de moderniser nos instruments de défense commerciale a été reconnue. De même, nos partenaires les moins enclins à peser en faveur d'une régulation du libre-échange – nous le savons, il s'en trouve parmi les États membres de l'Union européenne – ont évolué et comprennent désormais l'importance de l'instauration d'une réciprocité en matière d'accès aux marchés publics. L'annonce récente d'un accord de principe entre l'Union européenne et le Japon, aux détails duquel il faut encore travailler, témoigne de cette évolution ; il affirme en effet la réciprocité de l'accès aux marchés publics de l'Union européenne, totalement ouverte, et le Japon, dont on sait qu'il ne l'était pas. Quant à la surveillance des investissements dans les secteurs stratégiques, nous souhaitons engager la Commission dans un travail d'analyse et de partage d'informations que nous estimons nécessaire. Soyons honnêtes toutefois : nous sommes au début du chemin.

Si la lutte contre le dumping doit être au coeur de la politique commerciale européenne, l'Union doit aussi permettre de lutter efficacement contre cette autre forme de dumping qu'est le dumping social. Cela implique une révision de la directive sur le travail détaché et du règlement sur la sécurité sociale. Je me réjouis de l'intérêt que vous portez à ce sujet, comme en témoigne la création d'un groupe de travail dédié dont je suivrai attentivement les travaux. Notre détermination est très forte. La ministre du travail, moi-même, le Premier ministre mais aussi le Président de la République sommes tous totalement mobilisés. Nous avons défini des objectifs clairs sur la rémunération, en application du principe « à travail égal, salaire égal dans le même pays », sur la lutte contre la fraude, sur la limitation des périodes de détachement dans le temps ou encore sur le lien avec le transport routier. Des contacts techniques et politiques sont pris avec l'ensemble de nos partenaires, notamment sur la base d'un accord franco-allemand réaffirmé lors du Conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier. Nous le faisons dans un esprit européen, pour une convergence par le haut qui bénéficiera à tous ; notre conviction est effectivement que la situation actuelle ne fait que des perdants. Cela suppose de ne pas opposer l'Est et l'Ouest de l'Europe et de discuter directement, en particulier, avec les pays du groupe de Visegrád – Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie – ou encore la Roumanie, l'Espagne ou le Portugal. C'est ce que le Président de la République a engagé dès le Conseil européen le 22 juin et que nous sommes en train de poursuivre. C'est ainsi que nous cherchons à dégager un consensus satisfaisant pour cet automne.

Une Europe qui protège, c'est aussi une Europe qui sait faire preuve de solidarité et d'efficacité dans la gestion de la crise migratoire qu'elle traverse. L'Union européenne est confrontée, depuis deux ans, à un afflux sans précédent de migrants et de réfugiés. Ce défi exceptionnel appelle une réponse forte de notre part, qui allie le contrôle effectif de nos frontières et le respect exigeant de nos valeurs. Plusieurs réformes structurelles sont en cours de discussion, notamment sur le régime européen de l'asile, qui doit reposer sur un équilibre entre responsabilité et solidarité. Nous devons aussi redoubler d'efforts pour contribuer à stabiliser la Libye, ce qui, bien sûr, prendra du temps, et renforcer notre engagement envers les pays d'origine et de transit des migrants.

Il est également essentiel que nous tenions nos engagements vis-à-vis des pays européens de première ligne que sont la Grèce et l'Italie. C'est ce que nous faisons, en témoigne le plan d'action rendu public par le Premier ministre le 12 juillet dernier, notamment en matière de relocalisation de personnes en besoin de protection. Je me rendrai moi-même en Italie la semaine prochaine et j'aurai l'occasion de rediscuter de ces questions avec nos amis italiens.

L'Union doit également, face à un monde devenu beaucoup plus dangereux, beaucoup plus menaçant, s'affirmer à l'extérieur de ses frontières. C'est la raison pour laquelle la France joue pleinement son rôle pour contribuer à la construction d'une Europe de la sécurité et de la défense, avec l'objectif d'une autonomie stratégique de l'Union européenne ; l'expression n'est désormais plus taboue, ce qui montre combien le monde évolue. Le dernier Conseil européen a permis de progresser, d'abord sur la voie de la mise en place d'un véritable fonds européen de défense, qui permettra de financer la recherche et les programmes capacitaires en matière de défense. Pour la première fois, nous allons disposer collectivement de financements communautaires mobilisables, de façon très encadrée, dans le secteur de la défense. Ensuite, nous avons posé le principe d'une coopération structurée permanente en matière de défense, c'est-à-dire un ensemble d'engagements plus forts en matière de dépenses, de capacités et de missions extérieures. Nous travaillons en priorité avec nos partenaires allemands, comme le 13 juillet dernier lors de la réunion du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité, afin de définir une liste d'engagements contraignants, avec des dispositifs d'évaluation spécifiques. Cette proposition franco-allemande pourra former la base d'un accord européen plus large, qui garantit – nous y sommes attentifs – un haut niveau d'ambition pour le futur dispositif. Il faut avancer au même rythme sur les deux sujets, le fonds européen de défense et la coopération structurée permanente ; nous y sommes attentifs.

Cet agenda de protection, nous le promouvrons lors des rendez-vous qui rythmeront les prochains mois sous la présidence estonienne, qui s'est ouverte le 1er juillet. J'ai accompagné le Premier ministre à Tallinn juste avant le début de cette présidence pour insister sur nos priorités auprès des autorités estoniennes.

Nous avons de nombreux rendez-vous importants devant nous. Je pense d'abord à la réunion du Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (EPSCO) du 23 octobre prochain où les ministres du travail reviendront sur le détachement des travailleurs. Je pense aussi au sommet de Göteborg sur les droits sociaux, qui se tiendra le 17 novembre, et qui doit permettre des avancées concrètes sur le socle européen des droits sociaux proposé par la Commission européenne au mois d'avril dernier. Et le sommet Union européenne-Afrique, qui se tiendra à Abidjan au mois de novembre prochain, devrait bien entendu être l'occasion de mieux articuler les enjeux de développement avec ceux de la sécurité et ceux des flux migratoires.

Je voudrais également mentionner les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Vous le savez, une deuxième session de négociation avec les Britanniques se déroule en ce moment. Sans spéculer sur ses résultats, je voudrais insister sur l'importance de l'unité des Européens autour des deux phases définies par le Conseil européen le 29 avril dernier et acceptées par le Royaume-Uni. Nous devons d'abord nous concentrer sur les questions essentielles relatives au retrait du Royaume-Uni, à savoir les droits des citoyens de part et d'autre, la question des frontières et celle des modalités de calcul du règlement financier du départ du Royaume-Uni. C'est ce qui figure à l'ordre du jour des négociations cette semaine. C'est seulement dans un second temps, lorsque des progrès suffisants auront été réalisés – espérons-le, à l'automne –, que les autres sujets seront ouverts et que le négociateur pourra commencer à évoquer l'avenir des relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Cela suppose cependant des progrès suffisants, notamment sur le règlement financier de la séparation et le sort des citoyens européens résidant au Royaume-Uni. Michel Barnier, qui négocie au nom de l'Union européenne, a notre entière confiance.

Enfin, le Brexit ne doit pas éluder la réflexion sur l'avenir de l'Union européenne. Nous devrons dès cet automne définir le niveau d'ambition que nous voulons donner à l'Union à vingt-sept pour l'avenir. Nous avons encore un peu de temps devant nous mais nous devons l'utiliser à nous préparer, avec nos partenaires et la Commission européenne elle-même ; le discours sur l'état de l'Union que prononcera au mois de septembre le président Juncker est à cet égard très attendu – nous aurons certainement l'occasion d'en reparler.

Avant d'engager la discussion avec vous, permettez-moi, mesdames et messieurs les députés, de vous parler brièvement de la méthode de travail que nous avons définie avec le Gouvernement pour défendre nos positions le plus efficacement possible. S'impose d'abord la nécessité de faire preuve, en préalable aux discussions que nous engageons avec nos partenaires, de sérieux et de crédibilité en montrant que nous faisons les réformes promises et que nous respectons nos engagements, notamment budgétaires.

Mais j'aimerais ici insister sur deux convictions que je défendrai et qui sont partagées par l'ensemble du Gouvernement.

Première conviction, nous devons mieux nous coordonner avec notre partenaire allemand sur les sujets européens. Le couple franco-allemand demeure un moteur irremplaçable pour la construction européenne – vous êtes mieux placée que quiconque, madame la présidente, pour le savoir. Cette relation de travail étroite avec l'Allemagne, nous avons voulu la lancer dès le début du quinquennat, avec l'organisation, il y a une semaine exactement, du premier Conseil des ministres franco-allemand. Celui-ci a permis de donner une impulsion forte à la coopération entre nos deux pays, autour de projets concrets dans les domaines de l'éducation et de la culture, avec les classes bilangues, de la défense et de la sécurité, comme en matière économique et sociale ou encore sur le climat. Il a notamment permis d'évoquer des sujets sensibles comme l'union économique et monétaire, et l'avenir de la zone euro. Nous avons encore beaucoup de travail devant nous pour préciser les concepts, pour nous mettre d'accord sur une approche commune, mais la France et l'Allemagne sont pleinement mobilisées pour avancer.

Seconde conviction, il nous faut refonder le lien entre les citoyens et le projet européen. L'agenda de protection, que nous défendrons et que je vous ai présenté, devra d'abord répondre à cette insatisfaction qui s'est exprimée, notamment dans les urnes, par rapport à l'état de l'Union européenne, mais nous devons aussi prendre le temps d'écouter les critiques, d'engager le dialogue avec les déçus de la construction européenne, bien au-delà du cercle restreint des convaincus. C'est l'enjeu des conventions démocratiques que le Président de la République a l'ambition d'organiser, en France et dans tous les États membres qui le souhaiteront, pour redonner la parole aux citoyens. La participation de toutes les forces vives de la société sera essentielle. Je me réjouis que vous ayez créé, le 13 juillet dernier, un groupe de travail sur le sujet, qui, pourra, je l'espère, nous faire part prochainement de ses propositions.

Permettez-moi pour conclure de vous remercier encore pour votre accueil et de souhaiter à votre commission des travaux fructueux pour cette nouvelle législature.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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Mes chers collègues, vous avez la parole pour une première série de questions.

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Merci, madame la ministre, au nom du groupe La République en Marche, pour cet exposé.

La crise migratoire que subit l'Union européenne depuis maintenant près de quatre ans révèle l'inadaptation des dispositifs de gestion des flux migratoires. Si le traité de Lisbonne a prévu l'élaboration d'une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures, la présente crise est révélatrice de l'échec de cette politique. Dans ce contexte, l'harmonisation des politiques nationales en matière d'asile est un objectif réellement complexe. L'Union européenne devrait viser une politique commune de l'asile et de l'immigration qui soit plus ambitieuse et plus efficace. L'épineuse gestion de la crise migratoire des dernières années est liée au fait que les États membres de l'Union européenne prennent difficilement la mesure du caractère transfrontalier des migrations.

La Commission européenne s'est engagée dans une refonte des mécanismes de l'asile. Sur sa proposition, le règlement Dublin III est en cours de révision afin d'assurer une répartition plus équitable des demandeurs d'asile à travers l'Europe. En principe, ils doivent être transférés dans le premier pays européen par lequel ils sont entrés, où la première demande d'asile a été déposée. Cependant, c'est un peu différent en France : si la personne n'a pas été expulsée vers le premier pays d'accueil au bout de six mois, elle peut refaire une demande d'asile. L'absence d'harmonisation se fait ressentir avec d'autant plus de force que le droit d'asile accordé à une personne résulte toujours d'une décision nationale et souveraine.

Plus généralement, la crise migratoire pose la question de la mise en oeuvre du principe de responsabilité du pays de première entrée pour l'examen d'une demande d'asile. Les États situés en première ligne, comme l'Italie, la Grèce ou l'Espagne, sollicitent un partage plus équitable de cette charge. Si le principe de la responsabilité de ces pays doit être soutenu, il est impératif d'introduire dans ce système un mécanisme correcteur permettant une solidarité à l'échelle européenne en cas de pression migratoire exceptionnelle comme actuellement. Le nombre de demandeurs à la charge de chaque État pourrait alors être calculé en fonction de différents indicateurs économiques, sociaux, démographiques ou même en fonction du chômage, comme l'a suggéré à plusieurs reprises la Commission européenne. Il est évident que la solution réside dans la coopération des différents pays, non dans le repli nationaliste. Comment la France peut-elle contribuer à l'aboutissement d'une véritable politique européenne harmonisée en matière d'asile, d'immigration et contrôle des frontières extérieures ? Quelle position commune adopter vis-à-vis des États membres n'assumant pas leurs responsabilités dans la gestion collective de cette crise migratoire ? Enfin, comment agir à l'encontre des pays qui bénéficient du statut d'États associés au dispositif Schengen, dits aussi « États sûrs », dont les ressortissants ne relèvent pas du statut de demandeurs d'asile ?

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Madame la ministre, mes deux questions concernent plutôt le moyen terme.

Premièrement, qu'en est-il, à l'heure du Brexit, de l'avenir de la politique commune de la pêche ? Le gouvernement britannique a dénoncé au début de ce mois de juillet la convention de Londres sur la pêche. Le moment venu, pour ne pas déséquilibrer nos flottilles et nos entreprises de pêche, il conviendra de garantir, entre l'Union européenne à vingt-sept et le Royaume-Uni, un partage des totaux admissibles de captures (TAC) et des quotas stables par rapport au régime actuel, ainsi que la reconnaissance d'accès aux eaux britanniques et européennes. Je vous serais donc reconnaissant de nous préciser la position du Gouvernement sur ce sujet sensible pour nos façades maritimes, en particulier celles de la Manche et de l'Atlantique.

Deuxièmement, puisque vous avez évoqué votre objectif, bien compréhensible, de refonder le lien avec les citoyens, je voudrais évoquer les prochaines élections européennes, qui se tiendront au printemps 2019, premier rendez-vous électoral important après les scrutins de ce printemps 2017. Les circonscriptions actuelles ne correspondent pas à nos nouvelles grandes régions. Pourriez-vous nous indiquer, d'une part, si un projet de redécoupage des circonscriptions est envisagé à la suite des modifications consécutives à la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ? D'autre part, avez-vous l'intention de réformer l'actuel mode de scrutin, en fait assez peu lisible pour la plupart de nos concitoyens et, me semble-t-il, pas forcément de nature à refonder le lien avec les citoyens ?

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Je voudrais vous interroger, madame la ministre, sur la politique de sécurité et de défense commune. Évoquant le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers, vous avez dit que le Conseil convenait de la nécessité de lancer une coopération structurée permanente, inclusive, et vous avez fait référence au couple franco-allemand. L'idée n'est pas nouvelle : la coopération structurée permanente est prévue par le traité de Lisbonne de 2007. Nous en avons souvent parlé, ici, dans l'enceinte de cette commission des affaires européennes. Il faut des États volontaires, mais, hors l'Allemagne, d'autres États sont-ils prêts à mettre en place cette coopération ?

Quant aux opérations extérieures, des pays comme la France dépensent beaucoup pour, tout compte fait, la défense des valeurs européennes, avec des opérations en Afrique et au Moyen-Orient. À plusieurs reprises, nous nous sommes posé en commission des affaires européennes la question du dispositif Athena, qui existe uniquement pour préparer les missions mais qui, bien évidemment, ne finance pas les opérations militaires. Nous l'avons fait évoluer, mais ne faut-il pas aller plus loin ? Cela me paraît un bon dispositif, sous réserve qu'il ait davantage de financements.

Enfin, pouvez-vous nous donner des informations sur ce fonds européen de 500 millions d'euros ? Comment sera-t-il financé ?

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En qualité de rapporteure du groupe de travail sur le détachement des travailleurs au sein de l'Union européenne, je souhaite savoir si vous avez déjà entamé des discussions avec vos homologues européens sur cette question. Le cas échéant, quel en est le contenu ? Plusieurs États, comme la France, l'Italie ou l'Allemagne, souhaitent une modification de cette directive pour lutter contre les effets pervers et les dérives du système, tandis que d'autres, notamment la Croatie et la Bulgarie, soutiennent avec vigueur le cadre actuel, en s'appuyant sur le principe de libre prestation des services au sein du marché unique.

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Certains, en Europe, se sont émus de l'élection de M. Trump aux États-Unis. D'autres s'en sont réjouis. Le temps a passé et l'on se dit que c'est peut-être une chance pour l'Europe : les premières déclarations de M. Trump, sur l'isolationnisme ou sur le fait que l'Europe devra payer sa défense, ne sont-elles pas de nature à mobiliser les autres Européens ? Que compte faire le Gouvernement pour saisir cette chance de faire en sorte, enfin, que l'Europe prenne son destin en main, en particulier grâce à sa politique de sécurité et défense commune ?

Par ailleurs, notre commission s'intéresse depuis longtemps à la lutte contre le réchauffement climatique. Nous travaillons notamment sur les relations internationales dans cette lutte contre le changement climatique. Or le Président de la République a annoncé un sommet à Paris, le 12 décembre prochain, pour relancer les négociations et faire en sorte que l'accord de Paris et celui de Marrakech soient effectifs. L'Europe a toujours été leader en la matière, notamment grâce aux nombreuses directives que nous avons appelées de nos voeux, avec les objectifs dits des « 3 fois 20 » ou celui d'une baisse de 40 % des gaz à effet de serre. Cependant, nous constatons aujourd'hui une certaine mollesse. Au cours des négociations de la COP21 à Paris et de la COP22 à Marrakech l'année dernière, certains pays européens se sont un peu défaussés. Comment envisagez-vous donc ce prochain sommet ? Et comment l'Europe peut-elle retrouver son leadership en la matière ?

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Ma première question porte sur l'accord de libre-échange conclu par l'Union européenne et le Canada. Mon groupe a déjà posé une question au Gouvernement, mais la réponse nous a semblé insatisfaisante. Nous aimerions donc davantage d'éclaircissements. Ce traité nous semble problématique à plusieurs titres. Il démantèle des formes de barrières au commerce et aux investissements, il supprime les derniers droits de douane, notamment en matière agricole, et il donne aux multinationales des droits exceptionnels sur les États. Les précédents accords de ce type ont déjà montré les problèmes que cela cause aux États, et les victoires qu'ils pouvaient permettre à de grandes multinationales de remporter sur un certain nombre d'États. Avez-vous plus d'éléments sur cet accord, au niveau européen et du point de vue de son application en France ?

Ma deuxième question porte sur la taxe européenne sur les transactions financières . Son taux devrait être de 0,1 % du montant des transactions sur actions et obligations. Elle avait notamment été évoquée dans le cadre de la COP21 mais auriez-vous des éléments sur l'avancée de ce dossier ?

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Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

J'essaierai de répondre à toutes les questions sans en oublier aucune.

Monsieur Mendes, vous m'avez interrogé sur la question migratoire et sur la nécessité de réviser la politique européenne, à la fois en matière d'asile et de migration. Nous assistons évidemment à une prise de conscience générale des États membres de l'Union européenne, mais ils peuvent avoir des positions différentes, voire profondément divergentes, en particulier sur la question du régime de l'asile. Nous travaillons à une réforme du régime européen de l'asile, dans un souci d'harmonisation, mais ne nous faisons pas d'illusions : cette réforme absolument nécessaire sera longue à mettre en oeuvre compte tenu de la diversité des positions des États membres.

Nous travaillons activement au renforcement des frontières européennes extérieures de l'Union. Dans ce domaine, les choses avancent, elles avancent même bien, avec un certain nombre de mécanismes en place ou qui le seront bientôt. Il s'agit du système d'entréesortie ou de l'autorisation accordée aux ressortissants d'États tiers qui n'ont pas besoin de visa mais qui présenteront une demande de se rendre sur le territoire de l'Union européenne, autorisation qui sera délivrée dans des conditions simples et rapides. Un système comparable est déjà en place aux États-Unis. De ce point de vue, les choses progressent.

En matière d'asile, le Gouvernement veut aller plus loin dans la responsabilité et la solidarité. Nous sommes extrêmement attachés au principe de responsabilité des pays de première entrée, principe indispensable à une gestion organisée et digne pour les demandeurs d'asile, et à son renforcement. Nous sommes cependant tout aussi attentifs à la mise en oeuvre effective du principe de solidarité.

J'évoquais tout à l'heure la nécessité de tenir nos engagements en matière de relocalisation des demandeurs d'asile. Nous l'avons fait de manière exemplaire avec ceux qui viennent de Grèce, et nous nous sommes engagés à accélérer la relocalisation des demandeurs d'asile en provenance d'Italie. D'autres pays sont infiniment moins exemplaires ; vous y avez fait référence tout à l'heure. La question est aujourd'hui sur la table, comme, plus largement, celle des valeurs qui doivent être le socle qui réunit des pays de l'Union européenne. Les pays qui ne respectent pas les valeurs de l'Union européenne, que ce soit en matière d'asile ou de respect de l'État de droit, ne se conforment ni à l'esprit ni à la lettre de nos traités. La discussion est en cours sur ces questions.

Vous avez entendu une parole forte du Président de la République, qui, le matin même du Conseil européen, a dit que l'Europe n'était pas un supermarché où l'on choisit ce que l'on souhaite et où l'on rejette le reste. Cela a été écouté et entendu par tous. Reste la question de savoir ce que l'on peut faire, notamment en matière d'asile et pour mettre en place un mécanisme de solidarité obligatoire en cas de crise migratoire majeure. En tout cas, c'est la position que nous défendons, avec de nombreux autres États membres de l'Union européenne.

Vous avez aussi mentionné les États tiers sûrs et le fait qu'il ne devrait pas être possible de déposer une demande d'asile lorsque l'on en est originaire. C'est un vrai sujet, sur lequel le Gouvernement – ministère de l'intérieur et ministère de l'Europe et des affaires étrangères – réfléchit. Effectivement, la situation n'est pas satisfaisante ; certains ressortissants de ces États tiers sûrs encombrent les procédures de demande d'asile au détriment de ressortissants de pays en guerre et de pays dangereux, qui devraient pouvoir bénéficier de ces procédures de manière prioritaire. Cela nous permettrait d'accélérer les procédures d'examen de l'asile – c'est le sens du « plan migrants » présenté par le Premier ministre.

Monsieur le député Quentin, vous m'avez interrogée sur les conséquences du Brexit dans le domaine de la pêche. Les enjeux sont évidemment cruciaux. La dépendance – vous n'avez pas employé le mot mais je le fais – des pêcheurs de plusieurs régions françaises à la zone économique exclusive et aux eaux territoriales britanniques est forte. Nous devrons y être très attentifs dans le cadre des négociations globales à venir et viser un compromis équilibré – c'est un souci réaliste, car nous avons aussi beaucoup d'atouts dans la négociation. Le Royaume-Uni est lui aussi largement tributaire de l'Union européenne, destinataire de 70 % de ses exportations de produits de la mer – et 30 % de ses exportations vers l'Union européenne sont à destination de la France. Dans cette négociation, nous avons donc des attentes et des atouts, mais nous n'en sommes pas encore là, je l'ai dit, nous en sommes à négocier les conditions du retrait. Ne mettons surtout pas la charrue avant les boeufs, pour employer une expression qui ne s'accorde pas tout à fait à l'évocation de la pêche – je n'en vois pas de meilleure. Avant d'en venir à l'examen secteur par secteur des conditions du futur accord, il est indispensable, dans l'intérêt de tous, de se mettre d'accord sur les grandes priorités de l'organisation du retrait du Royaume-Uni. Je les ai citées : la question du statut des citoyens européens, celle des frontières et celle du règlement financier des engagements pris par le Royaume-Uni. Soyons réalistes. Nous avons besoin de maintenir l'unité des Vingt-sept face à un gouvernement britannique dont nous ne savons pas s'il est lui-même parfaitement uni – les dernières semaines ne l'ont pas forcément démontré. Même s'ils sont écrasés par l'ampleur de la tâche à laquelle ils doivent s'atteler, les Britanniques sont d'excellents négociateurs, ne les sous-estimons pas – nous tombons parfois dans ce travers, et cela pourrait nous coûter cher –, ils ont évidemment bien compris qu'ouvrir dès maintenant la discussion avec tel ou tel secteur dans tel ou tel pays leur permettrait de fragiliser l'unité des Vingt-sept et, surtout, de ne pas traiter les sujets qu'ils ont moins envie de traiter. Je rappelle cette réalité non pour prétendre que le sort des pêcheurs français ne serait pas prioritaire – il l'est – mais pour appeler à traiter les choses dans l'ordre. Évitons de donner prise à ceux qui voudraient fragiliser nos intérêts.

Quant à la convention de Londres de 1964, dénoncée au début du mois de juillet par le Royaume-Uni, nous partageons l'analyse de la Commission européenne et de Michel Barnier : cette dénonciation n'emporte aucune conséquence, car la convention ne produisait déjà plus d'effets juridiques depuis l'entrée en vigueur de la politique commune de la pêche. C'est un symbole politique – je dirais presque : politicien –, un signal adressé par le gouvernement britannique aux pêcheurs britanniques, dont vous vous souvenez peut-être qu'ils ont très massivement voté en faveur du Brexit. Cela n'a cependant pas véritablement de conséquences.

Le sujet des élections européennes qui se tiendront au mois de mai ou juin 2019, monsieur le député Quentin, est absolument majeur, et, vous avez raison, nous y serons plus vite que nous ne le pensons. À partir du mois de mai ou juin 2018, ni le mode de scrutin, ni le découpage des circonscriptions ne pourront plus être modifiés. Précisons que le Brexit pose la question du devenir des soixante-treize sièges britanniques au Parlement européen. La discussion commence à peine, mais le Parlement européen devra faire une proposition que les États membres examineront. Certains sont tentés par la suppression de ces sièges ; estimant que les membres du Parlement européen sont peut-être trop nombreux, ils considèrent que c'est la solution la plus facile – elle ne rouvre aucune forme de négociation. D'autres rappellent que la répartition actuelle des sièges entre les États membres, qui date de 2013, n'est pas équitable, préoccupation que nous partageons ; le principe dit « de proportionnalité dégressive », qui distribue les sièges en fonction du poids démographique des États membres, n'a pas été pleinement appliqué en 2013, et la répartition actuelle défavorise un pays comme la France. Le Parlement européen le sait, ce pour quoi il doit faire une nouvelle proposition pour 2019, il s'y est d'ailleurs engagé. D'autres encore évoquent la possibilité de créer une circonscription européenne à l'occasion de la redistribution des sièges britanniques ; cette proposition figure dans le programme d'Emmanuel Macron et intéresse d'autres États membres, en particulier l'Italie. Cette proposition est intéressante parce qu'elle donnerait un ancrage plus européen à ce scrutin, mais c'est une proposition complexe qui implique de mettre en oeuvre des procédures de révision du mode de scrutin dans l'ensemble des États membres, ce qui peut requérir des révisions constitutionnelles. Une expertise rapide s'impose.

Il est vrai, monsieur le député Quentin, que les circonscriptions françaises aux élections européennes sont aujourd'hui uniques en leur genre, et mal connues de nos concitoyens. L'idée de les faire coïncider avec les grandes régions définies récemment vous paraît-elle mériter, mesdames et messieurs les députés, d'être explorée ? Le débat est ouvert, il faudra qu'il aille vite, parce que nous n'avons pas tant de temps. Je prends évidemment note du fait que vous vous interrogez à la fois sur les circonscriptions et sur le mode de scrutin, en un moment où une réflexion plus large est en cours, qui englobe notamment le mode de scrutin aux élections législatives. Je trouve particulièrement intéressant que vous nous saisissiez de la question de votre propre initiative ; il faudra que nous poursuivions nos échanges sur cette question.

Vous avez raison, monsieur le député Pueyo : la coopération structurée permanente n'est pas une nouveauté que nous sortons de notre chapeau. Elle est inscrite dans le traité. Cela étant, elle n'a pour le moment pas été mise en oeuvre et le traité précise qu'elle ne peut être activée qu'une fois. Il est donc important de fixer des critères très précis pour définir ce que nous entendons par coopération structurée permanente. Les conclusions du Conseil européen évoquent une coopération à la fois ambitieuse et inclusive ; nous insistons pour notre part sur la notion d'ambition. L'idée est non pas de faire un club de tous ceux qui, peut-être, un jour, éventuellement, pourraient penser à faire quelque chose, mais de réfléchir à la possibilité de réunir les capacités et d'intervenir dans les opérations les plus exigeantes. Cela ne peut aujourd'hui concerner l'ensemble des États membres de l'Union européenne, mais d'autres États que le France et l'Allemagne sont-ils intéressés ? Oui, un grand nombre, le Conseil et ses suites l'ont montré. L'intérêt de l'Allemagne est déjà une bonne nouvelle, à l'heure où une implication plus forte de la plupart des États membres est souhaitée, notamment en matière budgétaire. L'Allemagne a plus de chemin à faire, que d'autres pays. L'Estonie, par exemple, consacre déjà 2 % du produit intérieur brut (PIB) à la défense ; pour notre part, nous sommes sur une trajectoire pour y parvenir. La coopération structurée permanente est importante de ce point de vue. Que l'Allemagne joue un rôle moteur est une bonne nouvelle. Nous travaillons donc aux critères, en retenant notamment cette idée d'ambition, pour que ce soient vraiment les pays les plus susceptibles de s'engager qui le fassent.

Le fonds de 500 millions d'euros, lui, est bien une nouveauté. Il y a un an, j'aurais exprimé le plus vif scepticisme si vous m'aviez annoncé que la Commission européenne allait faire une telle proposition et le Conseil européen la soutenir. Voilà qui répond d'ailleurs pour partie à la question de M. le député Deflesselles sur « l'effet Trump ». Le contexte géopolitique, à l'heure où le monde se fait plus dangereux et où les alliances peuvent être remises en question – même si le président Trump est revenu sur ses propos relatifs à l'OTAN –, témoigne de la nécessité d'une autonomie stratégique de l'Union européenne. L'idée est bien plus partagée qu'auparavant et le fait que la Commission européenne et son président, auquel je tiens à rendre hommage, se soient ainsi engagés avec cette proposition innovante de fonds européen de défense mérite d'être saluée. Deux aspects doivent être distingués : la recherche et les capacités. Les fonds de l'Union européenne ont vocation à être disponibles pour la recherche ; il faut se mettre d'accord sur les critères d'utilisation. Quant au volet des capacités, son financement incombe aux États membres. Ce fonds marque un véritable pas en avant. Nous y sommes très attachés, et nous participerons très activement à sa mise en place.

La négociation sur la refonte du dispositif Athena est en cours. Notre objectif est bien d'élargir le champ des coûts considérés comme des coûts communs – et pas uniquement à la charge de l'État membre qui agit –, notamment en ce qui concerne le déploiement des groupements tactiques. Le principe a été décidé par le Conseil européen, et nous avons le soutien de la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Sur ce point aussi, l'évolution est donc favorable ; pendant de nombreuses années, ces concepts étaient fréquemment débattus, sans que cela ne se concrétise jamais.

Mme la députée Typhanie Degois, la mobilisation du Gouvernement en faveur d'une révision de la directive sur les travailleurs détachés est totale. En marge du Conseil européen, le Président de la République a déjà rencontré les dirigeants des pays du groupe de Visegrád et le président roumain. J'ai moi-même rencontré mon homologue portugaise, mon homologue italien et, depuis lors, un certain nombre d'autres homologues. Je cite en premier lieu le groupe de Visegrád et la Roumanie parce que ces pays considéraient, jusqu'à présent, qu'ils bénéficiaient de la directive et le projet de révision tel qu'il se présentait lorsque nous l'avons trouvé sur la table leur paraissait le maximum de ce qui était acceptable. Nous avons fait valoir nos préoccupations de manière très forte et très directe, au-delà même du poids des travailleurs détachés, aujourd'hui, dans notre propre pays, et des interrogations de nos concitoyens sur une Union européenne dont ils pourraient être les perdants si une main-d'oeuvre moins chère parvient sur notre sol dans des conditions qui nous sont défavorables. Nous avons très fermement rappelé au Conseil mais aussi à la présidence estonienne que la révision de la directive était pour nous une préoccupation et une priorité nationales extrêmement fortes. Les États du groupe de Visegrád sont plus ouverts au dialogue qu'on peut le penser. Du moins, il peut y avoir des nuances entre la position des uns et celle des autres, car ils ne sont gagnants qu'à très court terme : le modèle social européen se trouve tiré vers le bas, et, surtout, le système actuel empêche ces pays d'espérer une amélioration de la rémunération et de la couverture sociale de leurs travailleurs. Par ailleurs, un certain tiraillement se fait sentir de plus en plus vivement, qui tient au fait qu'une partie de la main-d'oeuvre qualifiée quitte ces pays et manque ainsi à leur développement économique. Nous en parlons avec eux et nous continuerons à le faire en lien très étroit cet été, au niveau tant technique que politique. Évidemment, nous parlons aussi avec les autres États membres de l'Union européenne ; nous avons le plein soutien de l'Allemagne et d'un certain nombre de pays qui souhaitent aussi une révision plus ambitieuse de la directive sur les travailleurs détachés. C'est véritablement une priorité, et la ministre du travail, moi-même et un certain nombre d'experts, mais aussi le Premier ministre et le Président de la République, nous répartissons le travail. Nous évoquons systématiquement le sujet avec tous nos interlocuteurs européens.

Je reviens au président Trump. Est-ce une chance pour l'Europe, M. le député Deflesselles ? Oui, bien sûr, en ce qui concerne la politique de sécurité et de défense commune, en raison du caractère incertain, presque aléatoire, de la position de l'administration américaine. Il y a une prise de conscience : l'Europe doit prendre son destin en main – cela a été dit de manière très claire, notamment par la chancelière Angela Merkel. De même, si le retrait américain de l'accord de Paris est évidemment une énorme déception, c'est aussi un objet de consensus au sein de l'Union européenne. Nous l'avons vu au Conseil européen, au G7, et dans la préparation par les Européens du G20 : nous partageons l'idée que l'Europe doit serrer les rangs et rester la tête de pont de la mise en oeuvre de l'accord de Paris. Le sommet du 12 décembre, proposé par le Président de la République, est une nouvelle occasion de pousser l'Europe à aller plus loin et de questionner à nouveau l'ensemble des partenaires. D'autres sont aussi fortement mobilisés, telles la Chine et l'Inde ; c'est un mouvement mondial en faveur d'une réponse coordonnée et ambitieuse au défi du changement climatique. Et, aux États-Unis, au-delà de la position de l'administration fédérale, beaucoup d'autres sensibilités s'expriment dans le milieu des entreprises comme dans les États fédérés ou les grandes villes.

Madame la députée Obono, vous m'avez réinterrogé sur l'Accord économique et commercial global (AEGC) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), dont je vois que c'est une préoccupation forte de votre groupe parlementaire. Quoique j'aie répondu hier, j'exprimerai un peu plus largement ce qui est, pour moi, une conviction. En matière de commerce international, nous avons le choix entre trois options : la loi de la jungle ; un protectionnisme qui irait à l'encontre des intérêts de nos entreprises et de nos secteurs économiques d'excellence ; une mondialisation régulée. Les accords que l'Union européenne passe avec des pays ou des groupes de pays extérieurs à l'Europe sont la traduction du choix de cette troisième voie. Nous avons beaucoup à y gagner. Cessons de les caricaturer comme ouvrant largement les portes de l'Europe à des compétiteurs féroces. Chez nos partenaires, les atouts qu'ils représentent pour nous et les gains que nous sommes susceptibles d'engranger sont mentionnés tous les jours, ils sont même questionnés, dans la presse. L'agriculture européenne, en particulier l'agriculture française – mais pas seulement l'agriculture –, a énormément à gagner du CETA. Il s'agit en outre d'accords de nouvelle génération, qui abordent des questions environnementales et sanitaires, auxquelles nous étions totalement indifférents il y a vingt ans. Nous progressons donc. Le Canada lui-même a énormément progressé en matière de normes sanitaires et environnementales, et nous devons respecter ce partenaire avec qui nous travaillons.

Le CETA n'en a pas moins suscité inquiétudes et interrogations. Je pense profondément que la Commission européenne doit progresser en matière de communication et de transparence des négociations. Nous l'avons dit à la commissaire Cecilia Malmström que nous avons rencontrée avec le Premier ministre : quand bien même la compétence est exclusivement communautaire, ce n'est pas une raison pour ne pas prendre la peine de communiquer régulièrement sur le mandat de négociation, sur le contenu des accords, sans quoi une suspicion dévastatrice s'installe. Une commission scientifique indépendante a été mise en place par le Premier ministre – je l'ai déjà dit hier – pour examiner les aspects sanitaires et environnementaux de l'accord. Elle rendra ses conclusions au début du mois de septembre. Nous avons obtenu que la mise en oeuvre provisoire de la partie de l'accord qui doit être automatiquement mise en oeuvre n'intervienne qu'après que cette commission aura rendu ses conclusions. Nous souhaitons qu'au-delà du simple cadre du CETA celles-ci puissent servir de lignes directrices pour la négociation des accords futurs. Cette sensibilité des citoyens, dont il faut avoir conscience qu'elle est inégale selon les pays de l'Union européenne – forte chez nous, je m'en félicite –, doit pouvoir trouver une réponse au cours des négociations.

Quant à la taxe sur les transactions financières, nous gardons cet engagement européen à l'esprit, mais le contexte du Brexit est marqué par une certaine incertitude sur les relations qu'entretiendront le Royaume-Uni et l'Union européenne après que le Royaume-Uni aura effectivement quitté l'Union. Or, en matière financière, l'incertitude est un poison. Il est important de la lever. Progressons tout d'abord sur l'ensemble des sujets ayant trait aux futures relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni ; le moment n'est pas idéal pour évoquer cette taxe. L'objectif n'en demeure pas moins, et la question des ressources propres de l'Union européenne dans le prochain cadre financier est parfaitement ouverte. Les financements innovants y ont toute leur place.

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J'aurai deux questions, madame la ministre.

La première porte sur l'influence française dans les institutions européennes. Depuis l'élargissement de l'Union européenne vers l'Est – certains disent même depuis la fin de la Commission Delors –, on constate un recul de la présence française au sein de la Commission européenne, dans les cabinets de commissaire, dans les postes structurants, ainsi qu'une présence pas toujours très affirmée de certains ministres dans les différents conseils sectoriels ; on note également une présence affaiblie au Parlement européen, avec le premier contingent de parlementaires du Front national. Dans le contexte du Brexit, qui constitue un mouvement de bascule dans l'histoire européenne, j'aimerais savoir si vous réfléchissez à la mise au point d'une stratégie d'influence de la France au sein des institutions européennes.

Par ailleurs, la Commission européenne a évoqué hier, en réaction aux réformes judiciaires actuellement à l'étude en Pologne, la possibilité de déclencher l'article 7 des traités de l'Union européenne. Pouvez-vous nous préciser quelle est la position de la France à ce sujet ?

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Ma question porte sur le principe de réciprocité, notamment dans l'accès aux marchés publics des pays tiers. L'enjeu pour les entreprises françaises – PME, entreprises de taille intermédiaire et très grandes entreprises – est considérable. Nous savons que les marchés publics européens sont très largement ouverts – à 95 % environ –, alors que la plupart des pays extérieurs à l'Union européenne, à commencer par les pays membres de l'accord sur les marchés publics (AMP) – notamment les États-Unis et le Japon – n'ouvrent jamais leurs marchés publics à plus de 30 %.

Il y a quelques années, les commissaires européens Michel Barnier et Karel De Gucht avaient, dans le cadre de leurs fonctions respectives, présenté un instrument juridique consistant en une proposition de règlement visant à introduire plus de réciprocité à travers un mécanisme juridique assez complexe. Le texte correspondant a été assez laborieusement voté en première lecture au Parlement européen, avant d'être « encarafé » par le Conseil européen, à tel point que la Commission européenne a dû revenir avec une nouvelle proposition de règlement. Quelle est la position de la France sur ce point ? Le Gouvernement est-il fermement décidé à faire avancer ce texte essentiel ?

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Dans quelques mois, la Commission européenne va proposer une nouvelle communication au sujet des régions ultrapériphériques (RUP), afin d'initier un changement de modèle impliquant, pour la première fois, la prise en compte de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et de l'arrêt de la Cour de justice européenne du 5 décembre 2015.

En tout état de cause, nous constatons l'absolue nécessité d'adapter le droit commun aux situations et spécificités des régions ultrapériphériques. En matière agricole, par exemple, les normes sanitaires et phytosanitaires ne tiennent absolument pas compte des particularités climatiques de nos territoires.

Le combat engagé il y a longtemps sur ce thème se poursuit. Le président Jean-Claude Juncker, la commissaire Corina Crețu et le député européen Younous Omarjee – auteur d'un rapport d'initiative sur la question des RUP – sont engagés dans la démarche collective visant à faire évoluer notre modèle selon les récentes orientations du droit européen. Madame la ministre, pouvons-nous compter sur le plein soutien des autorités françaises dans cette démarche ?

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Évoquant l'euroscepticisme, madame la ministre, vous avez parlé de refonder le lien entre le citoyen et le projet européen. À votre avis, pourquoi les Français sont-ils eurosceptiques à ce point ? Est-ce en raison des différences sociales et fiscales existant entre les pays, dont les Français sont les principales victimes ? J'aimerais savoir ce que comptent faire le Gouvernement, mais aussi la Commission des affaires européennes, en vue de l'établissement d'une feuille de route pour une harmonisation sociale et fiscale en Europe qui serait sans doute la seule solution pour que les Français retrouvent confiance en l'Europe.

Les questions particulièrement sensibles que sont les travailleurs détachés et les délocalisations trouvent toutes deux leur origine dans la différenciation sociale et fiscale entre les pays. La France pourrait-elle s'emparer de ces questions et devenir une force de proposition en vue de l'élaboration d'une feuille de route visant à l'harmonisation sociale et fiscale ?

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Si j'ai bien noté que la négociation dans le secteur de la pêche ne se fera que dans un second temps, je me permets d'insister sur l'inquiétude ressentie par les pêcheurs bretons, partagée par le futur Président de la République lors de sa visite effectuée en janvier dernier au Guilvinec, dans le Finistère – le premier port de pêche fraîche de France. Les pêcheurs craignent que l'accès aux eaux territoriales britanniques ne joue le rôle de variable d'ajustement dans le cadre des négociations à venir avec le Royaume-Uni, qui s'annoncent difficiles. Savez-vous quelle est la position de Michel Barnier sur ce point ?

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Bruno Gollnisch, député européen

À propos de la réciprocité, vous avez évoqué la possibilité de soumissionner aux marchés publics étrangers, notamment dans le cadre du traité en préparation avec le Japon – dont les parlementaires européens ne savent rien, pas même ceux qui sont membres de la délégation chargée de relations avec ce pays. En tout état de cause, même si l'on inscrit ce principe dans un traité, les obstacles subsisteront sur les plans psychologique, linguistique, des moeurs et coutumes. Dès lors, quelle garantie avons-nous d'une véritable réciprocité ?

Il me semble d'ailleurs que le CETA et les traités de libre-échange en général sont en contradiction avec les principes fondateurs de l'Union européenne. Si la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux doit être étendue au monde entier, à quoi sert une organisation régionale ? Mieux vaudrait encore se contenter de l'Organisation mondiale du commerce – que je n'aime pourtant guère.

Enfin, j'ai cru comprendre que votre Gouvernement recherchait 4 ou 5 milliards d'euros. Le gouvernement américain a spolié la banque BNP Paribas de 7 milliards d'euros, en obtenant qu'elle soit condamnée à une amende à la suite des agissements de la filiale suisse de cette banque française – une véritable voie de fait perpétrée en toute impunité et sans que cela suscite la moindre protestation. Aujourd'hui, alors que d'autres banques – notamment le Crédit agricole et la Deutsche Bank – sont dans le viseur des autorités américaines, quelles garanties avons-nous que cela va cesser et que les Américains vont renoncer à imposer l'universalité de leurs sanctions économiques et financières ?

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Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

À M. Anglade, qui m'a interrogée sur l'influence française au sein des institutions européennes, je veux d'abord dire que l'Europe n'est pas la France en plus grand. L'Europe élargie, c'est pour chaque État membre fondateur un peu moins de place que dans les premières années. Nous devons en prendre acte et, plutôt que de regarder dans le rétroviseur, nous employer à préparer l'avenir.

Si nous occupons un grand nombre de postes de directeurs généraux de la Commission européenne et sommes présents, appréciés, entendus et influents sur un grand nombre de sujets et d'orientations de la Commission, je partage votre préoccupation. Il est vrai qu'au sein des cabinets de commissaire, on trouve beaucoup moins de Français que par le passé, et qu'on voit également assez peu de nos compatriotes occuper des postes de chef de division, alors que ceux-ci constituent des viviers à haut potentiel. C'est malheureusement un défaut très français, que l'on retrouve dans toutes les organisations internationales : nous sommes très forts pour nous mobiliser et faire campagne pour obtenir la direction d'une agence internationale ou tel ou tel poste en vue, mais un peu moins bons quand il s'agit de faire entrer au bas de l'échelle des jeunes prometteurs et les accompagner dans une carrière européenne – même si nous avons mis en place un système d'experts nationaux détachés (END) particulièrement intéressant.

C'est un sujet que je connais bien et auquel je suis très attentive. Je nuancerai aussi votre propos en soulignant que, depuis la création du service européen pour l'action extérieure (SEAE) en 2010, nous avons placé au sein de cette organisation un grand nombre de diplomates français très appréciés, et dont la présence se renouvelle au fil des rotations. En tout état de cause, nous devons rester attentifs au sujet que vous évoquez.

Vous avez qualifié d'épisodique la présence des ministres français dans les conseils. Cette situation correspond en fait à celle d'un temps révolu, mes collègues du Gouvernement participant aujourd'hui à toutes les réunions auxquelles ils sont conviés, ce qui est évidemment indispensable : pour être entendus, nous devons être présents ! Compte tenu de l'engagement du Président de la République et de l'ensemble du Gouvernement sur les questions européennes, je n'ai aucun doute sur le fait que nous tiendrons toute notre place au sein des conseils.

Hier comme aujourd'hui, il y a toujours eu une stratégie d'influence de la France – encore faut-il veiller au quotidien à sa mise en oeuvre. Nous devons ainsi rester vigilants quant à l'emploi du français car, au-delà de l'usage de notre langue, c'est aussi une conception du droit qu'il est important de défendre au sein de l'Union européenne, et nous y sommes donc très attentifs.

Pour ce qui est de la Pologne, nous sommes effectivement inquiets de l'évolution de la situation de l'État de droit dans ce pays. Après la crise du Tribunal constitutionnel de l'an dernier, les réformes judiciaires actuellement envisagées par le gouvernement polonais, notamment sous la forme de deux projets de loi très controversés – y compris au sein de la majorité au pouvoir – semblent écarter la Pologne des valeurs sur lesquelles repose l'Union européenne. En tant que gardienne des traités, la Commission européenne mène un travail exigeant et précis sur la question de l'État de droit. Cette question a déjà été évoquée dans le cadre du Conseil des affaires générales de mai dernier, et le sera sans doute à nouveau prochainement.

Comme vous le savez, la procédure consistant à actionner l'article 7 des traités de l'Union européenne nécessite de recueillir l'unanimité des États membres à l'exception de celui qui est concernée. Il y a fort à parier que cette condition ne sera pas remplie, en raison de la solidarité d'au moins un autre État membre avec la Pologne. Une réflexion est en cours au sein de la Commission sur la possibilité de recourir à d'autres outils permettant d'envoyer des signaux très clairs à la Pologne. Je ne souhaite pas vous en dire davantage sur ce sujet pour le moment, mais nous aurons certainement d'autres occasions d'évoquer ensemble une question à laquelle nous sommes très attentifs.

Les régions ultrapériphériques qu'a évoquées Mme Bareigts constituent une priorité pour le Gouvernement, et bénéficient de la politique de cohésion européenne – dont nous débattrons prochainement lors de l'examen du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne. Nous devons nous garder de penser que la politique de cohésion est réservée aux pays nouvellement entrés dans l'Union européenne : les régions ultrapériphériques des pays dits riches ont également vocation à en bénéficier, et le Gouvernement français est très attentif à ce que l'application du droit européen se fasse en tenant compte des particularités propres à certaines régions.

Mme Le Grip et M. Gollnisch m'ont interrogée sur l'accès aux marchés publics des pays tiers. Vous avez raison, madame la députée, de dire que si le Parlement européen a porté cette question, le Conseil européen ne l'a pas vraiment suivi. Cependant, les choses sont en train d'évoluer. Les conclusions du dernier Conseil européen marquent un vrai progrès sur ce sujet, dont le Président de la République a fait un axe fort dans ses interventions lors de son premier sommet européen à Bruxelles : nous avons parlé des instruments de défense commerciale et de la vigilance sur les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques, en insistant sur la réciprocité en matière de marchés publics. Nous avons été entendus, notamment par des États membres qui n'avaient jusqu'alors pas semblé accorder d'importance à ce sujet, et avaient certainement une part de responsabilité dans le fait que son examen ne progressait pas.

Nous sommes très déterminés à aller de l'avant et, contrairement à M. Gollnisch, je suis extrêmement confiante dans notre capacité à tirer parti de l'ouverture de marchés publics de pays tiers. Nous l'avons d'ailleurs déjà fait dans des pays, où nos entreprises, qu'elles soient petites, moyennes ou grandes, ont fait la preuve de leur dynamisme et de leur capacité à s'adapter à des contextes culturels différents. Objectivement, nous avons tout à gagner à cette démarche. J'ai cité volontairement l'accord intervenu avec le Japon qui, de ce point de vue, me semble marquer un progrès auquel nous sommes disposés à donner une traduction concrète – notamment dans le secteur ferroviaire.

L'euroscepticisme se nourrit de beaucoup de choses. Ainsi a-t-il prospéré en raison de cette terrible habitude que nous avons eue, des années durant, de blâmer Bruxelles quand nous nous heurtions à une difficulté, et de nous prévaloir d'une victoire nationale quand l'Union européenne prenait une décision qui nous était favorable. On ne pouvait avoir une attitude moins pédagogique que celle-ci, et nous en payons aujourd'hui le prix. Beaucoup d'autres pays de l'Union européenne ne se sont pas laissé aller à cette facilité politicienne, alors même qu'ils se trouvaient confrontés à de vraies difficultés les conduisant à mettre en oeuvre des plans d'austérité. Je peux vous assurer que ce Président de la République et ce gouvernement ne s'y risqueront pas : nous savons qu'il est temps de devenir adultes et de prendre nos responsabilités, et que nos difficultés nous appartiennent, tout comme nos engagements – en d'autres termes, Bruxelles c'est nous, c'est ce que nous en faisons !

M. Naegelen a évoqué les différences sociales et fiscales existant entre les différents États membres, soulignant à juste titre que ces différences pouvaient être à l'origine de difficultés au sein d'un marché unique. Aux côtés d'autres États, nous sommes très engagés dans le dossier de l'Europe sociale, auquel sera consacré le sommet de Göteborg qui se tiendra en novembre prochain. Ce sujet figure désormais parmi les priorités des États membres, ce qui est une nouveauté. Sans aller jusqu'à affirmer que nous allons progresser rapidement sur cette question, je pense qu'une véritable prise de conscience s'est opérée, y compris au sein de la Commission européenne.

Pour ce qui est de l'harmonisation fiscale, plusieurs réflexions sont en cours, notamment au sein du Parlement européen. La France et l'Allemagne ont décidé d'avancer sur cette question, à la fois pour répondre à des intérêts bilatéraux évidents, compte tenu de l'interconnexion entre nos deux économies, mais aussi pour montrer la voie au reste de l'Union européenne. De ce point de vue, le Conseil des ministres franco-allemand du 13 juillet dernier a demandé aux ministres de l'économie et des finances des deux pays d'aller plus loin en matière d'harmonisation de l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Il s'agit d'un dossier extraordinairement complexe. Cela dit, un travail important a déjà été accompli dans le sens du projet de directive au sujet de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS) porté par le Parlement européen. D'une manière générale, des concepts qui n'existaient que dans les discours jusqu'à une période récente sont en voie de concrétisation après que des groupes de travail ont été mandatés pour cela. En ce qui concerne l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés avec l'Allemagne, la clause de rendez-vous arrive à échéance dès la fin de cette année.

J'entends votre préoccupation relative aux pêcheurs bretons, madame Tanguy. Sachez qu'elle est pleinement partagée par le Gouvernement et qu'il ne fait aucun doute qu'elle fera partie des sujets évoqués lors de la négociation des futurs accords avec le Royaume-Uni. Michel Barnier est parfaitement informé sur cette question, et je rends hommage à sa méthode, consistant à avoir obtenu un mandat de négociation extrêmement transparent, communiqué à tous à la fois dans ses grandes lignes et en détail – si les États membres devaient décider de modifier ce mandat, cela se ferait de manière tout aussi transparente. En tant que responsable des négociations avec le Royaume-Uni, il ne manque jamais de venir dialoguer avec les États membres à la fin de chaque phase de négociation : c'est ce qu'il va faire à partir de vendredi en rencontrant le Président de la République.

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Madame la ministre, vous nous avez exposé les problématiques européennes auxquelles votre action va devoir se confronter prochainement. L'une d'elle, qui compte parmi les plus fondamentales, traite du manque de confiance des citoyens envers les institutions européennes. Un déficit démocratique, connu de longue date, prive nos concitoyens de la possibilité de juger équitablement des réussites et des échecs de l'Union. Toutes les crises que l'Europe a traversées – économiques, migratoires, sécuritaires ou encore liées aux valeurs fondatrices de l'Union – ont contribué à ce désintéressement.

C'est tout l'objet des conventions démocratiques de refondation de l'Union, correspondant à un engagement de campagne du Président de la République. Comme vous l'avez noté, notre Commission a décidé la mise en oeuvre d'un groupe de travail – dont je suis rapporteure – destiné à nous permettre d'imaginer quelle forme ces conventions pourraient revêtir, quels objectifs pourraient être poursuivis et quels résultats on pourrait en attendre. J'aimerais savoir, madame la ministre, quelles sont vos attentes au sujet de ces conventions démocratiques en termes de fonctionnement, de calendrier ou encore d'ampleur.

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Ma question porte à nouveau sur l'harmonisation fiscale et sociale, mais dans un secteur particulier, celui des transports. La Commission européenne a présenté, au début du mois de juin, ses propositions visant à modifier les réglementations relatives au transport routier. L'objectif que nous devons poursuivre est une remise à niveau, par le paquet mobilité, de l'équité en matière sociale et environnementale, conditionnant une concurrence équitable dans le secteur du transport routier et mettant fin aux pratiques abusives de certaines entreprises. Les propositions de la Commission incluent notamment des dispositions en matière d'encadrement du détachement des travailleurs et du cabotage, ou encore l'instauration d'un principe pollueur-payeur pour la tarification des infrastructures.

Cela dit, deux blocs s'affrontent aujourd'hui au sein de la Commission européenne : d'un côté les membres de l'« alliance du routier » – parmi lesquels on compte l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Italie, le Luxembourg, la Suède et la Norvège, emmenés par le duo franco-allemand –, de l'autre la Pologne et les pays de l'Est.

Ne pensez-vous pas qu'il faille y voir le reflet d'une problématique beaucoup plus large, à savoir l'harmonisation fiscale et sociale, qui n'est que partiellement prise en compte pour le secteur des transports ? Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser la position du Gouvernement par rapport à cette problématique ?

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La défiance à l'égard de l'Europe existe également dans les zones frontalières, ce qui est malheureux, car c'est justement à proximité des frontières que l'on devrait comprendre le bénéfice qu'il y a à tirer de leur ouverture. L'Alsace est confrontée à un problème particulier depuis 2005, année où l'Allemagne a mis en place la LKV Maut – une taxe appliquée aux poids lourds de plus de 12 tonnes –, ce qui a provoqué un afflux quotidien en Alsace d'au moins 1 500 camions qui, pour éviter l'Allemagne, traversent notre région.

La question devait être réglée avec l'application en France de l'écotaxe poids lourds, qui n'a malheureusement pas pu aboutir, pour les raisons que l'on connaît. Une autre solution pourrait cependant être mise en oeuvre : il suffirait de passer une convention avec l'opérateur allemand afin d'étendre la taxe sur les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. La population et les élus sont, je le précise, favorables à cette solution simple et concrète, qui ne nécessiterait pas de mettre en place une usine à gaz au niveau national. J'avais d'ailleurs demandé au Président Hollande de faire en sorte que les portiques posés en Alsace ne soient pas démontés, et j'ai été entendu : il suffirait donc, pour mettre en oeuvre la solution que je préconise, d'une simple convention qui, pourvu que l'on surmonte les problèmes juridiques que pose son adoption en France, nous permettrait d'appliquer l'écotaxe en Allemagne, dont le produit – diminué du montant des charges – reviendrait aux collectivités locales chargées de la gestion des axes routiers concernés.

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À l'heure de la refondation de l'Europe et de la perspective, annoncée par le Président de la République, d'un gouvernement de la zone euro et de son parlement associé, la France se doit de faire jouer tous ses atouts pour développer son influence en Europe. On ne peut donc que déplorer qu'une institution-phare de l'Union Européenne, son Parlement installé à Strasbourg, soit régulièrement menacée d'être purement et simplement déménagée à Bruxelles.

Les problèmes techniques touchant le bâtiment qui abrite le Parlement à Bruxelles nécessitent un investissement de plus de 500 millions d'euros, qui représente une opportunité historique pour le renforcement de Strasbourg. Je souhaite donc connaître, madame la ministre, les intentions du gouvernement français quant à la mise en oeuvre d'améliorations concrètes et indispensables en matière d'infrastructures de transport, de bureaux et d'hébergement dans la perspective d'un transfert complet des activités parlementaires à Strasbourg. Nous devons définitivement convaincre les parlementaires européens, nos partenaires européens et notamment allemands, d'en finir une fois pour toutes avec cette question récurrente du siège du Parlement européen : celui-ci doit se trouver à Strasbourg, et uniquement à Strasbourg.

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Au sujet du Brexit, qui a déjà été longuement évoqué, je voudrais revenir sur trois points.

À l'heure actuelle, 300 000 Français vivent au Royaume-Uni dans une grande incertitude sur leurs capacités à vivre et à travailler dans un pays où certains d'entre eux se trouvent depuis plusieurs décennies. Pouvez-vous nous préciser quelles sont les attentes du Gouvernement en la matière, et ce que le Président de la République a dit à Theresa May à ce sujet lorsqu'il l'a rencontrée le 12 juin dernier ?

Pouvez-vous également nous donner des détails sur les négociations européennes, notamment sur la façon dont les questions vont être abordées : les différents secteurs vont-ils être évoqués les uns après les autres – en faisant éventuellement passer les plus difficiles en premier –, ou tous être appelés simultanément et négociés en parallèle ?

Enfin, j'aimerais que vous évoquiez les grands axes de la stratégie de la France relative au Brexit, face au Royaume-Uni qui reste notre premier partenaire en matière de sécurité et de défense. Quel impact le Brexit va-t-il avoir selon vous d'un point de vue institutionnel en Europe, alors que le Royaume-Uni était un État membre de poids au sein de toutes les instances régulatrices de l'Union européenne ? Pensez-vous que la France puisse profiter du retrait britannique pour gagner en influence ?

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Madame la ministre, vous nous avez dit que nous devions contribuer à porter la voix de l'Europe vers le Parlement européen, et la voix de la France en Europe. Comment concevez-vous le rôle de la Commission des affaires européennes face à des institutions européennes que l'on sait complexes ?

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Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Mme Gomez-Bassac m'a interrogée au sujet des conventions démocratiques, et fort justement souligné la nécessité d'entendre le point de vue de nos concitoyens, qui ne sont pas tous convaincus par l'Union européenne. Je nuancerai un peu votre propos, madame la députée : si les Français étaient si eurosceptiques que vous le dites, sans doute n'auraient-ils pas élu Emmanuel Macron, qui a fait campagne en mettant en avant, du premier au dernier jour, ses convictions proeuropéennes – ce qu'aucun de ces prédécesseurs n'avait fait aussi clairement auparavant.

Cela dit, force est de reconnaître qu'il subsiste une incompréhension des mécanismes des institutions européennes, qui nécessite de faire un état des lieux de ce que les citoyens européens, et non pas seulement français, attendent de l'Europe. Comme on le constate régulièrement au moyen de l'Eurobaromètre, et plus encore depuis l'annonce du Brexit, ce n'est pas l'Europe telle que ses fondateurs l'ont pensée qui fait l'objet d'un rejet par les citoyens européens, mais le fonctionnement actuel des institutions qui reste insuffisamment connu et compris.

Les conventions démocratiques, annoncées par Emmanuel Macron dans son programme présidentiel, consistent à ouvrir le dialogue en France et dans tous les pays de l'Union européenne qui se porteront volontaires, afin de faire naître un projet de refondation de l'Europe. Nous allons commencer par mettre en place une sorte de « cahier des charges » – un mot un peu trop technique en l'occurrence – avec nos partenaires allemands, pour essayer d'aboutir ensemble à une proposition que nous pourrions présenter à nos partenaires dans le cadre du Conseil européen à la fin de l'année. Il s'agirait de préciser les grands sujets à traiter dans le cadre de l'Union européenne dans les années à venir, et les méthodes à employer pour cela. L'idée n'est pas que chaque État membre procède de la même manière : il sera tenu compte des particularités culturelles et des rythmes démocratiques propres à chaque État.

Après avoir mené une réflexion limitée à la France, nous allons en partager le fruit avec nos partenaires allemands à l'issue des élections sénatoriales qui seront organisées fin septembre, avec pour objectif de faire avancer cette réflexion franco-allemande dans le courant de l'automne. Nous avons le souci d'étendre les conventions démocratiques au-delà du cercle des convaincus. Comme on a pu le voir par le passé, faire appel uniquement à des personnes acquises de longue date au projet européen présente un inconvénient, celui de n'avoir aucune certitude quant au fait que ces personnes soient en phase avec le reste de la population. Certes, nous ne pouvons exclure les militants dont la conviction ne saurait constituer un handicap, mais il nous faut aller vers la société civile et faire en sorte de nous adresser à différentes générations, différents secteurs économiques et milieux sociaux. Vos suggestions, puisque votre groupe de travail est en place, sont naturellement les bienvenues. L'essor des nouvelles technologies nous donne un avantage formidable, celui de pouvoir consulter nos concitoyens en ligne. Nous ne devons cependant pas nous cantonner à cet outil : il nous faudra également aller interroger les citoyens en nous rendant dans les territoires afin de leur demander ce qu'ils attendent de l'Europe. Nous souhaitons avant tout éviter que seuls les « techniciens de l'Europe » aient leur mot à dire et, de ce point de vue, nous sommes très désireux d'engager la discussion avec le groupe de travail dont vous serez rapporteure, madame Gomez-Bassac.

Mme Hennion, il ne m'appartient pas de dire à une commission de l'Assemblée nationale comment elle doit travailler – en tout état de cause, le principe de la séparation des pouvoirs ne me le permet pas. Des liens organiques avec le Parlement européen existent, qui permettent la tenue régulière de réunions : je ne puis que vous inviter à tirer profit de ces liens pour être aussi présents, audibles et actifs que possible. Vous avez la possibilité d'inviter des commissaires européens à venir s'exprimer devant vous – on pense spontanément à Pierre Moscovici, mais il n'est pas le seul : certains commissaires, particulièrement compétents pour répondre à des questions que vous vous posez, ne demandent pas mieux que de venir en débattre avec vous, et seront très intéressés par ce que vous aurez à leur dire.

Vous savez peut-être, monsieur Michels, que je me suis rendue à Strasbourg le 5 juillet pour l'inauguration d'un nouveau bâtiment du Parlement européen : il s'agit du bâtiment Vaclav-Havel qui, après la réhabilitation dont il vient de faire l'objet, va rendre plus facile le travail des députés européens. Si je suis depuis longtemps convaincue des avantages qu'il y a à laisser le Parlement européen à Strasbourg, où je viens d'ailleurs de passer cinq ans, il faut reconnaître que, jusqu'à une période récente, les présidents de commission du Parlement ne disposaient que d'un bureau à peine plus grand qu'un placard, qu'ils devaient partager avec leur assistant parlementaire. À l'issue du programme de rénovation du bâtiment que j'ai cité, les conditions de travail des députés européens vont être beaucoup plus agréables, et, en tout état de cause, meilleures que celles dont ils pourraient bénéficier à Bruxelles.

Au-delà du bâtiment concerné, les parlementaires européens évoquent souvent la question des conditions d'accueil hôtelier et d'accès à Strasbourg, qui devront être prises en compte lors de l'élaboration du prochain contrat triennal Strasbourg, Capitale Européenne, débutant au 1er janvier 2018. Dans ce cadre, l'État et les collectivités locales veilleront à ce que l'attractivité de Strasbourg, souvent présente dans les discours, le soit tout autant dans la réalité. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer, il n'y a aucune ambiguïté dans notre attachement à ce que le siège du Parlement européen demeure à Strasbourg. Tous ceux qui ont essayé de profiter des incertitudes induites par l'élection d'un nouveau Président de la République ou par les discussions, ouvertes à la suite du Brexit, sur la localisation d'agences européennes jusqu'alors situées au Royaume-Uni, pour instiller le doute et avancer des propositions dont aucune n'était réaliste, en ont été pour leurs frais. La position du gouvernement français est extrêmement claire : il est hors de question d'entrer dans un quelconque marchandage – je rappelle d'ailleurs, pour conclure sur ce point, que la situation actuelle est inscrite dans les traités.

Vous m'avez interrogée, monsieur Straumann, sur la question de l'écotaxe et la possibilité de conclure une convention qui permettrait d'appliquer cette taxe sur les deux départements alsaciens. Mesurant bien la complexité de la solution à apporter à la problématique que vous avez évoquée, je vous avoue que je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur ce point aujourd'hui, mais je m'engage à revenir vers vous dans quelques jours pour le faire.

M. Pichereau a évoqué le dossier du paquet transport routier, se préoccupant à juste titre d'une question étroitement liée à celle du détachement des travailleurs. La situation actuelle est extrêmement préoccupante et nous veillons à rester vigilants face à des propositions de la Commission qui ne nous conviennent pas, notamment en ce qui concerne les exemptions au régime du détachement pouvant s'appliquer aux transporteurs routiers. Vous avez très bien décrit la situation en évoquant deux blocs qui s'affrontent au sein de la Commission européenne : pour notre part, nous souhaitons que ces deux blocs se parlent, et sommes mobilisés pour cela.

M. Holroyd m'a interrogée sur les conséquences du Brexit dans un certain nombre de domaines, à commencer par le sort des citoyens européens résidant au Royaume-Uni. Le négociateur Michel Barnier a fait l'analyse de la première proposition formulée par les Britanniques et présentée par eux comme étant juste et généreuse. Je ne souhaite pas paraphraser la position de celui qui est le seul habilité à s'exprimer sur le dossier dont il est chargé, et me bornerai donc à indiquer que nous ne pouvons nous satisfaire d'une proposition qui fait dépendre les nombreux citoyens français – et, plus largement, européens – résidant outre-Manche d'une législation purement britannique susceptible d'évoluer avec le temps, sans aucune garantie. D'autre part, la question importante de la réciprocité des statuts respectifs des ressortissants britanniques résidant dans l'Union européenne et des ressortissants européens résidant au Royaume-Uni n'est pas réglée. Pour le reste, je vous invite à attendre la conférence de presse que doit donner Michel Barnier dès cette après-midi.

Il serait prématuré de s'avancer sur la façon dont vont s'organiser les négociations sur le futur accord. Le séquençage n'interdit pas d'y réfléchir, à la fois sur le plan national – ce que nous sommes en train de faire – et en concertation avec nos partenaires européens – ce que nous devons faire. Tant que nous n'avons pas abordé la deuxième phase du processus, il vaut mieux nous en tenir au silence. En insistant sur le fait que l'accord à venir nécessitera de régler un grand nombre de questions extrêmement complexes, nous pourrions induire la tentation de considérer que la question du mode de calcul du montant de paiement des engagements financiers du Royaume-Uni est somme toute secondaire et peut donc être laissée de côté, ce qui ne serait pas notre intérêt.

S'agissant de l'impact du départ du Royaume-Uni sur l'avenir de l'Europe, je commencerai par rappeler que nous ne voulions pas le Brexit. Aujourd'hui, je reste convaincue que l'Europe post-Brexit, ce sera moins bien que l'Europe avec les Britanniques – à la fois pour l'Europe et pour le Royaume-Uni. Cela étant dit, nous devons maintenant réfléchir à l'avenir à Vingt-sept, et admettre qu'il est des secteurs où nous avancerons désormais sans doute plus vite. Dans le domaine de la défense, le Royaume-Uni est un partenaire stratégique important, comme vous l'avez dit, et nous souhaitons qu'il le reste : les Européens comme les Britanniques sont attachés à ce que les coopérations en matière de défense se poursuivent. Cependant, les Britanniques ont longtemps joué un rôle de blocage déterminant sur la question d'une autonomie stratégique de l'Union européenne et, de ce point de vue, nous devons savoir tirer parti de leur départ.

Vous avez raison de faire référence à l'expertise d'un certain nombre de Britanniques au sein de l'Union européenne. Julian King, avec qui j'ai eu l'occasion de m'entretenir sur les questions de lutte contre le terrorisme, est un commissaire d'une très grande qualité, et l'on pourrait porter le même jugement sur de nombreux autres membres britanniques des institutions européennes. Cela dit, la nostalgie ne sert à rien : nous devons être confiants en nos capacités et en notre propre expertise.

Après avoir été membre du corps diplomatique français durant vingt-cinq ans et, durant certaines périodes, porte-parole de la France aux États-Unis – où j'étais habituée à entendre des avis négatifs sur mon pays –, j'ai été invitée par la BBC dans une émission sur le thème : « Comment les Français font-ils pour être aussi bons en matière diplomatique ? », basée sur le constat que la France dispose de l'un des meilleurs outils diplomatiques du monde. Je vous avoue que de telles choses étaient plutôt agréables à entendre, surtout de la part de Britanniques qui ont le compliment rare. Pour autant, il est exact que nous disposons d'experts dans pratiquement tous les domaines. J'ai beaucoup oeuvré, au cours des dernières années, à ce que davantage de Français réussissent les concours des institutions européennes, qui présentent la particularité de ne ressembler en rien aux concours organisés par la fonction publique française. Comme dans d'autres domaines, la clé du succès réside dans un entraînement adapté, et nous avons fait dans ce domaine des progrès remarquables.

J'ai parlé tout à l'heure du statut des experts nationaux détachés, un merveilleux outil qui nécessiterait, pour encourager les vocations, que l'on organise mieux qu'on ne le fait aujourd'hui la carrière des END en fin de mission. L'influence française au sein de l'Union européenne doit progresser, non parce que nous l'avons décrété, mais de manière naturelle, en fonction de notre compétence, de notre crédibilité – notamment nationale – et de notre engagement.

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Je vous remercie, madame la ministre, d'être venue pour exprimer devant notre Commission et d'avoir répondu longuement et précisément à nos questions. Au nom de l'ensemble de nos collègues, je vous assure de notre volonté de travailler avec vous au service de l'Europe.

II. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

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Je vous propose de réserver les propositions législatives relatives à la mobilité routière, ce « paquet mobilité », qui appelle de notre part un examen approfondi en raison des enjeux nationaux et européens qu'il soulève. Je vous propose que M. Damien Pichereau, référent de la commission du développement durable nous fasse une communication sur ces 8 textes en octobre.

Sur le rapport de la Présidente, la Commission a ensuite examiné les textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

l Textes « actés »

Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø COMMERCE EXTÉRIEUR

- Recommandation de décision du Conseil autorisant l'ouverture de négociations en vue de la conclusion d'un instrument relatif à l'exécution des accords de règlement commerciaux internationaux issus de la conciliation dans le cadre de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) (COM(2017) 238 final – E 12102).

Ø RELATIONS EXTÉRIEURES

- Proposition de décision du Conseil établissant une procédure simplifiée pour l'établissement de positions de l'Union au sein du Conseil des Membres du Conseil oléicole international (COM(2017) 263 final LIMITE – E 12139).

- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord international de 2015 sur l'huile d'olive et les olives de table (COM(2017) 264 final LIMITE – E 12140).

l Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission, du fait de la nature du texte

En application de la procédure d'approbation tacite, dite procédure 72 heures, adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (certains projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines autres nominations), 16 octobre 2012 (certaines décisions de mobilisation du fonds européen d'ajustement à la mondialisation), et 1er décembre 2015 (mesures de dérogations en matière de TVA, de décisions relatives à la réduction facultative de droits d'accise et de décisions relatives aux contributions nationales pour financer les tranches du Fonds européen de développement), celle-ci a approuvé tacitement les documents suivants :

Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

- Conseil de direction de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail - Nomination de Mme Lena SØBY, membre titulaire danois, en remplacement de M. Henrik BACH MORTENSEN, démissionnaire (1084217 – E 12211).

- Conseil de direction de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail - Nomination de M. Jens SKOVGAARD LAURITSEN, membre suppléant danois, en remplacement de Mme Lena SØBY, démissionnaire (1084317 – E 12212).

- Conseil de direction de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail - Nomination de Mme Marta J. GLOWACKA, membre suppléant autrichien, en remplacement de Mme Julia SCHITTER, démissionnaire (1096517 – E 12214).

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d'adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø PÊCHE

- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) 2017127 en ce qui concerne certaines possibilités de pêche (COM(2017) 356 final – E 12208).

La séance est levée à midi.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Damien Abad, M. Patrice Anato, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Vincent Bru, M. Bernard Deflesselles, Mme Typhanie Degois, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Benjamin Dirx, M. Pierre-Henri Dumont, M. Alexandre Freschi, M. Bruno Fuchs, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Carole Grandjean, Mme Christine Hennion, M. Alexandre Holroyd, M. Jérôme Lambert, Mme Constance Le Grip, M. Ludovic Mendes, M. Thierry Michels, M. Christophe Naegelen, Mme Danièle Obono, Mme Valérie Petit, M. Damien Pichereau, M. Jean-Pierre Pont, M. Joaquim Pueyo, M. Didier Quentin, Mme Maina Sage, M. Benoit Simian, M. Éric Straumann, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - Mme Sophie Auconie, Mme Laetitia Avia, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Yolaine de Courson, Mme Marietta Karamanli, Mme Nicole Le Peih, Mme Michèle Tabarot

Assistaient également à la réunion. - Mme Ericka Bareigts, M. Edouard Ferrand, M. Bruno Gollnisch.