La réunion

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La séance est ouverte à onze heures quinze.

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Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Pascal Faure, directeur général chargé de la Direction générale des entreprises (DGE) au ministère de l'économie et des finances.

Monsieur le directeur général, vous avez commencé votre carrière aux États-Unis, aux laboratoires Bell, puis chez Apple. À votre retour en France, vous avez travaillé au sein du Centre national des télécommunications, puis vous avez rejoint différents ministères où vous avez exercé des responsabilités dans la définition des politiques de l'informatique et des communications de l'État. En décembre 2012, vous avez été nommé Directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), un ensemble toujours placé sous votre responsabilité puisque la DGE a succédé à la DGCIS en septembre 2014. Ces différents éléments de votre biographie ainsi que votre exceptionnelle longévité à la tête de cette direction générale témoigneraient, s'il en était besoin, de l'intérêt et de l'opportunité de votre audition.

J'ajoute que votre nomination à la direction générale remonte à une époque où l'industrie relevait du ministère, dont e titulaire était M. Arnaud Montebourg, que notre commission a déjà auditionné et qu'elle réentendra prochainement. Avant même votre nomination, du reste, M. Montebourg vous avait chargé de lui remettre un rapport sur l'avenir de la sidérurgie, alors que nous étions en pleine crise avec le groupe Mittal, repreneur étranger d'Arcelor, dans l'affaire dite des « hauts-fourneaux de Florange ».

Comme nous l'avons fait hier pour celle des responsables de la direction générale du Trésor, nous avons décidé de scinder cette audition en deux parties. La première, monsieur Faure, sera consacrée à l'exposé d'une dizaine de minutes que vous voudrez bien nous faire sur les compétences de la DGE dans les dossiers d'investissements étrangers dont les entreprises françaises sont les cibles, qu'il s'agisse de grands groupes, comme Alstom ou Alcatel, de PME, d'ETI ou de pépites technologiques.

Par qui et comment êtes-vous saisi de ces dossiers ? Quel est le degré d'implication de la DGE dans les dossiers d'acceptation ou de refus d'une acquisition ou d'une fusion par un actif européen ou non européen ? La cheffe du bureau Multicom 2 de la direction du Trésor, chargé du contrôle des investissements étrangers, nous a expliqué, hier, la pauvreté de ses moyens propres, puisqu'elle n'a que trois collaborateurs pour traiter, chaque année, 1 000 à 2 000 fusions-acquisitions. Leur tâche doit être rude et l'on comprend qu'ils aient besoin de concours extérieurs. Aussi souhaiterions-nous savoir notamment comment se fait l'articulation entre les deux directions générales.

Cet exposé descriptif des procédures en vigueur ne saurait être fait à huis clos car il relève du devoir d'information de l'administration vis-à-vis de la représentation nationale et peut intéresser nos concitoyens. Nous sommes là au coeur du champ de notre commission d'enquête, qui porte, je le rappelle, sur les décisions de l'État en matière de politique industrielle, notamment dans le cas de fusions-acquisitions.

La seconde partie de votre audition se déroulera à huis clos. Nous avons en effet considéré que certains de nos échanges, qui concerneraient plus précisément des entreprises ou des personnes avec lesquelles vos services ont été en contact lors de l'examen de certains dossiers de rachat, devaient se dérouler dans un cadre confidentiel. Les questions de la commission d'enquête portant sur des dossiers déjà traités ou en cours d'examen par la DGE s'inscriront donc dans ce cadre.

Il conviendra que vous nous indiquiez précisément la répartition des rôles entre les différents acteurs de Bercy en matière de contrôle des investissements étrangers et que vous nous éclairiez sur la façon dont se font la veille stratégique et l'intelligence économique, qui ont été rattachées à Bercy au cours de l'année 2016, plus particulièrement à votre direction générale. Elles relèvent désormais d'un Commissariat à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE), dont le titulaire vient de quitter ses fonctions. Vous nous expliquerez comment vous détectez le plus en amont possible les cibles d'éventuelles prédations, le bureau Multicom 2 ne pouvant qu'instruire les demandes d'autorisation.

Par ailleurs, nous constatons une surreprésentation des entreprises françaises et européennes dans les dossiers relatifs à l'application de certaines lois de portée extraterritoriale aux États-Unis. Nous voudrions donc comprendre comment sont suivies – et qui est chargé de ce suivi – les procédures ouvertes par le Department of justice (DOJ) américain, dont on a vu qu'elles pouvaient avoir une importance considérable. Je pense à l'amende de 9 milliards de dollars infligée à BNP-Paribas et au poids moral de la procédure engagée contre Alstom, qui a été condamné à une amende de 800 millions. Le ministre de l'économie en fonction en 2014 – Emmanuel Macron – a en effet expliqué qu'il avait le sentiment, même s'il a affirmé ne pas en avoir la preuve, que cette procédure avait pesé dans la décision de M. Kron de vendre Alstom Power aux Américains.

Pouvez-vous également revenir sur la façon dont s'applique aujourd'hui la loi de blocage de 1968, qui interdit en théorie le transfert de toute donnée ou de tout document de nature financière à une autorité étrangère quelle qu'elle soit, fût-ce la justice, sans une autorisation expresse ? Jusqu'en 2016 et l'adoption de la loi « Sapin 2 », Matignon était chargé de la mise en oeuvre de ces dispositions. Qu'en était-il avant cette date et comment cela se passe-t-il aujourd'hui ? L'Agence française anticorruption a hérité de cette compétence, mais elle a été placée sous la double tutelle de Bercy et de la justice afin de garantir la qualité des échanges avec votre administration.

Nous sommes là au coeur de sujets qui intéressent la représentation nationale, puisque des pans entiers de notre économie sont menacés. Ce mardi, lors d'une audition devant la commission du Parlement européen chargée du commerce international, Mme Malmström, commissaire européenne chargée du commerce, a déclaré : « Il ne faut pas faire preuve de naïveté. Ces quatre dernières années, il y a eu une augmentation des achats d'actifs stratégiques dans l'Union européenne par des investisseurs de pays tiers. » Elle a précisé, par ailleurs, que le projet de réglementation européenne n'enlèverait aucune compétence aux États membres, chacun d'entre eux étant seul compétent pour déterminer ce qui relève de la sécurité et de l'ordre public, mais encouragerait à développer partout un minimum de screening sur ces opérations.

Le ministre Bruno Le Maire a annoncé vouloir faire évoluer le champ du dispositif issu du décret « Montebourg » et les sanctions prévues. Pouvez-vous nous dire les évolutions qui, de votre point de vue et avec l'expérience qui est la vôtre en tant que directeur général, semblent nécessaires au niveau national ?

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

(M. Pascal Faure prête serment.)

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vais vous présenter, dans un premier temps, la DGE et la façon dont elle intervient dans les dossiers d'acquisition ; je réserverai les éléments concernant spécifiquement des entreprises individuelles pour la partie de cette audition qui se déroulera à huis clos.

La DGE est une des directions générales de Bercy. Elle joue un rôle tout particulier dans l'action que mène le Gouvernement en matière de développement et de compétitivité des entreprises. Elle intervient ainsi dans les politiques relatives à la création, à l'adaptation de l'environnement et au développement des entreprises, à l'innovation et à la compétitivité, et ce, dans l'ensemble des secteurs industriels, à savoir l'industrie manufacturière traditionnelle, le numérique, l'artisanat, le commerce, les services non financiers – les services financiers relevant de la Direction générale du Trésor – et l'activité touristique.

Vous l'avez rappelé, monsieur le président, la DGE, anciennement DGCIS, est née, en 2009, de l'agrégation de services de l'État, agrégation qui a continué à se développer au fil des années puisque nous ont rejoints, depuis, l'Agence du numérique, il y a trois ans, et le Service de l'information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), il y a presque deux ans. Ce service est dirigé par le Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE) ; il est placé au sein de la DGE en raison de la proximité naturelle de ses activités et de celles de notre direction – il convient en effet, pour faire de l'intelligence économique, d'être proche des personnes qui ont une compétence sectorielle –, mais l'autorité d'emploi est le commissaire. Enfin, certains de nos agents travaillent dans les services déconcentrés de l'État, les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), au plus près des entreprises qu'ils suivent en amont ou en aval d'un certain nombre de procédures.

La DGE a pour spécificité d'avoir une vision microéconomique, sectorielle de l'industrie, qui complète la vision macroéconomique – sectorielle dans le domaine bancaire – de la Direction générale du Trésor (DGT). Nous avons ainsi une connaissance fine de chaque filière : automobile, transport ferroviaire, acier, aluminium… Pour ce faire, nous avons des contacts réguliers avec les entreprises ou les fédérations professionnelles et les instances de coopération. Nous animons notamment le Conseil national de l'industrie, qui est un peu le parlement de ce secteur, puisqu'il rassemble l'ensemble des filières et des organisations représentatives du personnel. Ce conseil est lui-même structuré en comités de filière que nous animons également, de sorte que nous avons une relation directe avec chaque secteur. Nous sommes chargés, en outre, d'un certain nombre de politiques transverses, qui concourent pour l'essentiel à l'innovation ; je pense à la propriété industrielle ou aux pôles de compétitivité, par exemple. Enfin – et cela nous rapproche du sujet qui intéresse votre commission –, nous suivons, que ce soit au niveau central ou déconcentré, un certain nombre de dossiers individuels d'entreprises jugés importants, soit de manière offensive – en accompagnant la démarche des entrepreneurs dans le cadre de projets d'investissement dans notre pays, l'État étant souvent incontournable dans ces procédures – ou de manière plus défensive, lorsque les entreprises connaissent des difficultés ou font l'objet de restructurations.

Le SISSE est né, il y a deux ans, du regroupement de deux entités : l'une, placée au sein de Bercy, assurait la coordination entre les administrations sur les questions d'intelligence économique ; l'autre, la Direction interministérielle à l'intelligence économique (D2IE), qui, comme son nom l'indique, intervenait au niveau interministériel. Le SISSE, je l'ai dit, a été rattaché à la DGE, pour faciliter la liaison avec les compétences sectorielles de cette dernière mais son pilotage est assuré par le commissaire qui est, quant à lui, directement rattaché au ministre. Ce service a pour mission de proposer et d'élaborer, en liaison avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) au niveau interministériel et les autres ministères concernés, la politique publique en matière de protection et de promotion des intérêts économiques industriels et scientifiques de la nation.

Dans les dossiers de restructuration, la DGE est un des maillons de la chaîne : elle travaille avec les autres directions de Bercy, auxquelles elle apporte un appui sectoriel. Elle collabore ainsi avec la DG Trésor – notamment dans le cadre de la procédure des Investissements étrangers en France (IEF), qui est pilotée par cette direction –, avec l'Agence des participations de l'État, lorsque les entreprises concernées sont à participation publique, et, en dehors de Bercy, avec Bpifrance notamment, à la gouvernance de laquelle nous sommes associés, notamment pour ce qui concerne Bpifrance Participations.

De manière plus concrète, les dossiers de restructuration comportent trois phases : en amont, la phase de veille consiste à déceler ou à préparer les dossiers avant que l'on entre dans une logique de rachat ou de restructuration ; la phase d'instruction des dossiers dont l'administration a été formellement saisie dans le cadre du droit en vigueur ; enfin, la phase de suivi, à l'issue des procédures.

Nous intervenons d'une manière différente dans chacune de ces phases. En amont, l'expertise sectorielle de la DGE permet d'identifier les entreprises qui, parce qu'elles sont considérées comme stratégiques, méritent de faire l'objet d'une veille particulière. À mon sens, trois critères permettent de définir le caractère stratégique d'une entreprise : premièrement, l'existence d'une composante liée à la souveraineté ou à la continuité de la vie de la nation – le code de la défense définit ainsi un certain nombre de secteurs d'importance vitale soumis à des dispositions spécifiques – ; deuxièmement, l'existence d'une technologie ou d'un savoir-faire indispensable à la préservation de nos atouts économiques – la France est, par exemple, l'un des rares pays qui maîtrisent l'ensemble de la filière nanoélectronique – ; troisièmement, son importance systémique, définie par le fait que sa fragilisation pourrait mettre en péril toute une chaîne de valeur.

Les capacités d'expertise de nos équipes nous permettent de suivre ces filières et ces entreprises considérées comme stratégiques. En effet, la moitié des 600 personnels de la DGE ont des activités sectorielles – l'autre moitié se consacre à des activités transverses –, mais ils sont ventilés dans une multitude de secteurs, de sorte que chacun d'entre eux – ferroviaire, nanoélectronique… – est suivi par une dizaine de personnes afin que la DGE couvre un spectre extrêmement large. Pour ce faire, nous avons des contacts très fréquents avec les entreprises et les filières auxquelles elles appartiennent et nous sommes attentifs à l'évolution des technologies – tous les cinq ans, nous identifions les technologies clés pour les cinq années à venir – de manière à pouvoir suivre les entreprises concernées. Enfin, nous bénéficions de l'expertise du SISSE, qui intervient également dans ces domaines, sans oublier le réseau territorial des DIRECCTE, qui est au plus près du terrain. Ce dispositif nous permet d'exercer, en amont, une veille aussi éclairée que possible.

Dans la phase d'instruction, les procédures sont le plus souvent pilotées par le Trésor mais, notre expertise nous permettant d'identifier les points sensibles d'une entreprise ou d'émettre des recommandations sur les éléments à préserver, nous lui soumettons des propositions selon les cas. Dans les dossiers sensibles, il existe, selon nous, deux façons d'obtenir des engagements de la part des entreprises : d'une part, la procédure dite IEF, très encadrée, qui relève de la DG Trésor, donne lieu à des engagements formalisés ; d'autre part, l'État peut, en contrepartie de son assentiment, obtenir des entreprises qui souhaitent réaliser une opération de rachat ou de restructuration des engagements que je qualifierai de « politiques », qui comprennent des engagements industriels très précis que nous proposons.

Enfin, en aval de ces procédures, la DGE, comme d'autres administrations, est chargée d'animer des comités de suivi qui permettent de vérifier que les engagements sont tenus dans la durée pour laquelle ils ont été pris. Ce suivi se traduit par des échanges réguliers entre les services et les entreprises concernées et par la réunion périodique de comités de suivi formels, présidés soit par le ministre soit par moi-même. Nous avons également la possibilité de procéder à des vérifications sur site, pour nous assurer, par exemple, que les précautions nécessaires ont bien été prises en matière de sécurisation d'emprise ou que telle activité a été maintenue.

Parmi les questions que vous m'avez posées, monsieur le président, il en est deux auxquelles je ne me sens pas habilité à répondre car elles concernent des domaines qui ne relèvent pas de la DGE. La première concerne l'application de la loi de blocage, c'est-à-dire la communication, ou non, d'éléments financiers à une autorité étrangère dans le cadre de procédures. En effet, vous l'avez dit, depuis la loi dite « Sapin 2 », ce domaine relève de l'Agence française anticorruption. La DGE n'est pas, et n'était pas non plus avant le vote de cette loi, en prise avec cette procédure.

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Avez-vous une idée – car cela demeure un mystère pour moi – de l'instance qui était concrètement chargée, avant la loi « Sapin 2 », de l'application de la loi de blocage ? Le législateur avait dévolu cette compétence au Premier ministre, mais je doute que le Secrétariat général du Gouvernement, seule instance permanente à Matignon, s'en soit chargé.

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Ce que je peux vous dire, c'est que c'est une attribution interministérielle. Le délégué interministériel à l'intelligence économique traitait ces questions-là et, lorsque le Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économique a été créé, il y a deux ans, il s'y est intéressé. Pour nous, c'est lui qui était chargé de ces questions dans notre périmètre.

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Ses compétences sont celles qui figurent dans le décret qui l'a créé, dont, si j'ai bonne mémoire, la compliance. Pour le reste, la chancellerie devait avoir une partie des attributions que vous évoquez. En tout cas, ce n'était pas la DGE.

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Depuis sa création, c'est l'Agence française anticorruption qui a hérité de cette compétence. Dans le cadre d'une opération de monitoring, par exemple, lorsqu'une entreprise est tenue de livrer aux autorités américaines, parce qu'elle s'y est engagée, ses données comptables ou, en amont, dans le cadre d'une procédure de discovery – comme c'est le cas actuellement d'Airbus –, cette agence gère-t-elle le dossier seule, sans vous demander conseil sur la façon dont elle pourrait établir un filtre ou opposer des réserves à l'autorité requérante ?

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

La DGE n'intervient pas formellement dans ces procédures. C'est pourquoi je n'ai pas d'éléments plus précis à vous donner. Je pense qu'il faudrait que vous interrogiez l'Agence française anticorruption à ce sujet.

Vous m'avez questionné sur la veille stratégique. C'est un élément important, qui est au coeur de notre activité. Je vous ai indiqué la manière dont nous classions les entreprises stratégiques. Au plan de la méthode, il y a deux façons d'aborder ce sujet. Tout d'abord, nous nous efforçons de dresser une liste « vivante » des entreprises qui remplissent les trois critères que j'ai cités : souveraineté, importance systémique et technologique. Ces entreprises, assez nombreuses, sont observées de près, sachant que, comme toute liste, celle-ci n'est jamais à jour et que nous ne sommes jamais certains d'avoir toujours correctement apprécié la situation de toutes les entreprises, notamment des PME, qui sont au nombre de 3 millions en France. L'un des défis de cette veille est donc précisément de ne pas trop oublier les petites entreprises et les start-ups.

Ensuite, au cours de l'instruction des dossiers, nous assurons un suivi régulier au fil du temps – évidemment, cela est plus simple pour les grands groupes, que nous connaissons depuis longtemps. Notre valeur ajoutée tient au fait que nous essayons, d'une part, d'avoir une idée de la solidité de l'entreprise dans son domaine – robustesse de ses technologies, durabilité de ses marchés, vulnérabilités qui pourraient être des facteurs de risque –, d'autre part, nous étudions les enjeux de filière et l'exposition internationale. Les entreprises opérant quasiment toutes dans des marchés mondialisés, nous essayons en effet de porter une appréciation sur la compétition mondiale à laquelle elles sont exposées. Ce travail est fait sur la durée, soit par nos propres équipes, soit en nous appuyant sur des études externes à l'administration, car il est important d'avoir plusieurs grilles de lecture. C'est sur la base de l'ensemble de ces éléments que nous sommes en mesure de juger qu'une entreprise peut entrer en phase de risque ou, lorsque nous traitons le dossier d'une entreprise en phase de restructuration, d'apprécier les points sur lesquels il faut intervenir et, le cas échéant, obtenir des engagements. Telle est la méthode que nous utilisons lorsque nous travaillons sur les dossiers qui entrent dans le champ de votre commission.

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Je voudrais revenir un instant sur la façon dont vous exercez la veille. Fin 2014 ou début 2015, j'ai eu l'occasion d'interroger le ministre de l'économie de l'époque, M. Emmanuel Macron, après la prise du décret Montebourg sur les investissements étrangers en France (IEF). Des secteurs avaient été identifiés comme stratégiques. A-t-on fait le repérage des entreprises ? lui avais-je alors demandé. Il m'avait répondu que ce travail restait à faire. Vos propos me conduisent à penser que ce travail est désormais fait, même si vous avez l'humilité de reconnaître qu'il est à recommencer tous les jours. Confirmez-vous que cette approche est récente ? Avant 2014, il semble que nous ne faisions pas de veille systématique de toutes les entreprises sur l'ensemble du territoire. Y aurait-il eu un élan nouveau ?

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Avant cette période, qui coïncide peu ou prou avec la réforme que j'ai citée de la création du SISSE, ces questions étaient aussi suivies au niveau interministériel par la délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2IE). En tant que directeur général de la compétitivité de l'industrie et des services (DGCIS), je n'avais pas connaissance de tous les détails du travail effectué dans ce cadre. Nous contribuions à certaines veilles et au suivi de cas particuliers. À mon avis, ce travail de veille a commencé avec la création du Haut Responsable à l'intelligence économique (HRIE), placé auprès du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dans les années 2000, à l'instigation d'Alain Juillet. Nous apportions notre contribution à ce travail de veille sur des entreprises stratégiques. Quelle forme prenait finalement ce travail ? Je ne saurais vous le dire, d'autant que tout cela est déjà ancien.

À la période que vous citez, les structures de veille ont été réorganisées. Le décret de 2014 a marqué une volonté de renforcer la veille car des dossiers emblématiques tels que celui d'Alstom-GE avaient émergé. L'outil de suivi a donc été restructuré : la D2IE a évolué pour devenir le SISSE. Il a aussi été décidé de mieux faire travailler ensemble les administrations concernées.

La DGE contribuait aux travaux de la délégation interministérielle et elle suivait en propre certaines entreprises, secteur par secteur. Nous avons alors commencé à essayer d'organiser le travail. Le ministre de l'époque avait souhaité que nous puissions systématiser la démarche. Nous devions identifier, par grands secteurs, les entreprises à caractère stratégique, objectiver leurs vulnérabilités éventuelles, évaluer la probabilité d'avoir à traiter leur cas. La démarche est difficile à systématiser : l'univers des entreprises est vaste et mouvant. Quoi qu'il en soit, un travail plus approfondi a débuté à cette période et il se poursuit actuellement.

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Vous avez évoqué des vérifications sur site, notamment pour contrôler le respect des conditions imposées aux investisseurs étrangers en France. Ces vérifications sont-elles effectuées, le cas échéant, avec les services compétents des autres ministères ? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces procédures de contrôle ?

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Quand des engagements ont été pris vis-à-vis de l'État, le dossier est suivi par un ministère pilote. C'est souvent le ministère de la défense car les questions de souveraineté relèvent fréquemment de lui, mais il arrive que ce soit le ministère de la santé ou celui qui est en charge de l'énergie ou de l'écologie.

Quand nous sommes chargés du suivi, nous nous assurons que les engagements spécifiques – la préservation d'une compétence donnée, la création d'une zone à régime restrictif, etc. – sont respectés. Pour cela, nous allons sur place constater la mise en oeuvre de ces mesures. Nos équipes peuvent être accompagnées par les personnes des ministères « métier », typiquement du ministère de la défense. Lors des comités de suivi, nous pouvons ainsi confronter notre regard à celui de l'entreprise. Certains engagements, moins concrets, ne nécessitent pas un examen sur pièce et sur place. Nous le faisons lorsque c'est nécessaire. C'est la raison pour laquelle je considère qu'il est extrêmement utile d'avoir des effectifs de l'État qui soient présents sur le terrain et qui permettent d'avoir une proximité avec les entreprises.

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J'aurais une dernière question d'ordre général. Vous avez évoqué le contrôle d'investissements étrangers dans des entreprises et des technologies stratégiques. Il semble que certains pays tiers, hors Union européenne, ne cherchent pas à acquérir des entreprises et préfèrent acheter des contrats de licence. À ma connaissance, de telles opérations passent un peu sous nos radars. Or les technologies visées peuvent être extrêmement précieuses. Que vous inspire cette remarque ?

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Si nos entreprises veulent se développer, il faut bien qu'elles conquièrent des marchés à l'étranger. Les entreprises disposant de technologies sensibles sont toujours confrontées au même dilemme : donner ce qu'il faut pour obtenir des marchés ou prendre le risque de devoir renoncer à ces marchés. À mon avis, il faut raisonner au cas par cas. Le fait de donner un contrat de licence constitue aussi un moyen de garder la propriété industrielle associée. Les contrats de licence peuvent être accordés pour un certain niveau de maturité de technologie et pas forcément pour tout. Le fait d'accorder ou non une licence contribue à créer une forme de régulation.

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La problématique est la même qu'il s'agisse d'un investissement dans l'entreprise ou d'un achat de licence. Seul le moyen diffère : on achète l'entreprise ou seulement la technologie qui nous intéresse. À ma connaissance, nous ne disposons pas d'outil juridique adapté à ce phénomène sur lequel nous ne portons même pas un regard spécifique. Confirmez-vous que les licences s'échangent de manière totalement libérale, en fonction de la liberté du commerce ?

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Pascal Faure, directeur général à la Direction générale des entreprises

Les entreprises sont souveraines mais certains cas sensibles peuvent donner lieu à des discussions. S'il s'agit de technologies et de domaines classifiés, les entreprises sont soumises à des obligations. Si ce n'est pas le cas, c'est une question d'opportunité. Même si l'entreprise est souveraine, elle peut vouloir discuter avec l'État. C'est parfois l'État qui prend l'initiative de la discussion, lorsque nous avons l'impression qu'une technologie sensible est en jeu. Comme toujours dans ces cas-là, on peut espérer trouver un compromis équilibré.

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Merci, monsieur le directeur général, pour votre exposé très complet de la façon dont fonctionnent vos services au quotidien. Vous nous apportez un éclairage très utile. Je remarque que nos trois collègues présents appartiennent tous au groupe La République en Marche… Pour ma part, je n'ai pas d'autres questions qui relèvent de l'audition publique. Si le président en est d'accord, nous pourrions passer à l'audition à huis clos.

La séance est levée à treize heures.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 11 h 15

Présents. - M. Éric Bothorel, Mme Sarah El Haïry, M. Guillaume Kasbarian, Mme Stéphanie Kerbarh, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, Mme Natalia Pouzyreff

Excusés. - M. Bruno Duvergé, M. Frédéric Reiss, M. Denis Sommer