Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du mardi 25 juillet 2017 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mardi 25 juillet 2017

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

(Présidence de M. Bruno Studer, président de la Commission)

La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation procède à l'audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, sur le rapport d'activité 2016 du conseil.

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Monsieur le président, c'est peu dire que vous êtes extrêmement sollicité : ces derniers mois, les saisines du CSA connaissent une véritable inflation et le Conseil est également en pointe sur l'éducation aux médias. Comment votre institution aborde-t-elle ce dernier sujet ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous décrire le fonctionnement de la régulation audiovisuelle dans les autres pays de l'Union européenne ? Où en est le projet de réforme de la directive européenne Services de médias audiovisuels (SMA) en cours d'examen à Bruxelles ?

Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Olivier Schrameck, je vous informe que, le 20 juillet dernier, afin de rendre nos échanges encore plus dynamiques et de permettre au plus grand nombre d'entre vous de prendre la parole, le Bureau de notre commission a décidé, pour les auditions, de supprimer les propos liminaires des orateurs de groupes et d'en venir directement aux questions après l'intervention de notre invité.

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit que le CSA rédige tous les ans un rapport d'activité que son président vient présenter à votre commission.

Le CSA est souvent « sollicité », avez-vous dit, monsieur le président. Il s'agit à mon sens d'une évolution positive. Le nombre de personnes qui font appel à nous pour se plaindre ou pour obtenir des informations augmente de façon quasiment exponentielle. J'y vois le signe que le CSA est de plus en plus vivant dans la conscience publique.

L'éducation aux médias constitue une thématique centrale pour le CSA comme pour votre commission, car cette question se trouve au croisement de plusieurs des sujets dont vous vous saisissez. Il m'arrive d'affirmer que le Conseil supérieur de l'audiovisuel est le prolongement de l'école par d'autres moyens. Notre mission nous amène sur des terrains où l'école n'est parfois pas allée : nous devons veiller à ce que tous ceux qui la fréquentent encore ou qui l'ont fréquentée se familiarisent avec les techniques audiovisuelles, mais aussi avec des messages que la loi prescrit de diffuser dans notre société.

Dès ma nomination au CSA, j'ai créé un groupe de travail consacré à l'éducation aux médias et par les médias. Les jeunes gens prouvent leur « agilité » dans l'utilisation des nombreux appareils dont ils disposent, mais ils n'ont sans doute pas une connaissance aussi poussée des richesses potentielles offertes pour effectuer un travail de fond ni des nécessités d'ordonner, de hiérarchiser et de structurer les informations.

Cette initiative a été prolongée par la modernisation du site internet du CSA dont la rénovation devrait être complète d'ici à six mois – nous venons de choisir un nouveau prestataire par appel d'offres. Notre site spécifique, « Clés de l'audiovisuel » explique le fonctionnement des médias et permet à l'internaute de faire des expériences pratiques. Le CSA a accueilli les étudiants du Studio École de France (Studec) dans ses locaux ; il participe tous les ans à la semaine de la presse et des médias dans l'école, organisée par le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI), et il reçoit les classes des établissements scolaires qui le souhaitent.

La loi de 1986 a investi le CSA de multiples missions relatives à l'éducation du citoyen. En la matière, notre champ d'action va bien au-delà des problèmes juridiques et politiques. L'éducation au respect de la dignité de la personne humaine, à l'écologie ou à la santé en font ainsi partie. N'oublions pas que ce qui est diffusé à la radio et à la télévision constitue un exemple donné aux jeunes qui fréquentent encore l'école ! C'est la raison pour laquelle nous sommes particulièrement attentifs aux modèles critiquables qui portent atteinte à l'égalité entre les femmes et les hommes ou au respect de la dignité de leurs rapports mutuels. La télévision est un exemple pour les jeunes, mais malheureusement, ces derniers ne bénéficient pas toujours des commentaires que les professionnels éclairés que sont les éducateurs pourraient leur dispenser.

Avant même d'être nommé, j'avais souhaité que la question européenne constitue l'un des trois thèmes prioritaires de l'action du CSA. J'ai contribué aussi activement que possible à la création du groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA). Le rapprochement des points de vue entre les régulateurs ne va pas de soi, car ces derniers se divisent en diverses catégories et leurs inclinations peuvent être diverses.

Certains régulateurs restent très proches des gouvernements de leur pays, et on peut dire, sans aucune tonalité critique, que leur indépendance est davantage proclamée qu'effective – c'est par exemple le cas du Danemark. D'autres préfèrent que l'intervention publique reste la plus légère possible dans le respect d'une approche libérale, comme c'est le cas dans les autres pays nordiques ou en Grande-Bretagne. En tête de cette catégorie, on trouve également trois pays où de nombreux opérateurs vont chercher un « refuge fiscal » : l'Irlande, le Luxembourg, et les Pays-Bas. Je constate que la présidence néerlandaise de l'ERGA n'a pas la même conception de l'institution que celle qui pouvait être la mienne à l'époque où je présidais cette institution.

La structure des régulateurs est également hétérogène. Certains sont « intégrés », ce qui signifie que leur compétence s'étend à l'ensemble des communications électroniques. De fait, ils s'intéressent souvent davantage aux réseaux qu'aux opérateurs et aux services. Par exemple, seulement un dixième des personnels de l'Office of Communications (Ofcom) britannique, qui est, mis à part nous-mêmes, la plus ancienne des institutions de régulation de l'Union, se consacre aux programmes et aux questions de culture et d'éducation. L'Ofcom traite essentiellement des problèmes de réseau, et des relations financières et techniques avec les opérateurs. L'autorité espagnole, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (CNMC), est également « intégrée » – elle exerce même les compétences de notre Autorité de la concurrence – tout comme l'autorité italienne.

Ce partage ne recouvre pas les inclinations des uns et des autres. Les grands régulateurs de l'Europe du Sud sont plus proches de la ligne française, attachée au respect d'une certaine diversité culturelle, que les pays de l'Europe du Nord. Souhaitant assurer prochainement la responsabilité du réseau des instances de régulation méditerranéennes (RIRM), qui réunit les régulateurs des deux rives de la Méditerranée, j'ai le souci de conserver un contact permanent avec ceux de l'Europe du Sud. J'espère que ces derniers seront représentés à la présidence de l'ERGA en 2018, année durant laquelle devrait s'appliquer la nouvelle directive européenne Services de médias audiovisuels. Il est en effet plausible que ce texte soit adopté en décembre 2017.

J'attache une très grande importance au rôle du CSA en termes de réseau et d'influence culturelle et économique. Je pense en particulier à l'importance du réseau francophone au moment où la télévision numérique s'installe sur le continent africain, alors que la concurrence fait rage entre différents opérateurs.

Bien que la présentation du rapport annuel d'activité du CSA par son président constitue un rendez-vous régulier organisé par la loi, elle a lieu aujourd'hui dans un contexte un peu particulier.

La loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, votées à l'initiative du sénateur Jacques Mézard, vise à faire respecter les mêmes règles par toutes ces institutions. Son adoption explique que le rapport relatif à l'année 2016 ne soit sorti qu'au mois de juin alors qu'il était habituellement transmis au mois de mars. Nous nous efforcerons de le publier plus tôt l'année prochaine – la loi précise seulement qu'il doit être transmis avant le 1er juin.

Ce rapport est publié alors que commence une nouvelle législature. L'évolution du monde de la communication audiovisuelle appelle à mon sens des novations législatives s'agissant de nos modes de régulation – la loi fondatrice en la matière date de 1986, même si elle a été modifiée quatre-vingt-trois fois depuis cette date. Ces derniers ne sont pas réellement adaptés aux nouveaux modes d'action des opérateurs traditionnels ni à ceux des nouveaux opérateurs qui viennent souvent d'outre-Atlantique.

La précédente législature a essentiellement été marquée par la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public. Quatorze autres lois relatives à l'audiovisuel ont été votées depuis cette date, mais elles concernaient souvent des aspects ponctuels. Aucune n'a abordé, comme il le faudrait, la question fondamentale de ce que doit être une régulation adaptée à l'ère numérique. Des jalons ont été posés, par exemple avec la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias. Des textes se sont aussi saisis de questions de fond comme l'égalité des femmes et des hommes, l'égalité de citoyenneté et la diversité, ou le développement de la communication audiovisuelle outre-mer. Cependant, si l'activité législative a été soutenue pour le secteur de l'audiovisuel, elle est finalement restée en périphérie de la loi fondatrice qui régit le régulateur. La grande loi audiovisuelle dont on nous a fréquemment parlé durant la précédente législature n'a finalement jamais vu le jour. En raison des contraintes propres à l'agenda législatif, il me semble d'ailleurs très difficile de faire passer au cours d'une même législature deux grandes lois sur l'audiovisuel.

Les observations précédentes ne doivent pas conduire à sous-estimer l'acquis des quatre années passées. La loi de novembre 2013 a fait évoluer les prérogatives de l'institution, et elle a ramené le nombre des membres du CSA à sept. Cette autorité voit aujourd'hui son impartialité et son indépendance reconnues. On peut parler d'un lien particulier de confiance.

Il y a d'abord la confiance que le législateur a bien voulu manifester envers le CSA en se préoccupant toujours, lorsque des problèmes se sont posés, des modalités d'application au domaine de la communication audiovisuelle.

Il y a ensuite la confiance dont font preuve tous ceux qui alertent le CSA sur les anomalies et les progrès qui restent à mettre en oeuvre. Le CSA devient ainsi, de façon de plus en plus fréquente, une instance d'appel et de référence. La fréquentation du site internet de l'institution aura augmenté de 40 % entre 2015 et 2016, et le nombre de pages consultées de près de 80 %. En un an, le nombre des abonnés à notre page Facebook a crû de 50 %, et celui des personnes qui suivent notre compte Twitter a doublé. Durant la même période, le nombre de questions posées au CSA a augmenté de 300 % pour atteindre plus de 38 000 messages de tous formats et sur tous les objets. Ce nombre a déjà doublé pour le seul premier semestre 2017 ! Cette évolution qui semble s'accélérer constitue pour nous un puissant encouragement.

Enfin, deux autres éléments illustrent la confiance inspirée par le CSA.

S'agissant de la sauvegarde du pluralisme politique, nos données ont été rendues publiques et très fréquemment utilisées – à un rythme mensuel, puis hebdomadaire, et finalement quotidien durant les campagnes électorales. Elles constituent désormais des références naturelles, et il est notable qu'aucune personnalité politique n'ait mis en cause notre impartialité. Nous avons aussi fait preuve de réactivité en fournissant des informations dans un délai toujours inférieur à une semaine.

La confiance s'est également manifestée à l'égard de notre action dans le contexte hélas tragique de la couverture médiatique des attentats qui frappent la France depuis 2015. À l'invitation du législateur, nous avons établi un guide des bonnes pratiques en la matière à l'issue d'un large dialogue avec les parlementaires, les médias et le Procureur de la République de Paris, M. François Molins. Ce document, intitulé Précautions relatives à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes, n'a soulevé aucune objection de la part des rédactions concernées. Les premières mesures que nous avions prises avaient suscité des réactions sans doute un peu épidermiques – à une exception près tous les recours devant le Conseil d'État ont donné lieu à des désistements. Certains ont relevé que l'amélioration de la couverture de tels événements était sans doute due, notamment, à notre intervention, et au dialogue maintenu au-delà d'éventuels avertissements ou sanctions.

Le CSA est une institution singulière qui détient des compétences économiques destinées à assurer la régulation d'un secteur tout en étant au service de la liberté des personnes, de la cohésion sociale respectueuse de la diversité et de la créativité intellectuelle. Il reste aujourd'hui confronté à des enjeux essentiels qui appellent une régulation assouplie dans un périmètre élargi.

Dans les années 1980, le service public venait d'être profondément bouleversé par la dissolution de l'ORTF, et des radios, autrefois hors-la-loi, étaient devenues « libres ». Ces évolutions avaient été rendues possibles par la mise à disposition gratuite par l'État du patrimoine commun du domaine public des fréquences. Le législateur de l'époque a donc estimé que cette mise à disposition gratuite pouvait être légitimement compensée par des droits et obligations.

Depuis, les termes de cette « compensation » ont profondément changé. Aujourd'hui, la réception en fréquences hertziennes ne représente que 28 % de la pratique des foyers français. Cela ne signifie pas qu'elles soient sans importance. Leurs qualités propres – anonymat, commodité, universalité – les rendent particulièrement précieuses, en particulier pour les zones les moins favorisées du territoire. Il est cependant clair que la régulation ne peut plus se justifier sur le seul fondement de l'attribution gratuite de fréquences hertziennes.

Nous avons donc tenté d'assouplir la régulation au vu des modifications du secteur de la communication audiovisuelle. Nous avons adopté des formes de droit souple en multipliant les chartes, les labellisations, les nomenclatures, les procédures de règlement non contentieux des conflits… Ces formes de régulation supposaient la volonté d'un dialogue de la part de nos interlocuteurs. Ce mode d'action a pu se développer largement, notamment du côté des radios.

Même si le législateur nous charge d'émettre des avertissements et de lancer des procédures de sanction, nous considérons que des décisions en ce sens ne peuvent être prises qu'en cas d'échec du dialogue, et si aucune mesure adéquate n'est obtenue en réponse à nos demandes. Il s'agit en quelque sorte d'une « dernière extrémité ».

Comment assouplir la régulation face à des opérateurs qui usent de moyens de diffusion diversifiés comme l'ADSL, la fibre, le câble, ou même, directement, d'internet ? Contrairement à ce qui est souvent soutenu, il nous semble que la surabondance de moyens de diffusion ne doit pas nous conduire à abandonner la régulation. L'objectif de cette dernière doit en revanche être conçu différemment. Il est en effet essentiel que cette multiplication d'offres ne se traduise pas par une déformation de l'exposition de certains programmes ou par l'accroissement d'aides à la production pour d'autres. Comment y parvenir ?

La transposition de la directive européenne Services de médias audiovisuels devra sans doute être opérée dans un délai d'un an par les parlements nationaux. Ce sera l'occasion de reprendre de façon globale la réflexion sur les modes de régulation contemporains. Les négociations qui se déroulent en ce moment sur la directive nous y invitent d'une certaine manière puisqu'elles incluent les plateformes de partage de vidéos ou les réseaux sociaux. Un véritable dialogue s'est ainsi ouvert sur le périmètre de la communication audiovisuelle. C'est au sein d'un ensemble de régulateurs, à une échelle qui permette de se confronter à une concurrence de taille internationale, que nous parviendrons à conjuguer régulation actualisée et promotion constante de notre dynamisme culturel.

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L'actualité de l'audiovisuel est marquée par l'affaire du non-paiement des droits d'auteur dus aux sociétés de gestion collective par Canal +. La juste rémunération des auteurs est indispensable au maintien de la diversité et de la vitalité de la création. Aujourd'hui, le CSA ne dispose pas des outils nécessaires pour assurer le respect de la propriété intellectuelle. Souhaitez-vous que le législateur élargisse vos compétences et vos pouvoirs en la matière ?

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La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication donne en particulier au CSA la mission de veiller au respect de la dignité humaine. Je vous félicite d'avoir pris une sanction contre l'émission Touche pas à mon poste animée par Cyril Hanouna après que de très nombreuses plaintes ont été déposées par les téléspectateurs. Les scènes humiliantes et violentes qui ont pu être diffusées dans cette émission participent à la banalisation des violences à l'encontre des femmes. Un cadre législatif existe d'ores et déjà, mais souhaitez-vous mettre en place une action préventive pour limiter ce genre de dérive ?

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Dans le cadre du respect du pluralisme sur les ondes, le cas de Natacha Polony, évincée de Paris Première et d'Europe 1, inquiète et pose le problème de la liberté de ton dont peuvent bénéficier, il est vrai, avec parcimonie, certains chroniqueurs.

Dans une société connectée dans laquelle, vous l'avez évoqué, « l'agilité » de nombre de nos concitoyens est bien réelle et alors que l'on constate que ces derniers s'expriment très librement sur les réseaux sociaux, doit-on considérer que certains sont plus libres que d'autres d'exprimer leur avis ?

Le CSA a émis, le 13 juillet dernier, une mise en demeure à l'encontre de RTL et de l'un de ses chroniqueurs, M. Éric Zemmour. Que l'on partage ou pas les positions de ce polémiste, force est de constater qu'il est aujourd'hui associé à un courant de pensée assez présent dans la société française. Cela peut difficilement être nié, et les succès de librairie qu'il rencontre régulièrement en attestent – ses tirages feraient rosir de plaisir bien des responsables politiques qui publient leurs propres ouvrages.

Quelles garanties peuvent être apportées au pluralisme et à l'équilibre à préserver entre les opinions différentes ?

S'agissant du respect des différences, une affaire, dans laquelle le CSA est intervenu, a par exemple éclaté concernant un clip de sensibilisation relatif aux personnes souffrant de trisomie 21.

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Plusieurs constats problématiques nous conduisent à considérer que le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit agir.

Premièrement, les élections qui viennent de se dérouler ont permis de mettre en lumière des inégalités de temps de parole entre les différents candidats. Le 20 mars 2017, TF1 organisait un Grand Débat auquel étaient conviés moins de la moitié des candidats à l'élection présidentielle. Cette répartition des temps de parole est fondée sur des sondages d'opinion, dont la primaire de la droite française, le Brexit anglais, et les élections présidentielles américaines ont pourtant montré les limites. Il faut mener une véritable réflexion sur ce problème et trouver des solutions.

Deuxièmement, la répartition des temps de parole, bien qu'encadrée par votre institution, se heurte au problème de la concentration et de la financiarisation des médias. La plupart des médias français sont détenus par une poignée de milliardaires. Aux termes de la loi, le CSA est le garant de l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle. Les médias ne doivent pas être financiarisés, alors qu'il s'agit bien d'un problème auquel nous sommes confrontés, et contre lequel nous devons lutter pour garantir la liberté de la presse.

Troisièmement, j'aimerais vous parler d'ACRIMED – pour « Action-CRItique-MEDias ». Il s'agit d'une association qui a pour but de « mettre en commun savoirs professionnels, savoirs théoriques et savoirs militants au service d'une critique indépendante, radicale et intransigeante ». Ses membres ont souvent interrogé l'indépendance de votre institution par rapport au pouvoir. Il est vrai, monsieur, que vous avez été nommé sur décision unilatérale du Président de la République, et que les autres membres sont nommés par les présidents des chambres parlementaires. Les Françaises et les Français ne voient donc pas dans l'existence de votre institution un contre-pouvoir au service des citoyennes et des citoyens de notre pays. Ils ne voient pas non plus, de fait, en quoi votre mission garantit le pluralisme au sein des médias que vous êtes chargés de surveiller.

Les exemples que j'ai cités, peu nombreux en raison du temps qui m'est imparti, interrogent l'action du CSA. Vous serez à sa tête jusqu'en janvier 2019, je vous demande donc quelles seront vos actions pour rétablir la confiance des Français envers votre institution, pour respecter les petits et les grands candidats dans les attributions de temps de parole, ou encore pour mettre fin à la marchandisation et à la financiarisation des médias français ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Dumas, votre question est très importante. J'ai indiqué que le périmètre de la régulation devait être remis en question, mais le temps ne m'a pas permis de souligner un autre point : nous n'avons pas de compétences directes sur de nombreux aspects de cette régulation. C'est le cas des droits d'auteurs, mais également de la chronologie des médias, dont nous parlons beaucoup en ce moment. Nous ne pouvons même pas assister aux réunions de dialogue sur cette question, qui est pourtant un facteur très important de l'équilibre entre les acteurs de la communication audiovisuelle et leur financement.

De la même façon, d'autres aspects financiers, touchant par exemple à la contribution à l'audiovisuel public, n'entrent plus dans nos compétences depuis la loi de janvier 2017, alors qu'aux termes de la loi de septembre 1986, nous pouvions émettre des avis.

Or, c'est l'essence même d'une régulation que de pouvoir, face à un secteur complexe, prendre la mesure de tous les aspects de la vie de ce secteur. Précisément, et comme je l'ai indiqué, l'audiovisuel est une chaîne de valeurs, au sens économique et culturel. Nous ne devons donc pas nous enfermer dans un dialogue avec les éditeurs : nous devons également veiller à l'équilibre économique et culturel de tous les autres acteurs – ayants droit en amont, scénaristes, producteurs, distributeurs, publicitaires avec leurs régies, car c'est là que se situe la source essentielle de financement de l'audiovisuel.

S'agissant des droits d'auteurs, nos pouvoirs gagneraient à être précisés. La législation européenne qui nous régit procède en effet de sphères très différentes : certains textes, résolutions, directives, recommandations sont relatifs aux droits d'auteurs, d'autres au droit des télécommunications, d'autres encore aux services de médias audiovisuels. Des commissions et des parlementaires différents s'occupent de chacun de ces sujets, ce qui explique nos difficultés à mettre en place, avec eux, une approche transversale.

Le respect du droit d'auteur figure parmi les finalités de la loi du 30 septembre 1986 modifiée. Nous ne sommes donc pas incompétents. D'ailleurs, nous sommes déjà intervenus, par exemple lorsqu'un opérateur a emprunté, sans lui en demander l'autorisation, le signal d'un autre pour diffuser une manifestation sportive. Selon notre interprétation, nous pouvons également intervenir, si nous sommes directement saisis, au titre de notre procédure d'avertissement, voire de sanction. Mais, en l'absence de saisine directe, il nous faut l'accord des parties pour intervenir, car le litige demeure, à ce stade, un litige de droit privé, et n'ouvre pas ainsi droit à l'intervention directe d'une autorité publique, sauf habilitation législative.

Pour répondre plus directement à votre question, effectivement, nous souhaiterions que cette possibilité nous soit ménagée. En effet, nous nous préoccupons très vivement de l'équilibre économique de certains acteurs très importants de la création audiovisuelle, dont la rémunération n'est pas toujours à la hauteur de la plus-value qu'ils apportent.

Madame Essayan, nous attachons une grande importance aux émissions populaires comme Touche pas à mon poste. Nous sommes bien conscients qu'il est des degrés d'humour admissibles. Néanmoins, il est toujours délicat pour nous de distinguer entre ce qui peut ou doit être perçu au premier ou au second degré, car, malheureusement, selon les publics, la perception peut être différente. Du reste, c'est toujours le droit à l'humour que nos interlocuteurs invoquent lorsqu'ils se défendent d'avoir enfreint la loi… Mais pour reprendre le parallèle avec l'école, si des jeunes assistent dans la cour à des agissements gravement préjudiciables – propos sexistes, homophobes par exemple –, auront-ils le recul nécessaire pour ne pas les reproduire ? Faut-il aller jusqu'à une intervention a priori ? J'aurais tendance à renvoyer cette question au Parlement, le CSA ne disposant actuellement que d'un pouvoir d'intervention a posteriori, une fois la diffusion effectuée. Il peut y avoir des exceptions à cette règle, mais c'est à vous d'en décider. Le CSA, pour sa part, est tenu d'agir dans le cadre juridique qui est le sien. Pour autant, dans l'exemple que vous citez, la résonance de l'intervention du CSA a des vertus pédagogiques : si des anomalies sont décelées, l'intérêt bien compris des opérateurs peut être de ne pas y revenir.

Madame Le Grip, ce n'est pas au CSA d'intervenir dans la programmation d'émissions de fiction, d'information politique et générale ou de débats des chaînes de télévision ou stations de radio. Nous n'avons absolument pas à dire s'il est bien ou mal de faire appel, plus ou moins fréquemment, à certains chroniqueurs ou chroniqueuses de la vie publique ou intellectuelle. Au regard du pluralisme, notre seul devoir est de faire respecter l'équilibre général, par formation et personnalité politiques, entre les différentes tendances de pensée.

Les deux cas précis sur lesquels vous m'avez interrogé sont sensibles. Ce n'est pas le fait qu'un chroniqueur bien connu ait soutenu des opinions, qu'il exprime du reste par bien d'autres moyens et avec l'audience que vous avez soulignée, qui explique la décision du CSA. Ce sont deux autres éléments dont je peux parler car nous ne sommes plus en cours d'instruction, la décision étant derrière nous.

En premier lieu, ce chroniqueur a soutenu que la lutte contre la non-discrimination était un phénomène qu'il a décrit comme pernicieux. Il s'est inspiré pour cela de la critique des valeurs de notre État de droit, telles qu'elles sont exprimées par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, celle du Conseil d'État et celle du Conseil constitutionnel. Or le législateur a explicitement donné pour mission au CSA de lutter contre la discrimination. Nous avons donc considéré que nous étions dans notre sphère d'intervention.

En second lieu, nous veillons à ce que même des opinions contradictoires avec l'énoncé de nos missions soient contrebalancées par la « contextualisation ». L'opinion, la chronique, la déclaration doivent être remises dans leur contexte, et son auteur doit manifester qu'elles n'ont qu'une portée relative et peuvent être contredites. C'est ce qui nous permet de considérer que le pluralisme a été respecté. Ici, l'organisateur des chroniques n'a marqué aucune réticence sur le sens et le contenu de ce qui avait été exprimé et manifestement très soigneusement préparé. Ce sont ces deux considérations cumulées qui nous ont conduits à estimer qu'il y avait lieu, non pas à sanction, mais à avertissement. Nous nous sommes considérés – à juste titre ou pas – comme les interprètes de la volonté du législateur.

J'en viens à notre décision de juin 2015 relative au clip faisant intervenir des enfants trisomiques, qui a été considérée comme une remise en cause du choix de ces familles. Ce fût un moment professionnel et personnel extrêmement douloureux. Jamais le CSA n'a eu l'intention d'émettre le moindre jugement sur les choix individuels que sont amenés à faire les parents confrontés à de telles situations. La seule question à laquelle nous avions à répondre était formelle : des reportages de ce type devaient-ils figurer dans les plages dites « publicitaires » – je vous prie de bien vouloir excuser ce terme compte tenu de la nature du sujet – ou plutôt dans celles dédiées aux informations d'intérêt général ? Nous n'avons émis aucun jugement de fond, nous ne nous le serions pas permis : nous avons traité un simple problème d'application de la réglementation. Il serait d'ailleurs utile que la loi ou un règlement précise ce point : de quel type de programme ces messages sociaux ou sociétaux, mettant en avant des situations douloureuses pour les familles et les jeunes concernés, doivent-ils relever ? Je vous prie de croire, madame la députée, que le CSA n'a jamais voulu exprimer une réaction négative à l'égard de ces jeunes et de leurs parents.

Monsieur Larive, vous m'interrogez sur l'attitude du CSA face à d'éventuelles pressions, en évoquant la financiarisation et la programmation. S'agissant de cette dernière, je le répète, le CSA n'est pas compétent en la matière. Concernant la financiarisation, lorsque le CSA a été conçu comme une autorité indépendante et impartiale, c'était clairement à l'égard tant du pouvoir politique qu'économique ! Lorsque nous avons dû prendre des décisions à l'encontre de grands groupes, nous n'avons jamais hésité à le faire – je ne les citerai pas, mais vous les avez tous à l'esprit. Ainsi, nous avons répondu par la négative à TF1 sur certaines questions, mais positivement sur d'autres. Le fait que cette entreprise soit le plus gros opérateur audiovisuel privé français n'a nullement influé sur nos décisions.

Sommes-nous légitimes à exercer nos responsabilités ? C'est au Parlement d'en décider ! Dès lors qu'il nous confie cette mission, nous la remplissons avec une haute conscience de nos devoirs, sans subir de pressions économiques, et sans admettre même qu'une telle pression puisse nous être imposée. Pour autant, beaucoup d'autres formes de contrôle sont possibles… Chacune présente ses inconvénients.

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Je vous remercie pour la précision de vos réponses. Pour rebondir sur la question de Mme Dumas et pour que les choses soient bien claires, si les sociétés d'auteurs vous saisissent directement, vous pourrez donc vous emparer de l'affaire actuellement en cours entre Canal + et ces sociétés ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Je ne peux pas m'exprimer au nom du collège, mais je considère que, si le CSA était saisi directement – par exemple par une société d'auteurs – la question, juridiquement, se poserait très sérieusement.

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Le CSA vient d'autoriser TF1 à inclure une coupure publicitaire au milieu de ses journaux télévisés, comme les autres chaînes privées peuvent d'ores et déjà le faire. Mais, à ce jour, aucune n'avait jamais osé le franchir le pas. Cette décision me surprend quant à son intérêt pour le grand public. Quelle ont été vos motivations pour accepter cette demande ? De plus, cela pourrait permettre à TF1 de vendre entre 10 et 40 millions d'euros d'espaces publicitaires chaque année. Nous craignons que cela n'ait un impact négatif sur les finances des autres médias, notamment celles de la presse écrite, déjà très affaiblies. Avez-vous songé à réaliser une étude d'impact de cette mesure sur les autres médias ?

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Depuis le rapport de la Mission pour l'Acte II de l'exception culturelle, dit « rapport Lescure » de 2013, des discussions ont-elles eu lieu entre le CSA, le Gouvernement et la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI), afin de mettre en oeuvre certaines de ses préconisations ? Je pense au dispositif de la réponse graduée qu'on envisageait de confier au CSA, qui deviendrait ainsi le régulateur de l'offre culturelle numérique.

Certains médias se sont fait l'écho du possible recrutement de M. Rachid Arhab, ancien membre du CSA, comme chroniqueur de l'émission Touche pas à mon poste l'an prochain. Qu'en pensez-vous ?

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Pour rebondir sur la question de Mme Rilhac, en contrepartie de l'acceptation des coupures publicitaires dans les journaux de TF1, vous avez obtenu une modification de la convention de la chaîne, portant notamment sur la représentation des femmes à l'écran, avec un objectif de parité dans la présence d'expertes. C'était effectivement l'occasion de remettre la parité au coeur des débats. La semaine dernière, l'Advertising Standards Authority, régulateur britannique de la publicité, a proposé d'interdire les publicités sexistes. Les compétences du CSA sont renforcées depuis les lois d'août 2014 et de janvier 2017 sur la dignité de toutes les personnes et sur l'image de la femme dans les émissions publicitaires. Comment le CSA agit-il et pourrait-il davantage agir pour la limiter la diffusion des représentations de la femme, pas seulement comme femme objectivée, mais aussi des stéréotypes de genre, qui influent d'ailleurs autant sur la perception des hommes que des femmes ?

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Je vous remercie pour votre exposé très clair, mais également pour l'action menée par votre institution notamment dans la lutte contre les discriminations. Vous avez évoqué la possibilité de revoir la loi de 1986. Mais quelles seraient les grandes lignes de cette réforme, qui pourrait bouleverser certains équilibres économiques du secteur, le schéma hertzien n'étant plus totalement adapté à la situation actuelle ? Par ailleurs, nous entendons souvent des demandes d'allégement de la régulation formulées par les éditeurs de chaînes privées et des représentants du secteur publicitaire. Quel est l'avis du CSA sur ces demandes de simplification du cadre réglementaire et conventionnel ? Cela nous inquiète un peu.

Enfin, le Président de la République s'est engagé à réformer les sociétés de l'audiovisuel public : concentration des moyens sur des chaînes moins nombreuses, rapprochement des sociétés audiovisuelles publiques et nomination de leurs dirigeants par les conseils d'administration. Avez-vous un avis sur la mise en oeuvre de telles modifications ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Madame Rilhac, je rappellerai en préalable le cadre juridique. Actuellement, le décret de 1992 prévoit la possibilité d'une coupure publicitaire pour tous les journaux télévisés ou radios de plus de 30 minutes. TF1 avait consenti en 1996 à renoncer à cette possibilité et à accepter cette contrainte supplémentaire du fait de l'extrême puissance des écrans publicitaires de sa régie à l'époque. Pour mémoire, son audience était alors de 10 % supérieure, de même que la clientèle de sa régie.

Aujourd'hui, toutes les émissions d'information politique et générale sont soumises à ce droit commun, notamment les chaînes d'information en continu dont les séquences publicitaires sont fort longues et variées... Fallait-il maintenir cette exception, d'autant que, depuis le début de la procédure en novembre 2016, TF1 avait indiqué publiquement qu'il ne l'utiliserait pas, ce qui, je le reconnais, peut paraître curieux ? Mais cela lui apparaissait comme une forme de mesure discriminatoire non justifiée. Nous avons d'autres exemples : M6 a demandé la reconduction de sa convention dans les mêmes conditions et a, de la même façon, sollicité l'abrogation de dispositions restrictives spécifiques relatives à son capital, qui ne lui semblaient pas économiquement justifiées.

Nous nous sommes trouvés devant la question suivante : en droit, compte tenu de la hiérarchie des normes, était-il possible d'imposer à TF1 une restriction conventionnelle contraire à une disposition réglementaire ? Puisque nous aurions eu du contentieux de toute manière, il nous a semblé plus solide de remettre TF1 sur un pied d'égalité avec ses concurrentes. Par ailleurs, nous avions les plus grands doutes sur l'opportunité pour TF1 d'user de cette possibilité alors que la chaîne est en compétition avec le journal télévisé de France 2 et qu'il existe une proportion de spectateurs que l'on qualifie volontiers de « publiphobe ».

Je rappellerai les ordres de grandeur financiers en cause. En 2015, la publicité a représenté 10,5 milliards d'euros pour tous les médias, contre 11 milliards d'euros en 2016. Pour ce qui concerne la répartition de ce marché, la publicité sur internet vient de dépasser la publicité à la télévision, qui oscille entre 30 et 31 %, alors que la publicité à la radio est passée de 8 à 6 %. Dans notre appréciation économique, nous avons à la fois tenu compte de l'importance relative des gains potentiels pour TF1 – quelque 40 millions d'euros – et de la masse globale des crédits publicitaires. Pour provoquer une étude d'impact, il faut que la modification des conditions financières porte réellement atteinte aux conditions du marché. Or nous avons considéré que nous n'étions pas ici dans ce cas.

Par ailleurs, la répartition des compensations ne serait-elle pas complètement dispersée ? M6 a été à la tête de la contestation mais la thématique essentielle de cette chaîne n'est pas l'information. Tout cela nous a conduits à estimer qu'il valait mieux obtenir de ces chaînes des garanties supplémentaires sur des sujets de société essentiels, comme, en particulier, la promotion des femmes dans leur environnement professionnel, en leur concédant une mesure virtuelle et financièrement marginale. Actuellement, le nombre des femmes expertes a diminué, oscillant entre 20 et 30 %, alors que celui des journalistes et chroniqueuses a légèrement augmenté – de l'ordre de 30 à 40 %. Fixer cet objectif de parité à une chaîne aussi puissante que TF1 est emblématique. Vous pouvez être certains que nous en userons dans nos rapports conventionnels avec les autres chaînes.

Monsieur Bournazel, nous n'avions pas fait de demande de fusion avec l'HADOPI. Nous avions cependant accueilli favorablement les conclusions du rapport Lescure. Lorsque la question nous avait été posée, au sein même de cette commission, sous la précédente législature, nous avions considéré que l'apport de cette institution indépendante, les études qu'elle avait menées, les recherches qu'elle avait conduites, pouvaient nous donner un supplément de légitimité dans les discussions que nous avions alors engagées avec les grands opérateurs du numérique en vue de la signature de conventions. Nous avions accepté cette charge supplémentaire car cela nous semblait aller dans le sens d'un élargissement indispensable du périmètre de régulation. Que se passe-t-il aujourd'hui ? Ces grands acteurs ont en quelque sorte leurs polices privées – l'expression ne se veut pas polémique –, leurs réglementations, fondées d'ailleurs sur des principes complétement différents. Ainsi, la nudité est taboue pour Facebook tandis que Twitter est moins strict.

Le plus important pour nous est que la puissance publique puisse se préoccuper de la masse d'informations – et de désinformation – que les réseaux et parfois, même à leur corps défendant, certains opérateurs diffusent, plutôt que, ponctuellement, et avec retard, à la faveur d'une poursuite du juge pénal ou d'une action devant le juge administratif, de mettre fin à tel ou tel errement.

Nous attachons une grande importance à cette question car, à quoi servirait de faire preuve d'une attention extrême à l'honnêteté et la précision de l'information délivrée par l'audiovisuel si, à la faveur ou non de fuites, de fausses informations – les fameuses fake news – sont diffusées et que même le Président de la République en fait mention ? Il est beaucoup plus fondamental pour l'avenir de la régulation que, par un mécanisme de conventions ou de labellisation, l'État puisse garantir un minimum de crédibilité des informations diffusées. Il ne faut pas que les différents publics soient enfermés à l'intérieur des programmes de certains opérateurs dont le message – quel qu'il soit – est souvent unilatéral et ainsi en contradiction avec les objectifs de cohésion nationale et de diversité culturelle qui nous sont fixés par le législateur.

Le CSA n'a donc rien fait pour favoriser la fusion avec la HADOPI mais il l'aurait accepté. Aujourd'hui, nous constatons que la question n'est plus posée.

Madame la ministre Pau-Langevin, nous sommes sensibles aux paroles que vous avez prononcées à l'égard du CSA. J'ai répondu en partie à votre question relative à la publicité : il ne faut pas qu'elle l'emporte sur la programmation mais il convient également de prendre garde à l'équilibre publicitaire à l'intérieur de la sphère médiatique. Si tout est autorisé sur internet, il faut veiller en effet à ne pas déséquilibrer gravement les ressources financières des acteurs privés de l'audiovisuel qui nous offrent plus de garanties quant à la qualité de la programmation. C'est la raison pour laquelle nous faisons preuve d'une certaine souplesse. D'ailleurs, dans son avant-projet du 25 avril 2016, la Commission européenne a pris des positions favorables à une libéralisation de la publicité en fonction des tranches horaires. La question est en discussion.

S'agissant du mode de gouvernance des chaînes publiques, le choix de la compétence en matière de désignation relève de vous, pas de nous. C'est le législateur du 15 novembre 2013 qui a rétabli le mode de désignation qui prévalait depuis 1982 et qui avait été interrompu pendant une législature. J'ai simplement fait observer que si cette compétence était conférée au conseil d'administration, il convenait au préalable de bien s'entendre sur ce qu'est le conseil d'administration. Doit-il rester dans une optique de contrôle budgétaire, comptable et administratif, aux mains de l'État, face à une société nationale dont il possède 100 % du capital ? Quel sera dans ce cas son poids dans la procédure de désignation des dirigeants de l'audiovisuel public ? Cela soulève d'autres questions : faudra-t-il envisager d'autres types de composition pour l'occasion ? Je ne sais pas et n'ai pas à me prononcer sur ce sujet. J'attends la décision – si elle doit venir – du pouvoir politique. Nous l'appliquerons alors avec ponctualité et scrupule.

Madame Calvez, le CSA est très attaché à la lutte contre la publicité sexiste. À tel point d'ailleurs que nous avons contredit l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), au sujet de femmes représentées dans un contexte disons « félin »... Cette séquence, à nos yeux particulièrement inadmissible, a fait l'objet d'un avertissement de notre part. La loi a renforcé notre mission en la matière, sans en préciser les mécanismes juridiques et sans limiter la compétence de l'ARPP. Pour autant, nous ne sommes pas dans une situation de conflit avec l'ARPP. Je m'en entretiens souvent avec M. François d'Aubert, son président. Mais nous sommes plus exigeants qu'elle. Pour nous, les considérations financières doivent totalement s'effacer devant les considérations personnelles qui donnent une image discriminatoire des femmes. Ces questions sont examinées avec une extrême attention et nous serons, M. d'Aubert le sait, de plus en plus sévères.

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Je pense que la question de Mme Rilhac à propos de TF1 ne visait pas tant les autres chaînes de télévision, que les médias dans leur globalité. Quel sera notamment l'impact de cette nouvelle coupure publicitaire pour la presse écrite et internet ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Il est vrai qu'il faut avoir une vision d'ensemble de la place de la publicité dans les médias. La situation de la presse – qui n'est pas de la compétence du CSA – appelle beaucoup de questions. À l'origine, la publicité était une source de financement très importante pour la presse. Je n'ai pas à juger, mais lorsque je constate que de nouveaux dispositifs publicitaires, aux coûts plus modérés, sont mis en place par des opérateurs que nous connaissons bien, je m'interroge sur le déséquilibre publicitaire que cela peut provoquer pour la presse. En tant que citoyen, je trouve particulièrement préoccupant que la presse souffre le plus de la baisse de ses recettes publicitaires, qui ne représentent plus que 6 % de ses revenus. C'est un vrai problème pour notre démocratie.

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J'aimerais vous interroger sur le rôle du CSA en tant que régulateur des émotions publiques. Que ce soit au moment des élections ou lors d'événements plus tragiques comme les attentats, ou encore au quotidien, le CSA veille à la décence et au caractère non discriminatoire des émotions véhiculées par les journalistes. On se souvient des images problématiques de l'Hyper Cacher ou encore des attentats de Nice, mais il faudrait également évoquer le caractère stigmatisant de nombreux reportages qui n'évoquent certaines populations qu'en termes négatifs ou en étant à la recherche du sensationnel ; cela concerne les étrangers, les jeunes de banlieue, voire les personnes souffrant de maladies mentales, et d'autres encore. Le fait divers régit une grande partie du menu des journalistes, donc de l'opinion publique, au risque d'amalgames et d'une désinformation absolue alimentant les partis extrémistes.

J'ai interpellé la semaine dernière Delphine Ernotte sur la possibilité d'améliorer les pratiques. Je pense que c'est une question essentielle et relativement nouvelle. Peut-être y a-t-il un lien avec l'explosion des plaintes constatée dans votre rapport ? Je me permets donc de vous interroger à votre tour : quel rôle a et peut avoir le CSA dans cette régulation de la vie journalistique ? Peut-on évaluer le lien entre le traitement de l'information et la montée des extrêmes, et avez-vous observé sur ce point une évolution des pratiques ?

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Dans votre rapport d'activité pour 2016, vous avez fait un constat : avec quatre-vingt-trois réformes de la loi de 1986, dont quatorze depuis 2012, le CSA évolue dans un cadre législatif très instable. Vous appelez à une réforme de l'institution afin de mieux intégrer les évolutions médiatiques. Pouvez-vous nous en donner les grandes lignes et qu'attendez-vous de la nouvelle législature ?

Ce rapport nous apprend également que le nombre de saisines reçues sur des questions relatives au respect des droits et des libertés à la télévision et à la radio est passé entre 2014 et 2016 de 2 146 à 27 868, soit une augmentation de plus de 488 % en deux ans. Quelle explication en donnez-vous ?

En octobre 2016, la couverture audiovisuelle des actes terroristes a fait l'objet d'un rapport important soulignant les précautions à prendre vis-à-vis de la présentation des terroristes et du traitement des images de propagande. Compte tenu de ce que nous avons encore vu récemment, ne croyez-vous pas qu'il faille aller plus loin dans les recommandations relatives à l'anonymisation des auteurs d'actes terroristes ?

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« La loi de la pesanteur n'agit pas sur les sociétés humaines, et ce n'est pas dans les lieux bas qu'elles trouvent leur équilibre » : c'est une citation du grand Jaurès, comme l'appelait le regretté Max Gallo. Et c'est bien d'émancipation que je souhaite vous parler cet après-midi.

Les moyens audiovisuels sont neutres en soi, on peut en faire le meilleur comme le pire usage. En démocratie, nous n'avons pas à imposer des émissions aux auditeurs ou téléspectateurs, nous n'avons pas à restreindre leur liberté de choix, le temps de l'ORTF est fort heureusement fini. La diversité des programmes est une richesse, le pluralisme est indispensable. Cependant, dans une république progressiste, celle que nous voulons bâtir, l'objectif est d'élever les esprits pour permettre la réelle émancipation de chaque citoyen. Or, à regarder l'offre proposée sur les chaînes de télévision ou de radio, j'ai malheureusement le sentiment que le paysage audiovisuel français est davantage orienté vers des émissions telles que Touche pas à mon poste que par L'Esprit public, d'ailleurs supprimée de la grille de rentrée de France Culture. Partagez-vous mon diagnostic sur le PAF et l'ambition d'élévation et d'émancipation que je propose ? Si oui, quels moyens le CSA peut-il mettre en oeuvre pour favoriser des émissions comme L'esprit public et nous libérer des frasques « hanounesques » qui divertissent le téléspectateur en l'avilissant ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Au moment des événements tragiques de janvier 2015, madame Mörch, j'ai convié l'ensemble de nos interlocuteurs des médias et leurs responsables de rédaction à une après-midi de réflexion et de retour sur leur expérience. Surpris par des événements sans précédent, réduits aux petites équipes présentes sur le pont de la rédaction et dépourvus de références générales, ils ont dû improviser, et leurs réactions ont pu être différentes selon telle ou telle personnalité. Je crois qu'ils ont apprécié ce retour collectif sur expérience.

Il y a eu cependant un malentendu, alors que j'avais été très clair : ils ont cru que cela épuisait le sujet, que dès lors que nous avions débattu, il n'était pas question que nous usions de notre pouvoir d'avertissement. Or, sur un certain nombre de faits mettant en danger la vie des otages, il nous est apparu que des anomalies avaient été commises non seulement au regard de la dignité des personnes mais aussi de l'ordre public. À l'époque, les rédactions ont très vivement réagi ; elles se sont réunies, dans les locaux d'un service public d'ailleurs, pour protester contre l'attitude du CSA. Après le rejet de leur recours gracieux, elles se sont toutes adressées au juge administratif. Comme je l'ai rappelé, elles se sont ensuite désistées les unes après les autres, sauf une, dont le recours a fait l'objet d'une décision plutôt sèche du Conseil d'État indiquant qu'il s'agissait bien de préservation de l'ordre public. Cela montre à quel point nous sommes toujours, même sur des sujets qui touchent à tant de valeurs dont le législateur nous a confié la sauvegarde, suspects d'être tentés par la censure, de vouloir exercer une police de l'esprit. Nous devons donc être extrêmement prudents en la matière.

Je pense que l'expérience a été comprise par les rédactions et d'autres faits, sur le territoire national ou au-delà, ont montré que des précautions ont été prises, notamment sur le floutage des personnes de façon à préserver leur dignité. Vous observerez d'ailleurs que, s'agissant d'un service public et pas n'importe lequel, France 2, après les événements de Nice, nous n'avons pas hésité à marquer que cela ne devait plus se reproduire et que, malgré les excuses qui avaient été immédiatement présentées, nous ne saurions considérer que les choses pouvaient rester en l'état.

Notre pouvoir est limité, vis-à-vis de la presse bien entendu – je n'ai pas besoin de citer les titres qui publient des photos sanguinolentes –, et vis-à-vis d'internet. On trouve sur les réseaux sociaux, postées par des personnes sans lien avec le journalisme, des images extrêmement traumatisantes, et c'est une réelle tentation pour nos interlocuteurs de les reproduire, fût-ce par extraits, car ils sont soumis à un phénomène de concurrence. Il existe une porosité entre la communication des réseaux sociaux et celle des organismes traditionnels de l'audiovisuel. C'est une question que le législateur pourrait éventuellement se poser.

Nous restons très attentifs. Si je ne vous parle pas d'une émission que vous avez implicitement mentionnée, c'est parce qu'il s'agit d'une affaire en cours d'examen et que je ne peux vous en parler plus avant, mais sachez que nous restons vigilants et que nous prendrons toutes les mesures nécessaires à la préservation de la dignité des personnes.

Madame Kuster, la façon dont la législation pourrait évoluer n'est pas de notre compétence. Je le dis souvent mais où pourrais-je le dire mieux qu'ici-même ? Je me permets tout de même d'indiquer qu'indépendamment des modifications qui pourraient être apportées sur des points essentiels, en particulier le périmètre, il existe un impératif de simplification.

J'ai exprimé à plusieurs reprises ces dernières années le souhait qu'un effort de codification soit entrepris. Quand la législation a été tant de fois modifiée, à des époques différentes, dans des états d'esprit différents, parfois sans exposé des motifs ni travaux préparatoires dans le cas d'amendements parlementaires, cela conduit non seulement à de la complexité mais aussi à un effet de confusion et de difficulté d'interprétation et d'articulation entre des dispositions adoptées à des époques diverses. La codification, même à droit constant, permet donc d'avoir une vue générale sur une matière complexe. Quand un code de l'éducation a été proposé, cela paraissait une tâche insurmontable. Cette initiative a pourtant fini par aboutir au bout de longues années. Je ne dis pas que cela a résolu tous les problèmes mais au moins avons-nous désormais un texte unique là où il existait des circulaires dont même la publicité était sujette à caution. Sur le sujet des signes ostensibles à l'école, notamment, certaines circulaires inspiraient un doute sur leur fondement juridique. La codification permet de mettre de l'ordre dans le droit. C'est une première étape, qui n'est pas suffisante mais est assurément nécessaire. Le sort de la société d'aujourd'hui, société d'information, de communication et d'éducation, dépend beaucoup de l'évolution et de la clarification des textes.

Monsieur Cormier-Bouligeon se plaint d'un abâtardissement, en quelque sorte, de l'esprit public. Comme je l'ai dit, ce n'est pas à nous de faire les programmes. Nous devons veiller à ce que ces programmes n'encouragent pas, directement ou indirectement, la discrimination. Dès lors que l'on pratique, que ce soit dans un reportage ou une fiction, des jeux de rôle, cela s'appelle des stéréotypes, et les stéréotypes peuvent être malfaisants. Le législateur nous a d'ailleurs demandé, dans certains domaines tels que l'égalité des femmes et des hommes, de pourchasser les stéréotypes, et nous le faisons dans le cadre d'un dialogue et d'engagements réciproques avec nos interlocuteurs des médias, qui sont eux aussi convaincus de l'importance de ces enjeux.

J'ai conscience que ma réponse ne vous satisfera pas complètement, monsieur le député. Le principe reste la liberté, l'article 1er de la loi de 1986 commence par l'affirmation de la liberté de communication, mais si le législateur a produit une loi si précise et si longue, c'est bien pour marquer que la liberté de communication peut se retourner contre elle-même et que, pour être exercée sereinement et efficacement, elle doit respecter un certain nombre de principes qui procèdent de la préservation des droits d'autrui.

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Ma question porte sur les moyens du CSA pour traiter les saisines et les plaintes. Vous l'avez souligné, le nombre de saisines a explosé : + 300 % en 2016, ce qui montre une forte attente du public et une grande confiance dans l'institution. Le traitement des plaintes est parfois assez long. Entre l'attentat de Nice, en juillet 2016, et la sanction, en juin 2017, il s'est écoulé onze mois. Dans l'affaire Éric Zemmour et RTL, il a fallu cinq mois pour sanctionner M. Zemmour. Les moyens alloués au CSA sont-ils suffisants ? De même, le système de la procédure de sanction via un unique rapporteur indépendant est-il encore approprié, avec l'explosion des saisines ?

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En vous écoutant, monsieur le président, on voit combien vous êtes un amoureux de la langue française. Vous maniez les mots avec talent. J'espère qu'à la suite de ce compliment sincère, vous serez particulièrement attentif à ma question.

L'article 3-1 de la loi de 1986 pose la nécessité pour le CSA de défendre la langue française et, dans le prolongement de la question de M. Cormier-Bouligeon sur un nivellement par le bas extrêmement préoccupant de notre langue, qui constitue pourtant la colonne vertébrale de l'émancipation, de l'esprit critique, de la grandeur et du rayonnement de notre pays mais aussi du lien fondamental entre chaque citoyen, dans le prolongement aussi de ce qu'affirmait le ministre de l'Éducation dans une interview pour la presse écrite il y a quelques jours, rappelant combien nos racines gréco-latines forgeaient notre langue, notre vie et notre civilisation, quel bilan tirez-vous des mesures prises pour maintenir l'usage de la langue française à un haut niveau ? Que proposez-vous ou que nous demandez-vous de faire pour que la langue française reste, y compris dans le domaine audiovisuel, un trésor national, inattaquable, utilisable par tous ? Comme la patrie, la langue est au fond le bien le plus précieux de ceux qui n'ont plus grand-chose ou n'ont plus rien.

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Avec six millions de visites par jour, selon les chiffres de Médiamétrie pour 2016, les sites de vidéos en ligne du type YouTube, Dailymotion ou Vimeo sont de plus en plus consultés par les Français. Avec la multiplication du dépôt de vidéos, notamment par des chaînes de l'audiovisuel classique, et l'accélération de la consultation par la tranche d'âge des 15-25 ans, voire par des personnes plus jeunes et même beaucoup plus jeunes, je m'interroge sur le contrôle de ces nouveaux médias et ma question porte donc sur la place du CSA dans la régulation de cette nouvelle forme de l'audiovisuel. Votre institution dispose-t-elle des moyens nécessaires en matière juridique et technique pour répondre à ce changement, et quelles sont les éventuelles évolutions à envisager pour le CSA afin de répondre à cette transformation numérique très rapide ?

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En 2015 et 2016, M6 n'a pas respecté un engagement spécifique relatif à la production d'émissions musicales et de divertissement à composante musicale. Au terme d'échanges avec le Conseil, la chaîne s'était engagée à un surinvestissement en la matière en 2017. Or, mercredi dernier, le CSA a rendu publiques ses conclusions sur les conditions de la reconduction des autorisations de diffusion de M6 : il a accepté la révision des obligations musicales de la chaîne en l'autorisant à mutualiser son obligation de production musicale au niveau du groupe, à la suite de la demande de celle-ci d'une réduction de ses obligations. En échange, le CSA réclame une meilleure exposition de la musique en soirée. Il est vrai qu'avec l'arrivée des plateformes de streaming, la musique fait moins d'audience. M6 est ainsi passée, selon Médiamétrie, de 6,1 % d'audience en 2010 à 3,8 % en 2015. Toutefois, les émissions comme The Voice ou celles de RFM TV peuvent être porteuses. Une réflexion approfondie sur les émissions et contenus musicaux de M6 aurait pu attirer un public nombreux. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre décision ?

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En complément de la question de M. Peltier sur la mission de défense de la langue française, je souligne qu'en 2016 une proposition de loi, qui n'a pas abouti, proposait de confier au CSA des compétences pour promouvoir les langues et cultures régionales et garantir leur expression dans les médias. Quelles sont les évolutions en la matière ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Pour répondre, tout d'abord, à une précédente question de Mme Kuster, nous nous sommes aperçus que, sur le site du CSA, la possibilité d'adresser une demande était positionnée de telle sorte que l'usage en était rendu très difficile. Nous avons facilité ce mode de saisine en modifiant le site. C'est un des facteurs d'explication, avec l'effet d'entraînement que cela a pu provoquer. Environ 90 % des saisines du CSA sont des plaintes, qui peuvent relever de chapitres très différents : droits et libertés, consommation, réception…

J'en profite pour rendre hommage à nos comités territoriaux de l'audiovisuel, qui comptent chacun un attaché technique audiovisuel à présent doté du matériel suffisant pour vérifier que les problèmes de réception hertzienne ne sont pas dus à des difficultés occasionnelles mais à des causes structurelles, notamment liées au relief des zones concernées. Nous sommes très attentifs, en liaison avec les antennistes, à ce que la réception soit bonne. Cela vaut en particulier pour la TNT.

Dès mon arrivée, madame Bannier, j'ai prescrit que toute observation, fût-ce un avertissement, soit précédée d'une procédure contradictoire, alors même que la jurisprudence du Conseil d'État ne le demande pas. La procédure contradictoire peut prendre du temps, surtout quand la chaîne fait appel à un conseiller juridique. Il arrive aussi que nous recueillions l'opinion de notre interlocuteur sur les modalités de mise en oeuvre de la sanction. Dans un cas que vous avez cité, le créneau de temps a été choisi en concertation, non pour diminuer la portée de la mesure mais pour ne pas l'aggraver.

Nous disposons, pour assurer l'observation de l'ensemble des pluralismes et des droits et libertés, de la capacité de faire appel à un effectif compris entre douze et quinze personnes. Ces collaborateurs, dont je salue la compétence, le dévouement et le sens du service public, travaillent, pendant de nombreuses périodes, sept jours sur sept, on les appelle le samedi et le dimanche à leur domicile, où le matériel d'observation est parfois installé, et ils travaillent dans des conditions extrêmement difficiles.

J'ai demandé à plusieurs reprises aux pouvoirs publics de me permettre d'assurer l'observation des chaînes satellitaires de pays étrangers, notamment de la rive sud de la Méditerranée, qui imbibent l'information de certaines zones de notre territoire. Le CSA dispose actuellement d'une seule personne parlant arabe pour observer toutes ces chaînes. J'ai demandé des crédits supplémentaires ou la possibilité de recrutements, fût-ce à titre transitoire. Nous sommes contraints par un tableau des emplois et par une masse salariale, ce qui signifie que, dès lors que je consens, avec le directeur général, une rémunération en adéquation avec la spécialisation de la personne en question, je perds en emploi ce que je gagne en compétence.

Le rapporteur indépendant du Conseil d'État est une institution nouvelle. Il y a eu neuf saisines par le directeur général. Pendant plusieurs mois, les réponses ont été lentes mais elles se sont depuis lors bien accélérées. En ce qui concerne la sanction à l'ordre du jour, demain, de la réunion plénière du Conseil, le rapporteur a mis en oeuvre une procédure accélérée de quinze jours qui a été acceptée par notre interlocuteur. Si le bilan de cette année montre qu'il vaut mieux faire appel à plusieurs rapporteurs qu'à un seul, nous prendrons, avec le vice-président du Conseil d'État, qui décide en la matière, les mesures nécessaires.

Monsieur Peltier, je partage votre vision selon laquelle la langue est au coeur de la nation. La promotion de la langue française fait partie de ces tâches si importantes dont je disais au début de mon intervention que nous les prolongions à l'égard de l'école et que nous les partagions avec d'autres institutions prestigieuses, en premier lieu l'Institut et l'Académie française. Mme Hélène Carrère d'Encausse a accepté d'être la présidente d'honneur de l'Observatoire de la langue française. Nous avons organisé des Journées de la langue française en partenariat avec les télévisions et – c'est nouveau – les radios. Nous avons par exemple fait intervenir en 2016 des personnalités célèbres dans différents milieux, le chanteur Vianney, l'écrivain Dany Laferrière ou encore le comédien Guillaume Gallienne. Nous avons voulu donner un visage à la langue pour qu'elle ne reste pas quelque chose d'abstrait. Nous avons très chaleureusement collaboré avec nos interlocuteurs, qui sont tous convaincus de l'importance de cette tâche. Il est fâcheux que des considérations financières conduisent parfois à concevoir des émissions dans lesquelles cet objectif n'est pas primordial.

En ce qui concerne les obligations musicales de M6, monsieur Bois, comme pour TF1 nous avons été dans une optique de négociation. Nous avons considéré qu'un système dans lequel des obligations musicales étaient reportées à des heures où le nombre de téléspectateurs est infime était un faux-semblant et nous avons préféré imposer moins d'obligations financières à M6, en particulier par une mutualisation de ses obligations avec W9, tout en imposant un nombre prédéterminé – quatorze, si je me souviens bien – de soirées consacrées, aux heures de plus grande écoute, à des programmes musicaux. Nous l'avons fait en contact étroit et en accord avec la filière musicale. En cela, nous jouons ce rôle sur lequel j'ai insisté tout à l'heure de médiateur et conciliateur. Il y a deux pôles opposés : la chaîne et la filière musicale. Nous essayons d'obtenir un compromis entre les deux, conscients au surplus que le streaming appelle de notre part une vue relative des choses.

Je suis assez critique à l'encontre du 2° bis de l'article 28 de la loi de 1986 qui a imposé des malus et des dispositions particulièrement lourdes aux radios musicales, parce qu'à force d'imposer des contraintes à ces radios, nous verrons les adolescents ne plus écouter que des programmes musicaux sans aucune présentation ni contextualisation. Il faut bien se rendre compte que nous sommes au centre d'un ensemble et que nous devons tenir compte de considérations très dissemblables.

Je suis parfaitement conscient qu'une seule loi est restée en souffrance : celle prescrivant la diffusion des langues régionales. Nous sommes attachés à ces langues, comme nous le sommes d'ailleurs à la francophonie. Si le législateur nous indique cette direction, nous n'aurons aucun état d'âme à la suivre.

S'agissant du contrôle de YouTube, nous sommes exactement face au problème que j'ai mentionné d'emblée, concernant le périmètre de notre régulation. Nous avons pensé que nous pouvions y inclure un certain nombre de chaînes YouTube qui se définissent par un cumul de critères, dont un article du code général des impôts en réalité sans rapport avec le problème posé. Nous avons mis en cause des émissions qui rendent « pompette », sans contentieux devant le Conseil d'État, ce qui fait que nous ne savons pas quelle serait sa position juridique. Notre effort, au sein de la négociation qui se déroule en ce moment au niveau européen, est de faire en sorte que la définition des acteurs permette le plus aisément possible de les ranger dans la catégorie dite des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), mais cette question est encore en suspens. La Commission européenne a une position en retrait, le Parlement une position active ; quant au Conseil de l'Union, il a été assez audacieux sous la présidence maltaise, le 23 juin dernier, mais je ne peux prédire ce qu'il en sera de la prochaine présidence.

Avec les chaînes YouTube, nous sommes exactement à la limite entre les chaînes au sens de la loi de 1986 et des chaînes à la périphérie de notre action. Il existe d'autres limites périphériques : par exemple, une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme d'octobre 2015 juge que les sites vidéo des radios et des organes de presse sans rapport direct avec le contenu éditorial de ces radios et organes sont des contenus audiovisuels et peuvent dès lors être soumis à la régulation. Nous plaidons pour que la régulation soit étendue à l'ensemble des services audiovisuels, numériques ou non, car il nous semble qu'un principe de neutralité technologique doit l'emporter : ce n'est pas le mode de diffusion qui importe mais les programmes.

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Je souhaite revenir sur les nouvelles règles de temps de parole dans le cadre de l'élection présidentielle. Un certain nombre de journalistes politiques se sont à nouveau plaints de cette période d'égalité stricte. A posteriori, on constate que cinq candidats ont occupé 45 ou 50 % de temps de parole dans les dernières semaines alors qu'ils ont obtenu 4 % des voix au total au premier tour. Estimez-vous que l'on est allé au bout de la réforme ou bien le dispositif peut-il encore évoluer d'ici à la prochaine élection présidentielle ?

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Dans l'affaire Hanouna, où le CSA est intervenu par des mises en demeure et une sanction finale, ne considérez-vous pas qu'il faudrait aller plus loin et que ce cas révèle la nécessité de réduire les délais pour prononcer des sanctions, voire d'élargir vos pouvoirs ?

Par ailleurs, considérez-vous que les hébergeurs en ligne sont des éditeurs de contenu, donc des médias, qui engagent dès lors leur responsabilité sur les contenus qu'ils laissent diffuser sur leurs plateformes ?

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L'article 34 de la loi du 7 juillet 2016 dite LCAP dispose que le CSA doit présenter un rapport complet sur la façon dont il a appliqué les dispositions sur les quotas francophones. Dans son rapport annuel, le CSA reconnaît n'avoir contrôlé que trente-trois radios sur les 850 présentes sur la bande FM. Comment expliquez-vous ce résultat et quelles sont les ambitions du CSA pour les quotas francophones ?

Le CSA a conduit une étude sur la médiatisation du sport féminin dans laquelle il indique qu'en 2012 celui-ci ne représentait que 7 % du volume horaire de diffusion des retransmissions sportives. Quatre ans plus tard, sa part est estimée entre 16 et 20 %. Comme l'explique le CSA, la médiatisation d'un sport dépend de plusieurs critères : sa notoriété, le nombre de licenciés, l'imbrication du calendrier de la compétition dans la grille des programmes, le degré de télégénie. Or nous savons que la médiatisation d'un sport conditionne le développement d'une pratique. Il reste donc des efforts importants à faire. Gageons que la coupe du monde de football féminin en 2019 en sera l'occasion. Avez-vous des préconisations pour encore améliorer la visibilité du sport féminin dans les médias ?

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Je souhaite vous interroger sur l'action du CSA en matière de santé publique, qui repose sur deux axes principaux : la lutte contre le tabagisme et l'alimentation, notamment la lutte contre l'obésité. Vous dressez un bilan plutôt positif du respect de la charte alimentaire signée en 2013. Les remarques que vous avez formulées me conduisent à poser deux questions. Avec le recul de quatre années d'application, la charte actuelle vous semble-t-elle adaptée et acceptée par les diffuseurs ? Seriez-vous, par ailleurs, demandeur d'une capacité d'agir dans d'autres domaines que le tabagisme et l'alimentation ? Il me semble par exemple que le sommeil des enfants, thématique trop peu présente selon vous, n'a pas tout à fait sa place dans une charte centrée sur l'alimentation et l'activité physique.

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Vous avez été président de l'ERGA, structure européenne qui réunit l'ensemble des présidents des autorités de régulation des vingt-huit États membres et conseille la Commission européenne sur l'évolution du cadre juridique européen de l'audiovisuel. Pouvez-vous nous dresser un bilan de l'activité de cette structure et évoquer les perspectives à venir ?

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En 2016, le CSA a contrôlé, concernant les quotas de chanson française à la radio, trente-trois radios sur les plus de 850 que compte le paysage radiophonique en France. Ces contrôles l'ont conduit dans un premier temps à prononcer uniquement des mises en garde, avec la volonté d'alerter très fermement les opérateurs, sans cependant préciser les radios contrôlées, laissant ainsi planer une suspicion sur le caractère arbitraire du contrôle. Cela ne va-t-il pas provoquer une rupture de l'égalité de traitement entre radios, d'autant plus que le contrôle des quotas de chanson française ne pourra se faire, pour des raisons pratiques et économiques, sur l'ensemble des radios ?

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Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

En ce qui concerne l'élection présidentielle, il n'y a plus, sauf pendant les périodes de campagne officielle, soit quinze jours avant la date du scrutin, de principe d'égalité. Ce que nous avions proposé et qui a été voté par le Parlement, c'est la substitution du principe d'équité au principe d'égalité pendant les trois semaines qui séparent le jour où les candidatures sont rendues publiques de l'ouverture de la campagne officielle. Cela avait été réclamé par l'ensemble des rédactions en 2012 et déjà par le CSA auparavant.

Il se trouve que les rédactions n'ont pas été complètement satisfaites. La proposition de loi présentée par M. Urvoas et votée par l'Assemblée nationale a soulevé de fortes objections de la part du Sénat, qui s'est déclaré attaché au maintien du principe d'égalité. La solution trouvée en commission mixte paritaire a été d'assortir le principe d'équité d'un certain nombre de contraintes, notamment quant à la nature et à la répartition des programmes. Nous avons essayé d'adopter une acception souple de cette condition en nous contentant de distinguer à l'intérieur de la journée quatre tranches horaires. Je reconnais que la distinction à faire entre ces tranches horaires a compliqué le calcul des rédactions, notamment dans certaines radios qui n'avaient pas l'habitude de procéder à de semblables décomptes. Je persiste toutefois à penser que cette substitution a marqué un très grand progrès, dans la mesure où la part de l'information politique a considérablement crû ; elle a presque doublé entre l'élection présidentielle de 2012 et celle de 2017. Un autre équilibre peut certes être envisagé ; cela relève de votre compétence.

Je n'ai pas complètement répondu sur le débat de TF1 limité à cinq candidats. Nous ne pouvons pas intervenir en amont mais il nous arrive, si nous avons des correspondants à l'écoute, de dispenser quelques conseils. Ce n'est pas un secret que nous étions assez réticents quant à une distinction entre les candidats car il nous apparaît, s'agissant de processus de désignation démocratique à une élection d'une telle importance, que la liberté d'appréciation laissée à un programmateur aussi puissant soulève des questions démocratiques. C'est très compliqué, car vous vous souvenez qu'un candidat se trouvait dans une fourchette qui le séparait des autres.

Je pense que la législation électorale doit être modifiée au vu de chaque échéance et le plus rapidement possible. Il y avait déjà quelque chose d'inhabituel dans le fait qu'en 2016, juste un an avant la nouvelle compétition électorale, le Parlement accepte de se prononcer sur cette question. Ce qui se passe habituellement, c'est que le CSA rend son rapport et qu'ensuite bien d'autres problèmes assaillent le Gouvernement, la majorité et l'opposition, et ces questions sont reportées à une période où il n'est plus temps de les aborder. S'il se pouvait que cette « règle » fût modifiée, nous nous en réjouirions.

Madame Bergé, un délai est nécessaire pour que le CSA réagisse lorsqu'une anomalie se produit. En l'espèce, elles se sont multipliées. Nous avons envoyé plusieurs courriers d'observations avant de prononcer des mises en garde et des mises en demeure. Nous débattrons afin de déterminer si nous prononçons une sanction pour la troisième fois. Si nous désirons adopter une approche graduée, et ne mettre en oeuvre la procédure de sanction qu'en dernière extrémité, il est clair qu'elle ne pourra intervenir qu'après un certain délai. Il faut bien reconnaître que, dans le cas qui nous préoccupe, il n'a pas été véritablement mis à profit par les intéressés.

Pouvons-nous intervenir de façon préventive ? Cela pose un problème de principe. On nous accuserait de censure. Nous ne pourrons nous aventurer dans de tels confins sans que le législateur ne nous en confie explicitement la charge, dans un cadre très précis.

Aujourd'hui, les plateformes vidéo et les hébergeurs sont encore régis par une ancienne directive transposée au début des années 2000 dans la loi française. Cette dernière posait le principe que les plateformes n'étaient que des hébergeurs. En conséquence, leur responsabilité ne pouvait être engagée comme l'est celle des distributeurs ou des éditeurs.

À titre personnel, mais je pense aussi m'exprimer au nom du Conseil, j'estime que les distinctions entre hébergeurs, distributeurs et éditeurs n'ont plus de sens au regard des modes de communication modernes. Ces distinctions, désormais poreuses, doivent être remises en cause. Il est anormal que la notion de distributeur ne figure pas aujourd'hui dans la directive Services de médias audiovisuels, alors qu'elle est présente dans l'article 2 de la loi qui régit le CSA. Il faut redéfinir les différentes fonctions, en conformité avec les schémas européens ; l'échelle des responsabilités en dépend. Il est hautement souhaitable que le législateur européen et le législateur national se mettent d'accord sur ce sujet majeur.

Madame Duby-Muller, s'agissant du contrôle des quotas de chansons francophones, vous l'avez compris, j'entretiens une certaine méfiance à l'égard des risques que fait courir l'hyper-réglementation dans un univers soumis à la concurrence. Je pense qu'il faut passer d'une approche générale et impersonnelle, qu'elle soit législative ou réglementaire, à un échange avec le régulateur. Un accord doit être passé entre chaque chaîne et ce dernier. Le 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 ouvre d'ailleurs cette possibilité pour les radios spécialisées dans la découverte musicale. Il s'agit à mon sens d'une voie à suivre.

Pourrions-nous consacrer des moyens supplémentaires au contrôle ? Nous avons signé un contrat avec Yacast, un prestataire de services. Si nous devions lui demander de travailler sur un panel plus large que les panels fixe et tournant décrits dans notre rapport, nos crédits de fonctionnement seraient insuffisants. S'il est possible de les distinguer, il faut que le « législateur légiférant » et le « législateur budgétaire » s'accordent. Il existe aujourd'hui 850 radios différentes en métropole, et 150 dans les outre-mer. À ces mille radios correspondent plus de 5 270 fréquences. Comment voulez-vous qu'avec le même nombre d'observateurs que ceux dont nous disposons aujourd'hui, nous puissions effectuer toutes les observations nécessaires ? Ce serait impossible. Il faudrait s'en remettre aux seules plaintes, mais vous connaissez le monde économique : les plus forts savent parfaitement se servir des plaintes pour renforcer leur position dominante.

Des progrès remarquables ont été enregistrés en matière de médiatisation du sport féminin, même s'ils demeurent insuffisants. Nous y avons très largement contribué. Nous avons organisé une journée du sport féminin avant de lancer les « Quatre saisons du sport féminin » qui en sont aujourd'hui à leur seconde édition. L'année est organisée en quatre temps, le premier étant sous la responsabilité du CSA. En 2016, comme vous le verrez en photographie dans notre rapport, quatre ministres étaient présents pour le lancement de l'opération. Cette évolution est économiquement saine, car de nombreuses chaînes sportives comme l'Équipe ont beaucoup de mal à trouver un équilibre financier. Elles ont eu l'intelligence de faire le pari du sport féminin, et les résultats ne se sont pas fait attendre. Évidemment, la promotion du sport féminin sert aussi l'image des femmes. Il est important de montrer qu'elles sont présentes dans tous les domaines. À chaque fois que nous le faisons, nous avançons.

Madame Rist, le bilan du CSA en matière de santé publique n'est pas négligeable. La charte sur l'obésité, signée pour quatre ans, a déjà été renouvelée en 2016 – davantage de protagonistes sont concernés, et elle a été étendue aux radios. Nous travaillons sur d'autres thèmes qui pourraient encore être davantage développés. Nous relayons avec beaucoup de soin toutes les campagnes des pouvoirs publics en matière de santé, comme, actuellement, celle relative à la canicule, ou, récemment, celle concernant les maladies épidémiques en outre-mer. Les médias constituent une puissante caisse de résonance, et notre coopération avec les services chargés de la santé est extrêmement utile.

Toutes les actions à destination des enfants sont aussi extrêmement importantes. Lorsque nous affirmons qu'il ne faut pas laisser les enfants de moins de trois ans regarder la télévision, nous ne prenons pas une position de principe ; nous relayons les conclusions d'un rapport de l'Académie des sciences relatif aux sciences cognitives, datant du début de l'année 2015, qui montre très clairement que l'on entrave les possibilités de développement psychique de l'enfant en le focalisant sur des images animées éloignées de son milieu affectif immédiat. En rappelant les devoirs des parents, nous agissons pour la santé mentale et psychique de l'enfant.

J'ai répondu partiellement à Mme Mette sur les quotas de chansons. Les sanctions diffèrent selon que l'on se situe avant ou après la promulgation de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), qui comporte des dispositions relatives aux radios musicales. Avant, le CSA s'en tenait aux « mises en garde ». Les nouvelles dispositions nous permettent à présent de « mettre en demeure » et, vous avez raison, les radios contrôlées doivent être connues. Il faudrait effectivement passer au stade supérieur mais notre insuffisance de moyens risque de créer des injustices et des inégalités entre les radios contrôlées et celles qui ne le sont pas. En outre, la tentation est grande, pour les radios faisant partie du panel tournant et contrôlées deux fois, de penser qu'elles ne le seront pas une troisième fois… À nous de les démentir mais il nous faut avoir les moyens de le faire.

J'ai beaucoup contribué à la création de l'ERGA. La responsabilité de cette institution m'a été attribuée – c'était une mesure exceptionnelle – pour les deux premières années afin de la mettre rapidement en place. Ce fut le cas : la réunion de préfiguration a eu lieu à Paris en septembre 2013, l'organisation a été créée en février 2014 et s'est réunie pour la première fois en mars 2014. Ella a adopté son règlement intérieur et constitué quatre groupes de travail, dont le plus important nous a été dévolu, sur le suivi de l'élaboration de la directive « Services de médias audiovisuels ». Je peux donc dire que l'avant-projet de directive du 25 mai 2016 est très largement inspiré des positions françaises.

Nous nous sommes ensuite heurtés à des problèmes de succession. Je n'entrerai pas dans les détails. La Présidente croate devait me succéder mais a dû démissionner sous la pression de son parlement. Rien n'est idéal dans le fonctionnement des démocraties de l'Union européenne, comme nous le savons particulièrement aujourd'hui… Suite à cette démission, la présidence néerlandaise a préféré prendre sa place, plutôt que de laisser le vice-président croate prendre le relais. Actuellement, je tente de faire en sorte que le régulateur croate – très proche de nos positions – succède effectivement, à compter du 1er janvier, à la présidence néerlandaise. S'il devait y avoir une contestation, il faudrait une majorité des deux tiers. C'est donc un mouvement « diplomatique » qui requiert beaucoup d'énergie et d'attention, mais les enjeux sont importants. La directive doit reconnaître l'indépendance des régulateurs – je crois que ce fait est acquis. Il faut qu'elle reconnaisse également l'union des régulateurs comme organe constituant de l'Union, par parallélisme avec l'article 30 qui prévoit un comité de contact pour les États. Enfin, et ce sera peut-être le plus difficile, il faut revenir à la situation que j'avais créée : c'est l'ERGA qui doit établir son règlement intérieur. Vous le savez tous, le règlement intérieur n'est pas la moindre des normes.

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Je vous remercie pour les précisions et les explications que vous nous avez apportées. Nous avons bien compris que la balle était dans le camp du Parlement sur un certain nombre de points.

La séance est levée à dix-sept heures.

Présences en réunion

Réunion du mardi 25 juillet 2017 à 14 heures 30

Présents. – Mme Aude Amadou, Mme Emmanuelle Anthoine, M. Gabriel Attal, Mme Géraldine Bannier, Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Aurore Bergé, Mme Gisèle Biémouret, M. Pascal Bois, M. Pierre-Yves Bournazel, Mme Céline Calvez, Mme Danièle Cazarian, Mme Sylvie Charrière, Mme Fabienne Colboc, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Béatrice Descamps, Mme Jacqueline Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Frédérique Dumas, Mme Nadia Essayan, M. Alexandre Freschi, M. Grégory Galbadon, M. Laurent Garcia, M. Jean-Jacques Gaultier, M. Raphaël Gérard, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Pierre Henriet, M. Yannick Kerlogot, Mme Brigitte Kuster, M. Michel Larive, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Brigitte Liso, Mme Josette Manin, Mme Sophie Mette, Mme Frédérique Meunier, M. Maxime Minot, Mme Sandrine Mörch, Mme George Pau-Langevin, M. Guillaume Peltier, Mme Maud Petit, Mme Béatrice Piron, M. Pierre-Alain Raphan, M. Frédéric Reiss, Mme Cécile Rilhac, Mme Stéphanie Rist, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Bertrand Sorre, M. Bruno Studer, Mme Agnès Thill

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Franck Riester, Mme Sabine Rubin, M. Stéphane Testé