Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a procédé à l'audition de Mme Charlotte Mijeon et de M. Martial Château représentants l'association Réseau Sortir du nucléaire.

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Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Charlotte Mijeon et M. Martial Château, représentant le réseau « Sortir du nucléaire ». Il s'agit d'une fédération d'associations et de personnes privées créée en 1997, reconnue association agréée de protection de l'environnement par arrêté ministériel du 14 septembre 2005. Elle regroupe des associations anti-nucléaires locales et nationales, mais aussi des organisations très diverses, qui vont de WWF à Europe Écologie Les Verts, en passant par la Confédération paysanne, Sud Rail ou encore Biocoop. Elle est elle-même adhérente au réseau Action Climat. L'association met en exergue les dangers potentiels de la filière électronucléaire et, comme son nom l'indique, milite pour une sortie du nucléaire.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Charlotte Mijeon et M. Martial Château prêtent serment.)

Je vous propose de limiter votre exposé liminaire à une dizaine de minutes, à la suite de quoi Mme la rapporteure et les membres de la commission d'enquête ne manqueront pas de vous interroger.

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Charlotte Mijeon

Monsieur le président, madame la rapporteure, merci de nous inviter à témoigner de ce que nous constatons dans le cadre de nos campagnes et de notre action de surveillance citoyenne des installations nucléaires.

Compte tenu du temps limité dont nous disposons, nous nous concentrerons sur la sûreté, ou plutôt sur certains aspects touchant les installations nucléaires civiles – il y aurait beaucoup à dire sur les installations nucléaires militaires. Nous avons volontairement écarté la question des risques externes, mais nous pourrons l'évoquer en réponse à vos questions.

J'aborderai en premier lieu les risques liés aux équipements nucléaires eux-mêmes, avant de parler des risques découlant de facteurs économiques, organisationnels et humains. Dans une troisième partie, j'interrogerai les failles du système de contrôle de la sûreté. Nous évoquerons enfin, avec Martial Château, le cas de différentes installations.

Le vieillissement et l'obsolescence des installations nucléaires est un sujet qui devrait nous préoccuper tous, dans la mesure où 46 réacteurs ont déjà dépassé les trente ans de fonctionnement et où les installations de la filière du combustible vieillissent elles aussi, dans un contexte où EDF envisage de prolonger leur fonctionnement à cinquante, voire à soixante ans.

Ces installations vieillissantes peuvent comprendre des équipements remplaçables, mais dont les pièces de rechange ne sont plus disponibles. Cela arrive très fréquemment. Je pense notamment aux coussinets des diesels de secours, un cas sur lequel je pourrai revenir.

Ces installations sont aussi dotées d'équipements non remplaçables et non réparables. Il s'agit en premier lieu des cuves des réacteurs, conçues pour fonctionner environ trente ans à pleine puissance. Leur fragilité croît avec le temps et leur usure peut être accélérée par le fonctionnement en suivi de charge, qui induit des variations de puissance. Par ailleurs, des chercheurs ont montré que l'action de l'hydrogène contenu dans l'eau du circuit primaire était susceptible de former des fissures.

Les enceintes de confinement, non remplaçables et non réparables, sont aussi source d'inquiétude, dans la mesure où les problèmes originels de mauvaise qualité du béton sont accrus avec le vieillissement. La Farce cachée du nucléaire, un ouvrage publié par l'association et rédigé par une source interne à EDF, mentionne certains problèmes spécifiques liés aux enceintes de confinement.

La question du vieillissement est très préoccupante, d'autant que les défauts de conception potentiels, parfois génériques, en accentuent les risques. Vous avez entendu parler du scandale dans lequel est impliquée la forge du Creusot, qui a livré des pièces qui ne présentaient pas les caractéristiques de sûreté attendues. C'est un fait grave car, dans le nucléaire, certaines pièces sont censées présenter une qualité impeccable.

Des informations nous parviennent depuis des sources internes ; des personnes qui ont travaillé au sein d'EDF fournissent des documents, des écrits. Dans le livre récent Nucléaire : danger immédiat, de Thierry Gadault et Hugues Demeude, la source interne qui a documenté La Farce cachée du nucléaire mentionne des défauts existant dès la conception sur les cuves de dix réacteurs, ainsi que des bétons de mauvaise qualité.

Au-delà des aspects techniques liées aux équipements, il convient de mettre l'accent sur l'accumulation de facteurs économiques, financiers, humains et organisationnels, susceptibles d'accroître les risques.

Les difficultés financières de EDF ont mené à une course à la rentabilité à court terme, qui se traduit par des choix désastreux pour la sûreté. Ainsi, le recours accru à la sous-traitance pour la maintenance – jusqu'à huit niveaux de sous-traitance – entraîne une perte de connaissances et de savoir-faire, accrue par ailleurs par la pyramide des âges d'EDF, et pose le problème du contrôle de la maintenance.

Les temps d'intervention lors des opérations de maintenance ont été réduits de façon assez importante. Cela signifie qu'il n'y a plus de contrôles systématiques, que les contrôles approfondis sont remplacés par des contrôles par sondages. Enfin, on constate une dégradation des conditions de travail chez les sous-traitants, en particulier les sous-traitants nomades, qui sont placés dans l'impossibilité d'effectuer leur mission correctement.

En matière de sûreté, le facteur humain est essentiel et il convient d'insister sur les risques liés à la dégradation des conditions de travail. Dans le cadre de notre surveillance citoyenne des installations, nous constatons divers problèmes dans l'organisation du travail : travailleurs permutés d'un chantier à l'autre sans recevoir les formations nécessaires ; mauvaise circulation de l'information ; systèmes de contrôle internes souvent inefficaces, avec des procédures hors sol et une absence de vérification concrète des travaux effectués.

Cela aboutit à de nombreux dysfonctionnements. A la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire, placée récemment en surveillance renforcée, on constate que le système de gestion des informations ne permet pas d'avoir un aperçu en temps réel des dysfonctionnements et de l'état des travaux. En outre, les « demandes de travaux » ne se concrétisent pas, ou sont requalifiées sans aucune justification.

La maintenance est donc insuffisante ou mal effectuée et la mise en oeuvre des prescriptions est caractérisée par le manque de rigueur. Cela nous inquiète, d'autant que le programme de « grand carénage » est lancé. Il s'agit d'effectuer différents travaux pour prolonger la durée de fonctionnement des installations, les mettre aux normes et effectuer certaines opérations de maintenance lourde. Les travaux sont importants, parfois inédits et menés simultanément sur différents sites, alors que le personnel formé est en nombre insuffisant. Cela s'est déjà traduit par la chute d'un générateur de vapeur de 460 tonnes à la centrale nucléaire de Paluel. On peut s'interroger sur ces travaux censés renforcer la sûreté, mais qui peuvent aboutir à la dégrader encore davantage.

Il convient aussi de pointer les défaillances du système de contrôle de la sûreté. Remarque liminaire : le fonctionnement d'une installation « sûre », respectant toutes les exigences en la matière, va toujours de pair avec le rejet dans l'environnement de polluants chimiques et radioactifs et l'irradiation des employés.

L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a le monopole de la définition de la sûreté nucléaire en France. Pourtant, le référentiel de sûreté peut être questionné, notamment au regard des pratiques à l'oeuvre dans d'autres pays et des règles parfois beaucoup plus strictes qui s'y appliquent. En Allemagne, certains systèmes sont triplement redondants ; outre-Rhin, une centrale comme celle de Fessenheim aurait déjà été fermée depuis longtemps !

La mauvaise foi et la mauvaise volonté des industriels et exploitants montrent les limites du système d'autocontrôle. L'exploitant est considéré comme le premier responsable de la sûreté. De par le principe déclaratif, il est supposé être de bonne foi et prompt à déclarer les problèmes éventuels à l'ASN. Or nous constatons une absence récurrente de transparence vis-à-vis du public, des malfaçons non déclarées – comme l'a montré l'exemple du Creusot –, des incidents souvent minimisés. La communication ne se prive pas de manier l'euphémisme : on a vu ainsi un « défaut d'étanchéité » à Fessenheim cacher une fuite de 100 mètres cubes d'eau, une « fuite de vapeur » à Dampierre être déclarée non radioactive et sans aucun danger pour l'environnement, alors même que ce postulat peut être questionné.

L'indépendance et les moyens dont dispose l'ASN posent également question. Qualifiée de « gendarme du nucléaire », l'ASN n'est-elle pas plutôt une sorte d'accompagnatrice manquant parfois d'intransigeance ? En outre, du propre avis de l'ASN, les moyens humains et les pouvoirs de sanction dont elle dispose sont insuffisants et ne permettent pas de lutter contre les fraudes.

Certaines décisions, qui traduisent une perméabilité aux pressions des industriels, ne laissent pas de nous interroger. L'ASN était au courant depuis 2005 ou 2006 de ce qui se passait au Creusot. N'a-t-elle pas pu intervenir, ou n'a-t-elle pas voulu intervenir ? La question est ouverte. La décision que l'ASN a prise sur la cuve du réacteur européen pressurisé – European Pressurized Reactor (EPR) – n'a-t-elle pas été dictée par des impératifs économiques, plutôt que par le souci de la sûreté ?

Nous relevons aussi que l'ASN se laisse imposer le tempo des industriels, ce qui leur permet d'obtenir, par le fait accompli, la prolongation des vieux réacteurs. Pour produire l'avis nécessaire sur la prolongation des réacteurs au-delà de quarante ans, l'ASN est censée recevoir des informations de la part d'EDF. Ces informations tardant à arriver, l'avis qui devait être publié en 2019 ne sera finalement opposable qu'en 2021, alors même que le grand carénage est lancé, que certaines visites décennales – les quatrièmes, donc – ont déjà été engagées. On peut se poser des questions sur le référentiel de sûreté qui sera appliqué et sur la capacité de l'ASN à obtenir ces informations d'EDF.

Pour finir, j'évoquerai le cas du centre industriel de stockage géologique (CIGEO). De nombreux éléments ont été soulevés par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et par l'ASN. L'installation semble sur les rails, alors même qu'elle présente des défauts intrinsèques : il existe un risque d'incendie souterrain non maîtrisable ; l'architecture est telle qu'elle ne permet pas de limiter les rejets en surface ; les modalités de surveillance, pour l'instant, posent problème. Enfin, on peut douter de la capacité, en cas d'accident, à récupérer les déchets, à poursuivre le stockage ou même à intervenir, ce qui remet en question la fameuse réversibilité promise par la loi.

J'ajoute que le dossier d'options de sûreté (DOS) du projet CIGEO est conçu comme si toutes les ressources étaient disponibles pour mener à bien la construction de cette installation. Pourtant, le coût de cette installation, fixé de manière arbitraire par Mme Royal à 25 milliards d'euros, est chiffré par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) à 34,5 milliards d'euros, un coût que l'ASN considère elle-même comme sous-estimé. La question se pose de la sûreté d'une installation pour laquelle les provisions ne seront pas disponibles le moment donné. A moins que les citoyens ne remettent la main à la poche, Cigéo risque d'être une installation low cost. Il serait profitable à votre commission d'auditionner des personnes travaillant spécifiquement sur le dossier CIGEO.

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Martial Château

Je souhaiterais insister sur l'usine de retraitement de La Hague, dont une partie des installations présentent une usure prématurée. L'épaisseur de l'acier des évaporateurs diminue de façon drastique, ce qui pose un problème important de sécurité à la fin du processus de séparation des différents composants. Les combustibles usagés renfermant toute la radioactivité, une fuite sur ces évaporateurs serait catastrophique.

Par ailleurs, les quatre piscines, qui contiennent l'équivalent d'une centaine de coeurs de réacteurs usagés, soit plus de 1 000 tonnes de combustibles usagés, ne sont pas bunkerisées comme il le faudrait. Ce défaut de protection constitue un danger monstrueux.

Enfin, le stock de plutonium s'élève, aux dernières nouvelles, à 63 tonnes. Ce plutonium sert aujourd'hui à faire du MOx, un combustible à base d'uranium 238 et de plutonium, utilisé dans les réacteurs de 900 mégawatts. S'agissant des réacteurs les plus anciens, qui devraient fermer en premier, le plutonium devrait, à très brève échéance, ne plus être utilisé. D'autre part, les accords internationaux, que la France a signés, prévoient que le stock de plutonium ne doit plus augmenter, du fait des risques de prolifération. Précisons que 63 tonnes de plutonium peuvent permettre de fabriquer l'équivalent de 15 000 bombes de type Nagasaki !

Il faut savoir aussi que beaucoup de pays ont renoncé au retraitement. C'est le cas des États-Unis et de la plupart des pays européens, en dehors du Royaume-Uni. Le Japon a fait retraiter ses combustibles par la France pendant des années et ses stocks sont toujours présents sur notre territoire. Quant à la Chine, nous comptons y exporter cette technologie, ce qui est scandaleux.

Nous estimons qu'il faut arrêter l'activité de retraitement. Celle-ci revient à concentrer la radioactivité dans un très faible volume, ce qui la rend plus difficile encore à gérer. Le temps létal à proximité d'actinides mineurs vitrifiés est d'une heure environ. Le risque est moindre lorsqu'il s'agit de combustibles usagés.

En outre, le processus est très onéreux et exige beaucoup de transports : transport des combustibles usagés des centrales vers La Hague, puis transport du plutonium de La Hague vers Marcoule, où est fabriqué le MOx. J'imagine que vous avez tous vu le reportage montrant des camions de plutonium escortés de deux voitures de protection, sans autre forme de sécurité.

D'autre part, le fait que l'on souhaite lancer l'EPR à proximité de l'usine de La Hague avec une cuve présentant des défauts de fabrication est inquiétant. Le mélange est particulièrement dangereux et explosif… si un accident se produit à La Hague, comment fera-t-on pour protéger la centrale de Flamanville ? Réciproquement, si un incident grave survient à Flamanville et contamine l'environnement, comment fera-t-on pour continuer à contrôler le centre de La Hague ? Même si l'on arrête l'activité de retraitement, il faudra mettre en sûreté les 63 tonnes de plutonium, ce qui supposera de construire un atelier pour les remélanger avec des corps inertes, et faire en sorte que la masse critique – 7 kilos ! – ne puisse être atteinte accidentellement. Nous sommes dans une situation extrêmement dangereuse à La Hague. Il est urgent de sécuriser cela de façon pérenne.

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Je vous remercie pour ces propos introductifs. La parole est à Mme la rapporteure.

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Certaines des informations que vous nous avez données sont publiques, connues de tous. Mais vous avez fait état également d'informations qui viendraient de personnes ayant travaillé au sein d'EDF. S'agit-il de personnes identifiées ? Afin que nous puissions accréditer vos dires, nous devons nous appuyer sur des faits et écarter ce qui proviendrait de rumeurs ou de vengeances.

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Martial Château

Nous avons publié La Farce cachée du nucléaire en mars 2017. Nous nous attendions à ce que son contenu soit contesté, ce qui nous aurait d'ailleurs permis d'en faire la promotion. Hélas, cela n'a pas été le cas. Le cadre d'EDF qui a communiqué les informations a voulu rester anonyme car il ne souhaitait pas s'exposer personnellement. Je pense que si certaines de ces informations avaient été fausses, elles auraient été contestées. De la même manière, j'ai l'impression qu'EDF, malgré ses menaces, ne portera pas plainte contre l'ouvrage Nucléaire : danger immédiat.

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Charlotte Mijeon

La Farce cachée du nucléaire a été rédigé par une source interne à EDF dont nous ne connaissons que le pseudonyme. Nous avons été en contact avec cette personne, sans savoir de qui il s'agit et quelle était précisément sa fonction. Tout ce que nous savons, c'est que ces informations reposent sur des documents internes à EDF, qui sont authentiques et ont été mis en ligne.

Cette source interne à EDF a fourni également à Thierry Gadault certaines informations pour la rédaction de Nucléaire : danger immédiat.

J'ajoute qu'il nous est souvent arrivé de recevoir des documents internes à EDF sur différents sujets. Ainsi, nous avons été destinataires en 2010 d'informations montrant que l'EPR présentait un système de pilotage susceptible de mener à un accident. Ces informations existent ; cela traduit l'impossibilité, pour ces personnes de faire entendre leur cri d'alerte au sein même de leur entreprise.

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Je pressens que le sujet des moyens dont dispose l'ASN pour exercer son contrôle, imposer ses décisions et assurer leur suivi, va beaucoup nous occuper. Quelles sont, selon vous, les mesures que nous pourrions prendre pour améliorer de manière importante le contrôle de la sûreté des installations ?

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Martial Château

Prenons le cas de la cuve de l'EPR. Les enjeux sont tellement importants que la pression sur les inspecteurs et la direction de l'ASN sont très fortes. La Commission européenne a conditionné le refinancement d'Areva et d'EDF à la validation de la cuve ! Quelque part, on a demandé aux inspecteurs et à la direction de l'ASN de décréter ou non la mort du nucléaire en France – et la fin de leur fonction. La solution qu'ils ont choisie – dire que la cuve n'est pas bonne mais que, néanmoins, en rognant sur les marges de sûreté, on peut démarrer l'EPR – montre que le malaise est énorme. Comment peut-on à la fois déclarer qu'un outil industriel ne répond pas aux conditions de sûreté et que l'on peut le démarrer ? Il y a quelque chose qui ne va pas du tout ! C'est bien la preuve que l'ASN manque de moyens et ne peut pas aller au bout des décisions qu'elle devrait prendre pour la sûreté.

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Charlotte Mijeon

Il faut certainement à l'ASN plus de moyens humains et davantage de pouvoirs de sanction. Récemment, l'ASN a dû saisir la justice contre une installation de nucléaire médical et faire consigner des sommes énormes pour que l'usine consente, après de nombreuses mises en demeure, à se mettre en conformité avec les normes de sûreté.

Au-delà, c'est le rôle de l'ASN qu'il faut questionner. Nous pensons qu'elle devrait être la garante des principes de la sûreté, un véritable gendarme du nucléaire. Actuellement, elle donne plutôt l'impression d'accompagner les exploitants pour faire en sorte que leur dossier soit accepté, quitte à fouler aux pieds certains principes de base de la sûreté. On l'a vu avec l'EPR : une cuve qui était censée être impeccable a été acceptée en vertu du principe d'exclusion.

Il pourrait être intéressant de faire intervenir davantage des experts étrangers. Il ne faut pas oublier que nos centrales menacent aussi les pays situés de l'autre côté de nos frontières et que les référentiels de sûreté n'y sont pas les mêmes. Ainsi, il est anormal qu'un habitant de Fribourg-en-Brisgau soit exposé aux risques que présente Fessenheim, alors même que les principes en vigueur dans son pays sur la sûreté des centrales sont beaucoup plus stricts.

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Vendredi dernier, le tribunal de police de Privas a condamné EDF et le directeur de la centrale de Cruas à des amendes pour mauvaise gestion des déchets radioactifs. Cette condamnation a été prononcée dans le cadre d'une procédure judiciaire engagée par votre association, à la suite de la découverte, dans une benne à déchets conventionnels, d'un sac rempli de combinaisons et de surbottes portées par des personnes travaillant en zone nucléaire, et qui aurait dû être confié à l'ANDRA. Pensez-vous que des incidents de ce type surviennent fréquemment, et quels enseignements en tirez-vous ?

Par ailleurs, je rappelle qu'EDF a été condamnée à 6 000 euros d'amende et le directeur de la centrale à 3 000 euros d'amende avec sursis : estimez-vous que ces sanctions soient dissuasives ?

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Charlotte Mijeon

Ces sanctions ne sont absolument pas dissuasives, et laissent penser qu'on court plus de risques à voler une mobylette qu'à commettre une infraction liée à la législation du nucléaire.

Le droit nucléaire est tel qu'il ne permet pas de sanctions lourdes sur le plan judiciaire. Quant à l'ASN, qui pourrait théoriquement prononcer des sanctions, elle ne le fait pas. Il est fréquent que nous déposions plainte sur la base de rapports d'inspection de l'ASN car nous savons qu'à défaut il n'y aura aucune sanction.

Pour en revenir à l'incident de Cruas, il résulte d'une situation récurrente dans cette centrale, mais aussi sur d'autres sites. Le fait que des déchets radioactifs se retrouvent dans le circuit des déchets conventionnels résulte d'un dysfonctionnement sur l'ensemble de la chaîne de décision : il y a eu un problème d'organisation à la base, mais aussi un problème de circulation de l'information, un manque de rigueur et un défaut dans l'établissement des priorités au sein de la centrale. J'ajoute que la centrale de Cruas est connue pour être affectée par de très nombreux autres problèmes, parmi lesquels je citerai le risque de perte de la source froide et la détection récente d'une fuite dans l'enceinte de confinement.

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Martial Château

Pour ce qui est des déchets non répertoriés, on peut penser que les choses vont un peu mieux aujourd'hui que par le passé. Cela dit, en matière de déchets miniers, il est très difficile de savoir précisément ce qui a été fait au cours des décennies précédentes : des déchets ont été intégrés à des matériaux de remblai, ce qui fait que des personnes peuvent, sans le savoir, y être exposées. Certes, le niveau de radioactivité de tels déchets n'est pas très élevé, mais si certaines personnes s'y trouvent exposées de façon permanente, cela peut avoir pour elles des conséquences sanitaires extrêmement graves. On a compté en France environ 200 sites miniers, et il serait important de répertorier tous les résidus ayant résulté de l'exploitation de ces sites.

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Je vous avouerai que je suis un peu mal à l'aise car, dans le livre que vous nous présentez, La Farce cachée du nucléaire, vous citez une source que vous dites ne pas connaître, et dont vous ne donnez que le pseudonyme, Nozomi Shihiro. Je rappelle que nous sommes une commission d'enquête et qu'à ce titre, nous avons besoin de disposer d'éléments tangibles et identifiables. Seriez-vous en mesure de fournir un peu plus de matière à notre commission ?

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Martial Château

Tout ce qui est dit dans le livre est référencé sous la forme de liens, qui permettent d'accéder très facilement aux documents correspondants sur internet. Si la personne dont nous ne citons que le pseudonyme n'a pas souhaité donner son nom, c'est simplement pour éviter de subir des représailles, notamment sous la forme de sanctions professionnelles.

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J'entends bien ce que vous nous dites au sujet du sourcing sur internet, et les liens que vous indiquez permettent effectivement d'accéder à divers documents – notamment des photographies un peu anxiogènes – mais, franchement, je trouve qu'une telle présentation a un goût d'inachevé.

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Charlotte Mijeon

Il est exact que nous n'avons eu avec Nozomi Shihiro que des contacts par courriel – par personnes interposées. Dès lors, nous ne sommes pas en mesure de vous en dire plus à son sujet : nous avons prêté serment au début de cette audition et sommes obligés de nous en tenir à ce que nous savons. En l'occurrence, nous avons la certitude que ces documents existent et sont authentiques et nous estimons donc qu'ils doivent être versés aux débats.

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Martial Château

La plupart des documents mis en ligne ont été obtenus auprès des commissions locales d'information (CLI) rattachées aux différentes centrales nucléaires. Les ouvrages que nous vous présentons contiennent en quelque sorte une compilation de ces documents, dont on peut considérer qu'ils sont publics à l'échelle locale.

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Nous pourrons interroger l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) à ce sujet, puisque nous recevrons ses représentants juste après votre audition. Pour rejoindre ce qu'a dit notre collègue Cellier au sujet des réserves que l'on peut émettre sur les informations contenues dans les ouvrages que vous citez, il apparaît que la perforation de fond de cuve sur le réacteur n° 1 de la centrale de Gravelines n'existe plus aujourd'hui. Notre travail consistera donc à vous interroger sur vos sources, afin que nous puissions les contacter et entendre leur propre version des faits que vous citez, en complément des éléments qui nous seront également fournis par l'ANCCLI et EDF, et ainsi confirmer ou infirmer certains points.

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J'espère que M. le président et Mme la rapporteure ne vont pas juger ma démarche trop impertinente – en tout état de cause, ma proposition sera soumise à leur validation –, mais je suggère que nous adressions une convocation par courriel à votre contact, afin de l'entendre au cours d'une audition à huis clos.

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Nous allons y réfléchir, mais il faut savoir que si notre commission d'enquête adresse une convocation à cette personne, il aura l'obligation d'y déférer.

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Vous avez parlé tout à l'heure de sous-traitants nomades se trouvant dans l'impossibilité d'effectuer leur mission. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

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Charlotte Mijeon

Les mieux placés pour vous en parler seraient les sous-traitants eux-mêmes, et je vous incite très vivement à auditionner des membres des associations « Ma zone contrôlée va mal » ou « Santé, Sous-traitance, Nucléaire, Chimie », par exemple. Les faits que je vous rapporte sont connus et reviennent très fréquemment au cours des échanges que nous avons avec différents sous-traitants. Parmi les sous-traitants chargés de la maintenance, certains interviennent sur différents sites, ce qui les oblige à effectuer de fréquents déplacements ; ils ne disposent que d'un délai très court pour effectuer leur mission, et dans des conditions toujours plus pénibles. À la pénibilité des déplacements et des interventions proprement dites s'ajoute celle des doses de radioactivité reçues. Le site « Ma zone contrôlée va mal » contient une importante compilation de témoignages de sous-traitants, que je vous invite à consulter.

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Vous avez évoqué la question des risques en zone frontalière, et le fait que les conséquences d'un accident ne s'arrêteraient pas aux frontières administratives. Pouvez-vous nous rappeler ce que prévoient les accords internationaux passés par la France avec ses voisins et nous dire si ces accords vous paraissent satisfaisants ?

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Charlotte Mijeon

Il existe une commission franco-allemande sur la sûreté nucléaire, dont les travaux sont assez peu connus. En tout état de cause, la collaboration entre la France et les autres pays européens ne semble pas satisfaisante, nous en voulons pour preuve les difficultés rencontrées par les élus allemands ou luxembourgeois qui ont demandé à obtenir des informations sur l'état de certaines installations françaises ou sur la date de fermeture de Fessenheim – sur ce dernier point, même les multiples demandes adressées par la ministre allemande de l'environnement à Ségolène Royal, lorsque celle-ci était également ministre de l'environnement, ont été ignorées.

Nous avons donc l'impression que les pays frontaliers, confrontés à une menace qu'ils ne maîtrisent pas, font les frais d'une certaine désinvolture de la part des autorités françaises, qui imposent la menace constituée par les centrales nucléaires à leurs propres citoyens, mais aussi à toute l'Europe.

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Martial Château

La ville de Genève a, elle aussi, adressé des demandes d'informations au sujet de la centrale du Bugey. Je crois même qu'une action en justice a été intentée afin de demander l'arrêt de la centrale, à la suite des informations faisant état de fuites sur l'enceinte de confinement.

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Cette plainte émane en fait du canton de Genève.

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Vous avez indiqué qu'il y avait une perméabilité entre l'ASN et les exploitants. Pouvez-vous nous indiquer sur quoi vous vous appuyez pour dire cela, et si vous pensez qu'il y a collusion entre les exploitants et l'ASN ?

Par ailleurs, vous affirmez que les sous-traitants reçoivent de fortes doses de radioactivité. Or l'IRSN, qui assure le suivi de ces personnes, n'a à ma connaissance jamais déclaré que les travailleurs étaient exposés à des surdoses dans les centrales.

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Charlotte Mijeon

Je n'ai pas dit qu'il y avait collusion entre l'ASN et les exploitants. Cela dit, nous ne pouvons que nous interroger au sujet de certaines décisions de l'ASN, compte tenu des potentielles pressions économiques, notamment en ce qui concerne la cuve. Comment comprendre que l'ASN, d'abord furieuse de découvrir que les installations de l'EPR de Flamanville présentent d'importantes malfaçons au niveau de la cuve fabriquée par Creusot Forge, qui ne possède pas les qualités qu'elle était censée avoir à l'origine – en vertu du principe d'exclusion retenu par EDF dans ses scénarios, une cuve doit être d'une qualité impeccable, l'hypothèse de sa rupture étant totalement exclue –, finisse par déclarer que ce n'est pas vraiment un problème, et qu'il suffira de changer le couvercle de la cuve ? Face à un tel revirement, on est légitimement en droit de s'interroger.

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Si des pressions sont exercées, d'où proviennent-elles ? De l'exploitant ? De l'État ? De la Commission européenne ?

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Charlotte Mijeon

EDF n'avait pas intérêt à ce que l'ASN rende une décision ne validant pas la cuve de l'EPR et, dès lors, on peut supposer soit qu'une pression a été exercée, soit que l'ASN a considéré devoir tenir un rôle d'accompagnatrice plutôt que de gendarme. Cela dit, je ne suis pas dans la tête des représentants de l'ASN et je ne peux pas parler à leur place.

Pour ce qui est du suivi des sous-traitants du nucléaire, c'est une question bien documentée, pour laquelle je vous renvoie aux publications d'Annie Thébaud-Mony, une sociologue de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui a énormément travaillé sur ce thème et qui soutient que l'industrie nucléaire organise le non-suivi médical des travailleurs les plus exposés, ne serait-ce que par son choix d'une organisation faisant appel à la sous-traitance pour réaliser les activités les plus dangereuses.

Enfin, en ce qui concerne l'IRSN, je vous invite à consulter l'ouvrage Nucléaire, danger immédiat, qui contient dans ses dernières pages des informations au sujet des laboratoires chargés du suivi médical des travailleurs, et émet des interrogations sur leur fonctionnement.

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Vous vous interrogez et vous supposez beaucoup, ce qui me conduit à mon tour à me poser des questions. Cette filière souvent qualifiée d'excellence n'a-t-elle vraiment aucune qualité à vos yeux ? Ses acteurs sont-ils tous irresponsables et incompétents ?

Pour ce qui est des contrôles exercés par les autres pays, il existe une Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui envoie régulièrement des experts étrangers pour contrôler les installations nucléaires françaises et publie leurs travaux. Ne reconnaissez-vous pas la validité de ce travail de contrôle ?

Enfin, je m'interroge sur vos sources, qui sont souvent militantes mais dont on ne connaît que le nom que vous nous indiquez, et dont la qualité d'expert ne me paraît pas démontrée – mais peut-être n'avons-nous pas la même conception de ce qu'est un expert ?

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Martial Château

Je comprends que vous vous interrogiez, mais sans doute convient-il de rappeler que le nucléaire civil a pour origine le nucléaire militaire, qui s'est développé…

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Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes ici pour renforcer la sécurité et la sûreté de nos concitoyens : comme l'a dit Mme la rapporteure, il nous revient de faire des propositions en ce sens.

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Martial Château

Le nucléaire s'est toujours construit et développé sur la base du silence et du mensonge, direct ou par omission. J'en veux pour preuve la question des déchets, au sujet desquels on nous a dit, aux débuts du nucléaire, qu'on finirait bien par trouver une solution. Soixante-dix ans plus tard, il n'y a toujours pas de solution, et des tonnes de déchets ne font que s'accumuler, ce qui constitue un énorme problème. Combien de temps va-t-on continuer comme ça avant de prendre la décision d'arrêter ?

C'est la même chose sur le plan financier : on n'a cessé de nous dire que le nucléaire permettait d'obtenir de l'électricité en grande quantité et à bon marché, en omettant d'inclure tous les coûts dans le prix du kilowattheure – la gestion des déchets, justement, n'y est pas incluse.

Il faut savoir regarder la situation en face, et prendre au sérieux les alertes que nous lançons : ce n'est pas du chantage, nous essayons simplement de faire comprendre à nos concitoyens que nous sommes arrivés au bout du bout. Quand on fait face à un mur, on continue ou on arrête ? C'est la question que nous posons.

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Je me dois de vous rappeler que notre commission d'enquête n'a pas vocation à trancher la question : « Pour ou contre le nucléaire ? », mais à réfléchir sur les questions de sûreté et de sécurité liées au nucléaire.

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Je sais que notre commission n'est pas là pour se prononcer pour ou contre le nucléaire, mais je suis moi-même favorable à une sortie du nucléaire et j'estime que cela intéresse tout le monde d'obtenir des informations sur la sûreté et la sécurité des installations. Dès lors, je ne vois pas ce qui justifie de montrer de l'agressivité à l'égard des personnes que nous avons invitées à venir s'exprimer devant nous – le seul motif qu'ils soient favorables à la sortie du nucléaire ne le justifie pas, en tout cas : nous devons les laisser s'exprimer sereinement et les écouter exactement comme nous écoutons les experts favorables au nucléaire.

Les sous-traitants de Framatome que j'ai rencontrés hier m'ont expliqué que, contrairement aux salariés de cette entreprise – et alors même qu'ils travaillent exactement sur les mêmes sites –, ils ne bénéficient pas d'un statut protégé, n'ont une visite médicale que tous les deux ans – les salariés de l'entreprise en ont une tous les six mois –, ne sont pas soumis à des analyses de selles et d'urine et ne sont pas suivis à l'issue de leur contrat – ce qui implique qu'ils ne soient pas informés d'une éventuelle contamination de leurs collègues.

J'en viens à mes questions. Premièrement, quel lien faites-vous entre les installations nucléaires civiles et militaires, et pensez-vous que notre commission devrait s'intéresser également aux secondes ? Deuxièmement, nous demandons la transparence au sujet de la gestion des déchets nucléaires depuis le lancement du nucléaire civil en France : pensez-vous qu'il soit possible de procéder à un état des lieux précis sur ce point, et avez-vous commencé à y travailler ?

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Martial Château

Je pense qu'il serait bon que votre commission invite des associations qui militent contre le nucléaire militaire et la bombe nucléaire : cette question entre dans le champ de vos compétences, puisqu'elle inclut des aspects relatifs à la sûreté et à la sécurité. Ainsi, des salariés de la base sous-marine de l'Île Longue, dans le Finistère, ont été contaminés, ce qui n'a rien d'étonnant quand on sait que la sûreté des travailleurs du nucléaire militaire a toujours été nulle : par exemple, les personnes dont il est ici question prenaient leur casse-croûte tranquillement installées à côté des ogives nucléaires ! De telles pratiques sont révélatrices d'un laisser-aller absolu, et je ne suis pas loin de penser qu'on a exposé des travailleurs de manière volontaire en ne les prévenant pas des risques, peut-être pour préserver l'idée selon laquelle le nucléaire serait propre – je ne vois malheureusement pas d'autre explication.

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S'il ne s'agit pas de mettre systématiquement en doute les propos des personnes que nous auditionnons, il nous revient, pour garantir le sérieux de nos travaux, de leur demander sur quels éléments de preuve ou d'expertise elles s'appuient pour affirmer certains points – je pense que c'était le sens de l'intervention de notre collègue de Ganay. Nous poserons d'ailleurs les mêmes questions aux représentants des autres associations que nous serons amenés à entendre.

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Ce ne sont pas les questions posées qui me gênent, monsieur le président.

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Au sujet du projet d'enfouissement de CIGEO à Bure – un territoire que je connais bien, étant députée de la Meuse –, vous avez fait état d'inquiétudes que j'ai du mal à comprendre, puisqu'elles portent sur des informations figurant dans le rapport de l'IRSN et l'avis de l'ASN, tous deux rendus publics. Je rappelle que ce projet n'en est qu'au stade expérimental et que les deux autorités que je viens de citer sont dans leur rôle quand elles informent le public en toute transparence en formulant des observations sur les expériences menées au sein d'un laboratoire d'étude – en l'occurrence, elles ont fait état d'un risque d'incendie lié aux déchets bitumineux. J'insiste sur le fait que la demande d'autorisation n'est même pas déposée et qu'en l'état actuel seul un laboratoire d'étude est en activité.

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Notre responsabilité en tant qu'élus ne consiste pas seulement à appeler l'attention sur des problèmes et des risques : nous avons aussi à les connaître et à les évaluer précisément et, sur la base de ce diagnostic, à formuler des préconisations, portant notamment sur les évolutions possibles ou souhaitables. Sans remettre en cause votre expertise et votre capacité à produire un constat fiable, je trouve dommage que vous vous contentiez d'établir ce constat, sans faire de propositions visant à améliorer les choses.

Vous avez évoqué le système de gestion des informations qui, selon vous, ne permet pas d'avoir connaissance en temps réel des problèmes qui se posent. Il ne me paraît pas très compliqué techniquement d'essayer de réfléchir à la façon dont ce système de gestion des informations pourrait être amélioré. Avez-vous des idées en la matière ?

Par ailleurs, vous avez dit que l'ASN manquait d'intransigeance. D'après vous, a-t-elle les moyens d'être plus intransigeante, et de quelle manière pourrait-on faire évoluer les missions et les prérogatives de l'autorité pour qu'elle puisse faire preuve d'une plus grande intransigeance ?

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Toujours au sujet de l'ASN, pensez-vous qu'en plus des questions de sûreté elle devrait aussi se charger des questions de sécurité ?

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Comme Mme Cariou, je suis très concernée par la proximité de Bure. Quelle que soit la trajectoire retenue en termes de sortie du nucléaire, les déchets existent et il faut les gérer. Quelles sont vos préconisations en la matière – stockage sur site, concentration, subsurface ou profondeur ?

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Charlotte Mijeon

Au risque de vous décevoir, je dois vous rappeler que le réseau « Sortir du nucléaire » a pour objet de promouvoir la sortie du nucléaire, et non de cogérer le nucléaire. Si nous pouvons faire certaines préconisations pour la gestion des centrales, nous plaidons avant tout pour qu'elles soient fermées car, tant qu'elles seront en fonctionnement et quand bien même elles seraient gérées correctement, elles continueront à poser des problèmes, notamment celui de la pollution résultant de l'exploitation des mines d'uranium – qui se traduit, au Niger, par la contamination des nappes phréatiques fossiles – et celui de la production de déchets.

Je comprends bien votre question sur CIGEO, madame Cariou, et je ne conteste pas le sérieux des travaux de l'ASN et de l'IRSN, qui mettent en exergue de façon très détaillée tous les dysfonctionnements relevés. Ce que nous contestons, c'est le décalage entre le caractère très sérieux des problèmes constatés et une communication souvent très lisse, consistant en un discours politique selon lequel CIGEO est sur les rails et qu'il faut mener le projet à son terme, car de toute façon on n'a pas le choix de faire autrement.

Je le répète, notre rôle n'est pas de cogérer des déchets dont nous n'avons pas souhaité la production, et nous n'avons donc pas de préconisations à formuler sur l'exploitation des centrales. Cela dit, en ce qui concerne CIGEO, nous constatons que l'on est en train de se précipiter pour mener à bien ce projet, comme s'il n'existait pas d'autre solution. Or, l'urgence ne consiste pas à construire CIGEO, mais d'abord à prendre la décision d'arrêter de produire des déchets ingérables ; il conviendra ensuite de réunir les conditions d'un débat serein, auquel pourront contribuer des experts de tout bord, notamment des associations comme la nôtre, afin de déterminer la moins mauvaise option pour la gestion des déchets – je ne dis pas « la meilleure option », car aucune n'est satisfaisante.

En l'état actuel, les conditions ne sont pas réunies pour qu'ait lieu ce débat serein, dans la mesure où certaines informations sont soit gardées cachées – je pense notamment au coût de CIGEO, qui ne nous a été communiqué qu'à la suite de la demande que nous avons adressée à la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), et qui constitue un élément à verser aux débats – soit manipulées au moyen de divers artifices comptables par les producteurs de déchets afin que ce coût paraisse moins élevé.

Pour ce qui est du système de gestion des informations, je répète encore que nous ne souhaitons pas cogérer le nucléaire. Cela dit, les travailleurs du nucléaire estiment que leur propre compétence en la matière n'est pas reconnue et déplorent que la communication de l'information se fasse selon des procédures excessivement complexes qui ne permettent pas de résoudre les problèmes. Je vous invite à les auditionner, car ils ont beaucoup de choses à dire sur ce point. Par ailleurs, je vous renvoie à la plainte que nous avons déposée contre la centrale de Belleville-sur-Loire à la suite du placement de la centrale sous surveillance renforcée en septembre 2017 en raison de plusieurs problèmes, notamment l'état de corrosion avancé de certaines canalisations et des dégradations significatives d'équipements importants pour la sûreté, empêchant que ceux-ci fonctionnent normalement – cet état étant apparemment dû au fait que des demandes de travaux se perdent dans la nature.

Enfin, vous nous avez demandé, madame la rapporteure, quelles sont les évolutions possibles de l'ASN, et si elle ne devrait pas se charger aussi de la sécurité. Nous pensons qu'elle devrait effectivement s'en charger, comme le font d'autres autorités de sûreté à l'étranger, car il n'est pas normal qu'elle n'ait pas son mot à dire en la matière.

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Martial Château

Il n'existe toujours pas de solution satisfaisante au problème des déchets qui se pose depuis soixante-dix ans, et on a l'impression que la marche forcée qui nous est imposée avec CIGEO a pour seul objet de nous faire croire qu'il en existe une, afin de pérenniser le nucléaire. Ainsi, quand on affirme que ce projet respecte le principe de réversibilité, on se garde bien de préciser que la réversibilité n'est en fait prévue que pour les cent ans à venir, alors que le site doit abriter des déchets qui vont rester radioactifs durant plusieurs centaines de milliers d'années ! Comment, dans ces conditions, peut-on croire que cette solution d'enfouissement des déchets à 500 mètres de profondeur présente des garanties suffisantes en matière de sûreté et de sécurité ? Plutôt que de se précipiter, il convient de prendre des mesures qui permettront réellement de réintervenir sur les conteneurs de déchets en cas de problème. Telles que les choses sont actuellement prévues, si un problème survient à 500 mètres de profondeur dans une centaine d'années, on ne pourra rien faire.

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Madame, monsieur, je vous remercie pour votre disponibilité et la clarté de vos propos.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 15 h 30

Présents. - Mme Bérangère Abba, M. Xavier Batut, M. Philippe Bolo, Mme Émilie Cariou, M. Anthony Cellier, M. Pierre Cordier, M. Grégory Galbadon, M. Claude de Ganay, Mme Perrine Goulet, Mme Célia de Lavergne, Mme Sandrine Le Feur, M. Adrien Morenas, M. Jimmy Pahun, Mme Mathilde Panot, M. Patrice Perrot, Mme Isabelle Rauch, M. Hervé Saulignac.

Excusés. - M. Philippe Bolo, M. Pierre Cordier.