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Fabienne Colboc
Question N° 32 au Ministère de l’intérieur


Question soumise le 12 juillet 2022

Mme Fabienne Colboc appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur les enjeux liés à la lutte contre le trafic d'espèces sauvages et notamment contre le trafic de viande de brousse par voies aériennes. Ce trafic, classé parmi les quatre activités illégales les plus lucratives au monde, représente une des causes majeures d'érosion de la biodiversité et menace la sécurité sanitaire du pays. Dans le cadre de la rédaction de la troisième stratégie nationale pour la biodiversité, le Gouvernement doit réaffirmer son engagement à lutter contre le trafic d'espèces. En effet, aujourd'hui, même si les agents des douanes et de l'OFB officient sur tout le territoire et réalisent de nombreux contrôles, cela reste malheureusement insuffisant pour stopper le commerce illégal d'espèces sauvages. De même, l'encadrement de la vente d'animaux en ligne instauré par la loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes promulguée le 30 novembre 2021 ne sera pas efficace contre le trafic d'espèces par voies aériennes. Pour rappel, sur le seul terminal 2 de Paris-Charles-de-Gaulle, du 1er janvier au 15 décembre 2021, 36 tonnes de denrées périssables illégales ont été saisies, dont plus d'une dizaine de tonnes de viande de brousse. Il s'agit de pangolins, de primates, de chauves-souris, d'antilopes, de poissons, d'agoutis, d'insectes, toutes les espèces sont affectées. Ce trafic menace non seulement les espèces et leurs écosystèmes, mais également la santé de tous. Plusieurs actions concrètes pourraient participer à la lutte contre ce trafic par voies aériennes : bénéficier d'indicateurs de suivi des flux et des mesures d'impact des actions mises en œuvre, renforcer l'affichage des produits interdits au départ des vols internationaux, développer la formation et la spécialisation des juges pour traiter les contentieux environnementaux comme des enjeux majeurs, relever le niveau de pénalisation du trafic illégal d'espèces au même niveau que celui du trafic de drogues ou d'armes, renforcer la formation et les moyens mis à la disposition des agents des douanes dans les aéroports et en particulier à Paris-Charles-de-Gaulle qui représente à lui seul plus de la moitié des enregistrements des saisies dans les aéroports français. Ainsi, elle lui demande quelles sont les mesures envisagées pour répondre à cette problématique.

Réponse émise le 24 janvier 2023

Le trafic de viande de brousse, également appelée viande sauvage ou encore viande de gibier, fait référence à la viande de mammifères non domestiqués, de reptiles, d'amphibiens et d'oiseaux chassés pour la nourriture dans les forêts tropicales. Ce trafic constitue une menace pour l'environnement et la biodiversité puisque nombre d'espèces consommées par ces pratiques sont menacées et couvertes par les réglementations de la convention de Washington (CITES). Elles sont soustraites à leur milieu naturel lors de la destruction des habitats ou intentionnellement chassées. Le trafic de viande est également source de réelles problématiques sanitaires liées au risque de transmission de certaines maladies tropicales graves et pathogènes à potentiel épidémique (Ebola, variole du singe, etc.), de risques bactériologiques liés aux mauvaises conditions de conservation ou à des contaminations chimiques dues aux procédés traditionnels de préparation. Parallèlement, ces pratiques peuvent constituer des risques pour les cheptels européens (maladie du charbon, fièvre aphteuse, coronavirus bovins, etc). La vente de viande de brousse constitue une activité économique relativement lucrative, notamment dans certains quartiers du nord de Paris ou au travers de ventes illicites sur Internet (Facebook Market). Selon un rapport de 2014, la viande d'agouti se négocie ainsi à 40 € le kg, celle de primate à 150 €. En comparaison, l'amende douanière (avec saisie et destruction) s'élève forfaitairement à 150 € pour 15 kg. Pour lutter contre ces trafics, le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer s'appuie notamment sur l'expertise de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et la santé publique (OCLAESP). Dans le cadre de ses activités, ce dernier traite des questions liées aux trafics d'espèces protégées.  Tous les enquêteurs de l'OCLAESP reçoivent ainsi une formation spécifique consacrée aux trafics d'animaux et à la réglementation de la CITES, dispensée par l'office et ses partenaires, au premier rang desquels figure l'office français de la biodiversité (OFB). Elle est assortie d'un recyclage après cinq ans. Cette formation est également délivrée aux 470 enquêteurs en charge des atteintes à l'environnement et à la santé publique (EAESP), qui constituent autant de relais au sein des unités territoriales. À l'horizon 2024, ce réseau devrait doubler pour atteindre 700 militaires formés. L'OCLAESP dispense aussi des formations au profit des policiers, magistrats et douaniers. En tant qu'officiers de police judiciaire (OPJ), ces personnels sont à même de traiter de procédures judiciaires relatives aux trafics illégaux d'animaux en lien avec l'OCLAESP. En 2016, à l'initiative de l'OCLAESP, les trafics d'espèces protégées ont été intégrés aux dispositions du code de procédure pénale (article 706-73-1) relatives à la criminalité organisée. En conséquence, pour mener leurs investigations dans ce domaine, les enquêteurs de l'OCLAESP et des unités de police judiciaire ont la possibilité de mettre en œuvre des techniques de renseignement ou des techniques spéciales d'enquête spécifiques. Il en va de même pour les enquêtes sous pseudonyme qui permettent aux enquêteurs, spécialement habilités, de se faire passer pour des acheteurs sur Internet. Enfin, l'OCLAESP a régulièrement recours à des moyens d'observation-surveillance spécialisés ainsi qu'aux moyens nautiques, aériens ou d'intervention de la gendarmerie. Outre l'OCLAESP, en charge des trafics d'ampleur, et des unités territoriales de la gendarmerie et de la police nationale, d'autres services disposant de compétences spécifiques participent activement à la lutte contre le trafic de viande de brousse. Il s'agit notamment des Douanes, de l'OFB, de la BNEVP (ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire) ou encore de la gendarmerie des transports aériens et des aéroports de Paris. La lutte contre le trafic de viande de brousse s'appuie sur de nombreuses réglementations : règles régissant le commerce des espèces protégées et des produits qui en sont issus, réglementation phytosanitaire visant à préserver l'Union européenne de nombreuses maladies et parasites affectant les êtres humains, les animaux et les plantes, code de l'environnement (ex : articles L411-1 et L411-2 sur la protection des espèces), code des douanes, code pénal, etc. Les résultats de la lutte contre les trafics d'animaux protégés sont réels puisque des opérations ciblées sur ce contentieux, menées depuis 2014, ont permis de mettre au jour des trafics importants transitant essentiellement par les aéroports bruxellois et parisiens. D'après un rapport établi par les Douanes, l'OCLAESP, et la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), 42 vols ont fait l'objet de contrôle des bagages. Récemment, c'est essentiellement au détour d'actions sur le trafic d'animaux sauvages que l'existence de trafics de viande de brousse est apparue. À titre d'exemple, une opération déclenchée en juin 2018 s'est conclue par la saisie de 43 tonnes de viandes sauvage (ours, zèbre, éléphant). Pour l'année 2021, 2 163 kg de denrées alimentaires (viandes et poissons) ont été saisis sur les voyageurs en provenance de Côte d'Ivoire et 73 kg ont été abandonnés par ces voyageurs. Afin d'accroître la lutte contre ce phénomène, des perspectives existent dans le renforcement des actions menées sur les plateformes aéroportuaires de Roissy (95) et Orly (94), hub du Maghreb, par lesquelles pourraient transiter de grandes quantité de viande de brousse. L'utilisation de chiens renifleurs, à l'instar de ce qui est pratiqué dans certains aéroports américains, est également une piste à explorer. Conformément à la volonté gouvernementale de faire de la lutte contre la criminalité environnementale une priorité, l'OCLAESP, qui compte à ce jour 200 enquêteurs (gendarmes, policiers et civils), a vu ses effectifs augmenter avec la création récente de six détachements en métropole (Bordeaux, Marseille, Lyon, Rennes, Nancy et Valenciennes) et trois en outre-mer (La Réunion, Guyane et Polynésie Française). Le renforcement des moyens consacrés à la lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique se traduira également par la formation, actuellement en cours, de 3 000 gendarmes verts, faisant suite aux engagements du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer.

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