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Aurélien Saintoul
Question N° 3994 au Ministère auprès du ministre du travail


Question soumise le 13 décembre 2022

M. Aurélien Saintoul interroge M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur les conséquences de la réforme de l'apprentissage de 2018, dite pour « la liberté de choisir son avenir professionnel ». En 2017, le candidat à la présidentielle Emmanuel Macron déclare vouloir développer l'apprentissage chez les jeunes. Avec la réforme de 2018, l'apprentissage est passé de 300 000 contrats en 2017 à 730 000 en 2021. Le pari semble tenu pour le Président de la République, qui souhaite désormais atteindre un objectif d'un million d'apprentis d'ici la fin de son second quinquennat. En effet, avant 2018, seules les régions décidaient de l'ouverture de centres de formation d'apprentis (CFA), financés par le prélèvement de la taxe d'apprentissage auprès des entreprises. Désormais, n'importe qui peut ouvrir un CFA. Il y en a désormais 3 000 sur tout le territoire. Néanmoins, le résultat de cette mesure est plus mitigé que ces chiffres ne le laissent penser. La Cour des comptes indique que cette mesure n'a eu que peu d'impact sur l'emploi, les contrats d'apprentissage prenant le pas sur des CDI et CDD. En effet, il s'agit d'une aubaine pour les entrepreneurs, qui peuvent embaucher de la main-d'œuvre vulnérable et presque gratuite tant les subventions sont élevées. Le salaire d'un apprenti, en général proche du SMIC, est exonéré de cotisations sociales et pris en charge, selon son âge, entre 45 % et 100 % par l'État. Il coûte entre 20 % et 55 % du SMIC pour l'employeur. De plus, l'employeur obtient à chaque nouvelle embauche une subvention de 5 000 euros pour un apprenti mineur et de 8 000 euros pour un apprenti majeur. Par ailleurs, des fonds d'investissement se sont mis à acheter des CFA dans un objectif lucratif. En effet, pour chaque apprenti, l'État donne également un chèque à son centre de formation. Ces derniers sont donc parfois virtuels, comportant simplement quelques cours préenregistrés et n'apportant aucun accompagnement aux jeunes inscrits. La marge moyenne de ces centres est aux alentours des 40 %. Certains d'entre eux proposent même des contrats avec des frais d'inscription exorbitants pour les apprentis, a priori pris en charge par les subventions, mais pour lesquels aucun débouché en entreprise n'est finalement possible. Le jeune doit alors payer ces frais de sa poche. Enfin, de nombreux employeurs embauchent et licencient dans la foulée pour toucher la prime accordée par l'État. Aucune information n'est connue à ce jour concernant le nombre de ruptures de contrats d'apprentissage par an. Certains étudiants ayant cumulé deux voire trois contrats dans la même année, le chiffre de 730 000 apprentis mentionné plus tôt est donc à prendre avec précaution. Au surplus, si tous ces dysfonctionnements sont parfaitement légaux, ils ont cependant un coût : pour l'année 2021, 11,3 milliards d'euros ont été dépensés pour l'apprentissage, soit deux fois plus que le budget de l'enseignement professionnel public, une augmentation du coût moyen par apprenti de 17 % par rapport à 2017. Pire encore, la Cour des comptes alerte sur un déficit de 5,9 milliards d'euros de France compétences, l'organisme de financement de l'apprentissage. Aucun garde-fou n'est aujourd'hui en capacité d'empêcher les dévoiements induits par la réforme de 2018. L'inspection du travail est particulièrement sous-dotée et la certification « Qualiopi », nécessaire pour l'ouverture d'un CFA et censée garantir la qualité d'enseignement, est très simple à obtenir puisqu'il suffit de justifier de l'existence de quelques procédures administratives. Au vu de tous ces éléments, M. le député souhaite donc savoir combien de contrats d'apprentissage sont rompus tous les ans et quel est le taux de refus de la certification « Qualiopi ». Il demande également combien de personnes ont été flouées par des centres aux pratiques frauduleuses et pour quel montant total. Il désire enfin connaître les moyens que le Gouvernement compte mettre en place pour stopper ces pratiques inacceptables et renforcer la voie d'enregistrement professionnelle publique, qui constitue le meilleur moyen de prévention de ces abus et dérives.

Réponse émise le 4 juillet 2023

La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a pour objectif de transformer l'alternance pour en faire un système plus simple, plus efficient et plus transparent, favorisant l'innovation et la réussite éducative et professionnelle des jeunes. Si l'apprentissage a connu un fort développement depuis 2018, comme peut en témoigner l'augmentation sans précédent du nombre d'apprentis (837 000 en 2022), l'objectif du Gouvernement est d'atteindre 1 million d'apprentis par an d'ici 2027, car cette voie de formation permet à la fois de favoriser l'insertion professionnelle des jeunes et de répondre aux besoins en compétences des entreprises. A ce titre, en 2022, 7 jeunes sur 10 trouvaient un emploi durable dans les six mois suivant leur diplomation.  En outre, en 2022, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du Ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion a indiqué que, parmi les apprentis qui ne poursuivent pas leurs études, 65 % occupent un emploi salarié dans le privé 6 mois après leur sortie. Dans six cas sur dix, l'emploi occupé est un contrat à durée indéterminée, et trois sortants sur dix travaillent chez l'employeur où ils ont effectué leur apprentissage. Pour les parents d'enfants scolarisés, l'image de l'apprentissage est aujourd'hui très largement positive selon un sondage BVA « l'apprentissage, un parcours stimulant » (2022). Ainsi, 94 % considèrent que le recours à l'apprentissage est une bonne chose. Parmi ces mêmes parents 89 %, seraient favorables à ce que leur enfant suive une partie de leurs études supérieures en apprentissage, mais aussi au lycée pour 81 %. Ils considèrent aussi qu'il s'agit d'une voix d'excellence (76 %). Pour 88 %, l'apprentissage est garant d'un enseignement de qualité. Le Gouvernement, agissant en responsabilité, assume l'investissement réalisé en faveur de l'avenir de nos jeunes via l'apprentissage. Toutefois, le soutien marqué de l'Etat à cette voie de formation n'exonère pas de toute action de régulation. C'est la raison pour laquelle, concernant l'aide aux employeurs d'apprentis, dès janvier 2023, celle-ci est passée de 8 000€ (5 000€ pour un mineur), à 6 000€ pour tous les apprentis.  Dans cette même logique, un travail de régulation a été entamé entre l'Etat et ses partenaires, pour redéfinir les niveaux de prise en charge des contrats d'apprentissage, afin de s'assurer que les montants versés par France compétences soient au plus proche de la réalité des coûts de formation dans les établissements. C'est dans la perspective d'assurer un « juste prix » de la formation en apprentissage qu'une première baisse des niveaux de prise en charge a été appliquée au 1er septembre 2022. Afin de pouvoir proposer sur tout le territoire des formations en adéquation avec les besoins en compétences des entreprises et les demandes des jeunes souhaitant intégrer cette voie de formation, il était nécessaire de développer l'offre de formation. Les centres de formation d'apprentis (CFA) sont aujourd'hui en capacité de se développer de manière réactive et agile.  Des mécanismes de régulation et de contrôle des CFA existent par ailleurs afin de s'assurer qu'ils remplissent leurs missions et obligations envers les apprentis, l'apprentissage participant activement à l'effort éducatif de la nation. Ainsi, outre les obligations de droit commun des organismes de formation professionnelles qui s'appliquent aux CFA, ces derniers sont soumis à des sujétions particulières d'ordre public, l'apprentissage relevant de la formation initiale : mise en place d'un conseil de perfectionnement ; exigence d'une comptabilité séparée ; respect des 14 missions dont l'accompagnement renforcé des apprentis dans diverses situations (article L. 6231-2 du code du travail). La libéralisation de l'offre de formation en apprentissage a rendu nécessaire l'instauration de mécanismes d'intervention a posteriori permettant d'assurer la qualité des formations dispensées. Ces mécanismes s'illustrent à travers les différents contrôles (contrôle pédagogique des certificateurs, contrôles des opérateurs de compétences, contrôle administratif et financier des services régionaux de contrôle), l'obligation de certification qualité « Qualiopi » et la publication des indicateurs Inserjeunes. S'agissant plus particulièrement de la certification Qualiopi, l'arrêté du 31 mai 2023 portant diverses mesures en matière de certification qualité des organismes de formation a étendu le périmètre de la certification aux aspects pédagogiques de la formation, tout en renforçant les exigences attendues dans le cadre des audits réguliers de contrôle.  S'agissant des ruptures de contrat, il convient de souligner que l'aide aux employeurs d'apprentis, versée mensuellement pendant 12 mois maximum, n'est plus versée en cas de rupture anticipée d'un contrat ou de suspension du contrat entrainant une interruption du versement de la rémunération. Un employeur ne peut donc pas mettre fin opportunément au contrat d'un apprenti et continuer à bénéficier de l'aide financière, rendant impossible tout effet d'aubaine en la matière. De plus, lorsqu'un contrat d'apprentissage est rompu de manière anticipée, et afin d'éviter tout décrochage, l'apprenti est en droit de poursuivre son cycle de formation en CFA pendant six mois maximums, dans l'objectif de trouver un nouvel employeur et terminer sa formation. Le code du travail fait obligation au CFA d'accompagner l'apprenti dans ses démarches, et des cellules régionales d'appui ont été constituées dans chaque région pour assister le jeune dans sa recherche d'un nouvel employeur ou pour trouver une solution de poursuite de la formation ou d'insertion dans l'emploi. Cependant, le Gouvernement œuvre avec l'ensemble des acteurs de l'apprentissage afin de garantir et renforcer la qualité des apprentissages. Des travaux ont été lancés avec les financeurs, les certificateurs et les réseaux de CFA afin de dégager des mesures visant à mieux cibler les contrôles, renforcer la coordination entre les organes effectuant ces contrôles, et de doter les contrôleurs d'outils adaptés de sanction pour mettre fin à toute situation d'abus. Par ailleurs, dans l'hypothèses de modifications nécessitant une intervention du législateur, les partenaires sociaux seront associés à ces travaux dans le cadre de la concertation.

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