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Hadrien Clouet
Question N° 514 au Ministère de l’économie


Question soumise le 2 août 2022

M. Hadrien Clouet interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le mandat donné par l'État à son administrateur public auprès d'Airbus. Alors que la crise sanitaire a fragilisé des millions de Françaises et de Français, des milliers de petites et moyennes entreprises et n'a pas épargné le secteur de l'industrie aéronautique, le groupe Airbus affiche des résultats records. Le bénéfice présenté au mois de février 2022 atteint 4,2 milliards d'euros, dépassant d'1,1 milliard d'euros son précédent record de 2018. Ce résultat a conduit à reprendre le versement de dividendes aux actionnaires. Le prix de l'action a même quintuplé en une décennie. Afin de maximiser son rendement, le groupe Airbus s'est détourné de toute stratégie industrielle, pour moduler uniquement le volume de personnel. Il embauche et licencie en fonction de la valeur immédiate des titres, ce qui interdit toute perspective industrielle à moyen et long terme. Ainsi, la bonne santé financière du groupe s'est soldée par la suppression de milliers d'emplois (non-compensée par les recrutements actuels), la dégradation des conditions de travail, le recours croissant à une sous-traitance précarisée, la multiplication des prestations auto-entrepreneuriales substituées aux embauches et la baisse drastique de la proportion du chiffre d'affaires alloué à la recherche et développement. Ces évolutions sont étonnantes, dans la mesure où l'État est très présent à Airbus. Il détient 11 % du capital et constitue l'actionnaire majoritaire. Sa place est consolidée par l'absence d'actionnaire privé de référence. En outre, les aides publiques sont nombreuses : chômage partiel durant la crise de 2020, commandes anticipées des forces armées, investissements du conseil pour la recherche aéronautique civile... En dépit de cette présence, ni le rapport d'information parlementaire ni l'expression publique de M. Faury ne mentionnent jamais le rôle de l'État, que ce soit comme stratège, pilote, décideur ou donneur d'ordre. On est donc payeur, mais pas décideur. M. le député demande par conséquent à M. le ministre quelle est la feuille de route de l'actionnaire public français. Quelles exigences sont formulées au conseil d'administration, à l'heure où les salariés subissent de plein fouet les effets de l'inflation et où l'urgence climatique commande de mobiliser leurs savoir-faire pour organiser la bifurcation de la filière aéronautique ? Comment M. le ministre entend-il structurer une coopération durable entre représentants de l'État et syndicats d'Airbus, comme il est de rigueur en Allemagne ? Quelles synergies sont envisagées entre Airbus et d'autres industries à participation publique pour mutualiser la recherche et développement (R&D), par exemple sous la forme de groupements d'intérêt scientifique ? Quel échéancier détaillé est prévu pour suivre le respect des engagements d'Airbus vis-à-vis de l'État, au titre des aides publiques versées (notamment concernant l'avion dit « neutre en carbone », exigé pour 2035) ? Par ailleurs, quelle forme prend la coordination entre actionnaires publics français et allemands ? En somme, il lui demande quelles mesures il envisage d'adopter pour réorienter Airbus, dont le management supérieur se contente d'améliorer la profitabilité financière, aux dépens de l'avenir industriel et économique du groupe, d'une filière, d'un territoire et des milliers de travailleuses et de travailleurs qui les ont bâtis et les font vivre.

Réponse émise le 18 octobre 2022

Le Gouvernement tient d'abord à rappeler qu'il attache beaucoup d'importance à un dialogue de confiance entre l'État, les parlementaires, les collectivités territoriales et l'ensemble des acteurs de la filière aéronautique dans le suivi et l'accompagnement des entreprises de ce secteur, crucial pour notre industrie et qui a été particulièrement touché par la crise sanitaire. Tout d'abord, il est important de rappeler qu'Airbus est une société européenne cotée de droit néerlandais détenue à 11 % par l'État français, 11 % par l'État allemand et 4 % par l'État espagnol. Aux termes des règles de gouvernance spécifiques à la société, aucun des États actionnaires ne siège au conseil d'administration qui est composé de 12 membres : 11 indépendants, dont le président du conseil d'administration, René Obermann, et le directeur général, Guillaume Faury. Toujours aux termes des règles de gouvernance, l'État dispose du droit d'agréer la nomination de deux administrateurs indépendants auxquels il n'a pas à donner d'instruction et desquels il n'a pas le droit d'obtenir des informations non publiques. Les administrateurs actuels qui ont été approuvés par l'État sont Mme Catherine Guillouard et M. Jean-Pierre Clamadieu. Cette situation, unique au sein du portefeuille des participations directes de l'État, découle des spécificités de l'actionnariat d'Airbus et de son histoire. Airbus, qui structure un important écosystème en France, n'en demeure donc pas moins une entreprise stratégique pour l'État, qui suit avec la plus grande attention les initiatives du groupe, tout comme celles de l'ensemble de la filière aéronautique française. À ce titre, nous devons nous réjouir de l'augmentation de la valorisation de l'entreprise au cours des dernières années, signe d'une excellente performance économique et industrielle du groupe, et de la solide performance financière sur l'année 2021 qui reflète la reprise progressive du marché mondial de l'aéronautique suite à une crise sans précédent qui a affecté l'ensemble de la filière. La vigilance reste toutefois de mise car la situation géopolitique et économique génère de nouvelles incertitudes pour le secteur. Conscient des défis rencontrés par ses fournisseurs et partenaires, le groupe Airbus a ainsi annoncé lors de l'annonce de ses résultats du premier semestre 2022, un ajustement des étapes de remontée en cadence de la famille A320 en 2022 et 2023, tandis que ses équipes collaborent activement avec l'ensemble de la supply chain afin d'atteindre une cadence de production de 75 avions par mois d'ici à 2025, soutenue par une forte demande des clients. Airbus est, par ailleurs, pleinement engagée dans le soutien à la chaîne d'approvisionnement et dans la préparation de la remontée en cadence tout en préservant les compétences et l'outil industriel de la filière dans le cadre de sa souscription aux côtés des autres grands donneurs d'ordre, et de l'État, au fonds d'investissement ACE Aéro Partenaires, qui a été très rapidement mis en place dans le cadre du plan de relance aéronautique. La société Airbus est également un bel exemple de réussite industrielle européenne, comme le montre le partenariat étroit entre la France et l'Allemagne dans le suivi et l'accompagnement des entreprises du secteur aéronautique, si crucial pour notre industrie. La force d'Airbus est son ancrage et son caractère européen, en particulier franco-allemand, et l'État français, en tant qu'actionnaire, se coordonne systématiquement avec les États actionnaires allemand et espagnol dans le cadre des règles de gouvernance et des relations qu'il entretient avec le groupe Airbus. Concernant la recherche et développement, l'un des défis majeurs pour Airbus comme pour l'ensemble de la filière aéronautique et des pouvoirs publics, est la décarbonation de l'aviation. Au-delà de ses avions récents qui émettent 25 % de moins que les plus anciens, l'entreprise travaille sur plusieurs concepts afin d'aboutir à un avion commercial décarboné en 2035. Dans le cadre du plan de relance aéronautique, le budget du Conseil pour la Recherche Aéronautique Civile (CORAC), l'organe de concertation entre l'État et l'industrie dédié à la mise en place du programme national de recherche qui engage toute la filière française - équipementiers et PME du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), pôles de compétitivité, clusters régionaux, instituts de recherche technologiques, laboratoires académiques, ONERA - a été significativement augmenté. L'État a ainsi mobilisé un budget de 1,5 Md€ sur la période 2020-2022 afin d'accélérer les efforts de R&D en faveur de la décarbonation. Cette stratégie s'appuie sur une concertation approfondie entre les services de l'État et les acteurs industriels autour de programmes cohérents et ambitieux, répondant aux enjeux de long terme de la filière, elle-même consciente de l'absolue nécessité de développer des stratégies de R&D et d'investissement de long terme, loin de toute approche financière et court-termiste. Elle est adossée à la forte expertise étatique, notamment de la DGAC, et du centre de recherches de haut niveau qu'est l'ONERA. Cette démarche permet de synchroniser les efforts de R&T et de R&D, afin d'intégrer l'ensemble des dimensions technologiques lors du lancement de nouveaux produits et conserver ainsi notre leadership français. Bien entendu, les fonds publics versés au profit du CORAC sont attribués à des projets localisés en France, projets qui d'ailleurs dépendent pour leur réalisation de moyens industriels et surtout de compétences humaines techniques localisées en France. L'État est ainsi pleinement mobilisé pour la compétitivité et l'avenir de la filière aéronautique française, et continuera à suivre avec la plus grande attention toutes les initiatives qui s'y rapportent.

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