Intervention de Jean-Pierre Lacroix

Réunion du 19 octobre 2016 à 11h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l'Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères :

S'agissant de la réforme du statut des ONG, cela fait maintenant plusieurs années que le régime en place à Bakou a adopté des lois restrictives. La première d'entre elles, qui date de 1998, portait déjà sur les subventions et elle a été durcie en 2013 puis en 2014. La situation actuelle est la suivante. Les personnes morales étrangères ne peuvent pas accorder de subventions aux ONG azerbaïdjanaises, sauf si elles ont reçu l'accord du ministère de la justice, de sorte que la dépendance de ces ONG vis-à-vis du pouvoir et des sources internes de financement s'est accrue, dans un pays dont on connaît le climat économique. Cette situation a été critiquée publiquement à diverses reprises, notamment par la Commission de Venise, qui a émis, en 2014, un avis négatif sur les récentes modifications de la législation, au motif que celles-ci restreignaient davantage encore les activités des ONG.

Ces dernières font, par ailleurs, l'objet d'une méfiance institutionnalisée qui se traduit, un peu comme en Russie du reste, par des pressions et des accusations permanentes reposant, d'une part, sur la thèse de l'influence étrangère – thème qui est facile à exploiter dans le contexte conflictuel qui est celui de l'Azerbaïdjan – et, d'autre part, sur l'argument de la lutte contre le fondamentalisme islamique, laquelle est par ailleurs perçue comme étant de nature à apaiser les critiques occidentales. C'est pourquoi il nous paraît pertinent – et c'est d'ailleurs une politique que nous jugeons adaptée à beaucoup de situations de ce type – de continuer à mettre l'accent sur le soutien apporté aux défenseurs locaux des droits de l'Homme, de façon à montrer aux autorités que nous menons également des actions concrètes.

En ce qui concerne les époux Yunus, nous avons suivi de très près la situation de ces personnalités qui occupent une place majeure dans le paysage de la défense des libertés et des droits de l'Homme en Azerbaïdjan. Cette préoccupation s'est traduite par des démarches constantes, à tous les niveaux ; j'ai évoqué, à ce propos, l'intervention du Président de la République lorsqu'il a rencontré, le 25 avril 2015, à Bakou, en tête-à-tête, le Président Aliev. M. Yunus a ainsi été libéré en novembre 2015, puis la condamnation de son épouse a été commuée en peine avec sursis. Ils ont pu quitter l'Azerbaïdjan en avril dernier, et ils se trouvent aujourd'hui aux Pays-Bas. Les résultats que ces démarches ont produits attestent de ce que nous pouvons faire collectivement – car si la France a joué un rôle de premier plan, elle n'a pas agi seule – et confirment que l'Azerbaïdjan est sensible à nos interventions. De fait, ce pays n'a pas la même taille que la Russie, et il a besoin du partenariat avec l'Union européenne. Nous disposons donc de leviers, qu'il nous faut utiliser au mieux. Cela signifie qu'il nous faut doser de manière adéquate nos déclarations publiques et nos interventions privées, car nous devons être utiles. Cependant, nous devons être attentifs à ce que l'évolution positive de certaines situations individuelles et symboliques – le cas de M. Mammadov est néanmoins toujours pendant – ne soit pas manipulée par les autorités de manière à en faire une sorte de pôle de cristallisation susceptible de faire passer au second plan la situation de fond qui, elle, n'évolue pas positivement. Mais vous connaissez cette dialectique complexe entre la nécessité de traiter les cas spécifiques et l'attention que nous devons porter à la situation de la société civile ou de la presse ; elle n'est pas propre à l'Azerbaïdjan.

Quant au nombre des réfugiés politiques présents sur notre sol venant d'Azerbaïdjan et des demandes effectuées en France, je ne peux pas vous l'indiquer aujourd'hui, mais nous ferons en sorte de vous communiquer ces éléments très rapidement.

Par ailleurs, nous constatons un certain intérêt de l'Azerbaïdjan pour le développement de la coopération culturelle, et ce pour différents motifs liés à un souci d'image, ainsi qu'à une volonté de renforcer les structures éducatives. Cette forme d'ouverture peut paraître paradoxale au regard de la situation politique du pays, mais elle est réelle. Nous pensons que nous avons intérêt à poursuivre ces partenariats, notamment avec les universités, et à encourager, le cas échéant, le développement de coopérations avec d'autres pays francophones. Ceci n'est pas contradictoire avec la grande vigilance que nous exerçons sur la question des droits de l'Homme, car il s'agit précisément de mener une politique qui favorise l'ouverture partout où elle est possible. La création, cette année, avec l'aide de l'Université de Strasbourg, de l'Université franco-azerbaïdjanaise sera très significative à cet égard. Par ailleurs, l'Université des langues de Bakou s'est rapprochée de l'association universitaire de la francophonie ; ce mouvement nous paraît également positif et nous souhaitons l'encourager. Encore une fois, une coopération culturelle bien calibrée, qui n'oublie pas qu'elle s'inscrit dans un contexte particulier et qu'elle doit favoriser des objectifs liés à la promotion des droits de l'Homme me semble positive.

M. le rapporteur m'a interrogé sur la mission de M. Forst. Dans son rapport, celui-ci analyse les pressions exercées sur les défenseurs des droits de l'Homme et, plus spécifiquement, sur les journalistes et leurs familles, ainsi que sur celles des prisonniers politiques et sur les avocats, emprisonnés ou placés sous un régime de liberté surveillée. Il s'est également intéressé à l'impact de la nouvelle législation sur les ONG, et j'ajoute qu'il a pu rencontrer M. Mammadov.

Ses conclusions vont globalement dans le sens que j'ai indiqué tout à l'heure. Il esquisse également quelques orientations, en insistant en particulier sur le fait qu'il est important que les représentations diplomatiques sur place évoquent de manière régulière auprès des autorités le cas des activistes emprisonnés, notamment de ceux qui ne bénéficient pas de l'attention médiatique. Par ailleurs, il propose – ce qui est louable, même si je ne sais pas dans quelle mesure les autorités y seront réceptives – de mettre en place une procédure plus systématique afin d'avancer, dans le cadre d'un dialogue avec les autorités azerbaïdjanaises, sur la voie de la création d'un État de droit plus performant. Cette idée mérite d'être encouragée, car c'est une manière d'exercer une pression sur ces autorités que de leur dire que nous sommes prêts à nous engager dans un tel processus. Reste, bien entendu, à évaluer son degré de faisabilité.

En tout état de cause, les critiques et les conclusions de M. Michel Forst sont globalement en ligne avec notre appréciation du contexte et de la situation des droits de l'Homme en Azerbaïdjan. Il est particulièrement positif qu'il mette l'accent sur la responsabilité de nos pays et de nos ambassades sur place.

En ce qui concerne les personnes déplacées, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) évalue leur nombre à plus de 600 000, dont la moitié sont installées à Bakou. Le HCR estime que des efforts sont faits par le Gouvernement pour favoriser leur intégration, mais l'accès à l'emploi, au logement ou à l'intégration sociale demeure globalement plus difficile pour ces personnes que pour le reste de la population.

S'agissant des votes de l'Azerbaïdjan aux Nations unies, nous ne disposons pas d'une analyse exhaustive et précise. Quoi qu'il en soit, ce pays est relativement peu présent. Il a cependant été membre du Conseil de sécurité en 2012 et 2013 et les positions qu'il a prises à ce titre ne nous ont pas posé de difficultés dans le cadre des discussions que nous avions, à cette époque, sur le dossier du nucléaire iranien. Néanmoins, l'Azerbaïdjan a toujours été plus réservé sur la question des sanctions, qui l'affectent indirectement. Sur la Syrie – dans un contexte différent du contexte actuel puisque l'implication russe était moindre –, la position de l'Azerbaïdjan a été globalement proche des positions occidentales, à un moment où il existait une assez grande convergence entre la Turquie, la France et le Royaume-Uni. On peut imaginer qu'aujourd'hui, ce serait globalement encore le cas, avec peut-être une sensibilité un peu plus grande au positionnement de la Russie, mais la proximité avec la Turquie est, de ce point de vue, très importante.

Bien entendu, la question du Haut-Karabagh est surdéterminante. Plusieurs éléments sont importants à cet égard : le besoin qu'a l'Azerbaïdjan de la solidarité des autres membres de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), sa relation un peu compliquée avec la Russie et son souci de ne pas se détacher de ses partenaires européens afin qu'ils prennent en compte les intérêts de l'Azerbaïdjan dans ce conflit.

Inutile de dire que, lorsque ce pays a l'occasion de se positionner sur les droits de l'Homme, il le fait rarement dans le sens de nos positions, sauf sur les questions que j'ai évoquées tout à l'heure : celle de la peine de mort et celle des droits de la femme – mais il faudrait vérifier ce dernier point, car l'Azerbaïdjan est sans doute, là aussi, dans une position d'équilibriste, compte tenu précisément des positions de l'OCI en la matière.

J'en viens à l'Union européenne. Nous sommes actuellement en négociation avec l'Azerbaïdjan pour la conclusion d'une sorte d'accord de partenariat. Nous considérons que ces négociations doivent être l'occasion de mettre la question du respect des droits de l'Homme et de l'État de droit sur la table. On n'a rien sans rien, quelles que puissent être les considérations stratégiques qui plaident en faveur de la conclusion de cet accord. C'est en tout cas le sens des recommandations que nous avons faites, et je pense qu'elles ont été suivies.

Sur la relation de l'Azerbaïdjan avec l'OTAN, je ne dispose pas d'éléments particuliers, mais je m'efforcerai de vous les communiquer très rapidement.

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