Intervention de Emmanuelle Cosse

Séance en hémicycle du 1er décembre 2016 à 15h00
Adaptation des territoires littoraux au changement climatique — Présentation

Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l’habitat durable :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je me dois tout d’abord de saluer cette initiative parlementaire qui vise à traiter un sujet émergent pour les habitants des territoires littoraux, l’érosion côtière. Ce phénomène grignote peu à peu les côtes françaises.

Avec ses 7 500 km de côtes, dont 1 650 km pour les départements et régions d’outre-mer, la France est particulièrement concernée par les risques littoraux. Aucun département côtier n’est épargné par les phénomènes d’érosion. En métropole, plus de 650 km de côtes sont en recul, la surface perdue en cinquante ans équivalant à 3 100 terrains de rugby.

Pas moins de 303 communes ont été identifiées comme prioritaires pour la mise en oeuvre des plans de prévention des risques littoraux sur le territoire métropolitain français, en raison du risque induit pour les vies humaines par une urbanisation insuffisamment maîtrisée.

Malgré l’existence de mesures antérieures, c’est une prise de conscience récente qui a amené les pouvoirs publics, suite à la catastrophe de la tempête Xynthia, à adopter en mars 2012 une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte. Cette première stratégie avait été élaborée, en prévoyant un programme d’action portant sur les années 2012 à 2015.

Parmi les principes de cette stratégie, je retiens deux points. Dans la perspective du changement climatique, il est nécessaire d’anticiper l’évolution des phénomènes physiques d’érosion côtière et de submersion marine. Cela passe par une bonne connaissance des aléas et du fonctionnement des écosystèmes côtiers dans leur état actuel et une prévision de leur évolution à dix, quarante et quatre-vingt-dix ans. Par ailleurs, il est nécessaire de planifier maintenant et de préparer les acteurs à la mise en oeuvre de la relocalisation à long terme des activités et des biens exposés aux risques littoraux, dans une perspective de recomposition de la frange littorale et ce, même si des mesures transitoires sont mises en oeuvre.

Madame la rapporteure, avec Chantal Berthelot, vous coprésidez le comité national pour le suivi de la mise en oeuvre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte. Ce comité a été installé par Ségolène Royal en janvier 2015. Ses travaux ont abouti à la remise d’un rapport à la ministre de l’environnement le 7 octobre 2015, « 40 mesures pour l’adaptation des territoires littoraux au changement climatique et à la gestion du trait de côte ».

Ces recommandations comportaient deux volets. L’un concernait l’amélioration de l’acquisition des connaissances. Les phénomènes d’érosion, notamment des dunes, peuvent s’avérer complexes. La possibilité de capitaliser la connaissance est tout à fait essentielle pour mieux déterminer l’aléa ; l’autre concernait l’élaboration de stratégies territoriales intégrée de trait de côte. Les propositions reprises dans cette loi prennent en compte ces recommandations. Sur bien des points, elle répond à des préoccupations restées longtemps sans réponse et apporte des solutions adaptées et équilibrées. En cela, je tiens à nouveau à saluer votre travail, mesdames les députés, travail auquel ont collaboré un certain nombre de parlementaires.

Cette proposition de loi met en avant la nécessité, pour les communes du littoral, de proposer une stratégie de gestion intégrée du trait de côte, englobant l’ensemble des enjeux associés à cette évolution, y compris du point de vue de la biodiversité. Cette stratégie de gestion intégrée doit être prise en compte dans les Schémas régionaux d’aménagement et de développement durable et d’égalité des territoires – SRADDET. Elle doit être déclinée au niveau local, notamment dans les documents d’urbanisme. Le préfet pourra également utiliser cette stratégie lors de l’élaboration des plans de préventions des risques littoraux.

Cette proposition de loi crée un nouvel outil qui permet d’aménager les zones soumises au risque d’érosion et, compte tenu de la durée envisagée des phénomènes d’érosion, de maintenir des logements et des activités économiques dans les zones soumises à risque. Elle crée, pour ces zones, un bail réel immobilier littoral, le BRILI, qui permet d’anticiper la décote des biens et de ne pas laisser des propriétaires voir la valeur de leur bien décliner inexorablement sans leur apporter de solutions. Ainsi, il sera possible pour les personnes qui désireraient rester dans leur logement après le rachat de leur propriété par la collectivité, de continuer à l’occuper en versant un loyer à cette même collectivité.

Enfin, cette proposition de loi apporte une solution très concrète aux problèmes rencontrés par les propriétaires de l’immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer, en Gironde, qui sont confrontés à une situation juridico-administrative difficile. Expulsés de leur logement pour cause de danger imminent, les habitants de cet immeuble attendent une indemnisation de la perte de leur bien. Je sous-amenderai en séance l’amendement de la rapporteure, ce qui, je l’espère, permettra de sortir par le haut de cet imbroglio judiciaire et d’y mettre un terme.

Si les dispositions constitutionnelles relatives au respect du droit de propriété protègent le propriétaire de toute tentative d’appropriation publique de son bien, sans donner lieu à de justes indemnisations, la protection des biens par l’action publique, comme l’a précisé le Conseil constitutionnel, ne constitue pas un droit et l’atteinte à l’intégrité physique de la propriété individuelle par les éléments naturels ne peut relever d’une responsabilité directe de l’État.

Contrairement à d’autres phénomènes naturels, l’érosion est un phénomène à cinétique lente. Il est possible de l’anticiper. La mise en place de l’indicateur national d’érosion côtière permettra de mesurer physiquement l’évolution du phénomène. Il n’est donc pas pertinent de vouloir lui appliquer un régime d’indemnisation qui vise à prévenir des risques immédiats et difficiles à anticiper, aujourd’hui indemnisés par le Fonds de prévention des risques naturels majeurs. Ce fonds est alimenté par un prélèvement sur les cotisations d’assurances « habitation ». Je proposerai donc deux amendements visant à tenir compte de cette caractéristique.

Je terminerai en vous remerciant, madame la rapporteure, pour l’énergie que vous avez mise dans l’élaboration de cette proposition de loi. Il fallait beaucoup de ténacité et de combativité pour faire avancer un sujet techniquement complexe, où les progrès sont aussi « à cinétique lente ».

Ces progrès sont pourtant indispensables car, avec l’entrée en vigueur de l’accord de Paris, nul ne peut ignorer la nécessité d’anticiper les conséquences du réchauffement climatique sur l’évolution de nos côtes. Il faut, dès maintenant, prendre des mesures. Je me réjouis que ce texte soit examiné aujourd’hui et inscrit à l’ordre du jour au Sénat, dès le 21 décembre en commission et le 11 janvier en séance, ce qui permettra de poursuivre les débats très rapidement.

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