Intervention de Cécile Duflot

Séance en hémicycle du 13 décembre 2016 à 21h30
Prorogation de l'état d'urgence — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

La sécurité est devenue la nouvelle raison d’État, qui légitime aux yeux de l’opinion tout renforcement des pouvoirs de police, au détriment de celui des juges judiciaires.

Cette inquiétude a été formulée très clairement. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, qui a rencontré Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, fin novembre, demeure persuadé que « plus l’état d’urgence dure, plus le risque est grand pour la démocratie et les droits de l’homme ». Effectivement, pour M. Muižnieks, c’est une illusion de penser pouvoir vaincre la menace terroriste à court terme. Pour autant, selon lui il n’est pas question de légitimer un état d’urgence qui s’éterniserait, sans quoi ce serait un renoncement à la démocratie, et donc la victoire des terroristes.

De quoi est-il question ? Près de 700 procédures liées à l’état d’urgence ont été engagées devant les juridictions administratives. Pour moitié, ce sont des procédures d’urgence, telles que les référés-liberté et les référés-suspension. La majorité de ces recours portent sur des assignations à résidence et, dans près d’un tiers des cas, la décision d’assigner a été suspendue par le juge administratif ou retirée – parfois la veille de l’audience – par l’exécutif.

Selon le rapport d’information sur le contrôle parlementaire de l’état d’urgence publié le 6 décembre, 612 arrêtés d’assignation à résidence ont été pris, concernant 434 personnes, parmi lesquelles 95 sont toujours sous le coup de cette mesure, dont 62 depuis juillet 2016.

Vous avez expliqué, monsieur le ministre, que dans nombre de cas, des procédures judiciaires avaient été engagées. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que lorsque ces procédures judiciaires, notamment pour apologie du terrorisme, ont débouché sur un non-lieu, les assignations à résidence n’ont pas été levées pour autant. Cette décision administrative est indépendante de la décision judiciaire : même lorsque les procédures judiciaires vont à leur terme et reconnaissent l’innocence des personnes mises en cause, les assignations à résidence peuvent être maintenues. C’est tout le problème de la séparation, et de la prise de décision par une autorité administrative.

Les juges administratifs font face à des critères d’assignations à résidence insuffisamment précis, puisque la loi sur l’état d’urgence telle que modifiée l’année dernière invoque un « comportement » susceptible de constituer une menace.

Parmi les personnes assignées à résidence, plusieurs le sont effectivement depuis près d’un an sans qu’aucune enquête judiciaire ne soit ouverte à leur encontre. Comment pouvons-nous accepter cette situation ? Selon des chiffres datant du mois dernier, 46 personnes sont assignées à résidences sur simple décision administrative depuis les premières semaines de l’état d’urgence. Elles ont mis leur vie entre parenthèses, vivent cloîtrées chez elles, ne peuvent plus travailler, n’ont plus de vie sociale, sont obligées de rester sur le territoire de leur commune et de pointer au commissariat deux à trois fois par jour.

Comme le remarque le Conseil d’État dans son avis sur ce texte, « la succession des prorogations de l’état d’urgence peut conduire à des durées d’assignation à résidence excessives au regard de la liberté d’aller et de venir ». La justice administrative a même accepté l’idée d’assignation à résidence justifiée de façon préventive pour ne pas gêner l’État dans ses missions de maintien de l’ordre, comme cela fut le cas des assignés à résidence à l’occasion de la COP21. Mais où nous mène cette jurisprudence ? Qu’allons-nous allons laisser en héritage ? Des assignations à résidence préventives, entre les mains de la prochaine majorité, que nous ne connaissons pas ?

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