Intervention de Philippe Errera

Réunion du 9 novembre 2016 à 16h15
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie au ministère de la défense, accompagné de M. Laurent Rucker, chef du bureau Europe orientale, et de M. Emmanuel Dreyfus, chargé de mission Europe orientale :

Je me réjouis de participer à cette mission d'information.

Pour tenter de répondre à vos questions, avant de vous exposer les principales caractéristiques de notre relation de défense avec Bakou, je souhaiterais vous présenter notre analyse sur l'environnement stratégique de l'Azerbaïdjan.

L'Azerbaïdjan, comme l'Arménie et la Géorgie, les deux autres pays du Caucase du Sud, évolue dans un contexte régional marqué par la réaffirmation de la puissance militaire russe. Le conflit du Haut-Karabagh, le poids de la Russie, de l'Iran et de la Turquie dans la région, le terrorisme islamiste constituent ses principales préoccupations stratégiques.

Le conflit du Haut-Karabagh représente l'enjeu de défense le plus important pour Bakou et structure la politique de défense azerbaïdjanaise. Opposant l'Azerbaïdjan à l'Arménie depuis 1988, ce conflit se caractérise par la persistance de ce que l'on a appelé une guerre de basse intensité. Alors que, jusqu'en 2014, il faisait en moyenne une quinzaine de morts par an, essentiellement du fait de snipers, l'année 2016, avec probablement plus de 200 morts, a été la plus meurtrière depuis la conclusion du cessez-le-feu en 1994. La montée des tensions qui s'est produite en avril dernier au Haut-Karabagh, avec la « guerre des Quatre jours », nous a rappelé que ce conflit n'était en rien gelé. Sans le travail du Groupe de Minsk – dont la France est membre depuis 1992 et co-présidente depuis 1997 – et de nos collègues du ministère des Affaires étrangères, cette « guerre des Quatre jours » aurait pu prendre une tout autre ampleur.

La politique russe dans la région s'articule autour de trois facteurs.

Premier facteur : le renforcement de l'influence de la Russie dans l'espace post-soviétique par tous les moyens, y compris le recours à la force, comme l'ont montré les interventions militaires en Géorgie, en 2008, et surtout en Ukraine, depuis 2014. Pour le dire de manière peut-être simpliste, en tout cas simplificatrice, l'objectif de Moscou est d'empêcher de nouveaux élargissements de l'Union européenne et de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) dans cet espace, et d'y réduire l'influence occidentale.

Deuxième facteur : la proximité du Caucase avec le Moyen-Orient, zone dans laquelle Moscou entend jouer un rôle de plus en plus affirmé. Les tirs de missiles de croisière effectués en octobre 2015 à partir des bâtiments de la flottille de Caspienne contre des cibles en Syrie illustrent la place que Moscou accorde à la région de la Caspienne et du Caucase dans le dispositif stratégique que la Russie met en place de la Baltique au Moyen-Orient.

Troisième facteur : avec la levée des sanctions à l'encontre de l'Iran, la Russie regarde avec un intérêt accru le Caucase du Sud, et l'Azerbaïdjan en particulier – je songe aux ambitieux projets de corridor ferroviaire Nord-Sud reliant la Russie à l'Iran via l'Azerbaïdjan.

Sur le plan politique, cette stratégie russe s'est notamment traduite par l'adhésion de l'Arménie à l'Union eurasiatique, en 2015, et par un important renforcement de la relation entre la Russie et l'Azerbaïdjan, avec la densification de la relation d'armement – j'y reviendrai – et la multiplication des visites de haut niveau, dont trois visites de Vladimir Poutine à Bakou depuis 2013.

Sur le plan militaire, le renforcement est encore plus patent : conclusion de nouveaux accords d'intégration et densification de la présence militaire russe dans les deux régions séparatistes géorgiennes, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud ; en Arménie, extension à 2059 du bail de la 102e base militaire russe de Gumri, forte de 2 500 hommes ; octroi en 2014 d'un prêt de 200 millions de dollars pour l'achat d'armement ; signature d'un nouvel accord de défense aérienne avec la Russie en 2015.

Ce renforcement a lieu alors que la présence militaire russe en Arménie est déjà conséquente. En témoignent la surveillance conjointe des frontières avec la Turquie et l'Iran à l'aide de plusieurs milliers d'hommes du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) et le fait que la défense de l'espace aérien arménien soit de facto assurée par les forces russes, dans le cadre du système de défense aérienne de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). S'y ajoute l'étroitesse des relations de défense entre industries de défense, dont atteste l'existence de joint-ventures russo-arméniennes. La Russie est en outre pour le moment le seul pays disposé à vendre de l'armement moderne à l'Arménie dans des conditions très avantageuses.

Enfin, la relation d'armement entre la Russie et l'Azerbaïdjan s'est elle aussi considérablement accrue ces dernières années. J'y reviendrai ultérieurement. Moscou a également renforcé sa présence en mer Noire, à la suite de l'annexion de la Crimée et conformément à la nouvelle doctrine navale russe, qui date de l'été 2015.

Dans ce contexte, l'Azerbaïdjan entretient de bonnes relations avec Moscou. C'est d'ailleurs le seul pays du Caucase du Sud sans présence militaire russe sur son territoire depuis l'évacuation de la station radar russe de Gabala en 2013. Cependant, le renforcement de la présence militaire russe aux frontières de l'Azerbaïdjan est suivi avec attention par Bakou.

Vous m'avez interrogé sur le terrorisme. Pays majoritairement chiite mais doté d'une forte minorité sunnite – plus d'un tiers de la population –, l'Azerbaïdjan est confronté à la menace du terrorisme islamiste, en raison à la fois de sa proximité géographique avec le Caucase du Nord et de l'attractivité des théâtres syrien et irakien pour certains Azerbaïdjanais radicalisés. Plusieurs centaines d'entre eux – entre 400 et 1 000 selon les estimations – seraient ainsi partis combattre au Levant ces dernières années, et une centaine y aurait été tuée.

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