Intervention de Johann Bihr

Réunion du 24 novembre 2016 à 10h30
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale, et de Mme Emma Lavigne, chargée de recherche Europe et Asie centrale, de Reporters sans frontières :

Ils sont peu nombreux, mais je n'ai pas eu connaissance de pressions exercées récemment sur eux. La plupart du temps, les journalistes étrangers viennent en reportage en Azerbaïdjan, sans y être basés. C'est notamment le cas de nombreux journalistes basés en Turquie, qui font des allers-retours entre les deux pays, ou, dans une moindre mesure, de correspondants basés à Moscou ou en Asie centrale.

Pour ce qui est de la présence de titres de la presse étrangère dans les kiosques, je crois qu'elle se limite à un ou deux titres russes disponibles à Bakou.

La presse azerbaïdjanaise comprend des titres indépendants, parmi lesquels il y avait jusqu'en 2014 Zerkalo, un journal ne s'attachant pas spécialement à dénoncer le pouvoir, mais qui pouvait aussi bien se montrer très critique vis-à-vis des politiques mises en place par les autorités, notamment en matière de politique étrangère, que rapporter des nouvelles jugées positives, ou donner la parole à des représentants des autorités. Elle comporte aussi des médias d'opposition, s'attachant à dénoncer les abus des autorités, notamment en matière de corruption. Au sein de la presse indépendante, Khadija Ismaïlova est une journaliste d'investigation qui, sans servir une cause politique particulière, brasse des masses de documents de la Cour des comptes et d'autres institutions, et démontre ainsi que le Président de la République et ses proches ont fait main basse sur des pans entiers de l'économie, dont ils ont accaparé les secteurs les plus rentables : des proches du Président de la République ont ainsi, par l'intermédiaire de sociétés offshore, le monopole dans le secteur de la téléphonie mobile.

Le régime exerce la même pression à l'égard des deux types de presse, cherchant à faire taire toute critique et toute investigation indépendante. Quant à la motivation, elle est un peu plus difficile à établir en l'absence de menace réelle contre un pouvoir bien établi. Le président Ilham Aliev a succédé à son père, Heydar Aliev, qui avait aussi été chef du KGB de la République socialiste soviétique d'Azerbaïdjan dans les années 1960. Le boom économique azerbaïdjanais, consécutif à la construction de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), consolide encore les ressources, la stabilité et les amitiés extérieures de ce régime.

À mon avis, cette campagne de répression est alimentée par un sentiment d'impunité : les autorités font taire toutes les voix critiques parce qu'elles sentent qu'elles peuvent le faire ; elles ne s'arrêteront que quand elles ne le pourront plus. En 2011, dans la foulée des printemps arabes, des manifestations de quelques centaines de personnes avaient eu lieu au centre de Bakou pour protester contre le régime. Elles avaient été vite réprimées, bien avant de prendre l'allure de camps de tentes à la Maïdan. De tels mouvements sont totalement inenvisageables en Azerbaïdjan où il n'y a vraiment pas de menace directe de soulèvement populaire. La répression s'abat parce que c'est possible. Les réseaux sociaux ne sont pas systématiquement censurés, mais ils peuvent l'être, au besoin, comme ce fut le cas lors des manifestations de 2011 et 2012. Les autorités sont tout à fait capables de bloquer l'intégralité de Facebook ou de YouTube.

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