Intervention de Johann Bihr

Réunion du 24 novembre 2016 à 10h30
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale, et de Mme Emma Lavigne, chargée de recherche Europe et Asie centrale, de Reporters sans frontières :

En effet, le cas de Rasim Aliev est assez particulier dans la mesure où ses agresseurs directs – le footballeur et des membres de sa famille – ont été condamnés. C'est un fait rare, et donc à noter, puisque la règle générale est plutôt l'impunité pour les auteurs de violences contre les journalistes.

En 2005, aucune enquête crédible n'a été diligentée quand Elmar Huseynov, rédacteur en chef de Monitor, le principal journal indépendant de l'époque, a été tué. Même chose dans le cas de Rafiq Tagi, dont on a célébré hier le cinquième anniversaire de la mort. Journaliste laïc, critique notamment à l'égard du régime iranien, il a été poignardé à Bakou en 2011.

Un fait intrigant relie Rasim Aliev à Rafiq Tagi : ils ont tous les deux fait l'objet de négligences médicales graves avant de succomber à l'hôpital – le même – où ils avaient été admis. Ni l'un ni l'autre n'était dans un état désespéré à son arrivée ; tous les deux ont commencé par aller mieux avant de décéder brutalement. Rafiq Tagi avait même accordé plusieurs interviews à la presse sur son lit d'hôpital et avait quitté l'unité de soins intensifs. A priori, son état était satisfaisant lorsque, brutalement, il est mort d'une hémorragie interne.

Rasim Aliev est également mort d'une hémorragie interne. Si ses agresseurs directs ont été emprisonnés, il subsiste des zones d'ombre, notamment sur ce qui s'est passé dans cet hôpital. Alors que Rasim Aliev avait été roué de coups, le médecin qui l'a examiné n'a pas diagnostiqué de déplacement de côte. Or c'est une côte déplacée qui a percé des organes et causé l'hémorragie. C'est une négligence étonnante.

Rasim Aliev était très engagé au sein de notre organisation partenaire en Azerbaïdjan, l'Institute for reporters' freedom and safety (IRFS). Comme toutes les autres organisations de soutien des médias, l'IRFS a été fermé durant l'été 2014 sur la base d'accusations concernant son financement, et en application de lois, directement inspirées de la législation russe, qui entravent les activités des ONG. Lorsque, en août 2014, un mandat d'arrêt avait été lancé contre lui, le directeur de l'IRFS, Emin Huseynov, s'était caché chez Rasim Aliev, puis s'était réfugié à l'ambassade de Suisse où, les autorités azerbaïdjanaises étant au courant de sa présence, il était resté bloqué pendant près de un an, avant d'être exfiltré l'été dernier par les autorités helvétiques.

Des doutes subsistent sur les causes de sa mort. Les auteurs des coups en sont-ils les seuls responsables ? On n'en est pas certain, mais on ne peut rien affirmer. Les faits restent assez troublants. La condamnation du footballeur et de ses proches n'est pas totalement satisfaisante. En tout cas, elle ne doit pas gommer le fait que l'impunité est la règle en ce qui concerne les assassinats, agressions ou enlèvements de journalistes. Il arrive en effet que des journalistes soient enlevés par les services de sécurité. Seymour Khazi, qui est actuellement emprisonné, a été enlevé en 2011 et on lui a fait subir un simulacre d'exécution. Alors qu'il couvrait les manifestations, il a été emmené dans une voiture où on lui a mis un sac sur la tête et un pistolet sur la tempe. Pendant toute la journée, on lui a dit qu'il devait arrêter de faire ce qu'il faisait. Il a finalement été relâché le soir, au bord d'une route.

Quant au moratoire sur la diffamation, il date de 2005 et n'a plus aucune portée pratique. La persécution des journalistes prend désormais des formes plus fantaisistes que les attaques en diffamation.

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