Intervention de Anne Castagnos-Sen

Réunion du 24 novembre 2016 à 10h30
Mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la france et l'azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au sud caucase

Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France :

La situation est très tendue, alors même que le Conseil de l'Europe est une organisation politique intergouvernementale qui s'efforce a priori d'arranger les choses de l'intérieur plutôt que d'arriver au point de rupture. Le Conseil de l'Europe s'est déjà retiré d'un groupe de travail sur la question des droits humains, parce qu'il a estimé ne pas être en capacité d'oeuvrer correctement dans cette enceinte. On arrive là à un nouveau point de rupture, ce qui, malheureusement, accrédite tous les constats que font, depuis des années, des organisations comme la nôtre.

La situation des ONG et des associations est très inquiétante. Selon les informations dont nous disposons, quasiment toutes les associations de défense des droits humains ou des droits fondamentaux – par exemple d'assistance juridique aux victimes – sont dans l'incapacité de travailler. Elles ont été fermées, les bureaux sont sous scellés, les comptes et les avoirs des organisations gelés, leurs dirigeants harcelés, intimidés, voire incarcérés. Les douze prisonniers libérés en mars dernier sont dans l'incapacité absolue de reprendre leurs activités. Leur condamnation n'a pas été annulée, mais certains l'ont vue commuée en une peine avec sursis, et elle reste donc comme une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. Leurs avoirs et comptes personnels ont été gelés. Enfin, on leur interdit en général toute fonction publique. Pour des journalistes ou des avocats, c'est, de fait, une mort économique.

On est dans une situation où toute voix critique indépendante, qu'elle soit médiatique ou associative, est dans l'incapacité absolue de se faire entendre dans le pays. Pour répondre à la question liminaire que vous m'avez posée, monsieur le président, on constate une véritable aggravation de la situation.

Pour ce qui concerne Amnesty, nous avons perdu quasiment tous les contacts que nous avions sur place depuis des années. Soit ils sont en détention, soit ils ont été libérés, mais ils sont dans l'incapacité de prendre contact avec nous. Nous avons beaucoup de mal à maintenir le lien que nous avions noué avec eux depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, il y a eu, cette année, nombre de nouvelles arrestations. Des obstacles législatifs ont été posés en 2009, puis en 2013, en ce qui concerne l'enregistrement et la légalisation du travail des associations, ainsi que leur activité en toute liberté.

Dès 2009, la loi a introduit l'obligation d'enregistrer les dons faits aux associations auprès du ministère de l'intérieur. Je vous laisse imaginer le caractère dissuasif de cette disposition auprès des donateurs… C'est, là encore, la marque d'une volonté de paralyser économiquement toute association ou faire taire toute voix libre et critique.

En 2013, de nouveaux amendements ont visé à limiter le montant des dons aux associations et obligé le destinataire du don à être également le titulaire du compte bancaire, ce qui veut dire qu'on ne peut pas verser de dons sur le compte bancaire d'une association, mais qu'on peut le faire sur celui d'un président d'association. Il y a un vrai risque de corruption et de détournements de fonds : or ce sont des accusations classiques portées à l'encontre des militants des droits de l'Homme et des dirigeants d'association. Certaines associations, qui refusent que les dons soient versés sur le compte de leurs dirigeants, sont dans l'incapacité de se financer. C'est un grand classique, et pas seulement en Azerbaïdjan : quand on veut empêcher les ONG de travailler, on légifère pour les étrangler économiquement.

La loi concernant l'enregistrement des dons est extrêmement rigoureuse et appliquée de façon totalement arbitraire. Certaines organisations tentent, depuis des mois, voire des années, de se faire enregistrer auprès du gouvernement sans aucun succès et sans que les refus soient motivés.

S'agissant des cas sur lesquels nous avons pu nous documenter, les dirigeants d'associations, les journalistes, les opposants politiques sont sous le coup d'accusations forgées de toutes pièces, qui répondent toutes à la même logique. Pour ce qui est du trafic de stupéfiants, nous avons la preuve avérée que les policiers, lorsqu'ils arrêtent quelqu'un, glissent dans ses poches, dans sa voiture ou dans sa maison, un peu d'héroïne. Et c'est toujours le même schéma. Il est tout de même troublant que tous les dirigeants d'associations et opposants politiques soient des trafiquants de drogue… Les accusations de fraude, d'évasion fiscale ou d'activité illégale des entreprises sont d'autres grands classiques. Portées à l'encontre de toute voix critique à l'égard du gouvernement, elles ne reposent sur rien.

Tous les avoirs et comptes personnels sont gelés et la plupart des personnes qui ont été libérées sont encore sous le coup d'une interdiction de voyager : elles ne peuvent donc pas quitter le pays. Telles sont les accusations et les sanctions classiques imposées aux défenseurs des droits humains, au sens très large du terme – j'y inclus les opposants politiques, les journalistes, les dirigeants associatifs et les blogueurs.

En ce qui concerne les cas emblématiques, vous avez sans doute entendu parler d'Intigam Aliev, qui fait partie des personnes libérées le 28 mars 2016. Sa peine a été commuée en cinq ans de prison avec sursis. Il est donc toujours sous le coup de sa condamnation, il ne peut pas voyager sans autorisation et ses avoirs ont été gelés.

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