Intervention de Arnaud Kalika

Réunion du 24 janvier 2017 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Arnaud Kalika, directeur du séminaire « Russie » à la chaire de criminologie du Conservatoire national des arts et métiers :

Quand Vladimir Poutine déclare ne plus se reconnaître dans les valeurs européennes, je pense qu'il fait référence au fait que, vue de la Russie, l'Europe a toujours été considérée comme un modèle d'attraction sur les plans culturel et économique, mais pas sur le plan politique. Perçue comme un impératif en Europe, la démocratie n'en est pas un aux yeux de l'élite actuellement au pouvoir à Moscou. Pierre Hassner a utilisé le terme « démocrature » pour désigner les États tels que la Russie, qui ne font que se parer de quelques atours de la démocratie, par exemple en organisant l'élection du président au suffrage universel, mais ne respectent pas suffisamment les libertés et ne font pas aux contre-pouvoirs une place suffisante pour être considérés comme de vraies démocraties.

Quand Vladimir Poutine voit que les États européens accordent la priorité aux « grands principes » que sont la liberté et l'égalité, cela ne fait que le conforter dans l'idée d'un Occident qui, faute d'avoir pris la bonne voie, serait en plein déclin – dont il voit l'un des symptômes dans l'instauration du mariage pour tous en France. Cela dit, ce n'est pas parce que l'Europe n'est plus un modèle que l'Asie en est un. Le vrai modèle, c'est celui que la Russie n'aurait jamais dû cesser de suivre, à savoir le modèle russo-russe. À l'appui de sa position, Vladimir Poutine fait appel à des théories développées par des philosophes slavophiles du xixe siècle, selon lesquels la voie russe constituerait une voie alternative à l'Asie et à l'Europe.

Il existe d'autres théories, plus violentes : je pense aux théories eurasiennes, qui considèrent que l'Eurasie a vocation à devenir le centre de gravité du Heartland, voire du Rimland. Aujourd'hui, le monde russe peut être tenté de chercher le modèle à suivre dans ces théories, partant du principe que celles qui ont été mises en oeuvre n'ont pas prouvé leur bien-fondé : selon Vladimir Poutine, le spectacle du monde prouve que la Russie a eu raison de suivre une autre voie que la voie occidentale.

Lors de son discours devant le Bundestag, le 25 septembre 2001, Vladimir Poutine avait pourtant fait part de sa volonté de faire bloc avec l'Occident – certes, dans le contexte immédiat de l'après-11 septembre 2001 – et d'adhérer à ses valeurs. Ceux qui connaissent la Russie savent qu'elle réagit souvent de manière assez brute aux événements qui surviennent. La voie russe qui constitue aujourd'hui la politique de Vladimir Poutine n'est pas née spontanément, mais constitue une espèce d'improvisation politique au contexte actuel, s'inspirant de l'histoire russe et des théories slavophiles.

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