Intervention de Arnaud Kalika

Réunion du 24 janvier 2017 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Arnaud Kalika, directeur du séminaire « Russie » à la chaire de criminologie du Conservatoire national des arts et métiers :

Je ne pense pas que Kaliningrad présente un effet miroir avec la situation des États baltes. L'enclave – ou l'exclave, comme disent certains experts – de Kaliningrad est un poste avancé de la Russie sur la Baltique, tout comme Saint-Pétersbourg était une fenêtre ouverte sur l'Europe. On a beaucoup écrit sur Kaliningrad et le déploiement du système de missiles Iskander – dont personne ne connaît l'ampleur exacte, mais qui implique un déni d'accès sur toute cette zone. En tout état de cause, la modernisation des matériels militaires présents à Kaliningrad et de la flotte déployée sur la Baltique n'a pas été une priorité de l'État russe, alors qu'en Crimée, la flotte et les infrastructures militaires ont fait l'objet d'un gros effort de modernisation au cours des dernières années.

Pour ce qui est des populations, les problématiques de Kaliningrad sont plutôt d'ordre sociétal. En Occident, on parle de l'enclave comme d'une « zone grise » propice aux trafics en tout genre et qui serait également un haut lieu du blanchiment et du transit de fonds illégaux vers d'autres destinations. Pour les autorités russes, il ne s'agit pas du tout d'une zone grise, mais d'une zone sous contrôle, qui cherche des débouchés afin de se développer économiquement ; en tout état de cause, Kaliningrad est tenue par le centre, c'est-à-dire par Moscou.

Pour ce qui est de votre deuxième question, ce sont plutôt la perspective d'un élargissement de l'OTAN et le déploiement d'une défense antimissile, notamment du système américain installé en Roumanie en 2016, que la Russie dit ne pas comprendre. Ces actes sont interprétés par la Russie comme une menace directe contre elle, et contribuent à amplifier le mouvement de cohésion nationale. Les Russes estiment que l'image de la citadelle assiégée n'a rien d'un fantasme, mais correspond pour eux à la réalité, puisqu'ils ont à faire face à l'OTAN et à la défense antimissile sur le flanc ouest, et à de nombreuses incertitudes sur le flanc sud – si la Crimée et la mer Noire sont désormais sous contrôle, l'Iran et la Turquie sont des partenaires d'une fiabilité toute relative ; enfin, sur le flanc est et aux marges asiatiques, la Chine, avec laquelle ils ont signé un accord de partenariat stratégique prévoyant des exercices communs de sécurité et de défense, est censée être un allié, mais dont on peut se demander s'il est d'une loyauté à toute épreuve. Les tenants des théories occidentalistes vous diront, à partir du constat que je viens de dresser, que la Russie est nécessairement européenne, ce qui justifie que l'on parle de la Russie d'Europe. Vladimir Poutine, lui, considère que la Russie est à la fois européenne et asiatique, mais avant tout russe, et qu'elle suit sa propre voie.

Enfin, avant de vous répondre au sujet de Donald Trump, je dois vous dire que Vladimir Poutine déploie une géopolitique de l'ubiquité en termes de communication : il fait preuve d'une volonté manifeste de monopoliser les médias, mais aussi d'anticiper les coups. Ce joueur d'échecs sait que, pour gagner, il faut certes avoir un plan stratégique au départ, mais aussi et surtout savoir mettre en oeuvre une somme de tactiques. Ainsi, ayant perçu que l'élection de Trump était l'un des futurs possibles – peu probable, mais ne pouvant être écarté –, il a envisagé cette hypothèse et mis en oeuvre une politique de communication très prophylactique, qui a anticipé cette élection à coup de tweets et de tribunes dans la presse, y compris dans le New York Times. Le message délivré était clair : le président russe se montrait euphorique à la perspective de l'élection de Trump, et prédisait quasiment la Troisième Guerre mondiale dans l'hypothèse de l'arrivée de Clinton au pouvoir ! Bien évidemment, l'élection de Trump a fait revenir les colombes de la paix.

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