Intervention de Thierry Mariani

Séance en hémicycle du 21 février 2017 à 15h00
Reconnaissance et poursuite des crimes perpétrés en syrie et en irak — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Vous ajoutez, disais-je, une dimension politique beaucoup plus forte. Votre parti pris est clair : il s’agit de cibler tous les protagonistes de la même manière. J’en veux pour preuve les termes utilisés : « Les atrocités commises par Daech ne doivent pas non plus détourner l’attention des crimes commis par d’autres acteurs, qu’ils soient non-étatiques ou étatiques ». Ce texte, symptomatique de certaines postures, est révélateur d’une vision qui me semble erronée.

À cet égard, vous me permettrez, chers collègues, de citer quelques lignes de l’article de George Orwell intitulé « Réflexions sur la guerre d’Espagne » : « en Espagne, pour la première fois, j’ai vu rapporter dans les journaux des choses qui n’avaient rien à voir avec les faits, pas même le genre de relation que suppose un mensonge ordinaire. J’ai vu rapporter de grandes batailles, là où il n’y avait eu aucun combat et un complet silence là où des centaines d’hommes avaient été tués. […] J’ai vu les journaux de Londres débiter ces mensonges et des intellectuels zélés bâtir des constructions émotionnelles sur des événements qui n’avaient jamais eu lieu. J’ai vu, en fait, l’histoire s’écrire non en fonction de ce qui s’était passé, mais en fonction de ce qui aurait dû se passer ».

Vous me permettrez, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir un peu le même sentiment. Oui, je suis allé l’année dernière à trois reprises en Irak, avec Nicolas Dhuicq. D’autres y étaient allés avant nous : je pense notamment à Véronique Besse ou à Jean-Frédéric Poisson.

Oui, nous sommes allés en Irak ; non pour soutenir un régime, mais pour soutenir une population qui souffrait.

Il est trop facile de dire que les Russes ont bombardé et détruit la ville. Puis-je rappeler des éléments de chronologie ? En juillet 2012, la partie est d’Alep a été investie par les mouvements djihadistes modérés – si l’on peut utiliser une telle expression ; à partir de janvier 2013, la partie est d’Alep a été bombardée, et 18 000 habitants, musulmans et chrétiens, de la partie ouest ont trouvé la mort en trois ans. Qui a bougé ? Qui a considéré qu’il y avait un problème ? Personne ne disait rien, puisque la partie est était tenue par Jabhat Al-Nosra, qui faisait « du bon boulot », selon le ministre des affaires étrangères et du développement international de l’époque, M. Laurent Fabius. Ils ont fait du bon boulot, en effet : 18 000 civils ont été tués dans la partie ouest de la ville !

Imaginons une seule seconde – vous me permettrez cette comparaison, faite avec toute l’amitié que j’ai pour nos voisins belges – que la Belgique bombarde le nord de la France pendant deux ans. Les habitants ne demanderaient-ils pas à leur gouvernement de mettre un terme à cette situation ?

Effectivement, des combats meurtriers se sont déroulés, et de 35 000 à 40 000 personnes y ont trouvé la mort, selon le Croissant-Rouge et les autres organisations qui étaient sur place. Cela a permis de mettre un terme aux affrontements. La ville d’Alep est détruite, non pas à 100 % comme le dit la presse française, mais à 15 %, plus 20 % endommagés, ce qui veut dire que la ville est intacte à 65 %, même s’il est vrai qu’elle a beaucoup souffert – je le répète, chaque mort d’un civil est une mort de trop. Les 35 000 à 40 000 personnes qui ont perdu la vie sont autant de morts en trop, évidemment, mais peut-on dire que cette ville de 1,5 million d’habitants a été rasée et que sa population a été éradiquée ? N’y a-t-il pas un moment où il faut en revenir à la raison ?

On parle beaucoup d’aide humanitaire. Heureusement, depuis trois mois, certains pays fournissent cette aide à Alep – mais la France ne figure pas dans ce groupe.

Vous connaissez la situation de la Syrie, monsieur le ministre : c’est un pays sous embargo. Avec mes collègues, nous avons rencontré des patrons qui nous ont dit qu’on les empêchait de travailler. Il ne faut donc pas se plaindre que des milliers de personnes prennent le bateau pour rejoindre l’Europe, puisqu’on ne leur donne pas la possibilité de travailler.

Qu’est-ce que chacun de nous ferait s’il était en Syrie aujourd’hui ? Prendrait-il le bateau pour aller en Europe ? S’engagerait-il dans Daech ou bien dans l’armée régulière syrienne ? Il est plus difficile de se poser ces questions que de proclamer son indignation.

Oui, tous ces événements sont dramatiques. Oui, toutes ces morts sont inutiles. Je pense que la France se serait grandie si elle avait fait un choix. Le président du Conseil des ministres libanais, lors de notre dernière rencontre, il y a trois semaines, nous a dit ceci : « Vous savez ce que ma famille a pu payer à cause du régime syrien et ce que je peux ressentir vis-à-vis de lui, mais on doit discuter avec lui si l’on veut la fin des pertes civiles ». Ces discussions seraient plus utiles que des résolutions qui nous font plaisir et qui ne font rien avancer.

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