Intervention de Philip Cordery

Réunion du 11 février 2014 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur :

Madame la Présidente, mes chers collègues, notre Commission m'a chargé d'un rapport sur l'emploi des jeunes en Europe. La situation de l'emploi des jeunes est inquiétante dans l'ensemble de l'Europe, y compris dans les pays que l'on peut qualifier de « meilleurs élèves », puisque partout les jeunes ont des taux de chômage deux fois supérieurs aux taux de chômage moyens. Cette situation s'explique en grande partie par une inadéquation des formations aux besoins du marché de l'emploi, et donc par la difficulté d'insertion des jeunes dans le marché du travail. Cela est d'autant plus paradoxal que plusieurs secteurs connaissent des pénuries de main-d'oeuvre, comme par exemple l'hôtellerie et la restauration, qui embauchent de nombreux jeunes étrangers par manque de main-d'oeuvre qualifiée en langues étrangères.

Le stage fait partie, avec la formation en alternance, des outils qui permettent d'affiner la formation des élèves et des étudiants et de leur permettre de mieux « coller » aux besoins des employeurs. À cet égard, le stage est un élément décisif de formation.

Malheureusement, la crise est telle que les employeurs sont extrêmement réticents à embaucher, de manière générale, et des jeunes en particulier, et que l'on voit se développer tant les différentes formes d'emploi précaires que la diffusion de stages abusifs, dont l'objet n'est pas de parfaire la formation de l'étudiant mais de pourvoir à très faible coût des emplois permanents.

Ce constat est partagé tant par la Commission européenne, qui a publié le 4 décembre dernier une proposition pour un « Cadre de qualité des stages », que par la proposition de loi déposée par notre collègue Mme Chaynesse Khirouni, et les membres du groupe SRC, tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires, dont nous sommes saisis aujourd'hui pour observations, conformément à l'article 151-1-1 du règlement de l'Assemblée nationale.

Je me réjouis à cet égard de cette procédure. Je pense qu'il serait utile tant pour notre commission que pour les commissions permanentes saisies au fond que nous puissions, autant que faire se peut, nous saisir pour observations des textes qui ont une dimension européenne, et apporter ainsi notre éclairage à des problèmes qui sont parfois traités de manière trop « franco-française ».

Le vocable « stage » est employé pour désigner des réalités très diverses, allant des stages d'observation en entreprise d'une semaine des élèves de troisième aux stages pendant la période de formation.

Au niveau européen, la notion de stage n'a pas forcément la même signification qu'en France et la notion de stage diffère en effet d'un pays à l'autre, tout comme l'encadrement légal.

En droit français, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'éducation, le stage correspond à une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification. Le stage est donc en droit français conçu comme faisant partie d'un cursus d'étude. Il ne saurait être postérieur à la formation. Il fait nécessairement l'objet d'une convention de stage entre l'organisme de formation et l'organisme d'accueil.

La définition retenue par la Commission européenne est beaucoup plus large ; celle-ci entend également en effet par « stage » une période de travail d'une durée limitée que des jeunes venant de terminer leurs études passent dans une entreprise, un organisme public ou une organisation sans but lucratif en vue d'acquérir une expérience professionnelle sur le terrain avant d'occuper un emploi régulier. Ce ne sont en effet que ces stages « en marché libre » que la proposition de la Commission propose d'encadrer.

Partout en Europe, la pratique des stages est fortement développée mais difficile à quantifier.

Au niveau européen, la pratique des stages est aussi fortement développée. Selon l'enquête Eurobaromètre, menée en mai 2013 près d'un jeune Européen sur deux (46 %) a déjà effectué un ou plusieurs stages. La Commission européenne a par contre relevé la faiblesse des stages transnationaux (9 % de l'ensemble des stages), qui s'explique notamment par le manque d'information : 38 % des personnes qui auraient été intéressées par ce type d'expérience ont déclaré avoir disposé de trop peu d'informations sur la réglementation en matière de stages dans les autres États membres.

Le dispositif actuel d'encadrement français des stages développé fait déjà figure d'avant-garde au sein de l'Union européenne. Comme nous l'avons vu, tout stage doit être obligatoirement intégré à un cursus pédagogique et faire l'objet d'une convention de stage et le stage ne peut avoir pour objet l'exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste permanent dans l'entreprise.

Des dispositifs existent également concernant la durée des stages et la gratification minimale – 436 euros par mois après deux mois consécutifs.

Néanmoins, que ce soit au niveau national ou à l'échelle de l'Union, le stage est partout un outil malheureusement trop souvent dévoyé.

Les abus consistent en effet le plus souvent à affecter des stagiaires, moins couteux que des salariés à de véritables postes de travail. Le stage est alors détourné de sa vocation, qui est d'être un élément de la formation des étudiants, et se substitue à des emplois qui devraient être occupés par de jeunes diplômés. La pratique des « fausses » inscriptions à l'université est de plus en plus répandue et demeure souvent la seule possibilité pour les jeunes de toucher une rémunération. Les témoignages livrés par Génération Précaire sont à cet égard particulièrement effrayants.

Mais les abus concernent aussi les conditions d'emploi du stagiaire, ceux-ci ne bénéficiant pas, contrairement aux salariés, des dispositions légales relatives à la durée du travail, aux autorisations d'absence ou aux congés légaux.

Au niveau européen, le constat est identique. Selon l'enquête Eurobaromètre précitée, près de 25 % des stagiaires sondés ont déclaré que leurs conditions de travail étaient différentes de celles des salariés de plein droit, tandis que 20 % estiment ne rien avoir appris d'utile sur le plan professionnel.

Par ailleurs, près de six stagiaires sur dix – 59 % – n'ont eu droit à aucune indemnité lors de leur dernier stage. Et parmi ceux qui étaient rémunérés, moins de la moitié considèrent que les sommes versées suffisaient à couvrir leurs frais de subsistance. Enfin, quatre stagiaires sur dix n'avaient pas passé de convention ou de contrat de stage sous forme écrite avec l'organisation ou l'entreprise d'accueil.

Ces abus sont rendus possibles par le caractère encore lacunaire de la réglementation des stages en entreprise au niveau de l'Union.

L'Union européenne ne dispose pas pour l'instant de réglementation sur les stages. Les négociations sur ce sujet ont eu du mal à aboutir, notamment du fait du refus des représentants des entreprises au niveau européen. De ce fait, bien que représentant une avancée incontestable à plusieurs égards, la proposition de la Commission européenne est en-deçà des besoins réels et est en retrait par rapport aux propositions du Parlement européen qui, en 2010, avait adopté une résolution sur la promotion de l'accès des jeunes au marché du travail, le renforcement du statut des stagiaires, du stage et de l'apprenti.

Le texte proposé par la Commission européenne apparaît donc problématique à plusieurs égards.

D'une part, il ne concerne pas les stages qui s'inscrivent dans un cursus universitaire ou une filière professionnelle, ni ceux qui relèvent de la formation professionnelle obligatoire, et ne s'applique qu'aux stages effectués dans ce que la Commission qualifie de « marché libre ».

D'autre part, il ne comporte aucune mention concernant la rémunération des stages, cette question n'étant pas même abordée. Il s'agit pourtant là d'un point crucial.

Enfin, il n'est pas contraignant, la recommandation n'ayant qu'une portée indicative et aucune valeur juridique impérative.

La recommandation de la Commission européenne, malgré ces imperfections, demeure toutefois un premier pas positif, et ce sur plusieurs points qui visent à offrir une plus grande transparence par rapport au contenu d'apprentissage et aux conditions de travail offertes aux stagiaires : la conclusion d'une convention de stage écrite qui définisse les obligations réciproques du stagiaire et du fournisseur de stage ; la définition des objectifs d'apprentissage et la désignation d'un tuteur pour le stagiaire ; le respect des droits des stagiaires ; enfin, les précisions sur les circonstances et conditions dans lesquelles un stage peut être renouvelé.

Nous y reviendrons en détail quand nous examinerons le rapport sur l'emploi des jeunes que je vous présenterai prochainement.

La proposition de loi que nous examinons comporte des avancées importantes et en cohérence avec les objectifs de la Commission européenne. Elle met ainsi en place un dispositif important d'encadrement de la pratique des stages et de protection des stagiaires.

D'une part, les missions de l'établissement d'enseignement sont clarifiées ; celui-ci est notamment chargé de définir, en lien avec l'organisme d'accueil et le stagiaire, les compétences à acquérir ou à développer durant le stage, et de désigner un enseignant référent pour assurer le suivi du stage.

La proposition renforce également la limitation de la durée des stages, qui ne peuvent pas excéder 6 mois, et clarifie le fait qu'aucun stage ne peut se substituer à un emploi. Afin d'empêcher les abus les plus manifestes, elle pose en outre le principe d'une limitation du nombre de stagiaires rapporté aux effectifs de l'entreprise. Une amende est prévue en cas d'infraction.

Elle améliore en outre les dispositions relatives aux droits des stagiaires.

Des compléments au texte demeurent possibles afin de favoriser la mobilité des jeunes stagiaires français au sein de l'Union européenne.

Effectuer un stage à l'étranger représente une opportunité pour les étudiants mais aussi pour notre pays, puisque ces étudiants sont aussi des vecteurs de l'influence française et de diffusion de la citoyenneté européenne.

Cependant, cette opportunité, du fait de la barrière économique qui peut se dresser pour bon nombre d'étudiants, n'est pas offerte de la même manière à tous les étudiants, y compris à talent égal, et ce d'autant plus que les étudiants lorsqu'ils partent effectuer un stage à l'étranger doivent renoncer à un certain nombre d'aides sociales auquel ils pourraient prétendre en France – aides pour le logement, bourses… Il convient donc d'améliorer le cadre légal des stages effectués à l'étranger.

Pour cela il convient d'encadrer les stages effectués à l'étranger. La proposition de loi, on l'a vu, vise à mettre en place un certain nombre d'obligations entre établissements scolaires et universités d'une part et organismes d'accueil d'autre part, qui pourraient être utilement étendues aux stages effectués à l'étranger.

Les obligations pour les établissements scolaires et universitaires qui sont des entités de droits français peuvent facilement être mises en oeuvre. Elles concernent notamment la signature d'une convention de stage, la définition des compétences à acquérir ou la désignation d'un enseignant référent parmi les équipes pédagogiques.

Pour ce qui concerne les obligations pour les organismes d'accueil, qui sont des entités juridiques étrangères, la loi française ne peut rien réglementer. Les conventions peuvent par contre inciter au respect d'un certain nombre de règles concernant les conditions de travail ou la gratification.

Il convient en outre d'améliorer l'information des stagiaires. Comme l'a indiqué dans sa communication la Commission européenne, le manque d'information est le premier frein à la mobilité des jeunes. Les stagiaires devraient ainsi être, avant leur départ, informés de leurs droits de la réglementation relative aux stages en vigueur dans le pays où ils partent effectuer leur stage. Une fiche d'information pourrait par exemple être annexée à la convention de stage.

Il convient enfin d'accompagner la mobilité. Le coût d'un stage à l'étranger peut représenter un obstacle car les stagiaires perdent un certain nombre d'avantages dont ils pouvaient bénéficier en France, tel que le bénéfice de l'aide pour le logement. Un certain nombre de mesures pourraient permettre aux étudiants les moins fortunés de financer leurs stages à l'étranger : la création, au sein des universités françaises, d'un fonds de solidarité qui permettrait d'accompagner la mobilité en offrant une bourse sur critères sociaux aux stagiaires à l'étranger ; l'utilisation des fonds du programme européen « Erasmus pour tous » pour offrir une bourse sur critères sociaux aux stagiaires à l'étranger ; le développement des aides offertes par les régions pourrait être encouragé.

Je vous propose ainsi d'adopter les conclusions suivantes :

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